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356. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 août 1885. »

Tannhaeuser et Lohengrin revenaient chaque quinzaine au répertoire ; la grâce exquise de madame Mallinger — elle jouait si bien qu’on ne s’apercevait pas qu’elle n’avait plus de voix — faisait accepter deux ou trois fois dans la saison les Maîtres chanteurs de Nuremberg ; mais l’année précédente, on n’avait pu exécuter que deux fois Tristan et Iseult, que le public habituel de l’Opernhaus trouvait trop long ; et, quant à la tétralogie, on en parlait comme d’une grosse erreur, à travers les opuscules de M.  […] À droite, sur la proche colline, j’aperçois la vaste façade claire. […] Dans la salle vaguement aperçue, tout à coup l’obscurité tombe, et un grand silence ; alors, en la nuit des yeux et des oreilles et de l’esprit, en la nuit vibrante des quinze cents âmes stupéfiées, un son naît, une résonnance voilée, une sonorité atténuée, emmêlée, dispersée, un mystique résonnement, — inlocalisable, — une intimement chaude mélodie, qui monte, qui s’enfle, et qui dans l’air invisible flotte, portant la pré-sensation des futurs tressaillements du Drame. — Ainsi le Drame se lève : — un rideau s’entrouvre, et, dans le fond, — saillant d’un cadre lointain, noir, obscur, vague, et indistinct, — un paysage apparaît, que nous attendions, et les hommes y sont, dont la vie, en nous inconsciemment vécue déjà, se va en nous revivre évidemment ; — tandis que, parmi l’angoisse des vivantes passions, des désespoirs, des joies, et des extases qui se poussent et s’appellent, parmi l’inéluctable empoignement des très réelles émotions, peu à peu nous descend, insensiblement et nécessairement, l’Explication, l’Idée, la Loi, le prodigieux troublement de l’Unité dernière, comprise. […] Dans l’ombre, on aperçoit le fleuve, au fond, et les rochers.

357. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Sieyès. Étude sur Sieyès, par M. Edmond de Beauverger. 1851. » pp. 189-216

La suite de ces réflexions écrites de 1772 à 1775 sur toutes les matières et sur tous les livres dont il s’occupe, qu’il réfute ou qu’il refait, sur Condillac, sur Bonnet, sur Helvétius, sur les économistes, demanderait une suite de chapitres, et je ne puis ici donner qu’un aperçu général. […] Mis en contact avec l’expérience, il fut prompt à se désabuser ; il avait, je l’ai dit, le sens juste, « des aperçus utiles et lumineux dans les crises les plus sérieuses » ; il en fit preuve aux moments les plus décisifs de la Révolution, là où il y avait place au conseil33. […] Sieyès n’en était pas à s’apercevoir pour la première fois de cette contradiction, et il commençait à se retrancher dans la méfiance qui était naturelle à son esprit34. […] Cet effet de nouvelles vérités a été frappant, et cependant il (Sieyès) l’a aperçu longtemps avant vous, et il a fermé sa main.

358. (1879) L’esthétique naturaliste. Article de la Revue des deux mondes pp. 415-432

Leur œil est fait de telle façon, leur sensibilité est exercée de telle sorte qu’ils voient uniquement certains faits, qu’ils reçoivent uniquement certaines impressions, et j’accorderai volontiers qu’ils sont parfaitement sincères et qu’il ne dépend pas d’eux de considérer autrement et le monde, et la vie ; ils imaginent de la meilleure foi possible que la nature est exactement telle qu’elle leur apparaît et que rien n’existe en dehors de ce qu’ils aperçoivent. […] Au bruit le mari est accouru : il aperçoit ce cadavre, il aperçoit celui de sa femme, il comprend tout, et se suicide. […] Pourquoi se boucher volontairement, en face de la réalité, un des deux yeux, celui qui apercevrait la vertu à côté du vice ?

359. (1890) L’avenir de la science « Sommaire »

Il ne peut apercevoir les fines vérités. […] Les résultats de la critique ne se prouvent pas, mais s’aperçoivent.

360. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXII » pp. 222-236

Le grand Alcandre, pour avoir le plaisir de voir madame de Montespan, allait plus souvent chez madame de La Vallière, et madame de La Vallière, se faisant l’application de ces nouvelles assiduités, en aimais davantage encore madame de Montespan… Mais enfin… elle s’aperçut bientôt de la vérité… elle se plaignit au grand Alexandre, qui lui dit qu’il était de trop bonne foi pour l’abuser davantage ; qu’il aimait madame de Montespan ; mais que cela n’empêchait pas qu’il ne l’aimait comme il devait, et qu’elle devait se contenter de ce qu’il faisait pour elle… Nouveaux pleurs, nouvelles plaintes… Mais le grand Alcandre n’en étant pas plus attendri, lui dit une seconde fois que si elle voulait qu’il continuât de l’aimer, elle ne devait rien exiger de lui au-delà de sa volonté ; qu’il désirait qu’elle vécût avec madame de Montespan comme par le passé, et que si elle témoignait la moindre chose de désobligeant à cette dame, elle l’obligerait à prendre des mesures. […] Voltaire l’indique à l’année C’est plus de deux ans trop tard, « Dès l’an 1669, dit-il, madame de La Vallière s’aperçut que madame de Montespan prenait de l’ascendant sur le roi. » Si la liaison du roi avec madame de Montespan n’avait commencé qu’en cette année, deux événements principaux de la période que nous parcourons, perdraient leur caractère et leur importance, savoir : la maladie dont est morte madame de Montausier, et la représentation de l’Amphitryon de Molière.

361. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXIII. Henry Gréville »

J’avais lu tous ses autres romans et jusque dans la princesse Oghérof, je n’avais trouvé qu’un talent de femme, tout en récit, sans aperçu jamais, à côté, comme dans Mme de Staël qui foisonne, elle, d’aperçus !

362. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Sophie Arnould »

La Correspondance que voici l’atteste et ils ne s’en aperçoivent pas ! […] Elle est morte en radotant de sa misère et dans l’écroulement complet, définitif, de l’être entier… Cette courtisane exceptionnelle, qui avait le génie du mot, de l’aperçu, de la répartie, et qui régnait sur la pensée autant que sur les sens des hommes, est morte aussi bête que les autres courtisanes vivent !

363. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Valmiki »

Vous pouvez tourner les pages du Ramayâna les unes après les autres, et vous n’en trouverez pas une seule qui rappelle en énergie et en vérité l’épisode du Koran, par exemple, où les amies de la femme de Putiphar, qui ont commencé à blâmer l’amour honteux de la belle égyptienne pour son esclave, ne s’aperçoivent pas qu’elles se coupent les doigts avec leurs couteaux, dans leurs rêveries, en le regardant servir à table, affolées qu’elles sont déjà de l’éclatante beauté de Joseph. […] En imagination, en invention poétique, comme en raison, en aperçus, en déductions, le génie oriental arrive au nihilisme de tous les côtés à la fois, et le ballon de la supériorité indienne crève enfin jusque sous les lèvres qui avaient le plus d’intérêt à le gonfler !

364. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Léon Aubineau. La Vie du bienheureux mendiant et pèlerin Benoît-Joseph Labre » pp. 361-375

Et cet enfant était la perle qui devait rouler sur le fumier du siècle, sans que le fumier s’en aperçut ; et celui de ce temps-ci ne s’en apercevrait pas davantage, si l’Église, de sa main maternelle, ne l’eût pas ramassée, cette perle, et ne l’eût mise à sa couronne.

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