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331. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. de Stendhal. Ses Œuvres complètes. — II. (Fin.) » pp. 322-341

En face de cette nature « où le climat est le plus grand des artistes », ses Promenades ont le mérite de donner la note vive, rapide, élevée ; lisez-les en voiturin ou sur le pont d’un bateau à vapeur, ou le soir après avoir vu ce que l’auteur a indiqué, vous y trouvez l’impression vraie, idéale, italienne ou grecque : il a des éclairs de sensibilité naturelle et d’attendrissement sincère, qu’il secoue vite, mais qu’il communique. […] Il y a des époques d’artistes, il en est d’autres qui ne produisent que des gens d’esprit, d’infiniment d’esprit si vous voulez. » Beyle répondait à cette théorie désespérante dans une lettre insérée au Globe le 31 mars 1825 : Pour être artiste après les La Harpe, il faut un courage de fer. […] C’est faute de courage que nous n’avons plus d’artistes. Nierez-vous que Canova et Rossini ne soient de grands artistes ?

332. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Mémoires de madame Roland »

Louis Blanc a dit encore en parlant du groupe de la Gironde et pour le définir : « Ce furent des artistes égarés dans la politique. » Artistes, je l’accorde ; mais il convient encore de se bien entendre sur le mot ; ils l’étaient peut-être (l’un d’entre eux du moins, Vergniaud), par l’éloquence ; comme écrivains, ils n’étaient artistes nullement. […] S’ils furent des artistes, ils ne furent en rien des artistes originaux, et Mme Roland, supérieure à la plupart, et je dirais hardiment, à tous s’il n’y avait Vergniaud, n’échappe point en cela à la condition commune.

333. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Henry Rabusson »

Il y a le monde des hommes de lettres et des artistes, et le monde des financiers, et le monde de la haute bourgeoisie, et le monde académique, et le demi-monde, non pas au sens où on l’entend à présent, mais tel que l’a défini M.  […] Il arrive parfois à tel brave homme d’artiste, de savant ou d’écrivain, un peu gauche et taciturne, de s’émerveiller de la rapidité de conception et d’esprit de tel homme du monde et de se faire à lui-même l’effet d’un sot quand il voit cet agrément, cette finesse, cette abondance de conversation. […] Les hommes sont des artistes et des dilettantes de l’amour. […] Tout artiste digne de ce nom est par là même capable du « crime d’amour ». […] Sa philosophie est plus parfaite que celle de l’artiste qui écrit — et qui trahit par là quelque ingénuité, car il se figure apparemment qu’il vaut la peine d’écrire et que la gloire littéraire est quelque chose.

334. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Gautier, Théophile (1811-1872) »

Sainte-Beuve Son premier voyage en Espagne qui est de 1840, et qui fut, dans sa vie d’artiste, un événement, lui avait fourni des notes nouvelles, d’un ton riche et âpre, bien d’accord avec tout un côté de son talent ; il y avait saisi l’occasion de retremper, de refrapper à neuf ses images et ses symboles ; il n’était plus en peine désormais de savoir à quoi appliquer toutes les couleurs de sa palette. […] L’artiste grandit, la critique tombe. […] Auguste Vacquerie Toi qu’on disait l’artiste ardent mais l’homme tiède, Le rimeur égoïste et sourd à tous nos cris, Le jour où l’Allemagne assiégea ce Paris Haï des nations parce qu’il les précède, Quand sachant que Paris difficilement cède Et que, criblé, haché, broyé sous les débris, Les obus n’obtiendraient de lui que son mépris, L’Allemagne appela la famine à son aide, Quand plusieurs étaient pris du goût de voyager, Toi qui dans ce moment étais à l’étranger, Chez des amis, avec une fille chérie, Dans un libre pays, au bord d’un lac divin, Pouvant vivre tranquille et manger à ta faim, Tu choisis de venir mourir pour la patrie. […] Être accusé de manquer de cœur est le sort commun de tous les artistes non effrontés, qui ne font pas de leur cœur métier et marchandise, et qui ne l’accommodent pas en mélodie pour piano ; peut-être faut-il qu’on soit resté simple et instinctif pour deviner l’être aimant et divinement tendre, en lisant le Triomphe de Pétrarque et l’héroïque Thermodon ; mais il me semble difficile que le premier venu puisse lire sans pleurer les strophes émues et déchirantes inspirées à Théophile Gautier par la mort de sa mère.

335. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Ce que tout le monde sait sur l’expression, et quelque chose que tout le monde ne sait pas » pp. 39-53

On vous annonce M. le marquis de Castries ; et voilà le bonnet relevé, la robe de chambre croisée ; mon homme droit, tous ses membres bien composés ; se maniérant, se marcélisant, se rendant très agréable pour la visite qui lui arrive, très maussade pour l’artiste. […] Je rajeunis de deux mille ans, pour vous exposer comment dans les temps anciens ces artistes influaient réciproquement les uns sur les autres, comment ils influaient sur la nature même, et lui donnaient une empreinte divine. […] Si notre religion n’était pas une triste et plate métaphysique ; si nos peintres et nos statuaires étaient des hommes à comparer aux peintres et aux statuaires anciens : j’entends les bons, car vraisemblablement ils en ont eu de mauvais et plus que nous, comme l’Italie est le lieu où l’on fait le plus de bonne et de mauvaise musique ; si nos prêtres n’étaient pas de stupides bigots ; si cet abominable christianisme ne s’était pas établi par le meurtre et par le sang ; si les joies de notre paradis ne se réduisaient pas à une impertinente vision béatifique de je ne sais quoi qu’on ne comprend ni n’entend ; si notre enfer offrait autre chose que des gouffres de feux, des démons hideux et gothiques, des hurlements et des grincements de dents ; si nos tableaux pouvaient être autre chose que des scènes d’atrocités, un écorché, un pendu, un rôti, un grillé, une dégoûtante boucherie ; si tous nos saints et nos saintes n’étaient pas voilés jusqu’au bout du nez ; si nos idées de pudeur et de modestie n’avaient proscrit la vue des bras, des cuisses, des tétons, des épaules, toute nudité ; si l’esprit de mortification n’avait flétri ces tétons, amolli ces cuisses, décharné ces bras, déchiré ces épaules ; si nos artistes n’étaient pas enchaînés et nos poètes contenus par les mots effrayants de sacrilège et de profanation ; si la Vierge Marie avait été la mère du plaisir ; ou bien, mère de Dieu, si c’eût été ses beaux yeux, ses beaux tétons, ses belles fesses qui eussent attiré l’Esprit Saint sur elle, et que cela fût écrit dans le livre de son histoire ; si l’ange Gabriel y était vanté par ses belles épaules ; si la Magdelaine avait eu quelque aventure galante avec le Christ ; si aux noces de Cana le Christ entre deux vins, un peu non-conformiste, eût parcouru la gorge d’une des filles de noces et les fesses de saint Jean, incertain s’il resterait fidèle ou non à l’apôtre au menton ombragé d’un duvet léger : vous verriez ce qu’il en serait de nos peintres, de nos poètes et de nos statuaires ; de quel ton nous parlerions de ces charmes qui joueraient un si grand et si merveilleux rôle dans l’histoire de notre religion et de notre Dieu, et de quel œil nous regarderions la beauté à laquelle nous devrions la naissance, l’incarnation du Sauveur, et la grâce de notre rédemption. […] Vous verrez l’affinité des idées opérer pareillement sur l’artiste, et attirer des accessoires tout contraires aux premiers.

336. (1874) Premiers lundis. Tome II « Henri Heine. De la France. »

L’écrivain allemand, qui résidait presque officiellement chez nous durant la Restauration (car à toutes les époques nous avons eu en France un écrivain allemand qui a résidé), M. le baron d’Eckstein, homme de grand savoir et d’une véritable étendue d’esprit, tenait tout à fait par ses études et ses liaisons au parti des Stolberg, des Frédéric Schlegel, des artistes et philosophes catholiques de son pays. […] Je crois que l’artiste ne peut trouver dans la nature tous ses types, mais que les plus remarquables lui sont révélés dans son âme comme la symbolique innée d’idées, et au même instant. » Et il ajoute avec justesse que Decamps a le droit de répondre au critique qu’il a été, en peignant, fidèle à la vérité fantastique, à l’intention d’un rêve, à la vision nocturne de ces figures sombres courant sur un fond clair. […] Ainsi que me le faisait remarquer un ami, homme d’esprit, Robert a recueilli d’abord en lui les figures que lui offrait la nature, et de même que les âmes ne perdent pas dans les feux du purgatoire leur individualité, mais seulement les souillures de la terre, avant de s’élever au séjour des heureux, ainsi ces figures ont été purifiées dans les flammes brûlantes du génie de l’artiste, pour entrer radieuses dans le ciel de l’art, où règnent encore la vie éternelle et l’éternelle beauté, où Vénus et Marie ne perdent jamais leurs adorateurs, où Roméo et Juliette ne meurent jamais, où Hélène reste toujours jeune, où Hécube au moins ne vieillit plus davantage. » Voilà de la critique certainement éloquente, et je crois, très judicieuse.

337. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Introduction » pp. 3-17

Taine, sorti de l’école historique, prétend réduire toutes les facultés d’un artiste à une seule faculté maîtresse, toutes les facultés maîtresses de tous les artistes d’un même peuple à une grande faculté générale qui sera, par exemple, le génie oratoire pour Rome, enfin les divers génies des peuples issus d’une souche commune à l’unité de la race, et ainsi, d’abstraction en abstraction, il raréfie la critique littéraire. […] On sait que, d’après cette théorie, le véritable artiste doit être possédé du diable, et si exclusivement dominé par son imagination, que tout l’équilibre de ses facultés en soit rompu.

338. (1767) Salon de 1767 « Les deux académies » pp. 340-345

Vous savez que nous avons ici une école de peinture, de sculpture et d’architecture dont les places sont au concours, comme devraient y être toutes celles de la nation, si l’on était aussi curieux d’avoir de grands magistrats que l’on est curieux d’avoir de grands artistes. […] Ce jour la place du louvre est couverte d’artistes, d’élèves et de citoyens de tous les ordres ; on y attend en silence la nomination de l’académie. […] Pigalle, le chapeau sur la tête et de son ton rustre que vous lui connaissez, s’adressa à un particulier qu’il prit pour un artiste et qui ne l’était pas, et lui demanda s’il était en état de juger mieux que lui ; ce particulier, enfonçant son chapeau sur sa tête, lui répondit qu’il ne s’entendait pas en bas-reliefs, mais qu’il se connaissait en insolens et qu’il en était un.

339. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Rome et la Judée »

L’antiquaire et l’artiste se combinaient en Champagny dans la mesure heureuse qui est une harmonie, et nous nous disions que, voué à l’histoire, il préciserait encore davantage par l’étude un talent déjà si précis et si net ; car les Césars sont plus peut-être de la numismatique historique que de la peinture. […] Ceci n’est plus, comme les Césars, artiste et inspiré, aussi piquant de science que de forme. […] Les plus grands artistes n’ont qu’un sentiment, qu’ils répètent sans cesse, qu’ils expriment toujours !

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