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115. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « La Bruyère »

Molière était mort ; longtemps après Pascal, La Rochefoucauld avait disparu ; mais tous les autres restaient là rangés. […] Molière, à l’étudier de près, ne fait pas ce qu’il prêche. […] Molière est poëte, entraîné, irrégulier, mélange de naïveté et de feu, et plus grand, plus aimable peut-être par ses contradictions mêmes : La Bruyère est sage. […] La Bruyère n’a pas déserté sur ce point l’héritage de Molière : il a continué cette guerre courageuse sur une scène bien plus resserrée (l’autre scène, d’ailleurs, n’eût plus été permise), mais avec des armes non moins vengeresses. […] Si heureux d’emblée qu’eût été La Bruyère, il lui fallut, on le voit, soutenir sa lutte à son tour comme Corneille, comme Molière en leur temps, comme tous les vrais grands.

116. (1892) Boileau « Chapitre V. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » (Fin) » pp. 121-155

Comme Molière et comme Racine, Boileau ne saurait admettre que la poésie n’ait pas pour objet de plaire. […] De là cette critique de Molière, si rigoureuse à notre gré et si injuste. Molière est trop populaire ; il fait « grimacer ses figures » ; il a trop souvent Quitté pour le bouffon l’agréable et le fin, Et sans honte à Térence allié Tabarin. […] Il est possible que ce réaliste, qui fut si peu psychologue, n’ait pas senti ce qu’il y a de vérité profonde, d’humanité vivante dans les farces de Molière. […] On lit que la comédie « badine noblement » et que Molière trop grossier ne vaut pas l’exquis et fin Térence.

117. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre IV. Racine »

Il y retrouva La Fontaine, il y connut Boileau et Molière : avec eux, il hanta le Mouton blanc et la Croix de Lorraine ; et il apprit à rire de Chapelain. […] Tragédie passionnée et vraie Racine n’apporte point de formules nouvelles au théâtre ; et c’est pour cela que, comme Molière, il ne se laissera guère imiter. […] On s’est étonné de certaines affinités qu’on a saisies entre la tragédie de Racine et la comédie de Molière : rien de plus naturel. […] Fournel, les Contemporains de Molière, t.  […] La Thébaïde (1664), jouée par Molière ; Alexandre (1665), jouée par Molière, puis portée à l’Hôtel de Bourgogne, ce qui brouilla Molière et Racine.

118. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre V. Les esprits et les masses »

C’est pourquoi il faut, en Angleterre, traduire Molière. […] Les chefs-d’œuvre recommandés par le manuel au baccalauréat, les compliments en vers et en prose, les tragédies plafonnant au-dessus de la tête d’un roi quelconque, l’inspiration en habit de cérémonie, les perruques-soleils faisant loi en poésie, les Arts poétiques qui oublient La Fontaine et pour qui Molière est un peut-être, les Planât châtrant les Corneille, les langues bégueules, la pensée entre quatre murs, bornée par Quintilien, Longin, Boileau et La Harpe ; tout cela, quoique l’enseignement officiel et public en soit saturé et rempli, tout cela est du passé. […] Le pouce puissant de Molière s’y imprimera tout à l’heure ; l’ongle de Corneille griffera ce monceau informe. […] Versez tous les esprits depuis Ésope jusqu’à Molière, toutes les intelligences depuis Platon jusqu’à Newton, toutes les encyclopédies depuis Aristote jusqu’à Voltaire.

119. (1772) Discours sur le progrès des lettres en France pp. 2-190

Il n’appartenoit qu’à Molière seul d’avoir la gloire de créer de nouveau l’art de la scène Comique, & de le porter fort au-delà de celui des Anciens. […] Molière, pour réussir, eut plus d’obstacles à vaincre que Corneille. […] Molière en vint à bout, & n’a laissé son génie, son talent à personne. […] Sa manière de voir, différente en tout de celle de Molière, ne lui présentoit jamais les objets du côté comique ou plaisant. […] Cette Comédie admirable, digne du génie de Molière, est la seule Comédie, qui existe dans le vrai genre, depuis le Misantrope.

120. (1864) Histoire anecdotique de l’ancien théâtre en France. Tome I pp. 3-343

Cinquante ans après, ainsi que nous l’expliquerons plus loin, Molière forma une troisième troupe. […] — Le Festin de Pierre (1665), en collaboration avec Molière. — Origine de cette pièce […] Molière la lut, essaya ; mais il finit par avouer qu’il n’y entendait rien. […] Nous aborderons ensuite la comédie avant, pendant et après Molière. […] Le même sujet de Polixène avait été traité en 1720 par Molière, surnommé le tragique.

121. (1923) Nouvelles études et autres figures

Que penserais-je de Molière si je le découvrais ? […] Manifestement, Molière improvise. […] Mais Molière a ouvert les portes de sa maison à la fantaisie. […] Cette fois Molière a encore perfectionné le genre. […] Les intermèdes ont donné à la comédie de Molière une grâce ailée.

122. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — IV. La Poësie dramatique. » pp. 354-420

Dans une lettre à un de ses amis, il donne La Chaussée pour un des premiers génies de la nation, & le met à côté de Molière. […] Molière a les beautés & les défauts des uns & des autres. […] Celles de Dancourt, de Le Grand, de Régnard & de Molière, sont trop libres quelquefois, & même obscènes. […] Renard tombe encore plus dans cette faute que Molière, chez qui les friponneries sont communément punies. […] A l’exception de quelques pièces, le théâtre de Molière est le code de la bienséance, de l’honnéteté, des bonnes mœurs.

123. (1913) La Fontaine « VI. Ses petits poèmes  son théâtre. »

Ce sont des vers tout à fait dans la manière de Molière jeune, de Molière faisant le récit de l’Etourdi, par exemple, ou aussi dans la manière de Corneille faisant le récit du Menteur, des vers de récit comiques ; je n’ai pas besoin de vous dire qu’un très grand poète moderne a introduit d’excellents récits comiques dans des pièces du reste fort intéressantes et même admirables. […] Je finis par le Florentin, qui a une véritable valeur et une très grande valeur. « Le Florentin a déclaré Voltaire, est tout à fait digne d’être une petite comédie de Molière. » C’est exactement mon avis, et je trouve même que si le Florentin était de Molière, ce serait une des meilleures petites comédies de Molière. […] A cette époque, après l’avènement de Racine et Molière, on voulait (et certainement je n’en blâmerai pas les hommes de ce temps-là), on voulait un théâtre psychologique, on voulait un théâtre, soit comique, soit tragique, qui fût psychologique avec pénétration. […] En somme, le théâtre gai de Molière a réussi moins que le théâtre gai n’a réussi plus tard, au dix-huitième siècle.

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