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566. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Mézeray. — II. (Fin.) » pp. 213-233

C’est alors que commença d’éclater cette furieuse et vaste épidémie de guerres civiles et religieuses, qui ne cessa de sévir jusqu’au règne de Henri IV. […] Mézeray, en favorisant cette demi-réforme, ne croit pas innover ; en religion comme en politique, il paraît croire qu’il suffit de revenir à une époque antérieure où régnait une sorte de constitution religieuse, monarchique et suffisamment populaire ; on l’eût embarrassé sans doute en le pressant de définir cette période idéale de notre histoire ou les abus avaient cessé moyennant la Pragmatique et la tenue régulière des États généraux. […] Il voulait que pour assurer une bonne paix, stable et de longue durée, on allât jusqu’aux racines qui reproduisaient sans cesse les discordes et les troubles ; que, pour cet effet, on accordât un concile national, etc. ; qu’on assemblât les États généraux de deux en deux ans, etc. » Dans toutes ces parties de son Histoire, l’opinion et les préférences personnelles de Mézeray percent assez : pourtant il n’y met pas de système ; il s’accommodera fort bien que, sous Henri IV, on arrive au bien public sans toutes ces machines qui sont à double fin en temps de passion, et qui ne sont parfaites que dans l’esprit des vertueux.

567. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le prince de Ligne. — I. » pp. 234-253

Je me répétais sans cesse : Rose et Fabert ont ainsi commencé 34. […] Il a peint en quelques pages légères et d’une touche inimitable ces promenades, ces cavalcades matinales et familières, où la reine Marie-Antoinette ravissait et effleurait les cœurs, et ne cessait de mériter les respects : il nous a rendu cette reine aimable et calomniée sous ses vraies couleurs, comme il fera également de tous les illustres souverains qu’il a connus, de l’impératrice Catherine, de Frédéric le Grand, de Joseph II, de Gustave III. […] Je parle du prince de Ligne comme étant tout à fait un Français quand il écrivait sur Belœil, et il l’était pour ne plus cesser de l’être.

568. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — II. (Suite.) » pp. 434-453

Daru, j’ai cherché à me bien rendre compte et de la nature et du détail même de certaines de ses fonctions, soit dans leur partie obéissante et passive, de pure exactitude, soit dans leur portion mobile et indéterminée où l’exécution même demandait un degré d’initiative et des combinaisons qui se renouvelaient sans cesse : je voulais ensuite rendre à mes lecteurs, dans une page générale et pourtant précise, l’impression que j’aurais reçue de cette analyse première. […] Daru a été sous l’Empire le centre de tout un groupe estimable, spirituel, assez fécond, très goûté à son heure, dont nous avons pu médire dans notre jeunesse et quand les générations en présence se faisaient la guerre, mais auquel il convient de rendre justice quand toutes les rivalités ont cessé. […] Le groupe de littérateurs dont je parle était instruit sans être savant ; mais tous connaissaient Horace et le citaient sans cesse, c’était leur bréviaire ; il était, à lui seul, toute leur Antiquité.

569. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — I » pp. 93-111

Sérieux au fond, ayant des goûts à lui et qui parurent bientôt très prononcés, aimant les lectures de toutes sortes, l’histoire, les estampes et l’instruction qu’elles procurent sur les mœurs du temps passé, jugeant sainement des choses et des hommes qu’il avait sous les yeux, et soucieux de l’amélioration de l’espèce dans l’avenir, il fut de tout temps très naturel, au risque même de ne point paraître essentiellement élégant ni très élevé, il avait en lui un principe de droiture et le sentiment de la justice qu’il cultiva et fortifia sans cesse, loin de travailler à l’étouffer. […] Il lui disait sans cesse, en le louant sur son activité et son ardeur d’être utile, et sur « une certaine fermeté de cœur et d’esprit avec laquelle il sympathisait », qu’il fallait absolument le tirer de l’espèce d’obscurité où il était, qu’il n’était bien connu ni des autres ni de lui-même. […] Ils n’eurent point de cesse qu’ils n’eussent attiré et fixé M. d’Argenson à Paris ; ce dernier avait pour lors trente-neuf ans.

570. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Charles-Quint après son abdication, au monastère de Saint-Just »

Mais, dès l’âge de trente ans, il ressentit les premières atteintes de la goutte, et ce mal ne cessa de le travailler de plus en plus avec les années. […] Même dans l’état d’exténuation où il était réduit quelques années avant son abdication, et tel qu’un ambassadeur de Henri II nous l’a décrit pendant une de ses attaques de goutte, « l’œil abattu, la bouche pâle, le visage plus d’homme mort que vif, le col exténué et grêle, la parole faible, l’haleine courte, le dos fort courbé, et les jambes si faibles qu’à grand’peine il pouvait aller avec un bâton de sa chambre jusqu’à sa garde-robe » ; même dans ce piteux état, il ne cessait de se gorger de viandes indigestes, de poissons, de saumures, de bières glacées : « Jusqu’à son départ des Pays-Bas pour l’Espagne, disait un ambassadeur vénitien, il avait l’habitude de prendre le matin à son réveil une écuelle de jus de chapon, avec du lait, du sucre et des épices ; après quoi il se rendormait. […] Quand il croit voir des fautes, des lenteurs préjudiciables dans la conduite de quelque affaire importante, il ne se contient plus et donne des avis : il se montre surtout pressant dans l’affaire des Luthériens qu’on a découverts et arrêtés dans la Vieille-Castille, et lui qui a éprouvé les inconvénients de n’avoir pas étouffé en Allemagne le Luthéranisme au berceau, il n’a de cesse qu’on ne fasse leur procès aux hérétiques d’Espagne et qu’on ne les brûle.

571. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Œuvres complètes de Molière »

La vocation l’emporte, et le démon fait rage en lui pour ne plus cesser. […] Je lui demanderai donc (en ne faisant ici que répéter ce que je tiens d’un amateur du théâtre, d’un de ces hommes de finesse, de rondeur et de sens, tels que Molière les eût aimés en son temps, et qui, en revanche, méditent et ruminent sans cesse leur Molière), je lui demanderai s’il sait quelle est la pièce en cinq actes, avec cinq personnages principaux, trois surtout qui reviennent perpétuellement, dans laquelle deux d’entre eux, les deux amoureux, qui s’aiment, qui se cherchent, qui finiront par s’épouser, n’échangent pas durant la pièce une parole devant le spectateur et n’ont pas un seul bout de scène ensemble, excepté à la fin pour le dénouement. […] Aimer Molière, c’est n’être disposé à aimer ni le faux bel esprit ni la science pédante ; c’est savoir reconnaître à première vue nos Trissotins et nos Vadius jusque sous leurs airs galants et rajeunis ; c’est ne pas se laisser prendre aujourd’hui plus qu’autrefois à l’éternelle Philaminte, cette précieuse de tous les temps, dont la forme seulement change et dont le plumage se renouvelle sans cesse ; c’est aimer la santé et le droit sens de l’esprit chez les autres comme pour soi. — Je ne fais que donner la note et le motif ; on peut continuer et varier sur ce ton.

572. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni. (suite) »

Il ne cesse de prêcher, et il le fait d’une façon fine, tendre, poétique et sensée, gaie et légère, qui aurait^dû être pleinement persuasive, si la nature n’était pas plus forte que toutes les raisons. […] On ne cesse de lui dire : Soyez femme, restez femme : elle vise à l’Ange. […] Il perd ses raisons à la réfuter ; il en a pourtant de bien naturelles et d’insinuantes, où il entre du cœur et de l’esprit : « Ce sont là des paradoxes, ne cesse-t-il de lui répéter à propos de ces grands axiomes de tristesse ; je ne crois pas au triste.

573. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise, par M. Taine, (suite et fin.) »

Il me semble qu’il y a lieu de tout maintenir, de ne rien sacrifier, et en rendant plein hommage et entière révérence aux grandes forces humaines qui, semblables aux puissances naturelles, éclatent comme elles avec quelque étrangeté et quelque rudesse, de ne cesser d’honorer ces autres forces plus contenues qui, dans leur expression moins semblable à une explosion, se revêtent d’élégance et de douceur. […] Parlant d’Homère et de son rapport avec Virgile, Pope établit la vraie ligne et la vraie voie pour les talents classiques et qui restent dans l’ordre de la tradition : « Lisez, dit-il, et relisez Homère dans le texte, en le comparant sans cesse à lui-même, et pour votre commentaire prenez la muse de Mantoue. […] Et encore, Madame Louise, fille de Louis XV, qui s’était faite carmélite à Saint-Denis, redevenue princesse dans son délire sans cesser d’être nonne, et croyant toujours donner des ordres à son écuyer, laissa échapper ces dernières paroles : « Au paradis, vite, vite, au grand galop ! 

574. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « La reine Marie Leckzinska (suite et fin.) »

Mais sur-le-champ elle lui montrait que pour Dieu elle souffrait ces tribulations, et l’attaquait sans cesse du côté de la religion, qui dominait en elle et qui y régnait absolument. » Toute cette appréciation est fort juste et dans la nuance précise. […] La reine croit, et cela paraît certain, que Mme de Mailly l’examine sans cesse pour lui trouver de nouveaux ridicules et égayer le roi à ses dépens dès qu’elle l’a quittée : c’est une indignité. » Lors même que cela n’était pas (car Mme de Mailly n’avait point ce caractère de méchanceté), il suffisait que la reine se figurât qu’il en était ainsi pour qu’elle éprouvât un lent et continuel supplice. […] Vous qui voulez prendre idée de ce malin esprit de Cour et d’ancien régime tel qu’on l’attribue sans cesse aux Richelieu, aux d’Ayen, aux Stainville, aux Maurepas, et aux femmes qui les égalaient au moins à ce jeu d’épigrammes, si elles ne les surpassaient point, lisez et relisez la page suivante qui en est le chef-d’œuvre.

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