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15. (1767) Salon de 1767 « Adressé à mon ami Mr Grimm » pp. 52-65

Je demanderai donc à cet artiste, si vous aviez choisi pour modèle la plus belle femme que vous connussiez, et que vous eussiez rendu avec le plus grand scrupule tous les charmes de son visage, croiriez-vous avoir représenté la beauté. […] Votre ligne n’eût pas été la véritable ligne, la ligne de beauté, la ligne idéale, mais une ligne quelconque altérée, déformée, portraitique, individuelle ; et Phidias aurait dit de vous : (…) vous n’êtes qu’au 3e rang après la belle femme et la beauté : il y a, entre la vérité et son image, la belle femme individuelle qu’il a choisie pour modèle. […] Comment est-ce qu’ils auroient reconnu la beauté de ces parties ? […] Entre la beauté d’une forme et sa difformité, il n’y a que l’épaisseur d’un cheveux ; comment avoient-ils acquis ce tact, qu’il faut avoir avant que de rechercher les formes les plus belles éparses, pour en composer un tout. […] Avancer un pareil paradoxe, n’est-ce pas prétendre que ces artistes avoient la connaissance la plus profonde de la beauté, étoient remontés à son vrai modèle idéal, à la ligne de foi avant que d’avoir fait une seule belle chose.

16. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VII. Repos »

Son style est d’une beauté poétiquement féminine, à la fois large et précise. […] Ses paroles de flamme caressent l’impossible beauté. […] L’alexandrin est devenu plus fluide encore, d’une beauté fuyante comme un fleuve. […] La Nuit, dans un discours d’une beauté lente et d’une douceur qui apaise, lui offre le remède du songe. […] Ils me paraissent tous d’une beauté égale, absolue.

17. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre premier. La solidarité sociale, principe de l’émotion esthétique la plus complexe »

Havet, nous ne saurions hésiter entre la beauté douteuse et, en tous cas, bien élémentaire du bec de gaz lançant son faisceau ; de clarté en forme de papillon, — beauté associée à des éléments désagréables, a des lignes anguleuses et rigides, — et l’immortelle grâce d´une statue lumineuse dressant, sa torche, sorte de Lucifer vivant. […] Cette sorte de beauté propre à l’utile peut aller s’accentuant à mesure que s’accentue la parfaite adaptation de l’objet à son usage. […] De presque là une antinomie entre la beauté très restreinte de l’utile tous les autres genres plus larges de libre beauté. […] Plus on augmente l’utilité d’une chose, plus on restreint en général sa beauté possible, eu la circonscrivant pour ainsi dire dans les côtés uniques par où cette chose peut être utile ; cette beauté, quelque restreinte, quelque consente qu’elle soit, peut encore exister sans doute, mais à une condition : c’est que l’objet où elle existe ne devienne pas le siège d’associations franchement désagréables. […] Si, des rudiments du beau, nous nous élevons à son plus haut développement, le côté social de la beauté va croissant et finit par tout dominer.

18. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre I. Renaissance et Réforme avant 1535 — Chapitre I. Vue générale du seizième siècle »

L’Italie la première avait retrouvé les deux clefs de l’antiquité : elle avait compris la vérité, senti la beauté des œuvres anciennes. […] La théorie de la virtù, d’où toute notion morale est exclue, fait de l’individu même l’œuvre où l’individu travaille à réaliser la plénitude de la force et de la beauté. […] L’art, la grâce, la beauté sont reçus d’abord comme choses souverainement nobles ; et, pendant tout le siècle, les essais de création artistique s’enveloppent d’aristocratique délicatesse. […] Il essaie d’atteindre à la beauté de la poésie grecque : par la combinaison du lieu commun et de l’image, dans les moules rythmiques et poétiques des anciens, il essaie de s’élever au grand art. […] On pourrait dire en deux mots que, au contact de l’Italie, et sous l’influence de l’antiquité, le bon sens français a dégagé d’abord l’idée de vérité rationnelle, puis celle de beauté esthétique, et que, demandant à sa littérature une vérité belle et une beauté vraie, il en a circonscrit le domaine aux sujets dans lesquels la coïncidence ou bien l’identité de ces deux idées se trouve le plus naturellement réalisée.

19. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre I : Une doctrine littéraire »

Il a cherché dans les œuvres des grands écrivains les beautés durables de préférence aux beautés passagères, les vérités du bon sens de préférence aux hardiesses de l’imagination, des modèles et des règles plutôt que des curiosités piquantes, le vrai plus que l’agréable, le certain plus que le nouveau. […] Par là, nous sommes surtout favorable dans les arts aux inventeurs, à ceux qui sortent des voies battues à leurs risques et périls ; et, sans méconnaître le charme et le mérite des grandes beautés régulières, nous leur préférons les beautés libres et hardies. […] Il poursuit toutes les fausses beautés partout où il les rencontre, et nous donne les raisons pour lesquelles elles ont succombé. […] Il a même le mérite d’être d’une application universelle et de n’exclure aucun genre de beauté. Il peut s’appliquer à Goethe ou à Shakespeare aussi bien qu’à Racine ; il embrasse les beautés romantiques aussi bien que les beautés classiques.

20. (1893) Thème à variations. Notes sur un art futur (L’Académie française) pp. 10-13

Par là, ce clavecin prend de la beauté ; les musiques de sensations d’essorent, grosses de délices. […] Car ils prennent garde que toutes choses vivent une vie métaphysique ; qu’il n’y a pas de si médiocre molécule qui ne soit le signe d’une existence abstraite ; que le visible demeure le symbole de l’invisible1 ; que la beauté extérieure dénonce la beauté intime2 ; que comme l’âme humaine est le miroir où reluit le monde, le monde est le miroir où reluit Dieu ; que tout s’exalte et tourbillonne dans un ouragan d’amour ; que tout halète et s’agenouille et prie pour l’offrande universelle au Seigneur. […] Le sentiment de l’inconnu nous trouble4 ; mais comme il brouillait toute ardeur de la Beauté en l’incroyant Renan, il dirige notre adolescence vers la clarté du songe intérieur et les violentes langueurs du mysticisme catholique. […] Il faut donc admirer la beauté aux grandes lignes calmes et nobles, ainsi que de symbole de la grandeur morale ; mais non la gentillesse fardée. […] Les climats diversifient les caractères de cette beauté physique.

21. (1772) Éloge de Racine pp. -

Le premier qui, de la combinaison de tous ces arts réunis, fit sortir de grands effets et des beautés pathétiques, mérita d’être appelé le père de la tragédie. […] Mais comment des beautés si vraies furent-elles d’abord si peu senties ? […] Il y a dans les ouvrages de l’esprit deux sortes de beautés. […] Telle est cette première espèce de beautés dont tous les ouvrages de l’art ne sont pas également susceptibles. […] Peut-être les uns et les autres ne doivent point être mis dans la balance : un mélange de beautés et de défauts ne peut entrer en comparaison avec des productions achevées qui réunissent tous les genres de beautés dans le plus éminent degré, sans autres défauts que ces taches légères qui avertissent que l’auteur était homme.

22. (1884) Les problèmes de l’esthétique contemporaine pp. -257

Si les mouvements empruntent la plus grande partie de leur beauté aux sentiments, en quoi consistera la beauté des sentiments eux-mêmes ? […] De là résulte la beauté des mouvements. […] « La beauté, dit M.  […] La principale beauté de nos machines est l’apparence de la vie, et cette beauté ne peut guère être saisie que si elles sont en mouvement ; or précisément la reproduction du mouvement échappe à nos arts représentatifs : ceux-ci doivent donc renoncer à peindre tous les mécanismes qui n’ont pas, en plus de la beauté du mouvement, une sorte de beauté plastique. […] Sully-Prudhomme, ont eux-mêmes leur beauté, bien plus leur grâce.

23. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Deuxième partie. — L’école critique » pp. 187-250

Elle fonde donc sa foi à la beauté des œuvres, à l’art des ouvriers, sur un témoignage intérieur, sur l’amour. […] L’autorité que le texte a par lui-même pour convaincre et persuader tous les hommes de sa propre beauté, le commentaire ne l’a point pour rendre cette beauté sensible aux esprits rebelles et aux cœurs indifférents. […] Alors, plein de confiance en toi et n’ayant plus besoin de guide, regarde en ton âme, tu y découvriras la beauté. Que chacun de nous devienne beau et divin, s’il veut contempler la beauté et la divinité. […] C’est bien assez d’avoir osé, après Kant, dogmatiser un peu sur la beauté.

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