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1986. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « DIX ANS APRÈS EN LITTÉRATURE. » pp. 472-494

Plusieurs même, et des plus éminents, se remettent à écrire, avec lenteur et discrétion sans doute, mais enfin ils s’y remettent. […] Son rare bon sens, qui, dans ses éloquents écrits, se revêt si souvent et s’arme ou se voile d’éblouissants éclairs, n’a jamais paru plus élevé, plus net, mieux discernant, aux yeux de tous ceux qui ont l’honneur de l’approcher. […] Des différences tranchées séparaient les points de départ, les origines de ces esprits distingués ; l’un n’aurait pu écrire indifféremment là où écrivait l’autre ; il y avait barrière. […] Qu’Alfred de Musset laisse courir ces charmantes comédies qui ont déridé même les classiques sévères, que Quinet écrive sur Strauss avec une imagination tempérée par les faits, tout le monde applaudit.

1987. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre IV »

Mais ce qu’il y a de plus curieux, c’est que j’ai rencontré un jour toute une colonie de lépreux, en France même, du côté de Sarrau, dans le Morbihan, et cela peu de temps avant d’écrire mon roman. […] Pour mon compte, ma méthode n’a jamais varié depuis le premier roman que j’ai écrit. J’admets trois sources d’information : les livres, qui me donnent le passé ; les témoins, qui me fournissent, soit par des œuvres écrites, soit par la conversation, des documents sur ce qu’ils ont vu ou sur ce qu’ils savent, et enfin l’observation personnelle, directe, ce qu’on va voir, entendre ou sentir sur place. […] « Pour la partie historique de la Fortune des Rougon écrit-il à la suite de la déclaration précitée75, je me suis adressé au livre de Ténot sur les événements tragiques qui se passèrent dans le Var, en décembre 1851 ; et je me souviens que ce fut Jules Ferry qui me fournit les notes dont j’avais besoin pour faire vivre dans la Curée, les transformations de Paris du baron Haussmann. […] Il n’en évita, dès lors, aucun des écueils : et d’abord le danger de voir ses écrits vieillir en même temps que les formes dont ils procédaient : « Dans le roman En famille, disait-il un peu amèrement au Dr Cabanès84, j’ai eu à guérir un aveugle ; j’ai lu l’article qui se rapportait à la maladie que je voulais traiter dans le Dictionnaire de Jaccoud.

1988. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre II. Du goût, de l’urbanité des mœurs, et de leur influence littéraire et politique » pp. 414-442

Les délicatesses exagérées de quelques sociétés de l’ancien régime n’ont aucun rapport sans doute avec les vrais principes du goût, toujours conformes à la raison ; mais l’on pouvait bannir quelques lois de convention, sans renverser les barrières qui tracent la route du génie, et conservent, dans les discours comme dans les écrits, la convenance et la dignité. […] De l’opposition de ces deux extrêmes, les idées factices de la monarchie et les systèmes grossiers de quelques hommes pendant la révolution, résultent nécessairement des réflexions justes sur la simplicité noble qui doit caractériser, dans la république, les discours, les écrits et les manières. […] Il faut donc, pour donner aux écrits plus d’élévation, et aux caractères plus d’énergie, ne pas soumettre le goût aux habitudes élégantes et recherchées des sociétés aristocratiques, quelque remarquables qu’elles soient par la perfection de la grâce ; leur despotisme entraînerait de graves inconvénients pour la liberté, l’égalité politique, et même la haute littérature. […] Or, sans ce tribunal toujours existant, l’esprit des jeunes gens ne peut se former au tact délicat, à la nuance fine et juste, qui seule donne aux écrits, dans le genre léger, cette grâce de convenance et ce mérite de goût tant admiré dans quelques écrivains français, et particulièrement dans les pièces fugitives de Voltaire. […] Or, que deviendraient les écrits qui prennent nécessairement l’empreinte des mœurs, si les manières vulgaires, ces manières qui font ressortir les défauts et les désavantages de tous les caractères, continuaient à dominer ?

1989. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre VI, « Le Mariage de Figaro » »

Dans les salons, cela se conçoit, domine l’influence encyclopédique et voltairienne ; Mme du Deffand écrit à Voltaire : « Il n’y a que votre esprit qui me satisfasse » ; et Mme de Choiseul le pense. […] Le mépris de Louis XV et de ses tristes enfants est plus profond chez de grandes dames comme Mines d’Egmont et de Boufflers qui écrivent à un roi, que chez la petite bourgeoise, Mlle Phlipon. […] 3. « Le Barbier de Séville » Quand éclata l’affaire Goëzman, Beaumarchais avait une pièce reçue à la Comédie Française : c’était le Barbier de Séville, parade écrite pour la société d’Étioles, puis opéra-comique, et enfin comédie en quatre actes. […] Beaumarchais a mis tous ses instincts de révolte ; par la bouche de Figaro, il verse le ridicule sur tout ce qui soutenait l’ancien régime : noblesse, justice, autorité, diplomatie ; il fait une revendication insolente des libertés de penser, de parler et d’écrire, il réclame contre l’inégalité sociale ; d’un côté, la nullité et la jouissance ; de l’autre, le mérite et la peine. « Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous croyez un grand génie ; … vous vous êtes donné la peine de naître, rien de plus ; … tandis que moi, morbleu !  […] Cependant il fait jouer son Barbier de Séville (1775), écrit son Mariage de Figaro, qui ne sera joué qu’en 1784.

1990. (1886) De la littérature comparée

Chaque époque — la nôtre comme les autres — produit, à côté d’une foule d’œuvres qui dépendent de la mode du moment et disparaissent avec elle, quelques œuvres d’une portée plus, sérieuse, destinées à survivre un temps plus ou moins long, dignes en tout cas d’être examinées et reconnues : les écrivains sont trop disposés à consacrer par des admirations exagérées les productions éphémères dont ils subissent l’attrait ; l’Université englobe trop souvent dans le même mépris les écrits insignifiants et les œuvres durables. […] Il va sans dire qu’elle laisse le champ libre à ces aimables feuilletons qui renseignent au jour le jour le public sur les écrits contemporains. […] Quelques-uns des auteurs latins subsistent pourtant : Virgile, d’abord, auquel on fait une sorte de réputation de nécromant, quelques écrits de Cicéron et de Sénèque, Tite-Live, Salluste, Horace, Ovide, Pline, Lucain ; on les lit dans les cloîtres, on les cite dans les écrits scolastiques et dans les chroniques, on les commente, mais généralement sans les comprendre, et en les plaçant tous au même rang. […] C’est à travers Benoît de St-More que Henri de Veldeke écrit son Énéide et Herbort de Frizlar sa Guerre de Troie, et vous savez de quelles sources invraisemblables, de quels mystérieux Dictys de Crète et Darès le Phrygien le poète normand tient lui-même ses renseignements.

1991. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur Droz. » pp. 165-184

Ces traits sont essentiels pour indiquer les premiers caractères d’un talent qui, dans ses écrits les plus divers, portera l’inspiration de la piété et de la félicité domestique. […] La direction de ses études et de ses écrits l’avait mis en relation assez étroite avec les membres de la société d’Auteuil, avec Tracy, avec Cabanis. […] Le vieux poète a célébré le charme de ces petites réunions dans une épître à Droz, qu’il a représenté dans son intérieur modeste : Goûtez votre bonheur, Couple aimable et sensible ; Dieu rassembla pour vous, sous votre toit paisible, Des trésors de raison, et de grâce et d’esprit ; L’art de se rendre heureux dans vos mœurs fut écrit. […] Au sujet des divers écrits que composa M.  […] Dans ses autres écrits, et quand il créait en partie ses sujets, il abondait trop dans son propre sens, s’il est permis de le dire ; il avait de l’onction, mais l’ironie d’un Socrate ou d’un Franklin, il ne l’avait pas.

1992. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « L’abbé Gerbet. » pp. 378-396

À vingt-quatre ans, l’abbé Gerbet annonçait un talent philosophique et littéraire des plus distingués ; en Sorbonne, il avait soutenu une thèse latine avec une rare élégance ; il avait naturellement les fleurs du discours, le mouvement et le rythme de la phrase, la mesure et le choix de l’expression, même l’image, ce qui, en un mot, deviendra le talent d’écrire. […] Mais où donc le pauvre solitaire qui l’écrivait puisait-il cet amour intarissable ? […] Des divers écrits de l’abbé Gerbet, je ne citerai plus qu’un seul, et c’est peut-être son chef-d’œuvre : il se rattache à une circonstance touchante, que les personnes pratiquement religieuses sentiront mieux que d’autres, mais qu’elles ne seront pas seules à apprécier. […] C’est le sentiment vif de cette incomparable et idéale agonie qui lui inspira un Dialogue entre Platon et Fénelon, où celui-ci révèle au disciple de Socrate ce qu’il lui a manqué de savoir sur les choses d’au-delà, et où il raconte, sous un voile à demi soulevé, ce que c’est qu’une mort selon Jésus Christ : Ô vous, qui avez écrit le Phédon, vous, le peintre à jamais admiré d’une immortelle agonie, que ne vous est-il donné d’être le témoin de ce que nous voyons de nos yeux, de ce que nous entendons de nos oreilles, de ce que nous saisissons de tous les sens intimes de l’âme, lorsque, par un concours de circonstances que Dieu a faites, par une complication rare de joie et de douleurs, la mort chrétienne, se révélant sous un demi jour nouveau, ressemble à ces soirées extraordinaires dont le crépuscule a des teintes inconnues et sans nom ! […] Et c’est ce même homme qui a fait le livre de l’Eucharistie, le Dialogue de Platon et de Fénelon, et qui avait eu l’idée d’écrire la dernière Conférence de saint Anselme au sujet de l’âme ; celui même que le clergé français put opposer avec honneur à Jouffroy, et que le plus sympathique des protestants, M. 

1993. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Les Faux Démétrius. Épisode de l’histoire de Russie, par M. Mérimée » pp. 371-388

Mérimée écrivait cela dans la préface de la Chronique du règne de Charles IX, il a bien étendu et développé son point de vue, et à la fois il est resté fidèle à son premier goût. […] Le hardi prétendant, prenant le ton d’un souverain légitime, lui écrivait ou écrivait au patriarche de Moscou à son adresse : « Pour moi, je veux bien user de clémence à votre égard. […] Mérimée écrit l’histoire est saine, simple, pleine de concision et de fermeté ; il y porte un esprit et un tour qui n’est qu’à lui entre les historiens modernes, et que j’aurai soin de définir, d’autant plus que cette forme n’a pas encore acquis tout son développement. […] Cicéron, en un endroit de son traité De l’orateur, a parlé de la manière d’étudier et d’écrire l’histoire.

1994. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Fervaques et Bachaumont(1) » pp. 219-245

Ils n’en composent pas cependant, mais la société dont ils écrivent l’histoire en est un quelquefois, et pour la peindre, il faut la respirer. […] III La Rolande que voici, ce roman écrit par des chroniqueurs, est une chronique encore, et non point uniquement par le fait de cette tyrannie de l’habitude ou du métier, qui s’imprègne malgré soi, si vite et si profondément, sur la pensée. […] Fervaques n’écrit pas les mémoires de son temps comme les ont écrits tant de faiseurs de mémoires et de conteurs d’anecdotes, que nous sommes bien heureux d’avoir pour nous faire comprendre la grande histoire, qui n’est pas toujours ce qu’elle paraît être dans les historiens solennels. […] C’était dans l’intérêt de leurs personnalités qu’ils écrivaient.

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