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270. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre premier, premières origines du théâtre grec »

La danse l’initie à cette seconde vue ; elle transfigure le corps en lui donnant deux ailes, l’élan et le rythme ; elle le dégage, pour un instant, des tristes lois de la pesanteur. […] Le passé qui redevient le présent, des fantômes reprenant leurs corps, des légendes immémoriales revenant du fond des siècles, sur le premier plan de la vie ; des hommes quelconques, connus et coudoyés tout à l’heure, transformés par le revêtement d’un costume, par l’ascension de quelques gradins, en dieux visibles, en héros ressuscités et palpables, et le faisant croire aux yeux autant qu’à l’esprit !

271. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — De l’état de savant. » pp. 519-520

Un corps de savants qui se forme de lui-même, ainsi que la société des hommes s’est formée, celle-ci pour lutter avec plus d’avantage contre la nature, celui-là par le même instinct ou le même besoin : la supériorité avouée des efforts réunis contre l’ignorance. […] Une académie ou un corps de savants ne doit être que le produit des lumières poussées jusqu’à un certain degré de perfection et très-généralement répandues ; sans cela, stipendiée par l’État, elle lui coûte beaucoup, ne subsiste que par des recrues et ne rend aucun fruit.

272. (1894) La bataille littéraire. Septième série (1893) pp. -307

Il est vrai que c’est sur la même claie, devenue splendide, qu’il a étendu le corps rayonnant de Louis XIV ! […] La structure même du corps humain sera modifiée. […] Comme il avait toujours été propre, il commandait que son corps fût lavé, revêtu de linge blanc et couché sur une table ; là, son visage sera rasé, et le corps, après un nouveau nettoyage, enveloppé d’un drap. […] c’étaient des corps inanimés que rien ne pouvait plus troubler. […] Alors, les yeux physiques étant fermés, l’âme, à demi dégagée du corps, quelquefois voit des âmes.

273. (1903) La pensée et le mouvant

Entre notre conscience et les autres consciences la séparation est moins tranchée qu’entre notre corps et les autres corps, car c’est l’espace qui fait les divisions nettes. […] Bien avant qu’il y eût une philosophie et une science, le rôle de l’intelligence était déjà de fabriquer des instruments, et de guider l’action de notre corps sur les corps environnants. […] Cette perception de tous les corps environnants siège-t-elle dans le corps organisé ? […] Il ne consiste pas seulement à dire que les corps sont des idées. […] Si un corps est fait d’« idées », ou, en d’autres termes, s’il est entièrement passif et terminé, dénué de pouvoirs et de virtualités, il ne saurait agir sur d’autres corps ; et dès lors les mouvements des corps doivent être les effets d’une puissance active, qui a produit ces corps eux-mêmes et qui, en raison de l’ordre dont l’univers témoigne, ne peut être qu’une cause intelligente.

274. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre IV. Le développement général de l’esprit est nécessaire pour bien écrire, avant toute préparation particulière »

Si l’on a bien appris, si l’on a bien vécu, c’est-à-dire comme un être actif et conscient, toutes les connaissances et toutes les émotions antérieures concourront insensiblement dans tout ce qu’on écrira, et, sans qu’on puisse marquer précisément l’empreinte d’aucune, elles se mêleront dans toutes nos pensées et dans toutes nos paroles, comme on ne saurait dire quelle leçon de gymnastique ou quel aliment entre tous a donné au corps la force dont il fait preuve un certain jour au besoin. […] Si elle écrit au courant de la plume une page qui est un chef-d’œuvre, c’est qu’elle avait au cours de toute sa vie lu, pensé, causé ; c’est que dans son intelligence toujours active les sentiments, les idées circulaient incessamment comme le sang dans son corps et entretenaient la vie ; que toute son âme était toujours debout, prête au service, et que chaque mot, chaque phrase était le produit et l’expression de toute son existence intellectuelle et morale.

275. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 516-521

Comme cet Ouvrage, qui suppose autant de connoissances que d'application, peut être infiniment utile à la jeune Noblesse & à tous les Militaires curieux d'avoir une juste idée du Corps Germanique, nous saisissons cette occasion de le faire connoître ; & nous ne pouvons mieux y réussir, qu'en rapportant la Lettre d'un Ambassadeur de l'Empire d'Allemagne, adressée à l'Auteur même qui lui en avoit envoyé un exemplaire. […] Les difficultés sans nombre que vous devez avoir rencontrées dans votre marche, & que vous avez heureusement surmontées, ajoutent un nouveau degré au mérite d'avoir rassemblé, presque sous un seul point de vue, tout ce que l'Histoire, la Politique & la Géographie présentoient d'intéressant & d'essentiel à la connoissance exacte de ce vaste Corps.

276. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre I. De l’action »

Nous n’arrivons qu’après un progrès, et encore par des détours, sans cesse flottant entre deux sentiments, comme ces corps légers qui descendent lentement une rivière, et sont encore ballottés çà et là par les moindres flots. […] Il sent que l’imagination de l’homme est toute corporelle ; que, pour comprendre le déploiement des sentiments, il faut suivre la diversité des gestes et des attitudes ; que nous ne voyons l’esprit qu’à travers le corps. […] Le sanglier rappelant les restes de sa vie, Vient à lui, le découd, meurt vengé sur son corps. […] La brusquerie, les interrogations pressées comme les coups d’une hache de guerre, la puissante voix tendue et grondante, la hardiesse qui prend corps à corps l’adversaire et le frappe en face, annoncent le barbare. […] Le poëte remplace ici les couleurs du peintre par des mots passionnés qui font plaindre « les pauvres servantes. » Il montre l’âme, au lieu du corps ; c’est la différence de la poésie et de la peinture.

277. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1886 » pp. 101-162

Je le trouve couleur d’un vieux cierge d’église, les yeux ayant perdu l’allumement de la vie, la voix sans résonance, se plaignant d’affreuses névralgies des reins ; et l’esprit encore plus malade que le corps, et me disant : « Je crois bien avoir le foie atteint, aux tristesses affreuses que j’éprouve !  […] Il a aussi au plus haut degré l’imagination des attaches et des enlacements de deux corps amoureux, noués l’un à l’autre, ainsi que ces sangsues, que l’on voit roulées, l’une sur l’autre, dans un bocal. […] Là-dessus il demande, de concert avec Daudet, un rendez-vous aux témoins de Meyer, pour fixer décidément le terrain du combat, et dresser un procès-verbal, où le corps à corps sera permis, et où les témoins n’interviendront pas. […] Il disait que la vieillesse de ce corps était surtout indiquée par les cordes d’un cou, n’ayant plus la rondeur d’une colonne. […] En résumé, un corps ayant conservé l’apparence de la jeunesse, ainsi que dans un resserrement, une constriction des tissus.

278. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre II, grandeur et décadence de Bacchus. »

Il est le Médiateur et le Bienfaiteur, la vie du foyer, l’urne de l’holocauste, l’allégresse du corps, l’énergie de l’âme. […] Quelquefois, le corps penché, la tête somnolente, il s’accoude sur l’épaule d’un petit Satyre. — Bacchus ressemble à sa vigne, il s’appuie et il enivre. […] Bacchus, assis à la proue, rit de leurs bonds convulsifs et de leurs corps qui s’enduisent d’écailles. […] Dans un combat corps à corps contre Dériade, le roi des Indiens, le rajah suprême, monté sur un proboscide colossal, Bacchus prend toutes les formes et revêt toutes les apparences : tour à tour lion et panthère, torche volante, flot jailli du sol. […] C’est le jeune garçon printanier, qu’un dieu d’été, jaloux et torride, entrant dans le corps d’un sanglier sauvage, a tué, tandis qu’il chassait dans les forêts du Liban.

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