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1601. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre cinquième »

L’histoire politique ne doit omettre que ceux qui ont subi les événements sans les comprendre, et qui ont ignoré et leur temps et eux-mêmes ; l’histoire de la littérature n’est fermée qu’aux écrivains qui n’ont fait que suivre, et qui ont porté la livrée soit d’un homme supérieur, soit de quelque mode littéraire aussi passagère qu’une mode d’habits. […] Ronsard ayant à choisir entre le grec et le latin pour en tirer ses doctes obscurités, avait préféré au mot âme le mot entéléchie comme plus savant, et parce qu’aucune analogie ni ressemblance quelconque avec notre langue ne l’exposait à être compris de la foule. […] Quant au goût pour Sénèque, ce goût lui est commun avec tous les écrivains de la seconde moitié du xvie  siècle, y compris le plus excellent, Montaigne120.

1602. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre premier »

Il fallait d’ailleurs que la langue y fût comprise, et que le même mot s’étendît aux pensées et aux paroles. […] Après lui, et grâce à lui, le public lettré comprit toutes les conditions des écrits durables, et l’esprit français prit une plus haute idée de lui-même. […] Quand cela serait, Mademoiselle, je serais en vérité excusable ; car, pour vous parler franchement, on est souvent bien empêché à trouver que dire, et je ne puis pas comprendre que, sans quelques inventions comme cela, des personnes qui n’ont ni amour ni affaires ensemble se puissent écrire souvent. » Les fastueuses épîtres à Ménandre et les billets galants de Voiture faisaient désirer des lettres qui fussent simplement des lettres.

1603. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « I »

On peut ne point accepter la théorie de Wagner, on peut la combattre ; mais encore faudrait-il commencer par la comprendre ; il faudrait prendre son auteur tel qu’il est, simplement, sans prévention. […] Un intervalle de trois jours seulement sépare ces deux anniversaires ; aussi les fêtes comprenaient-elles un espace de cinq jours. […] Cette tradition est du reste connue, et appartient à l’un des poëmes ou roumans du cycle d’Arthus. — En France, on comprendrait Barbe-Bleue ou Peau-d’âne ; il est donc inutile de nous étonner.

1604. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1858 » pp. 225-262

Je feuillette la brochure et trouve en marge d’une page une addition au crayon, montant à quatre mille et quelques cents francs, — addition que son père, entré pour lui dire bonsoir, avant de sortir, regarde, et mis soudainement en gaîté — ainsi qu’un père sceptique qui aurait compris. Son père sorti, moi qui ne comprenais pas, je lui demandai : « Mais pour qui diable fais-tu ce travail-là ? […] Tu es trop jeune pour comprendre… » Plus tard, quand mon cousin était sorti du collège, son ancien maître s’invitait à dîner chez lui en ces termes : « Labille, tu me feras faire un petit dîner… moi, je ne suis pas gourmand, je suis friand… tu auras une petite truite saumonée, non citronnée… un pain au lait, où tu ne mettras que trois œufs, c’est plus douillet… » Et, le petit dîner dégusté et arrosé d’une ou deux bouteilles de bon bourgogne, l’ancien oratorien disait à son élève : « Crois-tu en Dieu, Labille ?

1605. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre deuxième. Le génie, comme puissance de sociabilité et création d’un nouveau milieu social »

Aussi, « ce qui doit mériter la gloire dans l’art, et il faut comprendre sous ce mot toutes les créations de la pensée, c’est surtout le courage ; un courage dont le vulgaire ne se doute pas ; penser, rêver, concevoir de belles œuvres, est une occupation délicieuse, c’est mener la vie de courtisane occupée à sa fantaisie, mais produire ! […] L’imitation ou répétition universelle, dans le monde inorganique, c’est l’ondulation ; dans le monde organique, c’est la génération (qui la nutrition comprend même) ; sans doute, peut-on ajouter, la génération n’est encore qu’une ondulation qui se propage et se répète en sa forme ; enfin, dans le monde social, la répétition devient l’imitation proprement dite, autre ondulation transportée par sympathie d’un être à un autre. […] Spencer, dans sa Sociologie descriptive, retrouve, par exemple, dans la race anglaise les Bretons, comprenant deux types ethnologiques différenciés par de la chevelure et la forme du crâne ; des colons romains en nombre inconnu, des peuplades d’Angles, de Jutes, de Saxons, de Kymris, de Danois, de Morses, de Scotes et des Pictes ; enfin des Normands, qui, eux-mêmes, d’après Augustin Thierry, comprenaient des éléments ethniques pris dans tout l’est de la France.

1606. (1809) Quelques réflexions sur la tragédie de Wallstein et sur le théâtre allemand

De là résultait pour Schiller la possibilité d’une foule d’allusions rapides que ses compatriotes comprenaient sans peine, mais qu’en France personne n’aurait saisies. […] La force de ce talisman n’existe plus. » Le spectateur, qui sait que le poignard est suspendu sur la tête du héros, reçoit une impression très-profonde de ce présage que Wallstein méconnaît, et des paroles qui lui échappent, sans qu’il les comprenne. […] La tragédie française est, selon moi, plus parfaite que celle des autres peuples ; mais il y a toujours quelque chose d’étroit dans l’obstination qui refuse à comprendre l’esprit des nations étrangères.

1607. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre III : Règles relatives à la distinction du normal et du pathologique »

Nous avons même vu qu’il était nécessaire de les comprendre également dans la définition par laquelle doit débuter toute recherche. […] Les unes sont générales dans toute l’étendue de l’espèce ; elles se retrouvent, sinon chez tous les individus, du moins chez la plupart d’entre eux et, si elles ne se répètent pas identiquement dans tous les cas où elles s’observent, mais varient d’un sujet à l’autre, ces variations sont comprises entre des limites très rapprochées. […] On comprendra mieux cette indépendance, quand nous aurons montré plus loin la différence qu’il y a entre les faits psychiques et les faits sociologiques.

1608. (1913) La Fontaine « VII. Ses fables. »

L’âne n’est pas, le moins du monde, un animal sot, mais enfin voilà l’âne selon La Fontaine, ce qui se comprend parce que, si l’âne n’est pas bête, par nos brutalités nous le rendons tel. […] La Fontaine n’a pas beaucoup aimé le chien ; en général, il lui donne un rôle de serviteur zélé, un peu servile, un peu courtisan et pas trop sympathique ; mais la tendresse de La Fontaine pour les animaux s’est étendue, en quelque sorte, et a dépassé les limites qu’il observait lui-même, et peut-être que Lamartine, malgré tout son génie et tout son cœur, n’aurait pas fait, sans La Fontaine, ces admirables vers sur le chien, compagnon et seul ami de l’homme : Ô mon pauvre Fido, quand, mes yeux sur les tiens, Le silence comprend nos muets entretiens. […] Il a fait plus, et ici je crois en être sûr : je ne crois pas que Vigny malgré ses souvenirs de chasseur, qui certainement l’ont aidé, je ne crois pas que Vigny aurait écrit la Mort du Loup si La Fontaine n’avait pas existé, et aurait compris aussi bien le sublime stoïcisme du loup qui souffre et meurt sans parler, sous les six couteaux qui lui sont entrés dans le corps ; — et il n’aurait pas dit : Comment on doit quitter la vie et tous les maux, C’est vous qui le savez, sublimes animaux.

1609. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre IV. Conclusions » pp. 183-231

Si je ne cherchais pas, dans ces conclusions, le « pourquoi » psychologique de la loi, ma méthode ne serait qu’une classification nouvelle, plus ou moins ingénieuse ; elle aiderait à mieux comprendre certains cas individuels ; mais, ne disant pas pourquoi la réalisation d’un principe est si intimement liée à la vie d’un groupe, ni comment la littérature est à la fois un effet et une cause dans l’ascension de l’humanité vers la liberté, elle ne montrerait pas assez que l’histoire littéraire est le moyen le plus sûr que nous possédions pour prendre conscience de notre passé et de notre mission. […] Piétons et véhicules y circulent en tous sens ; y compris les voies souterraines du Métropolitain. […] Ces retards ne sont pas uniquement le fait de la réalité en soi, ainsi qu’on se plaît à le dire et à le ressasser aux idéalistes ; non, les difficultés inhérentes à la réalité (par exemple la contiguïté) sont une force normale, à comprendre dans les données du problème ; si cette force n’existait pas, nous serions dans la pensée pure, il n’y aurait pas d’évolution, mais réalisation subite et intégrale de l’idéal, sans effort, et partant sans mérite.

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