D’une puissante originalité, d’un esprit profondément imbu des plus hautes pensées, il chante les désenchantements de la vie, les horreurs de la mort, la paix du sépulcre, les espérances futures, les déchirements du remords. La musique avec laquelle il interprète la Mort des pauvres, la Cloche fêlée, le Flambeau vivant, l’idéal, de ce grand Baudelaire que je vis mourir, n’appartient assurément à aucune école « conservatoiresque », dit-il lui-même en son langage singulièrement imagé.
Mort d’Edmond de Goncourt J’ai vingt raisons d’admirer Sainte-Beuve, mais celle-ci me frappe aujourd’hui qu’il excellait au moindre prétexte, volume paru, décès survenu, anniversaire ou édition, à donner, à brûle-pourpoint, sur un moderne ou sur un ancien, une étude à peu près définitive. […] Dès qu’on apprend la mort d’un artiste, ou d’un personnage considérable, et même insignifiant, immédiatement se modifie le jugement latent qu’on en portait.
Interrogez le répertoire des théâtres, les programmes d’enseignement ; regardez les morts que les vivants imitent ou combattent ; tout cela fournit des lumières sur la durée des renommées. […] À la fin du xviie siècle, à partir de 1685 environ, quand le génie du poète a été sacré par la mort, sa mémoire se relève, témoin Crébillon père qui le prend pour modèle et Fontenelle qui le vante par esprit de famille.
QUINAULT, [Philippe] Auditeur en la Chambre des Comptes, de l’Académie Françoise, né à Paris en 1635, mort en 1688. […] Quinault, dont on a quinze ou seize tant Tragédies que Comédies, & treize Opéra, continua jusqu’à sa mort, avec une régularité scrupuleuse & un courage inoui, les fonctions monotones de sa Charge d’Auditeur des Comptes, comme s’il n’eût jamais connu d’occupation plus intéressante pour son esprit & pour son cœur ; effet admirable & cependant naturel de cet amour du devoir, la base de toute société, l’idole de nos bons aïeux, & que, pour le malheur de notre âge, a éteint dans presque tou les cœurs l’esprit de systême & d’égoïsme, digne fruit des tristes lumieres de la moderne Philosophie.
(Costa) sur la vie et la mort de son fils Alexis-Louis-Eugène de Costa, lieutenant au corps des grenadiers royaux de Sa Majesté le roi de Sardaigne, mort, âgé de seize ans, à Turin, le 21 mai 1794, d’une blessure reçue, le 27 avril précédent, à l’attaque du Col-Ardent (Turin, 1794), avec cette épigraphe : Frutto senil insu ’l giovenil flore. […] Ces principes, autrefois et hier encore vivants, ainsi replantés, deviennent aussi abstraits et aussi morts que ceux des constitutionistes et des faiseurs sur papier dont il se moque. […] Mais lui, quoiqu’il n’eût aucune maladie, il se sentait frappé à mort. […] Il s’est fait administrer deux fois, pendant le mois qui a précédé sa mort » (dont une fois le 29 janvier, jour de la fête de saint François de Sales). […] Cette phrase fameuse, un peu composite, je le répète, a été citée et commentée dans les Lettres d’Eugène Rodrigue, mort très-jeune, et l’un des plus vigoureux penseurs de l’école saint-simonienne.
La mort le surprit comme il songeait à porter la lumière et la méthode dans quelques parties du dogme et de la tradition. […] Le plus grand peintre de la vie est aussi le plus grand peintre de la mort. […] Dès sa jeunesse, il fut saisi des beautés de la Bible, et il s’y attacha, pour s’en nourrir jusqu’à la mort. […] Plusieurs de ses principaux ouvrages n’ont été rendus publics qu’après sa mort. […] Le Bossuet des Oraisons funèbres trouve aussi quelquefois à s’y faire une part, quand la chute des grands desseins, une course victorieuse arrêtée par la mort, une ambition que les événements ont rendue vaine, quelque grand exemple de la soudaineté de la mort, le sollicitent aux grands mouvements de l’éloquence funèbre.
Ce n’est pas assez pour eux que de vaincre, ils veulent arracher la vie ; ils insultent encore aux morts ; et ils voudroient, selon les idées de leur tems, éterniser leur malheur, en leur refusant la sépulture. […] Il opte pour la gloire, au mépris de la mort : et dès-là toutes ses actions, toutes ses démarches sont autant de preuves de son courage. Il court en hâtant ses exploits, à une mort qu’il sçait infaillible. […] Complication de contre-tems : c’est dans la chaleur du combat, et on les fait à des morts qui n’entendent plus, et qui ne sçauroient répondre. […] Personne ne posséde assez les langues mortes, pour en sentir, comme il faudroit, les délicatesses, les graces ou les négligences ; ni ce qu’il peut y avoir d’heureux ou de forcé dans les licences que les auteurs ont prises.
» lui demandent les Océanides. — Il répond par ces mots d’une tristesse infinie : — « Je les ai empêchés de prévoir la mort. » — « Par quel remède les as-tu guéris de ce mal ? […] La mort est la transition suprême. […] Hermès prend un caractère auguste dans celle mission funéraire : non plus seulement conducteur, mais consolateur de la mort. […] Les rôles se retournent, c’est le patient qui condamne à mort ses bourreaux. […] Jérémie comprime de sa vaste main les lamentations qui gonflent sa bouche ; à la prostration qui l’accable, on dirait qu’il porte le poids d’un peuple mort, d’une ville renversée.
Le temps n’est pas très éloigné où l’on appelait Balzac le plus fécond des romanciers… Depuis qu’il est mort, ce grand homme, il n’a été, certes ! […] et c’est ainsi que l’homme qui a le plus fécondé les têtes de son temps, comme Socrate accouchait celles du sien, l’inspirateur de tant d’esprits pendant sa vie, va, après sa mort, par une singulière opiniâtreté de la destinée, en inspirer encore un. […] Dans quels livres, et chez quels romanciers, n’a-t-on pas vu des morts chrétiennes ? […] Mais, humainement, l’ancien romancier, — qui n’est pas mort, Dieu merci ! […] Passionné comme un homme qui a une croyance, Paul Féval a, dans une opinion opposée, une vie de talent comparable à celle de Michelet et qui le distinguera des froids historiens de ce temps, qu’on pourrait appeler les Croquemorts de l’Histoire. — Morts debout, qui écrivent sur d’autres morts couchés dans la tombe !
Suite de la littérature diplomatique I Je vous disais, en finissant le dernier Entretien, qu’à chaque crise ou même à chaque question diplomatique posée par les événements depuis la mort du suprême diplomate, je m’étais toujours involontairement demandé : « Qu’aurait conseillé ici à la France M. de Talleyrand ? » Je vais mettre en scène ce dialogue du mort avec les vivants, et faire parler cet oracle du fond de son sépulcre, autant du moins que ma faible intelligence et ma sagesse bornée peuvent interpréter les pensées présumées de cette forte tête et de cette grande vue sur les affaires humaines. […] Une fois M. de Talleyrand mort, nul de nos hommes d’État, quoique éminents, n’avait sur le roi Louis-Philippe et sur les cabinets européens l’ascendant, l’expérience et l’autorité acquise nécessaires pour diriger d’une main magistrale le système extérieur de la France. […] Demandez-lui si elle reconnaît le principe de nationalité à Canton, à Shang-haï en Chine, où elle enclave des comptoirs anglais dans des garnisons britanniques ; où elle proclame, au lieu du droit public des nations, le droit d’empoisonner les peuples de la Chine, avec impunité et privilège, au moyen de cet opium qui leur donne l’ivresse, la stupidité, la mort, et qui enrichit les Anglais du salaire de cet empoisonnement national. […] Il y a beaucoup de morts, beaucoup de cadavres de puissances dans tout cela ; nous vous en parlerons bientôt à leur place, mais nous vous parlons d’abord des vivants.
dit quelque part Chateaubriand, mort lui-même dans un lit d’emprunt, loin des grèves de sa Bretagne et des tourelles de Combourg. […] Sa mort précoce affligea du même deuil les royalistes et les libéraux. […] La mort de cette mère, le mariage de cette charmante sœur, l’éducation de son frère achevée, le partage des biens de la maison, dans lequel il ne se réservera que Saint-Lupicin, livrèrent ce jeune sage prématuré à la solitude et à lui-même. […] Il aurait été éloquent, il était sage de caractère, il serait mort en souriant pour son idéal, sûr de le retrouver réalisé au-delà de l’échafaud de madame Roland, de Vergniaud, d’André Chénier. […] Fauvel, qui embellissaient de deux visages animés ce musée de beautés mortes, riaient aux éclats de cette puérile humeur du vieillard.
Taine nous dit qu’en certaines circonstances, par exemple à la mort de quelque vieux compagnon d’armes, il avait des accès de sensibilité et de douleur suivis de rapides oublis. […] Et surtout il l’a adoré depuis sa mort. […] Sully-Prudhomme suppose que Faustus, après sa mort, se réveille dans une autre planète, qu’il y retrouve Stella, la femme qu’il aimait, et que tous deux jouissent d’un bonheur qui va s’achevant et s’accomplissant par la science et par le sacrifice. […] Sully-Prudhomme avait à peine encore atteint dans ses meilleures pages d’autrefois… Donc la Mort ramène sur la terre Faustus et Stella. […] Faustus et Stella délibèrent s’ils doivent le repeupler : ils communiqueraient leur omniscience à une humanité neuve et plus heureuse. « Non, dit la Mort : l’humanité défunte refuserait de revivre une vie exempte des tourments qui ont fait sa grandeur. » Et sur son aile, à travers les constellations, elle remporte les deux amants, parfaitement heureux désormais, puisque, s’ils n’ont pu accomplir le sacrifice, ils l’ont du moins tenté.
Et bientôt c’est, dans la philologie, l’érudition lourde d’ennui qui sait à merveille corriger un texte, mais non plus en sentir la grandeur ou la grâce ; dans l’histoire, la monographie substantielle et indigeste qu’on estime et ne lit pas ; dans la philosophie, la peur des vastes synthèses et la mise sous scellés de la métaphysique et de ses éternels problèmes ; dans le roman, au théâtre, la décroissance de la verve inventive, la froideur, la sécheresse, la vulgarité du terre à terre, l’impuissance à créer un type supérieur ; en toute matière, le style pesant, épais, scolastique, engrisaillé de termes abstraits ou hérissé de vocables rébarbatifs ; bref, tout ce que comprend d’étroit, de rogue, de fastidieux, de glacé, de mort le mot de pédantisme. […] Les fées ont disparu, les dieux immortels sont morts ! […] Quand on parlait à Victor Hugo de cette mort prochaine, il se mettait à rire et répondait122 : « Force gens de nos jours, volontiers agents de change et souvent notaires, disent et répètent : La poésie s’en va. — C’est à peu près comme si l’on disait : Il n’y a plus de roses ; le printemps a rendu l’âme : le soleil a perdu l’habitude de se lever ; parcourez tous les prés de la terre, vous n’y trouverez pas un papillon ; il n’y a plus de clair de lune et le rossignol ne chante plus, le lion ne rugit plus, l’aigle ne plane plus ; les Alpes et les Pyrénées s’en sont allées ; il n’y a plus de belles jeunes filles et de beaux jeunes hommes ; personne ne songe plus aux tombes ; la mère n’aime plus son enfant ; le ciel est éteint ; le cœur humain est mort. » Le fait est que l’imagination est en l’homme une faculté non moins essentielle et immortelle que la raison ; et c’est pourquoi la poésie non seulement garde à côté et au-delà de la science son royaume inviolable, mais aussi sait puiser dans la science-même des éléments de vie et d’inspiration. […] Pourtant il est rude et multiple, le combat qu’ils ont à livrer, combat contre la misère, contre la faim, comme celui que soutinrent Bernard Palissy et tant d’autres, sacrés grands hommes après leur mort ; combat contre l’intolérance, contre une foi ombrageuse et brutale, comme ce fut le cas pour Galilée ; combat perpétuel enfin contre la nature, qui dérobe ses secrets, qui ne se les laisse arracher que par la force et qui se venge semble-t-il, des violences qu’on lui fait, témoin ces physiciens foudroyés par l’électricité qu’ils voulaient surprendre et dompter, ces chimistes mutilés, déchirés par la mitraille de quelque explosion et tombés dans leur laboratoire comme des soldats sur le champ de bataille, ces audacieux partis en plein ciel sur la foi d’un frêle aérostat etrejetés sans vie sur le sol ou dans les flots de l’Océan, à moins qu’ils n’aient disparu pour jamais dans l’espace sans y laisser plus de traces que des étoiles filantes. […] J’aime mieux, je l’avoue, ce que nous fait entrevoir la science actuelle : les tumultueux bouillonnements de la vie à la surface de notre planète ; la formation lente du végétal et de l’animal dans la vase épaissie et solidifiée ; puis l’homme, ce nain intelligent, perdu d’abord au milieu de ces monstres dont les débris gigantesques nous épouvantent encore, l’homme errant, muet et sombre, parmi ces terribles compagnons, disparaissant dans l’épaisseur des prairies comme la fourmi qui chemine dans les hautes herbes d’aujourd’hui, rencontrant tout autour de lui une nature hostile, des forêts inextricables où le jour pénétrait à peine, des torrents grondants aux eaux fangeuses et au lit changeant, des marais énormes et grouillant de reptiles, séjour de la fièvre et de la mort, des montagnes abruptes cachant dans la nue leur tète neigeuse ou vomissant leurs entrailles en feu.
Mais, un instant après qu’il l’a quittée, voici venir son neveu Arthur qui lui annonce, d’une voix tragi-comique, la mort de M. […] Voilà deux hommes morts ! […] Cantenac est tué, mais le pauvre baron est blessé à mort ; son médecin intime ne lui donne pas vingt-quatre heures à vivre. […] Cantenac est bien mort, mais d’Estrigaud se porte à merveille : sa blessure était apocryphe, le médecin était un compère, et cette agonie contrefaite n’est qu’une mise en scène romanesque destinée à faire passer son mariage scandaleux avec Navarette et ses trois millions. […] Tenancier et André Lagarde, qui se trouvent là par hasard, assistent à cette comédie de la mort.
Or, comme la vie des hommes les plus superficiels a beaucoup plus d’unité qu’on ne croit, Villemain est mort comme il a vécu. […] … Quelle perspective ou quel fantôme a donc altéré la grasse paix de cet universitaire, qui n’avait peut-être eu jamais de souci et d’anxiété dans sa vie, si ce n’est le jour où le baron d’Echstein, ce terrible savant qui n’a pas lu les Pères de l’Église seulement pour faire la classe à des conscrits intellectuels, lui défendit, au nom du sérieux de l’histoire (telle du moins se raconte l’anecdote), de toucher à ce grand sujet du pontificat de Grégoire VII que les journaux avaient annoncé, et qui, effectivement, n’a paru qu’après la mort du baron d’Echstein. […] Impossible à nier, cette particularité dans le génie de Pindare peut seule expliquer ce que j’ose appeler la mort de ses œuvres, que les traductions les mieux faites et la connaissance plus profonde et plus répandue de la langue grecque ne parviendront pas à ranimer, Il faut en prendre son parti : Pindare, malgré des qualités nettement supérieures, est un poète dont le sens intime est perdu. […] Avant Villemain, François de Neufchâteau, ministre comme lui, avait été, comme lui aussi, un enfant célèbre ; François de Neufchâteau, entré maintenant plus, profondément que Villemain dans cette mer d’obscurité où, comme les vivants s’enfoncent dans la mort, s’enfoncent leurs tombeaux après eux ! […] Le général Foy, leur contemporain, aurait pu rappeler les orateurs anglais davantage, mais il manque aussi au livre honteusement surprenant de Villemain… Certes, s’il y a quelque chose qui puisse étonner après l’oubli incompréhensible qu’il a fait de Mirabeau, c’est l’oubli qu’il y ajoute du général Foy, l’honneur de la tribune française sous la Restauration, le plus vivant et le plus palpitant des orateurs que leur cœur a tués, car cet impassible au canon est mort des émotions de la tribune.
La tradition, ce n’est pas Mévius ni Bavius, qui sont parfaitement morts, c’est Virgile et Horace, qui vivent. […] En revanche, et depuis que Marguerite et Rabelais sont morts, combien avons-nous eu de conteurs ? […] Louis Racine, Mémoires sur la vie de son père]. — Sa mort, le 21 avril 1699. […] I. — Pièces relatives à la biographie de Fontenelle ; — Dialogues des morts anciens, — Dialogues des morts anciens avec les modernes. […] [Cf. les Sermons sur la Mort du pécheur et la Mort du juste ou sur l’Enfant prodigue.] — Comparaison à ce propos des procédés de Massillon et des moyens de Bourdaloue. — De l’importance des détails dans les sermons de Massillon. — Affectation de préciosité.
Comme le parterre, surpris d’y reconnaître le ton faux, la déclamation exagérée de quelques-uns de nos acteurs, s’écrierait de tous côtés, les Montfleuri, les Beauchateau, les Hauteroches, les De Villiers ne sont pas morts ! […] Dom Juan s’introduit dans la chambre de la jeune épouse, lui dit que son mari lui a permis de prendre sa place, elle lui demande un serment, il consent, s’il ne dit pas vrai, à être tué par un mort. […] Molière l’appelle Fillerin : ce nom, composé de deux mots grecs, et qui signifie ami de la mort, se rapporte très bien à ce que le personnage dit lui-même : Ceux qui sont morts sont morts, et j’ai de quoi me passer des vivants. […] Les Grecs les aimaient beaucoup, et Platon, à l’heure de sa mort, avait sous son chevet celles de Sophron. […] L’auteur ne jugea pas à propos de l’exposer sur le théâtre de Paris, pas même de la faire imprimer, elle ne le fut qu’en 1682, neuf ans après la mort de Molière.
C’est un devoir à chaque génération comme à une armée d’enterrer ses morts, de leur rendre les derniers honneurs. […] et la mort après, et la mort avec !
Il considère cette société antérieure et postérieure à l’individu ; il la voit subsistante, nécessaire, harmonieuse, agissant en mille façons et par toutes sortes d’influences inappréciables, plus mère encore que marâtre, ne retirant à l’homme primitif du côté des forces physiques que pour rendre davantage par le moral à l’homme actuel, et imposant dès lors à quiconque naît dans son sein des devoirs, des obligations qui ne sont point proprement de particulier à particulier, mais qui prennent un caractère commun et général : Car les individus, dit-il, à qui je dois la vie, et ceux qui m’ont fourni le nécessaire, et ceux qui ont cultivé mon âme, et ceux qui m’ont communiqué leurs talents, peuvent n’être plus ; mais les lois qui protégèrent mon enfance ne meurent point ; les bonnes mœurs dont j’ai reçu l’heureuse habitude, les secours que j’ai trouvés prêts au besoin, la liberté civile dont j’ai joui, tous les biens que j’ai acquis, tous les plaisirs que j’ai goûtés, je les dois à cette police universelle qui dirige les soins publics à l’avantage de tous les hommes, qui prévoyait mes besoins avant ma naissance, et qui fera respecter mes cendres après ma mort. […] Elle n’admettait que ce qui lui paraissait évidemment prouvé, aimait à disputer, parce qu’elle avait presque toujours une opinion à elle, et ne cédait qu’à la conviction ou enfin à la convenance. » Et lorsqu’il en vient à raconter la dernière maladie de cette jeune femme : « Elle craignait la mort parce qu’elle devait la séparer de tout ce qui lui était cher. Ma vie peut être remplie de peines, disait-elle, mais il est affreux de n’être rien ; je crois la souffrance préférable au néant… » Le cardinal n’ajoute rien qui corrige cette opinion du néant après la mort, ni qui avertisse qu’il ne la partageait pas ; c’est qu’il la partageait en effet.
On s’étonnera, par exemple, qu’il considère la Révolution comme terminée à la mort de Robespierre. […] Faut-il rappeler à l’historien que le philosophe était mort en 1757, et qu’on ne peut, sans un grossier anachronisme, donner une interprétation aussi grave au mot satirique du spirituel et poli vieillard ? […] Sir Walter Scott, avons-nous dit, prononce la clôture de la Révolution à la mort de Robespierre ; mais il ne tient pas à lui qu’elle n’ait été terminée plus tôt, et les projets de répression qu’il expose à ce sujet n’eussent pas manqué, si on les avait suivis, de tout rétablir dans l’ordre dès la journée du 14 juillet, qu’il appelle par inadvertance le 12 juillet.
Il l’a signalé avec un orgueil touchant dans cet exposé de services qu’il adressa, peu avant sa mort, à la législature de Virginie, afin d’obtenir l’autorisation de mettre en loterie ses biens : car des pertes imprévues l’avaient subitement ruiné. […] Cette réforme fut, en effet, accomplie en 1830, c’est-à-dire quatre ans après la mort de Jefferson ; mais son influence révérée y présida manifestement. […] Quand le peuple se lève et passe, ces gens-là se jettent à plat-ventre : on les croirait morts en ces moments, si en ces moments l’on songeait à eux ; mais sitôt que le peuple en personne est passé, vite ils regardent alentour et se ravisent.
… « Mais, quand on l’eut approché des dernières tortures et de la mort, sa force d’âme parut faiblir. […] Yankel (le Juif) devint pâle comme un mort, et, lorsque les cavaliers se furent un peu éloignés de lui, il se retourna avec terreur pour regarder Boulba ; mais Boulba n’était plus à son côté. […] La dévastation, le massacre, l’incendie, ne cessent plus, jusqu’à la mort du vieux Tarass qui s’obstine, à la tête de son polk, à ne point reconnaître le traité de paix offert par les Polonais, et accepté par le reste de sa tribu.
Lorsque le même orateur s’écrie, en parlant de madame Henriette : La voilà telle que la mort nous l’a faite , nul doute qu’un littérateur d’alors n’eût pu blâmer cette superbe expression, et la défigurer en y changeant le moindre mot. […] Saint-Lambert s’est enrichi des images de Thomson, Delille a emprunté du genre anglais quelques-unes de ses beautés descriptives ; Le Cimetière de Gray ne lui fut point inconnu : il a servi de modèle, sous quelques rapports, à Fontanes dans une de ses meilleures pièces, Le Jour des Morts dans une campagne. […] » Je pourrais récuser une objection tirée de Virgile, puisque je l’ai cité comme le poète le plus sensible ; mais en acceptant même cette objection, je dirai que, lorsque Racine a voulu mettre Andromaque sur la scène, il a cru que la délicatesse des sentiments exigeait qu’il lui attribuât la résolution de se tuer, si elle se voyait contrainte à épouser Pirrhus ; et Virgile donne à son Andromaque deux maris depuis la mort d’Hector, Pirrhus et Hélénus, sans penser que cette circonstance puisse nuire en rien à l’intérêt qu’elle doit inspirer.
Nulle part vous n’y reconnaissiez l’application sincère de ces axiomes inspirés à Bourget par le théâtre de Dumas : « … L’amour seul est demeuré irréductible, comme la mort, aux conventions humaines. […] C’est devant une fresque de Fra Angelico, où de pâles figures, de peu de matière, expriment l’amour divin, que Jacques et Thérèse se donnent leur premier et brûlant et pesant baiser… L’image des choses mortes excite leur lugubre ardeur de vivre. […] Ils s’aiment plus voracement sur la cendre des morts, plus harmonieusement parmi les images fanées de la beauté parfaite, plus solennellement parmi les témoignages de l’éternelle et divine inquiétude des cœurs.
L’homme, dès qu’il se distingua de l’animal, fut religieux, c’est-à-dire qu’il vit, dans la nature, quelque chose au-delà de la réalité, et pour lui quelque chose au-delà de la mort. […] Son tombeau passe pour celui d’un méchant, sa mort pour celle d’un impie. […] Des croyants forcenés provoquent sans cesse des violences contre tout ce qui s’écarte du culte de Jéhovah ; un code de sang, édictant la peine de mort pour des délits religieux, réussit à s’établir.
Le docteur Akakia se moque surtout de l’idée d’établir une ville latine, du beau projet de ne point payer les médecins, lorsqu’ils ne guérissent pas les malades ; de cette comète qui viendra voler notre lune, & porter ses attentats jusqu’au soleil ; de ces observations nouvelles sur la génération ; de l’âge de maturité qui est la mort, & non l’âge viril ; de la démonstration, par algèbre, de l’existence de dieu ; du moyen de connoître & de prédire sûrement l’avenir ; du conseil de dissequer des cervaux de géans hauts de onze pieds, & d’hommes velus portant queue, afin de sonder la nature de l’intelligence humaine . […] Le roi de Prusse, impatient d’avoir son oracle à sa cour, lui manda ces propres mots, après la mort de l’immortelle Emilie : « J’ai respecté une amitié de quinze ans avec madame du Châtelet ; mais actuellement je suis une de vos plus anciennes connoissances. » On prétend que, lorsqu’il le sçut en chemin pour la Prusse, il s’écria, je le tiens . […] Cette illustre princesse est la même qu’ont immortalisé ses vertus & l’ode philosophique, qu’après sa mort le poëte a cru devoir lui adresser.
Son visage est l’image de la mort que les traits de la joie et de la reconnaissance viennent d’animer. […] Est-ce qu’un homme sait qu’il est mort ? […] Celui qui peut rendre la vie, peut aussi facilement donner la mort… Pas un qui se soit avisé de faire pleurer une des sœurs du ressuscité, de joie ; pas un des parents qui tombe en faiblesse !
Étienne, ayant été élu par l’Académie française à la place vacante par la mort de M. […] La mort, en vous ravissant un confrère, m’a privé d’un ami. […] Peu de temps avant sa mort, M.
Il réveillerait les morts jusque dans leurs tombeaux. […] Ni Aubrey, le premier historien de Shakespeare, qui écrivait cinquante ans après la mort de ce grand homme, compris par le public de son temps avec la finesse et la sûreté d’appréciation ordinaires à toutes les foules et à tous les publics ; ni Nathan Drake, qui a fait un livre énorme sur Shakespeare qu’il appelle Shakespeare et son temps (Shakespeare and His Time), un titre, je crois, de la connaissance de Guizot ; ni Guizot enfin, lequel pourtant, je m’imagine, ne doit pas être l’ennemi complet du représentatif dans l’humanité, n’ont pensé comme Emerson et, comme lui, fait également bon marché de la prodigieuse originalité du génie de Shakespeare et de la vie privée de cet homme phénoménal, — à lui seul tout un monde perdu, qui attend encore son Cuvier ! […] — sans qu’on puisse savoir de quelle mort… Voilà les faits certains, et qui seuls n’ont pas fléchi, de la vie de William Shakespeare.
Charles Ier était mort pour l’avoir défendu et pour l’avoir abandonné. […] Ce que Macaulay ne trouve presque rien n’est pas seulement la mort d’un droit et la mort d’une race, mais c’est, en plus, l’hérédité monarchique bouleversée, — en d’autres termes, l’institution monarchique niée dans ce qui la constitue et frappée à la racine, encore plus par l’élection de Guillaume et de Marie, dans la salle peinte, que par la hache du bourreau masqué de Whitehall.
Quand, sur le tard de sa vie, ce mâle portail un corset sur son torse d’Hercule et teignait ses favoris, comme Maxime de Trailles, dans Balzac, il faisait de la diplomatie contre la vieillesse, — de même que Mazarin, qui mettait du rouge sur ses joues mourantes, en faisait, lui, contre la mort ! […] C’est l’Histoire qui apparaît, remue, se voit, et même s’entend, comme dans cette glace enchantée dans laquelle les Sorciers — disent les Croyances populaires — font voir les choses absentes dans le présent, mortes dans le passé, et inaccomplies dans l’avenir… Gobineau est un de ces sorciers-là. […] Après toute une vie de voyages, d’affaires et d’études et de travaux dont j’ai signalé plus haut quelques-uns, le comte de Gobineau, qui vient de nous donner ce kaléidoscope lumineux et harmonieux de La Renaissance, lequel ne doit rien au hasard, comme les autres kaléidoscopes, de ses éblouissantes combinaisons, était capable de nous donner bien d’autres livres encore, et sans la mort, qui est venue, soyez sûr qu’il nous les aurait donnés !
Il a laissé, presque dès son début, des traces trop vives et trop profondes dans l’opinion contemporaine, pour qu’on pût oublier de réunir les écrits dus à cette plume brillante que la mort a si tôt brisée, et qu’il eût brisée lui-même, s’il avait vécu davantage, tant elle satisfaisait peu son âme sainte ! […] Ceux qui prient pour le monde font plus que ceux qui combattent. » Et en effet, lui, l’ambassadeur, qui n’a jamais fait comme Chateaubriand, ce fat d’affaires, ce porteur d’empire sur le bout du doigt, ennuyé à la mort, si on l’en croyait, et lassé de ce faucon qui pèse si peu au poing du génie, il allait, lorsque la tombe le prit, quitter simplement ses costumes de palais qu’il n’appelle nulle part des guenilles, et revêtir une soutane. […] Les événements lui donnent dans les yeux de leur impalpable cendre de chaque jour et font ciller ses mélancoliques paupières, qui n’ont pas l’immobilité de celles de l’aigle… Lorsqu’ailleurs, je crois, sur cette immense et noire tenture de mort dans laquelle il voit l’Europe enveloppée (et qui l’est… peut-être), il se mêle de découper de petites prophéties spéciales, il ne réussit pas.
Mais l’herbe fut coupée bien tendre ; mais la fleur fut coupée à peine entrouverte, et toutes deux, à ras de terre, par une faux qui est celle de l’amour, — de cet amour fort comme la mort et qui tranche l’âme comme la mort tranche la vie. […] On cherche en vain dans cette aristocratique religieuse agenouillée, sous ce visage, à l’ovale si pur, que l’austère et strict bandeau fait paraître plus pur encore, la Mystique dont l’âme, à force d’énergie, détruisit le corps, la paralytique aux os écrasés et aux nerfs tordus, cet amas sublime d’organes dissous sur lesquels flamboyait l’Extase, l’ombre de fille consumée qui vécut, deux trous ouverts au cœur, les deux trous par lesquels le glaive du Séraphin avait passé, et si physiquement et si réellement, qu’après sa mort, sur le cœur même, on put constater la blessure.
I L’homme de grand service catholique qui a écrit ce livre est mort il y a quelques années. Son livre même était mort avant lui. […] Et, maintenant que ses plus illustres contemporains sont morts, — ceux-là qui, par leur admiration, auraient pu le montrer du doigt à la Gloire, — à cette bête de Gloire qui s’en détournait, — combien, à présent, y en a-t-il qui la demandent pour lui, cette gloire, non pas comme une aumône, ah !
Le xviie siècle, fils de Richelieu et de Malherbe, le siècle de la Règle en tout, et le xviiie , le siècle, en tout, du Dérèglement, ne pouvaient avoir de mémoire au service de ce protestant fanatique, qui, après la mort de Henri IV, ne s’était pas rendu et s’en était allé guerroyer en Suisse, chef d’opinion religieuse et tellement protestant qu’il n’en était même plus Français ! […] Plus heureux en cela qu’André Chénier, le guillotiné de génie dont toute la vie fut dans la mort, Agrippa d’Aubigné eut une vie poétique jusqu’à sa dernière heure, et cette heure fut tardive. […] Il fut troué dix-sept fois à la poitrine, et il aurait pu y être troué quarante, au jeu qu’il jouait, à cette époque inouïe où tous les hommes, jusqu’aux pâles mignons, semblaient amoureux de la mort, et, comme des valets dans les bras de leurs maîtresses, faisaient les insolents avec elle !
disait-il, je t’invoque ; parmi toutes les divinités, nulle ne parle plus puissamment au cœur de l’homme que toi. » Un autre, qui conseillait de fuir les villes et sentait que la situation des lieux influe sur l’âme : « Habite et parcours les montagnes, disait-il, le soleil les frappe de ses premiers rayons ; les derniers rayons du soleil reposent sur elles ; élève-toi vers les cieux, sors de l’ombre, et respire la lumière et la pureté du jour » ; un autre, après la mort de son épouse, ramasse tous les ornements qui servaient à sa parure, et les suspend dans un temple pour les consacrer à la divinité du lieu. […] Niger le regarda en pitié, et voici sa réponse : « Orateur, faites-nous l’éloge de Marius, ou d’Annibal, ou de quelqu’autre grand homme qui ne soit plus, et dites-nous ce qu’il a fait, pour que nous l’imitions ; car louer des vivants, est intérêt ou faiblesse, et surtout louer les princes, dont on espère, dont on craint, qui peuvent donner, qui peuvent mettre à mort, qui peuvent proscrire. […] On trouvera depuis le même sentiment dans ce jeune Alexandre Sévère qui, empereur à treize ans, et mort à vingt-six, élevé par une mère qui était un grand homme, fut à la fois ferme et sensible, et joignit toutes les vertus avec toutes les grâces.
Il est mort pour toi, et toi pour lui. — Nous verrons bien », dit Ella. […] Nous sommes très indulgents aux morts que nous aimons. […] Le prêtre est mort ! […] Que me faisait la mort quand tu n’étais la vie. […] Il a fait très bien élever, à ses frais, la fille de l’ouvrier mort dans la mine, Mariette.
C’est l’amour plus fort que la mort. […] Vous tuez Séleucus ; vous me tuez, vous accuserez Cléopâtre des deux morts et vous la ferez mettre à mort elle-même. » Voilà son raisonnement, qui est parfaitement juste. […] Il est mort. […] C’est la mort de Racine. […] Le petit manège de Xipharès et Monime, c’est le petit manège de Phèdre et d’Hippolyte, sauf quelques différences, bien entendu ; Mithridate est cru mort pendant ce temps-là, comme Thésée est cru mort pendant ce temps-là.
il y trouve la marquise de Couaën sur un lit de mort ; prêtre, il la console, et lui administre l’extrême-onction. […] Adrien Balbi, veut que Runjet-Sing soit mort en 1827 ; c’est une erreur. Runjet-Sing n’est pas mort ; il vivait à l’époque du voyage de Jacquemont, en 1831, et tout porte à croire qu’il vit encore. […] Qu’elle attende seulement que Runjet-Sing soit mort ; mais qu’elle ne s’y fie pas ! […] Ne rêve donc jamais en noir de moi. » C’est ainsi que Jacquemont joue avec l’idée de la mort.
Valentine mourra de la mort de Bénédict. […] Jacques, trahi, va chercher une mort inconnue dans les glaciers. […] Au reste, il faut bien le dire, ces doctrines sont mortes, et bien mortes ; elles ont succombé sous leur impuissance en face des faits, et le socialisme doctrinal de 1848 a été trouvé incapable de résoudre pratiquement le plus mince problème. Mais ce qui n’est pas mort, ce sont les problèmes eux-mêmes ; ce qui n’est pas mort, c’est la nécessité économique et morale de les poser, et d’en chercher au moins la solution partielle. […] Car c’est un trait à noter que le silence, cette forme de l’oubli, n’a commencé pour elle qu’après sa mort.
De Musset, de Vigny, morts tous deux ! […] Voyez la Mort du loup. […] — L’amour n’arrive au but qu’en traversant la mort ! […] On veut y voir le calcul d’un habile homme, qui ménage même après sa mort les chances de sa réputation. […] La mort seule viendra dénouer ce que la vie n’aurait pas dénoué.
Les restes morts du vieil idéal obstruent la route et ferment l’accès à un idéal nouveau. […] Il est plus facile après tout de choisir sa mort que de refaire sa vie. Aussi a-t-on remarqué que les esprits romanesques sont fréquemment hantés par l’idée de la mort. […] C’est pourquoi il y a dans les romans de Feuillet un bel assortiment de morts fantastiques, — morts ou suicides, — et qui forment comme un répertoire des manières élégantes auxquelles on peut recourir pour sortir de ce monde. […] Je l’emprunte au récit de la mort de Désirée.
Aussi Aristote eut une mort humaine qui n’intéressa pas le sort futur de l’âme ni le Dieu de l’univers. Autant qu’on peut discerner à de telles distances les causes de cette mort, on les retrouve aisément dans la politique de son pays et dans les passions des hommes, bonnes ou mauvaises. […] Ils l’abandonnèrent quand la mort de son patron Alexandre le Grand le livra à leur vengeance. […] Le titre de Macédonien fut un crime et une injure quand Athènes sentit que la mort d’Alexandre, à Babylone, délivrait la Grèce de ce héros devenu son tyran. […] Ainsi finit ce grand homme ; combien ne serait-il pas mort plus dignement s’il était mort comme Socrate, non pour échapper à ses ennemis, mais pour Dieu !
La mythologie classique de l’Olympe ne me donnait pas de tels enivrements ; je sentais que ces fables étaient mortes et qu’on nous faisait jouer aux osselets avec les os d’une poésie sans moelle, sans réalité et sans cœur. […] Quelques mois après, son neveu m’écrivit de nouveau pour m’apprendre la mort de son oncle ; il avait vécu, ou plutôt il avait pensé et prié jusqu’au-delà de quatre-vingts ans ; pur esprit qui ne laissait pas une pensée à la terre : elle n’avait été pour lui qu’un marchepied de son autel. […] La nuit, tour à tour charmante ou sinistre, a le rossignol et le hibou ; l’un chante pour le zéphyre, les bocages, la lune, les amants, l’autre pour les vents, les vieilles forêts, les ténèbres et les morts. […] L’approche de la mort, qui attendait le poète à la porte de sa prison sur l’échafaud, avait changé le diapason de ce jeune Grec en diapason moderne. L’amour et la mort sont deux grandes muses ; grâce à leur inspiration réunie, la manière trop attique d’André Chénier était devenue du pathétique.
Une grande quantité de lettres de Massillon ont été soustraites au moment de sa mort : serait-il impossible de les recouvrer ? […] Quand on lui demandait plus tard où il avait pris cette connaissance approfondie du monde et des diverses passions, il avait le droit de répondre : « Dans mon propre cœur. » Pendant qu’il professait la théologie à Vienne, il fut ordonné prêtre en 1692 ; il s’y essayait dans la chaire ; il y prononça l’Oraison funèbre de Henri de Villars, archevêque du diocèse ; il alla prononcer à Lyon celle de l’archevêque M. de Villeroi, mort en 1693. […] À part ce morceau, la totalité des ouvrages de Massillon, y compris son Petit Carême, ne fut pour la première fois livrée au public qu’après sa mort et par les soins de son neveu en 1745. […] « On peut quelquefois, dit Voltaire, entasser des métaphores les unes sur les autres ; mais alors il faut qu’elles soient bien distinguées, et que l’on voie toujours votre objet représenté sous des images différentes. » Et il cite un exemple de Massillon ; il aurait pu aussi bien citer celui qu’on va lire : Souvenez-vous d’où vous êtes tombé ; … remontez à la première origine de vos désordres, vous la trouverez dans les infidélités les plus légères : un sentiment de plaisir négligemment rejeté ; une occasion de péril trop fréquentée ; une liberté douteuse trop souvent prise ; des pratiques de piété omises : la source en est presque imperceptible ; le fleuve, qui en est sorti, a inondé toute la terre de votre cœur : ce fut d’abord ce petit nuage que vit Élie, et qui depuis a couvert tout le ciel de votre âme : ce fut cette pierre légère que Daniel vit descendre de la montagne, et qui, devenue ensuite une masse énorme, a renversé et brisé l’image de Dieu en vous : c’était un petit grain de sénevé, qui depuis a crû comme un grand arbre, et poussé tant de fruits de mort : ce fut un peu de levain, etc.
Voyageant en Suisse dans le canton de Zurich, il avait remarqué que, dans la plupart des maisons, une piété domestique patriarcale tenait à conserver les images des pères, les portraits de ceux que la famille avait perdus et qui étaient représentés sur leur lit de mort, les yeux fermés, tels qu’ils étaient lorsqu’on les avait vus pour la dernière fois après le dernier soupir : Ces tristes images, ajoutait-il, qui paraîtraient si hideuses à un Français qui ménage son cœur comme un enfant gâté, et qui fuit avec soin tout ce qui pourrait l’émouvoir fortement, sont ici un objet consolant pour des hommes qui savent aimer et ne craignent rien de l’amour, pas même ses peines. […] Dans l’intervalle, entre les tourbillons de décembre et le réveil encore plus orageux de mai, pendant la complète victoire de l’hiver, il y aurait un intervalle de mort, de stagnation, de calme silencieux, de méditation immense. […] Pour nous qui ne l’avons pas connu, quelques lettres de lui publiées depuis sa mort et adressées à un Languedocien de ses admirateurs, M. […] Nous donnant le dernier mot de sa fatigue et de sa sensibilité lassée, il dit dans une de ses lettres, du 28 décembre 1826, c’est-à-dire moins de cinq mois avant sa mort : Maintenant je suis vieux ; je me repose, élève mon fils, et cultive mon jardin au fond de ma petite campagne, où je vis très retiré depuis que je suis délivré des affaires, qui pendant seize ans m’ont détourné, malgré moi, de mes études chéries, et que me voilà rendu au repos dont ma vieillesse a besoin.
L’illustration historique ne leur est venue que par le troisième de la race (depuis qu'elle eut commencé de compter), c’est-à-dire par celui dont on publie aujourd’hui le Journal, et qui fut simplement maître des requêtes ; mais un jour, il eut le périlleux honneur d’être rapporteur dans le procès de Fouquet, et, malgré le poids de l’ascendant royal, sous la pression inique et la menace de Colbert, il eut le mérite d’être juste indulgent : il ne conclut point pour la mort, et sa conclusion triompha. […] Dans un récit naïf que le fils de ce premier d’Ormesson a tracé de la vie de son père, on lit à cet endroit : Mon père fut si affligé et étonné de sa mort, qu’il fut près de six mois, comme il nous a dit, qu’il ne trouvait aucun moyen de se consoler. […] Deux mois après la mort du cardinal, un évêque s’arme impudemment de la pointe de ce rondeau aux États de Bretagne dans une discussion avec le maréchal de La Meilleraie, neveu du cardinal même. […] Ce ne sont pas seulement les pages et laquais, ce n’est pas seulement le menu peuple, qui est ingrat envers le cardinal, c’est le roi qui, en mourant dévotement, lui paye cette dette de reconnaissance pour toute la grandeur qu’il avait donnée à son règne ; et en effet qu’aurait-il été, ce roi, sans le cardinal qui, pendant vingt ans, ne lui avait jamais fait faire les choses que par contrainte : « De sorte que pendant sa maladie il disait que les peines et contraintes que le cardinal avait faites sur son esprit l’avaient réduit en l’état où il était. » Louis XIII mort, la rage du bon peuple est au comble ; neveux et nièces du cardinal, les marquis de Brezé et de Pont-de-Courlay et la duchesse d’Aiguillon, sont obligés de se retirer d’appréhension et de se jeter dans le Havre.
Scribe, mort il y a près d’une année déjà, et M. […] De remplacer le plus fécond, le plus inventif, le plus adroit et le plus heureux des auteurs et arrangeurs dramatiques de ce temps ; de celui qui, pendant quarante ans, n’a cessé d’alimenter tous les théâtres et de desservir toutes les scènes ; qui est mort sur le champ de bataille, pour ainsi dire, en plein travail, au moment où, une idée en tête, il courait au galop chez un collaborateur. […] Lacordaire fut mort depuis près d’une semaine, et que la première émotion de cette triste nouvelle fût passée, l’Académie, assemblée un jeudi, — le premier jeudi depuis qu’on avait reçu la lettre de faire part, — leva incontinent sa séance, après cette lettre entendue. […] C’est l’expression dont on s’est servi dans le Moniteur es parlant de lui le lendemain de sa mort mais aussi les plus dénués de la faculté du style qui fût jamais.
Zeller un peu sévère pour Auguste, non qu’il ne comprenne et ne définisse parfaitement la pensée de ce profond politique, mais il paraît le blâmer et croire qu’Auguste, en profitant pour lui de l’avertissement donné par la mort de César, a trop masqué l’idée nouvelle, n’a osé l’appliquer ouvertement et nettement, et n’a abouti sous sa forme mitigée qu’à un compromis fâcheux, « l’Empire républicain », quelque chose qui n’était ni aristocratie, ni démocratie, ni république, ni monarchie franche. […] L’œuvre de la philosophie est maintenant plus modeste ; elle ne doit pas affecter une si ambitieuse tâche. » Et un autre jour, après quelque dégoût amer et quelque expérience nouvelle de l’ingratitude ou de l’inintelligence des hommes : « Supporte patiemment la mort, en songeant que tu n’as pas à quitter des hommes qui pensent comme toi. […] C’est pourquoi tu n’as plus qu’à te dire : Ô mort, viens vite, pour que, moi du moins, je ne me démente pas moi-même. » Ainsi Marc-Aurèle a bu son calice, mais il l’a bu silencieusement. […] Cicéron l’a dit aussi, à sa manière ; il lui en venait souvent la nausée, et il y eut un moment où tout lui parut odieux, excepté la mort.
« La mort de Coupeau, dans un accès de delirium tremens, est la reproduction textuelle d’une observation de chef de clinique faite à Sainte-Anne. » 72 On la retrouverait dans une leçon du docteur Magnan. […] Antécédents héréditaires : Père alcoolique, mort d’une chute « un jour de ribote » (p. 554). […] Un frère mort très jeune « dans des convulsions » (p. 555). […] La mort seule avait arrêté les pieds » (p. 565).
Ce qu’il importe de remarquer, ce sont les différences caractéristiques de la littérature grecque et de la littérature latine ; et les progrès de l’esprit humain, dans les trois époques successives de l’histoire littéraire des Romains, celle qui a précédé le règne d’Auguste, celle qui porte le nom de cet empereur, et celle qui peut se compter depuis sa mort jusqu’au règne des Antonins. […] Quoique Cicéron soit mort sous le triumvirat d’Octave, son génie appartient en entier à la république ; et quoique Ovide, Virgile, Horace, soient nés pendant que la république subsistait encore, leurs écrits portent le caractère de l’influence monarchique. […] Les combats de gladiateurs avaient pour objet d’intéresser fortement le peuple romain par l’image de la guerre et le spectacle de la mort ; mais dans ces jeux sanglants, les Romains exigeaient encore que les esclaves sacrifiés à leurs barbares plaisirs, sussent triompher de la douleur, et n’en laissassent échapper aucun témoignage. […] Il existe une tragédie sur un sujet romain, La Mort d’Octavie ; mais elle a été composée, comme la nature du sujet le prouve, longtemps après la destruction de la république ; et quoiqu’elle soit dans les Œuvres de Sénèque, on en ignore l’auteur, et l’on ne sait pas si elle a jamais été représentée.
On comprendrait mal le caractère de l’action qu’exercèrent les doctrines de Boileau après sa mort, si l’on n’examinait quel succès elles eurent auprès de ses contemporains. […] Les listes de Gratifications et pensions aux gens de lettres, qui figurent dans les Registres des comptes des bâtimens du roi, sont une lecture fort instructive : depuis 1664 jusqu’à sa mort, Chapelain guide les libéralités du roi et de son ministre. […] Mais il est vrai que ces œuvres lui sont un peu supérieures, et ce que nous y voyons aujourd’hui de défectueux et de mort, fut nécessaire alors pour établir la communication entre elles et le public : c’est par ces formes passagères et fragiles que le monde abordait, par exemple, Bajazet, ou Phèdre, et s’élevait de là aux essentielles et solides beautés du poème. […] Cette disposition des contemporains à l’égard de l’œuvre de Boileau dura après la mort de Boileau, et se transmit aux générations suivantes : de là le caractère que prit l’influence de Despréaux au xviiie siècle.
Jean Richepin donne les Morts bizarres — bizarres, en effet, et dont plusieurs semblent les inventions d’un Edgard Poë fumiste. […] Au reste, il nous dit dans les Blasphèmes à quoi il se reconnaît Touranien : Ils allaient, éternels coureurs toujours en fuite, Insoucieux des morts, ne sachant pas les dieux, Et massacraient gaîment, pour les manger ensuite, Leurs enfants mal venus et leurs parents trop vieux… Oui, ce sont mes aïeux, à moi. […] Je goûte l’effort des poèmes cosmogoniques de la fin : le Sel, la Gloire de l’eau, la Mort de la mer. […] La Chanson des Gueux, les Caresses, les Blasphèmes, la Mer, Madame André, la Glu, Miarka la fille à l’ourse, Quatre petits romans, les Morts bizarres, le Pavé, Nana-Sahib Maurice Dreyfous.
Robespierre mort et la Convention délivrée d’une terreur inouïe ainsi que toute la France, le caractère de la Révolution change à l’instant ; Mallet n’hésite pas à marquer les signes nouveaux qui indiquent qu’elle vient de passer à une tout autre phase. […] Mirabeau, par exemple, avait auprès de lui un homme d’un vrai mérite, Pellenc, dont il tirait grand parti, et qui, après sa mort, passa au comte de Mercy-Argenteau, puis à M. […] Exposant dans son Mercure britannique, peu de mois avant sa mort, en janvier de l’an 1800, le caractère de la grande commotion qui allait continuer de peser sur le nouveau siècle et qui ouvrait une époque de plus dans l’histoire des vicissitudes humaines, il y montrait en vrai philosophe que le caractère de cette Révolution portait avant tout sur la destruction de toutes les distinctions héréditaires préexistantes, que c’était au fond une guerre à toutes les inégalités créées par l’ancien ordre social, une question d’égalité, en un mot : « C’est sur ce conflit, ajoutait-il, infiniment plus que sur la liberté, à jamais inintelligible pour les Français, qu’a porté et que reposera jusqu’à la fin la Révolution. » Espérons que, même en tenant moins à la liberté qu’il ne faudrait (ce qui est trop évident), nous la comprendrons pourtant assez pour démentir un pronostic si absolu et si sévère. […] Les curieux trouveraient dans le tome XV du Spectateur du Nord des articles sur Mallet du Pan, qui résument bien l’opinion des contemporains éclairés, au moment de sa mort : on y promet à sa mémoire la justice lente et sûre qui lui est rendue aujourd’hui.
Carrel lui-même, si injuste avec lui dans le détail, lui niant perpétuellement ce qui allait se réaliser le lendemain, lui contestant l’énergie honorable qu’il montra en Belgique et à Ancône, et ces actes efficaces qui donnèrent alors au gouvernement de Juillet une attitude ; Carrel, si cruel une fois et si impitoyable pour lui, puisque, parlant du ministre déjà mourant, il disait (7 avril 1832) : « Espérons qu’il vivra assez pour rendre ses comptes à la France » ; Carrel fut plus juste le jour de la mort de Périer, et il écrivit ces lignes (17 mai), où il lui rend témoignage pour la qualité que lui-même prisait le plus : M. […] Il faudrait dégager çà et là, extraire brièvement de bonnes vues historiques ou des élans oratoires qui sont enterrés dans des questions mortes aujourd’hui. […] Quand un homme a mérite d’être envié à son parti par ceux qui le combattaient, il a touché à la véritable gloire, et sa mort est un deuil jusque dans les rangs où son nom portait la terreur. […] Je ne dirai rien de sa déplorable fin, et de sa mort, à la suite d’un duel, le 24 juillet 1836.
Bref, sans entrer dans les détails du récit qui, d’ailleurs, ne manque pas de grâce et de délicatesse, Regnard et la belle Elvire sont délivrés ; le mari qu’on croit mort est plus qu’oublié. On arrive à Arles dans la famille de la dame, et les deux amants sont prêts à y célébrer leurs noces, quand tout à coup celui qui passait pour mort depuis plus de huit mois, délivré très mal à propos de captivité par des religieux, tombe des nues comme un revenant et un trouble-fête. […] On n’est pas d’accord sur les causes et les circonstances de sa mort. Voltaire l’attribue au chagrin et fait même entendre que cet homme si gai avança ses jours ; d’autres disent qu’il est mort d’indigestion et d’une médecine prise mal à propos.
Sur la mort, il n’avait jamais varié depuis des années, et son espérance devint plus vive et plus sensible à mesure qu’il approchait du terme. Il considérait la mort comme une seconde naissance : « Cette vie est plutôt un état d’embryon, une préparation à la vie. Un homme n’est point né complètement jusqu’à ce qu’il ait passé par la mort. » La fin paisible de ses vieux amis qui avaient vécu en justes lui paraissait comme un avant-goût du bonheur d’un autre monde. […] En le retirant à cette date et en lui épargnant deux ou trois années de plus sur la terre, la Providence lui sauva l’horreur de voir ceux qu’il avait le plus connus et aimés durant son séjour en France, enlevés de mort violente, le bon duc de La Rochefoucauld, Lavoisier, son voisin de Passy Le Veillard, et tant d’autres, tous guillotinés ou massacrés au nom des principes qu’eux-mêmes avaient le plus favorisés et chéris.
Quoique Weber soit mort, circonstance atténuante pour ceux qui sont coupables de génie, on se moque de lui en Allemagne, et depuis trente-trois ans un chef-d’œuvre est exécuté par un calembour ; l’Euryanthe s’appelle l’Ennuyante. […] Ils ont été déchirés vivants, déchiquetés morts. […] Sa cellule était voisine du cachot où était mort Bernard Palissy. […] Un homme est mort, l’injure ne lâche pas prise pour si peu.
L’ennemi, c’est l’élément destructeur, agent de la mort. […] Le sphinx Mort dévore ceux qui n’y répondent pas. […] Pourquoi philosopher sur des textes morts dont aucune vie ne peut sortir ? […] Sa mission, on la lui fit après sa mort pour les besoins de la cause. […] La mort.
Entre la conquête et la mort du roi Jean, ils établirent cinq cent cinquante-sept écoles en Angleterre. […] Quand un Français est trouvé mort dans un canton, les habitants doivent livrer le meurtrier, sinon ils payent quarante-sept marcs d’amende ; si le mort est Anglais, c’est aux gens du lieu d’en faire la preuve par le serment de quatre proches parents du mort. […] Richard fait décapiter trente des plus nobles, ordonne à son cuisinier de faire bouillir les têtes, et d’en servir une à chaque ambassadeur, avec un écriteau portant le nom et la famille du mort. […] voici la Mort terrible, — qui vient pour nous détruire tous ! […] À la mort du roi Étienne, il y avait onze cent quinze châteaux de bâtis.
Quelques pas avaient été faits déjà, mais Niepce était mort sans atteindre le but. […] Et je lui enlève cela pour le donner à l’Ange de la mort. […] Certaines parties de la légende précédant la mort de Siegfried étaient rappelées sous forme de récit. […] Nous avons vu que la transformation et la déviation amenaient souvent de ces morts d’idées. […] Après la mort de Godin l’œuvre a continué à vivre et à prospérer.
Quelques années encore, et l’écumeur de mer sera un Paul Jones, de même que le pirate grec sera un Canaris ; seulement, je ne voudrais pas que le héros au lit de mort eût à la main ce rouleau qui lui avait servi comme d’oreiller, et que, par un effort soudain, au moment d’expirer, il déployât le pavillon national, en s’écriant : « Nous triomphons. » Cela ressemble trop aux morts théâtrales de notre Cirque-Olympique.
on imprime : silence inquiétant, ou encore la mort du czar. Les badauds s’arrachent les feuilles et n’y trouvent qu’un article rétrospectif sur la mort d’Alexandre Ier.
L’auteur de ce drame écrivait, il y a peu de semaines, à propos d’un poète mort avant l’âge : « … Dans ce moment de mêlée et de tourmente littéraire, qui faut-il plaindre, ceux qui meurent ou ceux qui combattent ? […] Nous essaierons, à nos risques et périls et par dévouement aux choses de l’art, de caractériser les mille abus de cette petite inquisition de l’esprit, qui a, comme l’autre saint-office, ses juges secrets, ses bourreaux masqués, ses tortures, ses mutilations, et sa peine de mort.
À ceux qui le blâment d’avoir accepté sur la mort des maris de Lucrèce certaines rumeurs populaires à demi fabuleuses, il répondrait que souvent les fables du peuple font la vérité du poète ; et puis il citerait encore Tacite, historien plus obligé de se critiquer sur la réalité des faits que le poète dramatique : Quamvis fabulosa et immania credebantur, atrociore semper fama erga dominantium exitus. […] Il fera toujours apparaître volontiers le cercueil dans la salle du banquet, la prière des morts à travers les refrains de l’orgie, la cagoule à côté du masque.
Il envoie ses captifs convoquer les hommes du village « Comment va-t-on mettre à mort ces deux là ? […] On a fait un « feu de salve » et les coupables sont morts.
Renan ne songeait plus qu’à se préparer à la mort. […] Aussi esquisserons-nous avec rapidité, une fois encore, les étapes où se forma cette merveilleuse sensibilité que la mort vient d’anéantir.
La mort l’a interrompu. […] Voilà pourquoi nous avons si souvent proclamé le respect que nous inspirait une œuvre contre laquelle nous avons, d’ailleurs, deux objections très graves… Or, un jour que nous avions ici même exprimé nos regrets d’une belle œuvre interrompue par la mort, nous avons reçu (d’une source sûre, mais qu’il importe peu d’indiquer) les notes que Taine avait rédigées sur « l’Association » et qui devaient se placer immédiatement à la suite de son tome II du Régime moderne.
Le vrai Cid, mort en 1099, guerrier renommé du xie siècle, avait en lui toutes les rudesses et les grossièretés de cet âge ; il en avait aussi la moralité, ce qui est peu dire. […] Dès les premiers temps de son bannissement, Rodrigue, après avoir passé quelques semaines à la Cour du comte de Barcelone, qui ne semble pas l’avoir accueilli, se rend à Saragosse, où il entre au service d’un roi maure, Moctadir, de la famille des Beni-Houd, prince ambitieux et perfide, que les scrupules de croyance ne gênaient pas ; et, à sa mort, dans les guerres qui suivirent entre ses fils, il se déclare pour l’aîné, Moutamin, qui avait obtenu Saragosse. […] Câdir étant mort de mort tragique, le Cid, sous couleur de le venger, se mit en guerre contre le gouvernement de Valence et vint assiéger la ville. […] Nous sommes ici à l’époque chevaleresque, tout à la fin du xiie siècle ou au début du xiie ; un siècle entier s’est écoulé depuis la mort du Cid ; un idéal s’est créé à son sujet : il est devenu une figure noble et pure, et même douce autant que fière, un modèle de chevalerie en cette civilisation féodale.
Son Journal commence à la mort de Louis XIV. […] Le dernier tome contient la mort du cardinal Mazarin et celle de la reine avec des circonstances très particulières. […] Mais en voici bien d’une autre : le mort avait déposé, avant de mourir, son testament aux mains de M. de Sacy, avocat au Conseil, avec un autre papier cacheté, et la suscription du testament porte qu’il sera ouvert en présence de ses créanciers. […] C’est d’Olivet qui va nous le dire : « Depuis quarante ans, écrivait-il au président Bouhier en lui annonçant la mort de Marais, il mourait d’envie d’être de l’Académie. […] Une place était devenue vacante par la mort de l’avocat Sacy ; il était question de Montesquieu pour le remplacer (novembre 1727).
Plus d’une fois elle a porté la peine de son zèle et de ses pieux excès : après s’être dévouée à soigner des familles entières dans une épidémie de fièvre typhoïde qui sévit dans la contrée en 1839, elle tomba malade elle-même et faillit succomber : D’autres fois, après avoir surmonté toutes ses nausées auprès de certains malades, après avoir fait l’impossible en constance, en patience, en refoulement de toutes les délicatesses, la nature à la fin se révolte et se revanche ; il y a un lendemain ; et le devoir accompli, le malade soigné, le mort enseveli, la courageuse infirmière est demeurée des huit jours entiers le cœur soulevé, rassasié, sans pouvoir prendre presque aucune nourriture : elle a eu le contrecoup de son dévouement. […] Se figure-t-on, à la mort du mari, cette femme qui a assisté à la composition de l’œuvre, qui y a prêté son attention, quelquefois sa plume, qui a été la confidente, l’auxiliaire, le secrétaire par moments d’un mari distingué ou illustre, se la figure-t-on privée d’un droit utile et cher, et voyant un étranger s’en emparer légalement après un laps de temps déterminé ? […] Les lois ou décrets, qui s’étaient succédé depuis le point de départ du 19 juillet 1793 jusqu’à la dernière loi du 8 avril 1854, avaient porté de dix ans à vingt, puis à trente, le droit des enfants des auteurs, à dater de la mort de l’auteur ou de sa veuve, s’il laissait une veuve. L’auteur mort célibataire ne laissait qu’un droit de dix ans après sa mort.
M.d’Hauterive, archiviste des Affaires étrangères, était mort pendant les journées mêmes de Juillet ; M.Molé, en arrivant au ministère, nomma aussitôt M.Mignet au poste vacant. […] Une seule fois, en 1833, il fut chargé d’une mission de confiance pour l’Espagne, à la mort de Ferdinand VII, et il alla porter à notre ambassadeur, M.de Rayneval, le mot du changement de politique dans les circonstances nouvelles que créait le rétablissement de la succession féminine. Cette excursion exceptée, les principaux événements de sa vie sont tout littéraires : nommé de l’Académie des Sciences morales lors de la fondation en 1832, élu de l’Académie française comme successeur de M.Raynouard en 1836, il fut de plus choisi pour secrétaire perpétuel de la première de ces académies, à la mort de M.Comte, en 1837. […] Il l’a hautement prouvé et par ce livre de la Révolution, et par l’admirable tableau qu’il a donné des événements de Hollande et de la mort des frères de Witt dans le Recueil sur Louis XIV. […] Si la mort, qui frappe à coups pressés dans les rangs des mêmes générations, ne met pas toujours de la variété dans ses choix et apporte inévitablement quelque monotonie dans l’ordre des sujets qui se succèdent, elle fait passer aussi un à un devant l’historien-orateur les principaux représentants de toutes les grandes idées qui ont eu leur jour.
Est-ce dans un temps où il suffit de vivre pour être entraîné par le mouvement universel, où jusqu’au sein même de la tombe le repos peut être troublé, les morts jugés de nouveau, et leurs urnes populaires tour à tour admises ou rejetées dans le temple où les factions croyaient donner l’immortalité ? […] Ne serait-il pas possible que le genre humain, témoin et victime de ce principe de haine, de ce germe de mort qui a détruit tant d’États, pût chercher et trouver la fin du combat de l’aristocratie et de la démocratie, et qu’au lieu de s’attacher à la combinaison d’une balance, qui par son avantage même, par la part qu’elle accorde à la liberté, finit toujours par être renversée : on examinât, si l’idée moderne du système représentatif n’établit pas dans le gouvernement, un seul intérêt, un seul principe de vie, en rejetant toutefois tout ce qui peut conduire à la démocratie ? […] Désirer une révolution, c’est dévouer à la mort l’innocent et le coupable ; c’est, peut-être, condamner l’objet qui nous est le plus cher ! […] Attendez, vous, génération contemporaine, éloignez encore de vous les haines, les proscriptions et la mort ; nul devoir ne pourrait exiger de tels sacrifices, et tous les devoirs, au contraire, font une loi de les éviter. […] Et cette plainte sublime échappée à Brutus dans les champs de Philippes, doit-elle égarer la vie, ou commander de se donner la mort ?
Ainsi, pour le premier quart du siècle qui précède la Révolution, la peinture, bien loin d’être trop forte, est trop faible, et l’on va voir que pendant un demi-siècle et davantage, jusqu’à la mort de Louis XV, elle demeure exacte ; peut-être même, au lieu de l’atténuer, faudrait-il la charger. […] Je n’y vois qu’une misère effroyable ; ce n’est plus le sentiment triste de la misère, c’est le désespoir qui possède les pauvres habitants : ils ne souhaitent que la mort et évitent de peupler… On compte que par an le quart des journées des journaliers va aux corvées, où il faut qu’ils se nourrissent : et de quoi ? […] Ailleurs, les ouvriers, journaliers et manœuvres ayant été obligés de vendre leurs effets et leurs meubles, plusieurs sont morts de froid ; la nourriture insuffisante et malsaine a répandu des maladies, et dans deux élections on en comte trente-cinq mille à l’aumône623. […] Dans tel village de Normandie, presque tous les habitants, sans en excepter les fermiers et les propriétaires, mangent du pain d’orge et boivent de l’eau, vivent comme les plus malheureux des hommes, afin de subvenir au payement des impôts dont ils sont surchargés. » Dans la même province, à Forges, « bien des malheureux mangent du pain d’avoine, et d’autres du son mouillé, ce qui a causé la mort de plusieurs enfants630 ». […] Dans les correspondances manuscrites, je vois les syndics et maires de village estimer la quantité des subsistances locales, tant de boisseaux dans les greniers, tant de gerbes dans les granges, tant de bouches à nourrir, tant de jours jusqu’aux blés d’août, et conclure qu’il s’en faut de deux, trois, quatre mois pour que l’approvisionnement suffise. — Un pareil état des communications et de l’agriculture condamne un pays aux disettes périodiques, et j’ose dire qu’à côté de la petite vérole qui, sur huit morts, en cause une, on trouve alors une maladie endémique aussi régnante, aussi meurtrière, qui est la faim.
Il était mort, semble-t-il, avant la fin de l’an 1305. […] La mort chasse tous les individus, et finit par les prendre. […] A la mort qui tend sans cesse à l’éteindre, elle oppose la génération qui tend sans cesse à l’accroître, et sa perpétuité se fonde sur l’équilibre des deux forces en conflit. Ainsi l’amour est, selon l’intention de la nature, le vainqueur de la mort, c’est la source, le fondement, le pivot de la vie universelle. […] La grossièreté cynique de ses images ne doit pas nous arrêter : il y a de la grandeur dans la façon dont il a traduit par le lourd martèlement et l’insistance rude de son style l’effort de la nature réparant incessamment la mort par la naissance.
Les belles mortes nous appellent du haut de leur cadre-doré ou nous sourient de leur bouche de marbre. […] Il y a comme un aveu d’impuissance dans le renoncement d’un Sully Prudhomme, L’heure est venue des pâmoisons sans conséquence et, comme dit Corbière, « des petites morts pour rire ». […] La conviction de Stuart Merrill est que « les morts sont bien morts ». […] et où il attend « le seul baiser maternel de la mort ».
L’extrême réflexion amène ainsi fatalement une sorte d’affadissement et de scepticisme léger, qui serait la mort de l’humanité, si elle y trempait tout entière. […] Toute doctrine, comme toute institution, porte en elle le germe de vie et le germe de mort. Appelée à vivre par sa vérité, elle développe parallèlement un principe de mort qui devient avec le temps intolérable et la tue. […] Ce sont là au succès d’invincibles obstacles ; il faut ne pas penser ou ne pas dire sa pensée ; il faut user tellement sa personnalité, qu’on n’existe plus ; songer toujours à dire, non pas ce qui est, mais ce qu’il convient de dire ; s’enfermer en un mot dans un cercle mort de conventions et de mensonges officiels. […] Ce peuple semblait résigné à la mort, il avait perdu toute conscience et ne comptait plus comme individualité dans le monde, quand un groupe incomparable de génies, Gœthe, Schiller, Kant, Beethoven sont venus le révéler à lui-même.
On peut compter les pièces où elle manque : Athalie, la Mort de César, quelques tragédies de Marie-Joseph Chénier font exception à la règle générale ; mais ces exceptions sont bien rares. […] Amour chevaleresque et héroïque, amour platonique et éthéré, amour léger et à fleur d’âme, amour passionné et fort comme la mort, amour sensuel et libertin, amour ingénu et délicat, amour fougueux et volage, à la hussarde, amour dégénérant en un duel entre les deux sexes, amour coupable et perverti, amour avant, pendant et hors le mariage…, que de variétés voisines, mais distinctes ! […] Dans la Chanson de Roland, sa fiancée, la belle Aude, apparaît à peine et c’est pour mourir subitement en apprenant la mort du vaillant capitaine. Cette mort sans phrases a, d’ailleurs, sa grandeur et sa délicatesse. […] Elle préside des débats sur des questions graves comme celles-ci : — Vaut-il mieux perdre sa dame par son mariage avec un autre ou par la mort ?
L’homme primitif, dans son désir de survie, nie le fait de la mort naturelle : il n’y voit qu’un changement de condition et l’explique de mille façons ingénieuses, naïves ou grossières. La horde primitive retrouve et vénère son chef mort dans le lion qui le dévora et qui, franchissant la nuit le cercle de feu où elle s’endort, prélève sa dîme sur les anciens serviteurs. […] À la mort naturelle, qui vient à son heure par usure de l’organisme, il a substitué, par le fait de l’intervention médicale, d’innombrables causes de mort lente, d’innombrables maladies diverses. […] Comme la philosophie, comme l’effort industriel, l’effort de l’homme pour se guérir et se défendre contre la mort, a atteint un but différent de celui qui était visé.
La mort est partout. […] Il a déjà vu la mort de si près qu’il la dédaigne. […] Il est à remarquer à ce sujet que la mort, et une mort tragique, est un expédient trop commode, une ressource trop aisée pour tirer d’embarras les romanciers. […] Et que ferez-vous donc des képis de ceux qui sont morts à Buzenval ? […] Le mort est encore plus tenace que les vivants.
L’Égyptien, sujet de Chéphrem, qui est mort en construisant les pyramides, a plus vécu que celui qui a coulé des jours inutiles sous ses palmiers. […] Platon ne me paraît pas recevable quand il soutient que la mort est un bien, l’état philosophique par excellence. […] Un sommeil d’un milliard de siècles ou un sommeil d’une heure, c’est la même chose, et, si la récompense que je rêve nous est accordée, elle nous fera l’effet de succéder instantanément à l’heure de la mort. […] L’idée n’en a pas ; elle est l’immatériel pur ; ni le temps ni la mort ne peuvent rien sur elle. […] « Je crois qu’en pareille matière le témoignage des morts est peu de chose.
La fable de la Mort et du Bûcheron peint assez bien l’état d’esprit de l’humanité. […] Léopardi est mort en 1837. […] Phénomène analogue à cet autre, et qui a peut-être beaucoup contribué à la croyance à l’immortalité de l’âme, à celui-ci : que nous ne pouvons nous concevoir morts qu’en pensant à cette mort, qu’en la sentant, qu’en la voyant. […] La cause de la mort serait la différenciation qui produit des chocs, des réactions, des usures. […] Si on débarrassait l’arbre de toute la mousse, de tout le bois mort !
que m’importe ou la mort ou la vie ? […] Il est mort, et il nous semble que tous les jours nous l’entendons parler. […] La mort l’avait pris doucement dans son sommeil. […] Après la mort de Musset, elle songea à la publier, mais Sainte-Beuve la détourna de son projet (1861). […] Sainte-Beuve est mort le 13 octobre 1869.
Ô mort morale ! […] Ils suivent les armées de l’Empire, comme des corbeaux, pour dépouiller les morts. […] Fantine meurt dans la nuit ; cette mort jette plus de désordre encore dans la tête de M. […] C’est un chapitre de la mort de Socrate, quelque chose d’héroïque. […] S’il s’agit de Fantine, quel était donc l’asile plus miséricordieux et plus approprié à la situation où la société pût préparer une meilleure mort à une fille sans asile ?
« Celle belle action serait toujours demeurée ignorée, si les gens d’affaires de Montesquieu n’eussent trouvé, après sa mort, une note écrite de sa main, indiquant qu’une somme de sept mille cinq cents francs avait été envoyée par lui à M. […] Il était, à vingt ans de distance, aussi mort et aussi oublié que le passé lui-même. […] Qu’est-ce que cet usurpateur sur la mort duquel la famille qu’il a renversée du trône verse des larmes ? […] Il bâtit une infinité de villes, et il y cimenta si bien toutes les parties de ce nouvel empire, qu’après sa mort, dans le trouble et la confusion des plus affreuses guerres civiles, après que les Grecs se furent, pour ainsi dire, anéantis eux-mêmes, aucune province de Perse ne se révolta. […] « Le spectacle de la mort de Virginie immolée par son père à la pudeur et à la liberté fit évanouir la puissance des décemvirs.
On le respectait ; mais cette obstination à marcher seul dans sa voie inspirait une certaine crainte ; si bien que le jour où on le trouva mort sur le sol de sa cabane, la terreur fut grande alentour. […] Je n’oublierai jamais le soir où l’on vint m’avertir qu’on l’avait trouvé mort au bord du chemin de Langoat. […] On l’enterra ; le curé me dit de bien bonnes paroles sur la mort de ces vagabonds, dont le cœur n’est pas toujours aussi loin de Dieu que l’on pourrait croire. » Pauvre oncle Pierre ! […] Un matin, on le trouva mort dans sa pauvre chambre, au milieu de ses livres empilés. […] Le sujet était la mort de Louis XVI.
Nous ne faisons que porter le nom de notre grand-père, un avocat, membre de la Constituante de 89 ; le nom de notre père, un des plus jeunes officiers supérieurs de la Grande Armée, mort à quarante-quatre ans des suites de ses fatigues et de ses blessures, des sept coups de sabre sur la tête d’une action d’éclat en Italie, de la campagne de Russie faite tout du long avec l’épaule droite cassée, le lendemain de la Moskowa. […] Enfin, puisque le théâtre n’est pas encore mort et qu’il a peut-être devant lui la durée cahin-caha, qu’on prête à cette heure à la religion catholique, moi qui ne crois pas au théâtre naturaliste, au transbordement, dans le temple de carton de la convention, des faits, des événements, des situations de la vraie vie humaine : voici ma conviction. […] La mort du héros, un écrivain qui mourrait des attaques de la presse, on la rejetait « comme la mort d’une sensitive ». Depuis, j’ai pu juger que cette mort n’était pas aussi invraisemblable qu’elle le paraissait à mes auditeurs. […] Mais la guerre était si promptement déclarée, et le cataclysme si rapide… puis mon frère était mort au mois de juin.
Edmond Pilon concluait : Notre grand poète est mort. […] Il songea au mort qui, avant de dormir dans ce cercueil de basalte, avait vécu heureux parmi les acacias, les dattiers et les sycomores. […] On maudissait généralement les années comprises entre 395, date de la mort de Théodose, et 1453, date de la prise de Constantinople par le sultan Mahomet. […] Nous ne confondons plus dans une même définition les siècles qui ont suivi cette fameuse mort de Théodose. […] Elle avait oublié l’enfant, parce qu’on venait de lui apprendre la mort de son époux, et qu’elle était dolente.