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251. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Histoire des cabinets de l’Europe pendant le Consulat et l’Empire, par M. Armand Lefebvre (suite et fin.) »

Si je lis l’abbé de Pradt, Marmont, Rœderer, je suis étonné du peu de profondeur que ces gens d’esprit ont mis à l’apprécier ; ou plutôt je ne devrais pas en être étonné, car c’est la condition de tout ce qui se juge au jour le jour et avant que le drame humain soit accompli. […] Armand Lefebvre prétende qu’il n’y ait pas eu, de la part de la puissante et orgueilleuse nature, bien des promptitudes, des emportements, des complications inutiles et funestes ; mais il estime que ces torts dont l’oligarchie européenne s’empara et fit son profit, n’ont pas notablement changé les éléments essentiels ni les conditions inhérentes aux situations respectives. […] Lefebvre) s’offrait à nous par des rapports tout différents ; avec elle la paix, une paix solide, permanente, était possible ; « mais elle ne l’était qu’à une condition : c’était que, désavouant les principes du Directoire, propagateur et créateur de républiques succursales, nous sortirions des voies où nous avait imprudemment engagés le traité de Campo-Formio. » Pour sortir de cette voie, pour pacifier véritablement l’Autriche, pour la désintéresser et nous rattacher, que fallait-il ? […] Dans la condition où l’Europe se trouvait alors, l’Angleterre et l’Autriche devaient finir par entraîner la Prusse et la Russie, ce qui mettait la France dans l’impérieuse nécessité d’être, à elle seule, plus forte que les quatre grandes monarchies ensemble, ou de subir leur loi.

252. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre IV. Le roman »

Gil Blas n’a pas, ou n’a qu’à un degré insuffisant, les deux conditions essentielles d’un caractère, la personnalité et l’identité. […] Son originalité est de noter toutes les choses extérieures par lesquelles les hommes se révèlent ; ce sont d’abord leurs actes, et leurs paroles, puis leur geste, leur physionomie, toute leur apparence physique, puis leurs habits et leur train de maison, leur logement, leurs meubles, leurs repas ; c’est leur profession : Lesage, avant Diderot, n’oublie jamais de faire entrer la condition dans la composition du caractère. […] Ces deux existences, la dernière surtout, répondent mieux que celle de Gil Blas aux conditions de la vie réelle, et par conséquent à celles du roman réaliste. […] La passion n’est pas ici quelque chose de mystérieux, de magique, qui élève l’homme au-dessus de l’humanité, qui l’affranchisse des conditions communes de l’existence : la passion, pure et souveraine, est aux prises avec les petitesses des caractères et les misères de la vie.

253. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre premier. La contradiction de l’homme » pp. 1-27

C’est qu’ici nous avons changé les conditions d’existence de l’espèce et altéré son harmonie mentale. […] Cette irréductible originalité, issue, pour une part au moins, de la diversité des influences qui s’exercèrent sur chacun de nous, des conditions qui ont préparé dans l’infini du temps le germe d’où nous devions sortir et qui ont agi sur son développement, cette originalité se traduit partout et constamment en nous. […] Je veux dire qu’elle les a amenés à s’exercer dans des conditions auxquelles ils ne s’étaient point formés et qu’ils ont alors hésité, tâtonné, ou pris résolument des voies dangereuses. […] C’est la condition nécessaire de la survie d’une espèce.

254. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Rêves et réalités, par Mme M. B. (Blanchecotte), ouvrière et poète. » pp. 327-332

Une condition pénible, accablante, tient bien réellement à la gêne une intelligence qui souffre, un talent qui veut prendre l’essor. […] L’auteur, pour peu qu’il s’apaise un jour et qu’il rencontre les conditions d’existence et de développement dont il est digne, me paraît des plus capables de cultiver avec succès la poésie domestique et de peindre avec une douce émotion les scènes de la vie intime : car si Mme Blanchecotte (ce qui est, je crois, son nom) a de la Sapho par quelques-uns de ses cris, elle aurait encore plus volontiers dans sa richesse d’affections quelque chose de mistriss Felicia Hemans, et tout annonce chez elle l’abondance des sentiments naturels qui ne demandent qu’à s’épancher avec suite et mélodie.

255. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Première partie — Chapitre I. Définition des idées égalitaires »

Et sans doute, pour que l’inégalité des sanctions fût exactement proportionnée à l’inégalité des actions individuelles, il importerait que les conditions d’action fussent les mêmes pour tous les individus : qui veut mesurer exactement la différence de deux forces les fait partir du même niveau. De ce point de vue, s’il est faux que l’égalitarisme, niant les différences des individus, vise à supprimer leur concurrence, il est vrai qu’il vise à égaliser les conditions de cette concurrence même : dites en ce sens qu’il est « niveleur » et amateur d’uniformité.

256. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre cinquième. Le peuple. — Chapitre I »

Le premier roi de l’Europe ne peut être un grand roi s’il ne l’est que de gueux de toutes conditions, et si son royaume tourne en un vaste hôpital de mourants à qui on prend tout en pleine paix609. » Au plus beau temps de Fleury et dans la plus belle région de France, le paysan cache « son vin à cause des aides et son pain à cause de la taille », persuadé « qu’il est un homme perdu si l’on peut se douter qu’il ne meurt pas de faim610 ». […] Condition du paysan pendant les trente dernières années de l’ancien régime […] Le paysan est trop pauvre pour devenir entrepreneur de culture ; il n’a point de capital agricole640. « Le propriétaire qui veut faire valoir sa terre ne trouve pour la cultiver que des malheureux qui n’ont que leurs bras ; il est obligé de faire à ses frais toutes les avances de la culture, bestiaux, instruments et semences, d’avancer même à ce métayer de quoi le nourrir jusqu’à la première récolte. » — « À Vatan, par exemple, dans le Berry, presque tous les ans les métayers empruntent du pain au propriétaire, afin de pouvoir attendre la moisson. » — « Il est très rare d’en trouver qui ne s’endettent pas envers leur maître d’au moins cent livres par an. » Plusieurs fois, celui-ci leur propose de leur laisser toute la récolte, à condition qu’ils ne lui demanderont rien de toute l’année ; « ces misérables » ont refusé ; livrés à eux seuls, ils ne seraient pas sûrs de vivre  En Limousin et en Angoumois, leur pauvreté est telle641, « qu’ils n’ont pas, déduction faite des charges qu’ils supportent, plus de vingt-cinq à trente livres à dépenser par an et par personne, je ne dis pas en argent, mais en comptant tout ce qu’ils consomment en nature sur ce qu’ils ont récolté. Souvent ils ont moins, et, lorsqu’ils ne peuvent absolument subsister, le maître est obligé d’y suppléer… Le métayer est toujours réduit à ce qu’il faut absolument pour ne pas mourir de faim »  Quant au petit propriétaire, au villageois qui laboure lui-même son propre champ, sa condition n’est guère meilleure […] Cette femme, son mari et son ménage sont un échantillon assez exact de la condition du petit cultivateur propriétaire.

257. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre premier. Mécanisme général de la connaissance — Chapitre premier. De l’illusion » pp. 3-31

. — La condition suffisante de la croyance ou jugement affirmatif est la présence de la sensation ordinaire. — Il n’importe pas que la sensation soit pourvue de ses antécédents ordinaires. — Preuves. — Quand la condition du travail mental est donnée, il se poursuit aveuglément, comme le travail vital. […] Expliquer une de ces actions, c’est en démêler les éléments, montrer leur ordre, fixer les conditions de leur naissance et de leur combinaison. […] F…, qui, dans les mêmes conditions de somnambulisme, fut amenée par suggestion à croire qu’elle avait une violente odontalgie, l’opérateur augmentant l’effet de ses paroles en appliquant son doigt sur la joue du sujet. Celui-ci, se pressant le visage dans les mains et s’agitant de droite à gauche, se tordait dans la douleur. » Dans tous ces exemples, les conditions physiques et morales qui, d’ordinaire, répriment le travail hallucinatoire, sont absentes.

258. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Francisque Sarcey »

De ces deux conditions essentielles de l’art dramatique sont nées d’inévitables conventions sans lesquelles cet art ne saurait exister. […] Il faut donc alors que le public accepte le point de départ les yeux fermés, mais à une condition : c’est que le poète les lui fermera, s’arrangera de manière à détourner son attention de ces invraisemblances. […] Cette convention vaut, non seulement pour les faits antérieurs au drame, mais pour les moyens qui, dans le cours même du drame, amènent telle situation dramatique — toujours à condition que le public l’accepte, qu’il soit dupe, que l’auteur, comme dit M.  […] Je n’ai fait que constater par des expériences sans nombre à quelles conditions naturelles et nécessaires est soumise l’œuvre dramatique et ce qu’elle doit être pour plaire au public, car c’est là, comme dit l’autre, la grande règle des règles. […] Mais il faut, avant toutes choses, que le drame soit bien fait en tant que drame, et il ne l’est qu’aux conditions que j’ai dites et que je n’ai point inventées.

259. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre X. La littérature et la vie de famille » pp. 251-271

Tout autre est, vers la même époque, la condition de la femme, et par conséquent, le rôle de l’amour, dans le midi de la France. […] Il faut remonter à la raison d’être de ces métamorphoses, et la principale, c’est la condition de la femme dans la famille et dans la société. […] Il les admet dans la noblesse, mais à condition qu’elles y restent. […] Entre homme de condition et homme en condition, il ne voit que la différence d’une lettre ; il ne se borne plus à copier les façons de son maître ; il prend ses habits et son nom, et ce n’est pas toujours pour le parodier, comme ce fou de Mascarille.

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