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830. (1895) Le mal d’écrire et le roman contemporain

Il n’a plus été question de comprendre : il s’est agi de retenir. […] Il s’agit de M.  […] Il ne s’agit pas de créer de l’idéal qui n’existe pas ; il s’agit d’idéaliser ce qui existe. […] L’un anime les choses, l’autre fait agir l’âme. […] Il s’agit d’éviter l’innombrable troupeau des imitateurs.

831. (1842) Discours sur l’esprit positif

Qu’il s’agisse des moindres ou des plus sublimes effets, de choc et de pesanteur comme de pensée et de moralité, nous n’y pouvons vraiment connaître que les diverses liaisons mutuelles propres à leur accomplissement, sans jamais pénétrer le mystère de, leur production. […] On peut également sentir ainsi la profonde inanité finale de toutes les études préalables relatives à la logique abstraite, où il s’agit d’apprécier la vraie méthode philosophique, isolément d’aucune application à un ordre quelconque de phénomènes. […] Ces besoins se rapportent essentiellement à deux conditions fondamentales, l’une spirituelle, l’autre temporelle, de nature profondément connexe : il s’agit, en effet, d’assurer convenablement à tous, d’abord l’éducation normale, ensuite le travail régulier ; tel est, au fond, le vrai programme social des prolétaires. […] Une telle marche doit donc devenir encore plus indispensable dans l’éducation universelle, où les spécialités ont peu d’importance, et dont la principale utilité, plus logique que scientifique, exige essentiellement une pleine rationalité, surtout quand il s’agit de constituer enfin le vrai régime mental. […] Telle est l’éminente utilité, non moins sociale que mentale, qu’il s’agit ici de retirer enfin d’une judicieuse exposition populaire du système actuel des saines études astronomiques.

832. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre VII : Instinct »

Même les tout jeunes Aphis se comportaient de la même manière, ce qui me prouva qu’ils agissaient bien par instinct, et non par expérience. […] — Comme la sélection naturelle ne peut agir sur les instincts à l’état de nature sans une certaine variabilité de ces instincts et sans l’hérédité de ces variations, il serait bon de donner ici autant d’exemples que possible de ces altérations héréditaires ; malheureusement les proportions de cet extrait ne me le permettent pas. […] On pourrait citer un nombre infini d’exemples curieux et parfaitement authentiques de l’hérédité des goûts, des tempéraments et des caractères les plus divers, et même des façons d’agir ou des manières d’être les plus étranges, parfois associées avec certaines dispositions mentales ou avec certaines époques. […] Cette transformation s’est faite grâce à l’habituation lente, successive, mais héréditaire, de l’espèce à ses nouvelles conditions de vie, et surtout grâce au pouvoir de sélection et d’accumulation de l’Homme qui, à chaque génération successive, a constamment choisi, pour les conserver et les reproduire, les individus manifestant certaines manières d’être ou d’agir toutes particulières que nous appelons accidentelles, dans l’ignorance où nous sommes des lois fixes qui les causent. […] En d’autres cas, la contrainte des habitudes n’est entrée pour rien dans un résultat entièrement obtenu à l’aide de la sélection poursuivie, soit méthodiquement, soit inconsciemment ; mais, dans la plupart des cas, il est probable que l’habitude et la sélection ont agi concurremment.

833. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Shakespeare »

Il ne s’agit pas d’ombrer du reflet d’or des matins ou des soirs d’Italie le sombre pourpoint de satin du beau Prince Noir d’Elseneur, pour avoir cette pompe de la vie enivrée, dans le diamant de sa beauté, qui n’a pas besoin de parure pour être l’éclatant et le rayonnant Roméo ! […] Parce que cet admirable génie de Shakespeare, qui était une intuition et non le résultat d’une expérience, a eu la divination de toutes choses et a peint les plus beaux et les plus purs sentiments de la vie (comme il a peint du reste les plus laids et les plus terribles), voilà que, selon François Hugo, ce grand raisonneur, Shakespeare en était capable et a dû nécessairement les éprouver ; comme justement aussi il y avait l’amitié parmi ces sentiments, et qu’il s’agit des AMIS, dans l’arrangement des titres de sa façon dont François Hugo a orné Shakespeare, il se trouve que Shakespeare a dû être, de réalité, le plus charmant, le plus adorable, le plus magnanime et le plus vertueux des amis. Les Sonnets, ces Sonnets sans sexe, où l’âme de ceux qui respectent Shakespeare se trouble devant la confusion d’un langage si troublant lui-même et si troublé ; les Sonnets, que je n’aurais pas cités, moi, pour prouver la pureté d’un sentiment qui, s’il est de l’amitié, n’est plus de l’amitié sainte et forte, mais de l’amitié qui, au moins, a le délire ; ces Sonnets sont invoqués à l’appui de cette idée que, quand il s’agit de Shakespeare : qui peint l’amitié doit la ressentir. […] XIII Un des attributs du génie, mais du génie absolu comme l’avait Shakespeare, est la variété dans les chefs-d’œuvre, et c’est aussi l’embarras qu’ils causent, quand il s’agit d’établir entre eux non une préférence de sentiment, toujours facile, mais une hiérarchie de raison. […] Tel, de bloc et d’ensemble, ce Roi Lear, dont l’organisation me semble plus forte que celle de tous les autres drames de Shakespeare, et qui produit, je ne dis pas un pathétique plus foudroyant, mais, parce qu’il s’agit de la famille, un pathétique plus auguste.

834. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. VILLEMAIN. » pp. 358-396

Il y a, je me le suis dit souvent, un jour décisif et fatal après la première jeunesse, après les premiers triomphes ; il s’agit de réaliser les espérances, de pousser sa conquête, d’asseoir sa seconde et définitive destinée. […] Au sortir donc des gorges et des rampes étroites où nous avons gravi longtemps, où nous avons fini par triompher et nous acquérir quelque nom, nous nous trouvons, grâce à notre succès même, portés sur le plateau, dans la plaine ; il s’agit de faire bonne figure au soleil et devant tous dans cette nouvelle position, et de tenir décemment la campagne. […] Bayle et Voltaire n’en agissaient pas si discrètement. […] Villemain, critique et professeur, pût se procurer à tout instant, de quoi qu’il s’agît, le secours de maintes comparaisons, de maints rapports piquants ou lumineux : sa célérité volait d’un camp à l’autre ; il s’y repliait sans peine au besoin, et, pour dire un mot qui n’est guère de sa langue choisie, il s’y ravitaillait toujours.

835. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre cinquième. Le peuple. — Chapitre II. Principale cause de la misère : l’impôt. »

Il ne s’agit ici que de l’impôt direct, tailles, accessoires, capitation taillable, vingtièmes, taxe pécuniaire substituée à la corvée659. […] Outre le scribe, ils ont avec eux les garnisaires, gens de la plus basse classe, mauvais ouvriers sans ouvrage, qui se sentent haïs et qui agissent en conséquence. « Quelques défenses qu’on leur fasse de rien prendre, de se faire nourrir par les habitants ou d’aller dans les cabarets avec les collecteurs », le pli est pris, « l’abus continuera toujours680 ». […] En outre, dans tous les cas, lorsqu’il s’agit de répartir une imposition, le bourgeois de la ville se préfère à ses humbles voisins ruraux. […] À moi seul, pauvre homme, je paye deux gouvernements : l’un ancien, local, qui aujourd’hui est absent, inutile, incommode, humiliant, et n’agit plus que par ses gênes, ses passe-droits et ses taxes ; l’autre, récent, central, partout présent, qui, se chargeant seul de tous les services, a des besoins immenses et retombe sur mes maigres épaules de tout son énorme poids. » — Telles sont, en paroles précises, les idées vagues qui commencent à fermenter dans les têtes populaires, et on les retrouve à chaque page dans les cahiers des États généraux.

836. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre V. Le roman romantique »

Pour Chateaubriand et pour la plupart des romantiques, l’inquiétude est d’ordre sentimental : chez Senancour, c’est l’intelligence surtout qui est tourmentée ; il s’agit moins de jouir que de savoir. Mais s’il veut savoir, c’est pour agir. […] Le mal d’Obermann, c’est que ne croyant plus à la religion, ne pouvant rien par sa raison, il s’épuise, se ronge, use sa vie dans l’ennui ; il n’agit point, parce que la vie et le but de la vie lui sont incompréhensibles. […] Le sous-chef Rabourdin médite la réforme de l’administration et de l’impôt : voici tout son plan, comme s’il s’agissait de le faire adopter.

837. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 février 1886. »

Mais cette mélodie doit-elle être seulement chantée par les personnages indépendamment de l’orchestre, ou doit-elle être fournie par l’orchestre tandis que les personnages, surla scène, parlent et agissent ? […] Les personnages, sur la scène, parlent et agissent ; l’orchestre, quelque part, nous exprime leurs émotions : ces émotions, en effet, veulent, aujourd’hui, être exprimées par des complications polyphoniques et contrapuntiques que l’orchestre seul peut fournir ; et l’on peut ajouter des voix à cet orchestre si l’on juge nécessaires les timbres de ces voix humaines. […] Chanter les empêche de parler, surtout d’agir. […] Nous analysons simplement chaque partition, comme s’il s’agissait d’un ouvrage nouveau ; nous notons nos impressions ; puis, nous formulons notre jugement, en critiques impartiaux, épris de la vérité, et non en théoriciens, soucieux de faire prévaloir un système.

838. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre premier. La sélection et la conservation des idées dans leur relation à l’appétit et au mouvement. »

Maudsley, Huxley Taine, et Ribot vont jusqu’à dire que la conscience, qui reconnaît les idées conservées et se reconnaît elle-même à travers le temps, est un simple « accompagnement » des fonctions nerveuses ; aussi est-elle incapable de réagir sur elles, pas plus que l’ombre n’agit sur les pas du voyageur qu’elle escorte. […] Se souvenir, c’est agir ou pâtir, tout comme savoir c’est faire. […] Toutes les fois qu’il s’agit de mouvements de masse, lesquels sont facilement dessinés par l’imagination et effectués par la volonté, l’idée et l’émotion se suggèrent aisément. Quand, au contraire, il s’agit de mouvements moléculaires et intérieurs, comme dans la faim ou la soif, l’idée éveille l’émotion avec difficulté.

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