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825. (1924) Critiques et romanciers

La barbarie n’est pas un état ancien, périmé, aboli, de l’humanité, mais un état permanent. […] Maintes pages qu’il a ainsi transportées de l’ancien manuscrit au livre nouveau sont à peine modifiées. […] Elle fleure l’ancienne France, que veuille perpétuer la nouvelle ! […] Rondeau, la bonté même ; et une ancienne danseuse, Mlle Stéphanie Lechevalier, la bonté même. […] Rondeau, une ancienne danseuse plus recommandable que Mlle Stéphanie.

826. (1882) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Deuxième série pp. 1-334

Ennemis des anciens, il importait à ces hommes d’esprit, de trop d’esprit peut-être, que les modernes, selon le mot de Pascal, fussent les anciens, en littérature comme en art, et qu’encore que Chapelain fût un peu au-dessous d’Homère, cependant « le fonds de l’esprit humain fût allé toujours croissant parmi les hommes ». […] Le grand effort est fait, et visiblement il suffira de quelques coups pour jeter bas ce qui subsiste encore de l’ancienne société française. […] On en a de plus anciens, contenant plus au long ce que j’appellerai la justification et la raison d’eux-mêmes. […] Qu’on le regrette, et qu’on ne se console pas plus de l’avoir vu disparaître que d’avoir vu passer les élégances et les raffinements d’ancienne cour, j’y consens. […] La mort de Mme d’Épinay, qui survint en 1783, mit un terme, pour ainsi dire, aux relations de Galiani avec ses anciens amis et avec la France.

827. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIIe entretien. Vie et œuvres du comte de Maistre » pp. 393-472

Ce bonheur se lisait sur son visage épanoui sous ses cheveux blancs comme un soleil d’automne sur la neige ; il était gai, content, reposé sans prétention et nullement sans charme, toujours prêt à fournir l’occasion de la réplique à ses frères pour les faire briller en s’éclipsant, parlant du comte comme d’un ancien, de l’abbé comme d’un saint, de Xavier comme du Benjamin absent et regretté de la tribu. […] s’écrièrent l’ancien régime, l’ancienne politique, l’ancienne aristocratie, l’ancienne foi. […] L’adorateur inflexible de l’ancien régime n’y disparaît pas moins sous l’adorateur de la victoire révolutionnaire, quand la victoire révolutionnaire donne une chance à la fortune de son parti. […] La légitimité est son principe, l’ancien régime est son dogme ; les Bourbons, solidaires, selon lui, de la maison de Savoie, sont ses dieux terrestres ; il a un culte pour leurs malheurs, il a une correspondance avec leur chef Louis XVIII. […] Il n’y a certainement qu’un usurpateur de génie qui ait la main assez ferme et même assez dure pour rétablir… Laissez faire Napoléon… Ou la maison de Bourbon est usée et condamnée par un de ces jugements de la Providence dont il est impossible de se rendre raison, et, dans ce cas, il est bon qu’une race nouvelle commence une succession légitime, etc. » On voit avec quelle souplesse de logique le fidèle de l’ancien régime se convertit aux volontés de la Providence et les justifie même contre son propre dogme.

828. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — I » pp. 236-253

Au moment de la conversion de Henri IV, Charron pensa qu’il était bon et opportun de publier une réfutation de cet ancien traité, et qui fût en même temps une exhortation claire et démonstrative, une sorte de manifeste résumant le vœu de tous les bons Français et leur désir de voir les principaux compagnons du roi de Navarre imiter l’exemple de leur roi. […] Tout ce qu’il dit contre l’esprit d’opiniâtreté et de nouveauté qui fait les sectes est encore excellent à lire ; il disait, par exemple : Je voudrais que tous ces remueurs de ménage et troubleurs de l’ancienne religion, qui se disent chrétiens et tenir leur religion du ciel, considérassent bien ce que dit Plutarque de la religion de son temps, vaine et humaine : Ceux, dit-il, qui mettent en doute les opinions de la religion me semblent toucher une grande, hardie et dangereuse question ; car l’ancienne et continuelle foi et créance qui nous est témoignée par nos ancêtres nous devrait suffire, étant cette tradition le fondement et base de toute religion ; et si la fermeté de la créance venue de main en main vient à être ébranlée ou remuée en un seul point, elle devient suspecte et douteuse en tous les autres […] [NdA] Il y aurait aussi à voir si du Vair et Charron, se rencontrant si bien, n’ont pas sous les yeux un même auteur et exemplaire ancien qu’ils traduisent.

829. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — I » pp. 298-315

Il était de fière et forte race, descendant des anciens ducs et rois de Bretagne, allié et apparenté aux principales maisons souveraines : « Je me contenterai, écrit à ce sujet un de ses anciens biographes, de dire seulement une chose assez belle et assez particulière, c’est qu’en quelque lieu de l’Europe qu’il allât, il se trouvait parent de ceux qui y régnaient. » On sait le mot de sa sœur répondant à une déclaration galante de Henri IV : « Je suis trop pauvre pour être votre femme, et de trop bonne maison pour être votre maîtresse. » Né au château de Blein en Bretagne en 1579, Henri de Rohan, l’aîné de sa famille, fut donc élevé avec de grands soins par sa mère veuve, Catherine de Parthenay, qui mit de bonne heure sur lui son orgueil et ses espérances. […] On ajoute qu’il méprisait les langues anciennes, latin et grec ; il était avide des choses plus que des mots. Toutefois il ne lui eût pas nui de savoir du latin, et il en eût fait son profit, puisqu’il aime à étudier les auteurs anciens et à commenter César, dont il se fera en ses loisirs une sorte de bréviaire.

830. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. Suite et fin. » pp. 73-95

Il y a loin de là à ce siège en règle, monumental, classique, à ce siège modèle qu’a imaginé l’auteur de Salammbô, afin de se donner l’occasion d’énumérer toutes les machines de guerre, tous les instruments de balistique de l’ancien corps du génie, et de nous peindre l’effroi des Carthaginois « quand ils aperçurent, venant droit vers eux, comme des monstres et comme des édifices, avec leurs mâts, leurs bras, leurs cordages, leurs articulations, leurs chapiteaux et leurs carapaces, les machines de siège qu’envoyaient les villes tyriennes : soixante carrobalistes, quatre-vingts onagres, trente scorpions, cinquante tollénones, douze béliers, etc. » Évidemment l’auteur s’amuse. […] Mais, en attendant, et à part toute discussion, pourquoi, dans ce ramas d’hommes de guerre et d’assiégeants, l’auteur n’a-t-il pas eu l’idée de nous faire rencontrer un Grec, un seul, animé de l’esprit de Gélon, un disciple, par la pensée, des Xénophon, des Aristote, des anciens sages de son pays, un jeune Achéen contemporain d’Aratus, ayant déjà en soi le germe des sentiments humains de Térence, ayant lu Ménandre, et qui, fourvoyé dans cette affreuse guerre, la jugeant, sentant comme nous et comme beaucoup d’honnêtes gens d’alors en présence de ces horreurs, nous aiderait peut-être à les supporter ? […] A voir le luxe de déguisements mythologiques où elle s’enveloppe, et le peu d’analyse morale qui la concerne, on se reprend à admirer, à chérir d’autant plus ces aimables et touchants anachronismes des anciens poètes, de ceux qui ont dépeint des reines carthaginoises ou des magiciennes de Colchide, et qui nous les ont montrées dévorées d’amour. […] Et Montesquieu, dans ces sortes déconsidérations, nous représente de plus anciens que lui.

831. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Études de politique et de philosophie religieuse, par M. Adolphe Guéroult. »

Amis de l’ancien régime et partisans du droit divin, qui en étiez venus, en désespoir de cause, à préconiser le suffrage universel ; à qui (j’aime à le croire) la conviction était née à la longue, à force de vous répéter, et qui vous montrez encore tout prêts, dites-vous, mais moyennant, j’imagine, certaine condition secrète, à embrasser presque toutes les modernes libertés ; — partisans fermes et convaincus de la démocratie et des principes républicains, polémistes serrés et ardents, logiciens retors et inflexibles, qui, à l’extrémité de votre aile droite, trouvez moyen cependant de donner la main parfois à quelques-uns des champions les plus aigris de la légitimité ; — amis du régime parlementaire pur, et qui le tenez fort sincèrement, nonobstant tous encombres, pour l’instrument le plus sûr, le plus propre à garantir la stabilité et à procurer l’avancement graduel de la société ; — partisans de la liberté franche et entière, qui ne vous dissimulez aucun des périls, aucune des chances auxquelles elle peut conduire, mais qui virilement préférez l’orage même à la stagnation, la lutte à la possession, et qui, en vertu d’une philosophie méditée de longue main dans sa hardiesse, croyez en tout au triomphe du mieux dans l’humanité ; — amis ordinaires et moins élevés du bon sens et des opinions régnantes dans les classes laborieuses et industrielles du jour, et qui continuez avec vivacité, clarté, souvent avec esprit, les traditions d’un libéralisme, « nullement méprisable, quoique en apparence un peu vulgaire ; — beaux messieurs, écrivains de tour élégant, de parole harmonieuse et un peu vague, dont la prétention est d’embrasser de haut et d’unir dans un souple nœud bien des choses qui, pour être saisies, demanderaient pourtant à être serrées d’un peu plus près ; qui représentez bien plus un ton et une couleur de société, des influences et des opinions comme il faut, qu’un principe ; — vous tous, et j’en omets encore, et nous-mêmes, défenseurs dévoués d’un gouvernement que nous aimons et qui, déjà bon en soi et assez glorieux dans ses résultats, nous paraît compatible avec les perfectionnements désirables ; — nous tous donc, tous tant que nous sommes, il y a, nous pouvons le reconnaître, une place qui resterait encore vide entre nous et qui appellerait, un occupant, si M.  […] Michel Chevalier a faite en sa qualité de président pour le Rapport du jury français sur l’Exposition de Londres en 1862, je suis frappé de la ressemblance et presque de l’identité des idées et du programme avec ces anciens articles du Globe qui pouvaient sembler comme un feu d’artifice continu : c’est la même pensée, c’est la même devise ; mais les moyens d’exécution sont autres et plus étudiés. […] Littré dont les opinions philosophiques sont connues, et qui est un disciple de Condorcet autant que d’Auguste Comte, de rendre justice à son aise et en toute conscience, comme il le fait dans le Journal des Savants, aux travaux historiques de MM. de Montalembert et Albert de Broglie, traitant des vieux siècles religieux, si ce n’est en vertu de ce notable changement intellectuel qui vint affranchir l’ancien libéralisme de ses préjugés exclusifs, et qui éleva et étendit tous les points de vue ? […] Il a vu bien des pays, et il est avant tout un homme de bon sens, qui a gardé, je ne dis pas de son utopie première, mais de son ancienne religion, une faculté qui lui permet de sortir des classifications routinières et des compartiments convenus.

832. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Œuvres de M. P. Lebrun, de l’Académie française. »

De nouveaux noms de poètes se lèvent et scintillent sur bien des points, un peu confusément et au hasard, sans prééminence d’aucun ; il serait prématuré et téméraire d’entreprendre de les classer ; mais, en première ligne désormais, le dernier et le plus jeune d’entre les anciens, se détache et brille un rare talent, une muse charmante, capricieuse, colorée de tous les tons, philosophique aussi à sa manière, et qui n’a pas encore reçu les couronnes qui lui sont dues : tous ceux qui aiment l’art et qui apprécient le style ont nommé Théophile Gautier. […] Il est bien, en effet, un poète de transition et de l’époque intermédiaire, en ce sens qu’il unit en lui plus d’un ton de l’ancienne école et déjà de la nouvelle : tantôt, dans ses épîtres familières, il rappelle le bon Ducis, également touchant et familier ; tantôt, dans ses petites odes gracieuses, il semble se rattacher et donner la main à Fontanes finissant ; tantôt, dans ses stances méditatives ou ses effusions patriotiques, on dirait qu’il ne fait que côtoyer et doubler Lamartine qui prélude, ou Casimir Delavigne qui commence : tous ces accents divers, ces notes de plus d’un genre se rencontrent tour à tour et naturellement, sans disparate, dans les vers de M.  […] Ce qu’on doit dire à l’honneur de ces poésies anciennes nouvellement publiées, c’est qu’elles ne paraissent nullement surannées ni hors de saison ; elles ont gardé de la fraîcheur encore, parce que le sentiment en fut vrai et sincère. […] J’avais meublé, dans la tour de l’Aigle, une chambre à arceaux et à vaste cheminée, avec de grands fauteuils de tapisserie et des tapis à verdure et à personnages, dans le style des vieux temps, et pour ressembler aux anciens maîtres.

833. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet »

Comme un bon nombre de ses collègues, il arrivait à cette assemblée déjà mûr et tout formé par l’ancien régime pour le nouveau. […] Malouet eut fort à se louer, en cette circonstance, du comte de Broglie, l’ancien correspondant de Louis xv, caractère passionné, âme ferme, et qui se fit spontanément l’avocat et le champion de l’honnête homme calomnié. […] Le xviiie  siècle, à cette fin d’ancien régime, ôtait l’âge d’or des contradictions et des inconséquences ; mais n’y a-t-il que le xviiie  siècle qui soit ainsi ? […] Je tire d’un des premiers mémoires qu’il composa pour un des comités de l’Assemblée cette page curieuse, qui se rapporte à son intendance de Toulon, et qui achève de nous édifier sur ce que c’était que l’ancien régime, confié même aux meilleures mains : « J’ai quatre-vingts commis sous mes ordres qui travaillent du matin au soir ; ils expédient annuellement pour le ministre plus de vingt rames de papier ; ils tiennent plus de quatre cents registres et plus de huit cents rôles.

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