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345. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Parocel » pp. 255-256

Magnifique retable d’autel à tourner la tête à tout un petit couvent de religieuses ; idée digne du xie  siècle où toute la science théologique se réduisait à ce que Denis l’aréopagite avait rêvé de la suite du père éternel et de l’orchestre de la trinité.

346. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLIIIe entretien. Vie et œuvres du comte de Maistre (2e partie) » pp. 5-80

C’est le sentiment de cette iniquité qui a fait comprendre l’immortalité, cette réparation éternelle de l’iniquité d’ici-bas. […] Voici l’hymne du Tyrtée chrétien : « Ô Ville éternelle, tout ce qui devait t’anéantir s’est réuni contre toi, et tu es debout ! […] La Vierge immaculée, la plus excellente de toutes les créatures dans l’ordre de la grâce et de la sainteté, discernée entre tous les saints, comme le soleil entre tous les astres ; la première de la nature humaine qui prononça le nom de salut ; celle qui connut dans ce monde la félicité des anges et les ravissements du ciel sur la route du tombeau ; celle dont l’Éternel bénit les entrailles en soufflant son esprit en elle et lui donnant un fils qui est le miracle de l’univers ; celle à qui il fut donné d’enfanter son Créateur ; qui ne voit que Dieu au-dessus d’elle et que tous les siècles proclameront heureuse ; la divine Marie monte sur l’autel de Vénus pandémique. […] Cette renommée sera-t-elle éternelle ? […] Ces Bourbons, auxquels vous aviez tant de fois prédit une possession éternelle du trône de Louis XIV, relevé par la main de Dieu, se sont précipités eux-mêmes de ce trône pour avoir eu trop de foi dans des théories semblables aux vôtres, et leur dernier descendant, sans descendants, erre exilé de ses palais, comme un hôte d’un soir dans l’hôtellerie de Venise.

347. (1860) Cours familier de littérature. IX « XLIXe entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier » pp. 6-80

Il y avait un mystère dans sa beauté ; ce mystère la condamnait à l’éternelle pureté du marbre ; ce mystère ajoutait à la perpétuelle adoration pour cette femme. […] Sa mission était un éternel sursum corda des yeux et de l’imagination de son siècle. […] Un arrangement intervint : le jeune duc prit l’engagement écrit de ne jamais se marier et de remettre ainsi, après une jouissance purement personnelle et viagère, ses immenses biens de famille aux véritables héritiers ; il fut fidèle à cette promesse : ce fut la cause de son éternel célibat. […] Marie-Antoinette s’extasia sur cette ravissante figure ; elle la compara à celle de sa propre fille (depuis madame la duchesse d’Angoulême, captive du Temple), du même âge que Juliette Bernard et d’une figure trop tôt flétrie par des deuils éternels. […] Ce sont ces deux mystères qu’il faut respecter, mais qu’il faut entrevoir pour avoir le secret de toute la vie de madame Récamier, triste et éternelle énigme qui ne laisse jamais deviner son mot, même à l’amour.

348. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre II. L’antinomie psychologique l’antinomie dans la vie intellectuelle » pp. 5-69

La part de vérité de cette philosophie, c’est la reconnaissance de cet élément éternel, irréductible de l’esprit humain : l’unicité de l’intelligence individuelle ; c’est la revendication en faveur de ce minimum d’originalité qui est la première assise d’une originalité plus haute, d’un individualisme plus large et plus compréhensif. […] L’idéal de la plus grande science, de la plus haute culture ne rentre-t-il pas dans ce cycle de l’éternelle Illusion dont a parlé M. de Hartmann et que Nietzsche semble avoir symbolisé dans sa conception de l’Éternel Retour ? […] Ils ont douté qu’il y ait une vérité humaine, une vérité sociale et morale capable de rallier et d’unifier les intelligences C’est là l’éternelle histoire du Chatterton de Vigny, du prêtre de Némi de Renan et de tant d’autres. […] Il y a quelque analogie entre cette idée gobinienne et l’idée de l’Éternel Retour de Nietzsche.

349. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 mai 1885. »

Oui, les plus grands, les plus augustes, les plus puissants de notre race, — en plein siècle de lumières, pour me servir de ta suggestive expression, mon éternel ami, — seront fiers de réaliser, d’après mon désir, le rêve que je forme et que voici : L’heure viendra, d’abord, où les rois, les empereurs victorieux de l’Occident, les princes et les ducs militaires, oublieront, au fort de leurs victoires, les vieux chants de guerre de leurs pays, pour ne célébrer ces mêmes victoires immenses et terribles — (et ceci dans le cri fulgural de toutes les fanfares de leurs armées ! […] Le Voyageur — Eveille toi, — Wala, éveille toi : — du long sommeil — je t’appelle, ô Dormeuse, à l’éveil ; — je t’évoque ; — monte, monte ; — hors de la nuageuse fosse, — hors du nocturne fond, monte. — Erda, Erda. — Eternelle Femme, — hors du gouffre, où tu sièges, — glisse vers la hauteur : — je chante ton chant d’éveil, — pour que tu t’éveilles ; — hors du Pensant Sommeil, — je t’incante. — Tout-Sachante, — Première-Terrestre-Sage, — Erda, Erda, — Eternelle Femme, — éveille toi, Wala, éveille toi. […] … — pour accomplir, aussi, cela, — en l’Eternel Jeune Homme — se retire, joyeusement, le Dieu… — Or, descends, Erda, — Première-Originelle-Crainte, — Premier-Souci, — à l’Eternel Sommeil, — descends, descends !

350. (1856) Cours familier de littérature. I « IVe entretien. [Philosophie et littérature de l’Inde primitive (suite)]. I » pp. 241-320

VII Mais vous approchez des Alpes ; les neiges violettes de leurs cimes dentelées se découpent le soir sur le firmament, profond comme une mer ; l’étoile s’y laisse entrevoir au crépuscule comme une voile émergeant sur l’océan de l’espace infini ; les grandes ombres glissent de pente en pente sur les flancs des rochers noircis de sapins ; des chaumières, isolées et suspendues à des promontoires comme des nids d’aigles, fument du foyer de famille du soir, et leur fumée bleue se fond en spirales légères dans l’éther ; le lac limpide, dont l’ombre ternit déjà la moitié, réfléchit dans l’autre moitié les neiges renversées et le soleil couchant dans son miroir ; quelques voiles glissent sur sa surface, les barques sont chargées de branchages coupés de châtaigniers, dont les feuilles trempent pour la dernière fois dans l’onde ; on n’entend que les coups cadencés des rames qui rapprochent le batelier du petit cap où la femme et les enfants du pêcheur l’attendent au seuil de sa maison ; ses filets y sèchent sur la grève ; un air de flûte, un mugissement de génisse dans les prés, interrompent par moments le silence de la vallée ; le crépuscule s’éteint, la barque touche au rivage, les feux brillent çà et là à travers les vitraux des chaumières ; on n’entend plus que le clapotement alternatif des flots endormis du lac, et de temps en temps le retentissement sourd d’une avalanche de neige dont la fumée blanche rejaillit au-dessus des sapins ; des milliers d’étoiles, maintenant visibles, flottent comme des fleurs aquatiques de nénuphars bleus sur les lames ; le firmament semble ouvrir tous ses yeux pour admirer ce bassin de montagnes ; l’âme quitte la terre, elle se sent à la hauteur et à la proportion de l’infini ; elle ose s’approcher de son Créateur, presque visible dans cette transparence du firmament nocturne ; elle pense à ceux qu’elle a connus, aimés, perdus ici-bas, et qu’elle espère, avec la certitude de l’amour, rejoindre bientôt dans la vallée éternelle : elle s’émeut, elle s’attriste, elle se console, elle se réjouit ; elle croit parce qu’elle voit ; elle prie, elle adore, elle se fond comme la fumée bleue des chalets, comme la poussière de la cascade, comme le bruissement du sable sous le flot, comme la lueur de ces étoiles dans l’éther ; elle participe à la divinité du spectacle. […] Ils touchent la corde fausse et courte, au lieu de la corde vraie et éternelle. […] Il ne faut au poète lyrique ou au poète épique qu’une goutte d’encre au bout d’un roseau ou d’une plume pour tracer, évoquer, immortaliser sur un papyrus ou sur une page, l’enthousiasme, l’intérêt, la prière, les larmes éternelles du genre humain. […] C’est assez pour une mémoire éternelle. […] Les grands poètes se rencontrent égaux en dessin et en couleur devant leur éternel modèle la nature, à travers tous les siècles, toutes les mœurs, toutes les langues.

351. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « III. M. Michelet » pp. 47-96

» Son athéisme n’est pas une philosophie, c’est une ivresse ; c’est toujours cette même et éternelle ivresse qui l’a fait révolutionnaire et qui, d’excès en excès, développant en lui je ne sais quelle violente hystérie, a métamorphosé la bouquetière historique, charmante au début, quoique trop fleurie, et qui a laissé tomber toutes les roses de sa corbeille dans le sang, en une fausse Théroigne de Méricourt, l’amazone écarlate de l’histoire ! […] Quand Couthon disait : « Nous préparons un rapport sur une fête à l’Éternel », il y eut des grincements de dents parmi les montagnards. […] Michelet, c’est la masse acéphale, c’est le peuple obscur qui l’emporte sur tous les états-majors de la Révolution, en instincts, en vertus, en dévouements, et, qu’on nous passe le mot, en spiritualité révolutionnaire ; c’est le peuple qui est le vrai chef dans cette terrible campagne contre les principes éternels des sociétés et contre Dieu ; c’est le peuple qui est le grand et, de fait, l’unique acteur de ce vaste drame, le bourreau masqué de sa masse même, comme le bourreau de Whitehall l’est de son voile noir ! […] Triste procédé qui pourrait dispenser la Critique de s’occuper d’un ouvrage dont le fond est déjà connu, si, d’un autre côté, le nom de l’auteur, le titre du livre et les quelques points de suture qui tiennent les morceaux dont il est composé, rapprochés, ne révélaient pas suffisamment l’éternel dessein de propagande contre lequel on ne saurait mettre trop en garde les esprits faibles sur lesquels M.  […] Nous l’avions cru, et il nous eût été doux de rendre compte d’un tel ouvrage ; il nous eût été doux de démontrer la différence qu’il y a entre les héroïnes de la foi en Dieu et les héroïnes de la foi en soi-même, car, malgré l’éternelle mêlée des systèmes et le fourré des événements, il n’y a que cela dans le monde, le parti de Dieu ou le parti de l’homme, et il faut choisir !

352. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XVIII. »

ô toi, vestige du Christ, voix céleste, verbe éternel, temps infini, lumière continue, source de piété, règle de vertu, vie sainte des adorateurs de Dieu, Christ Jésus, lait céleste répandu des mamelles de la grâce divine, c’est-à-dire des sources de la sagesse ! […] Du grand Dieu le Père est né le Verbe, le Fils éternel, image archétype, essence égale à son auteur ; car la grandeur du Fils est la gloire du Père, et il a brillé d’une gloire telle que la conçoit le Père seul, ou celui qui resplendit égal au Père. […] Cet effort désespéré, cet élancement de l’âme et du langage, pour pénétrer les cieux, à la poursuite du Dieu qu’on adore, fait penser à la phrase tombée de la rêverie mélancolique de Pascal : Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraye » ; mais là je crains d’avoir surpris, dans la contemplation même, le trouble involontaire du doute ; ici je sens la certitude et la consolation de la foi, sous l’obscurité et l’impuissance des paroles. […] Partout la pensée semble subtile, les distinctions presque insaisissables ; et pourtant le sentiment est vrai, l’émotion, intime et profonde : le philosophe naguère attaché à la terre, y souhaitant, y croyant trouver encore la gloire et la paix, n’aspire plus qu’aux béatitudes éternelles. […] Il semble contempler avec lui les idées éternelles ; il y aspire encore, et ne les sépare pas de cette immuable durée qui succède au temps périssable.

353. (1873) Molière, sa vie et ses œuvres pp. 1-196

C’est là à la fois comme une leçon donnée à notre ingratitude officielle et comme un hommage rendu à cet impérissable génie français, fait de clarté et de vigueur, hardi, joyeux et sain, éternel comme la lumière. […] Gondinet célébra, en quelques strophes, la gloire de celui qui représentait la France éternelle aux yeux de la France martyre et abaissée. […] Le public est l’éternel avare, et répond presque toujours à celui qui lui demande l’aumône de la renommée : « Bonhomme, vous repasserez !  […] Il a sondé d’une main ferme la plaie éternelle de l’homme, il a démasqué le vice avec courage, et ce ne serait pas, à proprement parler, une nation qui devrait s’enorgueillir d’avoir produit un tel génie, c’est le genre humain. […] Pauvre grand homme, à présent vengé de tant d’injustices, lavé de tant d’accusations, définitivement assis dans ce monde indiscutable de l’éternelle gloire !

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