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197. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre septième. Les altérations et transformations de la conscience et de la volonté — Chapitre premier. L’ubiquité de la conscience et l’apparente inconscience »

Elles éprouvent un bien-être ou un malaise rudimentaire, une émotion infinitésimale qui suffit à produire des impulsions infinitésimales ; et celles-ci, en s’accumulant, en s’intégrant, aboutissent à une impulsion visible comme résultante. […] Il suffit donc de diminuer l’intensité et la durée d’une modification dc la conscience ou de l’appétit vital pour diminuer par cela même sa qualité distinctive, c’est-à-dire la nuance qu’elle offre comme sensation, émotion ou impulsion ; elle tend alors à se fondre dans l’ensemble confus des autres modifications qui constitue le sens total de la vie. […] A une sensation en succède une autre ; les sensations peuvent provoquer des émotions, des pensées, des volitions, des actions ; c’est le déplacement et la transformation de l’énergie mentale, parallèlement à l’énergie physique.

198. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Michelet » pp. 259-274

Rien de plus beau, du reste, et de plus touchant dans le beau, que ces trois figures retracées par Michelet avec une émotion qu’il fait partager, même à ceux qui, d’ordinaire, ne pensent pas comme lui, tant cette émotion est profonde et sincère ! […] Il fallait la donner en dernier, pour que l’admiration et l’émotion allassent grandissant, sans jamais diminuer.

199. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Dargaud »

Magique perspective de la distance qui veloute les lointains dans nos âmes comme dans les horizons, impossibilité de ressaisir ce passé qui, pour l’homme, créature de contradiction, s’embellit à mesure qu’il s’éloigne, talent naturel de coloriste grandi et avivé par l’émotion et par le souvenir, poésie de la famille qui s’ajoute encore à la poésie du passé, sentiments créés et développés par l’intimité domestique, voilà, en quelques mots, ce qui fait la valeur et ce qui fera le succès du livre de Dargaud. […] Lorsque nous trouvons dans son livre et cette poésie et cette peinture, en des proportions qui nous émeuvent et qui nous charment, nous pouvons aisément deviner ce que l’auteur y aurait versé d’émotions et de splendeurs absentes, si une maigre et chétive philosophie n’y avait pas resserré la source des plus merveilleux sentiments qui ne demandaient qu’à y jaillir. […] Nous le regrettons pour la gloire de son livre et l’émotion de son lecteur.

200. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Achille du Clésieux »

Du Clésieux, dans son poème, est resté jusqu’à la dernière page et jusqu’à son dernier vers dans la beauté du sentiment chrétien le plus pur, et cette beauté s’ajoute à celle de l’émotion humaine qui fait palpiter tout son poème, comme un cœur vivant… IV Rien de plus simple que ce roman en vers qui pourrait bien être une histoire, et cette simplicité est si grande que la donnée du poème peut se raconter en deux mots… Le héros du livre, qui n’est pas nommé dans le poème, l’amant d’Armelle, est un Childe Harold de ce temps où toute âme un peu haute est plus ou moins Childe Harold, et n’a pas besoin d’aller au fond de toutes les coupes que nous tend le monde pour s’en détourner et revenir à la solitude, — et pour s’essuyer, comme un enfant à la robe de sa mère, de ses souillures et de ses dégoûts, à la Nature. […] Chose rare, et qu’il faut savoir apprécier ce qu’elle vaut, l’émotion que le poète ressent et qu’il donne, cette émotion, contenue et continue, qui est le caractère de son poème, ne cesse pas une minute, dans ce récit en vers de plus de trois cents pages.

201. (1892) Un Hollandais à Paris en 1891 pp. -305

Pour moi, c’est un bonheur qui m’étourdit : c’est une émotion physique. […] La crise de l’émotion semble appeler la crise des faits, et une explosion en est la conséquence inexorable. […] Un tout petit filet d’émotion traverse l’historiette en un réseau de veinules qui apparaissent à la surface par-ci, qui se cachent par-là ; mais cette émotion est contrebalancée par le sérieux comique du chasseur dilettante, glorieux et repentant. […] Ai-je dit que cette exaltation artificielle de l’émotion ne valait pas un liard ? […] Quel attrait dans cette facilité à se laisser porter par ses émotions et à créer une intention là où on aimerait à pouvoir la découvrir !

202. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre onzième. La littérature des décadents et des déséquilibrés ; son caractère généralement insociable. Rôle moral et social de l’art. »

Il ne manque qu’une chose à Ymbert Galloix pour nous laisser une émotion durable, ce sont des idées générales et philosophiques, des sentiments dépassant la sphère du moi. […] Non seulement les sensations, mais les sentiments mêmes, toutes les émotions s’usent. […] Enfin l’art, ayant besoin de produire une certaine intensité d’émotions, — surtout l’art réaliste, — tend à faire appel aux passions qui, dans la masse sociale, sont les plus généralement capables de cette intensité. […] L’émotion esthétique se ramenant en grande partie à la contagion nerveuse, on comprend que les puissants génies littéraires s’attachent volontiers à vice représenter le plutôt que la vertu. […] La vertu tend donc plutôt à engendrer les émotions douces, moins rapidement contagieuses que les autres.

203. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sylvain Bailly. — II. (Fin.) » pp. 361-379

L’abbé de Montesquiou, étant venu faire part d’un arrêté au nom de l’ordre du clergé, prononce un discours et loue le secrétaire de l’Assemblée, c’est-à-dire Bailly, comme l’ami des pauvres et l’écrivain des hôpitaux : J’ai promis, s’écrie Bailly, que mon âme serait ici toute nue, et en conséquence je dirai que cette justice qui me fut rendue inopinément au milieu de mes collègues, dans une si digne assemblée et par un autre ordre que le mien, me causa une vive et sensible émotion. […] Arrivé à Chaillot, où il passait les étés depuis trente ans, Bailly s’y voit l’objet d’une ovation, ou plutôt d’une fête patriarcale et champêtre, « fête sans faste, dont la décente gaieté et les fleurs firent tous les frais », et qu’on lui donne chez lui, dans les différentes pièces de sa maison et de son jardin : Je ne dis rien de trop en disant que je fus embarrassé par cette foule presque entière, qui se pressait autour de moi avec les plus vives expressions de l’amour et de l’estime, une joie pure et douce, une paix qui annonçait l’innocence : cette fête était vraiment patriarcale ; elle m’a donné les plus délicieuses émotions, et m’a laissé le plus doux souvenir. […] redoublent ; Bailly ne peut s’empêcher de les enregistrer avec son émotion ordinaire : mais, par une espèce de pressentiment trop justifié, il ajoute : J’arrivai à Notre-Dame dans cette espèce de triomphe, le premier dont un citoyen né dans ce qu’on appelait jadis l’obscurité, ait été honoré. […] Bailly, recherché et condamné pour l’acte de vigueur inutile et tardif par lequel il avait essayé, de maintenir l’autorité de la loi et le respect de la Constitution le 17 juillet 1791, paya en un jour la rançon de toute sa popularité passée et de ses émotions attendrissantes.

204. (1914) Une année de critique

Mais il est bien vrai que la forme même du livre détruisait à la fois la vraisemblance et l’émotion. […] Il y a de l’esprit aussi, avec une émotion sincère, dans le Plaisir de rompre. […] Tristesse et émotion qui naissent au spectacle de l’isolement de chaque être au milieu des autres êtres. […] L’émotion leur fait peur ; les discours sentimentaux ne composent pas l’ordinaire de leur vie. […] Il en connaît toutes les émotions.

205. (1899) Musiciens et philosophes pp. 3-371

L’idée de communiquer ce rêve et l’émotion qui en résulte à ses semblables, ne vient qu’en seconde ligne. […] Quand chacun de nous se reconnaît et se retrouve dans l’œuvre d’art, c’est que celle-ci est vraie, et dès lors, elle créera l’émotion esthétique. […] En face l’un de l’autre, tous deux s’étaient tus, ne trouvant pas une parole pour traduire leur commune émotion. […] Pas la moindre trace de musique, c’est-à-dire de l’art de communiquer à l’auditeur l’émotion de l’auteur. […] Toute la gamme infiniment graduée de nos émotions appartient à son domaine ; elle est la manifestation la plus spontanée, la plus directe de ces vibrations dont parle Herder.

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