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559. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Bernardin de Saint-Pierre »

On glanerait également chez Boileau le petit nombre de vers qui peuvent passer pour des traits de peinture naturelle ; on ne trouverait guère que l’Épître à M. de Lamoignon, dans laquelle s’aperçoivent ces noyers, souvent du passant insultés, accompagnés de quelques frais détails, encore plus ingénieux que champêtres. […] Ceux qui se font de cette terre des espèces de limbes grises et froides, qui n’y voient que redoutable crépuscule et qu’exil, ceux-là peuvent y passer et en sortir sans même s’apercevoir, comme Philoctète au moment du départ, que les fontaines étaient douces dans cette Lemnos si longtemps amère. […] Mais, scientifiquement parlant, son point de vue n’était qu’un aperçu heureux, instantané, un ensemble mêlé de lueurs vraies et de jours faux, et d’où il ne pouvait sortir autre chose que la peinture même qu’il en offrait, et l’impression enthousiaste, affectueuse, qu’elle ferait naître. […] Je ne fais que rappeler tant de comparaisons, familières à l’auteur et éparses en toutes ses pages, de la solitude avec une montagne élevée, de la vie avec une petite tour, de la bienveillance avec une fleur, etc., etc. ; mais la plus illustre de ces images, et qui qualifie le plus magnifiquement cette partie du talent de Bernardin, est, dans la Chaumière, la belle réponse du Paria : « Le malheur ressemble à la Montagne-Noire de Bember, aux extrémités du royaume brûlant de Lahore : tant que vous la montez, vous ne voyez devant vous que de stériles rochers ; mais quand vous Êtes au sommet, vous apercevez le ciel sur votre tête, et à vos pieds le royaume de Cachemire. » Cela est aussi merveilleusement trouvé dans l’ordre des sentences morales, que Paul et Virginie dans l’ordre des compositions pastorales et touchantes.

560. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « III »

En terminant cet aperçu, qui sans doute a paru très long et qui pourtant est fort sommaire, on peut ajouter qu’il doit y avoir eu un événement historique, vers le septième ou le huitième siècle, en Brabant, accusation injuste portée contre une princesse, litige à propos d’un royal héritage, tranché par la venue soudaine d’un prince on d’un guerrier. […] Nous conseillons à nos lecteurs d’observer, à l’Opéra, les mouvements de bras d’un chanteur quelconque : ils s’apercevront combien cette coutume qui est transmise dans l’enseignement du Conservatoire par les anciens acteurs aux nouveaux23, est contraire à toute vérité et à tout naturel. […] Au milieu des clartés de l’aube, apparaît le territoire du Gral : on aperçoit une clairière au milieu de la forêt, comme au premier acte ; au fond monte la prairie ; une hutte adossée aux rochers révèle seule la désolation, tandis que la nature paraît joyeuse, dans son matin printanier. […] Ses mouvements sont d’une violence extrême ; peu à peu, on aperçoit son costume.

561. (1856) Mémoires du duc de Saint-Simon pp. 5-63

L’illusion était parfaite ; nous apercevions un monde sublime et pur. […] Le roi confère gravement, longuement, comme d’une affaire d’État, du rang des bâtards ; et pour établir ce rang, voici ce qu’on imagine : « Il faut donner à M. le duc du Maine « le bonnet comme aux princes du sang qui depuis longtemps ne l’est plus aux pairs, mais lui faire prêter le même serment des pairs, sans aucune différence de la forme ni du cérémonial, pour en laisser une entière à l’avantage des princes du sang qui n’en prêtent point ; et pareillement le faire entrer et sortir de séance tout comme les pairs, au lieu que les princes du sang traversent le parquet ; l’appeler par son nom comme les autres pairs, en lui demandant son avis, mais avec le bonnet à la main un peu moins baissé que pour les princes du sang qui ne sont que regardés sans être nommés ; enfin le faire recevoir et conduire en carrosse par un seul huissier à chaque fois qu’il viendra au Parlement, à la différence des princes du sang qui le sont par deux, et des pairs dont aucun n’est reçu par un huissier au carrosse que le jour de sa réception, et qui, sortant de la séance deux à deux, sont conduits par un huissier jusqu’à la sortie de la grande salle seulement. » N’allons pas plus loin : de 1689, on aperçoit 1789. […] Plus austère, plus fier, plus roide que ses contemporains, un peu antique comme Tacite, on apercevait en lui, avec le défenseur de l’aristocratie brisée, l’interprète de la justice foulée, et, sous les ressentiments du passé, les menaces de l’avenir. […] Les passions viles s’y étalent jusqu’à l’extrême ; du premier mot on y aperçoit tout l’homme ; ce n’est pas le mort que l’on pleure, c’est un pot-au-feu perdu.

562. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mémoires sur la mort de Louis XV »

Mais le roi n’en jugeait pas ainsi ; et, outre que l’habitude l’empêchait de s’apercevoir de cette importunité, qui aurait été pour tout autre insoutenable, l’inquiétude et la peur la lui rendaient précieuse. […] La famille royale, fort inquiète, était revenue après son souper voir le roi, et se préparait à rester tard dans la chambre à côté pour voir le commencement de la nuit, quand tout à coup la lumière, approchée du visage du roi sans la précaution ordinaire, éclaira son front et ses joues, où l’on aperçut des rougeurs. […] Leur espérance ou plutôt leur certitude d’une guérison prochaine ne tarda pas à s’évanouir, et ils s’aperçurent, après quelques moments de réflexion, qu’un vieillard de plus de soixante ans, qui a la petite vérole, ne se porte pas bien, et est dans quelque danger.

563. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mirabeau et Sophie. — I. (Dialogues inédits.) » pp. 1-28

Ce n’est là qu’un aperçu du monstre, comme Eschine disait de Démosthène ; mais il ne faut rien s’exagérer et ne pas faire comme les enfants qui se prennent au masque et s’y tiennent. […] Au milieu de tout cela, je m’aperçois que j’ai oublié de dire comment était Sophie, et de donner son portrait. […] Pourtant, quand on suit Sophie dans ses lettres manuscrites, on croit apercevoir qu’elle n’était guère au moral que ce que Mirabeau l’avait faite ; il l’avait élevée, il l’avait exaltée : lui s’éloignant, elle baisse, elle se rapetisse, elle tombe dans les misères et les mesquineries de ses alentours.

564. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1879 » pp. 55-96

Pas un de ces critiques ne semble s’apercevoir de l’originale chose essayée par moi dans ce livre, de la tentative faite pour émouvoir avec autre chose que l’amour, enfin de la substitution dans un roman d’un intérêt autre, que celui employé depuis le commencement du monde. […] On ne les voit, ces demoiselles, que de profil, et encore de profil perdu, et dans le plongeon que fait le torse de la première, pour une conversation, à voix basse, avec un sommelier, aux favoris diplomatiques, on aperçoit la plume de fer de la seconde courir sur les additions, avec le sautillement de doigts qui broderaient au tambour. […] et je n’y comprends rien, mais c’était comme ça… Il y a un moment dans le galop, où le pied gauche ne laissait plus de trace, ne laissait que cette petite marque presque invisible. » Et voilà l’original garçon, qui se met à parler du galop du cheval, avec une grande science, des aperçus nouveaux, des divagations amusantes, tout en me faisant passer sous les yeux des croquetons, où il s’est essayé à saisir la réalité du galop : « C’est le diable, vois-tu, cette jambe est vraie, et elle paraît bête, c’est juste et ça semble faux.

565. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre V. La parole intérieure et la pensée. — Premier problème : leurs positions respectives dans la durée. »

De deux choses l’une alors : ou ces deux pensées se confondent, et l’expression trouvée devient l’expression définitive d’une pensée mixte, incohérente ; — ou bien elles restent distinctes : c’est que l’esprit, sous le prétexte de comparer à sa pensée les termes qu’il a d’abord trouvés pour l’exprimer, compare deux pensées qu’il sait différentes par leur origine, et aperçoit ainsi les rapports et les différences de nature qu’elles peuvent présenter248. […] La vraie formule d’une idée, celle qui lui permettra de se répandre et de durer, est celle qui associera la destinée du groupe mental nouveau aux destinées de groupes plus simples solidement enracinés dans l’esprit, celle qui rattachera l’idée nouvelle aux habitudes les plus anciennes de l’intelligence comme une conséquence rigoureuse à des principes indiscutés ; chacun des termes de la formule doit donc réveiller une idée élémentaire bien connue, et leur agencement forcer l’esprit à apercevoir entre ces éléments un rapport plus ou moins imprévu ; ce rapport est l’invention même à laquelle il s’agit d’ouvrir les esprits rebelles et d’assurer l’avenir. […] II, p. 273) : « L’extrême clarté ne sert pas seulement à se faire bien entendre ; elle est aussi, comme la preuve d’une addition, la démonstration pour l’auteur lui-même qu’il ne se laisse pas entraîner par des aperçus confus.

566. (1767) Sur l’harmonie des langues, et en particulier sur celle qu’on croit sentir dans les langues mortes

Je ne doute pas qu’Anacréon ne fût en effet pour les Grecs un auteur charmant : mais je ne doute pas non plus que presque tout son mérite ne soit perdu pour nous, parce que ce mérite consistait sûrement presque en entier dans l’usage heureux qu’il faisait de sa langue ; usage dont la finesse ne saurait être aperçue par des yeux modernes. […] Mais, dit-on encore, nous nous apercevons que le latin du moyen âge est barbare. […] C’est comme si on disait : un étranger très médiocrement versé dans la langue française, s’apercevra aisément que le style de nos vieux et mauvais poètes n’est pas celui de Racine ; donc cet étranger sera en état de bien écrire en français.

567. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre vi »

Ils avaient souhaité, prêché le désarmement simultané des nations, et maintenant le tonnerre grondait, et ils s’apercevaient que leur internationalisme n’était pas pour tous les cas une solution à l’antinomie historique qui existe entre les peuples. […] Ayant aperçu l’ennemi, il tira tant qu’il eut des munitions ; au moment où il allait rejoindre ses camarades, une balle lui traversa la tête et blessa son lieutenant qui se trouvait à son côté. […] Ce ne sont plus là des réflexions de cabinet, des aperçus, des vues, des ingéniosités, mais bien des choses que cet homme a éprouvées avec tout son être.

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