L’ouvrage n’étant qu’une attaque à fond, une guerre déclarée aux romans de chevalerie dont n’entendirent jamais parler ni Aristote, ni Cicéron, ni saint Basile, il n’est pas plus à propos de venir citer ces grands noms que de s’inquiéter des règles de la rhétorique auxquelles un tel sujet, né si tard et si étranger aux anciens maîtres, échappe naturellement. […] Je n’entends point parler ici de maint anachronisme ni des inadvertances de détail qu’on a relevés et qui sont échappés à la plume rapide de l’auteur ; je ne parle que de l’ensemble des caractères et de l’action. […] D’un côté en effet, c’est bien la folie vraiment folle, qui échappe, qui court les champs à l’aventure et avec laquelle on va de surprise en surprise : de l’autre, c’est la folie connue à l’avance, et dont on a le signalement, une folie mystifiée et surveillée. […] Et d’abord il n’y a nul doute qu’il devait se rencontrer dans Don Quichotte quantité d’allusions satiriques et fines que les contemporains saisissaient au passage et qui nous échappent aujourd’hui. […] Sachons que nous y ajoutons, de notre chef, des intentions que l’auteur n’a jamais eues, comme par compensation de toutes celles qu’il a eues en effet, et qui nous échappent.
comment, par exemple, resterait-il insensible à ces chants délicieux et purs, récemment échappés à une épouse, à une mère, à une amie de la France ? […] Elle-même se plaît à le reconnaître, en leur empruntant fréquemment ses épigraphes ; seulement, chez elle, tout vestige de système a disparu, et rien ne lui échappe qui n’ait passé par son cœur. […] L’auteur n’échappe jamais à ce défaut ; déjà dans la belle ode où il fait parler Louis XVII, il s’était mis à chaque instant à la place de son personnage.
On y sent mieux que nulle part ailleurs combien l’importance d’un point d’arrêt précis, d’une marche mesurée à l’avance, a échappé à l’imprévoyante ardeur de ces âmes girondines jetées éperdument entre M. […] Sieyès, Barnave, Thouret, Rabaut, la plupart de ceux avec qui tout à l’heure elle mourra, n’échappent pas aux qualifications de lâche et de perfide ; Pétion, Buzot, Robespierre, seuls, la satisfont. […] Dans une lettre inédite à Brissot (31 juillet 92), très-importante historiquement, elle devient, il faut le dire, injurieuse, insultante, et s’échappe à qualifier le vertueux général du même terme dont Voltaire irrité n’a pas craint de qualifier Rousseau. […] Mme Roland, de onze ans plus âgée, dut à l’avantage de son éducation bourgeoise d’échapper tout d’abord à bien des faux-brillants, au factice de la vanité et de la société. […] Toutes les deux laissent échapper dans leurs récits un enjouement marqué, une verve également méprisante et moqueuse contre les persécuteurs de bas étage dont on les entoure ; elles sont maîtresses, dès qu’il le faut, en ce jeu de l’ironie, arme aisée des femmes supérieures.
Dans ce désastre, aggravé par l’imprévoyance ottomane, il n’échappa guère, à la faveur de la nuit, qu’une section de la flotte turque, l’escadre d’Alger, commandée par le dey lui-même, indépendant du pacha turc, et manœuvrant de hardis navires habitués aux écueils de ces mers, et non moins alertes à la fuite qu’au pillage. Ce fut même ce prince, sujet de la Porte, qui vint rassurer, ou épouvanter Constantinople, et montrer à Sélim, comme un dernier secours, les seuls vaisseaux ottomans échappés à la ruine commune. […] » Le beau mouvement par où débute cette strophe ne peut échapper au lecteur. […] C’est pour l’Europe le dédommagement tout préparé à la séparation, il la croissance du nouveau monde, qui lui est échappé sans retour. […] Il faut l’avouer cependant : la différence saisie par un tel maître échappe à des yeux plus faibles ; et, dans cette périlleuse carrière du mysticisme, la suspension de l’âme humaine pour laisser place à Dieu seul, l’amour contemplatif porté jusqu’à l’extase, sans tomber dans le quiétisme, sont pour nous une douteuse énigme.
La porte d’ivoire par laquelle, selon le poète, s’échappent les songes faux, est toujours plus agréable que la porte de corne qui seule donne passage à la vérité. […] Comme il est dans un âge où il n’a point encore acquis tout le pouvoir sur lui qu’il aura sans doute avec le temps, il lui échappe quelquefois de dire de certaines choses dont Madame Royale est informée, par le soin qu’on a de veiller continuellement sur ses actions et sur ses paroles… Ce qui doit augmenter l’inquiétude de Madame Royale, c’est qu’on voit que M. le duc de Savoie est vif, impatient et sensible, et que, dans les premières années de sa régence, elle l’a traité avec une sévérité dont à peine elle s’est relâchée depuis quelques mois… » Le jeune prince en était dès lors à éprouver pour sa mère un sentiment de répulsion et presque d’aversion. […] Moins maître de lui qu’il ne le fut ensuite, il laissa un jour échapper un signe non équivoque de son animosité contre la France. […] Il appliquait en toute occasion ce mot qui lui était échappé, parlant à son ancien gouverneur, « que dorénavant il voudrait, s’il lui était possible, négocier et traiter d’affaires sous terre. » On ne savait jamais au juste, en effet, quand on traitait avec lui, où l’on en était ni où l’atteindre. […] C’était un Protée qui vous échappait. « On peut dire de lui, écrivait le marquis d’Arcy, ambassadeur à Turin, ce qu’on disait de Charles-Emmanuel (le contemporain de Henri IV), que son cœur est couvert de montagnes comme son pays. » Ses démonstrations et ses semblants sont pour Louis XIV : son goût est pour le prince d’Orange.
Tout d’abord je dois dire, pour qu’il n’y ait pas à se méprendre sur les éloges si dus à cet état d’une belle âme inaltérable et pure, que l’angélique princesse est au fond dans l’inintelligence politique la plus entière de la situation ; elle voit nettement les faits, et elle les rend comme elle les voit ; mais la raison, la nécessité qui les produit et les enchaîne lui échappe. […] J’avais cherché un moyen qui m’a longtemps échappé ; il me fallait une personne sûre et bien posée68, qu’il ne pût pas déjouer… Enfin, la personne la plus propre à une pareille négociation, le comte de La Marck, s’est rencontré sous ma main et je l’ai employé sur-le-champ. […] Louis XVI qui, dans son apathie de nature, n’était peut-être pas fâché d’échapper à ce puissant conseiller qui le pressait trop d’agir, disait : « Voilà ce que c’est que d’employer des gens peu estimables ! […] L’empereur Léopold, prince sage, prudent, peu disposé à intervenir, très occupé à contenir les émigrés, n’était pas toujours bien au fait des dispositions de sa sœur ; il la croyait quelquefois affaiblie, découragée ; il lui écrit un jour en ce sens et lui donne le conseil de quitter la partie, d’échapper à ce rôle de victime. […] Une fois pourtant, dans une lettre du 6 décembre 1791, il lui échappe de dire nous, en parlant des Français, mais c’est pour y joindre la plus sanglante et la plus imméritée des injures : « Nous sommes trop lâches pour cela (pour déclarer la guerre). » On voudrait effacer cette lettre, qu’on lit à la page 273 du volume de M. d’Hunolstein.
Mais si, malgré la modération que nous nous étions imposée, il nous est échappé quelque expression qu’il désapprouve, nous le prions de nous la pardonner… Nous avons combattu ses idées, sans cesser d’admirer son style… Mirabeau était atteint ; il le désirait peut-être : il s’élança. […] On peut juger de ce que peut être la dignité de l’homme mise en musique ; mais les contemporains s’en accommodaient fort, et Beaumarchais essayait par tous les moyens de ressaisir la popularité qui lui échappait. […] Ce fut miracle, en vérité, si cette maison échappa au flot dévastateur qui descendait journellement du faubourg, et qui s’y brisait comme à un cap avancé. […] Beaumarchais n’échappa point à l’un des inconvénients que les gens du plus grand esprit subissent quelquefois dans leur vieillesse. […] Mais j’avoue que je suis un peu comme la Claire de Jean-Jacques, à qui même, au travers des larmes, le rire échappait quelquefois.
Dans ses discours, avec tous les mots heureux qu’on lui a vus et les saillies qui lui échappaient, il n’avait pas la netteté, et, à un certain moment, il s’embarrassait dans les digressions, ce qui a fait dire à Fénelon « qu’il n’avait que des lueurs d’esprit ». […] Lorsque le maréchal quitta en 1708 l’armée d’Allemagne, elle revint à Paris, étant restée jusque-là, pendant les campagnes, à Strasbourg, et il lui échappa de dire « qu’enfin elle quittait le service ». […] Un dernier bonheur de Villars, c’est d’avoir inspiré une des dernières bonnes oraisons funèbres : celle que prononça l’abbé Seguy, à Saint-Sulpice, sans échapper aux inconvénients du genre, est remarquable du moins par un bel exorde d’un nombre et d’une pompe bien appropriés au héros.
La fraction de lui-même qu’il a érigée en sujet, échappe à ses prises. Veut-il s’en saisir, il lui faut s’endétacher, la repousser dans le royaume mort du passé, et tirer de sa propre substance un nouveau sujet qui va échapper à son tour à ce nouvel effort de possession intégrale.