Treuvent… avecque… Ces mots-là, qu’on pardonnait autrefois, sont devenus barbares. […] Les deux derniers vers de cette petite fable sont devenus proverbe.
Toucher au nid d’une hirondelle, tuer un rouge-gorge, un roitelet, un grillon, hôte du foyer champêtre, un chien devenu caduc au service de la famille, c’était une sorte d’impiété qui ne manquait point, disait-on, d’attirer après soi quelque malheur. […] On est bien près de tout croire quand on ne croit rien ; on a des devins quand on n’a plus de prophètes, des sortilèges quand on renonce aux cérémonies religieuses, et l’on ouvre les antres des sorciers quand on ferme les temples du Seigneur.
Mais il devenait impossible de se payer d’arguments : la sensation nette, irrésistible, venait à chacun devant telle page des Rougon, non plus d’une brutalité de document, mais d’un violent parti-pris d’obscénité. […] C’est le malheur des hommes qui représentent une doctrine qu’il devient impossible de les épargner le jour où ils compromettent cette doctrine.
Littérairement chacun a fait sur le monument de notre histoire sa petite arabesque, mais ce qui n’est, au point de vue intellectuel, qu’une profanation, amoindrie par le ridicule, socialement et politiquement est devenu bientôt dangereux ! […] Elle devient presque un sacerdoce, et l’on ne voit guère d’analogue à lui comparer que dans les Paralipomènes.
Alors, l’amitié d’un grand homme, devenu coupable, fut un crime, et Claudien quitta la cour. […] Il devint conquérant et homme d’état, protégea Byzance, subjugua Rome, la répara et l’embellit après l’avoir conquise, joignit partout les lumières au courage, établit différents tribunaux pour juger les Italiens et les Barbares, et fit en même temps une multitude de lois sages pour réunir les deux nations divisées, à peu près comme le vainqueur de Darius eut le projet de réunir les Grecs et les Perses.
Entré au régiment des gardes étant encore fort jeune, il ne tarda pas à devenir la terreur des duellistes de son temps. […] Desmarets devint donc le collaborateur forcé de Son Éminence. […] Ce moyen parut si ingénieux et si équitable, qu’à partir de ce moment, il devint une règle toujours suivie. […] Alexandre le Grand est devenu conteur de fleurettes. […] Du reste, ce Dauvilliers devint fou par la suite.
Cette tombe deviendra la pierre abandonnée des morts sans famille. […] Le blessé est devenu un objet de mode. […] L’huile à brûler devient rare, les bougies sont à leur fin. […] Une pauvre vieille femme avait toute sa vie et toute son âme concentrées sur un fils qui, d’employé de la banque, est devenu, à l’heure présente, soldat. […] De virile, de martiale, de hasardeuse qu’elle était, elle est devenue loquace, et très économe de sa peau.
Le public est pris, cela devient tout à fait intéressant. […] Elle a retrouvé Serge, est devenue sa maîtresse, et sa maîtresse payée. […] Sardou devient assez singulier. […] Depuis, il est devenu méchant ; mais pourtant il n’a point tué. […] La plate chanson s’enflait, devenait grandiose.
Delpit voulait expliquer sans doute qu’on devient littérateur quand on a du talent, et qu’on naît académicien quand on en manque. […] Halévy devient immortel. […] De reporter, il est devenu domestique ; et il a gagné à cela beaucoup de considération. […] Floquet, cet ancien Polonais, devenu plus moscovite que Rostopchine. […] Stéphane Mallarmé le fixe par un seul verbe, qui devient l’objet lui-même.
Il devenait incrédule, quand il voyait son Paris faire pendant à Rouen ou à Rome, et la place Royale devenir mitoyenne du Louvre. […] L’art, à coup sûr, y perd : il devient métier. […] Que devient la ressemblance avec la vie ? […] Ce qui n’était que le frein des âmes en est devenu le ressort. […] Car, si la condition des gens de lettres est devenue meilleure, ils se sont amoindris en s’élevant.
Quand des mœurs barbares deviennent plus polies, il y a amélioration morale ; l’inverse, je ne voudrais pas le soutenir. […] Dans l’histoire de Thamous, Rabelais devient même tragique. […] Plus visiblement elles s’écartent des données ordinaires de la nature, plus il devient évident que Dieu veut être obéi comme Dieu. […] Que deviendront ces modes quand le temps même aura disparu ? […] À force de vouloir être neuf, il lui arrive de devenir puéril et affecté ?
Il paraît cependant, qu’à une certaine époque de sa vie, son cœur devint corrompu et sa pensée s’éloigna de Dieu. […] Dagobert devint cher à son peuple. […] Maurice Rollinat eut pour marraine George Sand, et il faillit devenir notaire. […] La plainte des bêtes devint un instant suraiguë. […] Il devint aussi l’ami d’autres bourgeois.
Sa pièce, parla même, perd le caractère antique, la sobriété du détail ; par contre, elle devient un morceau accompli de réalisme vigoureux. […] Qui ne connaît aujourd’hui ces chants devenus populaires ? […] D’abord jaune pâle, puis rouge, le soleil, toujours oblique, est devenu bientôt d’un jaune de safran. […] L’appétit du beau, qui déjà s’y manifestait, s’accroîtra plus tard jusqu’à devenir une exclusive ferveur. […] les mâchoires de la tristesse achèvent de la dévorer : tant ce qui resplendit, devient, dans un instant, ombre confuse !
Cette vie religieuse qu’a réchauffée en eux le Père Léonce va devenir une force de propagande. […] Mais, d’abord, il va devenir prêtre. […] Elle devient une capitale de l’empire des idées. […] Elle grandit, devient commune libre. […] L’attente d’un événement décisif est devenu chez Guillaume II une obsession.
Les hommes les plus passionnés y sont devenus subtils et secs, les esprits les plus clairs s’y sont embrouillés. […] Les auteurs profanes lui devinrent aussi familiers que les livres saints. […] Elle veut agir, se propager, devenir la règle et le fait. […] Devenu archevêque, Fénelon changea de conduite. […] Peu à peu la dispute devient plus serrée, sans pourtant s’envenimer.
Puis cela devient cette espèce de petite taupe hydrocéphale, à la chair, mamelonnée et tuberculeuse. […] * * * — Qui devient triste, de moi ou des endroits publics ? […] Je le vois devenir tout triste à cette proposition, triste comme un enfant en vacances à qui on parle du collège. […] Vous allez me parler de tous mes camarades qui sont devenus agents de change, ce dont je me f… Vous émettrez sur la littérature des idées d’homme pratique qui me blesseront. […] Dans le jardinet, une cinquantaine de personnes de bric et de broc, trempées, mouillées sous la pluie et les parapluies, et, entre leurs jambes, la course effarée d’un lapin devenu complètement fou.
Toutes les sphères s’agrandissent ; la famille devient tribu, la tribu devient nation. […] Elle devient épique, elle enfante Homère. […] D’ailleurs, quelque grands qu’ils soient, ce cèdre et ce palmier, ce n’est pas avec le suc qu’on en tire qu’on peut devenir grand soi-même. […] On comprend que dans tout cela la nature et la vérité deviennent ce qu’elles peuvent. […] C’est le fer qui devient acier.
Campe était devenu l’ami de la maison ; c’était un homme d’élite, très capable et très digne d’élever un savant et un homme d’État, tels que furent Guillaume et Alexandre de Humboldt, deux frères éclos du même nid, pour une double célébrité. […] Kimth, homme distingué, le remplaça, devint l’ami de la noble famille, et, après la dispersion des deux frères, fut chargé par eux de gouverner leur terre de Tégel. […] Nos voyageurs s’occupaient particulièrement, dans leur marche, des vents de mer qui règnent dans ces parages et qui deviennent de plus en plus constants à mesure que l’on approche des côtes d’Afrique. […] Sa maison était devenue, à Rome, à Vienne, à Paris et à Berlin, le centre de la société la plus agréable et la plus spirituelle. […] Alors sa conversation devenait ouverte et pétillante d’esprit ; néanmoins ses jugements étaient pleins de réserve et il était toujours maître de sa parole.
L’enjambement, autrefois constamment nécessaire, est devenu un moyen d’expression nullement distinct des autres et ne sera plus employé que dans un but prévu, et par exception : l’analyse logique peut dorénavant coïncider avec le vers sans amener l’uniformité, car elle s’unit au rythme désinvolte et primesautier, et chaque ligne nouvelle (ou presque !) […] Mais il ne s’agit point de décapiter l’ancien monarque ; on s’est borné à lui adjoindre des ministres responsables, des chambres législatives, une presse bavarde, — et le voici devenu roi constitutionnel. […] Des fleurs t’ont promis quelque chose, Car tu leur parlais comme on admoneste, Puis voici que tu devins rose En les effeuillant d’un si joli geste Qu’il en disait la cause. […] Une société anarchique supposerait que l’altruisme est devenu la règle de tous les hommes, qu’ils appliquent cette règle même sans le vouloir, comme, pour les stoïciens, un homme vertueux pratique la vertu. […] Si le rythme se développe dans les harmonies, l’âme devient et se révèle par ses images ; elle l’enseigne au songeur et lui aide à retrouver le But dont son génie ressent l’attirance divine.
Et comme il devient brillant et merveilleux quand Eva apparaît au savetier-poète, dans ses beaux habits de riche fiancée ! […] Motif 17 (p. 32, 236). — Tout devient vague : David dit à ses compagnons qu’il a autre chose à penser qu’à travailler avec eux ; le motif est esquissé dans sa réponse. […] La mimique d’Eva est timide quand celle de Walther est hardie, et devient hardie dès quelle le peut à son tour. […] Motif 68 (p. 55). — Walther dit à Pogner qu’il veut devenir maître. […] Motif 79 (p. 5, 9, 16, 30, 31, 114, 122, 170, 171, 173, 269, 270, 271, 272, 237, 283, 301, 318, 371, 381, 382, 384, 385, 388, 395, 396). — C’est le printemps devenu chanteur.
Duval, négociant genevois à Saint-Pétersbourg, et qui y devint bijoutier de l’Impératrice. […] Mais bientôt les provisions s’épuisent ; des vents devenus favorables annoncent une navigation plus heureuse ; on lève l’ancre, et on cingle au milieu des mers vers des côtes inconnues. […] Le matin du 23, le vent devint si violent que le peu de voiles nécessaires pour gouverner fut emporté. […] Pictet est devenu et que je sais que dans ce temps-là il vous était redevable d’une forte somme, c’est à vous que je remettrai cet argent. […] Aimé Martin (Mémoire sur la vie et les ouvrages de Bernardin de Saint-Pierre, 1826, p. 443), et qui est devenu le docteur Freytouns.
Le serment a commencé par être une sorte d’épreuve judiciaire pour devenir simplement une forme solennelle et imposante du témoignage. […] À mesure que les hommes sont obligés de fournir un travail plus intense, les produits de ce travail deviennent plus nombreux et de meilleure qualité ; mais ces produits plus abondants et meilleurs sont nécessaires pour réparer les dépenses qu’entraîne ce travail plus considérable64. […] Seulement cette impossibilité est purement pratique, Elle tient à ce que la distance entre le point de départ et le point d’arrivée devient trop considérable pour que l’esprit humain, s’il entreprenait de le parcourir sans guide, ne risquât pas de s’égarer67. […] Si, au contraire, les principales causes des événements sociaux étaient toutes dans le passé, chaque peuple ne serait plus que le prolongement de celui qui l’a précédé et les différentes sociétés perdraient leur individualité pour ne plus devenir que des moments divers d’un seul et même développement. […] « La société existe pour le profit de ses membres, les membres n’existent pas pour le profit de la société… : les droits du corps politique ne sont rien en eux-mêmes, ils ne deviennent quelque chose qu’à condition d’incarner les droits des individus qui le composent. » (Op. cit.
Ribot, d’attribuer une importance décisive aux phénomènes moteurs concomitants, et surtout aux actions d’arrêt, est bien près de devenir classique en psychologie. Mais, à mesure que l’état de concentration intellectuelle se complique, il devient plus solidaire de l’effort qui l’accompagne. […] La vérité est que c’est le souvenir qui nous fait voir et entendre, et que la perception serait incapable, par elle-même, d’évoquer le souvenir qui lui ressemble, puisqu’il faudrait, pour cela, qu’elle eût déjà pris forme et fût suffisamment complète ; or elle ne devient perception complète et n’acquiert une forme distincte que par le souvenir lui-même, lequel s’insinue en elle et lui fournit la plus grande partie de sa matière. […] A ce moment précis l’invention a pris corps : la représentation schématique est devenue une représentation imagée. […] Il présente en termes de devenir, dynamiquement, ce que les images nous donnent comme du tout fait, à l’état statique.
Chez nous, le sermon deviendrait pamphlet et qui pis est pamphlet socialiste. […] Ce même amour, Arnolphe l’a gardé pour Agnès devenue jeune fille. […] Dorine, c’est Martine éduquée et devenue maîtresse femme. […] Quel siècle que celui où un divertissement de circonstance devenait un chef-d’œuvre ! […] Vous avouerez que l’erreur du duc de Richelieu devenait inexcusable et incompréhensible.
Au moment où la guerre civile s’organise et où les huguenots devenus puissants, enhardis par la première faveur de Catherine de Médicis et par les édits de L’Hôpital, agitent un grand dessein de confédération par toute la France, Mézeray énumère les diverses opinions produites dans leurs conseils, dont quelques-unes n’allaient à rien moins qu’à transférer la couronne de la tête du roi sur celle du prince de Condé, et à remettre le royaume en plusieurs souverainetés particulières comme du temps de Hugues Capet ; puis il ajoute, en doutant que l’amiral de Coligny y ait jamais pu consentir : Pour l’Amiral et le prince de Portian (Antoine de Croÿ) : comme c’étaient deux âmes libres et qui se piquaient du bien public, ils témoignaient avoir envie de rétablir l’ancienne liberté française, en faisant en sorte que cette monarchie, fût gouvernée par le conseil de plusieurs des plus prudents personnages, et que l’autorité du monarque fût restreinte à certains termes, etc. […] Au moment où dans Paris la sédition se chauffe, il devient très sensible, d’après le récit de Mézeray, que de tout temps les choses en pareil cas se sont passées à peu près de même. […] Il devint de plus en plus original et bizarre en vieillissant. […] Par malheur, Mézeray, dans ce genre de vie, pas plus que dans son style, ne sut éviter le bas ; il était devenu un anachronisme sous le règne de Louis XIV.
L’orateur ne montrait pas seulement la maison d’Autriche abaissée et réduite aux abois, mais encore les éléments soumis et assujettis par ce génie supérieur des quatre éléments, toutefois, un seul était pris au propre, l’eau de la mer retenue par la digue de La Rochelle ; les autres éléments ne figuraient qu’à l’état métaphorique : c’était le feu de la rébellion éteint avec celui de l’hérésie ; c’était l’air devenu plus serein, et la terre étonnée de tant de prodiges. […] s’écriait-il aussitôt ; son air charmant et majestueux se répand sur toutes ses actions ; sa maison royale emprunte quelques rayons de sa gloire ; son âge est mûr et parfait ; le travail infatigable lui est devenu naturel… Son amour extrême pour nous sacrifie toutes ses veilles à notre repos, et s’il abrège et méprise le temps du sommeil, c’est parce qu’il le passe sans nous… Ne vous étonnez pas, messieurs, du zèle de ce discours : chaque mot est un trait de flamme… Cela paraissait ridicule, dit de ce ton, même alors, — surtout alors62. […] Les figures les plus hardies et les plus marquées, celles que les plus grands orateurs n’emploient qu’en tremblant, vous les répandez avec profusion, vous les faites passer dans des pays qui jusques ici leur étaient inconnus ; et ces ordonnances véritablement apostoliques, destinées au seul gouvernement des âmes, au lieu d’une simplicité négligée qu’elles avaient avant vous, sont devenues chez vous des chefs-d’œuvre de l’esprit humain. […] On y suppose que l’Académie française, en apprenant la mort du célèbre poète latin, manifesta son deuil et ses regrets, et cela devient une occasion de tracer un léger crayon de chaque académicien.
Aujourd’hui c’est l’ensemble de sa correspondance avec les Choiseul qui nous est donné et dont on doit l’édition à M. le marquis de Sainte-Aulaire, héritier d’un nom qui depuis longtemps est devenu synonyme de politesse et d’urbanité. […] Elle devient surtout très vive et très animée depuis la chute de M. de Choiseul et à dater de l’exil de Chanteloup. […] Ne vous affligez pas vous-même pour moi ; car ces regrets ne sont pas de longue durée, et je sens tous les jours qu’ils deviennent moins vifs. […] J’ai travaillé, j’ai fait mon chemin… Je suis devenu entrepreneur de routes… Savez-vous que je suis maintenant un des premiers dans ma partie… Je suis riche… Mais, Mme la duchesse, c’est que tout cela vous appartient, on dit que vous n’êtes pas à l’aise.
Un passage de La Bruyère, qui l’avait frappé dans sa jeunesse, est devenu, nous dit-il, le programme et comme le texte de toute sa vie : « Il faut, en France, beaucoup de fermeté et une grande étendue d’esprit pour se passer des charges et des emplois, et consentir ainsi à demeurer chez soi et à ne rien faire. […] Casimir Delavigne devient faible du moment où il veut intercaler dans ses phrases pures et élégantes les idées gigantesques nées en Allemagne ou en Angleterre ; tandis que Mme Tastu, modeste et discrète comme la langue dont elle fait usage, en n’effarouchant pas le lecteur par la singularité des expressions, protège beaucoup mieux l’élan qu’elle fait prendre à l’imagination de celui, qui lit ; enfin M. […] Viollet-le-Duc était devenue, les vendredis soirs, un lieu de réunion et de conversation douce, agréable, instructive, mais sans rien des vivacités et des orages que l’étage supérieur assemblait le dimanche. […] Eugène Viollet-le-Duc, élevé par lui librement, philosophiquement, mis de bonne heure à même des belles choses, entouré des bons et beaux exemplaires en tout genre, est devenu l’homme distingué que nous savons, le restaurateur le plus actif et le plus intelligent de l’art gothique en France, ayant en toute matière des idées saines, ouvertes, avancées, et maniant la parole et la plume aussi aisément que le crayon ; j’ajouterai qu’à en juger par ses directions manifestes, il n’a guère en rien les doctrines de son oncle ; et c’est en cela que je loue ce dernier de n’avoir point appliqué, dans une éducation domestique qu’il avait tant à cœur de mener à bien, de vue exclusive ni de système personnel et oppressif.
I Je voyais l’autre jour, à l’Odéon, Macbeth si bien rendu, si bien exprimé et resserré au vif par notre ami Jules Lacroix, ce mouleur habile et consciencieux du groupe sophocléen, l’Œdipe roi : j’admirais, même dans les conditions inégales où elle nous est produite, cette pièce effrayante, effarée, sauvage, pleine d’hallucinations, de secondes vues ; où l’on voit naître, grandir et marcher le crime, le remords ; où l’horreur d’un bout à l’autre plane à faire dresser les cheveux ; où le cœur humain s’ouvre à tout instant devant nous par des autopsies sanglantes ; sillonnée de mots tragiques immortels ; où le poignard, l’éclair, le spectre, sont des moyens d’habitude et devenus vraisemblables ; où la faiblesse est forte, où le héros est faible et misérable ; où tout s’enchaîne et s’entraîne, où la destinée se précipite tantôt vers la grandeur, tantôt vers l’abîme ; où l’homme est montré comme le jouet de la fatalité, une paille dans le tourbillon ; où Shakespeare nous dit son dernier mot philosophique par la bouche de son Macbeth s’écriant : « Hors d’ici, éteins-toi, flambeau rapide ! […] Après une vie assez errante à l’étranger où il fut attaché d’abord à l’ambassade devienne, puis à l’éducation du duc de Parme, revenu à Paris et très mêlé aux Encyclopédistes, il portait dans cette société si tranchée d’opinion et si mordante d’accent une âme timide, craintive, rongée de scrupules. […] Il y a des moments où mon amitié pour vous serait tentée de devenir despotique, au risque de vous affliger. […] Ducis ne l’y laissait point trop seul ; après une visite de quelques jours, il l’emmenait ou à Versailles ou d’autres fois à Paris ; ils y allaient voir ensemble Rousseau, encore logé rue Plâtrière, et qui, « malgré ses plaintes contre le genre humain, ne laissait pas de montrer une assez bonne gaieté72. » Ducis craignait pour son ami songeur le trop de solitude et le manque de distractions ; il aurait voulu lui en procurer d’un ordre élevé pour chasser les vapeurs : « Vous n’êtes pas encore obstrué, mais vous n’avez que trop de dispositions à le devenir : Annibal ad portas.
Effectivement ce ne furent point mes prédications, mais quelques-uns de mes écrits qui me frayèrent le chemin à devenir ce que j’ai été. » Certes l’abbé Legendre ne fut point un mauvais ecclésiastique ; nous le trouvons même dans une discussion qu’il eut dans sa vieillesse avec le Journal de Trévoux, qualifié par les Jésuites d’auteur vertueux. […] Au sortir de là et sa démission obtenue, le roi avait nommé M. de Marca, un savant homme, un ancien magistrat devenu homme d’Église, et qui mourut brusquement dans le temps même où il recevait ses bulles : on se rabattit alors à messire Hardouin de Péréfixe, ancien précepteur du roi, écrivain assez agréable dans sa Vie de Henri le Grand, assez instruit, assez bonhomme, mais sans caractère, sans élévation d’âme ni aucune dignité extérieure : il ne fut jamais au niveau de sa haute position, et il encourut en plus d’un cas le ridicule. […] L’abbé Legendre, qui a écrit jusqu’à quatre Éloges de M. de Harlay, sans compter ce qu’il en dit dans ses Mémoires ; qui l’a loué une première fois en français, mais un peu brièvement40, une seconde fois en français encore41 et en s’attachant à ne mettre dans ce second morceau ni faits, ni pensées, ni expressions qui fussent déjà dans le premier ; qui l’a reloué une troisième fois en latin42, puis une quatrième et dernière fois en latin encore43, mais pour le coup avec toute l’ampleur d’un juste volume, Legendre a commencé ce quatrième et suprême panégyrique qui englobe et surpasse tous les précédents par un magnifique portrait de son héros ; je le traduis ; mais on ne se douterait pas à ce début qu’il s’agit d’un archevêque, on croirait plutôt qu’il va être question d’un héros de roman : « Harlay était d’une taille élevée, juste, élégante, d’une démarche aisée, le front ouvert, le visage parfaitement beau empreint de douceur et de dignité, le teint fleuri, l’œil d’un bleu clair et vif, le nez assez fort, la bouche petite, les lèvres vermeilles, les dents très bien rangées et bien conservées jusque dans sa vieillesse, la chevelure épaisse et d’un blond hardi avant qu’il eût adopté la perruque ; agréable à tous et d’une politesse accomplie, rarement chagrin dans son particulier, mangeant peu et vite ; maître de son sommeil au point de le prendre ou de l’interrompre à volonté ; d’une santé excellente et ignorant la maladie, jusqu’au jour où un médecin maladroit, voulant faire le chirurgien, lui pratiqua mal la saignée ; depuis lors, s’il voyait couler du sang, ou si un grave souci l’occupait, il était sujet à des défaillances ou pertes de connaissance, d’abord assez courtes, mais qui, peu à peu, devinrent plus longues en avançant : c’est ce mal qui, négligé et caché pendant plus de vingt ans, mais se répétant et s’aggravant avec l’âge, causa enfin sa mort. » L’explication que l’abbé Legendre essaye de donner des défaillances du prélat par suite d’une saignée mal faite est peu rationnelle : M. de Harlay était sujet à des attaques soit nerveuses, soit d’apoplexie plus probablement, dont une l’emporta. […] L’archevêché de Paris devint vacant par la mort de M. de Péréfixe.
Au retour du printemps, dès que la terre ne suffisait plus à ceux qui en vivaient, dès que la famille humaine devenait trop nombreuse, un essaim de jeunesse prenait son essor et s’envolait à la découverte, à l’aventure, vers des pays ou le soleil s’annonçait plus beau. […] L’idée qu’il nous donne d’abord du Sahara, de cette vaste zone sablonneuse qu’il eut à traverser, devient très-nette, de vague qu’elle était. […] Il y avait des pertes de ce Niger, comme il y en a une du Rhône ; mais la perte, avec le temps, est devenue définitive. […] Ce cheik Othman, ami et promoteur de la civilisation, l’un de ces hommes qui, à travers toutes les distances de races et de croyances, permettent de penser que les hommes sont frères ou qu’ils le deviendront, disait à ses disciples à sa sortie des Tuileries : « Chacune des religions révélées peut élever la prétention d’être la meilleure : ainsi nous, musulmans, nous pouvons soutenir que le Coran est le complément de l’Évangile et de la Bible ; mais nous ne pouvons contester que Dieu ait réservé pour les chrétiens toutes les qualités physiques et morales avec lesquelles on fait les grands peuples et les grands gouvernements. » M.
La Bruyère, né proche de Dourdan, n’en était pas moins très-propre à devenir un parfait Parisien ; il suffisait qu’il fût venu à Paris de bonne heure et qu’il y eût été élevé. […] Fournier, devient un abus : c’est tondre sur un œuf. […] Il avait non-seulement l’air de Vulteius, mais celui de Vespasien (faciem nitentis), et toutes les fois qu’on le voyait, on était tenté de lui dire : Utere lactucis et mollibus… « C’était, un bonhomme dans le fond, mais que la crainte de paraître pédant avait jeté dans un autre ridicule opposé, qu’on ne saurait définir ; en sorte que pendant tout le temps qu’il a passé chez M. le Duc, où il est mort, on s’y est toujours moqué de lui. » Pour bien entendre ce jugement de Valincour, il faut d’abord relire l’Épître d’Horace (la septième du livre I) où il est question de ce Vulteius, lequel, ayant changé d’état, change aussi d’humeur, devient inquiet, rêveur et a l’air dépaysé. […] Voici le portrait que trace de M. de Valincour Saint-Simon qui, d’ordinaire, ne flatte guère son monde : « C’était un homme d’infiniment d’esprit, et qui savait extraordinairement ; d’ailleurs, un répertoire d’anecdotes de Cour où il avait passé sa vie dans l’intrinsèque, et parmi la compagnie la plus illustre et la plus choisie ; solidement vertueux et modeste, toujours dans sa place, et jamais gâté par les confiances les plus importantes et les plus flatteuses : d’ailleurs très-difficile à se montrer, hors avec ses amis particuliers, et peu à peu, très-longtemps, devenu grand homme de bien.
Il est sans épée, mais les cheveux en bourse, et en habit brodé et galonné ; il doit deux millions dans Paris, et change tous les jours de maîtresse. » D’inconstances en inconstances et qui, toutes, faisaient bruit, il passa sous la bannière ou plutôt sous le joug d’une danseuse de l’Opéra, Mlle Leduc, qui exerça sur lui un durable empire, devint sa marquise de Pompadour au petit pied, tint bon jusqu’au bout, parodia même la Maintenon et finit par être épousée. […] L’abbaye donnait un beau logement à Paris et un aux champs, qui était le château de Berny : c’est ainsi que la respectable villa abbatiale devint, trente années durant, la maison de plaisance du comte de Clermont, son lieu de délices, le Choisy et le Bellevue de Mlle Leduc, qui en faisait les honneurs sous le nom de la dame de Tourvoie (Tourvoie était un petit castel tout voisin de Berny). […] Cette disgrâce de Moncrif fit sa fortune, puisqu’il lui dut de devenir lecteur chez la reine et d’être la coqueluche des petits appartements. […] Elle devint bientôt le galant apanage que l’on a vu.
je m’aperçois, à ma manière de penser, que je deviens de jour en jour plus manant et plus trouble-fête. » — C’est le résumé de ce que j’ai eu à répondre depuis une quinzaine à plus d’un contradicteur, homme du monde et de bon ton. […] » lui disait un jour de bonne humeur Napoléon. — Et en un autre jour de moins belle humeur : « Monsieur de Talleyrand, comment avez-vous fait pour devenir si riche ? […] Cette indifférence du fond, qu’acquièrent les hommes publics trempés ou blasés, il la commandait à tous ses traits ; il l’avait imposée à son visage, qui est devenu par là proverbial ; il avait le masque imperturbable, sans grimace ni sourire. […] Il s’échangeait bien des vérités et des hardiesses entre lui et ses familiers, à travers son whist, dans cet hôtel de la rue Saint-Florentin qui allait bientôt devenir le quartier général d’une révolution ; et ce qui s’était dit là, on ne craignait plus en sortant de le répéter, de le glisser à l’oreille de tous les hauts personnages (et ils étaient nombreux) qui ne donnaient point alors dans les partis désespérés.
Munich est devenu le principal centre de cette influence. […] L’effort seul, fût-il incomplet, deviendrait une garantie de prudence. […] Pourtant, en avançant dans la vie, même dans une vie qui doit se clore à vingt-quatre ans, la lutte devient plus sombre, les grâces du début se décolorent, le mal qu’il faut combattre apparaît et fait tache sur les devants du tableau. […] Mais c’était le drame de la Passion, dans toutes ses circonstances, qui devenait particulièrement l’objet de ces préoccupations mentales, de ces représentations intérieures.
Aujourd’hui qu’en s’éloignant de nous, la société, dont elle représente la face la plus brillante, se dessine nettement à nos yeux dans son ensemble, il est plus aisé, en même temps que cela devient plus nécessaire, d’assigner à Mme de Sévigné son rang, son importance et ses rapports. […] La conversation, d’ailleurs, n’était pas encore devenue, comme au dix-huitième siècle, dans les salons ouverts sous la présidence de Fontenelle, une occupation, une affaire, une prétention ; on n’y visait pas nécessairement au trait ; l’étalage géométrique, philosophique et sentimental n’y était pas de rigueur ; mais on y causait de soi, des autres, de peu ou de rien. […] Mme de Sévigné loue continuellement sa fille sur ce chapitre des lettres : « Vous avez des pensées et des tirades incomparables. » Et elle raconte qu’elle en lit par-ci par-là certains endroits choisis aux gens qui en sont dignes : « quelquefois j’en donne aussi une petite part à Mme de Villars, mais elle s’attache aux tendresses, et les larmes lui en viennent aux yeux. » Si on a contesté à Mme de Sévigné la naïveté de ses lettres, on ne lui a pas moins contesté la sincérité de son amour pour sa fille ; et en cela on a encore oublié le temps où elle vivait, et combien dans cette vie de luxe et de désœuvrement les passions peuvent ressembler à des fantaisies, de même que les manies y deviennent souvent des passions. […] Les talents les plus libres et les plus origiraux ne deviennent parfaits que s’ils ont eu une discipline première, s’ils ont fait une bonne rhétorique ; Mme de Sévigné fit la sienne sous Ménage et sous Chapelain.
Ce qui manque, c’est du calme et de la fraîcheur, c’est quelque belle eau pure qui guérisse nos palais échauffés. » Cette qualité de fraîcheur et de délicatesse, cette limpidité dans l’émotion, cette sobriété dans la parole, ces nuances adoucies et reposées, en disparaissant presque partout de la vie actuelle et des œuvres d’imagination qui s’y produisent, deviennent d’autant plus précieuses là où on les rencontre en arrière, et dans les ouvrages aimables qui en sont les derniers reflets. […] La riante Adèle de Sénange, qui ne connaissait que les allées de Neuilly et les peupliers de son île, la voilà presque devenue, au bord de cette Baltique, la sœur de la rêveuse Valérie. […] Eugénie, qui a été forcée de quitter son couvent, et qui devient comme l’ange tutélaire des siens, attire constamment et repose le regard avec sa douce figure, sa longue robe noire, ses cheveux voilés de gaze, sa grande croix d’abbesse si noblement portée. […] Hier enfant, ce fils est devenu un homme ; il veut être libre, se croit son maître, prétend aller seul dans le monde… Jusqu’à ce qu’il ait acheté son expérience, vos yeux ne trouveront plus le sommeil, que vous ne l’ayez entendu revenir !
Avec les complications que le monde avait prises depuis Alexandre, le vieux principe thémanite et mosaïste devenait plus intolérable encore 155. […] Ce joli pays, devenu aujourd’hui, par suite de l’énorme appauvrissement que l’islamisme a opéré dans la vie humaine, si morne, si navrant, mais où tout ce que l’homme n’a pu détruire respire encore l’abandon, la douceur, la tendresse, surabondait, à l’époque de Jésus, de bien-être et de gaieté. […] Toute l’histoire du christianisme naissant est devenue de la sorte une délicieuse pastorale. […] C’est, je crois, la « Vallée des pleurs », ou des eaux suintantes, chantée comme une des stations du chemin dans le délicieux psaume 201, et devenue, pour le mysticisme doux et triste du moyen âge, l’emblème de la vie.
je vais chercher bien loin une femme que je ne connais pas, qu’on dit riche, qui est fière sans doute, qui croira me faire grand honneur en m’épousant avec mes trois enfants ; et voilà que j’ai tout près de moi une enfant simple, pauvre, mais riche des dons de Dieu, des qualités et des vertus naturelles, et qui serait un trésor dans ma maison et dans mon cœur. » Il faut que Germain, insensiblement, et avant la fin de ce court voyage, devienne amoureux de cette petite Marie qu’il n’avait jamais considérée jusque-là que comme une enfant. […] Le moment où, des deux jumeaux, celui qui passe pour le cadet, Landry, se détache, prend le dessus, et se met décidément à devenir l’aîné, à voler de ses propres ailes et à se faire homme, est admirablement saisi. […] Tout se répare : la petite Fadette, devenue une belle, sage et riche personne, épouse Landry et guérit presque le souffreteux Sylvinet par ses secrets de magnétisme naturel. […] Il va s’exposer à la guerre et devient un brave.
Reprenez-le aujourd’hui : les articles semblent tout petits, tout incomplets ; ils nous font l’effet d’habits devenus trop courts pour notre taille. […] Quelques-uns des écrivains que nous avons cités, devenus grands personnages et grands fonctionnaires, laissèrent la plume. […] À mesure qu’il était contraint de resserrer le cadre, je ne dis pas des discussions, mais des plus simples réflexions politiques, il développa sa partie littéraire, qui devint désormais le principal ou plutôt l’unique instrument de son succès. […] Il avait reconnu Dussault sous le masque, mais il répondit mal ; au lieu de se disculper sur les articles essentiels, il s’exalta lui-même, il parla avec emphase de ses ennemis : Jusqu’ici, s’écriait-il, j’avais aisément repoussé les traits lancés du dehors ; mais, pour la première fois, j’ai eu affaire à des ennemis maîtres de la place, ils m’attaquaient dans l’intérieur même du journal, au sein de mes foyers ; ma propre maison était devenue leur arsenal et leur citadelle.
Vers ce temps (1740), Mme Du Deffand a un salon qui est devenu un centre ; elle est liée avec tout ce qu’il y a d’illustre dans les lettres et dans le grand monde. […] Elle sentit en lui aussitôt et les qualités propres à cet homme si distingué et celles de la race forte à laquelle il appartenait : elle lui en sut gré également ; et elle qui n’avait jamais aimé d’amour, qui n’avait eu que des caprices et point de roman ; qui, en fait d’amitiés, n’en comptait que trois jusqu’alors sérieuses dans sa vie, celle de Formont et celle de deux femmes, dont l’une encore l’avait trompée ; cette moraliste à l’humeur satirique devint tout d’un coup tendre, émue autant qu’amusée, d’une sollicitude active, passionnée ; elle ne s’appartint plus. […] En écrivant ainsi, il ne se doutait pas encore que celle qu’il appelait une débauchée d’esprit allait se prendre pour lui d’une véritable passion d’esprit, et que cette passion chez elle deviendrait une passion de cœur, la seule peut-être qu’elle ait eue, et qui dura quinze ans, aussi vive le dernier jour que le premier. […] Le goût de son temps l’excédait : « Ce qu’on appelle aujourd’hui éloquence m’est devenu si odieux, que j’y préférerais le langage des halles ; à force de rechercher l’esprit, on l’étouffe. » Ses jugements littéraires, qui durent paraître d’une excessive sévérité dans le moment, se trouvent presque tous confirmés aujourd’hui.
, rentre chez lui tout échauffé, et là, plume en main, à bride abattue, sans se reposer, sans se relire et bien avant dans la nuit, couche tout vifs sur le papier, dans leur plénitude et leur confusion naturelle, et à la fois avec une netteté de relief incomparable, les mille personnages qu’il a traversés, les mille originaux qu’il a saisis au passage, qu’il emporte tout palpitants encore, et dont la plupart sont devenus par lui d’immortelles victimes. […] Ce jeune prince, que Saint-Simon nous montre si hautain, si fougueux, si terriblement passionné à l’origine, si méprisant pour tous, et de qui il a pu dire : « De la hauteur des cieux il ne regardait les hommes que comme des atomes avec qui il n’avait aucune ressemblance, quels qu’ils fussent ; à peine Messieurs ses frères lui paraissaient-ils intermédiaires entre lui et le genre humain » ; ce même prince, à une certaine heure, se modifie, se transforme, devient un tout autre homme, pieux, humain, charitable autant qu’éclairé, attentif à ses devoirs, tout entier à sa responsabilité de roi futur ; et cet héritier de Louis XIV ose proférer, jusque dans le salon de Marly, ce mot capable d’en faire crouler les voûtes, « qu’un roi est fait pour les sujets et non les sujets pour lui ». […] Le premier Dauphin était mort le 14 avril, et le duc de Bourgogne devenait l’héritier prochain et, selon toute apparence, très prochain du trône. […] Quiconque ne passerait pas de telles choses aux hommes deviendrait misanthrope ; il faut éviter pour soi de tels écueils dans la vie, et les passer facilement à son prochain.
… Il se dira encore : « Quiconque n’est pas poète à vingt ans ne le deviendra de sa vie… Tout homme qui n’est pas né français, ou habitué depuis longtemps à Paris, ne saurait posséder la langue au degré de perfection si nécessaire pour faire de bons vers ou de la prose élégante. » Il se comparera aux vignes « qui se ressentent toujours du terroir où elles sont plantées ». […] Ce projet devint tout à fait sérieux après la mort de Maupertuis, et quand Frédéric fut sorti de la guerre de Sept Ans. […] D’Alembert aurait peu à faire pour devenir nécessaire à Frédéric par sa conversation, de même que Frédéric le serait à d’Alembert. […] Le roi n’était pas seulement l’homme le plus aimable de son royaume ; si l’on excepte le Milord Maréchal, il était le seul : « Il est presque la seule personne de son royaume, dit d’Alembert, avec qui on puisse converser, du moins de ce genre de conversation qu’on ne connaît guère qu’en France, et qui est devenu nécessaire quand on le connaît une fois. » D’Alembert ne tarit pas sur l’affabilité, la gaieté du roi, les lumières qu’il porte en tout sujet, sa bonne administration, son application au bien des peuples, la justice et la justesse qui se marquent en tous ses jugements.
La grande affaire, c’est que les poètes de vingt ans ne se contentent pas de chanter entre eux et de se complaire, mais qu’ils puissent rendre le public attentif à leurs jeux qui deviennent des œuvres. […] Juger les vers des gens, c’est presque comme si l’on disputait avec un amoureux sur sa maîtresse, avec cette différence toutefois que, s’il ne vous est pas permis d’en dire le moindre mal, on vous accordera très bien d’en devenir amoureux vous-même. […] La poésie, cultivée ainsi en secret et pour elle seule, dans les courts intervalles d’un travail pénible et d’une profession souvent ingrate, tourne au profit de la morale intérieure et devient une délicatesse de l’âme et une vertu. […] [NdA] Dans la Revue des deux mondes du 1er mars 1852, je lis, comme en réponse à mon vœu et à mon désir, une belle et large idylle de M. de Laprade, intitulée Les Deux Muses : l’amour y a sa part, bien que le culte de la nature y garde le dessus : selon moi, c’est son chef-d’œuvre, sa pièce la plus accessible et la plus sentie. — Il n’a guère persisté dans cette voie, il a continué de platoniser, d’évangéliser vaguement en vers, en même temps qu’il est quelque peu devenu (depuis surtout son entrée à l’Académie) un homme de coterie religieuse et politique. — Un critique de beaucoup de finesse, mais dont il faut détacher les mots piquants du milieu de bien des fatuités et des extravagances, Barbey d’Aurevilly, comparant un jour les dernières poésies de M. de Laprade avec celles d’un autre poète également moral et froid, concluait en disant : « Au moins, avec M. de Laprade, l’ennui tombe de plus haut. » C’est plus satirique que juste, mais le mot est lâché : l’écueil est là ; gare aux beaux vers qui sont ennuyeux !
Gay, qui devint receveur général du département de la Roer, elle habita durant près de dix ans, tantôt à Aix-la-Chapelle, tantôt à Paris, et vécut pleinement de cette vie d’un monde alors si riche, si éclatant, si enivré. […] Il y avait donc des moments où Alfred était tout à fait au-dessous de lui-même et des autres, quand ces autres étaient tout simplement un petit cercle de gens instruits et aimables ; il le sentait, il en souffrait et en devenait de mauvaise humeur et maussade, par conséquent ennuyeux. […] Quand elle le sait, il est trop tard, elle l’aime ; mais, comme bien peu de personnes ont le secret de cet amour, on la croit près d’épouser un chevalier d’Émerange, fat spirituel, qui jusqu’alors semblait enchaîné par Mme de Nangis, belle-sœur de Valentine, et qui lui est devenu infidèle. […] Les volumes suivants, dans lesquels le maître du valet de chambre narrateur est devenu aide de camp du général en chef de l’armée d’Italie, nous rendent, à travers un romanesque surabondant, quelques échos sentis de cette époque d’enthousiasme et d’ivresse, « où l’on ne voulait pour prix de ses dangers que du plaisir et de la gloire ».
Sur ces entrefaites, la reine s’est évadée la nuit du château de Blois (février 1619) ; elle s’est réfugiée auprès du duc d’Épernon, et Luynes, qui gouverne, craint qu’en obéissant à l’influence de ce vieux seigneur et aux brouillons dont elle va être entourée, elle ne devienne un grave danger. […] Il nous fait assister aux tracasseries de cette petite cour ; il y devient vite l’homme nécessaire, et conclut le traité qui réconcilie la mère avec le fils (30 avril). […] On fait sortir de prison le prince de Condé, qu’elle n’avait fait arrêter que dans l’intérêt du roi, et ce prince du sang devient pour elle un ennemi actif qui va servir les mauvaises intentions de Luynes. […] qui sait ce qu’auraient pu devenir, perdues dans un misérable règne de trente-trois années, les destinées de la France ?
Et cependant, pour nous-mêmes, les couleurs et les sons ont toujours, si nous y regardons de près, une nuance tantôt sérieuse, tantôt gaie : c’est ce qui les rend propres à devenir des moyens d’émotion esthétique. […] Originairement, l’intelligence n’a pas d’autre objet que les différents plaisirs ou déplaisirs : c’est la première chose qui l’intéresse et l’éveille ; en se développant, elle est obligée de faire attention aux ressemblances ou aux différences, à l’ordre des phénomènes, et elle finit par y faire une attention telle qu’elle cesse de se rappeler le plaisir et la peine ; absorbée dans la relation, elle oublie les termes de la relation même, qui deviennent peu à peu pour elle de simples moyens secondaires, des signes, des symboles de plus en plus dépouillés de leur caractère affectif et émouvant. […] Quand, par l’effet de l’association et de l’hérédité, le travail de comparaison et de classification qu’enveloppe la perception est devenu inhérent au mécanisme des organes, alors les plaisirs élémentaires disparaissent entièrement du champ de l’observation : il n’en reste que les lignes et silhouettes, comme dans un dessin délicat. […] Par exemple, une sensation produite par une couleur peut, à un certain moment, être agréable ; puis, sans changer de nature, mais en se prolongeant, elle peut devenir indifférente ou même désagréable.
— Les chefs des anciennes maisons royales qui, dans les jours décisifs, sont devenus capables de ces quiproquos et de ces absences, ont à jamais perdu le fil du courant sympathique qui jadis identifia les héros de leur race avec la nation. […] Malgré le budget déjà équilibré et les justes combinaisons financières du baron Louis, malgré les succès diplomatiques de M. de Talleyrand à Vienne, les deux côtés honorables de 1814, et qu’il nous fait si bien connaître ; malgré ces compensations qui n’étaient pas sensibles aux yeux du public, l’historien nous montre la situation intérieure comme s’étant peu à peu délabrée d’elle-même et comme étant devenue par degrés désespérée. […] Il était devenu nécessaire, inévitable.
Je n’ai pour cela qu’à profiter des documents mêmes que me fournit la publication nouvelle, en tirant un peu moins du côté de l’éloge que ne l’a dû faire naturellement l’estimable biographe (tout biographe devient aisément un apologiste ou un panégyriste), et en me tenant d’ailleurs dans les lignes exactes du récit de Napoléon, le premier des juges, ainsi que dans les termes des meilleurs témoins, auteurs de mémoires. […] Cette étude, cette connaissance approfondie de l’un des grands chemins du Tyrol en Italie, était devenue comme la spécialité stratégique de Joubert, et le point capital sur lequel le général en chef allait se confier à lui pour un grand commandement : « Je ne peux confier une division, disait Bonaparte, sans avoir éprouvé, par deux ou trois affaires, le général qui doit la commander. » Joubert avait eu ses trois affaires, et au-delà ; il était éprouvé, il était mûr. […] Une lettre qu’il avait écrite en ce sens, rendue publique, était devenue un texte à calomnies et à diatribes.
En fait, ses idées sont simples, en général utiles, et même pourraient devenir praticables à la longue ; c’est sa méthode qui paraît à bon droit bizarre, baroque, puérile et enfantine. […] Être lu et traduit par un homme d’esprit comme Voltaire, c’est tout profit pour l’abbé ; il devient alors un 48 vrai répertoire d’idées, même pratiques, et c’est en ce sens qu’il a pu influer indirectement. […] Sitôt que ces enfants étaient en âge, il leur faisait apprendre à tous un métier de leur goût, n’excluant que les professions oiseuses, futiles, ou sujettes à la mode, telles, par exemple, que celle de perruquier, qui n’est jamais nécessaire, et qui peut devenir inutile d’un jour à l’autre, tant que la nature ne se rebutera pas de nous donner des cheveux. » On reconnaît bien là notre consciencieux abbé qui faisait tout tourner à l’utile, même ses habitudes ancillaires, et qui peuplait de ses bâtards les divers corps de métiers.
On voit d’abord combien le nouveau cadre peut devenir heureux, naturel, et conforme à la pente des ans et des choses. […] Les Anciens dans leurs comparaisons excellaient à cette généreuse liberté des détails ; et si les modernes, par suite de l’esprit croissant d’analyse, ont dû se ranger à plus de précision, il ne faudrait jamais que cela devînt d’une rigueur mécanique appliquée aux choses de la pensée. […] Hugo, loin d’avoir en rien l’organisation grecque, est plutôt comme un Franc énergique et subtil, devenu vite habile et passé maître aux richesses latines de la décadence, un Goth revenu d’Espagne, qui s’est fait Romain, très-raffiné même en grammaire, savant au style du Bas-Empire et à toute l’ornementation byzantine .
semble avoir faibli, ou du moins il se tait volontiers pour céder le pas aux recherches de l’érudition, aux particularités de l’histoire : de sorte que l’instruction classique de nos hautes écoles et la littérature universitaire devenant de plus en plus solides n’ont pas tout leur brillant, et perdent en grande partie leur effet sur la littérature courante, laquelle devient de plus en plus légère. […] Il n’est pas jusqu’à son rhythme épique qui ne devienne une facilité de plus, pour peu qu’on ait manié soi-même l’hexamètre latin. […] Il me semble qu’à un certain moment, et par réaction contre les quatre siècles classiques de Périclès, d’Auguste, de Léon X et de Louis XIV, dont on se sentait rebattu, on est devenu soudainement crédule aux poésies dites populaires ; on y a été crédule comme certains athées le sont aux molécules organiques et aux générations spontanées.
Même quand ils ne deviennent ni des fripons, ni des escrocs avilis, ni des hâbleurs impudents ; quand quelque chose de l’honnête homme leur reste, et qu’on peut leur donner la main, il ne faut pas s’attendre à beaucoup de scrupules de leur part ; leur sens moral, chatouilleux peut-être et intact sur un ou deux points, vous paraîtra fort aboli et coulant pour tout le reste. […] Ayant été amené à Rome par un concours bizarre de circonstance, et y étant devenu presque secrétaire du cardinal Acquaviva, notre abbé, qui venait de se faire raser pour la première fois (car son poil follet n’était plus de mise), fréquenta beaucoup à ses heures de loisir dona Lucrezia, femme d’un avocat de Naples, qu’un procès ecclésiastique retenait à Home. […] Dès ce moment, dit Casanova, notre amour commença à devenir triste, et il ajoute naïvement : « La tristesse est une maladie qui finit par le tuer. » Il obtint d’Henriette la permission de l’accompagner jusqu’à Genève où elle le quitta pour rentrer en France.
Les montagnes étaient devenues collines, les bois n’étaient plus guère que des bosquets, les ondulations du terrain recevaient, sans discontinuer, les cultures. […] Il y a un mois, en Flandre, surtout en Hollande, ce n’étaient que grands traits mal agencés, osseux, trop saillants ; à mesure qu’on avançait vers les marécages, le corps devenait plus lymphatique, le teint plus pâle, l’oeil plus vitreux, plus engorgé dans la chair blafarde. […] C’est ainsi que l’esprit reproduit la nature ; les objets et la poésie du dehors deviennent les images et la poésie du dedans.
Depuis La Chaussée, mais surtout depuis Diderot et Rousseau, les types littéraires ont changé : d’actifs, raisonneurs, et conscients, ils sont devenus sentimentaux, imaginatifs, enthousiastes, mélancoliques. […] Nous avons vu que la littérature, chez Diderot, chez Rousseau, chez Bernardin de Saint-Pierre, devient décidément individualiste : faut-il rappeler que Voltaire même, dans sa forme classique, est constamment tyrannisé par son individualité, que ses théories religieuses et politiques tiennent aux plus secrètes inclinations de son moi, et qu’enfin il n’a pas craint d’appliquer la grave, l’impersonnelle tragédie à la représentation de sa personne, de son ménage et de ses goûts ? […] Voltaire mort et devenu l’intangible idéal, l’abbé Delille représenta la plus haute forme du génie poétique que le public fût capable de concevoir.
C’est le babil de toutes choses, De l’éteignoir et du flambeau ; C’est le laid qui devient le beau ; C’est le fumier frère des roses ! […] Cela est fort remarquable, et cela l’est devenu, par ce temps de morosité, d’inquiétude et de complication intellectuelle. […] Il mit tout son orgueil à devenir savant, à comprendre le murmure des choses.
Au fond, il n’est pas de plus bel éloge d’une œuvre que de constater qu’elle est devenue rengaine. […] Il faut qu’elle devienne objet, ne reste pas ombilicalement liée à son auteur. […] Ne comptent que les littérateurs en activité, non en devenir, et c’est pourquoi j’omets sans doute de plus purs écrivains possibles, mais aucun écrivain actuel, en ne nommant à l’honneur de la prose récente que M.
Tel est le cas du sentimental déçu, de l’homme sociable devenu ennemi de la société (Rousseau) ; de l’ami des hommes devenu misanthrope à leur contact. […] Or, comme tous les changements qui s’opèrent dans le monde ont pour effet d’augmenter la force de la société et de diminuer le pouvoir de l’individu, cet empiètement n’est pas un de ces maux qui tendent à disparaître spontanément, bien au contraire, il tend à devenir de plus en plus formidable. » (Essai sur la liberté, ch.
En religion, on les tenait pour ignorants et peu orthodoxes 590 ; l’expression « sot Galiléen » était devenue proverbiale 591. […] Le souverain pontife, dont la dignité avait déjà été avilie par Hérode 614, devenait de plus en plus un fonctionnaire romain 615, qu’on révoquait fréquemment pour rendre la charge profitable à plusieurs. […] La caste sacerdotale s’était séparée à tel point du sentiment national et de la grande direction religieuse qui entraînait le peuple, que le nom de « sadducéen » (sadoki), qui désigna d’abord simplement un membre de la famille sacerdotale de Sadok, était devenu synonyme de « matérialiste » et d’« épicurien. » Un élément plus mauvais encore était venu, depuis le règne d’Hérode le Grand, corrompre le haut sacerdoce.
S’il en montrait moins, il me laisserait respirer et me ferait plus de plaisir : il me tient trop tendu ; la lecture de ses vers me devient une étude. […] La critique, à ce degré, est devenue une magistrature, et ses arrêts ont pu sembler à quelques-uns une religion. […] La jeunesse, une partie de la jeunesse, est devenue positive ; elle ne rêve plus ; elle pense, dès seize ans, à une carrière et à tout ce qui peut l’y conduire ; elle ne fait rien d’inutile.
Cette admiration, indépendante du fond même, devenait aisément unanime chez tous ceux qui l’entendaient ; mais les preuves réitérées et diverses qu’il a données de sa puissance oratoire dans ces deux dernières années le classent définitivement parmi les maîtres de la parole. […] C’est ainsi que M. de Montalembert, devenu à l’improviste pair de France tout à la veille de l’abolition de l’hérédité, fit ses débuts d’orateur à la barre de la noble Chambre en septembre 1831, à l’âge de vingt et un ans, et en qualité d’accusé. […] Il faut bien des qualités, il faut même quelques défauts peut-être pour composer un grand orateur ; ou, du moins, quelques-unes des qualités de l’orateur, quand il débute très jeune, avant de devenir tout à fait des qualités, peuvent ressembler à des défauts.
Qu’était, après Villon, devenue l’allègre et fruste coupe qui convenait si bien à sa roture âpre et sincère ? […] Paul Bourget ajoute : « Je ne saurais les relire, ces lignes si simples, sans une émotion presque pieuse, et je crois que beaucoup des écrivains qui ont eu leurs vingt ans entre 1855 et 1880 y retrouveraient de même, en un raccourci puissant, ce qui fut la foi profonde de leur jeunesse. » Nous retiendrons ce mot : l’empirisme était devenu une foi. […] Comme en outre il faisait vrai, on ne considéra que la vérité de son œuvre, et l’on s’efforça à sa suite, de faire vrai, mais autrement : chez ceux-là qui s’en réclamèrent, sa large compréhension devint mesquine exactitude, sa sûre intuition, douteuse expérience.
Son hégémonie a resplendi sur les âges jusqu’aux époques récentes, où les progrès de la science et de la civilisation l’ayant submergée, elle est devenue, sous son aspect le plus décent, un petit talent de société, un agrément de five o’clock, un passe-temps de demoiselles, et sous son aspect grotesque, un exploit pompeux de minus habens. […] Mais pour nous, qui n’en sommes plus à croire que l’âme humaine, à travers les âges, reste imperturbablement égale à elle-même ; qui la concevons en perpétuel devenir, formée par toutes les capitalisations du passé et de l’hérédité, par toutes les acquisitions et par toutes les influences du savoir et des milieux, il est difficile d’admettre que le poète se doive complaire indéfiniment dans la contemplation de deux ou trois phénomènes généraux de la nature, signalés, d’ailleurs, depuis fort longtemps sous toutes les latitudes. […] Pour qu’il y ait création poétique, il faudra donc que l’état d’âme, ainsi devenu motion d’âme, soit inscrit dans un symbole.
C’est ainsi que le systême de physique qui s’enseignoit dans les écoles sous le titre de la physique d’Aristote, étoit devenu le systême generalement reçu. […] Leurs sentimens deviennent les nôtres, et c’est à de pareils préjugez que Virgile et les auteurs qu’on nomme communément classiques, doivent la plus grande partie de leur réputation. […] En vain nous auroit-on repeté cent et cent fois durant l’enfance que l’éneïde charme tous ses lecteurs, nous ne le croirions plus si elle ne nous plaisoit que médiocrement, quand nous sommes devenus capables de l’entendre sans secours.
Quand la horde devient ainsi un segment social au lieu d’être la société tout entière, elle change de nom, elle s’appelle le clan ; mais elle garde les mêmes traits constitutifs. […] Telles sont la cité, agrégat de tribus, qui sont elles-mêmes des agrégats de curies qui, à leur tour, se résolvent en gentes ou clans, et la tribu germanique, avec ses comtés qui se subdivisent en centaines, lesquelles, à leur tour, ont pour unité dernière le clan devenu village. […] Chez ces dernières l’organisation à base de clans s’est maintenue, quoique effacée, jusqu’au terme de leur histoire, tandis que, à Rome, à Athènes, les gentes et les γένη cessèrent très tôt d’être des divisions politiques pour devenir des groupements privés.
III Aussi eut-elle, sinon immédiatement, un succès qui se consolida, et avec une telle force qu’on put le croire indestructible… Pendant vingt-cinq ans pour le moins, en effet, ni les fautes de Buloz, — de piéton modeste et incomparable devenu directeur assis et incompétent, — ni ses humeurs peccantes qui feraient le bonheur d’un médecin de Molière, ni sa tyrannie bourrue et tracassière, ni son orgueil durci par la fortune, ni les bornes sourdes de son esprit, ni ses procédés hérissons, ni ses grognements ursins, ni l’horreur de ses meilleurs écrivains mis en fuite par cet ensemble de choses charmantes, ni l’ennui enfin le plus compacte qui soit jamais tombé d’un recueil périodique sur le lecteur assommé, rien n’a pu le diminuer, ce succès étrange, ou l’interrompre un seul jour… C’est à n’y pas croire ! […] On leur prouva bientôt qu’ils ne l’étaient pas ; que cette bête de pièce de cent sous ne change pas de nature parce qu’elle s’associe avec de l’intelligence, et que les entrepreneurs de littérature sont encore au-dessous des entrepreneurs de maçonnerie… Nabuchodonosorisé par un succès dans lequel l’heure et tout le monde étaient plus que lui, Buloz devint très vite tout ce que nous l’avons vu depuis… Prote parvenu, il se crut le dictateur de la littérature française parce qu’il payait le talent, et quelquefois le génie, deux cents francs la feuille d’un texte dévorant, et, à ce prix-là, il put se venger de l’insupportable supériorité littéraire en portant ses mains d’ouvrier sur elle et en la corrigeant ! […] Je ne connais guères qu’une personne de ce temps-ci qui ait eu un honneur égal à celui de Buloz, et c’est Véron, ce gros mauvais sujet de Philibert, devenu le docteur Véron vers le tard.
Il y a des poètes qui meurent sans mourir, — qui deviennent les sarcophages vivants de leur poésie morte et de leur âme envolée. […] Après ces premières Méditations, qui ravirent le monde charmé et qui apprirent à la distraction hautaine de lord Byron l’orthographe d’un nom qui allait devenir aussi éclatant que le sien, Lamartine donna les Secondes Méditations, aussi belles que les Premières, quoi qu’on en ait dit, — car l’admiration fatigue vite l’âme faible et basse des hommes. […] Ce n’est pas parce qu’on s’acoquine dans l’ombre d’un bronze qu’on devient bronze, quand on n’est qu’un morceau de papier !
La chose est devenue si forte que ce ne sont plus les lauriers de Miltiade qui doivent empêcher de dormir ce nouveau Thémistocle : ce sont les siens. […] Il a bu à cette coupe de la Philosophie, comme le siècle dernier l’a faite, de cette philosophie qui est devenue l’abreuvoir de tous les esprits et même des plus médiocres, et il s’y est enivré ! […] Enfin, comme tous les utopistes de ce temps et de tous les temps, qui ont renversé le grand aperçu chrétien, M. l’abbé Mitraud semble prendre la société pour un état définitif, au lieu de la concevoir comme un état de passage, et alors la question devient pour lui ce qu’elle fut, par exemple, pour Fourier, Saint-Simon et tant d’autres réformateurs, c’est-à-dire — qu’elle consiste à trouver des institutions qui établissent le ciel sur la terre, — ce qu’on cherchera probablement longtemps encore, — au lieu de faire monter la terre dans le ciel, comme la Religion nous l’enseigne, et, dans son affranchissement des âmes, sait l’exécuter tous les jours !
La fade bergerie qui, du reste, n’y est pas la seule, et qui est la conclusion de son roman cette berquinade amoureuse et transie d’un roi épousant une bergère, d’un homme à qui l’auteur avait d’abord accordé de la force d’esprit et de caractère et qui devient le pastor fido d’une fillette, de pasteur de peuple que Dieu l’avait fait, n’est pas non plus la seule conclusion de ce roman, qui en a plusieurs, parce qu’il a plusieurs sujets. […] la chèvre et la tigresse s’apprivoisent, la femme fausse devient vraie, la comédienne devient public, l’insensible imperméable à l’amour (c’était si joli et si atroce !)
En tant que cette qualité devient le signe de cette quantité, et que nous soupçonnons celle-ci derrière celle-là, nous l’appelons intensité. […] Dès lors la liberté devenait un fait incompréhensible. […] En second lieu, dans une durée que l’on supposerait homogène, les mêmes états pourraient se présenter à nouveau, causalité impliquerait détermination nécessaire, et toute liberté deviendrait incompréhensible.
Ses yeux devinrent humides. […] Comme le héros de Musset, comme celui d’Hugo, il a voulu revoir l’endroit où lui avait souri le bonheur, savoir, en retournant à Stamboul, ce qu’était devenu Aziyadé. […] « Et en disant tout cela, Scribe, très animé, était devenu rouge, d’un rouge de colère. […] Au bout de quelques jours, le bercement lent et monotone d’une vie régulière l’eût endormie, et son état ordinaire devint une sorte de sommeil plein de douceur. […] Si on savait quelle lessive d’erreurs nous faisons, à chacune de nos séances, tout le monde deviendrait incrédule sur ce qui se dit et se raconte.
Après Montaigne et quand on eut vu son succès, il prit sans doute envie à plus d’un gentilhomme campagnard de jeter par écrit ses fantaisies sans beaucoup d’ordre, et de devenir auteur à ses moments perdus sans cesser de courir le lièvre. […] Notre siècle, après les excès philosophiques qui ont signalé la fin du précédent, est devenu prudent à bon droit dans ces considérations générales ; les cœurs honnêtes ont peur de toute témérité, et il semble même qu’on aime à s’en tenir, dans cette sphère élevée, aux apparences lumineuses, aux traditions générales et aux impressions premières du sentiment, plutôt que de les décomposer et de creuser trop avant, comme si l’on n’était pas sûr de pouvoir recomposer ensuite ce qu’on aurait trop indiscrètement analysé.
Ponsard qui est devenu le lion soudain et ardent de ce mois de mai. […] Ponsard est devenu le mot d’ordre, le mot de passe, la ressource des tête-à-tète et des cercles.
Décidément, ce genre de Portraits que l’occasion m’a suggéré, et dont je n’aurais pas eu l’idée probablement sans le voisinage des Revues, m’est devenu une forme commode, suffisamment consistante et qui prête à une infinité d’aperçus de littérature et de morale : celle-ci empiète naturellement avec les années, et la littérature, par moments, n’est plus qu’un prétexte. […] Sainte-Beuve, qui aurait pu nous échapper, sans l’œil vigilant et attentif d’un amateur et d’un curieux, devient aujourd’hui très essentielle pour tous ceux qu’intéresse l’histoire des livres : « Pour les bibliographes seulement, dit M.
André Theuriet est assurément le meilleur peintre, le plus exact et le plus cordial à la fois, de la petite bourgeoisie française, mi-citadine et mi-paysanne ; et, comme cette classe sociale est la force même de la nation, comme elle lui est une réserve immense et silencieuse d’énergie et de vertu, les romans si simples de l’auteur des Deux Barbeaux deviennent par là très intéressants ; ils prennent un sens et une portée ; peu s’en faut qu’ils ne me soient vénérables. […] Un méchant drôle de journaliste, Peyrehorade, qui s’en trouve informé, veut la contraindre, par des menaces, à devenir sa maîtresse.
A. le prince de Galles soit fort impatient de devenir roi d’Angleterre et empereur des Indes ? […] Quant à l’Italie … attendez la fin de la triple alliance, laquelle n’est sans doute pas éternelle… Ce que l’antiquité n’avait pas même conçu, la possibilité de républiques aussi vastes que les anciens empires devient chaque jour évidente… Si notre République était sage, vous verriez quelle serait bientôt sa force de propagande, même involontaire, et quelle fascination elle exercerait, rien qu’en durant, sur tous les peuples de la vieille Europe… Les temps sont mûrs ; cela commence : … Magnus ab integro seclorum nascitur ordo ; Qui sait ?
Devenu plus subtil et plus délicat, son talent se laissa moins voir et devint par là même plus étonnant.
Lelio, c’est bien Giovanni-Battista Andreini : Florinde, c’est sa femme Virginia, qui mourut vers 1634 ; Lydia, c’est une jeune actrice que le directeur des Fedeli, devenu veuf, épousa en 1635. […] Les anciens masques satiriques devinrent des personnages de féerie.
Autant demander si celui qui a vu, peut devenir aveugle et ne pas sentir la nostalgie de la lumière. […] Il ne faut pas comparer la marche de la Science aux transformations d’une ville, où les édifices vieillis sont impitoyablement jetés à bas pour faire place aux constructions nouvelles, mais à l’évolution continue des types zoologiques qui se développent sans cesse et finissent par devenir méconnaissables aux regards vulgaires, mais où un œil exercé retrouve toujours les traces du travail antérieur des siècles passés.
La liaison des deux amants était devenue, par le nombre de leurs enfants, qui était alors de quatre, une espèce de mariage avoué ; c’était une bigamie ouverte95. […] Vers la fin de 1671, non seulement la bigamie du roi n’était plus un mystère, mais elle devint un titre patent et solennel d’orgueil pour l’adultère : en décembre, furent données et vérifiées, au parlement des lettres de légitimation au duc du Maine, âgé de moins de quatre ans ; au comte de Vexin, âgé d’environ trois ans ; et à mademoiselle de Nantes, qui fut depuis madame la duchesse (seconde), âgée de deux ans.
Les ides d’octobre, qui étoient le 15 de ce mois, devinrent fameuses par sa naissance*. […] Le véritable auteur du distique ayant été par-là découvert, Bathille devint la fable de Rome.
Il n’a répandu quelque chaleur dans ses inventions qu’aux endroits mêmes où il cesse d’être philosophe pour devenir chrétien : aussitôt qu’il a touché à la religion, source de toute poésie, la source a abondamment coulé. […] Si Voltaire eût été animé par la religion comme l’auteur d’Athalie ; s’il eût étudié comme lui les Pères et l’antiquité ; s’il n’eût pas voulu embrasser tous les genres et tous les sujets, sa poésie fût devenue plus nerveuse, et sa prose eût acquis une décence et une gravité qui lui manquent trop souvent.
Quelques-uns même n’ont pas de honte de donner pour un veritable amour une passion qui ne commence que durant le cours de la piece, quoiqu’il soit contre la vrai-semblance qu’une passion naissante puisse devenir en un jour une passion extrême. […] Enfin il est devenu à la mode d’être amoureux dans un païs où tout se decide suivant la mode, même le merite des generaux et celui des predicateurs.
Plus le contraire de ce qu’il avance est notoire, plus son erreur devient nuisible à son ouvrage. […] Notre poëte peche encore contre la verité, quand il fait dire à Paulin que Titus charge, comme son confident, de lui parler sur le mariage de Berenice : qu’on a vû des fers de Claudius Felix encore fletri de deux reines, seigneur, devenir le mari, et s’il faut jusqu’au bout que je vous obéisse, ces deux reines étoient du sang de Berenice.
Quoique tous les spectateurs deviennent des acteurs dans un tableau, leur action néanmoins ne doit être vive qu’à proportion de l’interêt qu’ils prennent à l’évenement dont on les rend témoins. […] Quoique nous ne sçachions pas bien certainement comment saint Pierre étoit fait, néanmoins les peintres et les sculpteurs sont tombez d’accord par une convention tacite de le répresenter avec un certain air de tête et une certaine taille qui sont devenus propres à ce saint.
Des cerveaux se sont illuminés de conscience, pour lesquels ce qui avait été l’unique vérité devint l’erreur. […] Affranchissement de l’individu, retour aux voies de nature, acheminement de l’humanité vers sa propre conscience, telles sont les grandes lignes du nouveau devenir.
À cette idée on pourra toujours en opposer une autre, avec laquelle on construira, selon la même méthode, un système différent ; les deux systèmes seront d’ailleurs également soutenables, également invérifiables ; de sorte que la philosophie deviendra un simple jeu, un tournoi entre dialecticiens. […] C’est une idée qui n’est devenue tout à fait consciente à elle-même, ou qui n’a pris la peine de se formuler, que dans ces derniers temps.
Un témoignage très authentique nous l’affirme, celui de Pausanias, l’exact voyageur sachant déjà étudier en antiquaire les monuments de sa glorieuse patrie, devenue romaine. […] Nulle fiction semblable n’allait suivre la gloire de Sophocle ou de tel autre génie de la Grèce, devenue philosophe autant que guerrière et poétique.
Mais c’est ici que l’aventure devient originale. […] Les dieux, devenus invisibles, sont en train de devenir abstraits. […] Il devint bientôt un familier de la maison. […] La peinture devient trop le métier dont il vit. […] Devant la poésie allemande elle devenait morale.