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1513. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame de Créqui »

Si, de son vivant, quelque ami littéraire lui avait exposé la théorie de son historien futur, elle l’eût bientôt coupé en quatre, comme dit Sainte-Beuve, avec un de ces mots comme il en bondissait de son esprit, puis elle aurait tourné sur les hauts talons de ses mules, et tous ceux qui aiment la grâce même dans l’impertinence, lui auraient pardonné. […] — une mère avec d’aimables filles qui paraîtront presque ses sœurs, un cercle de jeunes femmes amies honnêtement enjouées… partout où il y aura de l’aisance, de l’instruction, de la culture, des mœurs sans maussaderie avec le désir de plaire », la bonne compagnie recommencera et l’atticisme sortira de ses cendres.

1514. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Hoffmann »

Champfleury, qui méprise la Critique et qui n’a de formes solennelles et superbes que quand il parle à Courbet (voir la lyrique préface de son volume : « À mon vaillant ami Courbet !  […] … Champfleury s’est beaucoup débattu pour répondre à ceux qui prétendent qu’Hoffmann n’a pas le sens humain, et, par une confusion que nous voulons bien croire sincère, le dévoué raisonneur a cité les lettres plus ou moins sentimentales de l’auteur allemand à ses amis, comme s’il s’agissait de la moralité de la vie et non pas de la nature du talent !

1515. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « José-Maria de Heredia »

L’ami de Cortez n’était pas l’ami de saint Louis, et Joinville est le saint Jean Évangéliste de ce saint Roi, en Notre Seigneur Jésus-Christ.

1516. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XIX. Panégyriques ou éloges composés par l’empereur Julien. »

Il dédaigne les richesses qui ne sont que de l’or ; les siennes sont des amis qui l’aiment sans feinte, et qui le servent sans le flatter. […] En vain ses parents, ses amis et ses proches lui demanderaient d’immoler la loi à leurs intérêts ; l’État est sa première famille.

1517. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXIV. Siècles de barbarie. Renaissance des lettres. Éloges composés en latin moderne, dans le seizième et le dix-septième siècles. »

On peut lui reprocher, sans doute, de n’avoir pas en assez d’austérité dans ses mœurs, et sa cour était plus celle d’un prince que d’un pontife ; mais le protecteur de Raphaël, de Michel-Ange et du Bramante, l’ami du Trissino et du Bembo, celui qui cultiva les lettres en homme de goût, et sut les protéger en souverain, mérita l’honneur des éloges publics. […] Amie et disciple de Descartes, liée avec tous les savants de l’Europe, mécontente des intrigues et des petites passions qui trop souvent entourent les princes, on sait combien elle mettait l’art de s’éclairer, au-dessus des étiquettes et des cérémonies des cours.

1518. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXX. De Fléchier. »

Fléchier avait été l’ami du duc de Montausier : « Ne craignez pas, dit-il, que l’amitié ou la reconnaissance me prévienne ; vous savez que la flatterie jusqu’à présent n’a pas régné dans mes discours. […] Ne pouvant encore s’autoriser contre l’usage, il fit connaître à ses amis qu’il allait à l’armée faire sa cour qu’il lui coûtait moins d’exposer sa vie que de dissimuler ses sentiments, et qu’il n’achèterait jamais ni de faveurs, ni de fortune aux dépens de sa probité. » Je pourrais encore citer d’autres endroits qui ont une beauté réelle ; mais le discours en général est au-dessous de son sujet ; on y trouve plus d’esprit que de force et de mouvement ; on s’attendait du moins à trouver quelques idées vraiment éloquentes sur l’éducation d’un dauphin, sur la nécessité de former une âme d’où peut naître un jour le bonheur et la gloire d’une nation ; sur l’art d’y faire germer les passions utiles, d’y étouffer les passions dangereuses, de lui inspirer de la sensibilité sans faiblesse, de la justice sans dureté, de l’élévation sans orgueil, de tirer parti de l’orgueil même quand il est né, et d’en faire un instrument de grandeur ; sur l’art de créer une morale à un jeune prince et de lui apprendre à rougir ; sur l’art de graver dans son cœur ces trois mots, Dieu, l’univers et la postérité, pour que ces mots lui servent de frein quand il aura le malheur de pouvoir tout ; sur l’art de faire disparaître l’intervalle qui est entre les hommes ; de lui montrer à côté de l’inégalité de pouvoir, l’humiliante égalité d’imperfection et de faiblesse ; de l’instruire par ses erreurs, par ses besoins, par ses douleurs même ; de lui faire sentir la main de la nature qui le rabaisse et le tire vers les autres hommes, tandis que l’orgueil fait effort pour le relever et l’agrandir ; sur l’art de le rendre compatissant au milieu de tout ce qui étouffe la pitié, de transporter dans son âme des maux que ses sens n’éprouveront point, de suppléer au malheur qu’il aura de ne jamais sentir l’infortune ; de l’accoutumer à lier toujours ensemble l’idée du faste qui se montre, avec l’idée de la misère et de la honte qui sont au-delà et qui se cachent ; enfin, sur l’art plus difficile encore de fortifier toutes ces leçons contre le spectacle habituel de la grandeur, contre les hommages et des serviteurs et des courtisans, c’est-à-dire contre la bassesse muette et la bassesse plus dangereuse encore qui flatte.

1519. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon » pp. 423-461

Dès le lendemain de la bataille de Nerwinde (juillet 1693) à laquelle il prend part comme capitaine dans le Royal-Roussillon, il en fait un bulletin détaillé pour sa mère et quelques amis. […] Lorsque la guerre de la Succession commença (1702), voyant de nouvelles promotions se faire, dans lesquelles figuraient de moins anciens que lui et y étant oublié, il songea à se retirer du service, consulta plusieurs amis, trois maréchaux et trois hommes de Cour, et sur leur avis unanime « qu’un duc et pair de sa naissance, établi d’ailleurs comme il était et ayant femme et enfants, n’allait point servir comme un haut-le-pied dans les armées et y voir tant de gens si différents de ce qu’il était, et, qui pis est, de ce qu’il y avait été, tous avec des emplois et des régiments », il donna, comme nous dirions, sa démission ; il écrivit au roi une lettre respectueuse et courte, dans laquelle, sans alléguer d’autre raison que celle de sa santé, il lui marquait le déplaisir qu’il avait de quitter son service. « Eh bien ! […] Sa liaison particulière avec les ducs de Chevreuse et de Beauvilliers, avec celui-ci surtout, « sans qui il ne faisait rien, ne le confinait pas de ce côté, et il l’a dit très joliment en faisant le portrait de l’abbé de Polignac, l’aimable et brillant séducteur dont ils furent les dupes : « Malheureusement pour moi, la charité ne me tenoit pas renfermé dans une bouteille comme les deux ducs. » Il rayonnait dans tous les sens, avait des ouvertures sur les cabales les plus opposées, et par amis, femmes jeunes ou vieilles, ou même valets, était tenu au courant, jour par jour, de tout ce qui se passait en plus d’une sphère. […] Il ne fut point ministre parce qu’il ne le voulut pas ; il aurait pu l’être à un instant ou à un autre, mais il se pliait peu aux combinaisons diverses et n’en augurait rien de bon ; il ne trouvait point dans le duc d’Orléans l’homme qu’il aurait voulu et qu’il avait tant espéré et regretté dans le duc de Bourgogne ; il lui reprochait précisément d’être l’homme des transactions et des moyens termes, et le prince à son tour, disait, de son ardent et peu commode ami « qu’il était immuable comme Dieu et d’une suite enragée », c’est-à-dire, tout d’une pièce. […] Dès la seconde page, Saint-Simon nous montre sa mère qui lui donne dès l’enfance de sages conseils et qui lui représente la nécessité, à lui fils tardif d’un vieux favori oublié, d’être par lui-même un homme de mérite, puisqu’il entre dans un monde où il n’aura point d’amis pour le produire et l’appuyer : « Elle ajoutoit, dit-il, le défaut de tous proches, oncles, tantes, cousins germains, qui me laissoit comme dans l’abandon à moi-même, et augmentoit le besoin de savoir en faire un bon usage sans secours et sans appui ; ses deux frères obscurs, et l’aîné ruiné e‌t plaideur de sa famille, et le seul frère de mon père sans enfants et son aîné de huit ans. » Or, ne trouvant pas la phrase assez claire dans son tour un peu latin, l’édition de 1829 a dit : « Elle ajoutoit le défaut de tous proches, oncles, tantes, cousins germains, qui me laissoit comme dans l’abandon à moi-même, et augmentoit le besoin de savoir en faire un bon usage, me trouvant sans secours et sans appui ; ses deux frères étant obscurs, et l’aîné ruiné et plaideur de sa famille, et le seul frère de mon père étant sans enfants et son aîné de huit ans. » Me trouvant et deux fois étant sont ajoutés.

1520. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre II. Le rôle de la morale » pp. 28-80

Le président d’une assemblée législative, raconte-t-on, voyant un de ses amis politiques attaquer violemment à la tribune ses adversaires, disait tout haut : « Je vais être obligé d’appliquer à l’orateur les sévérités du règlement », et murmurait tout bas : « Tape dessus, tu es en verve. » Il parlait d’une part en président, d’autre part en homme de parti. […] Il faut que j’admette l’infaillibilité de ma conscience, en tant qu’elle m’ordonne ce que la société, ce que ma famille, mes amis, tous les groupes sociaux dont je fais partie lui suggèrent de m’ordonner. […] Le devoir de servir ma famille et mes amis contrarie mon devoir d’être juste envers tous ; mon devoir de respecter l’autorité nuit nécessairement au devoir de rechercher et de dire la vérité. […] En tout cas il y a des moments où nous sentons avec plus de précision ce qui, en nous, nous sépare de nous, ce qui, tout en restant nous, n’est plus nôtre, ce qui nous unit à nos coreligionnaires, à nos amis, à nos parents, à notre patrie, à l’humanité entière. […] C’est ce qui arrive quand le désir d’obliger un ami pousse l’homme dans une direction, tandis que le devoir professionnel le tire en sens inverse.

1521. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre II. Prière sur l’Acropole. — Saint-Renan. — Mon oncle Pierre. — Le Bonhomme Système et la Petite Noémi (1876) »

Mon oncle Y…. très révolutionnaire, au fond excellent homme, lui disait souvent — « Ma cousine, prenez garde ; si j’étais obligé de savoir qu’il y a des prêtres ou des aristocrates cachés chez vous, je vous dénoncerais. » Elle répondait qu’elle ne connaissait que de vrais amis de la République, mais ce qui s’appelle de vrais amis ! […] VI Quoique l’éducation religieuse et prématurément sacerdotale qui m’était donnée ait empêché pour moi les liaisons de jeunesse avec des personnes d’un autre sexe, j’avais des petites amies d’enfance dont une surtout m’a laissé un profond souvenir. […] Quand les petites amies se querellaient, nous étions toujours du même avis. […] En fait, je n’ai d’amour que pour les caractères d’un idéalisme absolu, martyrs, héros, utopistes, amis de l’impossible.

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