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458. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Les deux Tartuffe. » pp. 338-363

Mais il me paraît de toute évidence que le second Tartuffe, l’homme du monde, l’homme d’esprit, l’aventurier de haut vol, ne croit ni à Dieu ni à diable. […] Ces jouissances sont beaucoup plus assurées et beaucoup moins rapides que celles de l’amour ; par un bienfait de Dieu, elles sont presque aussi vives, et tout aussi matérielles, et tout aussi grossières ; et elles sont permises ! […] Notez que Dorine n’est pas précisément choquée des bruits vilains que fait Tartuffe, mais qu’elle raille surtout la bienveillance avec laquelle Orgon les salue : Et, s’il vient à roter, il lui dit : Dieu vous aide ! […] Les locutions par lesquelles les mystiques traduisent leur amour de Dieu, il n’aura pas à les torturer beaucoup pour leur faire exprimer l’adoration d’une femme. […] Qui sait si tu n’es pas en effet quelque image De Dieu même, qui perce à travers ce nuage ?

459. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Maurice Rollinat »

Le nom de Dieu invoqué à toute page dans ses poésies l’atteste, et ses blasphèmes prouvent la profondeur de sa foi. […] dans ses trois volumes, dont le second est énorme, n’a pas une seule fois écrit le nom de Dieu, même par distraction… L’auteur des Névroses est un Pascal sans Dieu, qui ne l’a jamais vu qu’une fois dans le fond de son gouffre, quand il pousse la clameur inconséquente de son De profundis qui clôt le livre. Il a tué Dieu au profit du Diable. […]Dieu s’est revanché. […] Maurice Rollinat en ses Névroses, C’est le démoniaque devant l’Inconnu embusqué derrière tout comme une escopette du Diable, devenu le seul Dieu, et qui a le tremblement du démoniaque devant le démon.

460. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Gustave Droz » pp. 189-211

Monsieur et Madame me firent l’effet des Caractères d’un petit La Bruyère… mauvais sujet, — d’une espèce de La Bruyère qui connaissait les femmes, non pas « entre tête et queue », comme les connaissait et voulait qu’on les prît La Bruyère, mais qui les prenait avec la tête et avec la queue, et Dieu sait si la queue est un endroit par lequel on puisse les prendre à présent ! […] Dieu seul est plus fort que nos âmes. […] — ayant toujours sous sa diable de plume, qu’on ne peut s’empêcher d’aimer, le mot impertinent, très réussi, quand il s’agit des choses religieuses, Droz, qui a même trouvé dans la monotonie de son procédé contre la dévotion du xixe  siècle la punition de s’en être moqué, Droz, qui prononce le nom de Dieu vers la fin de son livre, quand il est ému, aussi bêtement qu’un bourgeois, lui, le spirituel artiste ! […] Je ne veux pas mutiler l’homme ; je ne veux rien trancher dans ce que Dieu a fait en l’entremêlant de corps et d’âme avec un art, si c’en est un, si prodigieusement consommé. […] Lisez son Premier-Né, Le Jour de l’An en famille, les Vieux souvenirs, Les Petites Bottes, — qui rappellent, mais en vieux et en usé, le frais soulier de la Gudule dans Notre-Dame de Paris, — les Bébés et papas et la Première culotte, et voyez si dans tout cela l’enfant n’est pas toujours ajusté, toujours compris de la même manière, aimé pour le plaisir et la peine qu’il donne, — car il y a aussi l’épicurisme de la douleur, — et si la moitié du sentiment paternel, celle que Dieu élargit en la doublant du sentiment de son être, n’est pas restée, pure lumière, étouffée sous le boisseau de la chair !

461. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Agrippa d’Aubigné. — II. (Fin.) » pp. 330-342

Et il lui conseille de ne point se soucier de ceux qui menacent de changer de parti si lui-même il ne change sur l’heure de religion : Gardez-vous bien de juger ces gens-là sectateurs de la royauté pour appui du royaume, ils n’en sont ni fauteurs ni auteurs… Quand votre conscience ne vous dicterait point la réponse qu’il leur faut, respectez les pensées des têtes qui ont gardé la vôtre jusques ici ; appuyez-vous, après Dieu, sur ces épaules fermes, et non sur ces roseaux tremblants à tous vents ; gardez cette partie saine à vous, et dedans le reste perdez ce qui ne se peut conserver. […] de trier aussitôt parmi les catholiques ceux qui sont plus attachés à la royauté qu’au pape ; une bonne partie de ces catholiques sont tout prêts et s’offrent à servir, le maréchal de Biron en tête ; cela suffit : « Serénez votre visage, usez de l’esprit et du courage que Dieu vous a donnés, voici une occasion digne de vous. » La raison par laquelle il conclut est celle qui est la meilleure pour appuyer tous conseils de ce genre, et qui est le grand renfort des arguments : N’ignorez pas que vous êtes le plus fort ici ; voilà plus de deux cents gentilshommes de votre cornette dans ce jardin, tous glorieux d’être au roi ; si votre douceur accoutumée et bienséante à la dignité royale et les affaires présentes n’y contredisaient, d’un clin d’œil vous feriez sauter par les fenêtres tous ceux qui ne vous regardent point comme leur roi. […] À ce discours développé et politiquement déduit, Henri IV, après un moment de pause, et ayant pâli de colère ou de crainte (et comme cela lui arrivait toutes les fois qu’il était intérieurement ému), répondit : Parmi les étonnements desquels Dieu nous a exercés depuis vingt-quatre heures, j’en reçois un de vous, messieurs, que je n’eusse pas attendu. […] Dans le temps même où il traitait de cette union, il recevait avis qu’il y avait sentence de mort portée contre lui en France ; ce lui fut une occasion d’éprouver sa fiancée, qui répondit en femme des anciens jours : « Je suis bien heureuse d’avoir part avec vous à la querelle de Dieu ; ce que Dieu a conjoint, l’homme ne le séparera point. » Il continua de vieillir en écrivant, en discutant ou raillant, en payant l’hospitalité des Suisses par des conseils d’ingénieur et de vieux soldat.

462. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Lettres de Rancé abbé et réformateur de la Trappe recueillies et publiées par M. Gonod, bibliothécaire de la ville de Clermont-Ferrand. »

Celui-ci avait laissé le jeune abbé en train de fortes études et de thèses théologiques ; il se le figurait toujours sous cet aspect : « Vous avez trop bonne opinion de ma vocation à l’état ecclésiastique, lui écrivait Rancé : pourvu qu’elle ait été agréable à Dieu, c’est tout ce que je désire… » On a beau relire et presser les lettres de cette date, on y trouve de bons et respectueux sentiments pour son ancien précepteur, un vrai ton de modestie quand il parle de lui-même et de ses débuts dans l’école ou dans la chaire, de la gravité, de la convenance, mais pas le plus petit bout d’oreille de l’amant de Mme de Montbazon. […] J’y trouve assez de goût pour croire que je ne m’ennuierai point de la vie que je fais… » Mais, après cette sorte d’étape et ce premier temps de repos, Rancé se relève et se met en marche pour une pénitence infatigable et presque impitoyable, à l’envisager humainement : « Je vous assure, Monsieur, écrit-il à l’abbé Favier (24 janvier 1670), que depuis que l’on veut être entièrement à Dieu et dans la séparation des hommes, la vie n’est plus bonne que pour être détruite ; et nous ne devons nous considérer que tanquam oves occisionis. » A côté de ces austères et presque sanglantes paroles, on ne peut qu’être d’autant plus sensible aux témoignages constants de cette affection toujours grave, toujours réservée, mais de plus en plus profonde avec les années, qu’il accorde au digne vieillard, son ancien maître ; les jours où, au lieu de lui dire Monsieur, il s’échappe jusqu’au très-cher Monsieur, ce sont les jours d’effusion et d’attendrissement. […] Cela est vrai de l’aveu de Rancé lui-même, et il nous l’exprime à sa manière, quand il dit (lettre du 3 octobre 1675) : « Puisque vous voulez savoir des nouvelles de notre affaire, je vous dirai, quelque juste qu’elle fût, qu’elle a été jugée entièrement contre nous ; et, pour vous parler franchement, ma pensée est que l’Ordre de Cîteaux est rejeté de Dieu ; qu’étant arrivé au comble de l’iniquité, il n’étoit pas digne du bien que nous prétendions y faire, et que nous-mêmes, qui voulions en procurer le rétablissement, ne méritions pas que Dieu protégeât nos desseins ni qu’il les fît réussir. » Il revient en plusieurs endroits sur cette idée désespérée ; son jugement sur son Ordre est décisif : les ruines mêmes , s’écrie-t-il, en sont irréparables . […] Dieu ne voulut pas qu’il dît rien de remarquable, parce que cela abrège les Relations. » Abréger, abréger les choses qui passent, c’est là le sentiment permanent de Rancé ; il n’aperçoit aucune branche inutile sans y porter à l’instant la serpe ou la cognée.

463. (1864) De la critique littéraire pp. 1-13

Je risque d’indisposer contre moi presque tout ce qu’il y a de critiques en France ; et Dieu sait si le nombre en est grand ! […] La beauté dans les ouvrages d’esprit est un reflet de l’intelligence divine ; en quelque endroit qu’il plaise à Dieu de le faire tomber, nous lui devons au moins notre respect. […] Je ne recommencerai pas leur éloge, car, Dieu merci, il est partout, et quand on les dénigre, c’est, je crois, un air qu’on se donne. […] Si le Dieu nous manque, nous aurons beau fouetter, la machine n’avancera pas. […] Dieu m’en garde, puisqu’aussi bien je la pratique, quoique avec remords ; mais il ne faut pas lui souffrir trop d’ambition.

464. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXII. La comtesse Guiccioli »

Et cependant que Dieu me pardonne et le lui pardonne ! […] Après Byron, il semble qu’il n’y ait plus que Dieu ! […] … Aussi, au lieu de faire son livre à elle, elle refit les livres des autres, n’y ajoutant que le sentiment d’une femme qui se fait à elle-même de petites chapelles, en faisant de Byron un Dieu. […] Né depuis moins de temps et sorti fraîchement des mains de Dieu, il semble radieusement imprégné des baisers que Dieu lui donnait encore, ce matin… Il semble qu’il y ait sur les roses de son front un reflet des portes du ciel, et de la première aurore de la création… Eh bien !

465. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Léon XIII et le Vatican »

Dieu permettra-t-il qu’il le soit ? […] Mais pour qui sait combien ces connaissances, dont l’époque raffole, sont de peu dans le gouvernement des hommes, il y avait mieux à glorifier dans Léon XIII, et c’étaient les facultés qui ne sont créées par personne et qu’on tient de Dieu pour le service de Dieu. […] Dominé par cet Antonelli qui lui ressemblait si peu, et sans que l’histoire puisse encore expliquer cette domination mystérieuse, Pie IX laissa Mgr Pecci trente-deux ans d’épiscopat à Pérouse, dans ce confinement d’un diocèse qui a été pour lui un royaume, et dans lequel il s’apprenait laborieusement à être pape, sous l’œil de Dieu, et sans savoir qu’après Pie IX ce serait lui qui le deviendrait ! […] Ancône, au banquet de la Société « l’infernale », on a hurlé : À bas Dieu !

466. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre IV. Trois espèces de jugements. — Corollaire relatif au duel et aux représailles. — Trois périodes dans l’histoire des mœurs et de la jurisprudence » pp. 309-320

C’était le culte des Scythes qui enfonçaient un couteau en terre, l’adoraient comme un Dieu, et immolaient ensuite une victime humaine. […] Les vaincus étaient considérés comme des hommes sans Dieu ; aussi les esclaves s’appelaient en latin mancipia, comme choses inanimées, et étaient tenus en jurisprudence loco rerum. […] Nous voyons que les Gentils insultaient au malheur du saint homme Job, parce que Dieu s’était déclaré contre lui. […] Ils conviennent à l’esprit de franchise, qui caractérise les républiques populaires, ennemies des mystères dont l’aristocratie aime à s’envelopper ; elles conviennent encore plus à l’esprit généreux des monarchies : les monarques dans ces jugements se font gloire d’être supérieurs aux lois et de ne dépendre que de leur conscience et de Dieu. — Des jugements humains, tels que les modernes les pratiquent pendant la paix, sont sortis les trois systèmes du droit de la guerre que nous devons à Grotius, à Selden, et à Pufendorf.

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