Isidore Geoffroy Saint-Hilaire s’est occupé avec étendue de Buffon ; une comparaison qu’il établit de l’éloquent historien de la nature avec Linné, et où il marque vivement les contrastes des deux génies, se termine en ces termes : Linné, un de ces types si rares de la perfection de l’intelligence humaine, où la synthèse et l’analyse se complètent dans un juste équilibre, et se fécondent l’une l’autre : Buffon, un de ces hommes puissants par la synthèse, qui, franchissant d’un pied hardi les limites de leur époque, s’engagent seuls dans les voies nouvelles, et s’avancent vers les siècles futurs en tenant tout de leur génie, comme un conquérant de son épée !
Un des derniers numéros du Bulletin du bibliophile (janvier et février 1854) contient une analyse complète et détaillée, qu’a faite M. le vicomte de Gaillon, du poème de d’Aubigné, Les Tragiques, poème si dur à lire d’un bout à l’autre et dont on ne cite d’ordinaire que des fragments.
Ainsi échouent, disait-il encore en y revenant après bien des années, et non toutefois sans quelque amertume, ainsi échouent les plus nobles entreprises, conçues par une minorité éclairée et généreuse qui a oublié de regarder sur ses derrières, a compté les hommes au lieu de les peser, et ne sait pas qu’en dernière analyse les nations ne seront jamais gouvernées que comme elles sont faites.
Pour essayer moi-même d’appliquer quelque analyse ou de rattacher quelques observations à ces lettres, je choisirai celles qu’il a écrites à la comtesse de Grammont, l’une de ses premières maîtresses, et qui sont certainement tout entières de sa façon.
Pourquoi traduire partout en un calcul sec et ne présenter qu’après dépouillement et analyse ce qui est souvent le fruit vivant, et non cueilli encore, de l’organisation humaine, variée à l’infini et portant ses rameaux jusque vers les cieux ?
ce seul nom cependant est si beau, et la chose en elle-même si digne d’envie ; elle est si chère à ceux qui l’ont adoptée à l’heure où l’on croit et où l’on aime, et qui sont restés fidèles à ce premier idéal trop souvent brisé ; elle a été tellement notre rêve à tous, notre idole dans nos belles années ; elle répond si bien, jusque dans son vague, aux aspirations des âmes bien nées et trouve si bien son écho dans les nobles cœurs, qu’on hésite à venir y porter l’analyse, à la vouloir examiner et décomposer.
Je ne puis pousser plus loin ces analyses sans m’oublier tout à fait, et sans oublier aussi que j’aurais, si la place m’était accordée ; à prendre plus souvent M. de Belloy à partie et à lui dire, sur sa propre traduction : « Ceci est bien, ceci est heureux et élégant ; mais, à côté, ne trouvez-vous pas… ?
Ce qu’on appelle instinct et qui semble à d’autres d’une portée infaillible ne trompe pas mon sage ; il y applique son analyse ; il en démêle le principe et le jeu ; il s’en rend compte d’après les lois de l’optique morale.
On n’analyse pas un livre aussi nourri et aussi dense ; j’en ai seulement indiqué l’esprit.