Au lieu d’une seconde prise de voile, nous allons donc assister à un mariage chrétien, à la dernière joie de cœur de Racine. […] Je recommande cette alliance à vos prières, monsieur. » Puis vient le récit de la noce, des cérémonies et de l’allégresse toute modeste qui anime cette alliance entre deux familles chrétiennes. […] Je m’acquitterai du devoir de l’offrir à Dieu et en même temps tous ceux qui y ont part, afin qu’il daigne se trouver à ces noces chrétiennes et y apporter de ce bon vin que lui seul peut donner, qui met la vraie joie dans le cœur, et qui donne aux vierges une sainte fécondité en plus d’une manière : Vimim germinans virgities, comme parle un prophète. » Vous éprouvez sans doute, monsieur, qu’il n’est besoin de vous nommer l’auteur, ni de vous le désigner plus clairement. » Ainsi échangeaient de loin leurs bénédictions, ainsi s’exprimaient entre eux avec une prudence mystérieuse ces hommes de piété et de ferveur dont le commerce semblait un crime, et en qui l’esprit de parti prétendait découvrir de dangereux conspirateurs. […] N’oublions pas que nous sommes avec des chrétiens redevenus primitifs et qui remontent aux moindres paroles de l’Écriture comme à une source sacrée.
L’Espagne, attardée dans l’imitation française, nous aidait pourtant à repousser les modèles qu’elle nous empruntait encore : elle nous offrait son romancero 713, qui faisait voir un moyen âge héroïque et parfois féroce, ardemment ou durement chrétien, pittoresque et familier dans le sublime et l’extraordinaire. […] Le romantisme, à ses débuts, fut tout monarchique et chrétien : Chateaubriand avait établi entre l’idéal artistique et les principes pratiques une confusion qui égara les premiers romantiques : épris du moyen âge chrétien et féodal, ils s’estimèrent obligés d’être en leur temps, réellement, catholiques et monarchistes. […] En même temps, il publiait ses ballades, pour donner une idée de la poésie des troubadours, ces rapsodes chrétiens qui savaient manier l’épée et la guitare 725.
Point d’objets, répétoit-il, aussi frappans & qu’on doive rendre avec plus de dignité & d’appareil, que ceux que nous offre la religion chrétienne. […] Il se déclare, sans balancer, pour la méthode des divisions recherchées ; usage que méprisèrent les Grecs & les Romains ; que les Anglois, ennemis de toute contrainte, n’ont pas manqué de secouer ; & dont, en dernier lieu, s’est éloigné parmi nous un prélat, capable, par sa grande réputation & par son exemple, de réformer nos idées à cet égard, & de hâter les changemens desirés dans l’éloquence chrétienne. […] Pour la réformer & lui donner un éclat nouveau, il quitta le ton de poëte, d’auteur profâne, & prit celui de citoyen vertueux, & de chrétien zélé. […] Se mettre à la portée du plus grand nombre des auditeurs, communément soumis, & possédant assez la théorie de la religion, mais froids dans la pratique ; parler à leur esprit beaucoup moins qu’à leur cœur ; remuer efficacement l’ame, toucher, plaire, entraîner, séduire même en un sens ; voilà quelle doit être la principale qualité d’un orateur chrétien, & c’est aussi celle qui distingue Massillon.
Ainsi les antiquités juives, les antiquités chrétiennes, nos temps héroïques modernes, c’est-à-dire ceux de la chevalerie, les sombres et sauvages traditions de nos aïeux les Gaulois ou les Francs, nous avons tout abandonné pour les riantes créations de la Grèce. […] Je ne parle point ici de celles qui contiennent les fastes mêmes de notre religion, de celles dont la célébration est la profession de foi de la société chrétienne. […] Quelquefois enfin la madone chrétienne, à une époque inconnue, avait remplacé la nymphe du ruisseau. […] Remarquons encore que toutes les fois que des agents surnaturels appartenant à la croyance des chrétiens sont venus animer nos compositions, nous avons toujours été, en cela même, trop serviles imitateurs des anciens ; c’est-à-dire que trop souvent ces agents surnaturels ont ressemblé aux divinités d’Homère ou de Virgile : tant nous avons été fourvoyés dans les voies de l’imitation.
La société où la morale parvint le plus tôt à son développement, dut atteindre le plus vite au beau idéal moral, ou, ce qui revient au même, au beau idéal des caractères : or, c’est ce qui distingue éminemment les sociétés formées dans la religion chrétienne. […] Et, d’un autre côté, le poète chrétien, plus heureux qu’Homère, n’est point forcé de ternir sa peinture en y plaçant l’homme barbare ou l’homme naturel : le christianisme lui donne le parfait héros.
La raison, la saine morale et l’éloquence nous semblent encore du côté du prêtre chrétien. […] Il l’aveugle, il la précipite, il la confond par elle-même : elle s’enveloppe, elle s’embarrasse dans ses propres subtilités, et ses précautions lui sont un piège… C’est lui (Dieu) qui prépare ces effets dans les causes les plus éloignées, et qui frappe ces grands coups dont le contrecoup porte si loin… Mais que les hommes ne s’y trompent pas : Dieu redresse, quand il lui plaît, le sens égaré ; et celui qui insultait à l’aveuglement des autres, tombe lui-même dans des ténèbres plus épaisses, sans qu’il faille souvent autre chose pour lui renverser le sens, que de longues prospérités. » Que l’éloquence de l’antiquité est peu de chose auprès de cette éloquence chrétienne !
Ce ne sont pas les philosophes, du moins ceux-là qui, négateurs impitoyables de la vérité chrétienne, pourraient s’appeler les radicaux du rationalisme moderne. […] Abreuvés de christianisme dès le berceau comme du lait de nos mères, nous retrouvons en nous l’influence chrétienne, même quand nous ne la méritons plus, et cette bienfaisante influence garde les instincts de nos cœurs contre les frénésies de l’orgueil et les froides audaces de la raison.
Maîtres de la Gaule, et devenus chrétiens, les Francs oublièrent ou réduisirent en faits humains leurs mythes religieux : ils gardèrent leurs poèmes historiques et leur goût pour les récits épiques qui exaltent le courage et enchantent l’imagination. […] Nous sommes loin de l’histoire, avec ces Sarrasins, qui ont pris la place des Basques montagnards, et ces Sarrasins païens, idolâtres, du reste vaillants et accomplis « barons », s’ils étaient chrétiens : avec ce Charlemagne à la barbe blanche, âgé de deux cents ans, majestueux symbole de la royauté chrétienne : avec ces douze pairs qui combattent et périssent aux côtés de Roland : avec ce traître Ganelon, dont la trahison, plus inutile encore qu’inexpliquée, n’est sans doute qu’une naïve satisfaction que se donne le sentiment national, incapable de concevoir le désastre sans un traître au moins qui soit présent : avec ce Turpin, type légendaire du prélat guerrier, détaché ainsi que Ganelon d’une autre partie de l’histoire pour survivre immortellement transfiguré dans la légende de Roland. […] Mais dans sa grossièreté, notre France féodale et chrétienne a un principe de grandeur morale que la Grèce artiste et mythologue n’a pas connu. […] Roland, aussi, n’est pas à la fin du poème ce qu’il était au début : l’orgueilleux et colérique baron s’apaise aux approches de la mort ; il se dépouille insensiblement de sa basse humanité, et, par une ascension merveilleuse et vraisemblable, il atteint au sommet de l’héroïsme chrétien : son agonie est d’un saint. […] Ici Charlemagne, le grand empereur à la barbe fleurie, idéal exemplaire de la royauté chrétienne, à qui Dieu envoie son esprit et ses anges, Charlemagne s’associe à un voleur, et s’en va couper les bourses avec lui ; ailleurs le sage empereur devient un « vieillard qui est tout assotté »47.
Il semble que la moralité sombre, et si l’honnêteté bourgeoise, si la philosophie chrétienne ou antique la maintiennent encore dans quelques parties du xive siècle, le siècle suivant touchera le fond du nihilisme moral. […] Au xiiie siècle encore, avec l’expansion des deux grands ordres mendiants, dont l’un est voué par son nom même à la prédication, l’éloquence chrétienne a encore de beaux jours. […] Il est donc impossible de faire l’histoire de la prédication chrétienne au moyen âge, sans réunir les textes latins aux textes français, quelle qu’en ait été la forme première : et c’est ce qui nous dispense d’y insister, dans un ouvrage tel que celui-ci. […] Aussi a-t-il prêché simplement, pathétiquement, les grands thèmes que la morale et le dogme chrétiens offrent aux prédicateurs. […] Au reste l’actualité ne l’emporte pas, et dans ses propositions comme dans ses sermons, si passionné qu’il soit, si exact et si abondant sur les faits et circonstances, il reste toujours le chrétien qui enseigne la parole de Dieu : grave, austère, il en revient toujours à prêcher la pénitence, seul remède aux maux de la chrétienté.