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179. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre deuxième. La force d’association des idées »

Aussi est-il juste de comparer, avec William James, le mécanisme de la pensée au phénomène électrique qu’on appelle l’aurore boréale, où l’équilibre entre l’électricité terrestre et celle des particules glacées de l’atmosphère est sans cesse rompu et rétabli, où les inductions électriques sont perpétuelles, de manière à produire des irradiations sur des points continuellement changeants : les rayons lumineux qui jaillissent successivement, l’un ici, l’autre là, sont associés entre eux comme le sont nos idées, c’est-à-dire qu’en réalité ils ne se produisent pas l’un l’autre, mais sont produits l’un après l’autre par une cause commune, la tension générale, et par les conditions particulières qui la font se décharger successivement ici et là ; chaque idée est comme une irradiation sur un point particulier, révélant à la fois la tension générale et la décharge particulière du magnétisme intérieur. […] De plus, il faut ici distinguer deux choses très différentes : 1° la conscience finale de ressemblance entre deux idées préalablement réveillées, comme l’électricité et la foudre ; 2° la force qui avait primitivement produit dans la mémoire une union et une cohésion des deux idées similaires ou de leurs conditions organiques. […] Nous avons dans notre cerveau le raccourci du règne minerai, du règne végétal, du règne animal ; chaque idée individuelle n’est qu’un membre d’un groupe plus vaste dans lequel elle rentre : la concurrence des idées aboutit au triomphe de celles qui réalisent le mieux les conditions vitales de leur espèce par l’élimination de tous les accidents défavorables et par la sélection de tous les accidents favorables. […] Rappelons-nous, en effet, que le plaisir est le plus ordinairement précédé ou accompagné d’une certaine peine due au besoin et à la non-satisfaction d’une tendance : si la souffrance n’est pas la condition nécessaire du plaisir, elle en est du moins un antécédent habituel, et, au point de vue organique, il n’y a guère d’acquisition de force qui n’ait été précédée d’un manque de force. […] Les associations par simple contiguïté sont ici extrinsèques et superficielles : elles sont plutôt des associations de sentiments avec les perceptions concomitantes que des associations de sentiments avec d’autres sentiments ; la vraie loi primordiale est intrinsèque, inhérente à la nature de l’activité mentale et à celle de l’activité nerveuse qui en est la condition.

180. (1767) Salon de 1767 « Adressé à mon ami Mr Grimm » pp. 52-65

Nos plus grands artistes sont sortis des plus basses conditions. […] Mais comme la nature ne nous montre nulle part ce modèle ni total ni partiel, comme elle produit tous ces ouvrages viciés ; comme les plus parfaits qui sortent de son attelier ont été assujettis à des conditions, des fonctions, des besoins qui les ont encore déformés, comme par la seule nécessité sauvage de se conserver et de se reproduire, ils se sont éloignés de plus en plus de la vérité, du modèle premier, de l’image intellectuelle, en sorte qu’il n’y a point, qu’il n’y eut jamais, et qu’il ne peut jamais y avoir ni un tout, ni par conséquent une seule partie d’un tout qui n’ait souffert ; scais-tu, mon ami, ce que tes plus anciens prédécesseurs ont fait. Par une longue observation, par une expérience consommée, par un tact exquis, par un goût, un instinct, une sorte d’inspiration donnée à quelques rares génies, peut-être par un projet naturel à un idolâtre d’élever l’homme au-dessus de sa condition, et de lui imprimer un caractère divin, un caractère exclusif de toutes les contentions de notre vie chétive, pauvre, mesquine et misérable, ils ont commencé par sentir les grandes altérations, les difformités les plus grossières, les grandes souffrances. […] Avec le tems, par une marche lente et pusillanime, par un long et pénible tâtonnement, par une notion sourde, secrette, d’analogie, acquise par une infinité d’observations successives dont la mémoire s’éteint et dont l’effet reste, la réforme s’est étendue à de moindres parties, de celles-cy à de moindres encore, et de ces dernières aux plus petites, à l’ongle, à la paupière, aux cils, aux cheveux, effaçant sans relâche et avec une circonspection étonante les altérations et difformités de nature viciée, ou dans son origine, ou par les nécessités de sa condition, s’éloignant sans cesse du portrait, de la ligne fausse, pour s’élever au vrai modèle idéal de la beauté, à la ligne vraie ; ligne vraie, modèle idéal de beauté qui n’exista nulle part que dans la tête des Agasias, des Raphaëls, des poussins, des Pugets, des Pigals, des Falconnets ; modèle idéal de la beauté, ligne vraie dont les artistes subalternes ne puisent que des notions incorrectes, plus ou moins approchées que dans l’antique ou dans leurs ouvrages ; modèle idéal de la beauté, ligne vraie que ces grands maîtres ne peuvent inspirer à leurs élèves aussi rigoureusement qu’ils la conçoivent ; modèle idéal de la beauté, ligne vraie au-dessus de laquelle ils peuvent s’élancer en se jouant, pour produire le chimérique, le sphinx, le centaure, l’hippogriphe, le faune, et toutes les natures mêlées ; au-dessous de laquelle ils peuvent descendre pour produire les différents portraits de la vie, la charge, le monstre, le grotesque, selon la dose de mensonge qu’exige leur composition et l’effet qu’ils ont à produire, en sorte que c’est presque une question vuide de sens que de chercher jusqu’où il faut se tenir approché ou éloigné du modèle idéal de la beauté, de la ligne vraie ; modèle idéal de la beauté, ligne vraie non traditionelle qui s’évanouit presque avec l’homme de génie, qui forme pendant un tems l’esprit, le caractère, le goût des ouvrages d’un peuple, d’un siècle, d’une école ; modèle idéal de la beauté, ligne vraie dont l’homme de génie aura la notion la plus correcte selon le climat, le gouvernement, les loix, les circonstances qui l’auront vu naître ; modèle idéal de la beauté, ligne vraie qui se corrompt, qui se perd et qui ne se retrouveroit peut-être parfaitement chez un peuple que par le retour à l’état de Barbarie ; car c’est la seule condition où les hommes convaincus de leur ignorance puissent se résoudre à la lenteur du tâtonnement ; les autres restent médiocres précisément parce qu’ils naissent, pour ainsi dire, scavants.

181. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre I. Origine des privilèges. »

. — Quant aux vagabonds, aux misérables qui, dans le désordre et la dévastation universelle, viennent se réfugier sons sa garde, leur condition est plus dure : la terre est à lui, puisque sans lui elle serait inhabitable ; s’il leur en accorde une parcelle, si même il leur permet seulement d’y camper, s’il leur donne du travail ou des semailles, c’est aux conditions qu’il édicte. […] Quand on se représente un peu nettement la condition des hommes en ce temps-là, on comprend qu’ils aient accepté de bon cœur les pires droits féodaux, même celui de marquette ; ce qu’on subissait tous les jours était pire encore11. […] L’habitude, la nécessité, l’accommodation volontaire ou forcée font leur effet ; à la fin, seigneurs, vilains, serfs et bourgeois, adaptés à leur condition, reliés par un intérêt commun, font ensemble une société, un véritable corps.

182. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre II. Le cerveau chez les animaux »

Que l’on enlève à un animal, une poule ou un pigeon par exemple, les deux hémisphères cérébraux, l’animal ne meurt pas pour cela : toutes les fonctions de la vie organique continuent à s’exercer ; mais il perd tous ses sens et tous ses instincts, il ne voit plus, il n’entend plus ; il ne sait plus ni se défendre, ni s’abriter, ni fuir, ni manger, et s’il continue de vivre, c’est à la condition que l’on introduise mécaniquement de la nourriture dans son bec. […] Il y aurait maintenant à examiner quelles sont les conditions particulières de structure indiquées comme caractéristiques du développement intellectuel. Trop de détails sur ce sujet ne conviendraient pas à cette étude, plus philosophique après tout qu’anatomique ; mais nous ne devons pas omettre deux des conditions les plus importantes qui ont été signalées : le développement du cerveau d’avant en arrière, — la présence, l’absence, le plus ou moins de complication des circonvolutions cérébrales. […] L’autre condition, à laquelle on attache avec raison une grande importance, c’est le développement du cerveau d’avant en arrière.

183. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre V : La religion — Chapitre I : Philosophie religieuse de M. Guizot »

Il demande au christianisme d’accepter les conditions nouvelles dans lesquelles la société est entrée depuis trois siècles, et qui sont la science libre, la conscience libre, la pensée libre. […] Il veut que le christianisme s’arrange pour vivre au sein de cette société, sache s’y faire sa place, qu’il en accepte les conditions décidément et de bon cœur. […] Il est évident que l’esprit moderne, quand on n’en conteste pas les conditions légitimes, n’a aucun droit de se refuser à l’examen qu’on lui demande. […] C’est la sublimité de sa nature que son âme entrevoie l’infini et y aspire ; c’est l’infirmité de la condition actuelle que sa science se renferme dans le monde fini où il vit.

184. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre IV. — Molière. Chœur des Français » pp. 178-183

Représentation de la nature humaine244, l’art comique a pour condition la science des traits éternellement communs de l’humanité245. […] Représentation des mœurs sociales dans le cercle de la vie privée249, le drame comique a pour condition l’observation250.

185. (1903) Hommes et idées du XIXe siècle

Dans ces conditions, la durée même de son règne est un prodige. […] Le merveilleux est pour elle la condition même du vraisemblable. […] La plus générale de ces lois est que tout phénomène est déterminé par ses conditions en sorte que le devoir de l’artiste est d’abord de se rendre compte de ces conditions. […] Il suffira qu’il sache dans quelle mesure et à quelles conditions il peut en profiter. […] Puisque, les mêmes conditions se trouvant réunies, les mêmes causes produiraient les mêmes effets.

186. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre sixième »

Condition et mœurs des poètes de 1627 à 1660. — § VI. […] Conditions et mœurs des poètes de 1627 à 1660. […] Telle était la condition des auteurs sous Louis XIII, et pendant la régence d’Anne d’Autriche. […] Mais cette condition, loin de borner le vrai, n’en fait-elle pas elle-même partie ? […] Ils s’étaient entendus sur toutes les conditions de l’art, et comme engagés à la fois par l’émulation et par l’amitié à les remplir.

187. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre VI. La Mère. — Andromaque. »

Le chrétien se soumet aux conditions les plus dures de la vie : mais on sent qu’il ne cède que par un principe de vertu ; qu’il ne s’abaisse que sous la main de Dieu, et non sous celle des hommes ; il conserve sa dignité dans les fers : fidèle à son maître sans lâcheté, il méprise des chaînes qu’il ne doit porter qu’un moment, et dont la mort viendra bientôt le délivrer ; il n’estime les choses de la vie que comme des songes, et supporte sa condition sans se plaindre, parce que la liberté et la servitude, la prospérité et le malheur, le diadème et le bonnet de l’esclave, sont peu différents à ses yeux.

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