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1335. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxvie entretien. L’ami Fritz »

On n’invente pas la vraie couleur, on la copie ; pour la copier, il faut la voir. […] Jamais la Bruyère ou Theophraste n’ont pétri de si vivantes couleurs sur leur palette. Vous allez voir ; ici il faut beaucoup plus citer que dire ; car on peut raconter le dessin, mais il faut peindre la couleur.

1336. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIe entretien. L’homme de lettres »

XVI Telle fut la destinée terrestre de cet homme de lettres français qui laissa dans les imaginations et dans les cœurs la trace indélébile de son talent, parce qu’il fut l’homme de lettres de la nature, et qu’il n’emprunta qu’à elle ses dessins et ses couleurs. […] À la fin de l’été, plusieurs espèces d’oiseaux étrangers viennent, par un instinct incompréhensible, de régions inconnues, au-delà des vastes mers, récolter les graines des végétaux de cette île, et opposent l’éclat de leurs couleurs à la verdure des arbres rembrunie par le soleil. […] Dans nos souhaits innocents, nous désirions être tout vue, pour jouir des riches couleurs de l’aurore ; tout odorat, pour sentir les parfums de nos plantes ; tout ouïe, pour entendre les concerts de nos oiseaux ; tout cœur, pour reconnaître ces bienfaits.

1337. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIIIe entretien. Littérature cosmopolite. Les voyageurs »

Le seuil est aussi de porphyre de couleur verte, haut de cinq à six pouces, fait en demi-rond. […] Ce salon de l’écurie a cent quatre pas de face, vingt-six de profondeur et vingt-cinq pieds de hauteur: il est couvert d’un plafond de mosaïque, assis sur des colonnes de bois peint et doré ; et il est séparé en trois salles, dont celle du milieu est élevée de neuf pieds du rez-de-chaussée et celles des côtés de trois pieds seulement ; les séparations sont faites de châssis de cristal de Venise, de toutes couleurs, et le salon entier est garni de courtines tout alentour, doublées des plus fines indiennes, qu’on étend du côté du soleil, jusqu’à huit pieds de terre seulement, sans que cela empêche la vue. […] Les murs sont revêtus de marbre blanc, peint et doré, jusqu’à moitié de la hauteur, et le reste est fait de châssis de cristal de toutes couleurs.

1338. (1898) Émile Zola devant les jeunes (articles de La Plume) pp. 106-203

Ils naquirent et grandirent avec le goût de la couleur ; la passion de l’infini, de l’immense et du majestueux s’était développée dans leur cœur, au détriment de l’harmonie. […] Pendant des heures ils ont discuté chaque mot en l’examinant au point de vue de l’oreille et de l’œil ; non seulement ils se sont préoccupés de la phrase en grammairiens, mais encore ils ont demandé une musique, une couleur, jusqu’à une odeur. […] Déjà les théories de Chevreul, sur l’optique et les couleurs complémentaires, étaient en train de transformer l’art pictural.

1339. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1895 » pp. 297-383

« Vous n’avez eu de plus chère ambition que de savoir et de voir ; vous n’avez connu de plus exquises jouissances que celles des idées, des lignes et des couleurs ; et les sensations que vous avez aimées, vous les avez voulu rendre avec l’effort de signes nouveaux, et le frémissement de notations personnelles. […] Dans l’intervalle de tous ces petits chemins, il s’étendait par places, de l’herbe, mais une herbe écrasée, desséchée et morte, éparpillée comme une litière jaune, et dont les brins, couleur de paille, s’emmêlaient de tous côtés aux broussailles, entre le vert triste des orties… Des arbres s’espaçaient tordus et mal venus, de petits ormes au tronc gris, tachés d’une lèpre jaunâtre, des chênes malingres mangés de chenilles, et n’ayant plus que la dentelle de leurs feuilles… De volantes poussières de grandes routes enveloppaient de gris les fonds… Tout avait la misère et la maigreur d’une végétation foulée, la tristesse de la verdure de la barrière… Point de chants d’oiseaux dans les branches, point de parcours d’insectes sur le sol battu… Un bois à la façon de l’ancien bois de Boulogne, poudreux et grillé, une promenade banale et violée, un de ces endroits d’ombre avare, où le peuple va se ballader à la porte des capitales : parodies de forêts, pleines de bouchons, où l’on trouve dans les taillis des côtes de melons et des pendus !  […] La France serait condamnée à des formes, comme couronnées dans un concours du laid, à des coupes de baies, de fenêtres, de dressoirs, empruntées aux hublots d’un navire, à des dossiers de canapés, de fauteuils, de chaises, cherchant les rigides platitudes de feuilles de tôle, et recouverts d’étoffes, où des oiseaux, couleur caca d’oie, volent sur le bleu pisseux d’un savonnage, à des toilettes et autres meubles, ayant une parenté avec les lavabos d’un dentiste, des environs de la Morgue.

1340. (1887) George Sand

La fraîcheur des eaux, les parfums des plantes, les harmonies du vent circulent dans le sang et les nerfs, en même temps que l’éclat des couleurs et la beauté des formes s’insinuent dans l’imagination. » La nature tout entière passe dans l’homme ; elle lui parle le langage le plus varié. […] Mais, pour aider à ce travail d’idéalisation, la nature prête ses formes, ses harmonies, ses couleurs, et le tout, ainsi combiné, devient la matière immortelle de l’art. […] J’ai vu, dans un repli des montagnes du Jura, une source que l’on appelle la Source bleue, à cause de sa couleur, qui reflète le paysage environnant, un coin du ciel ménagé au-dessus d’elle et peut-être aussi la nature de la pierre où elle a creusé sa coupe d’azur. […] Mme Sand a peint sous de vives couleurs cette vie en partie double, vie réelle et vie d’artiste mélangées, en la transfigurant sur une plus grande scène, dans une de ses plus intéressantes nouvelles. […] Quitte la caverne des réalistes et reviens à la vraie réalité, qui est mêlée de beau et de laid, de terne et de brillant, mais où la volonté du bien trouve quand même sa place et son emploi. » J’ai tenu à terminer ce portrait par ces belles et simples paroles qui lui donnent son vrai relief et sa vraie couleur.

1341. (1899) Arabesques pp. 1-223

En vain il s’efforce de décrire la cathédrale de Chartres, d’exposer la symbolique des couleurs, des parfums, des légumes, des cloches, de la danse, il ne parvient ni à s’y attacher ni à nous y intéresser. […] Si tu te relèves, pour recevoir à la face la pluie chaude que des nuées voyageuses versent par instants, tu verras l’atmosphère resplendir de toutes les couleurs du prisme, des pétales neigeront dans tes cheveux et l’odeur des vergers en folie te grisera comme un vin d’allégresse et de santé. […] Les idées de Michelet n’ayant rien de commun avec les instincts rapaces des gens de gouvernance, son art étant fort au-dessus de la compréhension d’un conseil municipal, même collectiviste, on ne saisit pas trop l’à-propos des fêtes données pour célébrer le centième anniversaire de sa naissance… À moins qu’il ne s’agisse de lui attribuer — sous couleur d’apothéose — des opinions conformes à celles des saltimbanques que le suffrage universel hissa sur le pavois. […] Un autre exemple : Voici le dilettante qui a coutume d’opposer les idées les unes aux autres, de les disséquer et de jongler avec les notions contradictoires qu’elles lui livrent comme avec des boules de couleur. « Tout est vrai, tout est faux, dit-il, et je me garde de conclure parce que je ne sais jamais si je me trompe, ou si je vois juste. » Il est si content de sa virtuosité qu’il se croit un être d’essence supérieure. […] Elle se réclame de la Révolution et elle n’a pas tort, parce que la Révolution est un fait bourgeois, parce que sous couleur « d’immortels principes », les légistes et les boutiquiers ont réussi à déposséder la noblesse et le clergé.

1342. (1932) Les idées politiques de la France

L’ultracisme truculent, couleur Action française, appartient, disions-nous, à la littérature plus qu’à la politique : sa conservation en parc national importe d’ailleurs aux lettres, à qui les nourritures libérales, un peu trop pâtes et eau claire, risqueraient de ne pas donner les belles couleurs auxquelles elles ont droit. […] Elle ne tient plus à perdre d’autres parties, et a dû reconnaître qu’elle perdait toutes les fois que ses couleurs servaient d’atout dans le jeu de la réaction. […] Et en commémorant, en 1931, le centenaire de la Chronique de 1830, soit du Rouge et Noir, n’avons-nous pas retrouvé, sous sa première forme romanesque, le tableau de notre diversité politique, avec d’autres couleurs peut-être, juxtaposées dans le pays comme elles le sont sur son drapeau, les blancs, les bleus, les rouges ? Chaque couleur joue un rôle. […] Des groupes puissants, des hommes d’État favorables, des loges même, spécialement outillées, les alliances cléricales, une presse bien en main, tout ce qui a marché et marche encore, n’eussent pas suffi, si tout un idéalisme n’était venu mettre sa rallonge : gloire militaire, honneur du drapeau, revanche contre la perfide Albion, contraste républicain avec les abandons monarchiques, montés en épingle, de Louis XV, larges pays de couleur française, parfois désertiques, mais qui tenaient de la place sur les cartes murales et dans la carte morale, — greffe, en somme, des affaires sur le patriotisme.

1343. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « PARNY. » pp. 423-470

Le Mercure de France (8 janvier 1780) sait très-bien regretter, par exemple, que l’expression de la tendresse ne se mêle pas plus souvent chez le poëte à celle de la volupté, et que l’amour n’anime pas de couleurs plus riches son imagination et sa veine179. […] La couleur locale, que Parny n’avait pas eu l’idée d’employer en 1778, lui souriait peut-être davantage depuis qu’il en avait vu les brillants effets et le triomphe180.

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