Elle est humaine : ce qui veut dire d’abord qu’elle n’est pas chrétienne. […] Il la réduit à la morale, aux vertus sociales : il en exclut ce qui en est l’essentiel pour un dévot, disons pour un chrétien. […] Par la façon dont Molière comprend la piété, les chrétiens fervents ne peuvent être qu’Orgon ou Tartufe, des imbéciles ou des hypocrites : pour être dévot à sa façon, il faut être détaché de la religion. […] La forme originale de la morale chrétienne, c’est la résistance à la nature. […] Elle l’est énergiquement ; elle n’est pas sublime, ni dure, ni chrétienne, ni stoïque ; elle propose un idéal très accessible et très séduisant de bonheur individuel et de douleur sociale.
Le héros de ces temps est le chevalier chrétien. […] Il est chrétien, mais sans théologie, d’une foi simple et naïve, distinguant les hommes des choses, et, tout en croyant au pape, osant combattre ses agents, quand ils contrarient les projets des croisés. Ce qu’il faut chercher dans les récits de Villehardouin, c’est donc la franchise du chevalier et la simplicité du chrétien. […] Il n’en a que plus de mérite à avoir relevé la pensée poétique d’Horace, par un sentiment chrétien, bien supérieur au développement descriptif du poète. […] Joinville a en commun avec Villehardouin le caractère du chevalier chrétien, le courage, la droiture, les vertus de la chevalerie sans ses illusions, une foi simple, libre devant le clergé, sans raffinement théologique.
Le roi, de son côté, fit tout ce qu’un bon chrétien doit faire. » Le 16 avril, peu après l’événement, madame de Scudéry écrivait au comte de Bussy-Rabutin : « Le roi et madame de Montespan se sont quittés, s’aimant, dit-on, plus que la vie, purement par un principe de religion. […] Ne craignez rien ; je lui parlai en chrétienne et en véritable amie de madame de Montespan. » Cette lettre, qui n’est point expressément datée, porte sa date dans les faits qu’elle présente. […] La dame d’honneur même n’a plus les mêmes empressements, et cela fait faire des réflexions morales et chrétiennes à ma petite amie (probablement madame de Vins, belle-sœur de M. de Pomponne). » Les amies de madame de Maintenon, persuadées de sa faveur, croyaient trop facilement qu’elle on était enivrée ; elle était au contraire très occupée de ce qu’elle voyait de triste dans sa situation.
Chrétien sincère et passionné, il conçut une apologie, une défense de la religion par une méthode et par des raisons que nul n’avait encore trouvées, et qui devait porter la défaite au cœur même de l’incrédule. […] C’est là, sans doute, l’idée chrétienne de la corruption originelle et de la Chute ; mais, à la manière dont Pascal s’en empare, il la fait sienne en quelque sorte, tant il la pousse à bout et la mène loin : il fait de l’homme tout d’abord un monstre, une chimère, quelque chose d’incompréhensible. […] Non content de croire avec Bossuet et Fénelon, et avec tous les chrétiens, à un Dieu caché, il aime à insister sur les caractères mystérieux de cette obscurité ; il se plaît à déclarer expressément que Dieu « a voulu aveugler les uns et éclairer les autres ».
« Un philosophe a le premier émis cette “absurdité” que l’esclave était un homme au même titre que son maître43. » Si l’égalitarisme est apparu d’abord dans les sociétés gréco-romaines, puis dans nos sociétés modernes, c’est qu’il s’est rencontré, ici et là, des penseurs pour l’inventer ou le retrouver ; ses créateurs, ce sont les philosophes stoïciens, les prophètes chrétiens ; plus tard, c’est Descartes, c’est Rousseau, c’est Kant. […] Pourquoi, demande un historien des théories morales48, chercher à toute force dans les idées des stoïciens un écho des idées chrétiennes, alors qu’on y peut voir un reflet de l’état social de l’Empire ? […] L’expérience a cent fois démenti cette croyance : pas plus que le communisme d’État n’a pu s’installer en Chine, la religion chrétienne aux Indes, la constitution fédérale au Mexique, l’égalité légale n’a pu encore s’imposer aux mœurs dans l’Empire ottoman51.
Travaillé de scrupules religieux, du désir de vivre et d’écrire en chrétien, il voulut qu’une idée chrétienne ressortît de sa tragédie. […] L’inquiétude que lui inspira sa première tragédie chrétienne (ou janséniste) acheva de faire de lui un chrétien. […] Il y a une chrétienne (déjà !) […] Il y a des chrétiens, et du christianisme à foison. […] Elle a été recueillie par des chrétiens, en mémoire de sa mère Lucienne, qui était chrétienne aussi (je crois que j’ai oublié de vous le dire).
Il reproche à l’aimable et romanesque chantre d’avoir, en consacrant uniquement les noms de ses héros chevaliers, négligé et tout à fait omis la foule héroïque, le peuple, ces chrétiens obscurs, ces martyrs sans nom : « Le manant, dit-il, le petit bourgeois, le vilain aussi bien que le baron et le roi, tous vont délivrer le Saint-Sépulcre, tous vont chercher la rémission de leurs péchés ; tous sont égaux devant la miséricorde de Dieu qui recueille leurs confessions et prépare leurs sièges en paradis. […] En parlant du Tasse, il a dû s’interdire d’entrer dans les jardins d’Armide ; il ose pourtant indiquer Clorinde, la belle guerrière, Clorinde qui du moins mourra chrétienne et baptisée.
N’est-ce pas enfin le premier coup de sifflet qui ait retenti distinctement contre l’enthousiasme de la guerre, la charité chrétienne et armée de la chevalerie, le dévouement, le culte de la femme, la poésie de toutes les exaltations, la défense de toutes les faiblesses, le premier coup de sifflet auquel Voltaire, dans Candide, allait, un siècle plus tard, répondre par un autre tellement aigu qu’il ne peut plus être surpassé ? […] Ricaneur éveillé par la vieillesse, à qui les oreilles d’âne d’une raison trop positive poussent sur un front ingénu et ouvert comme celui d’Homère, c’est par la tristesse, la douce, la patiente, la sublime tristesse, que, poète et chrétien dépaysé, il se retrouve dans l’infini, du fond des réalités de la vie !
Sortie des flancs de l’idée chrétienne, la France se résume et se constitue dans la double unité de la famille et de l’ordre : — de la famille, que le père nourrit, domine et défend, et qu’il doit représenter tant au profit de sa propre prépondérance qu’au profit de celle de l’État ; de l’ordre, dont la magistrature dessine la circonférence, l’armée le rayonnement, et le sacerdoce le centre. […] Il aurait vu que l’État, en France du moins, n’est rien de plus que la famille chrétienne et l’ordre appuyant le pouvoir, et se ralliant virtuellement à lui pour la logique d’un seul et même intérêt.