Émotions et raisonnements, toutes les forces et toutes les actions de son âme se rassemblent et s’ordonnent sous un sentiment unique, celui du sublime, et l’ample fleuve de la poésie lyrique coule hors de lui, impétueux, uni, splendide comme une nappe d’or… « Il a été nourri dans la lecture de Spenser, de Drayton, de Shakespeare, de Beaumont, de tous les plus éclatants poëtes, et le flot d’or de l’âge précédent, quoique appauvri tout alentour et ralenti en lui-même, s’est élargi comme un lac en s’arrêtant dans son cœur… « Tout jeune encore et au sortir de Cambridge il se portait vers le magnifique et le grandiose ; il avait besoin du grand vers roulant, de la strophe ample et sonnante, des périodes immenses de quatorze et de vingt-quatre vers. […] C’est plutôt le grand poète de l’âge suivant, c’est le classique dans toute sa correction et sa concise élégance, c’est Pope qui n’a pas à se louer de M. […] Ne faut-il voir d’abord dans Pope « qu’un nabot, haut de quatre pieds, tortu, bossu, maigre, valétudinaire, et qui, arrivé à l’âge mûr, ne semble plus capable de vivre ? […] Vers l’âge de seize ans son goût était formé, disait-il, autant qu’il le fut plus tard. […] Averti de bonne heure par un ami, le poète Walsh, qu’il connut vers l’âge de quinze ans, il se dit qu’après tout ce qui avait été fait en poésie il n’y avait plus qu’une voie qui lui était laissée pour exceller.
Convenait-il qu’un livre, publié au profit de la fille de l’auteur, et d’une fille d’un âge si tendre, contînt de semblables passages ? S’il y avait trace aussi et aveu de quelque passion d’âge mûr, de quelque mystère de cœur, opposé au sentiment parfait d’une épouse fidèle, convenait-il de laisser de tels endroits et de découvrir le sein au défaut de la cuirasse ? […] « Je suis un peu embarrassée », dit Mme Roland lorsqu’elle en vient à cette histoire, « de ce que j’ai à raconter ici ; car je veux que mon écrit soit chaste, puisque ma personne n’a pas cessé de l’être, et pourtant ce que je dois dire ne l’est pas trop. » Et en finissant ce récit, de tout point fort circonstancié, elle ajoute : « L’impression de ce qui s’était passé demeura si forte chez moi que, même dans l’âge des lumières et de la raison, je ne me le rappelais qu’avec peine ; que je n’en ai jamais ouvert la bouche à une intime amie qui eut toute ma confiance ; que je l’ai constamment tu à mon mari, à qui je ne cèle pas grand’chose, et qu’il m’a fallu faire dans ce moment même autant d’efforts pour l’écrire que Rousseau en fit pour consigner l’histoire de son ruban volé, avec laquelle la mienne n’a pourtant pas de comparaison. » Je sais bien d’autres histoires des Confessions avec lesquelles celle-ci a plus de ressemblance qu’avec le ruban volé, et ce sont les plus laides ; il suffit, je ne les indiquerai pas avec plus de précision. […] Roland, de plus, avait vieilli, et de son côté Mme Roland était arrivée à cet âge de trente-cinq ans environ où la pudeur diminue, même aux plus honnêtes, et où la plus sage a fort à se défier des désirs qui, dans leur dernier réveil, et avec tout un arriéré formidable, sentent qu’ils n’ont plus qu’un jour, une heure, une suprême saison. […] Mais ce n’était qu’un sentiment, non une passion, — non la passion véritable contre laquelle elle avait eu à lutter et dont elle parle en ses Mémoires comme d’une chose actuelle, disant de l’orage où elle vit et où elle se sent comme enveloppée qu’elle a besoin de toute la vigueur d’un pour sauver à peine l’âge mûr.
1837 On a beaucoup parlé, dans ces derniers temps, de poésie populaire ; on en a remis en honneur le règne et la floraison, trop oubliés jusqu’alors, et qui avaient orné un certain âge adolescent de la vie des nations ; on est même allé jusqu’à se figurer un temps privilégié où la poésie circulait comme dans l’air, où chacun plus ou moins y participait, et où l’œuvre admirée se formait du génie de tous. Ce qu’il y a de vrai dans cette perspective de lointain ne saurait faire qu’en tout temps, même aux âges le plus naïvement poétiques, la poésie, telle qu’elle s’y réalisait, n’ait été en définitive produite par le talent singulier de quelques individus ; la masse ne la possédait qu’alors seulement, et elle se l’appropriait par l’usage, par la jouissance. […] A cet âge, il le fallait voir, le cornet en main, coiffé de papier gris, suivre son père dans les charivaris du lieu. […] Il était triste encore quand, après la foire, où il avait rempli sa petite bourse en portant des paquets, il la donnait à sa mère, et qu’il voyait celle-ci la prendre avec soupir en disant : « Pauvre enfant, tu viens bien à propos. » La pauvreté s’annonçait ainsi par de rares pensées, que bientôt dissipait la légèreté de l’âge. […] C’est de ce côté que, l’âge venant, nous voudrions le voir de plus en plus se tourner.
Ce ne fut qu’après Richelieu, après la Fronde, sous la reine-mère et Mazarin, que tout d’un coup, du milieu des fêtes de Saint-Mandé et de Vaux, des salons de l’hôtel de Rambouille1 ou des antichambres du jeune roi, sortirent, comme par miracle, trois esprits excellents, trois génies diversement doués, mais tous les trois d’un goût naïf et pur, d’une parfaite simplicité, d’une abondance heureuse, nourris des grâces et des délicatesses indigènes, et destinés à ouvrir un âge brillant de gloire où nul ne les a surpassés. […] Mme de Sévigné, libre à cet âge, avec un fils et une fille, ne songea pas à se remarier. […] Ce caractère religieux et résigné augmenta chez elle avec l’âge, sans altérer en rien la sérénité de son humeur ; il communique souvent à son langage quelque chose de plus fortement sensé et d’une tendresse plus grave. […] Mademoiselle de Montpensier, du même âge que Mme de Sévigné, mais qui s’était un peu moins assouplie qu’elle, écrivant en 1660 à Mme de Motteville sur un idéal de vie retirée qu’elle se compose, y désire des héros et des héroïnes de diverses manières : « Aussi nous faut-il, dit-elle, de toutes sortes de personnes pour pouvoir parler de toutes sortes de choses dans la conversation, qui, à votre goût et au mien, est le plus grand plaisir de la vie et presque le seul à mon gré. » 8. […] Walckenaer (Mémoires sur Mme de Sévigné) remarque très-bien qu’elle, qui eut le sentiment maternel si développé, n’eut pas le temps d’avoir le sentiment filial, étant restée orpheline en si bas âge.
C’était le temps où, en France, nous étions en plein âge de fer, en pleine barbarie, et où, après l’agonie des derniers Carlovingiens, une monarchie rude s’ébauchait sous Hugues Capet et le roi Robert. […] Le vieillard en fut saisi brusquement et s’évanouit ; on le rapporta dans sa maison, où il mourut à l’âge de quatre-vingts ans. […] Roustem appartient à cet âge héroïque où la force physique est encore considérée comme la première des vertus. […] Quand il eut atteint l’âge de dix ans, personne dans son pays n’osait lutter contre lui. » Il se distinguait, à première vue, de tous les Turcs d’alentour ; il devenait manifeste qu’il était issu d’une autre race. […] » Le combat continue à coups de massue ; nous sommes en plein âge héroïque.
Le père Adam les montrait comme un chef-d’œuvre à Voltaire, qui disait, en souriant, que ce n’était pas mal pour un enfant de cet âge. […] Cette suite d’Arlequins pris à des moments et à des âges différents fait une série de jolies pièces, où les mots naturels, gais et fins, sont abondamment semés. […] N’en médisons pas trop cependant ; ces pastorales de Florian ne sont pas seulement un livre, c’est un âge de notre vie : Vous souvient-il d’Estelle ? […] Florian, à qui tout souriait, fut reçu à l’Académie en 1788, à l’âge de trente-trois ans, en concurrence avec Vicq d’Azyr. […] Or, dans la première quinzaine de septembre 1793, le château privilégié réunissait encore, au sein de sa douce et fraîche vallée, une vingtaine de personnes de tout âge, hommes, femmes, tous plus ou moins menacés, et qui, au milieu de ces idées de ruine, de prison et de mort même, dont chacun était environné alors, tâchaient d’oublier l’orage et de jouir ensemble des derniers beaux jours.
Mais ce goût-là, dans les âges suivants, est trop vite devenu du dégoût. […] Ce n’est pas un siècle doux ni qu’on puisse appeler un siècle de lumières, c’est un âge de lutte et de combats. […] Lui, il est comme Socrate, qui ne se considérait pas comme citoyen d’une seule ville, mais du monde ; il embrasse d’une imagination pleine et étendue l’universalité des pays et des âges ; il juge plus équitablement les maux mêmes dont il est témoin et victime : À voir nos guerres civiles, qui ne crie, remarque-t-il, que cette machine se bouleverse et que le jour du Jugement nous prend au collet ? […] Et, loin de s’abattre et de maudire le sort de l’avoir fait naître en un âge si orageux, il s’en félicite tout à coup : « Sachons gré au sort de nous avoir fait vivre en un siècle non mol, languissant ni oisif. » Puisque la curiosité des sages va chercher dans le passé les confusions des États pour y étudier les secrets de l’histoire et, comme nous dirions, la physiologie du corps social à nu : « Ainsi fait ma curiosité, nous déclare-t-il, que je m’agrée aucunement de voir de mes yeux ce notable spectacle de notre mort publique, ses symptômes et sa forme ; et, puisque je ne la puis retarder, je suis content d’être destiné à y assister et m’en instruire. » Je ne me permettrai pas de proposer à beaucoup de personnes une consolation de ce genre ; la plupart des hommes n’ont pas de ces curiosités héroïques et acharnées, telles qu’en eurent Empédocle et Pline l’Ancien, ces deux curieux intrépides qui allaient droit aux volcans et aux bouleversements de la nature pour les examiner de plus près, au risque de s’y abîmer et d’y périr. […] Tout son livre, a dit Étienne Pasquier, est un vrai séminaire de belles et notables sentences ; et elles entrent d’autant mieux qu’elles courent et se pressent, et ne s’affichent pas ; il y en a pour tous les âges et pour toutes les heures de la vie ; on ne le peut lire quelque temps sans en avoir l’âme toute remplie et comme tapissée, ou, pour mieux dire, tout armée et toute revêtue.
Son père l’avait emmené en Guyenne en bas âge ; là, dans son château de Bonnefons, il plaça près de lui un jeune précepteur, qui devint plus tard un prédicateur assez célèbre, l’abbé Anselme, sujet excellent, homme sensé et distingué, d’une piété éclairée, d’une morale exacte, qui donna à son élève les meilleurs préceptes et lui laissa les plus pures impressions : « Ce n’est point sa faute, dit M. d’Antin, si je n’ai pas l’esprit et le cœur faits comme je devrais l’avoir ; il n’y a rien oublié de sa part, ses paroles et ses actions étant toujours de concert. » Mais la nature avait mêlé dans cette âme délicate et molle des goûts de séduction qui ne demandaient que l’éveil. […] Après avoir fait son temps à l’Académie, c’est-à-dire s’être dressé aux divers exercices de corps, au cheval, aux armes, et à tout ce qui constituait un jeune homme de qualité accompli, d’Antin, à l’âge de dix-huit ans, entra au service ; on lui eut une place de sous-lieutenant dans un corps d’élite, dans le régiment du Roi, et il eut la permission, avant de partir, d’aller saluer le roi lui-même à Fontainebleau : M. le duc de Bellegarde, mon oncle, fut chargé de me présenter. […] Une gravure du temps nous représente dans cet âge de première jeunesse « M. le marquis d’Antin, fils unique de M. le marquis de Montespan, et l’un des seigneurs nommés pour être assidus auprès de Monseigneur ». […] Il se trouva brusquement réformé et retranché du service au commencement d’avril 1707, à l’âge de quarante-deux ans ; il ne fut pas des lieutenants généraux désignés pour la campagne qui allait s’ouvrir. […] Il mourut le 2 novembre 1736, à l’âge de soixante et onze ans.
De Brosses fut séduit par ce noble et grave exemple ; il oublia trop que le président Bouhier, comme l’évêque d’Avranches Huet, était déjà un oracle d’un autre âge, et qu’il regardait le passé ; il oublia que le xviie siècle, dans toute sa gloire moderne et désormais vulgaire, était venu. […] À mesure qu’on s’éloigne de l’époque de la Renaissance et de l’âge de cette grande invasion classique, il est bien clair que le monde tend à se dégager de plus en plus du poids de l’Antiquité, qui avait d’abord été accablant. […] Consolez-moi dans mon affliction, j’en ai grand besoin ; mon pauvre favori vient de mourir de la poitrine, à l’âge de trente-trois ans. […] Son mémoire sur le Culte des dieux fétiches (1760), sur cette idolâtrie brute qu’il considère comme un des âges naturels de l’humanité ignorante et grossière en tout pays (en la considérant depuis le Déluge, dit-il, et depuis la dispersion), atteste un esprit philosophique qui, sur ce point, n’est pas allé à toutes ses conséquences. […] Il ne vécut pas assez pour assister aux avortements successifs de réforme qui signalèrent la première époque de Louis XVI, et qui amenèrent de si violentes conséquences ; il mourut assez brusquement dans un voyage qu’il fit à Paris, le 7 mai 1777, à l’âge de soixante-huit ans.