L’amour même, et cette bonne chère de bonne compagnie qui entre trop peut-être dans la réputation de Ponchon auprès de ce monde qui côtoie le monde littéraire proprement dit, notre poète ne les célèbre qu’en artiste impeccable, très convaincu de son sujet, mais le dominant, et par conséquent apportant tout le sang-froid désirable dans la confection de ses délicieuses pièces de plaisant déduit et de crevailles.
Les Chants de la Pluie et du Soleil, visiblement inspirés de Whitman quant à leur sentiment de modernité lyrique, renferment des proses vraiment belles, d’une élévation et d’une énergie saine, d’un éclat d’images qui intéresseront les artistes.
La Minerve de Vassé, la baigneuse d’Allegrain ont supérieurement ce mérite dont je ne pense pas qu’un morceau de sculpture puisse se passer, et dont plusieurs artistes n’ont pas la première idée.
Quand son éducation critique est suffisante, il est capable de démêler sous chaque ornement d’une architecture, sous chaque trait d’un tableau, sous chaque phrase d’un écrit, le sentiment particulier d’où l’ornement, le trait, la phrase sont sortis ; il assiste au drame intérieur qui s’est accompli dans l’artiste ou dans l’écrivain ; le choix des mots, la brièveté ou la longueur des périodes, l’espèce des métaphores, l’accent du vers, l’ordre du raisonnement, tout lui est un indice ; tandis que ses yeux lisent un texte, son âme et son esprit suivent le déroulement continu et la série changeante des émotions et des conceptions dont ce texte est issu ; il en fait la psychologie. […] Mais entre autres différences, il y a celle-ci, qu’un des artistes est le précurseur, et que l’autre est le successeur, que le premier n’a pas de modèle, et que le second a un modèle, que le premier voit les choses face à face, et que le second voit les choses par l’intermédiaire du premier, que plusieurs grandes parties de l’art se sont perfectionnées, que la simplicité et la grandeur de l’impression ont diminué, que l’agrément et le raffinement de la forme se sont accrus, bref que la première œuvre a déterminé la seconde. […] Si, au contraire, l’homme naturellement sain et équilibré limite volontiers l’étendue de ses conceptions pour en mieux préciser la forme, on verra, comme en Grèce, une théologie d’artistes et de conteurs, des dieux distincts promptement séparés des choses et transformés presque dès l’abord en personnes solides, le sentiment de l’unité universelle presque effacé et à peine conservé dans la notion vague du Destin, une philosophie plutôt fine et serrée que grandiose et systématique, bornée dans la haute métaphysique5, mais incomparable dans la logique, la sophistique et la morale, une poésie et des arts supérieurs pour leur clarté, leur naturel, leur mesure, leur vérité et leur beauté à tout ce que l’on a jamais vu. […] Il y a un système particulier d’impressions et d’opérations intérieures qui fait l’artiste, le croyant, le musicien, le peintre, le nomade, l’homme en société ; pour chacun d’eux, la filiation, l’intensité, les dépendances des idées et des émotions sont différentes ; chacun d’eux a son histoire morale et sa structure propre, avec quelque disposition maîtresse et quelque trait dominateur.
Le, défaut de Courier, c’est qu’on sent trop cet art, et l’effort de l’écrivain : nous aimerions un peu plus d’abandon ; et pourtant, en son genre, il fut un vrai artiste, et tout à fait original. […] Mais la plupart des graves et sérieux bourgeois qui abordaient la tribune, les libéraux notamment, étaient des hommes de goût classique, formés à l’école du xviiie siècle et des idéologues, nourris de Voltaire et de Montesquieu, philosophes, juristes, dialecticiens, de sensibilité médiocre ou restreinte, d’imagination froide, et plus que modérément artistes. […] Très curieux d’art, il n’était pas artiste ; et le grand mouvement littéraire de son temps s’accomplit sans qu’il y comprit rien. […] Edgar Quinet707, mêlant Herder à Chateaubriand, jugeant parfois très bien son temps et son parti, connaissant et pressentant l’Allemagne comme peu de Français ont fait, anticlérical et religieux, savant et poète, prophète par-dessus le tout et faiseur d’apocalypses, esprit large et intelligent, avec quelque chose d’incohérent et de nuageux, artiste insuffisant en dépit ou en raison des placages de sentiment ou de couleur par lesquels il croyait se donner un grand style, — Quinet n’a pas réussi à faire une œuvre : on peut lire ses Lettres.
Et ainsi il passe auprès de quelques jeunes hommes pour un abstracteur de quintessence, pour l’artiste le plus délicat et le plus savant d’une fin de littérature. […] Chose inattendue, ce poète, que ses disciples regardent comme un artiste si consommé, écrit par moments (osons dire notre pensée) comme un élève des écoles professionnelles, un officier de santé ou un pharmacien de deuxième classe qui aurait des heures de lyrisme. […] C’est amusant, après cela, de le voir faire l’artiste impeccable, le sculpteur de strophes, le monsieur qui se méfie de l’inspiration et écrire avec béatitude : À nous qui ciselons les mots comme des coupes, Et qui faisons des vers émus très froidement… Ce qu’il nous faut, à nous, c’est, aux lueurs des lampes, La science conquise et le sommeil dompté. […] — les artistes qui passent pour les plus rares et les plus originaux de ce temps, ceux qui ont été vénérés et imités dans les cénacles les plus étroits, ont été catholiques ou se sont donnés pour tels.
La nation est donc responsable de ses artistes. […] Seuls, les cinq ou six écrivains artistes dont nous parlons plus haut — et qui, en général, ne sont pas ceux qui obtiennent les plus grands succès d’argent — masquent cette faillite du théâtre contemporain. […] “Un homme de valeur” disent les artistes. » Le théâtre est une industrie plutôt qu’un art. […] En soi, aucun moyen n’est ni supérieur ni inférieur ; il vaut ce que vaut l’artiste qui l’emploie.
Les idées sont « classées », ne nous émeuvent plus, mais la vertu de l’artiste se marque peut-être plus clairement aux yeux moins éblouis… Elle est faite (avec toutes les adresses du « dire ») de conviction et de sourire. […] L’œuvre d’art est une œuvre conçue, engendrée, portée par l’artiste, mais qui doit se détacher de lui à sa maturité.
Pour réussir dans cette affaire, il faut le soutien et l’aide des artistes. […] En pétrissant des substances brutes, en trempant les toiles de teintes vives, en scandant des poèmes lyriques et en ordonnant des masses musicales, les artistes recomposent le monde comme Dieu lui-même.