La pensée est terre vierge et féconde dont les productions veulent croître librement, et, pour ainsi dire, au hasard, sans se classer, sans s’aligner en plates-bandes comme les bouquets dans un jardin classique de Le Nôtre, ou comme les fleurs du langage dans un traité de rhétorique.
Malherbe ne manquoit jamais de leur répondre qu’il ne les croyoit pas en grande faveur dans le ciel, attendu que dieu les abandonnoit dans ce monde ; & qu’il aimeroit mieux que M. de Luynes, ou quelque autre favori, lui eût tenu ce langage.
La cour de Louis XIV, en lui donnant la majesté des formes et en épurant son langage, lui fut peut-être nuisible sous d’autres rapports ; elle l’éloigna trop des champs et de la nature.
C’est par l’opposition qui se trouve entre ce grand cœur, cette princesse si admirée, et cet accident, inévitable de la mort, qui lui est arrivé comme à la plus misérable des femmes ; c’est parce que ce verbe faire, appliqué à la mort qui défait tout, produit une contradiction dans les mots et un choc dans les pensées, qui ébranlent l’âme ; comme si, pour peindre cet événement malheureux, les termes avaient changé d’acception, et que le langage fût bouleversé comme le cœur.
C’est l’impossibilité même ; car pour inventer le langage, il faut avoir l’idée du langage, et sans langage il n’y a pas d’idée. […] Il ne voit aucun laps de temps entre le langage primitif et le langage complet. C’est le langage complet que Dieu a donné à l’homme. […] Les animaux n’ont-ils pas aussi des sociétés et des langages ? Ces sociétés et ces langages sont-ils, aussi, enseignement direct de Dieu ?
Quelle leçon qu’un tel langage de la part d’un héros désabusé ! […] La simplicité que le génie de son auteur lui a partout imprimée n’y laisse apercevoir qu’un mode de dérision supérieur qui se maintient uniformément dans l’invention et dans le langage. […] N’exige-t-elle pas le sublime dans les sentiments et dans le langage ? […] La prose harmonieuse de Fénelon, seul écrivain qui ait su se maintenir justement entre la limite des deux langages, sa prose, dis-je, participe tellement de la poésie qu’on doute, en l’écoutant, s’il parle ou s’il chante. […] Écoutez la suite ; c’est le même langage révolutionnaire dans la bouche des ultra-catholiques.
Un triste langage, triste et joyeux, dégoûtant. […] Son langage est celui de la causerie, mais attentive, soignée, très élégante. […] Et certes, je ne vais pas épiloguer sur la question des origines du langage. […] Ils sont aujourd’hui dans le langage quotidien. […] Homère s’amuse, quand il prête au jeune Achille ce langage : « Pourquoi m’interroges-tu ?
De Maistre les a entendues, les a retenues et les a transcrites en un langage d’une parfaite clarté. […] Le cœur s’était transformé, l’imagination restait la même et le langage aussi. […] Le langage est naturel ; l’écriture est artificielle. […] Le langage des passions. — La Motte. […] Leurs oreilles n’étaient pas chastes, parce que la chasteté du langage n’était pas inventée.
Par eux, les aptitudes poétiques de la race celtique, engourdies sous la domination romaine par l’élégant rationalisme de la littérature savante, comme par la pression monotone de la protection administrative, furent réveillées : les âmes, préparées déjà par le christianisme, violemment secouées par l’instabilité du nouvel état social, recouvrèrent le sens et le don des symboles merveilleux ; et dans la famine intellectuelle que produisit la ruine des écoles, l’aristocratie gallo-romaine, sujette des rois francs et compagne de leurs leudes, associée aux fêtes comme aux affaires, quitta sa délicatesse et ses procédés raffinés de pensée et de langage : elle retourna à l’ignorance, au peuple ; elle se refit peuple, avec toute la rudesse, mais avec toute la spontanéité du génie populaire. […] Jamais on n’a besoin et presque toujours on aurait tort de retenir ce qu’on appelle aujourd’hui « l’écriture » du poète ; quiconque voit les scènes dramatiques par lesquelles s’ouvrent Girart de Viane ou le Charroi de Nîmes 30 refaisant en langage quelconque les dialogues nécessaires, peut être assuré d’avoir extrait des ouvrages originaux toute la beauté qu’ils contenaient. […] Depuis les formules du langage jusqu’au dessin général de l’action, toutes les pièces d’une chanson de geste sont jetées dans les mêmes moules.
Écoutez celui-ci : ce sont les mêmes idées, le même langage : « Dieu merci, je me porte assez bien, disait le brave Gascon : mais j’avais plus d’argent, aussi avaient mes gens, quand je faisais guerre pour le roi d’Angleterre, que je n’ai maintenant ; car, quand nous chevauchions à l’aventure, ils nous saillaient en la main aucuns riches marchands ou de Toulouse ou de Condom ou de la Réole ou de Bergerac. […] Que du reste Deschamps, avec son rude langage, dans ses vers martelés et pénibles, ait souvent de la force, de l’éclat, de l’originalité, une sorte de mâle et brusque fierté qui rappelle, par moments, l’accent de Malherbe, il n’y a pas à le contester. […] Un autre écrit, sur la sphère, est un traité de cosmographie, une simple exposition scientifique, sans mélange de fables, ni de moralisations : voilà, je crois, la première fois que la science s’exprime en français, en son langage et selon son esprit.
Programme au prélude de Tristan et Isolde Un ancien poème, inextinguiblement renouvelé, rechanté dans tous les langages du Moyen Age européen, un originel poème d’amour nous dit de Tristan et Isolde. […] Dans les seuls Maîtres Chanteurs, en éliminant les passages où la situation même exige le chant proprement dit, sur 4162 mesures pendant lesquelles on doit parler, la proportion des mesures où le langage est simplement noté selon la musique propre à la langue allemande n’est pas moindre de 96 %. […] Wagner sait ici reconnaître à l’influence féminine et populaire le pouvoir de transfuser un sang nouveau et vivace aux vieilles formes, comme avaient fait le Dante et le Buddha à propos de langage.
Le xvie siècle était pour Mézeray ce que le xviiie a été pour nous : il en sortait, il en était nourri, il en savait les traditions, le langage ; il en avait ouï raconter les derniers grands événements à des vieillards ; les souvenirs et l’esprit lui en venaient de tous les côtés ; nul n’était plus propre que lui à en retracer une histoire entière, et c’est ce qu’il a fait pendant l’étendue d’un in-folio et demi. […] On y apprend cette vieille France racontée dans son propre langage, avec ses propres images, ses plaisanteries de circonstance ou ses énergies naïves, et toutes ses couleurs familières, et non traduite dans un style modernisé.
Vers ce temps, comme s’il sentait qu’il doit commencer à se réconcilier avec l’idiome natal et à se diriger vers le but où l’appelle son secret talent, il se remet à lire les auteurs anglais, et surtout les plus récents, ceux qui, ayant écrit depuis la révolution de 1688, unissent à la pureté du langage un esprit de raison et d’indépendance, Swift, Addison ; puis, lorsqu’il en vient aux historiens, il est beau d’entendre avec quelle révérence il parle de Robertson et de Hume auxquels on l’adjoindra un jour : La parfaite composition, le nerveux langage, les habiles périodes du docteur Robertson m’enflammaient jusqu’à me donner l’ambitieuse espérance que je pourrais un jour marcher sur ses traces : la tranquille philosophie, les inimitables beautés négligées de son ami et rival, me forçaient souvent de fermer le volume avec une sensation mêlée de plaisir exquis et de désespoir.
Certes je prise et goûte fort le joli récit traduit par Courier : il est net, proportionné, piquant, épigrammatique ; mais les additions d’Apulée ne me déplaisent pas tant ; elles m’apprennent bien des choses sur les mœurs tant publiques que privées, sur la police des villes dans les provinces, sur les travers éternels et les maladies de l’esprit humain : « Ce sont des tableaux de pure imagination, où néanmoins chaque trait est d’après nature, des fables vraies dans les détails, qui non seulement divertissent par la grâce de l’invention et la naïveté du langage, mais instruisent en même temps par les remarques qu’on y fait et les réflexions qui en naissent. » Tout cet éloge (sauf le point de la naïveté du langage), que Courier donne à son Lucius, je l’accorde à plus forte raison et je l’étends à notre Lucius latin, à notre Apulée, pour ses additions nombreuses ; lu à côté, le premier Lucius me paraît, je l’avoue, un peu sec.
Elle se plut de bonne heure aux entretiens de ce frère poëte d’imagination et de nature : « Il m’était si doux de t’entendre, de jouir de cette parole haute et profonde, ou de ce langage fin, délicat et charmant que je n’entendais que de toi ! […] Elle semble heureusement née pour habiter la campagne, tant son être« s’harmonise avec les fleurs, les oiseaux, les bois, l’air, le ciel, tout ce qui vit dehors, grandes ou gracieuses œuvres de Dieu. » Elle aussi, comme Bernardin de Saint-Pierre, elle a le sens des symboles naturels ; la vie sous toutes ses formes lui parle ; elle est femme à voir des mondes dans un fraisier : « Mon ami, je suis ce fraisier en rapport avec la terre, avec l’air, avec le ciel, avec les oiseaux, avec tant de choses visibles et invisibles que je n’aurais jamais fini si je me mettais à me décrire, sans compter ce qui vit aux replis du cœur, comme ces insectes qui logent dans l’épaisseur d’une feuille. » Toutes les saisons de l’année, toutes les heures de la journée ont pour elle leur charme particulier et leur langage.
Aimer Molière, c’est être guéri à jamais, je ne parle pas de la basse et infâme hypocrisie, mais du fanatisme, de l’intolérance et de la dureté en ce genre, de ce qui fait anathématiser et maudire ; c’est apporter un correctif à l’admiration même pour Bossuet et pour tous ceux qui, à son image, triomphent, ne fut-ce qu’en paroles, de leur ennemi mort ou mourant ; qui usurpent je ne sais quel langage sacré et se supposent involontairement, le tonnerre en main, au lieu et place du Très Haut. […] Aimer et chérir Molière, c’est être antipathique à toute manière dans le langage et dans l’expression ; c’est ne pas s’amuser et s’attarder aux grâces mignardes, aux finesses cherchées, aux coups de pinceau léchés, au marivaudage en aucun genre, au style miroitant et artificiel.
Ils étaient tous, dans cette forte et puissante génération, fins, délicats, polis et vifs de langage, et aucun, à proprement parler, ne devançait l’autre. […] Je n’ai point, pour parler son langage, élevé fort haut la valeur de tous les habitants de l’abbaye.
« Moins qu’à tout autre, je le sais, il m’appartient, en cette douloureuse circonstance, de prononcer ici les noms de la Religion et de la Raison ; aussi leur langage élevé n’est-il pas celui que je viens faire entendre, mais l’humble langage qui me convient… » Et il donnait quelques conseils pratiques, des conseils qui s’adressaient particulièrement aux témoins, seuls juges du cas d’inévitable extrémité auquel il fallait réduire de plus en plus cette odieuse pratique, débris persistant d’une autre époque.
Il fallut près de soixante ans encore pour que Ponsard, dans sa Charlotte Corday, produisant ces hommes sur la scène, leur fit tenir un mâle langage et revînt par la tradition cornélienne à une sorte de vérité révolutionnaire. […] Elle confesse à Buzot qu’elle n’a pas été très fâchée d’être arrêtée, puisque Roland est parvenu à se dérober aux poursuites ; mais il faut l’entendre ici dans un langage qui est bien le sien et qu’elle n’emprunte à personne, pas plus que le sentiment compliqué et très élevé qui l’inspire : « Ils en seront moins furieux, moins ardents contre Roland, me disais-je ; s’ils tentent quelque procès, je saurai le soutenir d’une manière qui sera utile à sa gloire ; il me semblait que je m’acquittais ainsi envers lui d’une indemnité due à ses chagrins : mais ne vois-tu pas aussi qu’en me trouvant seule, c’est avec toi que je demeure ?
Les grâces discrètes reviendront peut-être à la longue, et avec une physionomie qui sera appropriée à leurs nouveaux alentours ; je le veux croire : mais, tout en espérant au mieux, ce ne sera pas demain sans doute que se recomposeront leurs sentiments et leur langage. […] Quant à moi, je n’ai jamais écrit ni dit une sentence fort injuste qui comprend tous les siècles, et qui est si loin de ces convenances polies qu’une femme doit toujours respecter. » L’atticisme scrupuleux de Mme de Souza s’effraie avant tout qu’on ait pu lui supposer une impolitesse de langage.
Les deux premières parties surtout font honneur au clerc inconnu qui a rimé les récits de la Genèse en son langage normand. […] Conversion générale du roi, des émirs, et confusion de Tervagant, qui exhale sans doute sa colère dans un jargon approchant du « langage turc » de Molière.
L’artifice de cette forme de langage consiste à ne pas développer l’idée que l’on veut comparer à une autre, mais à développer uniquement cette seconde idée, c’est-à-dire l’image. […] Quant à Byron, sans parler de quelques beaux symboles de lui, tels que sa Grèce mourante, connus de tout le monde et presque populaires, on peut dire que son style présente continuellement ce mélange de langage positif et figuré dans la même phrase, qui est aussi, comme on l’a remarqué, l’artifice presque continuel du style de Shakespeare.
Si je ne craignais de commettre un anachronisme de langage, je ne croirais pas en commettre un au moral, en disant qu’il y avait déjà en Mme Du Deffand de ce qui sera Lélia, mais Lélia sans aucune phrase. […] Le goût de son temps l’excédait : « Ce qu’on appelle aujourd’hui éloquence m’est devenu si odieux, que j’y préférerais le langage des halles ; à force de rechercher l’esprit, on l’étouffe. » Ses jugements littéraires, qui durent paraître d’une excessive sévérité dans le moment, se trouvent presque tous confirmés aujourd’hui.
Il y a eu, au milieu du xviiie siècle, un homme jeune et déjà mûr, d’un grand cœur et d’un esprit fait pour tout embrasser, qui s’était formé lui-même et qui ne s’en était pas enorgueilli, fier à la fois et modeste, stoïque et tendre, parlant le langage des grands hommes du siècle précédent, ce langage qui semblait n’être ici que l’expression naturelle et nécessaire de ses propres pensées ; sincèrement et librement religieux sans rien braver, sans rien prêcher ; réconciliant, en un mot, dans sa personne bien des parties opposées de la nature en montrant l’harmonie.
C’est cette attitude et ce rôle unique qu’elle affecte dans son langage, dans ses entretiens, dans sa correspondance, et, pour peu qu’on la lise avec suite, elle finit presque par vous convaincre. […] On n’a pas d’édition complète et tout à fait exacte de ses lettres, mais ce qu’on a permet d’asseoir un jugement et confirme ce qu’a si bien dit Saint-Simon de ce « langage doux, juste, en bons termes, et naturellement éloquent et court ».
Né avec beaucoup d’esprit, beau comme le jour dans sa jeunesse, « il tenait, dit Saint-Simon, de ce langage charmant de sa mère et du gascon de son père », du gascon adouci par « un tour et des grâces naturelles qui prévenaient toujours ». […] Notez en passant cette poussée de beau langage !
Mais je vous trouve trop circonspect ; fiez-vous à votre propre sens ; ne feignez point de dire en un besoin que tel bon écrivain a dit une sottise : surtout gardez-vous bien de croire que quelqu’un ait écrit en français depuis le règne de Louis XIV : la moindre femmelette de ce temps-là vaut mieux pour le langage que les Jean-Jacques, Diderot, d’Alembert, contemporains et postérieurs ; ceux-ci sont tous ânes bâtés sous le rapport de la langue, pour user d’une de leurs phrases ; vous ne devez pas seulement savoir qu’ils aient existé. […] Mais avec Courier, il faut se faire à ces extrémités spirituelles d’expression qui ne sont que des figures de pensée ; et n’est-ce pas ainsi que, dans sa passion et presque sa religion du pur langage, il disait encore : « Les gens qui savent le grec sont cinq ou six en Europe : ceux qui savent le français sont en bien plus petit nombre !
Le duc de Savoie (Charles-Emmanuel), politique habile et rusé, lui sut toujours mauvais gré de ces liaisons intimes qu’il avait contractées à la cour de France, et des distinctions singulières dont il avait été l’objet ; il en conçut de la méfiance contre celui qui n’avait pourtant aucune vue d’ambition mondaine, et qui disait en son gracieux langage : « Je suis en visite bien avant parmi nos montagnes, en espérance de me retirer pour l’hiver dans mon petit Annecy où j’ai appris à me plaire, puisque c’est la barque dans laquelle il faut que je vogue pour passer de cette vie à l’autre. » Henri IV, de son côté, ne cessa d’avoir l’œil sur l’évêque de Genève. […] Il ne peut s’empêcher de sourire par le talent et de sembler presque se distraire par le langage, lors même qu’il est le plus sérieux au fond ; il ressemble à ces abeilles dont il parle si souvent : on dirait qu’il se joue, et il travaille.
C’est le dernier reflet d’une chevalerie qui n’est plus… Même en cette année de grâce ou de disgrâce, il y a un certain langage qu’on est convenu de tenir aux femmes, alors qu’elles ne méritent plus qu’on l’emploie, et l’homme qui renoncerait à s’en servir pour des raisons, fussent-elles excellentes, non seulement manquerait de savoir-vivre, mais aussi de générosité. […] La pauvre curieuse étouffe dans son masque, de pudeur outragée, et rentre chez elle, humiliée des langages qu’on a osé lui tenir.
Il n’y a, au fond, dans toute cette histoire, reprise en sous-œuvre par du Méril, que la vieille histoire connue, qui peut s’écrire en quelques mots et qu’il a mise en cinq cents pages, — si brillantes de talent, du reste, qu’il semble ne pas avoir bavardé, — de la comédie, sortant partout de la danse, sa plus profonde racine ; dérivant, en peu de temps, du langage mimique au langage religieux et processionnel ; s’imprégnant plus tard de politique dans des sociétés fortement politiques comme les sociétés grecques, et vivant ainsi jusqu’au moment où l’imagination reconquiert ses droits et crée une autre comédie, la comédie désintéressée de tout ce qui n’est pas l’observation de la nature humaine… Et, vous le voyez !
Dès qu’il a pénétré dans l’entendement, il l’envahit tout entier. » Ailleurs, il expose ainsi l’induction : « Les faits que l’observation laisse épars et muets, la causalité les rassemble, les enchaîne, leur prête un langage. […] Telle est sa dernière force ; comptons-les toutes : le style simple et lucide qui met la science à la portée des ignorants ; la précision du langage qui imprime des convictions nettes ; la vigueur du raisonnement qui asseoit des convictions fortes ; les métaphores grandioses qui éclairent et dominent l’imagination ; la volonté impérieuse qui asservit les esprits indécis ; la verve féconde qui séduit les esprits grondeurs.
Et puis, comme l’art a mille faces possibles, et qu’aucune n’est à supprimer quand elle correspond à la nature, il y aura toujours lieu à des talents et à des œuvres qui exprimeront des sentiments plus isolés, plus à part des questions flagrantes, et s’inquiéteront, en les exprimant, de la beauté calme et juste, de la perfection de la pensée et de l’excellence étudiée du langage : ce seront ceux de la même famille qu’André.
Le caractère, les faiblesses, les vices et l’entêtement des Bourbons n’avaient d’exemple que chez les Stuarts ; les mêmes conseillers jésuites semblaient avoir passé des uns aux autres ; un siècle et demi qui s’était écoulé dans l’intervalle n’avait changé ni leur robe ni leur langage.
Et, malgré cela, ce n’est que rarement et pour la commodité du langage qu’on dit « le siècle de Voltaire ».
La Ferinda vaut un peu mieux : c’est une comédie chantée, une sorte d’opéra-comique, dans lequel sept ou huit dialectes se livrent bataille : le mauvais allemand, le français corrompu, le patois vénitien, napolitain, génois, ferrarais, le langage pédantesque, sans compter un bègue qui ne peut, lui, parler aucune langue.
Mme de Staël risque celle-ci : « Tout ce qui concerne l’exercice de la pensée dans les écrits, les sciences physiques exceptées » ; et Schlegel : « Tous les arts et toutes les sciences, ainsi que toutes les créations et toutes les productions qui ont pour objet la vie et l’homme lui-même, mais qui, sans avoir aucun acte extérieur pour but, n’agissent que par la pensée et le langage et ne se manifestent qu’à l’aide de la parole et de l’écriture. » Cette définition encyclopédique est peut-être juste, mais, si elle définit quelque chose, elle exprime que la littérature embrasse tout ce qui s’écrit, car où serait la démarcation ?
Ce n’est pas que la Poésie ne puisse & ne doive accorder son langage avec celui de la raison ; mais la gêne du raisonnement & des preuves énerve son activité, & fait avorter les traits de lumiere & de sentiment, propres à frapper & à convaincre plus vivement que toutes les pensées, les sentences, ou les démonstrations géométriques.
On voulut jetter du ridicule sur toutes ses beautés ; prouver qu’il n’avoit réussi dans aucun genre : Qu’il avoit manqué le pastoral dans ses bucoliques, ouvrage admirable par les graces simples & naturelles, par l’élégance & la délicatesse, par cette pureté de langage qui le caractérisent ; le didactique dans ses géorgiques, poëme le plus travaillé de tous ceux qu’il nous a laissés, & qu’on peut appeller le triomphe de la poësie Latine ; l’épique dans son énéide, chef-d’œuvre de l’esprit humain, qu’Auguste ne pouvoit se lasser de lire, & la tendre Octavie de récompenser, jusqu’à faire compter à l’auteur dix grands sesterces pour chaque vers, ce qui montoit à la somme de 325 000 livres.
Nodier disait « Pour juger une grande époque de destruction et de renouvellement, comme celle où nous vivons, il faudrait pouvoir se séparer tout à fait du passé et de l’avenir, ne conserver de l’un que des souvenirs sans passion, ne fonder sur l’autre que des espérances sans regrets… On sent partout, dans ce livre, l’inspiration qui a produit Antigone ; et je ne sais par quel mystère qui étonne et qui effraie, il rappelle le langage des fondateurs de la civilisation, comme si la nôtre était déjà détruite : il résulte de ce mélange d’éléments quelque chose qui accable la pensée, mais qui a un caractère monumental très instructif pour le siècle, si les livres remarquables sont les témoins de l’état de la société.
Il est entré, depuis lors, dans le langage courant de la presse et de la politique, avec ce sens : rapprochement entre la République et l’Église, alliance de la démocratie et du catholicisme, rentrée en faveur du pouvoir religieux au sein de la société civile, restauration du règne social de Jésus.
Comme elle s’est toujours astreinte à parler le langage de tout le monde, elle n’a pas été le privilège d’une espèce de caste philosophique ; elle est restée soumise au contrôle de tous ; elle n’a jamais rompu avec le sens commun.
Le voyant enorgueilli de ses premiers essais et du beau langage qui lui venait sans effort, Corinne lui aurait dit « qu’il manquait aux muses, en ne sachant pas employer les fictions, ce qui est le grand œuvre de la poésie, tandis que les expressions, les figures de style, la mélodie, le rhythme, ne sont qu’un agrément ajouté aux choses mêmes ».
Observons d’abord qu’en bon langage français il n’y eut jamais d’opposition entre les deux choses, et que l’antithèse de Montesquieu n’est point formulée dans les termes les plus justes. […] On appelle cela, en langage magnifique, « l’obscur travail de l’Inconscient », et on oppose la sûreté de sa marche franchement aveugle aux hésitations, aux tâtonnements, aux erreurs de notre petite lumière incertaine. […] De là dépend, écrit-il, « non seulement le langage, mais encore l’âme de toutes les tragédies françaises. […] Balzac rebute les amateurs délicats du bon langage ; mais cet Hercule du labeur littéraire s’est forgé un style lourd, massif, compact, touffu, chargé de mots, à l’image de sa puissante conception de la « Comédie humaine ». […] Substituez un vocable meilleur à un terme justement critiqué, vous perfectionnez simplement la forme du langage, vous ne changez point l’essence de ce qu’il exprime.
À voir ces longs détails de cuisine, ces plaisanteries rampantes et crues, on croit avoir affaire à un amuseur des halles ; ainsi parlent les charlatans des ponts quand ils approprient leur imagination et leur langage aux habitudes des tavernes et des taudis. […] à moi un tel langage ! […] Le beau langage rencontre alors toute sa beauté, parce qu’il est sincère. […] Les façons étaient douces et les sentiments étaient durs ; le langage était étudié, les idées étaient frivoles. […] Toutes ces charmantes personnes arrivent très-vite au langage des laveuses de vaisselle.
Théophile Gautier prétend qu’un acteur, qui parviendrait à imiter parfaitement le langage et les gestes d’un savetier, ne l’amuserait pas plus qu’un savetier. […] Faites, au contraire, une liste de vos héros, donnez-leur le caractère, le langage, les manies de telle ou telle personne que vous connaissez. […] Alors seulement vous aurez quelque chance de rendre la vérité du langage et des mœurs, telle qu’on la trouve, par exemple, dans les dialogues de Walter Scott. […] Arnolphe prenant tout à coup pour exécuter son abominable plan le langage de la chaire chrétienne, et ce langage s’adaptant le mieux du monde à la pensée de l’ingénieux tyran et paraissant lui être naturel, voilà qui donnait à songer. […] Je me plais à répéter ces paroles, malgré les oreilles délicates ; elles effacent les discours les plus magnifiques, et je voudrais ne plus parler que ce langage.
Le conteur est ému, et pourtant son langage reste le même, uni, sans accent, tant ils sont pourvus du génie de la prose et dépourvus du génie de la poésie ! […] Ils seraient déroutés par les saccades et l’obscurité de ce langage. […] Encore au quinzième siècle104 plusieurs de ces pauvres gens s’emploient à cette besogne ; le français est le langage de la cour, c’est de cette langue qu’est venue toute poésie, toute élégance ; on n’est qu’un pataud tant qu’on est inhabile à la manier. […] De génération en génération, la contagion gagne ; on la respire dans l’air, à la chasse avec les forestiers, dans les champs avec les fermiers, sur les navires avec les matelots ; car ce ne sont pas ces gens grossiers, tout enfoncés dans la vie corporelle, qui peuvent apprendre un langage étranger ; par le simple poids de leur lourdeur, ils imposent leur idiome, au moins pour ce qui est des mots vivants. […] L’antique langage reparaît en partie, et l’antique mètre reparaît tout à fait ; plus de rimes, mais des allitérations barbares ; plus de badinage, mais une gravité âpre, une invective soutenue, une imagination grandiose et sombre, de lourds textes latins, assénés comme par la main d’un protestant.
Il en a conservé le beau langage, le bon goût, l’atticisme. […] Voilà comment on garde à chacun ses mœurs, son langage, ses vices, et comment la variété peut pénétrer dans les œuvres humaines. […] En effet, la comédie de Térence enseignait à ces grands seigneurs, plus puissants que des rois, l’urbanité et le beau langage. […] Ce sont les mêmes mœurs, c’est le même langage, et ce sont les mêmes détails. […] Caton le censeur, et même le Misanthrope de Molière, ne parlaient pas, de leur vivant, un langage plus élevé, plus grave, plus austère, même dans sa joie, et plus digne de la comédie sérieuse.
La passion, la pauvre passion humaine, qui n’a jamais assez de ce qu’elle désire, retord bien souvent son langage comme ses cheveux, pour se faire parure, pour être plus belle et plus aimée, et met des efforts de cœur insensé dans ces concetti trop condamnés, qui ne sont pas toujours, ainsi qu’on ledit, des affectations. […] Écoutez-le plutôt : « Il n’y a pas en l’homme — dit-il — de ces choses (things) qui soient distinctes et séparées et qui s’appellent intellect, imagination, fantaisie, etc., etc., comme il y a des pieds, des mains et des bras… Quand nous entendons dire d’un homme qu’il a une nature intellectuelle et une nature morale, et que ces natures existent à part l’une de l’autre, ce sont des nécessités de langage, et nous devons parler de cette manière si nous n’aimons mieux n’avoir pas à parler du tout. […] Les Sonnets, ces Sonnets sans sexe, où l’âme de ceux qui respectent Shakespeare se trouble devant la confusion d’un langage si troublant lui-même et si troublé ; les Sonnets, que je n’aurais pas cités, moi, pour prouver la pureté d’un sentiment qui, s’il est de l’amitié, n’est plus de l’amitié sainte et forte, mais de l’amitié qui, au moins, a le délire ; ces Sonnets sont invoqués à l’appui de cette idée que, quand il s’agit de Shakespeare : qui peint l’amitié doit la ressentir. […] On y trouve le pathétique dans les situations, la puissance de conception dans les caractères, la beauté idéale dans les sentiments, l’énergie ou la grâce dans le langage qu’il faut admirer partout dans Shakespeare ; en d’autres termes, l’identité du même génie, dans des sujets différents.
Voilà, ajoute L’Estoile dans un langage plein de satiété et de pléonasme, et qui semble regorger de son objet, voilà les augustes et magnifiques titres de grandeur du grand duc de notre siècle. […] Les Mémoires de Sully existaient, d’un volume considérable, mais d’une lecture lente et pénible : l’abbé de L’Écluse, en 1745, se chargea de les alléger, de les rendre faciles et agréables ; il en dénatura la forme, le langage, et parfois le fond ; il donna à son auteur un certain air plus dégagé, et qui fait contresens.
que ces lèvres n’ont-elles un langage ! […] Cowper se reprochait fort la perte de ces années décisives qu’il comparait, en langage des champs, au temps des semailles ; on n’a plus tard des gerbes qu’à ce prix : « La couleur de toute notre vie, pensait-il, est généralement telle que la font les trois ou quatre premières années dans lesquelles nous sommes nos maîtres.
Sous son masque de Thalie, pour parler ici comme elle ce mythologique langage, elle ne sécha pas une seule de ses larmes. […] Les petits enfants, qu’elle aime à peindre, ont été plus précoces et ont parlé un langage plus impossible que jamais.
Il n’a point de raffinement ni de délicatesse : par certains excès de goût et de langage, il mène à Scarron et peut revendiquer une part de paternité dans la naissance du burlesque. Suivant, comme il dit, son « ver coquin », il a tous les bénéfices comme tous les défauts de l’inspiration : le mot hardi, imprévu, éclatant, l’image riche, inoubliable, un cours naturel et aisé de langage, qui enregistre toutes les inégalités de la pensée.
Un magistrat qui est quelque part propriétaire rural, presque seigneur de village, s’intéresse à ce coin de terre, à ses us, à ses traditions, à son langage. […] On a l’illusion, lorsqu’on n’est pas un grand philologue, de lire un texte du moyen âge sans être arrêté par les perpétuelles difficultés des textes authentiques ; on goûte le charme combiné de la mièvrerie de la forme et de la simplicité des sentiments ; et, comme il est convenu que le moyen âge est naïf, comme son langage nous paraît tel (peut-être parce qu’il est en général plus lent et plus empêtré que le nôtre, ) on savoure de bonne foi cette naïveté.
Ou bien ce sont des afféteries de langage pâmé : « Que faire là contre ? […] Taine, il tient l’esprit scientifique, certaines habitudes de composition et de langage et le goût des grandes généralisations ; de M.
Sa signification n’existe que par un accord tacite ; ainsi le langage des fleurs et des pierreries, les écussons, les attributs5. […] Selon le langage courant qui le doue d’une portée large et vague, à l’égal du mot signe, par exemple, il pourrait en certains cas servir à désigner ce que j’ai appelé symbole.
En vain serait-il convaincu qu’il n’arrivera jamais à éliminer absolument cette cause d’erreur que Sainte-Beuve a signalée en disant : « C’est toujours soi qu’on aime, même dans ceux qu’on admire », il doit travailler à réduire au minimum cet élément subjectif, ou, pour emprunter une expression au langage de la science, ce cœfficient personnel. […] La vie ne se vérifie pas ; elle se fait sentir, aimer, admirer. » L’éminent philosophe me paraît s’être laissé entraîner ici à quelque exagération de pensée ou de langage, et la présente étude a eu précisément pour objet de montrer que le sentiment peut être efficacement aidé, guidé, contrôlé.
Ainsi, quand on étudie ces raffinements de langage, cette recherche de bel esprit, ce bariolage de métaphores qui, sous le nom de préciosité, d’euphuïsme, de marinisme, de cultisme, ont, à la fin du xvie siècle et au commencement du xviie , charmé la France, l’Angleterre, l’Italie, l’Espagne, il semble que, sans aucune contagion épidémique, la manie d’alambiquer ait rencontré dans toutes ces contrées de suffisantes raisons d’être. […] Ce qui augmente en ce cas la durée du trajet, c’est la répugnance dédaigneuse des Français pour un langage qui choque leur oreille et leur amour de la clarté.
Avec sa facilité improvisatrice, encore aidée des ressources du patois dans lequel il écrit, Jasmin pourrait courir et compter sur les hasards d’une rencontre heureuse comme il n’en manque jamais aux gens de verve et de talent : mais non, il trace son cadre, il dessine son canevas, il met ses personnages en action, puis il cherche à retrouver toutes leurs pensées, toutes leurs paroles les plus simples, les plus vives, et à les revêtir du langage le plus naïf, le plus fidèle, le plus transparent, d’un langage vrai, éloquent et sobre, n’oubliez pas ce dernier caractère.
Pour revenir au monde des idées et au ciel métaphysique de Malebranche, M. de Bonald nous fait repasser par la filière des mots et par la mécanique du langage de Condillac. […] Le déiste, pour lui, n’existe pas : « Un déiste, dit-il, est un homme qui, dans sa courte existence, n’a pas eu le temps de devenir athée. » — (Voir un morceau intitulé « De l’origine du langage », par M.
Dans quelques endroits même on trouverait quelque luxe d’images, de fleurs de roses et d’épines, quelque trace du mauvais goût de Louis XIII ; mais ce ne sont que des instants, et le bon sens chez elle règle d’ordinaire le langage comme le jugement et la pensée. Mme de Motteville est bien une contemporaine de Corneille, et un peu des romans de cette époque ; elle en a quelque chose dans son langage.
À la comtesse de Soissons, à l’occasion de la mort du comte son mari, il dira assez singulièrement et pour lui persuader qu’elle y a gagné plutôt que perdu : « Si vous désirez votre bien, il est meilleur que vous ayez un avocat au ciel qu’un mari en terre (sur la terre). » Une fois, il donne des conseils intérieurs et tout spirituels à une âme dévote qui éprouvait des peines et des découragements dans l’oraison ; il essaye avec elle d’un langage et d’une science mystique, où il est aisément vaincu par les saint François de Sales et les Fénelon. […] « Il fallait, en cette occasion, s’écrie Richelieu, mépriser sa vie pour le salut de l’État ; mais Dieu ne fait pas cette grâce à tout le monde. » Il revient souvent sur cette idée, que le courage qui fait entreprendre les choses sensées et justes dans l’ordre public est une grâce spéciale de Dieu ; et ce n’est point chez lui une forme de langage : évidemment il le croit.
Il démontre sous toutes les formes, et par une quantité de considérations prises dans le cœur humain, que la morale religieuse vient sans cesse au secours de la législation civile : Elle parle un langage que les lois ne connaissent point ; elle échauffe cette sensibilité qui doit devancer la raison même ; elle agit, et comme la lumière et comme la chaleur intérieure ; elle éclaire, elle anime, elle s’insinue partout ; et ce qu’on n’observe point assez, c’est qu’au milieu des sociétés cette morale est le lien imperceptible d’une multitude de parties qui semblent se tenir par leurs propres affinités, et qui se détacheraient successivement, si la chaîne qui les unit venait jamais à se rompre. […] Chacun de ces instants est gravé dans ma mémoire… J’avais obtenu le retour de la paix, je l’avais obtenu sans autre moyen que le langage de la raison et de la vertu : cette idée me saisissait par toutes les affections de mon âme, et je me crus un moment entre le ciel et la terre.
C’est la qualité qu’on remarquera encore dans les Agrémens du langage réduits à leur principe, publiés en 1718. […] Les Dialogues sur l’Eloquence, ouvrage posthume de M. de Fénélon, parurent la même année que les Agrémens du langage.
Dans le langage elliptique du poëte, ce qui est exprimé fait ressortir avec éclat tant d’autres souvenirs sous-entendus et présents ! […] Quelle poésie dans ce langage !
Il y a tel de ses plus anciens sermons où on le surprend comme en flagrant délit de sa première manière, quand il a en lui du novateur (en langage), du téméraire éloquent, un peu de Lacordaire, si j’ose m’exprimer ainsi.
Par malheur, le langage résiste souvent à la pensée et se plie avec peine à l’inspiration : de là quelque chose de prétentieux, ou, comme d’autres disent, de romantique, surtout dans les préambules où l’auteur parle en son nom, plusieurs fois même dans le dialogue ; lorsque Cinq-Mars et Marie de Gonzague s’entretiennent, on s’aperçoit trop que M. de Vigny est en tiers avec eux.
Il conçut le poème une musique, non l’inarticulé balbutiement dont chaque flot sonore meurt perpétuellement au seuil de l’inexprimé, mais la vraie, l’idéale musique abstraite, dégageant le rythme épars des choses, douant d’authenticité, par la création divine du langage, notre séjour au sein des apparences fugaces.
On lisait sur le fronton de telle école antique : « Que nul n’entre ici s’il ne sait la géométrie. » L’école philosophique des modernes porterait pour devise : « Que nul n’entre ici s’il ne sait l’esprit humain, l’histoire, les littératures, etc. » La science perd toute sa dignité quand elle s’abaisse à ces cadres enfantins et à ce langage qui n’est pas le sien.
C’est pourquoi nous avertirons M. de la Harpe de s’attacher plus qu’il n’a fait à renforcer & égayer son style, à enrichir & à déniaiser son érudition, à aiguiser & à dégauchir son discernement ; d’être plus adroit, lorsqu’il voudra louer ses propres Ouvrages ; de ne pas se trahir, en affectant pour les autres le mépris qu’on a tort, sans doute, d’avoir pour lui ; enfin, de ne pas confondre, pour son repos, le langage d’une juste censure, avec celui de la jalousie.
Par un effet tout contraire, l’excès de leurs emportemens a déjà désabusé les Esprits, que le langage imposteur de leur faux zele pour l’Humanité avoit d’abord séduits.
Elles paroissent les unes après les autres sur la scène, y parlent leur différent langage.
On se fondoit, pour être de cet avis, sur ce que le François est le plus beau langage de l’univers.
Elle vient à la voix de celui qui réunit la précision, la pureté du langage, la force & la justesse du raisonnement, une méthode aisée & claire.
Massillon, peignant cet amour, s’écrie : « Le Seigneur tout seul51 lui paraît bon, véritable, fidèle, constant dans ses promesses, aimable dans ses ménagements, magnifique dans ses dons, réel dans sa tendresse, indulgent même dans sa colère ; seul assez grand pour remplir toute l’immensité de notre cœur ; seul assez puissant pour en satisfaire tous les désirs ; seul assez généreux pour en adoucir toutes les peines ; seul immortel, et qu’on aimera toujours ; enfin le seul qu’on ne se repent jamais que d’avoir aimé trop tard. » L’auteur de l’Imitation de Jésus-Christ a recueilli chez saint Augustin, et dans les autres Pères, ce que le langage de l’amour divin a de plus mystique et de plus brûlant52.
Ces deux conjugaisons hébraïque et grecque, l’une si simple et si courte, l’autre si composée et si longue, semblent porter l’empreinte de l’esprit et des mœurs des peuples qui les ont formées : la première retrace le langage concis du patriarche qui va seul visiter son voisin au puits du palmier ; la seconde rappelle la prolixe éloquence du Pélasge qui se présente à la porte de son hôte.
Ils ont mis en oeuvre les beautez d’execution, afin de nous prévenir en faveur de leurs personnages, par l’élegance de leur extérieur, ou par l’agrément de leur langage.
Je ne vois guères que l’auteur des Pensées pour avoir sur ce grand sujet, oublié par Bossuet, cette aperception suraiguë dans le regard, cette force dans la conception d’un ensemble, cette profondeur d’interprétation et cette majesté de langage, aux saveurs bibliques.
Avec un langage ecclésiastique, dont ses dernières œuvres sont d’ailleurs plus fortement marquées que sa correspondance de séminariste, M.
Prenons garde cependant que, dans le langage officiel, tout le monde fait semblant, fait profession extérieure de croire, tandis que la grande majorité du dehors avance pourtant (bien lentement, il est vrai) dans ce qu’on peut appeler le sens commun. […] messieurs, prenons garde que notre pays de France n’en vienne à cet état commandé d’hypocrisie sociale où le langage public ne saurait se passer de certaines formules convenues, quand le cœur et l’esprit de chacun n’y adhéreraient pas. […] Vous parlez d’un langage d’apparat dont on s’affranchit quelques instants après dans l’entretien familier.
Un mot redoutable, celui de citoyen, importé par Rousseau, est entré dans le langage ordinaire, et, ce qui est décisif, les femmes s’en parent comme d’une cocarde. « Vous savez combien je suis citoyenne, écrit une jeune fille à son amie. […] » — Autre mot non moins significatif, celui d’énergie qui, jadis ridicule, devient à la mode et se place à tout propos528 — Avec le langage, les sentiments sont changés, et les plus grandes dames passent à l’opposition. […] Sans approfondir celle des écrivains plus graves, nous l’admirions comme empreinte de courage et de résistance au pouvoir arbitraire… La liberté, quel que fût son langage, nous plaisait par son courage ; l’égalité, par sa commodité.
Ou pour parler un langage platonicien et anteplatonicien, il ne s’agit pas que l’un soit l’autre. […] Si je voulais parler un langage chrétien je dirais que même pour le péché tout le monde n’est pas bon. […] Et ici encore et en ceci même nous sommes forcés de parler le langage bergsonien et en ceci on n’en parlera jamais d’autre.
— La littérature ressemble aujourd’hui à ce preux imbécile et l’on peut lui tenir le même langage. […] Il est à peine besoin de faire observer que les idées, les sentiments, le langage varieront étrangement, selon que les auteurs sont nés dans l’opulence ou la pauvreté, dans l’aristocratie, la bourgeoisie ou le peuple. […] Ce n’est pas sans doute un hasard si avec ces plébéiens, qui ont lutté, peiné, souffert, apparaissent un langage plus rude, des passions plus ardentes, des instincts de révolte et des tendances égalitaires.
Ils en ont dû prendre les mœurs, du moins dans le langage ; et ils ont pensé qu’en faisant entrer les mots de cette langue, spéciale aux ateliers, dans la langue littéraire, ce serait là un accroissement et une richesse de plus pour la langue et pour la littérature. […] Toujours est-il qu’ils ont fait parler ce mauvais langage à leur héroïne pour la rendre plus naturelle, plus réelle, comme on dit maintenant, et, qui sait ? […] Littérairement, il est dangereux parce qu’il est sur le bord de l’abîme en littérature (le réalisme dans le langage), qui a leur donné quelquefois des vertiges.
C’est bien le langage de ce siècle si raisonneur dans la forme et si discipliné dans le fond. […] Il lui prête leur esprit, l’esprit français, l’ironie, la grâce, la vivacité du langage. […] Seulement, c’est un animal versé dans le langage amoureux du dix-septième siècle. […] Et quelle joie d’entendre parler ce langage à des personnages de la Grèce fabuleuse, antérieurs à Homère, et qui s’appellent Hélène, Démétrius, Thésée, Hippolyte ! […] Sa petite pièce aurait ainsi quelque chose de plus vivant, de moins scolaire, et nous n’aurions pas la surprise et la douleur d’entendre des contemporains de Molière parler quelquefois notre vilain langage
Pourtant, quoi de plus familier à tous les hommes dans les aventures et dans le langage ? […] Ne croit-on pas écouter le langage d’un berger de Syracuse, d’un modeste disciple de Théocrite, seulement capable de célébrer les travaux des campagnes ? […] La diction épique, soit en prose, soit en vers, garde donc un caractère particulier qui la constitue, tant lorsqu’elle raconte, c’est-à-dire qu’elle use du langage indirect, que lorsqu’elle fait parler les acteurs de la fable, c’est-à-dire qu’elle emploie le langage direct. […] « Chaque passion parle un différent langage. […] Quand le langage décrit, il faut que des expressions d’une justesse précise lui servent à rendre les objets et les images visibles.
« Le langage de Pascal » dans Les Pensées possède une force explosive dans l’expression mais aussi une simplicité, une fermeté. […] Avec l’art du raccourci d’un ascète, Pascal mate toute « concupiscence » du langage. […] Une force explosive toujours présente dans l’expression, voilà ce qui investit le langage de Pascal de ce caractère immédiat qui partout constitue la donnée première de son génie. […] Composant l’œuvre définitive, Pascal eût-il permis au langage ces irrésistibles sorties ? […] Aurait-il au contraire ramené le langage en deçà ?
Quand les mœurs se polissent, le langage aussi s’épure, et, n’était la crainte de paraître jouer sur les mots, je dirais volontiers que « politesse » et « polissure » sont choses qui vont naturellement ensemble. […] Elle s’insinuait rapidement, dans les manières d’abord, qui devenaient à la fois plus élégantes et plus naturelles ; dans le langage, qu’elle achevait d’épurer ; dans les sentiments, qui devenaient plus subtils et plus compliqués. […] C’est le langage même du bon sens. […] De la préciosité comme maladie du langage. — Qu’elle consiste à traiter le langage, non plus même comme « œuvre d’art » ; — mais comme occasion de faire soi-même étalage de sa virtuosité. […] Les Femmes savantes] ; — transposer enfin tout ce que l’on dit dans un langage d’initiés ; — et, à ce propos, que, si les deux mots sont les mêmes, c’est que l’argot et le jargon sont un peu la même chose.
On a beaucoup parlé d’un élément latin qui aurait été introduit en Angleterre par les Normands ; mais le seul élément latin qu’ils y aient réellement importé, c’est leur langage. […] On peut dire en langage familier que dès le commencement de la pièce Prospero fait ses malles pour le départ définitif. […] À chaque instant il a fallu émonder, éclaircir, sarcler, supprimer dans les violences et les familiarités de cet énergique langage. […] L’âme emprunte aux sens leur énergie de révolte et leur fougue audacieuse, les sens empruntent le langage de l’âme pour exprimer leurs plaisirs. […] Tout a changé subitement : mœurs, langage, caractères et passions.
Quand l’âme est pleine et neuve, ce n’est point par des raisonnements qu’elle exprime ses idées ; elle les joue et les figure ; elle les mime ; c’est là le vrai et le premier langage, celui des enfants, celui des artistes, celui de la joie et de l’invention. […] Ils jettent fleur sur fleur, clinquant sur clinquant ; tout ce qui brille leur agrée ; ils dorent et brodent et empanachent leur langage, comme leurs habits. […] Chacun se fait alors ses jurons, ses élégances, son langage. « On dirait, dit Heylin, qu’ils ont honte de leur langue maternelle, et ne la trouvent pas assez nuancée pour exprimer les caprices de leur esprit. » Nous ne nous figurons plus cette invention, cette hardiesse de la fantaisie, cette fécondité continue de la sensibilité frémissante ; il n’y a point de vraie prose alors ; la poésie qui déborde envahit tout. […] Comptez que dans toute passion extrême les lois ordinaires sont renversées, que notre logique française n’en est point juge, qu’on y rencontre des affectations, des enfances, des jeux d’esprit, des crudités, des folies, et que les violents états de la machine nerveuse sont comme un pays inconnu et extraordinaire ou le bon sens et le bon langage ne pourront jamais pénétrer. […] Il en aime jusqu’au langage ; il reprend les vieux mots, les tours du moyen âge, la diction de Chaucer330.