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393. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « M. Paul Verlaine et les poètes « symbolistes » & « décadents ». »

D’abord par un scrupule de conscience. […] « Or, en quête sous les ramures, il s’est lassé, et la nuit est venue sur la vanité de son espoir présomptueux : parmi l’air le plus pur de désastre, en le plus plaisant lieu une voix disparate, un pin sévèrement noir ou quelque rouvre de trop d’ans s’opposait à l’intégral salut d’amour, et la velléité dès lors inerte demeurait muette, sans même la conscience mélancolique de son mutisme. […] Vous éprouvez réellement qu’un paysage n’est, comme on l’a dit, qu’un état de conscience. […] A certains moments, sous un choc extérieur, ces impressions ignorées de nous se réveillent à demi : nous en prenons subitement conscience, avec plus ou moins de netteté, mais toujours sans être informés d’où elles nous sont venues, sans pouvoir les éclaircir ni les ramener à leur cause. […] Il n’exprime presque jamais des moments de conscience pleine ni de raison entière.

394. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre V. Le Séminaire Saint-Sulpice (1882) »

la main sur la conscience, cet engagement-là, je n’y ai jamais manqué. je n’ai jamais eu d’autre intérêt que celui de la vérité et j’y ai fait des sacrifices. […] Un an après, le mal que je croyais passager avait envahi ma conscience tout entière. […] Même si je venais à l’abandonner, cela devrait lui plaire, car ce serait un sacrifice fait à la conscience, et Dieu sait s’il me coûterait ! […] Plusieurs circonstances m’ont tout d’abord fait comprendre la grandeur du sacrifice que Dieu exigeait de moi, et dans quel abime me précipitait le parti que me conseille ma conscience. […] Et pourtant, si ma conscience me la présentait comme licite, je la saisirais avec empressement, ne fût-ce que par pudeur humaine.

395. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Taine » pp. 305-350

Il a obéi à la loi des forts, qui ont culbuté en eux cet impedimentum belli : — la conscience. […] Taine, logique et fataliste comme tout matérialiste de bon lieu qui ne peut croire qu’à la toute-puissance des faits, cette société a mérité sa guillotine… Et nous aussi, mais pour d’autres raisons, probablement, que celles qui sont dans la conscience de M.  […] Et ce talent fait voir souvent dans les faits ce qui n’y est pas, ou ce qu’il y voit, ou ce qu’il y ajoute ; car le talent est, même sans manquer de conscience, naturellement et involontairement inventeur. […] Si l’auteur ne l’a pas tirée des prémisses qu’il a posées avec tant de sûreté et d’étendue, c’est qu’il a voulu que la science primât tout ici et jusqu’à la conscience elle-même, que la science doit pénétrer de sa souveraine et irrésistible clarté. […] Hors du sabbat révolutionnaire, ramenés au sens commun par la présence du danger, ayant compris l’inégalité des talents et la nécessité de l’obéissance, ils font œuvre d’hommes ; ils pâtissent, ils jeûnent, ils affrontent les balles, ils ont conscience de leur désintéressement, ils sont des héros et ils peuvent s’envisager comme des libérateurs… L’amour de la patrie, c’était leur seule religion, mais il en fut une.

396. (1875) Premiers lundis. Tome III «  À propos, des. Bibliothèques populaires  »

Rouland soit présent pour dire devant lui que, malgré les bonnes intentions qu’il a manifestées l’année dernière, à l’occasion d’une pétition relative aux protestants, malgré toutes ses bonnes dispositions, il restera toujours dans sa conscience le remords d’avoir fait une certaine nomination qui a produit un grand scandale ! […] Ici, ma conscience d’écrivain et d’homme qui se croit le droit d’examen et de libre opinion se révolte, et prenant votre liste même, monsieur et respectable confrère, monsieur Suin, je la relève et je dis : Dans cette suite de livres que vous confondez sous une même dénomination infamante, je trouve Voltaire tout d’abord, le premier (et il est bien juste qu’il soit le premier) ; je le trouve pour son Dictionnaire philosophique, qui n’a le tort que de dire bien souvent trop haut et trop nettement ce que chacun pense tout bas, ce que l’hypocrisie incrédule de notre époque essaye de se dissimuler encore. […] Je ne comprendrais pas que sous le règne d’un Napoléon47, c’est-à-dire d’un souverain qui est jaloux sans doute de garantir tous les intérêts moraux, d’abriter toutes les craintes même et les délicatesses des consciences, mais aussi de réserver tous les droits sérieux et légitimes issus de la Révolution, il y eût un accord aussi surprenant contre cette classe plus ou moins nombreuse qu’on n’appelle qu’en se signant les libres penseurs, et dont tout le crime consiste à chercher à se rendre compte en matière de doctrines. […] En conscience, je crois au contraire, comme je l’ai dit en commençant, messieurs, que c’est précisément pour cela que je suis ici.

397. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre troisième »

À défaut de cette présence continuelle et sans sommeil de la conscience, avertissant chacun et à chaque moment de la moralité de ses actions, et prévenant ainsi la chute, il institua une sorte de conscience extérieure et publique dans la personne de censeurs des mœurs, lesquels s’introduisaient dans les maisons à tous les instants du jour et principalement aux heures des repas, alors que les plus rigides se relâchent, et que la sainteté des élus courait quelque risque. Un décurion assisté d’un ministre, allait de maison en maison demander à chacun l’état de sa conscience par rapport à la religion, Calvin avait subordonné l’État à l’Église de telle sorte que l’Église fut la loi, et l’État la puissance matérielle chargée de la faire exécuter. […] Calvin traite en grand écrivain toutes les questions de la philosophie chrétienne, la conscience, la liberté chrétienne, la Providence divine, les traditions humaines, le renoncement à soi.

398. (1890) L’avenir de la science « XVIII »

Il y a à peine cinquante ans que l’humanité a aperçu le but qu’elle avait jusque-là poursuivi sans conscience. […] Quand l’humanité se conduisait instinctivement, on pouvait se fier au génie divin qui la dirige ; mais on frémit en pensant aux redoutables alternatives qu’elle porte dans ses mains, depuis qu’elle est arrivée à l’âge de la conscience, et aux incalculables conséquences que pourrait avoir désormais une bévue, un caprice. […] La conscience seule du mal empêche le repos. […] Les consciences fortes et individuelles comme les nôtres sont bien plus difficiles à atteler à une grande œuvre.

399. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Appendice »

Mille circonstances désolantes que je ne soupçonnais pas sont venues compliquer ma situation et me prouver que le parti que ma conscience me conseillait ouvrait devant moi un abîme de peines. […] … Je lui sacrifierais tout, excepté mon devoir et ma conscience. […] Je tremble quelquefois de voir en ma conduite une sorte d’hypocrisie ; mais j’ai sérieusement raisonné là-dessus ma conscience : Dieu me garde de scandaliser ces simples ! […] Cette opération est difficile et douloureuse ; mais croyez bien que, si ma conscience morale ne s’y opposait pas, si Dieu venait ce soir me dire que cela lui est agréable, je le ferais.

400. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIII. La littérature et la morale » pp. 314-335

Le respect de la pensée d’autrui, la tolérance mutuelle, la volonté de reconnaître à tous une égale liberté de conscience prit peu à peu dans l’estime générale, malgré la résistance des partisans attardés de l’orthodoxie forcée, la place si longtemps occupée par la conception chère aux Inquisiteurs. […] Louis XV s’abandonne à ses passions avec une désinvolture parfaite et une entière sécurité de conscience. […] Jusque dans les premières années du seizième siècle, la conscience des rois, des princes, des hommes politiques est d’une souplesse infinie. […] Puis Philippe de Comynes raconte avec une sérénité parfaite, sans un mot de blâme, sans un cri d’indignation, les trahisons, les perfidies, dont abonde l’histoire contemporaine, les trafics de conscience dont il a été le témoin et le complice en qualité de conseiller du roi Louis XI.

401. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1859 » pp. 265-300

Être dans son coin, vivre seul et sur soi-même, n’avoir que les maigres satisfactions qui vous touchent de bien loin et dont vous avez si peu conscience : la conscience du succès d’un livre qui n’est jamais au présent, mais toujours dans l’avenir. […] Ce sont les aperçus religieux de Swedenborg, mais ça n’a pas de base… Malaise des esprits, trouble des âmes, religiosité remuant dans l’ombre, agitations sourdes de la veillée d’armes d’une suprême bataille livrée par le catholicisme, toute une mine de mysticisme couvant sous le scepticisme du xixe  siècle, il y a de cela dans les paroles de mon dentiste, sous le coup de la question italienne, des lettres pastorales des évêques, de la levée de boucliers de l’Église en faveur du pouvoir temporel ; et il y a dans ces paroles comme l’annonce d’une sorte de fièvre et de délire des consciences ; et j’y vois, germant déjà dans le petit bourgeois éclairé, l’anarchie des croyances et le gâchis social que cela prépare dans un avenir très prochain. […] Le lendemain, nous offrons dans une lettre au ménage, 400 francs, tout l’argent que nous avions dans le moment à notre disposition, et cela par acquit de conscience et sans la moindre espérance, quand, le soir, le mari et la femme, et même le petit enfant au sein de sa mère, nous apportent le dessin sur lequel nous ne comptions pas.

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