Les Mémoires de Sully existaient, d’un volume considérable, mais d’une lecture lente et pénible : l’abbé de L’Écluse, en 1745, se chargea de les alléger, de les rendre faciles et agréables ; il en dénatura la forme, le langage, et parfois le fond ; il donna à son auteur un certain air plus dégagé, et qui fait contresens. […] Il croit aux horoscopes, aux maléfices, aux signes vus dans l’air la veille d’une grande bataille. […] Mais ce dernier le rappelle par lettres ; il lui remet en mémoire les vrais principes d’un homme de cœur ; il lui dit en le revoyant et en l’embrassant : « Mon ami, souvenez-vous de la principale partie d’un grand courage et d’un homme de bien, c’est de se rendre inviolable en sa foi et en sa parole, et que je ne manquerai jamais à la mienne. » Et il l’engage à aller à la cour de France pour y observer prudemment toutes choses et y découvrir le dessein des adversaires, sous air de se rallier à eux et de s’en rapprocher ; car Rosny a des frères ou des neveux qui sont alors des plus avant dans la faveur de Henri III. […] Quand on ouvre, au Cabinet des estampes, le cahier où sont les portraits de Sully et de sa femme, on y voit le Sully tel qu’il nous a été transmis par la gravure et qu’il est fixé dans la mémoire, c’est-à-dire vieux, le front haut et chauve, la figure sillonnée et rude, l’air fâché, avec barbe longue et moustache grise, le tout encadré dans cette fraise bien roide que nous savons, et son écharpe sur l’armure.
L’idée religieuse s’éveilla alors dans son âme ; il recourut à Dieu par la prière ; se trouvant à Southampton, où les médecins l’avaient envoyé pour changer d’air et se distraire, il y eut une heure, un moment, où dans une promenade qu’il faisait aux environs avec quelques amis, par une brillante matinée, s’étant assis sur une hauteur d’où la vue embrassait la mer et les coteaux boisés du rivage, il sentit tout d’un coup comme si un nouveau soleil s’était levé dans le ciel et lui éclaircissait l’horizon : « Je me sentis soulagé de tout le poids de ma misère ; mon cœur devint léger et joyeux en un instant ; j’aurais pleuré avec transport si j’avais été seul. » On a souvent noté, dans les conversions qui tardèrent longtemps à s’accomplir, ces signes avant-coureurs et comme ces premières atteintes, ces premiers coups de soleil de la grâce. Cowper, alors âgé de vingt-deux ans, ne tint pas compte de ce qu’il jugea plus tard avoir été un appel et un avertissement ; il attribua bientôt l’amélioration de son état au simple changement d’air et aux divertissements du lieu, et il retourna à Londres reprendre sa vie, non pas licencieuse, mais gaiement dissipée et diversement légère. […] En lui l’amour respire : Sous l’air imposant du courroux Il cache son sourire. […] Cependant il était fort amusant à sa manière ; ses maussaderies mêmes étaient un sujet de divertissement, et, dans ses jeux, il gardait un tel air de gravité, et il s’acquittait de ses repas avec une telle solennité de manières, qu’en lui aussi j’avais un agréable compagnon.
Un autre témoin fort digne d’être écouté à son sujet, Dutens, un esprit sérieux et solide, le premier éditeur complet de Leibnitz, Anglais d’adoption et de jugement, qui avait visité les principales Cours d’Europe et qui avait en soi bien des termes de comparaison, a parlé de ce prince dans le même sens que le président Hénault : « M. le prince de Conti était l’un des plus aimables et des plus grands hommes de son siècle : il avait la taille parfaitement belle (il dérogeait par là notablement à la race des Conti, qui avait la bosse héréditaire), l’air noble et majestueux, les traits beaux et réguliers, la physionomie agréable et spirituelle, le regard fier ou doux, suivant l’occasion ; il parlait bien, avec une éloquence mâle et vive, s’exprimait sur tous les sujets avec beaucoup de chaleur et de force ; l’élévation de son âme, la fermeté de son caractère, son courage et sa capacité sont assez connus en Europe pour que je me dispense d’en parler ici. […] Je me rappelle que dès les premiers jours que j’eus l’honneur d’être admis auprès de lui, si je me trouvais assis et que le prince de Conti, en se promenant de long en large dans la chambre, s’approchât pour me parler, je me levais sur-le-champ pour l’écouter, et il me faisait signe de me rasseoir ; enfin, à la quatrième fois, fatigué de voir que je ne saisissais pas assez son humeur, il me dit d’un air à moitié fâché : « Mais, mon « Dieu ! […] Cet air heureux, triomphant, cachait à cette date plus d’un mécompte et d’une tristesse. […] Hume, avec son air un peu lourd et son allure de paysan, avait fait fureur dans le beau monde de Paris et à la Cour ; se trouvant au mois de juillet 1764 à Compiègne où étaient le roi et la fleur de la noblesse, il ne se prodiguait pas plus qu’il ne fallait, et il se ménageait dans la journée des heures de recueillement : « Nous vivons, écrivait-il à Mme de Boufflers, dans une sorte de solitude et d’isolement à Compiègne, moi du moins, qui n’ayant qu’un petit nombre de connaissances, et assez peu particulières, à la Cour, et ne me souciant pas d’en faire d’autres, me suis donné presque entièrement à l’étude et à la retraite.
C’était le temps où Ramond publiait ses Voyages au Mont-Perdu et aux Pyrénées, où Bernardin de Saint-Pierre écrivait les Harmonies ; il y avait dans l’air un certain style, de certaines formes de descriptions. […] Il y a, en littérature, de ces ondulations et de ces flottants accords à travers l’air. […] sans doute », reprend Voigt avec un air convaincu. » En cherchant bien, nous verrions peut-être qu’en France, il n’y a pas bien longtemps encore, nous avons eu des commencements et des symptômes de ces excentricités et de ces ridicules folies. […] La remarque dont il est question, et qu’on peut lire au tome II du Cours de Littérature dramatique de Schlegel, a bien l’air pourtant d’une épigramme.
L’air n’est plus humide, mais la terre est toute molle, la toile des tentes est trempée de rosée ; la lune, qui va se lever, commence à blanchir l’horizon au-dessus des bois. […] On sent vibrer dans l’air de faibles bruits qu’on prendrait pour la respiration de la terre haletante. Peu à peu, cependant, on voit sortir des porches entrebâillés de grandes figures pâles, mornes, vêtues de blanc, avec l’air plutôt exténué que pensif ; elles arrivent les yeux clignotants, la tête basse, et se faisant, de l’ombre de leur voile, un abri pour tout le corps, sous ce soleil perpendiculaire. […] Il y a dans l’air de vagues bruits, et je ne sais quoi de presque chantant qui fait comprendre que tous les pays du monde ont le réveil joyeux. » C’est à ce moment que tous les jours, à la même heure, presque à la même minute, passent des oiseaux en bandes, par petits bataillons, des gangas, jolies perdrix au bec et aux pieds rouges, au plumage bariolé, qui, venus du désert, vont boire aux sources ; une heure après environ, ils repassent dans le même ordre et du Nord au Sud.
Les trois tantes, filles du roi, Mesdames Adélaïde, Victoire et Sophie (il n’est plus question de Madame Louise la carmélite) sont assez difficiles à définir dans leur insignifiance, tantôt démonstratives à l’égard de la Dauphine, tantôt froides et piquantes, surtout la moins jeune (Madame Adélaïde) : « Ma tante Adélaïde m’intimide un peu ; heureusement que je suis favorite de ma tante Victoire, qui est plus simple ; — pour la tante Sophie, elle n’a pas changé ; c’est au fond, j’en suis sûre, une âme d’élite, mais elle a toujours l’air de tomber des nues : elle restera quelquefois des mois sans ouvrir la bouche, et je ne l’ai pas encore pu voir en face… » Cette tante Sophie, qu’on ne pouvait voir en face et qui était si habile à se dérober, est bien celle dont Mme Campan a dit que « pour reconnaître, sans les regarder, les gens qui étaient sur son passage, elle avait pris l’habitude de voir de côté à la manière des lièvres. […] Élisabeth, alors tout enfant, n’annonçait pas encore cette angélique personne qui mourra comme une sainte sur l’échafaud ; elle se montrait dès l’âge de six ans comme une petite sauvage, avec « un air déterminé et doux en même temps », mais au fond, avec je ne sais quoi « d’entier et de rebelle » qui ne se laissait pas aisément apprivoiser. […] Et pour commencer, Madame de Provence : « La terrible épreuve de la première vue ne paraît pas lui avoir été défavorable du côté de M. de Provence : c’est l’essentiel ; il n’en est pas de même du côté de M. le Dauphin qui ne la trouve point bien du tout, et lui reproche d’avoir des moustaches : elle a de bien beaux yeux, mais avec des sourcils très épais et un front bas chargé d’une forêt de cheveux qui lui donnent un air dur dont elle n’a pas le caractère ; elle est au contraire douce et timide ; décidément M. de Provence en a l’air très épris. » Des curieux qui ont lu certaines lettres de Madame de Provence m’assurent qu’il y avait, à plus d’un égard, en cette princesse de quoi justifier ce premier signalement qui ne mentait pas autant que le croyait la Dauphine. […] M. de Provence dit que mon mari a le rire homérique… » Louis XVI était un peu disproportionné, en effet, pour ces petites intimités ; il avait la nature trop forte, trop en plein air : il avait l’écorce rude et rien de poli.
En vieillissant, quand les passions sont amorties ou impuissantes, quand on n’a plus à commettre ses fautes ou ses crimes, on redevient bon ou on a l’air de l’être ; on a même l’air de l’avoir toujours été. […] « Voilà le beau temps arrivé : il se présente avec l’air de la durée. […] Il donnait ses audiences à ses compatriotes dans son salon d’Hanover Square avec un chapeau rond sur la tête, au-devant duquel figurait une cocarde tricolore de six pouces carrés, tandis que se prélassaient, étendus tout au long sur les sophas, trois jeunes sans-culottes de Juillet, qu’il avait amenés avec lui pour se donner un air de républicanisme. […] Cette affaire Maubreuil, dont Talleyrand va parler si négligemment et d’un air d’indifférence, s’était terriblement réveillée en 1827.
Ce que les anciens moralistes nommaient tout crûment la sottise humaine, est sans doute à peu près la même en tout temps, en tout pays ; mais en ce temps-ci et en France, comme nous sommes plus rapides, cette sottise en personne se produit avec des airs d’esprit, de légèreté, avec des vernis d’élégance qui déconcertent. On est mouton comme sous Panurge, mais on l’est avec des airs de lion. […] En quatre ou cinq années (terme moyen), ils ont usé une réputation qui a eu des airs de gloire, et avec elle un talent qui finit presque par se confondre dans une certaine pétulance physique. […] Massillon disait, à propos de son Petit Carême, que, lorsqu’il entrait dans cette grande avenue de Versailles, il sentait comme un air amollissant.
Puisqu’on connaît le portrait de Mlle de Liron, puisque j’ai osé citer un passage de Mlle Aïssé malade, qui, en donnant une incomplète idée de sa personne, laisse trop peu entrevoir combien elle fut vive et gracieuse, cette aimable Circassienne achetée comme esclave, venue à quatre ans en France, que convoita le Régent, et que le chevalier d’Aydie posséda ; puisque j’en suis aux traits physiques des beautés que Mlle de Liron rappelle et à l’air de famille qui les distingue, je n’aurai garde d’oublier la Cécile des Lettres de Lausanne, cette jeune fille si vraie, si franche, si sensée elle-même, élevée par une si tendre mère, et dont l’histoire inachevée ne dit rien, sinon qu’elle fut sincèrement éprise d’un petit lord voyageur, bon jeune homme, mais trop enfant pour l’apprécier, et qu’elle triompha probablement de cette passion inégale par sa fermeté d’âme. […] Lorsque Ernest, profitant d’un congé, arrive à Chamalières, il y trouve donc, outre M. de Liron, fort baissé par suite d’une attaque, Mlle Justine, souffrante depuis près d’un an : elle déguise en vain, sous un air d’indifférence et de gaieté, ses appréhensions trop certaines. […] Les indifférents du monde en sont quittes pour s’écrier, d’un air de surprise, comme les lecteurs assez indifférents dont il s’agit : « Ma foi ! […] C’est la louer encore que de louer ce qui lui ressemble si diversement, et ce qui l’appelle à voix basse d’un air de modestie et de mystère sur la même tablette de bibliothèque d’acajou, non loin du chevet, là où était autrefois l’oratoire.