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1172. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XI »

Depuis ce bâtard antique auquel son père avait donné ironiquement pour patrimoine les rayons du soleil entrés, à ce moment, dans la chambre, et qui, traçant avec son glaive un cercle autour de l’espace éclairé, fit le geste de ramasser les rayons, de les enfermer dans son sein, et devint plus tard Perdiccas, roi de Macédoine, on a rarement vu la fortune combler de pareilles largesses un enfant sans nom. […] Ce serait le moment de fléchir et de désarmer. […] A ce moment, Sternay, saisi peut-être d’un remords sincère, lui demande de lui permettre de l’appeler son fils, quoiqu’il ne veuille pas le nommer son père. — « Oui, mon oncle », répond sèchement Jacques Vignot, et la toile tombe sur cette méchante épigramme.

1173. (1912) L’art de lire « Chapitre IX. La lecture des critiques »

A quel moment ? […] Le critique est cause que le lecteur fait des lectures méditées après avoir fait des lectures abandonnées ; le critique est cause que le lecteur fait des lectures dans un champ plus vaste de pensées ; le critique est cause que le lecteur, après avoir lu l’auteur tête-à-tête, le lit à trois ou à quatre ; il ne faudrait pas étendre indéfiniment ce cercle et comme multiplier l’auditoire autour de l’auteur ; mais il faut, au bon moment, rompre le tête-à-tête. […] Il faut qu’à un moment donné — lequel ?

1174. (1761) Apologie de l’étude

Rien autre chose, sinon que la passion de l’étude, ainsi que toutes les autres, a ses instants d’humeur et de dégoût, comme ses moments de plaisir et d’enivrement ; que dans ce combat du plaisir et du dégoût, le plaisir est apparemment le plus fort, puisqu’en décriant les lettres on continue à ‘s’y livrer ; et que les Muses sont pour ceux qu’elles favorisent une maîtresse aimable et capricieuse, dont on se plaint quelquefois, et à laquelle on revient toujours. […] Supposons pour un moment cette imputation aussi fondée qu’elle est injuste ; si les gens de lettres sont en effet coupables du désordre dont on les accuse, n’a-t-on pas dû s’attendre qu’ils en soutiendraient tranquillement le reproche ? […] Peut-être oserai-je l’entretenir dans un autre moment de la suite de cette conversation ; aujourd’hui je craindrais trop de le fatiguer en le justifiant, même contre des imputations graves et peu respectueuses ; la manière la plus criante de lui manquer de respect est de l’ennuyer et c’est pour cela que je finis.

1175. (1896) Psychologie de l’attention (3e éd.)

Pour le moment, bornons-nous à une vue tout à fait superficielle. […] La personnalité n’est prise que partiellement et par moments. […] Si, à un moment, l’effort apparaît, c’est un signe que l’attention change de nature, qu’elle devient volontaire, artificielle. […] Or c’est là un moment initial différent du moment de l’effort senti, qui est un effet. […] Je m’en tiens pour le moment à cette simple remarque46.

1176. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIIe entretien. Vie et œuvres du comte de Maistre » pp. 393-472

Après ces longues promenades, où l’esprit et les pas s’égaraient délicieusement à sa suite, il rentrait à la maison ; quelquefois il s’arrêtait encore un moment à l’église du faubourg ou du village ; puis la conversation reprenait jusqu’au souper, aussi diverse, aussi enjouée et quelquefois aussi étincelante qu’en plein soleil. […] Il craignait en ce moment d’être assassiné par les nombreux ennemis que lui suscitaient ses invectives mordantes contre les adversaires des Bourbons. […] Nous lui demandâmes confidentiellement la raison de cette disparition, qui avait contristé un moment la scène. […] Les hommes extraordinaires (Napoléon) ont tous des moments extraordinaires ; il ne s’agit que de savoir les saisir. […] « Si je suis repoussé, je suis ce que je suis, c’est-à-dire rien, car nous sommes dans ce moment totalement à bas.

1177. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre septième »

On oublia Bourdaloue pour Massillon, qui le remplaça bientôt dans cette chaire à peine vide un moment, où se renouvelaient pour les besoins religieux de Louis XIV les grands orateurs, de même que les grands poètes s’étaient succédé pour ses plaisirs, les grands généraux et les hommes d’Etat pour ses affaires. […] Qu’il nous ait par moments jugés par prévention plutôt que sur pièces, je ne le nie pas ; mais là même il ne cesse pas d’être vrai ; et, pour le trouver vrai, il suffit qu’en méditant avec candeur sur les plus sévères de ses maximes, nous ne nous sentions pas incapables de toutes les fautes dont nous sommes innocents. […] Par ses devanciers on se sent conduit ; et si par moments on leur résiste, si l’on cherche à se dégager de la main impérieuse d’un guide qui vous entraîne, cela même est encore excellent ; car, soit qu’on suive, soit qu’on refuse de marcher, on sait ce qu’on fait, et l’on reçoit un avertissement qui ne s’oublie pas. […] Vauvenargues voit pourtant la vraie par moments ; je n’affirmerais pas qu’il la sentît. […] Je touche à ce qui fut l’honneur commun de Vauvenargues et de Voltaire : c’est cette amitié qui lia un moment le jeune officier débutant dans les lettres et l’écrivain illustre, déjà en possession de la faveur publique.

1178. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre onzième »

En tout cas, plus célèbre un moment que Montesquieu, et non moins populaire que Voltaire, Jean-Jacques Rousseau a le plus perdu par le temps. […] Toujours pire ou meilleur qu’il ne s’est peint dans ses Confessions, toujours emporté hors de lui-même, il ne s’est pas vu au vrai un seul moment. […] Il est, par moments, moraliste supérieur. […] Dès que l’utopiste a laissé passer le moment de conquérir sa place dans la société, qu’il s’y voit déclassé, flottant, suspect aux autres, inutile à lui-même, c’est le moment de la réformer et de se venger sur tout le monde de ce qu’on n’a pas fait ses affaires malgré lui. […] Il s’agit moins d’ailleurs de vérités nouvelles que de vérités rendues nouvelles, soit par le moment où il les a défendues, soit par la beauté de la défense.

1179. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XV. La littérature et les arts » pp. 364-405

Il faut dire qu’à d’autres moments la littérature prend sa revanche. […] Or, Voltaire, au même moment, se flattait de faire des tragédies plus tragiques, plus pathétiques que celles de ses devanciers, ou, comme il disait, d’armer Melpomène d’un poignard plus acéré. […] On trouverait quelqu’une de ces Égéries à côté de presque tous les hommes d’État du moment. […] La mode, comme toute chose au monde, obéit à des lois ; et elle est, à n’en pas douter, pour qui sait l’interpréter, une grande révélatrice de l’esprit d’un peuple à un moment donné. […] Il arrive, à certains moments, que la littérature donne à la mode une impulsion passagère.

1180. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VII »

., ainsi que j’en avais au premier moment eu l’intention. […] Woglinde le chante dans la première scène du Rheingold, et à partir de ce moment il entre dans la trame symphonique, dont il forme jusque dans la Gœtterdaemmerung un des éléments principaux, modifié de mille manières par la modulation, l’harmonisation, la combinaison avec d’autres thèmes, etc. […] C’est Siegmund, au moment décisif, lorsqu’il va arracher l’épée au frêne, qui le chante. […] Toute la suite du drame découle de ce moment, de cette action ; c’est elle qui entraîne toutes les catastrophes qui vont suivre, et c’est l’Amour qui en est l’irrésistible principe : ou voit l’importance de la rentrée du thème musical dans la voix. […] Et une phrase entière, chantée à un moment capital, sur une des mélodies fondamentales du drame, et qui n’a aucun rapport avec la phrase du texte original !

1181. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIe entretien. Littérature italienne. Dante. » pp. 329-408

X Je me plais à me rappeler encore, en ce moment, le lieu, le jour, l’heure où je conçus soudainement, dans ma pensée, le plan de cette épopée de l’âme, de l’âme suivie par le poète dans ses pérégrinations successives et infinies à travers les échelons des mondes et ses existences d’épreuves. […] XXIV Un autre jeune traducteur de la Divine Comédie tente en ce moment une œuvre mille fois plus difficile, et, chose plus étonnante encore, il y réussit. […] Ozanam cite ici l’interprétation philosophique et symbolique de la Divine Comédie par le fils du Dante lui-même, si peu de temps après la mort de son père, et à un moment où la tragédie paternelle devait retentir encore dans l’oreille du fils. […] Le christianisme alors, en Italie, à Florence surtout, se dégageait mal de la philosophie platonique, avec laquelle il sembla un moment prêt à se confondre sous les Médicis. […] Au seuil de la carrière, le cœur un moment lui manqua ; mais trois femmes bénies veillaient sur lui dans la cour du ciel.

1182. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIIe entretien. I. — Une page de mémoires. Comment je suis devenu poète » pp. 365-444

Je ressemblais à une statue de l’Adolescence enlevée un moment de l’abri des autels pour être offerte en modèle aux jeunes hommes. […] Réunissez donc en ce moment, par la pensée, les plus beaux accidents de la nature ; supposez que vous voyez à la fois toutes les heures du jour et toutes les saisons, un matin de printemps et un matin d’automne, une nuit semée d’étoiles et une nuit couverte de nuages, des prairies émaillées de fleurs, des forêts dépouillées par les frimas, des champs dorés par les moissons : vous aurez alors une idée juste du spectacle de l’univers. […] Par quelle inconcevable magie ce vieil astre, qui s’endort fatigué et brûlant dans la poudre du soir, est-il dans ce moment même ce jeune astre qui s’éveille humide de rosée, dans les voiles blanchissants de l’aube ? À chaque moment de la journée, le soleil se lève, brille à son zénith et se couche sur le monde ; ou plutôt nos sens nous abusent, et il n’y a ni orient, ni midi, ni occident vrai : tout se réduit à un point fixe d’où le flambeau du jour fait éclater à la fois trois lumières en une seule substance. […] De ce moment le nom de M. de Chateaubriand fut une fascination pour nous ; il remplit notre esprit d’un éblouissement d’images et notre oreille d’un enivrement de musique qui nous donnait le vertige de la poésie.

1183. (1767) Salon de 1767 « Peintures — La Grenée » pp. 90-121

Je vois qu’en laissant à côté d’elle ces deux figures, mais leur donnant l’attention et le caractère qui convient au moment, vous en ferez une pithie qu’ils auront interrogée et qui leur montre du doigt dans le lointain les bonnes ou les mauvaises aventures qui les attendent. […] … encore un moment de patience, et vous serez satisfait. […] Dans ces moments où tes membres sacrés le soutiennent, panche-toi tendrement sur lui, et l’enveloppant de ton céleste corps, verse dans son cœur la douce persuasion. […] Où est le désordre du moment ? […] Au même moment où la nation fut frappée de ces différents fléaux, les mamelles de la mère commune se desséchèrent, une petite portion de la nation regorgea de richesses, tandis que la portion nombreuse languit dans l’indigence.

1184. (1903) La renaissance classique pp. -

Ils peuvent bien saisir le menu détail pittoresque, l’impression du moment, rendre la vibration nerveuse d’une sensibilité hyperesthésiée ; ils peuvent s’élever en ce genre jusqu’au compliqué, jusqu’à l’étrange et jusqu’au rare, pousser le « modernisme » et le « chic » jusqu’à ses dernières limites, mais qu’on ne leur demande pas autre chose ! […] En matière de morale, comme en matière d’esthétique, la Vérité, c’est notre vérité du moment, celle qui répond le mieux à ces poussées instinctives, à ces aptitudes héréditaires ou acquises dont notre âme actuelle est faite. […] Des trois grands facteurs de toute littérature nationale, que Taine avait si profondément analysés, — la race, le milieu et le moment, — les naturalistes n’ont retenu que le second, et encore se sont-ils grossièrement mépris sur le sens de ce mot. […] S’il est un fait qui sollicite la réflexion, c’est qu’en ce moment même l’agitation socialiste et internationale est parallèle à un véritable réveil des nationalités toujours plus confiantes en elles-mêmes, toujours plus avides de s’affirmer. […] En ce moment le Barbare, qui en est le pire ennemi, est dressé contre elle.

1185. (1926) La poésie de Stéphane Mallarmé. Étude littéraire

Elle paraît à un moment où le nom et l’influence de Mallarmé ont atteint le plus vif éclat. […] On n’est un poète qu’à tels moments fulgurants et rares, dans tels états de grâce. […] Le développement se glace au moment même où il sourd, comme l’eau de paradoxales fontaines. […] L’expression pure d’un moment de la durée réside dans un autre moment, celui où il n’est plus, où il s’est transfiguré par son absence même en une présence surnaturelle, par sa nostalgie en une réalité idéale. […] Voilà donc l’hallucination, pour le moment, indéracinable.

1186. (1881) Le naturalisme au théatre

Il s’agit pour le moment de constater de simples faits. […] Dès ce moment, le rôle des milieux est devenu de plus en plus important. […] Du moment où il n’y a pas une grammaire, un code, tout est permis. […] Jules Claretie le premier, font en ce moment. […] Ajoutez que nos désastres font en ce moment de l’armée une chose sacrée.

1187. (1905) Propos littéraires. Troisième série

Mais je ne cherche en ce moment qu’à définir ces époques-là. […] (Personne ne fait de fables en ce moment-ci ? […] Reste là un moment. […] Nous y tombons tous à un moment donné. […] On est ultra-romanesque à ce moment-là.

1188. (1906) Propos de théâtre. Troisième série

Pour un poète grec, du moment que c’est beau, c’est excellent même au point de vue dramatique, et du moment que c’est le plus beau, ce doit être le dénouement. […] dire cela, au moment que je contredis… Enfin, continuons. […] Pour le moment, je remercie M.  […] Quant à la napoléonite, elle est poussée à ce moment jusqu’à la rage. […] C’est un spectacle qu’il faut aller voir, un des meilleurs du moment où nous sommes.

1189. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre sixième »

Ne confondait-il pas encore par moments la poésie avec la versification ? […] Tel est Dom Japhet d’Arménie, pièce en vers, un moment célèbre, que l’indulgence des histoires littéraires appelle une comédie, et la plus comique des pièces de Scarron. […] Ainsi pour les lettres, entre le tour d’esprit du moment et le génie national, Boileau se range du côté du génie national et lui donne l’empire. […] La connaissance de lui-même, en le délivrant de la vanité, l’avait soustrait à la double servitude des écrivains qui s’ignorent : l’influence des personnes, et le tour d’imagination du moment. […] C’est le moment d’affermir les conquêtes que l’esprit français vient de faire sur le tour d’esprit contemporain, et de donner des lois à la poésie rentrée dans le devoir.

1190. (1910) Propos littéraires. Cinquième série

Donc, à aucun moment, il n’a été avec les Barbès, les Blanqui, ni même avec Ledru-Rollin. […] On leur vend à grand prix un moment de repos. […] À partir de ce moment, Klopstock chanta la palinodie. […] Du moment qu’il y a doute, l’incertitude, fût-elle légère, doit profiter à l’accusé. […] Arrive le moment de l’entrevue.

1191. (1863) Causeries parisiennes. Première série pp. -419

C’est le moment où l’on couronne la modestie, où l’on paye le désintéressement, où l’on s’acquitte envers l’héroïsme, où l’on accorde des gratifications à la charité. […] Si elle fait des chefs-d’œuvre, ce sera dans ses moments perdus. […] Ils le ressaisiront un jour, mais pour le moment ils sont oubliés. […] Et d’abord, il faudrait n’avoir jamais connu un Anglais de sa vie pour ne pas recevoir une invitation pressante dans ce moment-ci. […] Les commissaires, du reste, auraient eu mauvaise grâce à se plaindre, car ils se sont trouvés, eux aussi, dans la plus grande confusion jusqu’au dernier moment.

1192. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — II. Duclos historien » pp. 224-245

Le duc de Berry, très en vue un moment (après la mort du duc de Bourgogne), et le duc d’Orléans se rendent au Parlement pour la formalité des renonciations. […] L’adroite Chausseraye saisit le moment et répondit au roi « qu’il était bien bon de se laisser tourmenter de la sorte à faire chose contre son gré, son sens, sa volonté ; que ces bons messieurs ne se souciaient que de leur affaire et point du tout de sa santé, aux dépens de laquelle ils voulaient l’amener à tout ce qu’ils désiraient ; qu’en sa place, content de ce qu’il avait fait, elle ne songerait qu’à vivre et à vivre en repos, les laisserait battre tant que bon leur semblerait, sans s’en mêler davantage ni en prendre un moment de souci, bien loin de s’agiter comme il faisait, d’en perdre son repos et d’altérer sa santé, comme il n’y paraissait que trop à son visage ; que, pour elle, elle n’entendait rien ni ne voulait entendre à toutes ces questions d’école ; qu’elle ne se souciait pas plus d’un des deux partis que de l’autre ; qu’elle n’était touchée que de sa vie, de sa tranquillité, de sa santé… ». […] On s’en aperçoit, car, à partir de ce moment, son histoire se prolonge peu ; elle ne fait que languir : il y a une longue digression sur la Russie qui en interrompt le fil.

1193. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Saint-Martin, le Philosophe inconnu. — I. » pp. 235-256

Ballanche, c’est-à-dire comme une noble nature, une douce et belle âme qui a de sublimes perspectives dans le vague, des éclairs d’illumination dans le nuage ; qui excelle à pressentir sans jamais rien préciser, et sait atteindre en ses bons moments à des aperçus d’élévation et de sagesse. […] Il aurait pu y mettre en épigraphe cette pensée de lui : « J’ai vu, au sujet des vérités si importantes pour l’homme, qu’il n’y avait rien de si commun que les envies, et rien de si rare que le désir. » Quand on songe que ce dernier ouvrage, L’Homme de désir, paraissait en regard des Ruines de Volney, on sent que le siècle, à ce moment extrême, était en travail, et qu’en même temps qu’il donnait son dernier mot comme négateur et destructeur, il lui échappait une étincelle de vie qui, toute vague qu’elle était, disait que l’idée religieuse ne pouvait mourir. […] Au moment de sa mort (12 juin 1847), j’écrivis pour moi seul alors ce qui me revient en ce moment : Ballanche vient de mourir ; il a eu en partage une douce gloire, et il en a joui. […] — Ce n’est pas qu’il n’y eût, par moments, bien de l’ambition et un gros orgueil au fond de ce doux Ballanche : il se croyait par éclairs un révélateur et un précurseur de je ne sais quel dogme futur qui serait plus vrai que tous ceux du passé ; mais le plus souvent le Léviathan dormait au fond du lac comme son doux maître. — Un jour, me parlant de Chateaubriand, Ballanche me disait : « Ne croyez-vous pas, monsieur, que le règne de la phrase est passé ? 

1194. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — II » pp. 112-130

Il eut, en ces moments, des fumées d’ambition (qui n’a eu les siennes ?) […] Il y mêle une théorie à lui sur l’amour-propre : après quoi il ajoute, en en faisant l’application à son frère (août 1738) : Il s’aime en tout bien, il aime son élévation et toute la plus grande élévation ; par-delà lui, il aime sa maison ; il a encore le sentiment du moment pour quelques objets de parenté ou étrangers. […] Il n’a pas médité un moment le bien public ; il y a toujours apporté de l’indifférence ; il n’en a pris que quelques traits par-ci par-là, chez les uns et chez les autres, comme je sais quelques racines grecques que j’ai prises je ne sais où. […] Qu’on sente donc son cœur, qu’on l’écoute, ne fût-ce que quelques moments ; c’est toujours cela.

1195. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — II » pp. 454-475

Je ne puis résister à vous raconter un trait qui vous fera connaître la vanité de la maréchale, et qui dans le moment me frappa de la manière la plus comique. […] Mais ce qu’on sait moins, ce qu’un observateur moraliste peut seul avoir saisi sur le fait et nous rendre ensuite comme il l’a senti, c’est quel était au moment même et quelques heures après, dans cette même soirée, l’effet de cette scène déplorable sur ce qu’on appelait la bonne compagnie, qui n’est bien souvent qu’une autre espèce de peuple. […] La conclusion du président, dans cette espèce de liquidation d’une grande bibliothèque, qu’il montre si réduite si l’on en ôtait tout ce qui est devenu inutile, fastidieux ou indifférent, semblera peu en rapport avec nos goûts d’aujourd’hui, à nous qui aimons toutes les sortes de curiosités et d’éruditions, et qui y recherchons, jusqu’à la minutie, les images et la reproduction du passé ; elle a pourtant sa vérité incontestable et philosophique, plus certaine que les vogues et les retours d’un moment : Tous ces livres, dit-il en achevant son énumération, ne seront pas plus recherchés un jour que les factums relatifs à des affaires qui dans leur temps fixaient l’attention générale. […] Le président de Longueil disait quelquefois en montrant la tête de son jeune élève : « Il y a du monde au logis. » Dans la conversation, M. de Meilhan devait être brillant, imprévu, fertile, plein de coup d’œil, ouvrant à tout moment des perspectives, donnant le sentiment et l’aperçu de grandes choses qu’il ne s’agissait plus que d’exécuter.

1196. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — II » pp. 150-171

Il y eut un moment d’hésitation et d’attente durant lequel grossissait et s’amoncelait, avant d’éclater, cette indignation des savants. […] J’ai marqué les erreurs de l’abbé et de son ami : ce qu’il faut dire maintenant à leur avantage, c’est qu’ils pensaient par eux-mêmes, qu’ils voyaient clair là où leur vue portait ; qu’ils avaient raison contre ceux qui prétendaient trouver dans les poèmes d’Homère un dessein moral réfléchi, et de plus une règle et un patron de composition savante pour tous les poèmes épiques à venir ; c’est enfin qu’en forçant les adversaires à déduire leurs raisons et à débrouiller leur enthousiasme, ils hâtaient le moment où l’on saurait faire les deux parts, et où l’admiration pour Homère ne serait plus qu’une libre, une vive et directe intelligence de ses beautés sans aucune servitude. […] Qu’on relise seulement à haute voix ce passage connu des Martyrs, dans la visite que Cymodocée et son père sont allés faire à la famille d’Eudore en Arcadie : Comme Lasthénès achevait de prononcer ces paroles, le soleil descendit sur les sommets du Pholoë, vers l’horizon éclatant d’Olympie ; l’astre agrandi parut un moment immobile, suspendu au-dessus de la montagne comme un large bouclier d’or… Les bois de l’Alphée et du Ladon, les neiges lointaines du Telphusse et du Lycée se couvrirent de roses ; les vents tombèrent, et les vallées de l’Arcadie demeurèrent dans un repos universel… D’où vient que l’enchantement produit par des sons amène une larme ? […] L’abbé de Pons ne songe même pas aux langues étrangères vivantes, et il en laisse passer le vrai moment : il n’a jamais observé l’enfant à cet âge où il aime à répéter tous les sons, et où tous les ramages ne demandent qu’à se poser sur ses lèvres et à entrer sans effort dans sa jeune mémoire.

1197. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Souvenirs militaires et intimes du général vicomte de Pelleport, publiés par son fils. » pp. 324-345

Il ne faut pas demander au récit du général Pelleport, son ami et son collègue comme colonel pendant la retraite de Russie, et qui, comme lui, eut l’honneur d’être à l’extrême arrière-garde de l’arrière-garde, il ne faut pas lui demander, dirai-je tout d’abord, les mêmes qualités de correction, d’élégance, et d’un pathétique par moments presque virgilien ; mais la vérité, la candeur, un ton de sûreté et de probité dans les moindres circonstances, le scrupule, la crainte de trop dire jointe à une bravoure si entière et si intrépide, un bon sens pratique et des jugements à peine exprimés qui comptent d’autant plus qu’ils ne portent jamais que sur ce que le narrateur a su par lui-même, tout cela compense bien pour le lecteur ce qui est inachevé littérairement, et nous dessine dans l’esprit une figure de plus d’un bien digne et bien estimable guerrier. […] C’est à cette race, avant tout honnête, intègre, scrupuleuse autant qu’intrépide, qu’appartient le général Pelleport, dont les Souvenirs nous occupent en ce moment. […] Le général Dagobert est forcé de renoncer pour le moment à l’offensive. […] Le 15 août de la même année, il est fait officier de la Légion d’honneur et créé baron d’Empire : J’avoue que, lorsqu’une lettre du major-général m’annonça cette dernière faveur de l’Empereur, j’en éprouvai une bien vive sensation : c’était en effet, pour nous, pauvres officiers de fortune n’ayant que notre épée, un grand moment que celui dans lequel nous recevions une récompense destinée à perpétuer dans notre famille le souvenir de nos services.

1198. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe, et d’Eckermann »

Il y serait venu, j’imagine, vers 1786, un peu avant son voyage d’Italie ; il aurait trouvé l’ancienne société française dans sa dernière fleur ; il aurait été un moment à la mode comme tous ces princes du Nord qui y passèrent, comme tous ces princes de l’esprit et de la pensée, Hume, Gibbon, Franklin ; on se serait mis à lire Werther et le reste comme on aurait pu, à la volée, pour lui en parler et le bien recevoir. […] Un moment rivaux, bientôt unis de la plus tendre et de la plus généreuse amitié, ils se prêtent secours, ils s’échauffent ou se modèrent l’un l’autre, ils combinent leur sens pratique ou leur enthousiasme. […] C’est à ce moment qu’il eut connaissance des chants patriotiques de Théodore Kœrner, qui était le héros du jour. […] Il lui donne quelques conseils sur les projets de voyage qu’Eckermann formait à ce moment, et lui recommande ce qui lui reste à voir de curiosités à Weimar : « Je ne pouvais me rassasier de regarder les traits puissants de ce visage bruni, riche en replis dont chacun avait son expression, et dans tous se lisait la loyauté, la solidité, avec tant de calme et de grandeur !

1199. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni. »

En quittant la Mode, il passa à l’Artiste, à la Silhouette (1832), il se répandit et dessina pour toutes les publications du moment ; livré, voué à une production incessante, il ne refusait aucun travail qui s’offrait, livres illustrés, journaux à gravures, têtes de romances, etc. […] Ainsi, pour la série des Coulisses, l’idée mère, c’est un contraste perpétuel entre ce qui se joue à haute voix devant le public et ce qui se dit de près au même moment entre acteurs, — comme quand Talma, par exemple, en pleine tragédie de Manlius, embrassé avec transport par son ami Servilius, lui disait à l’oreille : « Prenez garde de m’ôter mon rouge. » — Ainsi pour la série des Musiciens comiques ou des Physionomies de chanteurs, c’est le contraste et la disparate entre les paroles du chant ou la nature de l’instrument et la taille ou la mine du musicien, du chanteur ou de la cantatrice (une grosse femme chantant langoureusement : Si fêtais la brise du soir !). […] » Tout le roman s’est révélé, et juste à son heure, à ce moment plus que hasardé où l’on fait pour la première fois le pas décisif. — • Ainsi encore, dans les Enfants terribles : on est dans un jardin public ; une jeune femme dans le fond dont on ne voit pas le visage, mais qui a un air des plus convenables, est occupée à lire ; sa petite fille joue près d’elle ; un monsieur qui a lorgné la mère demande à la petite, en la prenant entre ses genoux et en y mettant toutes sortes de façons : « Petit amour, comment s’appelle Madame votre maman ?  […] Balzac, que je ne prétends nullement diminuer sur ce terrain des mœurs du jour, et de certaines mœurs en particulier, où il est expert et passé maître, Balzac pourtant s’emporte et manque de goût à tout moment ; il s’enivre du vin qu’il verse et ne se possède plus ; la fumée lui monte à la tête ; son cerveau se prend ; il est tout à fait complice et compère dans ce qu’il nous offre et dans ce qu’il nous peint.

1200. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine »

Un bon nombre des psaumes ou cantiques, qui composent l’Homme de Désir, pourraient passer pour de larges et mouvants canevas, jetés par notre illustre contemporain, dans un de ces moments d’ineffable ébriété où il chante : Encore un hymne, ô ma lyre ! […] Tout lyrique qu’il est, il a peu de retours, peu de ces regards profonds en arrière qui décèlent toujours une certaine lassitude et le vide du moment. […] C’est à un souvenir de ce moment que se rapporte la pièce de vers suivante, dans laquelle on a tâché de rassembler quelques impressions déjà anciennes, et de reproduire, quoique bien faiblement, quelques mots échappés au poëte, en les entourant de traits qui peuvent le peindre. — À lui, au sein des mers brillantes où ils ne lui parviendront pas, nous les lui envoyons, ces vers, comme un vœu d’ami durant le voyage ! […] S’il était possible d’assigner aux vrais poëtes des heures naturelles d’inspiration et de chant, comme cela existe dans l’ordre de la création pour certains oiseaux harmonieux, nous dirions, sans trop de crainte de nous tromper, que Lamartine chante au matin, au réveil, à l’aurore (et réellement la plupart de ses pièces, celles même où il célèbre la nuit, sont écloses à ces premiers moments du jour ; il ébauche d’ordinaire en une matinée, il achève dans la matinée suivante).

1201. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre douzième. »

Il y avait une sorte de proportion en toutes choses, et la plus grande des sociétés modernes se laissait voir dans ce moment de repos, où il faut prendre le portrait des nations comme des personnes. Ce moment dura près de quarante années, les plus belles peut-être de l’histoire de notre nation, non seulement par la gloire des lettres et des arts, mais par l’emploi le plus complet de toutes ses facultés : au dedans, par les conquêtes pacifiques de l’unité sur les restes des institutions et des habitudes féodales ; au dehors, par des guerres glorieuses qui réunissaient au corps de la France des provinces qui en étaient comme les membres naturels. […] Au lieu de nous accabler, comme Pascal, et de nous désarmer au moment du combat, il excite notre activité ; il nous fortifie par cet art de montrer à la fois à qui nous avons affaire, et qu’il y a presque toujours pire que nous. […] La parure sous laquelle il les déguise, le moment où il les produit, le jour dans lequel il les montre, l’artifice qui les rajeunit, tout sert à nous arrêter où nous eussions passé légèrement, à nous réveiller où nous eussions langui ; et tel précepte que la déclamation a décrédité, ou que la sagesse de ménage a rendu insipide, recouvre honneur et faveur par la manière dont il l’assaisonne.

1202. (1911) La valeur de la science « Première partie : Les sciences mathématiques — Chapitre III. La notion d’espace. »

On aura ainsi une image du continu physique à n dimensions, et cette image sera aussi fidèle qu’elle peut l’être du moment qu’on ne veut pas laisser subsister la contradiction dont je parlais plus haut. […] Certes on ne peut pas exiger de nous que nous sachions le définir, car en remontant de définition en définition il faut bien qu’il arrive un moment où l’on s’arrête. Mais à quel moment doit-on s’arrêter ? […] L’ensemble de ces sensations formera une sorte de coupure que j’appellerai C, et il est clair que cette coupure suffit pour diviser l’ensemble des sensations rouges possibles, et que si je prends deux sensations rouges affectant deux points situés de part et d’autre de la ligne, je ne pourrai passer de l’une de ces sensations à l’autre d’une manière continue sans passer à un certain moment par une sensation appartenant à la coupure.

1203. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les poètes décadents » pp. 63-99

Il passa un moment, auprès des foules, pour diriger l’élite de la jeunesse. […] « Bref, dès ce moment précis, “décadents” — un mot vaguement né où ? […] J’ai dit qu’ils avaient réussi un moment à mettre la main sur le Décadent. […] Au même moment, M. 

1204. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « La duchesse du Maine. » pp. 206-228

Pourtant il ne fallait pas le contrarier à certains moments ; caractère violent et despotique, il s’irritait aisément de la contradiction, même quand il ne s’agissait que des ouvrages de l’esprit. […] Le président de Mesmes (qui fut premier président du Parlement) lui adressait, avec des étrennes, des vers qu’il avait fait faire en style de chevalerie, en style marotique, selon la mode du moment, et où il se qualifiait le très puissant Emperier de l’Indoustan écrivant à la plus que parfaite Princesse Ludovise, Emperière de Sceaux. […] C’est une âme prédestinée ; elle aimera la comédie jusqu’au dernier moment, et quand elle sera malade, je vous conseille de lui administrer quelque belle pièce au lieu de l’extrême-onction. […] Mais, en les considérant avec une sorte d’étonnement (car, sous cette forme plus ou moins royale, l’espèce va se perdant de jour en jour), sachons éviter notre écueil aussi et ne pas abonder dans notre orgueil ; sachons bien qu’avec eux il s’agit encore de nous-mêmes, que ce sont là les défauts que nous aurions demain, si nous n’étions pas contraints et avertis à tout moment par la résistance des choses.

1205. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre premier. La solidarité sociale, principe de l’émotion esthétique la plus complexe »

Si, aujourd’hui, son importance s’est effacée dans les phénomènes psychiques conscients, elle a dû persister dans les phénomènes inconscients ; elle se manifeste encore plus ou moins au moment des amours ; elle permet encore au médecin de distinguer à distance telle ou telle maladie, et jusqu’à l’aliénation mentale. […] Un léger frisson de peur n’est pas sans charme du moment où nous ne laissons pas l’onde nerveuse s’amplifier à l’excès. […] A ce moment le public, blasé et refroidi, sympathise moins avec les êtres mis en scène par l’auteur d’une œuvre qu’avec l’auteur lui-même ; c’est une sorte de monstruosité, qui permet pourtant de voir dans un grossissement le phénomène habituel de sympathie ou d’antipathie pour l’artiste, inséparable de tout jugement sur l’art. […] D’après le docteur Hammond de New-York, l’odeur de sainteté n’est pas une simple figure de rhétorique ; c’est l’expression d’une sainte névrose, parfumant la peau d’effluves plus ou moins agréables au moment du paroxysme religieux extatique.

1206. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Vien » pp. 74-89

J’observai d’abord qu’on confondoit à tout moment ces deux expressions, grouper et faire masse, quoiqu’à mon avis, il y eût quelque différence. […] Si au milieu d’une représentation par exemple, le feu prend à la salle ; alors chacun songeant à son salut, le préférant ou le sacrifiant au salut d’un autre, toutes ces figures, le moment précédant attentives, isolées et tranquilles s’agiteront, se précipiteront les unes sur les autres, les femmes s’évanouiront entre les bras de leurs amants ou de leurs époux ; des filles secoureront leurs mères, ou seront secourues par leurs pères, d’autres se précipiteront des loges dans le parterre où je vois des bras tendus pour les recevoir, il y aura des hommes tués, étouffés, foulés aux pieds, une infinité d’incidents et de grouppes divers. […] D’où je conclus que le véritable imitateur de nature, l’artiste sage étoit oeconome de groupes, et que celui qui, sans égard au moment et au sujet, sans égard à son module et à sa nature, cherchoit à les multiplier dans sa composition ressembloit à un écolier de rhétorique qui met tout son discours en apostrophes et en figures ; que l’art de groupper étoit de la peinture perfectionnée ; que la fureur de groupper étoit de la peinture en décadence, des tems non de la véritable éloquence, mais des tems de la déclamation qui succèdent toujours ; qu’à l’origine de l’art le grouppe devoit être rare dans les compositions ; et que je n’étois pas éloigné de croire que les sculpteurs qui grouppent presque nécessairement, en avaient peut-être donné la première idée aux peintres. […] Maître Vien, est-ce que vous n’auriez pas dû sentir que le Caesar devoit être isolé, et que ce bavard épisodique détruit tout le sublime du moment.

1207. (1860) Ceci n’est pas un livre « Hors barrières » pp. 241-298

Un moment pourtant, Adolphe Maillet eut l’espérance de se faire adopter par LE BARON DE FILOUZE Ce baron, un fidèle des Allées Neuves, perdit son père à dix-huit ans — et sa fortune au lansquenet six mois plus tard. […] Vous avez beau en être humiliés, burgs démantelés et carpes aux nageoires d’or, — il n’y a pas la moindre illusion à se faire, vous existez seulement du moment où le notaire Barsac et l’agent de change Duflot allument leurs cigares à l’embarcadère de Strasbourg. […] Pour le moment la littérature française se trouve représentée à Luchon par un artiste pédicure qui rédige ses affiches en vers épiques : quelque lauréat des Jeux Floraux dans le besoin ! […] Du moment qu’une pensée humanitaire était au fond de tout cela, je n’avais plus qu’à rentrer mon exaspération.

1208. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — La rentrée dans l’ordre »

Ruine irréparable : « il était prêtre, et il ne croyait plus. » Pourtant, il ne se reconnaît pas le droit de violer son serment. « Du moment qu’on l’avait châtré, il voulait rester à part, dans sa fierté douloureuse. » D’ailleurs, s’il n’a pu vaincre la raison en lui, il est resté maître de sa chair. […] Ceux-ci ont merveilleusement compris que tant qu’ils n’auraient pas annihilé cet organe, leur œuvre serait vaine, car celui qui possède encore un cerveau peut à tout moment se reprendre, se rejeter dans la vie ; et c’est ce qu’il faut à tout prix empêcher. […] Le hors nature veut dominer l’homme de nature, l’atrophié veut être plus fort que le sain, le serf plus véridique que le libre, le stérile plus riche que le fécond, le malade plus sain que le vivant… Il suffirait, semble-t-il, d’un moment de réflexion dans une humanité moins enténébrée de tradition, pour saisir immédiatement l’absurdité d’une telle prétention. […] Qu’il se soit trouvé une humanité pour confier un moment sa direction spirituelle à un petit groupe de malades et d’écervelés est un fait qui ne pourra pas ne pas leur paraître étrange.

1209. (1864) Études sur Shakespeare

J’essayerai d’en indiquer les causes ; je n’insiste en ce moment que sur le fait même, et pour en tirer une seule conséquence ; c’est que la critique littéraire a changé de terrain et ne saurait demeurer dans les limites où elle se renfermait jadis. […] Ni les époques des grands désordres sociaux, ni celles des âpres besoins ne sont pour les masses le moment de s’adonner avec transport aux plaisirs de la scène. […] Mais la marche du poëme veut qu’il devienne criminel, et il le devient ; son crime accompli, il se repentira autant que le poëte en aura besoin, et il se trouvera en état de reprendre sans effort le cours naturel de sa vie un moment interrompu. […] Dans le cours prolongé de l’action dramatique, au contraire, tout change à chaque pas ; chaque moment produit une impression nouvelle. […] Quand Claudius et Laërtes sont convenus ensemble de l’assaut d’armes où doit périr Hamlet, entre ce moment et celui de l’événement on ne s’inquiète guère de savoir si deux heures ou une semaine se sont écoulées.

1210. (1912) Pages de critique et de doctrine. Vol I, « I. Notes de rhétorique contemporaine », « II. Notes de critique psychologique »

Taine qu’il eut recours à elle dans les affres des derniers moments. […] Encore une traduction à faire, et qui, au premier moment, paraît déconcertante. […] Toute son énergie fut tendue à faire de sa vie passagère un moment utile de la France éternelle. […] Nous sommes tous entraînés vers ce moment, le dernier des moments, où toutes les passions qui nous agitent aujourd’hui ne seront plus pour nous que des souvenirs inutiles et amers. […] C’était dans le plus terrible moment de la terrible année.

1211. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « VICTORIN FABRE (Œuvres mises en ordre par M. J. Sabbatier. (Tome II, 1844.) » pp. 144-153

Une fois entré sous le patronage des hommes distingués qui l’adoptèrent, l’idée ne lui vient jamais d’en sortir, de s’en détacher ; il ne se dit pas que leur ombre, un moment tutélaire, lui est funeste en se prolongeant, que, s’il n’y prend garde, toutes ces belles fleurs et ces palmes du lauréat ne produiront jamais leur fruit : Nunc altæ frondes et rami matris opacant, Crescentique adimunt fœtus uruntque ferentem53. […] Les trop bons sujets qui n’ont, à aucun moment, rompu avec les devanciers, courent risque de trop creuser dans le même sillon, c’est-à-dire de rester dans l’ornière.

1212. (1874) Premiers lundis. Tome I « Madame de Maintenon et la Princesse des Ursins — I »

C’est à partir de ce moment aussi que commence la collection des lettres qu’on vient, pour la première fois, d’imprimer. […] Elle n’instruisit qu’au dernier moment la cour de France et madame de Maintenon ; l’excuse qu’elle donne à cette dernière est bien trouvée.

1213. (1874) Premiers lundis. Tome I « Walter Scott : Vie de Napoléon Bonaparte — II »

On sait qu’à la fin du siège de Mantoue, Bonaparte, arrivé de la veille, assista à l’écart, et le visage caché dans son manteau, à la conférence qui eut lieu entre Serrurier, commandant du blocus, et Klenau, envoyé de Wurmser, et qu’il ne se découvrit qu’au dernier moment, en accordant au vieux maréchal des conditions plus honorables qu’il ne lui était permis d’en espérer. […]   — Les soldats s’amusaient aussi appeler les ânes des demi-savants : mais, dans les moments difficiles, ils injuriaient ces malheureux serviteurs, et les savante avaient leur  part aux reproches du soldat, qui s’imaginait que le but de l’expédition était de satisfaire leur passion pour des recherches auxquelles le militaire prenait fort  peu d’intérêt. » — Il ne sait donc pas, celui qui a écrit ces lignes, que cette noble armée, de laquelle il lui plaît de faire une cohue de goujats, prenait aussi sa part des souvenirs magnifiques dont elle était environnée, qu’elle enterrait ses moite avec orgueil au pied de la colonne de Pompée, et qu’elle battait des mains avec enthousiasme à la vue des ruines de Thèbes !

1214. (1874) Premiers lundis. Tome I « A. de Lamartine : Harmonies poétiques et religieuses — I »

Mais si l’on veut trouver le sentiment chrétien avec ses espérances, ses besoins, ses angoisses intimes, tel qu’il agite et ronge en ce moment bien des âmes, c’est à d’autres pièces qu’il faut s’adresser, véritables méditations de métaphysique religieuse, où le poète, seul avec lui-même, cherche, interroge, doute, passe de la défaillance à l’espoir, et le plus souvent, dès qu’il a entrevu la lueur, se prosterne au lieu de conclure. […] Un moment, son désespoir est au comble ; l’ironie va le saisir, et, prenant l’existence pour l’amer sarcasme d’un maître jaloux, il est prêt à lui rendre mépris pour mépris, à le maudire et à le railler ; — ou bien, à d’autres instants, la défaillance le poussant à la mollesse, il se demande s’il n’est pas mieux de prolonger les voluptés jusqu’à la tombe et de se noyer l’âme sur des seins embaumés de roses.

1215. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Paul Bourget, Études et portraits. »

Ce n’est pas le moment, quand presque tous les peuples se resserrent sur eux-mêmes et nous observent d’un œil haineux, ce n’est pas le moment de nous piquer de leur rendre justice, ni de nous épancher sur eux en considérations sympathiques.

1216. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Contes de Noël »

Les filles les plus souillées ont de ces minutes singulières… A ce moment, Colette se retourne vers Claude et lui murmure impérieusement à l’oreille : —    Agenouillez-vous et priez, je le veux. […] Lise étant morte des suites d’un coup de pied qu’il lui a donné en plein ventre dans un moment de vivacité, Buteau a épousé en secondes noces la Guezitte, une veuve qui possède les meilleures terres de Rognes.

1217. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Le lyrisme français au lendemain de la guerre de 1870 » pp. 1-13

C’est de cela que l’heure actuelle a besoin… « Nous venons d’assister à des déroutes d’armées ; le moment est arrivé où la légion des esprits doit donner. […] Il y a aujourd’hui un beau phénomène littéraire qui rappelle un magnifique moment du xvie  siècle.

1218. (1887) Discours et conférences « Discours lors de la distribution des prix du lycée Louis-le-Grand »

Je ne veux pas retarder, par un long discours, le moment que vous attendez avec un si légitime empressement. […] n’eut-on pas ridée, en 1883, de désigner pour présider à notre distribution des prix, au lycée Louis-le-Grand, un homme, inoffensif assurément, mais le dernier qu’il aurait fallu choisir à un moment où il s’agissait avant tout de relever l’autorité, de se montrer ferme et de faire chaleureusement le convicium seculi ?

1219. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Satire contre le luxe, à la manière de Perse » pp. 122-126

C’est bien dans ce moment, ô mes amis, qu’il n’y a point d’amis ; ô pères, qu’il n’y a plus de pères ; ô frères et sœurs, qu’il n’y a ni frères ni sœurs ! […] Attendez que les choses soient bien, et jouissez de ce moment… et ma postérité ?

1220. (1897) L’empirisme rationaliste de Taine et les sciences morales

Nous les sentons qui nous résistent au moment même où nous les pénétrons. […] Au moment précis où un peuple entreprend de se refaire un système d’idées, il peut bien, dans une crise d’enthousiasme et de confiance juvénile, croire que la tâche est aisée ; mais il ne tarde pas à en éprouver toutes les difficultés, et les illusions qu’il peut avoir eues ne font que rendre son désenchantement plus amer.

1221. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La défection de Marmont »

Consciencieux, travaillé, fouillé, positif comme une instruction criminelle, son livre, la Défection de Marmont en 1814 22, nous paraît d’un péremptoire affreux pour l’honneur de Marmont, et nous croyons qu’après l’avoir lu personne ne reprendra pour la plaider à nouveau la cause du coupable défectionnaire d’Essonnes, malgré la manie des circonstances atténuantes dont les sociétés sans force soutiennent leur faiblesse, et qui pour le moment s’introduisent partout, même en histoire. […] Selon Rapetti, cette défection n’a pas même pour excuse d’être la perturbation du moment, attendu que, si la vaillance a des paniques, l’honneur n’en a pas.

1222. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Belmontet »

A part toute opinion politique, et pour qui ne veut voir que les grands effets et la beauté des choses telle que les artistes et les poètes la comprennent, nulle période dans le monde moderne ne fut poétiquement supérieure à cette période de l’Empire dont nous, prosaïque et pacifique génération, sommes si rapprochés et si séparés en même temps, — car il est des moments dans l’Histoire où la longueur d’une lame d’épée semble quelque chose d’infini. […] Plus passionné et plus sincère dans son admiration et dans ses sympathies pour l’Empire que les autres poètes ses contemporains, il n’est point de ceux-là chez lesquels l’inspiration, cette conscience d’un moment, vient donner un démenti à la conscience éternelle et à tous les sentiments de la vie.

1223. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre II. La parole intérieure comparée à la parole interieure »

Le non-moi ou le non-mien, c’est ce qui, dans les états de conscience, n’est ni fondamental ni un, c’est l’accessoire et le multiple, ce qui cadre mal avec la série fondamentale et semble résister à la forme successive, ce qui, par moments, cesse d’environner et d’enrichir cette série, ce qui présente de l’incohérence et en soi-même et à l’égard de la série fondamentale. […] Mais, pour faire cette comparaison et porter cette condamnation, comme pour l’emploi des autres procédés de rectification, il faut un moment de travail intellectuel et de réflexion ; il faut que l’esprit retrouve sa science et l’applique. […] Elle a lieu également, elle a lieu surtout quand nous nous répétons intérieurement mot pour mot des paroles que nous avons prononcées ou entendues, des phrases que nous avons lues, ou bien quand nous retrouvons un mot que nous avions dans l’esprit un moment auparavant et qui nous avait fui. […] Woolf : les deux vers de Cymbeline (IV,2) que Mrs Dalloway lit initialement dans la vitrine d’une librairie (« Ne crains plus la chaleur du soleil / Ni les fureurs de l’hiver déchaîné », Folio, p. 70) deviennent une simple répétition allusive « Ne crains plus » (« No fear ») reliant les courants de conscience des deux personnages centraux de Clarissa et Septimus Warren Smith qui se raccrochent à cette formule dans leurs moments de fragilité respectifs. […] L’observation du moment présent, c’est l’observation de conscience des anciens psychologues ; exemple : mouvoir son bras, uniquement pour observer la volonté motrice ; c’est là une expérimentation, car nous créons le fait que nous observons et pour l’observer.

1224. (1890) Le réalisme et le naturalisme dans la littérature et dans l’art pp. -399

Le moment n’est pas encore venu de le rechercher : nous n’en dirons notre sentiment qu’après avoir accompli notre devoir d’historien. […] La Renaissance en effet n’est, au premier moment, qu’une résurrection des anciens. […] Il vient donc un moment fatal où le compromis est dénoncé. […] L’école dramatique, si tant est qu’elle existe, manque de chefs, du moment que M.  […] S’ils le déposent à terre pour un moment, qu’ils se remettent à le porter, la loi du poids se remontrera toute seule.

1225. (1848) Études sur la littérature française au XIXe siècle. Tome III. Sainte-Beuve, Edgar Quinet, Michelet, etc.

Je vois, j’écoute, et jusqu’à ce moment je n’envie pas les plaisirs du grand monde. […] Ma convalescence est lente et pénible ; et ce moment n’en est pas le meilleur. […] Toutefois, il y a, au moment décisif de la conversion, dans le moment qui la consomme, une vue distincte du grand mystère de piété : « Dieu manifesté en chair ». […] Lorsque commença Port-Royal, le moment était venu de les agiter de nouveau. […] Mais, encore une fois, je ne suis pas encore au moment d’y songer.

1226. (1891) Essais sur l’histoire de la littérature française pp. -384

En ce moment, chez nous, M.  […] Quelle idylle plus gracieuse que le moment où le père Rouault se rappelle ses noces ! […] Par moments, on est tenté de le penser. […] le moment serait mal choisi. […] Le moment est favorable pour éprouver sa foi.

1227. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. VILLEMAIN. » pp. 358-396

1836 Un sentiment qui semble naturel à la plupart des écrivains, critiques ou poëtes, après le premier moment où l’on s’élançait avec union et enthousiasme dans la carrière, c’est la crainte d’être gêné dans sa libre expansion, d’être frustré dans sa part de louange par les hommes supérieurs qui continuent de nous primer, ou par les hommes distingués qui s’élèvent à côté de nous et nous pressent. […] Decazes ce que le grand usage du monde avait commencé de lui donner, cette merveilleuse faculté de garder, au milieu des distractions et des emplois divers, et à travers mille occupations graves ou épineuses, un esprit vif, alerte, détaché, toujours présent, jamais obscurci, tout au plus capricieux par moments et fugitif ; c’est, à lui, sa seule manière d’être préoccupé et appesanti. […] Villemain construisait à chaque moment, soutenait et rendait vivante cette composition d’enseignement toujours libre et renouvelée ? […] Des applaudissements inextinguibles solennisèrent ce moment, où tant de jeunes yeux brillaient d’étincelles et de larmes ; c’était aussi un serment de liberté et d’avenir. […] Villemain tranche par sa critique avec la manière et le fond de l’école philosophique du xviiie  siècle, qu’on essaye de comparer un moment M.

1228. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (3e partie) » pp. 161-219

« À dater de ce moment la vie me fut souverainement à charge, et il n’y eut plus de plaisir pour moi. […] Il consentit et signa tout, au premier moment. […] « Monseigneur, « Je n’ai pas osé interrompre les premiers moments de votre douleur. […] Me souvenant de la promesse que j’ai faite à mon bien-aimé frère André au lit de mort, lorsque, dans les derniers moments de sa vie, il me demanda qu’en signe du très tendre amour qui nous avait unis dans la vie, nos corps fussent unis dans la mort et renfermés dans le même sépulcre, je veux que si, à ma mort, ce sépulcre ne se trouve pas déjà préparé par moi, mon héritier en fasse faire un très modeste, et qui contiendra le cercueil de mon frère et le mien. » Après avoir pourvu aux besoins de son âme, réglé sa sépulture et spécifié avec une attention toute particulière les prières qu’il exige pour son salut, le cardinal Consalvi détermine les legs qu’il accorde à ses serviteurs. […] Je suis à chercher une meilleure distribution de ces objets ; mais dans le cas où je viendrais à mourir avant de l’avoir définitivement arrêtée, je maintiens celle-ci, qui, dans le moment, me paraît la plus convenable.

1229. (1902) La métaphysique positiviste. Revue des Deux Mondes

La métaphysique du positivisme, que je ne distingue pas, pour le moment de sa religion, bien loin d’être « la plus violente et la plus extraordinaire négation de ses principes », en est au contraire à nos yeux la conséquence nécessaire. […] Nous ne savons donc rien de l’absolu, pas même, — pour le moment, — s’il existe ; et la science est hors d’état de nous garantir, sinon peut-être la « réalité » de son objet, mais, en tout cas, la « conformité » d’aucune vérité avec son objet. […] Il fallait que ce qui était acquis fût acquis, le fût à toujours ; et ils eussent dit volontiers, en parodiant un mot de Bossuet, que toute vérité, du moment et par cela seul qu’elle était sortie du cabinet ou du laboratoire du savant, « avait d’abord toute sa perfection. » Si cette conception de la science, — infiniment plus étroite et plus ennemie du progrès que celle qu’aucune Église s’est jamais formée de son dogme, — n’est pas encore tout à fait abolie, mais le sera bientôt sans doute, quand nous aurons cessé de subir l’influence des Renan et des Littré, personne assurément n’y aura plus contribué qu’Auguste Comte ; et ce n’est pas le moindre titre du positivisme, — il faut le dire et le redire, — que d’avoir opéré cette révolution. […] Il y a une métaphysique du positivisme, et cette métaphysique ne se surajoute pas du dehors à l’édifice de la doctrine, mais on dirait plutôt, il faut même dire qu’elle en sort, si le positivisme, en fait, et par les moyens que nous venons d’indiquer, ne l’a pas tirée d’ailleurs que de la théorie de la « relativité de la connaissance. » Il en a également tiré la théorie de l’« Inconnaissable », et c’est le moment de rappeler les paroles si souvent citées d’Herbert Spencer : « De la nécessité de penser eu relation, il s’ensuit que le relatif est lui-même inconcevable, à moins d’être rapporté à un non relatif réel. […] Mais ces relations, nous l’avons vu, ne sont elles-mêmes « scientifiques » qu’autant qu’elles sont « constantes » et « nécessaires » ; et c’est ce qui distingue la relation qu’exprime le principe d’Archimède de celle qui se traduirait dans la phrase suivante : « Au moment qu’il la croyait perdue, Bonaparte gagna la bataille de Marengo. » Il faut, à l’établissement du principe d’Archimède, qu’un corps soit toujours un corps, un fluide toujours un fluide, un poids et un volume toujours un volume et toujours un poids.

1230. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Victor Hugo »

Il était trop glorieux pour écouter l’intérêt de sa gloire… En ce temps-là, c’était le moment de s’élever le premier dans l’ordre des Poètes ; mais, malgré ses facultés soi-disant immortelles, il laissa passer ce moment-là. […] Ses passions, je le sais, ses préoccupations, mille choses du moment, ce badaud ! […] Le moment était venu de jouer sa dernière carte pour Hugo et de gagner la partie. […] L’avenir pourra bien, un jour, rogner un pan de sa trop vaste gloire, mais, pour le moment, elle subsiste encore et brille de toute la splendeur de l’esprit de ceux qui l’acceptent… Or, pour cette raison et cette unique raison, je parlerai de son Pape, de ce poème qui, par le fait de la renommée de son auteur et par les idées qu’il exprime, pourrait bien avoir le triste honneur d’être dangereux.

1231. (1908) Après le naturalisme

Certes, la Littérature se nourrit des idées du moment, se conditionne des événements et des circonstances. […] Ils ne surgissent qu’au moment précis où on les réclame. […] Notre jeune génération arrive à un moment où plus rien des vérités fondamentales du passé ne reste debout. […] Du moment où la foi s’explique, elle perd tout son merveilleux et cela à bas, il ne reste plus rien. […] Vint un moment où il ne crut plus aux idées.

1232. (1905) Propos de théâtre. Deuxième série

Pour le moment, je n’en retiens qu’un point, M.  […] Mercier est un chaînon de cette chaîne et un moment de cette évolution. […] Peu studieuse, elle n’analysait guère ses rôles et s’abandonnait à l’inspiration du moment. […] Degouy, du moment qu’il mettait la chose au théâtre, aurait dû méditer et mettre à profit. […] J’ai pris soin et j’ai pris plaisir à le remettre un-petit moment en mémoire.

1233. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon » pp. 423-461

Je ne parle en ce moment que de ce qu’il a observé lui-même et directement : car, pour ce qu’il n’a su que par ouï-dire et ce qu’il a recueilli par conversation, il y aura d’autres chances d’erreur encore qui s’y mêleront. […] Dans le récit de ce premier procès au nom de la duché-pairie contre M. de Luxembourg, il y a un moment où l’avocat de celui-ci ayant osé révoquer en doute la loyauté royaliste des adversaires, Saint-Simon, qui assistait à l’audience, assis dans une lanterne ou tribune entre les ducs de La Rochefoucauld et d’Estrées, s’élance au dehors, criant à l’imposture et demandant justice de ce coquin : « M. de La Rochefoucauld, dit-il, me retint à mi-corps et me fit taire. […] Il y eut un moment tout à fait brillant et souriant dans la carrière de cour de Saint-Simon sous Louis XIV : ce fut l’intervalle de temps qui s’écoula entre la mort de Monseigneur (14 avril 1711) et celle du duc de Bourgogne (18 février 1712), ce court espace de dix mois dans lequel ce dernier fut dauphin et héritier présomptif du trône. […] À dater de ce moment (1715), les Mémoires de Saint-Simon changent un peu de caractère. […] Il ne se le fit pas dire deux fois, et dès ce moment il renonça à la Cour, vécut plus habituellement dans ses terres et s’occupa de la rédaction définitive de ses Mémoires.

1234. (1896) Les origines du romantisme : étude critique sur la période révolutionnaire pp. 577-607

René est en effet son œuvre capitale ; il est la poétique autobiographie d’une génération ; il contient en germe les qualités et les défauts que l’école romantique devait développer et exagérer ; il marque un moment critique dans la vie sociale et littéraire de notre siècle. […] Nous autres Romains de cet âge de vertu, tous tant que nous sommes, nous tenons en réserve nos costumes politiques pour le moment de la pièce et moyennant un demi-écu donné à la porte, chacun peut se procurer le plaisir de nous faire jouer avec la Toge ou la Livrée tour à tour, un Cassius ou un valet. » (Essai, page 333.) […] Les deux romans de Chateaubriand, Atala et René, possèdent l’inestimable mérite de renfermer, sous un petit volume et dans une forme littéraire, les principales caractéristiques du moment psychologique, disséminées dans d’innombrables et aujourd’hui illisibles productions, qui naissaient pour mourir le lendemain. […] Chactas qui, en ces matières, a l’expérience d’un Almaviva, raconte qu’il la tenait palpitante dans ses bras, attendant le moment psychologique où « la passion, en abattant son corps, allait triompher de sa vertu ». […] Une œuvre littéraire, alors même qu’elle n’aurait aucune valeur artistique, acquiert une haute valeur historique, du moment que le succès l’a consacrée ; le critique matérialiste peut l’étudier avec la certitude de saisir sur le vif les impressions et les opinions des contemporains.

1235. (1856) Cours familier de littérature. I « Ve entretien. [Le poème et drame de Sacountala] » pp. 321-398

… Comment est-il possible que tu te détournes avec mépris de ce tendre enfant, qui est ton fils, dans le moment même où ses beaux yeux se dirigent vers toi avec tant d’affection ? […] (Toutes, à la vue du roi, éprouvent un moment de trouble.) […] Mais vous-mêmes, charmantes filles, vous devez être fatiguées par toutes vos attentions pour moi : serais-je assez heureux pour que vous vous asseyiez un moment à mes côtés ? […] Ils s’entretiennent un moment des avantages de la vie religieuse pour le salut. […] » XXII Suit une scène de délicieuse entrevue entre le héros et Sacountala, que ses compagnes ont laissée seule un moment au bord du Malini.

1236. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre III. Le comique de caractère »

Et il y en a un aussi de décourager notre sympathie au moment précis où elle pourrait s’offrir, de telle manière que la situation, même sérieuse, ne soit pas prise au sérieux. […] Cette raideur pourra s’accuser, à un moment donné, par des mouvements de pantin et provoquer alors le rire, mais déjà auparavant elle contrariait notre sympathie : comment se mettre à l’unisson d’une âme qui n’est pas à l’unisson d’elle-même ? […] Pour un moment au moins, il nous détachera des préjugés de forme et de couleur qui s’interposaient entre notre œil et la réalité. […] Le chimiste de l’âme auquel on aurait confié cette préparation délicate serait un peu désappointé, il est vrai, quand viendrait le moment de vider sa cornue. […] Il est difficile de dire à quel moment précis le souci de devenir modeste se sépare de la crainte de devenir ridicule.

1237. (1916) Les idées et les hommes. Troisième série pp. 1-315

Grimauty, dans les plus tragiques moments, trouve des mots bizarres, cocasses, charmants. […] C’est qu’alors on guette le moment où le travail, dans les différents lots, sera terminé, où l’inconnu tout entier sera bâti. […] Par moments, la somme des fautes accumulées se liquide par une guerre. […] Et François l’examina, de sorte qu’il fut un moment distrait de sa rancune. […] m’écriai-je. » Pour le moment, Dieu ne paraît pas avoir besoin de Lucile.

1238. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 44-63

Je ne les crains pas autant que quelques-uns le pensent, mais le moment pour moi de mordre à celui-ci n’était pas venu. Quand je dis que le moment me paraît venu aujourd’hui, que l’on me comprenne bien ; ce n’est point parce que M.  […] Il a raconté ce moment décisif de sa vie d’une manière touchante, et que nul n’a droit de ne pas croire sincère.

1239. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français (suite et fin.) »

Figurons-nous bien, car c’est le devoir de la critique de se déplacer ainsi à tout moment et de mettre chaque fois sa lorgnette au point, — figurons-nous donc, non pas seulement dans la salle de l’hôpital de la Trinité à Paris (cette salle me semble trop étroite), mais dans une des places publiques d’une de ces villes considérables, Angers ou Valenciennes, devant la cathédrale ou quelque autre église, un échafaud dressé, recouvert et orné de tapisseries et de tentures magnifiques, et tout alentour une foule avide et béante ; des centaines d’acteurs de la connaissance des spectateurs, jouant la plupart au vrai dans des rôles de leur métier ou de leur profession : des prêtres faisant ou Dieu le Père ou les Saints ; des charpentiers faisant saint Joseph ou saint Thomas ; des fils de famille dans les rôles plus distingués, et quelques-uns de ces acteurs sans nul doute décelant des qualités naturelles pour le théâtre ; figurons-nous dans ce sujet émouvant et populaire, cru et vénéré de tous, une suite de scènes comme celles que je ne puis qu’indiquer : — le dîner de saint Matthieu le financier, qui fait les honneurs de son hôtel à Jésus et à ses apôtres, dîner copieux et fin, où l’on ne s’assoit qu’après avoir dit tout haut le bénédicité, où les gais propos n’en circulent pas moins à la ronde, où l’un des apôtres loue la chère, et l’autre le vin ; — pendant ce temps-là, les murmures des Juifs et des Pharisiens dans la rue et à la porte ; — puis les noces de Cana chez Architriclin, espèce de traiteur en vogue, faisant noces et festins, une vraie noce du xve  siècle ; — oh ! […] Au moment d’enter dans les scènes de la Passion, on voit la Vierge Marie, soumise jusqu’alors aux volontés de son fils, essayer de détourner d’elle et de lui le calice, et, dans la dernière visite qu’il lui fait à Béthanie, le supplier de ne pas retourner dans la cité maudite de Jérusalem, où il a tant d’ennemis. […] C’est alors que la Vierge, ainsi repoussée, en remercie presque son fils et le prie de l’excuser de ses faiblesses ; mais au même moment, tout en paraissant se soumettre, elle revient doucement à la charge en refaisant presque ses mêmes demandes, ses mêmes prières, en les faisant à mains jointes et comme les plus petites, les plus humbles, les plus attendrissantes supplications qui puissent, à pareille heure, sortir des lèvres d’une mère : Notre-Dame Au moins veuillez, de votre grâce, Mourir de mort brève et légère !

1240. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte. »

Ticknor et de tout le monde, de revenir sur ce sujet inépuisable, sur le grand homme auteur du chef-d’œuvre, et qui, dans sa vie misérable et tourmentée, a su être, à force de bonne humeur et de génie facile, un des bienfaiteurs immortels de la race humaine : j’appelle ainsi ces rares esprits qui procurent à l’homme de bons et délicieux moments en toute sécurité et innocence. […] Il voulait plus : à un certain moment il ne visa à rien moins, dit-on, qu’à organiser une révolte générale des esclaves chrétiens, alors si nombreux dans la Régence, et cette terrible Alger, cette aire d’oiseaux de proie, eût été dès lors purgée, reconquise et faite chrétienne. […] Sa vie littéraire commence à ce moment ; il avait trente-sept ans ; marié, sans fortune, homme d’imagination, n’ayant gagné à sa première vie militaire que de l’estime et des blessures, il se dit, après son début de Galatée, qu’il y avait à faire de belles choses dans les lettres, et particulièrement à entreprendre pour le théâtre qui était resté comme dans l’enfance.

1241. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Souvenirs d’un diplomate. La Pologne (1811-1813), par le baron Bignon. »

J’ajouterai même qu’il a eu en 1830, quand il fut membre du Gouvernement et du Cabinet, l’avantage d’avoir, à un moment, M.  […] « Ô vous, compagne de ma vie, dont l’amitié est mon plus cher trésor, qui avez embelli tous les bons moments de mon existence et partagé toutes mes peines ; vous, dont l’esprit éminent a entretenu l’activité de mon âme, et dont l’imagination riche et brillante a souvent fait éclore mes idées ; à qui je dois enfin la meilleure partie de mon être, recevez l’hommage de ces Souvenirs dont le récit fut entrepris par votre désir. […] Fidèle et circonspect, par devoir comme par nécessité, il réprimera son penchant et le tiendra secret jusqu’à ce qu’il croie le moment venu pour la Saxe de suivre une autre ligne et de repasser dans un autre camp : il aura l’air alors de changer de drapeau quoiqu’il n’ait réellement pas changé de sentiments ni de manière de voir.

1242. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Clermont et sa cour, par M. Jules Cousin. (Suite et fin.) »

Frédéric, le royal historien, trop peu apprécié chez nous, raconte, qu’au moment le plus critique de ses affaires, après Kloster-Zeven et avant Rosbach, obligé d’avoir recours à tout, d’employer la ruse et la négociation, il envoya à Richelieu un colonel Balbi déguisé en bailli. […] C’était le moment ou jamais d’une bataille. […] Son Altesse Sérénissime répondit tout en piss… : « Mortaigne, prenez garde de prendre votre c… pour vos chausses. » Sans doute, ajoute M. de Voyer, que ce prince sentit l’absurdité de tirer d’un point aussi éloigné que la droite le secours nécessaire à la gauche ; mais il eut la faiblesse de ne pas s’opposer à ce ridicule arrangement. » Supposez un moment en imagination que le prince de Condé, dans la gloire des journées de Rocroy et de Lens, et à la faveur d’un songe comme le figurent les poëtes épiques, aperçoive tout à coup, dans l’avenir, un de ses descendants perdant une bataille dans une telle posture et sur un tel mot, et demandez-vous ce qu’il en dira !

1243. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre IV. De l’amour. »

Enfin, à quelque époque de l’âge qu’on transportât un sentiment qui vous aurait dominé depuis votre jeunesse, il n’est pas un moment où d’avoir vécu pour un autre, ne fut plus doux que d’avoir existé pour soi, où cette pensée ne dégageât tout-à-la-fois des remords et des incertitudes. […] Si, au contraire, il a existé dans la vie un heureux moment où l’on était aimé ; si l’être qu’on avait choisi était sensible, était généreux, était semblable à ce qu’on croit être, et que le temps, l’inconstance de l’imagination, qui détache même le cœur, un autre objet, moins digne de sa tendresse, vous ait ravi cet amour dont dépendait toute votre existence, qu’il est dévorant le malheur qu’une telle destruction de la vie fait éprouver ; le premier instant où ces caractères, qui tant de fois avaient tracé les serments les plus sacrés de l’amour, gravent en traits d’airain que vous avez cessé d’être aimé ; alors, que comparant ensemble les lettres de la même main, vos yeux peuvent à peine croire que l’époque, elle seule, en explique la différence, lorsque cette voix, dont les accents vous suivaient dans la solitude, retentissaient à votre âme ébranlée, et semblaient rendre présents encore les plus doux souvenirs ; lorsque cette voix vous parle, sans émotion, sans être brisée, sans trahir un mouvement du cœur, ah ! […] Il est vrai, l’amour qu’elles inspirent donne aux femmes un moment de pouvoir absolu, mais c’est dans l’ensemble de la vie, dans le cours même d’un sentiment, que leur destinée déplorable reprend son inévitable empire.

1244. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Préface » pp. 1-22

Il faut donc que le lecteur veuille bien examiner et vérifier lui-même les théories présentées ici sur les illusions naturelles de la conscience, sur les signes et la substitution, sur les images et leurs réducteurs, sur les sensations totales et élémentaires, sur les formes rudimentaires de la sensation, sur l’échelonnement des centres sensitifs, sur les lobes cérébraux considérés comme répétiteurs et multiplicateurs, sur le mécanisme cérébral de la persistance, de l’association et de la réviviscence des images, sur la sensation et le mouvement moléculaire des cellules considérés comme un seul événement à double aspect, sur les facultés, les forces et les substances considérées comme des illusions métaphysiques2, sur le mécanisme général de la connaissance, sur la perception extérieure envisagée comme une hallucination véridique, sur la mémoire envisagée comme une illusion véridique, sur la conscience envisagée comme le second moment d’une illusion réprimée, sur la manière dont se forme la notion du moi, sur la construction et l’emploi des cadres préalables, sur la nature et la valeur des axiomes, sur les caractères et la position de l’intermédiaire explicatif, sur la valeur et la portée de l’axiome de raison explicative. — En de pareils sujets, une théorie, surtout lorsqu’elle est fort éloignée des doctrines régnantes, ne devient claire que par des exemples ; je les ai donnés nombreux et détaillés ; que le lecteur prenne la peine de les peser un à un ; peut-être alors ce qu’au premier regard il trouvait obscur et paradoxal lui semblera clair ou même prouvé. […] Un écoulement universel, une succession intarissable de météores qui ne flamboient que pour s’éteindre et se rallumer et s’éteindre encore sans trêve ni fin, tels sont les caractères du monde ; du moins, tels sont les caractères du monde au premier moment de la contemplation, lorsqu’il se réfléchit dans le petit météore vivant qui est nous-mêmes, et que, pour concevoir les choses, nous n’avons que nos perceptions multiples indéfiniment ajoutées bout à bout. — Mais il nous reste un autre moyen de comprendre les choses, et, à ce second point de vue qui complète le premier, le monde prend un aspect différent. […] Ajoutez-y de nouveaux recueils de rêves notés au moment du réveil par le dormeur, des récits de mangeurs d’opium plus détaillés que ceux de Quincey, des hallucinations hypnagogiques observées par le patient lui-même, selon le procédé de M. 

1245. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « (Chroniqueurs parisiens III) Henri Rochefort »

Avouez en outre qu’en dehors de la famille Bonaparte il n’y a plus pour la France que honte et misère ; Le Moniteur publierait, pour le jour de l’enterrement, en tête de sa partie non officielle, cette note triomphante : « Le fameux X…, qui après avoir donné, au coup d’État, sa démission de professeur de rhétorique au collège de Senlis, a été transporté à Lambessa aux frais de notre généreux gouvernement ; le fameux X…, pressé par l’évidence, a avoué, à son lit de mort, qu’il n’avait jamais été plus libre que sous ce règne, et qu’il expirait dans les bras de la Constitution, à laquelle il jurait obéissance dans ce monde et dans l’autre. » Appliqué aux derniers moments de l’honorable M.  […] La phrase de Giboyer sur Déodat « tirant la canne et le bâton devant l’arche » et « appliquant la facétie à la défense des choses saintes », si vous supposez un moment qu’il s’agit de l’arche de la Révolution, croyez-vous cette phrase conviendrait si mal à M.  […] Peut-être a-t-il des moments où il est las de ce rôle d’insulteur et d’énergumène, où il voudrait bien se reposer, où lui-même ne croit plus guère à ses haines, où l’envie le prend d’être équitable, ou simplement indifférent — comme tout le monde, d’être tout bonnement de l’opinion des honnêtes gens et des femmes aimables chez qui il fréquente.

1246. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Le symbolisme ésotérique » pp. 91-110

Petit, voûté, les yeux vifs, d’un bleu d’acier pâle, ce Breton vivait, reclus, en compagnie de sa femme, dans son domaine de Kéroman, où il mourut le 14 juillet 1885, au moment même où s’épanouissait l’idée symboliste qui, pour une part, relève de lui. […] » Et Morice conclut : « Non, ce n’est plus la même Église ; les sources chrétiennes sont taries où se désaltérait jadis notre soif d’absolu. » Au même moment M.  […] Ils se visitaient au moment des vacances.

1247. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre troisième. L’appétition »

En outre, il est essentiel que l’appétition vitale puisse prendre spontanément conscience de soi sous les deux formes du plaisir et de la douleur ; bref, nous avons besoin des trois moments du processus appétitif. […] Tel est donc le premier moment, où les mouvements généraux ne font que multiplier en quelque sorte le plaisir général. […] A un troisième moment, la sélection fait de nouveaux progrès.

1248. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre premier. Considérations préliminaires » pp. 17-40

Étranger à toutes les carrières et à toutes les coteries ; privé même, pour le moment, de la ressource de mes livres, je suis réduit à ne consulter que mes propres impressions, à ne prendre mon érudition que dans mes souvenirs. […] Aura-t-il, du fond de sa retraite, su connaître et apprécier la pensée intime qui travaille les hommes dans ce moment ? […] Jeté au milieu du monde civilisé, dans un moment de trouble, il voulut se créer un monde barbare, pour régner plus à son aise.

1249. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre VI : M. Cousin philosophe »

Vous trouverez à chaque instant des phrases comme celles-ci : « Tous les moments de l’essence divine passent dans le monde et reviennent dans la conscience de l’homme. » — « Qu’est-ce que Dieu ? c’est la pensée en soi, la pensée absolue avec ses moments fondamentaux37. » Toutes formules panthéistes. […] S’il expose de nouveau sa doctrine, il ira chercher un de ses plus anciens cours, celui de 1817, pur de tout panthéisme, par cette excellente raison qu’à ce moment le panthéisme était encore ignoré de l’auteur40.

1250. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXIII. Des éloges ou panégyriques adressés à Louis XIV. Jugement sur ce prince. »

On n’en trouve guère avant la mort de Mazarin : jusqu’à ce moment le roi n’exista point. […] Dans ces moments où tout fuit, mais où la vertu reste ; où les flatteries et les éloges de cinquante années se taisent pour laisser élever la voix de la conscience et de la vérité qui ne meurt pas, où l’âme tranquille et courageuse pèse dans un calme terrible tout ce qui a été, et seule avec elle-même, apprécie les crimes, les succès, les victoires, et toutes ces tristes grandeurs humaines qui vont la quitter ; dans ces moments il se reprocha d’avoir sacrifié à un vain désir de gloire la félicité des peuples.

1251. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVIII et dernier. Du genre actuel des éloges parmi nous ; si l’éloquence leur convient, et quel genre d’éloquence. »

Qu’ils opposent à l’injustice d’un moment la justice des siècles ! […] En général, l’être vertueux et moral s’affectera bien plus que celui qui est sans principes ; le malheureux, plus que celui qui jouit de tout ; le solitaire, plus que l’homme du grand monde ; l’habitant des provinces, plus que celui des capitales ; l’homme mélancolique, plus que l’homme gai ; enfin, ceux qui ont reçu de la nature une imagination ardente qui modifie leur être à chaque instant, et les met à la place de tous ceux qu’ils voient ou qu’ils entendent, bien plus que ceux qui, toujours froids et calmes, n’ont jamais su se transporter un moment hors de ce qui n’était pas eux. […] Qu’il oublie alors et les idées rétrécies d’un cercle, et les préjugés d’un moment, et les systèmes de l’indifférence ou de l’erreur ; alors sa marche sera souvent impétueuse.

1252. (1891) Enquête sur l’évolution littéraire

cette intelligence douloureuse du mauvais moment ou l’on vient ? […] Il est en ce moment à Aix en Provence. […] Cela t’apprendra de n’avoir pas mieux choisi ton moment ! […] Avons-nous été à ce moment, assez conspués ! […] Un moment, on rit.

1253. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Alexis Piron »

Une fois entre autres, étant assis à côté du maire de Beaune, le maire de Châtillon qui était à la gauche du maire de Beaune, se trouvant dans un moment d’enthousiasme, se leva et s’adressa au prince : Monseigneur, à la santé de Votre Altesse et de tous vos illustres aïeux ! […] Mais l’Ode fâcheuse resta suspendue sur la destinée de Piron pendant toute sa vie, et à tous les moments décisifs elle reparaissait comme un spectre fatal pour lui barrer le chemin. […] Piron a mérité tous les éloges qu’on donna à sa comédie dans le moment. […] Je fus voir Voltaire dès que je le sus arrivé ; on le cela ; mais, un moment après que je fus rentré, on me vint prier de sa part à souper. […] La vérité, c’est que Piron avait passé son moment et n’était plus de l’époque ; toute cettegénération d’académiciens de la première moitié du siècle qui l’admiraient sincèrement et qui, si on l’avait souffert, l’auraient nommé à l’unanimité en 1753, avait disparu.

1254. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins » pp. 185-304

Un homme d’État renversé, mais qui s’éleva lui-même en ce moment à la hauteur d’un vrai patriotisme, M.  […] Pourquoi donc ne l’a-t-il pas même fait entendre dans ce moment suprême, ce nom ? […] Ce prince en ce moment faisait pitié même à ses ennemis. […] Ce caractère bien connu de l’opinion publique en France, qu’allez-vous faire en lui renvoyant ses représentants de la coalition, hommes sans doute très égarés et très coupables en ce moment, mais que vous allez mettre sous la sauvegarde de ceux qui les ont envoyés comme des victimes de leur dévouement au peuple et de leur résistance au despotisme de la couronne et de votre ressentiment à vous ? […] Je n’achève pas, mais je vous déclare en conscience que, bien qu’étranger et voulant rester étranger personnellement à la cause de la dynastie qui représente en ce moment la royauté, je sors d’ici l’esprit épouvanté pour mon pays des conséquences de la résolution que vous venez de prendre.

1255. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (1re partie) » pp. 313-408

J’ai envisagé courageusement mon passé, et j’ai été effrayé un moment de l’abîme de mes affaires personnelles. […] Sa pureté est même austère par moments, quoique pleine d’indulgence envers autrui. […] Pour le moment, son importante affaire était de recouvrer sa liberté. […] Bayle a remarqué que chaque auteur a volontiers son époque favorite, son moment plus favorable que les autres, et qui n’est pas toujours très éloigné de son coup d’essai. […] Ce qu’il ne prévoyait pas, c’est qu’il serait l’Orphée qui plus tard dirigerait et réglerait par moments de son archet d’or cette invasion de barbares.

1256. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIIIe entretien. Balzac et ses œuvres (3e partie) » pp. 433-527

On ne s’intéresse plus du moment qu’on méprise ; ce serait le miracle de l’infamie ; or il n’est pas permis au romancier de faire des miracles. Ce roman se gâte en ce moment-là. […] S’il est un sentiment inné dans le cœur de l’homme, n’est-ce pas l’orgueil de la protection exercée à tout moment en faveur d’un être faible ? […] Cette explication corrobora mon espoir en un moment où j’avais besoin de secours. […] Les scènes douces et amères qui suivent ce moment sont remarquablement écrites, mais ressemblent à toutes.

1257. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre sixième. Le roman psychologique et sociologique. »

Toute vie complète, à chaque moment de l’action, tend à devenir ainsi symbolique, c’est-à-dire expressive d’une idée ou d’une tendance qui lui imprime son caractère essentiel et distinctif. […] En réalité il n’y a pas dans un être vivant de tendance unique, il n’y a que des tendances dominantes ; et le triomphe de la tendance dominante est à chaque moment le résultat d’une lutte entre toutes les forces conscientes et même inconscientes de l’esprit. […] A ce moment il rencontre Charlotte, il l’aime, et alors son amour remplit toutes ses pensées. […] Puis, s’approchant comme pour me parler à l’oreille, elle m’embrassa, presque malgré moi, deux ou trois fois. « — Tu es le diable, lui disais-je. — Oui, me répondait-elle. » Le meurtre de Garcia le borgne, le rom de Carmen, marque un nouveau moment dans le petit drame. […] A ce moment l’épisode de Sylvestre intervient.

1258. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre dixième. Le style, comme moyen d’expression et instrument de sympathie. »

Si une fillette, sa cruche pleine sur la tête, s’arrête à babiller, non seulement elle oublie la cruche dans le moment présent, mais de plus, lorsqu’elle reprend sa marche dans la rue longue et tortueuse, c’est à peine si elle la sent peser, tout occupée qu’elle est encore de la distraction rencontrée au bas du chemin. […]                                        Nos pensées S’envolent un moment sur leurs ailes blessées,      Puis retombent soudain264. […] Mais, au moment même où Sainte-Beuve veut prouver que l’unique harmonie du vers, c’est la rime, ne prouve-t-il pas aussi la puissance du rythme ? […] Peut-être en ce moment, du fond des nuits funèbres, Montant vers nous, gonflant ses vagues de ténèbres,              Et ses flots de rayons, Le muet Infini, sombre mer ignorée, Roule vers notre ciel une grande marée              De constellations ! […] Selon le caractère du moment, elle prend l’allure du grave alexandrin ou celle des vers plus courts et plus variés : certes, le poète a toute liberté, en présence d’un changement marqué dans le sentiment ou l’émotion, de changer aussi de rythme ; mais en prose, c’est à chaque instant que la pensée se taille sa forme et sa mesure, chacun de ses mouvements se traduit aussitôt par le nombre des mots et la coupe des phrases.

1259. (1880) Goethe et Diderot « Gœthe »

Le démon de l’opéra, qui est le Méphistophélès de Gœthe, a raté sa tragédie au plus intéressant moment de la pièce. […] Lorsque nous abordons, en ce moment, cette masse poétique, savez-vous quelle incroyable évocation se fait tout à coup dans la pensée ? […] On se bat là-dessus et on se bouscule, en ce moment, entre mandarins, et, comme Scaliger le disait des Basques, on prétend qu’ils s’entendent. […] Il a senti le charme amer et doux de ce moment, mais ce moment irrésistible ne l’a pas vaincu, — ne lui a pas fait fondre le cœur… Remonter et l’enlever, elle ! faire tenir toute sa vie dans ce moment !

1260. (1874) Premiers lundis. Tome I « Diderot : Mémoires, correspondance et ouvrages inédits — II »

Il y a toujours sans doute beaucoup de tendresse et de douce intimité dans les lettres du philosophe à sa maîtresse ; mais la passion éclatante, épurée, et par moments sublime, a disparu dans une causerie plus molle, plus patiente, plus désintéressée ; les nouvelles, les anecdotes, les conversations sur toutes choses, s’y trouvent comme auparavant ; une analyse ingénieuse et profonde du cœur y saisit toujours et y amuse ; mais la verve de l’esprit supplée fréquemment à la flamme attiédie de la passion ; un gracieux commérage, si l’on peut parler ainsi, occupe et remplit les heures de l’absence ; on s’aime, on se le dit encore, on ne sera jamais las de se le dire ; mais par malheur les cinquante ans sont là qui avertissent désagréablement le lecteur et le désenchantent sur le compte des amants ; les amants eux-mêmes ne peuvent oublier ces fâcheux cinquante ans qui leur font l’absence moins douloureuse, la fidélité moins méritoire, et qui introduisent forcément dans l’expression de leurs sentiments les plus délicats, je ne sais quelle préoccupation sensuelle qui les ramène à la terre et les arrache aux divines extases de l’âme où s’égare et plane en toute confiance la prodigue jeunesse. […] Il en jettera de plus clairs que vous n’entendrez pas davantage ; et l’impatience et le moment amèneront une scène, je ne sais quelle, peut-être des larmes, peut-être une main prise et dévorée, peut-être une chute aux genoux, et puis des propos troublés, interrompus de votre part, de la sienne. — Le beau roman !

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