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24. (1899) L’esthétique considérée comme science sacrée (La Revue naturiste) pp. 1-15

En effet, la beauté d’un hymne suppose un sublime entendement. […] Les poètes ne sont-ils pas ceux qui nous font sentir la beauté des choses ? […] Avant qu’ils nous l’aient bien décrite, nous n’avions pas saisi la beauté des objets dont nous sommes entourés constamment et partout. […] Nous ne nous contenterons pas d’écrire des poèmes délicieux, nous avons l’auguste ambition de rendre à la vie sa beauté plastique. […] Le Mathieu et la Marianne de son livre sont d’ailleurs deux des plus solides statues représentatives de beauté qui soient.

25. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre troisième »

Sa versification, quoique sans beautés éclatantes, est plus régulière et plus facile que celle de Jodelle. […] En même temps qu’il donnait, sous la forme de règles, le secret des beautés de son théâtre, en critiquant ses propres défauts il donnait le secret des beautés qui lui ont manqué. […] Toutes les parties de l’œuvre tirent leur beauté de cette ressemblance avec la vie. […] Sur qui donc seraient sans effet les beautés qui arrachaient des larmes au grand Condé ? […] Je m’étonne qu’un si grand homme se soit si fort mépris à cet égard, et qu’ayant si admirablement résumé la beauté d’un poème dramatique en ces trois choses : force de vers, de raisonnement et de sentiment, il se soit imaginé que, là où brille cette beauté, il n’y ait pas nécessairement un sujet tragique, ou qu’il y en ait un là où cette beauté manque.

26. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Laïs de Corinthe et Ninon de Lenclos » pp. 123-135

Ces livres, qui doivent être l’admiration des coiffeurs et des modistes, portent des titres comme les suivants : L’Hygiène et le perfectionnement de la beauté humaine. — Les Parfums et les Fleurs, comme auxiliaires de la beauté. — L’Hygiène des mains, de la poitrine et de la taille. Et nous ne citons pas beaucoup d’autres traités du même agrément et de la même importance, car Debay est le colonel Amoros de la beauté humaine en littérature ! […] En effet, qu’y a-t-il pour nous d’important et de nouveau dans cette enfance de Laïs, remarquée d’abord pour sa beauté et bientôt choisie pour modèle par le sculpteur Scopas, chez une nation où la sculpture était adorée ? […] Enfin, quoi de plus ordinaire, dans la vie des femmes comme Laïs, que la passion longtemps bravée et méprisée les saisissant tout à coup, quand la vieillesse, cet affreux cancer, vient dévorer la beauté dont elles furent si vaines ? […] Une fois que Dieu a ôté la chair et brisé ce jouet de la beauté corporelle, on ne trouve plus que le vide et l’inanité.

27. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 36, de la rime » pp. 340-346

Une syllabe terminée par un certain son n’est point une beauté par elle-même. La beauté de la rime n’est qu’une beauté de rapport qui consiste en une conformité de désinance entre le dernier mot d’un vers et le dernier mot du vers reciproque. On n’entrevoit donc cette beauté qui passe si vîte, qu’au bout de deux vers, et après avoir entendu le dernier mot du second vers qui rime au premier. […] Mais pour ne parler ici que des vers où la rime paroît dans tout son éclat et dans toute sa beauté, on n’y sent la richesse qu’au bout du second vers. […] On me dira qu’il faut qu’il se trouve dans la rime une beauté bien superieure à celle que je lui accorde.

28. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLVe entretien. Vie de Michel-Ange (Buonarroti) »

La beauté des marbres de Michel-Ange et de son école tient plus de la Fable que de l’histoire et de la Divinité que de la nature. Phidias dessine plus correctement et proportionne plus suavement ses figures à la taille et aux contours des modèles parfaits que lui fournit l’Attique ou l’Ionie, ces deux terres de la beauté virile et de la beauté féminine. […] Et cependant cette légère exagération de la stature étrusque n’altère ni la réalité ni la beauté, elle les dépasse. Phidias humanise l’idéale beauté, Michel-Ange la transfigure et la divinise. […] On sent sur ce mâle génie l’influence d’une femme, qui de son type de beauté physique, est devenue insensiblement son type de beauté morale, et qui l’entraîne par son exemple aux sommets de la pensée contemplative, ce dernier repos des cœurs aimants et des esprits lassés de la vie.

29. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — La solidarité des élites »

Feuilles et fleurs, tige et racine, la plante entière, humaine ou végétale, participant à la même beauté, c’est-à-dire à la même vie ; n’est-ce pas là, ce me semble, centupler la beauté de la fleur elle-même, que de la sentir liée à la beauté de la racine, à l’incalculable splendeur des moindres folioles ? […] Nous n’accordons pas la beauté aux glorieux pour la refuser aux humbles. Nous n’admettons que la beauté totale et vitale. […] Grandir en soi-même et s’élever, c’est reconnaître une beauté de plus en plus nombreuse, c’est adhérer à la beauté partout où elle se trouve, c’est-à-dire effectivement partout. […] En définitive le tout est beauté ; il ne manque que des yeux pour la voir.‌

30. (1757) Réflexions sur le goût

Mais il n’étend pas son ressort sur toutes les beautés dont un ouvrage de l’art est susceptible. […] Les beautés de cette espèce ne sont que du second ordre, car ce qui est grand est préférable à ce qui n’est que fin ; elles sont néanmoins celles qui demandent le plus de sagacité pour être produites, et de délicatesse pour être senties ; aussi sont-elles plus fréquentes parmi les nations chez lesquelles les agréments de la société ont perfectionné l’art de vivre et de jouir. Ce genre de beautés faites pour le petit nombre, est proprement l’objet du goût, qu’on peut définir le talent de démêler dans les ouvrages de l’art ce qui doit plaire aux âmes sensibles et ce qui doit les blesser. […] Comme il sait que c’est la première loi du style, d’être à l’unisson du sujet, rien ne lui inspire plus de dégoût que des idées communes exprimées avec recherche, et parées du vain coloris de la versification : une prose médiocre et naturelle lui paraît préférable à la poésie qui au mérite de l’harmonie ne joint point celui des choses : c’est parce qu’il est sensible aux beautés d’image, qu’il n’en veut que de neuves et de frappantes ; encore leur préfère-t-il les beautés de sentiment, et surtout celles qui ont l’avantage d’exprimer d’une manière noble et touchante des vérités utiles aux hommes. […] Faute de suivre cette méthode, l’imagination échauffée par quelques beautés du premier ordre dans un ouvrage, monstrueux d’ailleurs, fermera bientôt les yeux sur les endroits faibles, transformera les défauts même en beautés, et nous conduira par degrés à cet enthousiasme froid et stupide qui ne sent rien à force d’admirer tout ; espèce de paralysie de l’esprit, qui nous rend indignes et incapables de goûter les beautés réelles.

31. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Ernest Hello »

… Il a aussi cette dernière beauté… la beauté de la chute… Fait d’inégalités, il va haut et il tombe, — et parfois il se démantibule en tombant, mais il reste un démantibulé sublime. […] C’est un conteur qui ne conte pas pour conter ; il ne conte pas pour l’intérêt, la passion, la beauté de son conte. […] Le pathétique de tout cela est si grand, qu’on ne s’aperçoit de la beauté de ce conte inouï qu’à la réflexion et longtemps après qu’il est lu. […] tout inférieurs qu’ils puissent être à Ludovic, n’en sont pas moins aussi d’une beauté souveraine. […] J’ai déjà vu des êtres qui ne sont pas stupides cependant, et qui ne se doutent pas de la beauté de Ludovic, cette prodigieuse étude qui s’est fait drame comme le Verbe s’est fait Chair.

32. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre VIII. La religion chrétienne considérée elle-même comme passion. »

La beauté que le chrétien adore n’est pas une beauté périssable : c’est cette éternelle beauté, pour qui les disciples de Platon se hâtaient de quitter la terre. […] Pour arriver à la jouissance de cette beauté suprême, les chrétiens prennent une autre route que les philosophes d’Athènes : ils restent dans ce monde afin de multiplier les sacrifices, et de se rendre plus dignes, par une longue purification, de l’objet de leurs désirs. […] Il se précipite aux pieds de la beauté divine ; il lui demande de le secourir. […] Corneille, qui se connaissait si bien en sublime, a senti que l’amour pour la religion pouvait s’élever au dernier degré d’enthousiasme, puisque le chrétien aime Dieu comme sa souveraine beauté, et le Ciel comme sa patrie. […] Et c’est cette passion que nos poètes peuvent chanter, à l’exemple de Corneille ; source de beautés, que les anciens temps n’ont point connue, et que n’auraient pas négligée les Sophocle et les Euripide.

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