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720. (1889) Impressions de théâtre. Troisième série

Et, je le répète, ce souper ne sert à rien ; ce qu’on y dit ne tient nullement à l’action. […] Puis survenait l’amant, ou les amants, et l’action s’engageait. […] Les rôles de Pepa et d’Hermine ne tiennent à l’action que par un lien des plus fragiles. […] Mais, par malheur, à partir du point où nous en sommes, l’action dévie très fâcheusement. […] C’est toute une kyrielle de bonnes actions.

721. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juin 1886. »

Ce drame entier n’est qu’un dénoûment, Wotan, le centre de l’action psychologique, a disparu dès le début, les Nornes nous apprennent qu’il attend, silencieux, la Fin ; avec lui disparaît l’élément réfléchissant, la Pensée ; il ne reste que les émotions, la Passion, — ce que la musique exprime. […] Cette romance pour voix de baryton est une des plus mélancoliques inspirations de l’amour, et procure un de ces instants de repos, où les attentions suspendues, et distraites de l’action même du drame, peuvent se livrer tout à fait à une émotion purement lyrique. […] A peine assez d’action pour légitimer les disputes, les altercations, les controverses délicates ? […] Le Théâtre fut bien la forme de l’art littéraire pour les dernières époques du Moyen-Age : un théâtre non plus de raisonnements ou de discours, mais d’actions, de faits matériels. […] Mais c’est un roman tout de sensations ; et comme l’action dure environ un demi-siècle, les sensations ne sont pas très rigoureusement enchaînées ; notées seulement à raison de trois ou quatre par an, se succédant sous des alternances invariables.

722. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre I. De l’intensité des états psychologiques »

Ainsi la comparaison de deux intensités se fait le plus souvent sans la moindre appréciation du nombre des causes, de leur mode d’action ni de leur étendue. […] Déjà Vulpian avait fait remarquer que si l’on demande à un hémiplégique de fermer son poing paralysé, il accomplit inconsciemment cette action avec le poing qui n’est pas malade. […] Déjà Fechner réduisait le sentiment de l’effort d’attention, dans un organe des sens, au sentiment musculaire « produit en mettant en mouvement, par une sorte d’action réflexe, les muscles qui sont en rapport avec les différents organes sensoriels ». […] Analysez l’idée que vous vous faites d’une souffrance que vous déclarez extrême : n’entendez-vous pas par là qu’elle est insupportable, c’est-à-dire qu’elle incite l’organisme à mille actions diverses pour y échapper ? […] En présence de plusieurs plaisirs conçus par l’intelligence, notre corps s’oriente vers l’un d’eux spontanément, comme par une action réflexe.

723. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 juin 1885. »

Son drame — non pas toujours, mais quelquefois — évite la vivacité de l’action, s’attarde à de longs récits, s’étale en de vastes développements de caractères ou de passions, s’idéalise par la recherche des symboles jusqu’à devenir irréel, et n’en est pas moins poignant au point de vue du peuple pour lequel il a été conçu, n’en doit pas paraître moins admirable au critique loyal qui fait la part des nationalités. […] Il avait compris que l’œuvre d’art doit être complète et vraie, c’est à dire le drame, mais un drame d’art complet, non de musique seule, et un drame d’action vraie, non de virtuosité conventionnelle ; il avait compris, encore, que cette œuvre d’art, complète et vraie, n’est point une frivole distraction, qu’elle est la création suprême de l’esprit, et que cette création, faite, d’abord, par l’auteur, et devant être, ensuite, refaite, entièrement, par les auditeurs, peut être connue par eux, seulement dans l’oubli des soucis temporels et dans la paix, non troublée, de la contemplation intérieure, aux jours, très rares, de la sérénité ; enfin, il avait compris que l’art, demeurant complet et vrai, doit, aussi, donner à l’homme une révélation religieuse de la Réalité transcendante, — être un culte, offert à l’intelligence du Peuple, — mais de ce Peuple idéal, qui est la Communion universelle des Voyants. […] Alors, profitant de l’agitation qu’avait instituée en Allemagne ses concerts, les représentations de ses dernières œuvres, ses manifestes, et la fondation des premiers cercles Wagnériens (les Wagner-Vereine), il émit une souscription publique de mille actions, à trois cents thalers (1125 francs) chaque, pour la construction d’un Théâtre de Fête à Bayreuth, et la représentation, en ce Théâtre, de l’Anneau du Nibelung, pièce de fête scénique pour trois journées et une veille. Le dividende de chaque action consistait, uniquement, en le droit, exclusif, d’assister aux trois séries qui devaient être données des représentations du Nibelung, — douze soirées. Des tiers d’actions donnaient le droit d’assister à une seule série.

724. (1857) Cours familier de littérature. III « XIIIe entretien. Racine. — Athalie » pp. 5-80

Ce n’est plus là ni l’éloquence sacrée, ni l’éloquence parlementaire, c’est l’éloquence héroïque, l’éloquence d’action qui présente sa poitrine nue à ses auditeurs et qui offre son sang en gage de ses discours ; Le livre qui, par l’ingénieux procédé de l’écriture ou de l’impression, reproduit, pour tous et pour tous les temps, la pensée conçue et exprimée par un seul, et qui communique, sans autre intermédiaire qu’une feuille de papier, l’idée, le raisonnement, la passion, l’image, l’harmonie même empreinte sur la page ; Enfin le théâtre, scène artificielle sur laquelle le poète fait monter, aux yeux du peuple, ses personnages, pour les faire agir et parler dans des actions historiques ou imaginaires, imitation des actions tragiques ou comiques de la vie des hommes. […] — L’ennui de ceux qu’il a pour objet de charmer par la perfection de la langue, de l’attitude, du geste, de l’action. […] L’un, par ses férocités implacables, avait émancipé complètement le trône des restes de la grande féodalité qui résistaient et qui embarrassaient son action souveraine. […] Le poète tragique est comme le sculpteur en bronze ou en marbre : il ne montre que des statues ou des groupes en action.

725. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — I. Faculté des arts. Premier cours d’études. » pp. 453-488

La gloire littéraire est le fondement de toutes les autres : les grandes actions tombent dans l’oubli ou dégénèrent en fables extravagantes, sans un historien fidèle qui les raconte, un grand orateur qui les préconise, un poète sacré qui les chante, ou des arts plastiques qui les représentent à nos yeux. […] Ce sont les lettres et les monuments qui marquent les intervalles des siècles qui se projetteraient les uns sur les autres, et ne formeraient qu’une nuit épaisse à travers laquelle l’avenir n’apercevrait plus que des fantômes exagérés, sans les écrits des savants qui distinguent les années par le récit des actions qui s’y sont faites. […] Certes la belle page est plus difficile à écrire que la belle action à faire58 ; mais celle-ci est d’une bien autre importance. […] Je sais qu’on a recours à la glose interlinéaire, à la construction directe, et à d’autres petits moyens de soulager l’imbécillité des élèves ; mais j’ignore encore le fruit de ces méthodes tant prônées par les inventeurs ; et le préservatif des mœurs, à l’aide des éditions mutilées, me paraît insuffisant, si à chaque ligne le maître ne fait pas sentir le vice d’un caractère, le danger d’une maxime, l’atrocité ou la malhonnêteté d’une action, peine qu’il ne se donnera jamais. […] L’art imite les actions de l’homme, ses discours et les phénomènes de la nature.

726. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre I. Succès de cette philosophie en France. — Insuccès de la même philosophie en Angleterre. »

C’est elle qui a construit les Éloges de Fontenelle, le Philosophe ignorant et le Principe d’action de Voltaire, la Lettre à M. de Beaumont et le Vicaire savoyard de Rousseau, le Traité de l’homme et les Epoques de la nature de Buffon, les Dialogues sur les blés de Galiani, les Considérations de d’Alembert sur les mathématiques, la Langue des calculs et la Logique de Condillac, un peu plus tard l’Exposition du système du Monde de Laplace et les Discours généraux de Bichat et de Cuvier459. […] Chez Diderot, ce fil est coupé ; il ne parle point par la bouche de ses personnages, ils ne sont pas pour lui des porte-voix ou des pantins comiques, mais des êtres indépendants et détachés, à qui leur action appartient, dont l’accent est personnel, ayant en propre leur tempérament, leurs passions, leurs idées, leur philosophie, leur style et leur âme parfois, comme le Neveu de Rameau, une âme si originale, si complexe, si complète, si vivante et si difforme, qu’elle devient dans l’histoire naturelle de l’homme un monstre incomparable et un document immortel. […] Voilà l’avantage de ces génies qui n’ont pas l’empire d’eux-mêmes : le discernement leur manque, mais ils ont l’inspiration ; parmi vingt œuvres fangeuses, informes ou malsaines, ils en font une qui est une création, bien mieux une créature, un être animé, viable par lui-même, auprès duquel les autres, fabriqués par les simples gens d’esprit, ne sont que des mannequins bien habillés  C’est pour cela que Diderot est un si grand conteur, un maître du dialogue, en ceci l’égal de Voltaire, et, par un talent tout opposé, croyant tout ce qu’il dit au moment où il le dit, s’oubliant lui-même, emporté par son propre récit, écoutant des voix intérieures, surpris par des répliques qui lui viennent à l’improviste, conduit comme sur un fleuve inconnu par le cours de l’action, par les sinuosités de l’entretien qui se développe en lui à son insu, soulevé par l’afflux des idées et par le sursaut du moment jusqu’aux images les plus inattendues, les plus burlesques ou les plus magnifiques, tantôt lyrique jusqu’à fournir une strophe presque entière à Musset480, tantôt bouffon et saugrenu avec des éclats qu’on n’avait point vus depuis Rabelais, toujours de bonne foi, toujours à la merci de son sujet, de son invention et de son émotion, le plus naturel des écrivains dans cet âge de littérature artificielle, pareil à un arbre étranger qui, transplanté dans un parterre de l’époque, se boursoufle et pourrit par une moitié de sa tige, mais dont cinq ou six branches, élancées en pleine lumière, surpassent tous les taillis du voisinage par la fraîcheur de leur sève et par la vigueur de leur jet. […] Bien mieux, c’est un imbroglio où l’action surabonde, parmi des intrigues qui se croisent, se cassent et se renouent, à travers un pêle-mêle de travestissements, de reconnaissances, de surprises, de méprises, de sauts par la fenêtre, de prises de bec et de soufflets, tout cela dans un style étincelant où chaque phrase scintille par toutes ses facettes, où les répliques semblent taillées par une main de lapidaire, où les yeux s’oublieraient à contempler les brillants multipliés du langage, si l’esprit n’était entraîné par la rapidité du dialogue et par la pétulance de l’action.

727. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre I. Décomposition du Moyen âge — Chapitre II. Le quinzième siècle (1420-1515) »

Pour subsister, pour avoir une action encore efficace, il faut qu’elle se mette au ton du siècle, et, dans sa voix au moins et ses gestes, marque prendre sa part de la dégradation universelle. […] Engagé dans la voie honteuse, le tumulte des jouissances et des périls, les pensées pressantes de l’action quotidienne n’ont pas éteint en lui la vie intérieure : il s’abandonne, mais il se voit, et il se juge. […] Pour nous, l’action seule réalise nos intimes pensées : le poète leur donne réalité, et mieux, éternité, par son œuvre. […] Il n’a pas son pareil pour connaître les milieux où se meuvent les caractères, et les facilités ou les obstacles que leur jeu y rencontre : il est plus étonnant encore de perspicacité quand il sonde les âmes, mesure les esprits, et déduit les prolongements extérieurs de leur intime originalité qui viennent neutraliser ou fortifier la brutale action des choses. […] Il serait curieux de donner des preuves de sa délirante insipidité, si la place dans cet ouvrage ne devait être mesurée à l’action historique ou à l’intérêt intrinsèque des œuvres140.

728. (1894) Propos de littérature « Chapitre IV » pp. 69-110

Le Rythme, au contraire, est tout entier dans le temps ; il mesure le temps particulier d’une action, et, en art, ne peut être étudié dans l’espace qu’à travers l’orchestique où l’on en acquiert la notion comme d’un geste inscrit dans la durée. […] Il est homme avant d’être artiste ; pour lui, vivre c’est agir, regarder est une joie puissante, puisqu’en l’action, puisqu’en les images se développe et se précise le moi. Il ne pouvait tolérer longtemps une forme littéraire restrictive de l’action et du fol instinct, et qui, en régularisant avec rigueur l’expression de l’idée, arrête l’élan du cœur pour le discipliner à de traditionnels mouvements. […] Le drame Ancæus est une étude d’harmonieuses plastiques motivées par une action simple, et non un réel conflit de sentiments humains. […] L’hédonisme est aussi méprisable en art qu’en philosophie ; il énerve, débilite, affadit ; il répugne aux grandes actions comme aux grandes pensées, change le beau en joli, l’héroïque en agréable, et doit susciter une indignation sévère chez tout homme qui veut agir ou créer.

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