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516. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXe entretien. Œuvres diverses de M. de Marcellus (3e partie) et Adolphe Dumas » pp. 65-144

Les animaux aiment ce qui est fort et doux ; la franchise de l’accent les étonne et les émeut ; ils ont le tympan sensible et juste. […] Car les animaux, Madame, dit-il à ma femme, c’est un grand et doux mystère ! […] … — Je ne dis pas non, répondis-je ; aussi, voyez comme les animaux les redoutent.

517. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1864 » pp. 173-235

Il trouve qu’on s’est trompé sur ces peuples… que leur douceur pour les animaux n’est pas venue de la métempsycose ; bien au contraire, c’est elle, la métempsycose, qui vient de cette douceur : « Ce n’est pas leur foi, dit-il, qui a fait leur cœur, c’est leur cœur qui a fait leur foi !  […] Elle urine debout à la façon les animaux, et devant vous. […] 14 décembre Une fable me rappelle toujours ces scènes d’animaux empaillés : un duel de grenouilles, une guenon à sa toilette, — qui sont chez les naturalistes.

518. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1868 » pp. 185-249

Presque aussitôt un tigre se décide à entrer, mais l’autre, flairant longuement le plancher et reniflant la prison, buté devant la loge, rappelle l’autre dans la langue qu’ont les animaux entre eux, et tous deux après une terrible passe de leurs formidables pattes, se refusent à sortir, la gueule et l’œil retournés vers le vert du jardin et la liberté du ciel. […] L’homme de la Haute-Marne, le paysan épais et retors, aux petits yeux des animaux qu’il émasculait, est là, avec son fils à l’air d’un Jeannot de village, et sa femme tout en noir, de ce noir roux des vieilles tentures des Pompes funèbres, enserrant l’argent, qu’elle a l’air de couver entre ses cuisses, dans un sac de cuir. […] Nous avions assez de cette douche écossaise d’imbécile, mélangée de chaud et de froid, d’insolence inconsciente et de compliments grossiers, assez de cet entrepreneur routinier, faisant dans sa détresse un coup de tête, et voulant jouer un va-tout sur notre nom, mais tout ahuri, mais tout dépaysé de ne pas rencontrer son Bouchardy, son Dennery, dans une pièce de nous ; et nous trouvions vraiment ironique d’entendre cet homme, si près de sa faillite, parler de son public, ce public qui siffle au Châtelet, tout ce que cet animal de directeur « intelligent » s’échigne à lui choisir.

519. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre onzième. La littérature des décadents et des déséquilibrés ; son caractère généralement insociable. Rôle moral et social de l’art. »

Ils ont ce quelque chose de farouche et de sauvage que présentent les malades chez toutes les espèces animales. […] La cité aristocratique de l’art, au dix-huitième siècle, admettait à peine dans son sein les animaux ; elle en excluait presque la nature, les montagnes, la mer. On se rappelle le jugement sommaire porté par Vauvenargues et, avec lui, par tout le dix-huitième siècle sur La Fontaine, ce représentant unique, au siècle précédent, de la vie animale, de la nature et presque du naturel : « Il n’a écrit ni dans un genre assez noble ni assez noblement. » L’art, de nos jours, est devenu de plus en plus (démocratique, et il a fini même par préférer la société des vicieux à celle des honnêtes gens.

520. (1894) Textes critiques

C’est l’œuvre de Dieu qui reste statue, âme sans mouvements animaux, toile ou liège où l’artiste pique et collectionne le vol arrêté d’une des faces du phare tournant. […] L’animal, chrétiennement laid (il n’a pas notre âme), s’élève jusqu’à l’homme quand il l’accompagne emblématique. […] Ceci n’est comparable qu’à là minéralité du squelette dissimulé sous les chairs animales, dont on a de tout temps reconnu la valeur tragi-comique.

521. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIIe entretien. I. — Une page de mémoires. Comment je suis devenu poète » pp. 365-444

« Il y a quelques lois relatives aux cris des animaux, qui, ce nous semble, n’ont point encore été observées, et qui mériteraient bien de l’être. […] Enfin presque tous les animaux qui vivent de sang ont un cri particulier, qui ressemble à celui de leurs victimes. […] Bientôt nous sourîmes de nouveau aux suaves peintures de l’industrie des oiseaux, si supérieurement décrite depuis par Audubon, Wilson, Toussenel, madame Michelet, ces historiographes de l’intelligence et de l’amour des animaux.

522. (1926) L’esprit contre la raison

D’ailleurs, si nul ne peut même songer à en vouloir aux beaux animaux de sang assez riche, de chair assez confusément opulente pour opposer une tête et un corps en toute spontanéité victorieux des pièges sentimentaux et des méchancetés de l’intelligence, quel moyen d’accepter les calembredaines et syllogismes truqués des anémiques, sots et pédants qui, à grand fracas, se réclament de civilisationl, parlent avec ostentation de vie morale et, en fait, se contentent d’user de principes à double fond pour composer un bonheur dont la source n’a point jailli de ce morceau d’eux-mêmes où il eût été, sinon héroïque, du moins décent qu’ils tentassent de la faire sourdre. […] Le culte des apparences, les préoccupations techniques certes étaient moins angoissantes et nous savons très bien comment, à l’exemple de tel ou tel animal qui peut tomber en sommeil s’il regarde longtemps un point fixe, les réalistes d’une part et, à leur suite, les esthètesac qui n’avaient d’yeux que pour les attitudes, d’oreilles que pour les mots, d’attention que pour les objets, ne se dédiaient ainsi à tout cet attirail que par un confus mais réel désir de somnolence. […] Il n’endort pas ses fauves pour jouer au dompteur mais, toutes cages ouvertes, clés jetées au vent, il part, voyageur qui ne pense pas à soi mais au voyageck, aux plages de rêves, forêts de mains, animaux d’âme, à toute l’indéniable surréalité.

523. (1899) Arabesques pp. 1-223

Plutôt que de considérer les animaux et les fleurs comme les symboles baroques d’une doctrine de souffrance et de mort, aime-les pour eux-mêmes, étudie-les : leurs formes, leurs fonctions, leur beauté t’en apprendront plus long sur l’univers que les catéchismes et les missels. […] Il arriverait que l’humanité dégénérerait, ne lutterait plus pour vivre et serait primée ou détruite par une autre espèce animale. […] Et l’homme pourra se dire libre seulement le jour où, ayant oublié le sens des mots, gain, spéculation, rente, il deviendra un bel animal, sans foi ni loi, jouissant de la vie dans la plénitude de ses fonctions, heureux du bonheur d’autrui comme de son propre bonheur. […] Est-ce que ce n’est pas, au contraire, par l’association, et non par l’antagonisme des individus, que l’humanité est arrivée à se différencier de plus en plus des animaux ? […] Passe pour l’être est de moi, car Nietzsche ne met pas en doute la supériorité de l’homme sur les animaux.

524. (1886) Le roman russe pp. -351

Endurcis par l’habitude, les mots de la langue rudoient ou caressent les pauvres serfs comme on fait pour les petits des animaux ; mais, sous le ton familier, on sent la tendresse émue de l’écrivain. […] Le point mis en lumière, dans ce récit comme dans presque tous les autres, c’est la résignation stoïque, un peu animale, de ce paysan russe toujours préparé à tout souffrir. […] … C’est un animal sauvage, et, vous et moi, nous sommes des animaux apprivoisés. » Cette comparaison fait apercevoir, mieux qu’un volume de dissertations, la nuance qui sépare le nihilisme russe des maladies mentales similaires dont l’humanité a souffert, depuis les jours de l’Ecclésiaste jusqu’à nos jours. […] Quand les fils de Bazarof feront « de la propagande par le fait », ils sembleront tout pareils à nos révolutionnaires d’Occident ; regardez de près, vous retrouverez la nuance entre l’animal sauvage et l’animal apprivoisé. […] Effacez un seul trait du tableau, ce mépris de tout ce que nous vénérons, cette inhumanité, nous paraîtront intolérables ; chez l’animal apprivoisé, ce serait perversion, oubli des règles apprises ; chez l’animal sauvage, c’est instinct, révolte native ; l’auteur désarme habilement notre morale devant cette victime de la fatalité, ce cerveau envahi trop brusquement par la science comme par une apoplexie.

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