Sans doute, ce n’est pas ainsi que l’envisagent les supernaturalistes modernes, lesquels, forcés par la science, qu’ils n’osent froisser assez hardiment, d’admettre un ordre stable de la nature, supposent seulement que l’action libre de Dieu peut parfois le changer et conçoivent ainsi le miracle comme une dérogation à des lois établies. […] Les prétendues natures poétiques, qui auront cru atteindre au sens vrai des choses sans la science, apparaîtront alors comme chimériques ; et les austères savants, qui auront fait fi des dons plus délicats, soit par vertu scientifique, soit par mépris forcé de ce qu’ils n’avaient pas, rappelleront l’ingénieux mythe des filles de Minée, changées en chauves-souris pour n’avoir été que raisonneuses devant des symboles auxquels il eût fallu appliquer des procédés plus indulgents. […] Si l’on en change tant soit peu le tour, ils disparaissent, comme des essences qui s’évaporent si on les fait passer d’un vase à un autre.
Meilleur, non point en tant que gros de promesses et de bouleversements qui réaliseraient ce qu’on ne voit pas en ce monde-ci ; non ; meilleur, pour Sully-Prudhomme, signifie moins changer que demeurer : il rêve l’immobilité pour ce qui fuit, la cristallisation de ce qui passe, l’éternité enfin pour tout ce qui l’a enchanté icibas dans les êtres et dans les choses, pour tout ce qu’il a trouvé de bon et de grand au cœur de l’homme. […] Voir à travers le souvenir, c’est voir à travers un rayon de lumière : tout semble devenir transparent, s’éclaire, se transfigure ; pourtant rien n’est changé à la réalité, rien, sinon peut-être qu’on en saisit mieux le vrai sens. […] Les premiers serments d’amour furent échangés près d’un arbre effeuillé par les vents, sur un roc en poussière, devant un ciel toujours voilé qui change à tout moment, sous les yeux de l’Etre immobile qui regarde mourir245.
Celui-ci doit donc intervenir lui-même, par sa propre impression, parce que son tempérament le porte à changer dans l’image, entre celle-ci et le spectateur. […] Ces développements nécessaires n’y eussent rien changé. […] Il est donc évident, si l’on passe à un ordre de sentiments plus complexes, qu’un écrivain qui aura ressenti, pour quelque personnage de son imagination, une disposition particulière, n’en changera pas ; car il n’y aura aucune raison pour qu’elle cesse ou qu’elle se transforme tant que la conception du personnage restera la même, et, en soi, une disposition est un état d’âme un, peu susceptible de nuances ; tant que l’on déteste une personne c’est de la même façon, et tant qu’on en chérit une autre c’est de la même façon aussi.
Les décorations de mes idées étaient changées… » Il observa la contrée en géologue amateur ; il prêta grande attention aux pierres, aux blocs erratiques dont le sol est régulièrement semé, et qui semblent avoir été versés par les courants uniformes d’une mer profonde dans le dernier grand déplacement des eaux. […] Dès qu’on était entré, la scène changeait comme par enchantement.
Quand on vit dans une perpétuelle instabilité publique, et qu’on voit la société changer plusieurs fois à vue, on est tenté de ne pas croire à l’immortalité littéraire et de se tout accorder en conséquence. […] Il s’y remue sans cesse quelque chose à vue d’œil ; il s’y perce, comme dans nos vieilles villes, de longues et nouvelles perspectives qui changent les aspects les plus connus.
Le fils a changé de nom et s’appelle Voltaire à présent. […] Il ne changea rien d’ailleurs à sa manière.
Nous avons eu l’occasion dans ces temps derniers d’étudier un homme, une organisation éminente aussi à sa manière, un pur prolétaire, lui (Proudhon), et qui n’avait pas eu dans son enfance de précepteur à domicile, puis plus tard l’éducation des voyages, puis une vie publique tout ouverte et toute tracée ; qui n’habitait pas parmi des laboureurs, mais parmi des ouvriers ; qui n’avait pas, à ses heures d’angoisses, les vieux murs d’un château pour refuge, mais un atelier obéré, hypothéqué : combien aussitôt le point de vue change ! […] Après la rupture que causèrent entre tant de relations les événements que vous savez, je n’avais pas changé, mais je me tenais plus qu’auparavant sur la réserve ; il venait peu à notre Académie ; deux ou trois fois nous causâmes fort amicalement.
Rien n’a changé au fond sur ce point, mais l’attention y a été portée, et l’on a parlé plus crûment. […] Ce n’a pas été sans adresse que nous avons dû remonter à travers ce dédale croisé de pseudonymes, le long de ces sources assez peu limpides qui se perdaient ou changeaient de nom à chaque pas.
Il avertit en un endroit son frère cadet qu’il lui parle des livres sans aucun égard à la bonté ou à l’utilité qu’on en peut tirer : « Et ce qui me détermine à vous en faire mention est uniquement qu’ils sont nouveaux, ou que je les ai lus, ou que j’en ai ouï parler. » Bayle ne peut s’empêcher de faire ainsi ; il s’en plaint, il s’en blâme, et retombe toujours : « Le dernier livre que je vois, écrit-il de Genève à son frère, est celui que je préfère à tous les autres. » Langues, philosophie, histoire, antiquité, géographie, livres galants, il se jette à tout, selon que ces diverses matières lui sont offertes : « D’où que cela procède, il est certain que jamais amant volage n’a plus souvent changé de maîtresse, que moi de livres. » Il attribue ces échappées de son esprit à quelque manque de discipline dans son éducation : « Je ne songe jamais à la manière dont j’ai été conduit dans mes études, que les larmes ne m’en viennent aux yeux. […] Combien de fois Bayle n’a-t-il pas changé de rôle, se déguisant tantôt en nouveau converti, tantôt en vieux catholique romain, heureux de cacher son nom et de voir sa pensée faire route nouvelle en croisant l’ancienne !