On est toujours porté à considérer comme des coupables ceux qui veulent user librement de leur raison et ne se soumettre qu’après discussion à la raison d’autrui. […] La vérité, dit-on, n’est autre chose que le point de vue selon lequel chacun considère les choses : or le point de vue de l’un n’a pas plus d’autorité que celui de l’autre ; chacun a le même droit de ressentir les choses telles que son organisation les lui présente, et de les concevoir en raison de ses impressions. […] Considérez la chose de plus près, leur disons-nous, et vous serez de notre avis. […] Sans doute si l’on considère combien peu d’hommes dans une société, quelque civilisée qu’elle soit, méritent le nom d’hommes éclairés, combien peu même ont les connaissances strictement nécessaires, combien enfin les idées dans l’homme sont voisines des passions, on peut craindre que cette émancipation des esprits, cette rupture avec toute tradition, cet appel à la raison individuelle, cette liberté de penser en tous sens ne soit la source de bien des maux, et je reconnais qu’il faut avoir l’esprit ferme pour envisager sans terreur l’avenir inconnu vers lequel marche la société contemporaine. […] A n’en pas douter, il y a là tous les caractères d’un fait inévitable que les impies peuvent considérer comme le résultat des lois implacables du destin, mais où l’on peut tout aussi bien voir le signe d’une volonté providentielle.
. — Il en est de même dans tous les autres cas, que l’on considère une faculté commune à tous les hommes ou une faculté propre à un individu. […] Et, de fait, quand par le souvenir nous considérons quelqu’un de ces moments, nous les trouvons tous pareils au moment présent ; tout à l’heure, quand j’étais dans l’autre chambre, j’avais une sensation de froid, je marchais, je regardais l’heure, je prévoyais, je désirais, je voulais, comme en ce moment. […] Or, quand nous considérons ces pouvoirs, nous les trouvons tous plus ou moins permanents. […] En quelque point de notre passé que nous les considérions, nous les trouvons toujours soudées l’une à l’autre dans le même ordre. […] Cela fait, aidé d’une formule, il considère leur couple en soi, exclusion faite de tous les cas particuliers où ils se rencontrent.
Quand donc on demande pourquoi la logique est une science certaine, on doit répondre : C’est qu’elle ne s’occupe d’aucun objet spécial et déterminé ; c’est qu’elle est indépendante de ses applications, et que sa vertu réside dans les lois même de la raison, considérée en elle-même et pure de tout élément étranger. […] Il est peu de philosophes qui aient considéré les connaissances dans leur rapport avec l’esprit humain. […] Non seulement on peut distinguer la connaissance en matérielle et formelle, objective et subjective ; mais on peut aussi la considérer par rapport à son origine, et rechercher si toutes nos connaissances viennent ou ne viennent pas de l’expérience. […] C’est qu’on a moins considéré les procédés de l’esprit dans la formation de ses connaissances que ces connaissances en elles-mêmes, relativement à leurs objets et indépendamment de l’esprit. […] Il ne désespère donc point de la métaphysique considérée comme science, mais il la renvoie à l’avenir, et il ne veut qu’en poser les fondemens et en vérifier l’instrument.
Enfin, et c’est le dernier facteur du génie de Mme de Staël qu’il nous faille considérer, elle n’a pas du tout une nature artiste. […] Ces romans ne valent que si l’on y cherche les passions et les idées de Mme de Staël : si on les considère dans leur objectivité d’œuvres d’art, ce sont de purs poncifs. […] L’ouvrage intitulé De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (1800) est un curieux livre, confus, plus clair dans le détail que dans l’ensemble, naïf parfois jusqu’à la puérilité, mais, à tout prendre, original, suggestif, un livre intelligent enfin : il y a des chefs-d’œuvre auxquels on hésiterait à donner cette simple épithète. […] Elle avait épousé en 1811 M. de Rocca, beaucoup plus jeune qu’elle.Editions : De la littérature considérée dans ses rapports avec les constitutions sociales, an viii, 2 vol. in-8 ; Delphine, roman, 1802 ; Corinne, roman, 1807 ; de l’Allemagne, Londres, 1813 ; Considérations sur la Révolution française, publ. par le duc de Broglie et le baron de Staël, 1818 ; Dix années d’exil, publ. par le baron de Staël, 1821.
La grande âme contemptrice et désolée de Chateaubriand, si souvent retrouvée partiellement par Musset, par Gautier, par Vigny, par Lamartine lui-même, le tempérament neurasthénique des romantiques, est l’âme même, intime et profonde, du romantisme ; et si Vigny est considéré à présent, plus que tout autre, comme le représentant du romantisme, c’est que du romantisme il a négligé le magasin des accessoires, mais exprimé plus fortement que personne l’esprit même. […] Il était moins grand, moins puissant, moins terrible, moins monstrueux dans la réalité ; mais je l’ai vu ; ou j’ai vu tel homme qui n’avait pas grand chemin à faire pour devenir Harpagon, Tartufe, le père Grandet, le baron Hulot. » Les personnages des romantiques n’ont rien de cela (et qu’on ne m’accuse pas de mettre Balzac tantôt avec les réalistes, tantôt avec les romantiques ; on peut savoir que je le fais exprès, ayant toujours considéré Balzac comme étant moitié romantique, moitié réaliste, presque exactement), les personnages des romantiques sont des abstractions vivifiées, quelquefois magnifiquement, par le rêve. […] Il se construisit, pour soutenir et étayer ses nouvelles tendances, une philosophie très sommaire, faite de croyance en la science considérée comme devant renouveler l’essence morale de l’humanité et devant mener le genre humain à la moralité et au bonheur. […] Comme artiste il était fini et unanimement considéré comme tel ; comme bon apôtre, locution dont j’écarte l’ironie, il commençait.
— Dans le chapitre précédent, nous avons considéré l’œuvre d’art dans ses effets sur un appréciateur idéal, et dans la cause prochaine de ces effets. […] On en est là, et l’on peut reprocher aux meilleurs travaux actuels des critiques biographes, deux défauts : les indications psychologiques qu’ils extraient de l’examen superficiel d’œuvres littéraires sont trop générales et trop peu précises pour être considérées comme scientifiques ; d’autre part, ils ont tort d’employer simultanément dans leurs essais et en vue de déterminer l’individualité d’un artiste, l’histoire de sa carrière, l’ethnologie, les notions de l’hérédité et de l’influence des milieux, avec l’analyse directe de ses œuvres. […] Or on sait qu’en psychologie un désir9 est considéré comme l’expression consciente d’une aptitude développée, et demandant à se manifester, d’une force de l’organisme contenue et apte à être mise on jeu. […] D’ailleurs, que l’on considère ceci : les particularités esthétiques d’une œuvre se composent d’un certain nombre d’émotions, d’images verbales, d’images d’objets, de personnes, d’idées, de concepts, de souvenirs, d’habitudes d’esprit, de résidus de sensations.
Les faits de la psychologie individuelle eux-mêmes présentent ce caractère et doivent être considérés sous cet aspect. […] Non seulement on se considère comme obligé de dogmatiser sur tous les problèmes à la fois, mais on croit pouvoir, en quelques pages ou en quelques phrases, atteindre l’essence même des phénomènes les plus complexes. […] Ils sont donc, en ce sens, extérieurs aux consciences individuelles, considérées comme telles, de même que les caractères distinctifs de la vie sont extérieurs aux substances minérales qui composent l’être vivant. […] Pour comprendre la manière dont la société se représente elle-même et le monde qui l’entoure, c’est la nature de la société, et non celle des particuliers, qu’il faut considérer.
Considérons un moment, d’un peu près, nos origines. […] Le spectacle est merveilleux, nous le confessons, mais il faut aussi considérer le résultat final. […] Il ne faut pas confondre l’intellectualité et raffinement esthétique d’une nation, considérée dans son élite, avec sa simple valeur morale en tant que nation, considérée en bloc. […] Considérons celui tout récent des colonies espagnoles passées aux mains nord-américaines. […] Plongeons un regard sincère en nous-mêmes et considérons froidement ce que nous sommes.
Mais sans analyser les résultats de ce temps horrible qu’il faut considérer comme tout à fait en dehors du cercle que parcourent les événements de la vie, comme un phénomène monstrueux que rien de régulier n’explique ni ne produit, il est dans la nature même de la révolution d’arrêter, pendant quelques années, les progrès des lumières, et de leur donner ensuite une impulsion nouvelle. […] Quand j’aurai présenté les diverses idées qui tiennent à ce sujet, je considérerai de quelle perfectibilité la littérature et la philosophie sont susceptibles, si nous nous corrigeons des erreurs révolutionnaires, sans abjurer avec elles les vérités qui intéressent l’Europe pensante à la fondation d’une république libre et juste.