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1590. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Madame Émile de Girardin. (Poésies. — Élégies. — Napoline. — Cléopâtre. — Lettres parisiennes, etc., etc.) » pp. 384-406

Représentez-vous à une grande soirée de la duchesse de Duras, ou mieux à une brillante matinée du château de Lormois, chez la duchesse de Maillé, en plein soleil d’été, cette enfant rieuse, avec sa profusion de cheveux blonds et ce luxe de vie qui donne la joie, échappée dans le parc, bondissant et courant, puis rappelée tout à coup, et dans le plus élégant des salons, devant le plus recherché des mondes, récitant des vers d’un air grave, avec un front d’inspirée, un profil légèrement accusé de Muse antique, avec un timbre de voix précis et sonore, récitant ou un chant de Madeleine, ou son élégie (tant de fois refaite) sur Le Bonheur d’être belle, et dites s’il n’y avait pas de quoi rendre les armes et de quoi être ébloui. […] Tout l’enfer s’alluma dans son cœur agité… Napoline pourtant est femme, et elle se contient dans le premier moment : …………………… Elle cause, elle rit ; Comme une femme heureuse, elle fait de l’esprit ; Elle jette des mots piquants ; chacun l’écoute ; Elle est un peu moqueuse et méchante, sans doute ; Son esprit excité venge son cœur souffrant : Le mal que l’un reçoit, c’est l’autre qui le rend. […] … il nous rend comme lui-même ; il nous poursuit sans cesse de son ironie, il nous atteint au cœur ; son incrédulité nous enveloppe, sa frivolité nous dessèche ; il jette son regard froid sur notre enthousiasme, et il l’éteint : il pompe nos, illusions une à une, et il les disperse ; il nous dépouille, et quand il nous voit misérables comme lui, faits à son image, désenchantés, flétris, sans cœur, sans vertus, sans croyance, sans passions, et glacés comme lui, alors il nous lance parmi ses élus, et nous dit avec orgueil : Vous êtes des nôtres, allez ! […] Ces cris du premier poète expirant, que Napoline nous rend à l’état d’emblème et de demi ironie, on les trouverait encore avec un peu de sagacité, et sous forme directe, dans les pièces de vers intitulées Découragement, Désenchantement, Désespoir, dans les vers à Mme la marquise de La B… Ces élégies mises à la suite et isolées de ce qui les entoure, donneraient une espèce de fil d’Ariane, s’il en était besoin dans un labyrinthe qui n’en est pas un ; ici le fil d’Ariane est peu nécessaire, et il est assez vite brisé.

1591. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « L’abbé de Choisy. » pp. 428-450

Le pauvre homme, enfin, avec de l’esprit et bien des qualités aimables, était plus qu’en chemin de se rendre à tout jamais ridicule et méprisable dans la société, quand il commença à faire quelques réflexions sérieuses, auxquelles une maladie grave vint prêter appui. […] Basset, saisira très bien, tout à côté, et nous rendra d’une manière charmante l’art et l’esprit habile des Jésuites qui, à peine débarqués dans un endroit, au cap de Bonne-Espérance ou à Batavia, chez les Hollandais protestants, se hâtent d’établir leur observatoire et de se faire bien venir en mettant du premier jour leur science, leurs lunettes astronomiques, au service de la curiosité populaire : « Ils vont dresser leurs machines, dit Choisy, pour au moins payer leur hôte avec un peu de Jupiter et de Mercure. » Et il ajoute comme moralité : « C’est une bonne chose, par tout pays, que l’esprit. » Pourtant, cette nature fine et mobile de Choisy a bien saisi, par éclairs, le vrai sentiment de l’inspiration apostolique. […] Ce voyage de Siam réhabilita jusqu’à un certain point l’abbé de Choisy dans l’opinion et acheva de le rendre singulier, mais d’une singularité moins compromettante que celle qu’il s’était faite dans sa jeunesse. […] Ses yeux creux, ses sourcils épais et noirs, lui faisaient une mine austère, et lui rendaient le premier abord sauvage et négatif ; mais, dans la suite, en l’apprivoisant ; on le trouvait assez facile, expéditif et d’une sûreté inébranlable.

1592. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Hégésippe Moreau. (Le Myosotis, nouvelle édition, 1 vol., Masgana.) — Pierre Dupont. (Chants et poésies, 1 vol., Garnier frères.) » pp. 51-75

Moreau ressentait vivement les tortures secrètes de cette pauvreté que La Bruyère a si bien peinte, et qui rend l’homme honteux, de peur d’être ridicule. […] aux mauvais jours, Dieu te rendra ton pain. » — Dieu me le doit toujours ! […] Le caractère propre de la muse populaire, c’est qu’elle soit avant tout pacifique, consolante, aimante ; que la chanson de chaque métier, par exemple, en exprime la joie, l’orgueil même et la douce satisfaction ; qu’elle en accompagne et en soulage le labeur ; qu’elle en marque les moments et les rende plus égayés et plus légers. […] Pierre Dupont aussi a bien compris et vivement rendu cet esprit de joie, d’émulation et de sympathie, dans sa Chanson de la soie, dans celle du Tisserand et dans d’autres.

1593. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Correspondance entre Mirabeau et le comte de La Marck (1789-1791), recueillie, mise en ordre et publiée par M. Ad. de Bacourt, ancien ambassadeur. » pp. 97-120

Je ne ferai que peu de remarques sur ce premier effet que Mirabeau produisit sur les convives, et qui nous est si visiblement rendu ; je ne me permettrai que d’expliquer et de commenter deux ou trois traits, ainsi que l’expression de ridicule qui échappe quelques lignes plus bas, et qui est appliquée à l’extérieur de Mirabeau. […] Je ne suis point homme à me rendre lâchement au despotisme. […] Vos grandes qualités ont besoin de mon impulsion ; mon impulsion a besoin de vos grandes qualités ; et vous en croyez de petits hommes qui, pour de petites considérations, par de petites manœuvres et dans de petites vues, veulent nous rendre inutiles l’un à l’autre, et vous ne voyez pas qu’il faut que vous m’épousiez et me croyiez, en raison de ce que vos stupides partisans m’ont plus décrié, m’ont plus écarté ! […] Il sent bien qu’on ne s’y rend pas : « On m’écoute avec plus de bonté que de confiance ; on met plus d’intérêt à connaître mes conseils qu’à les suivre. » Bien souvent l’impatience le prend, et même le mépris pour cet aveuglement royal : « On dirait que la maison où ils dorment peut être réduite en cendres sans qu’ils en soient atteints ou seulement réveillés. » À quoi M. de La Marck lui répond : « Vous les conseillez trop comme s’ils avaient une partie de votre caractère.

1594. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « L’abbé Maury. Essai sur l’éloquence de la chaire. (Collection Lefèvre.) » pp. 263-286

La Harpe lui-même, qui, à cette époque, n’avait lu de Bossuet que les Oraisons funèbres et l’Histoire universelle, résistait à ce jugement sur l’ensemble des Œuvres, et il ne s’y rendit que plus tard. […] J’aurai assez à le critiquer d’ailleurs, pour ne pas craindre de lui rendre ici une justice qui lui est pleinement due. […] Maury s’excuse encore de quelques conseils qu’il donne sur le propos des enfants gâtés : « Ne rendez pas ce mauvais service à votre aîné, et excusez le prêcheur Ragotin, prédicateur de grand chemin, qui se permet de vous ouvrir ainsi son cœur sans aucune réserve. » Cet abbé de Boismont, qu’était allé voir l’abbé Maury en Normandie, était riche bénéficier et de plus académicien. […] Ainsi, dans la discussion du décret sur le serment du clergé, décret que la résistance des évêques rendait inévitable, toute la tactique de l’abbé Maury prenant la parole dans la séance du 28 novembre 1790 consistait à se faire interrompre par la gauche, à soulever des murmures et des clameurs pour pouvoir prétexter la violence : Alexandre Lameth, dit le marquis de Ferrières, occupait le fauteuil ; il maintint, pendant la discussion, le plus grand calme et le plus profond silence.

1595. (1899) Esthétique de la langue française « Le cliché  »

Le vers français se fait par le procédé que les régents enseignent avec fruit pour le vers latin ; on a des principes ; on sait que « les épithètes sont destinées à rendre le discours plus énergique » et « qu’elles produisent un ornement sensible dans le style, pourvu qu’elles soient bien ménagées et qu’on en use avec discrétion, sans émousser le goût en les multipliant trop ». […] La mémoire visuelle rend les hommes indociles ; la mémoire littérale dispose à la passivité. […] Expression dont Virgile se sert pour rendre plus touchante la douleur d’un jeune guerrier qui meurt loin de sa patrie. […] Ces malheureux, dévorés par le verbalisme, possèdent encore, outre ceux qui sont immortels, toute une série de principes, tels que : le principe sur lequel tout roule — le principe solidement assis — le principe posé trop légèrement — le principe inflexible — le principe qui a germé d’une manière féconde » ; ils détiennent aussi « l’hommage rendu aux principes, l’étrange aberration de principes, les principes sacrés, et les principes consacrés ».

1596. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre I. La critique » pp. 45-80

Qu’elle n’attende pas qu’on lui rende sa place, qu’elle la réclame et qu’elle la prenne. […] Cela le rend bien sympathique. […] » Ces paroles sont excellentes, mais prenons garde cependant qu’elles ne nous rendent injustes. […] Il faut toujours tendre à la perfection, et alors cette justice qui nous est refusée par nos contemporains, la postérité sait nous la rendre… » Certes, nous croyons défendre aussi la pensée classique et la tradition française, de clarté, de sobriété et de mesure, ce qui ne veut pas dire que nous louerons les pâles épigones et les imitateurs et les plagiaires27.

1597. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Révolution française »

Ils savent que dans les races d’idées c’est comme dans les races physiologiques, et qu’on peut dire à tout être, à toute chose, à toute créature : « Que je sache d’où tu viens et je saurai ce que tu vaux. » Si, comme on le verra, Cassagnac a réussi, il a rendu le plus grand service que, dans les circonstances présentes, un écrivain isolé pût rendre à la cause de l’Ordre et du Pouvoir, et il a bien mérité des gouvernements de l’Europe. […] Et il n’a rien accepté de ce compte rendu terrible : ni la politique, ni les finances, ni la guerre, ni la législation, ni l’organisation des armées. […] Les dangers menaçants des temps actuels rendent grossier et brutal aux choses délicates du génie.

1598. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Philarète Chasles » pp. 147-177

Je n’ai point à entrer dans les détails de ce procès où l’autorité religieuse fit sa fonction, ce qui la rend irréprochable, n’étant jamais solidaire que des crimes qu’elle ne punit pas. […] — mais la bonté dans les œuvres et les petits services que la bonté peut rendre à l’humanité, comme si la beauté montrée aux hommes, en élevant leurs âmes, ne leur en rendait pas un très grand ! […] Il y aura perdu les yeux, sans doute ; et c’est cela qui l’a rendu aveugle au catholicisme de Balzac !

1599. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVIII. Des obstacles qui avaient retardé l’éloquence parmi nous ; de sa renaissance, de sa marche et de ses progrès. »

Les dialectes sauvages du nord qui y dominaient rendaient la plupart de ses sons durs et barbares. On ne l’ignore point : c’est la douceur du climat, c’est la molle souplesse des organes, c’est la politesse des mœurs, c’est le désir de plaire en flattant l’âme et l’oreille par l’expression d’un sentiment doux, qui polit les langues, et les rend souples et harmonieuses. […] Outre la communication que les Français eurent d’abord avec les Grecs comme le reste des croisés, dans la suite ils se rendirent maîtres de Constantinople, et y fondèrent un nouvel empire, qui subsista près de soixante ans. […] Elle devait encore réparer ces pertes dans notre siècle, par un grand nombre de termes que la connaissance générale de la philosophie, des sciences et des arts, a répandus parmi nous, et qu’elle a rendus, depuis trente ans, familiers à la nation.

1600. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre V. Comment finissent les comédiennes » pp. 216-393

Mémorable arrêt celui-là, mais il était rendu trop tard. […] Quant à Préville, ne parlons pas de Préville, ou plutôt parlons-en, rien que pour rendre heureux celui qui en parle. […] Grande et sage habileté du conteur, qui, à force de terreur et de pitié dans la préface de ses contes, a rendu tout excusable. […] Les comédiens du Théâtre-Français n’auraient pas seulement besoin qu’on leur rendît les habits de la cour de Louis XIV, il faudrait encore leur rendre la taille, le visage, le pied, les mains, la jambe, la démarche de ces beaux petits messieurs qui posaient complaisamment devant Molière. […] Il se laisse bander les yeux, et conduire à ce rendez-vous, comme un enfant.

1601. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. Mignet : Histoire de la Révolution française, depuis 1789 jusqu’en 1814. 3e édition. »

Il semble que la vraie destination, le rendez-vous naturel de tels esprits ne puisse être que la philosophie ou la science, et que dans l’une ou l’autre seulement, ils puissent se donner satisfaction ou du moins carrière. […] Le dirai-je enfin, pour rendre toute ma pensée ?

1602. (1874) Premiers lundis. Tome I « A. de Lamartine : Harmonies poétiques et religieuses — II »

Cette manière de comprendre les diverses heures du jour, l’aube, le matin, le crépuscule, d’interpréter la couleur des nuages, le murmure des eaux, le bruissement des bois, nous était déjà obscurément familière avant que le poète nous la rendît vivante par le souffle harmonieux de sa parole. […] La Bénédiction de Dieu dans la solitude unit à cette belle réalité de notre sol et de notre nature une sorte de religion salubre qui passe de tous les objets à l’âme, qui la pénètre et la rend saine.

1603. (1874) Premiers lundis. Tome II « La Revue encyclopédique. Publiée par MM. H. Carnot et P. Leroux »

Si, par ces deux Chambres, organes de deux intérêts divers, il entendait seulement : 1° une Chambre représentant plus particulièrement la propriété, l’âge, les grands services rendus au pays, l’illustration acquise, tout ce qui fait qu’on se rattache plus ou moins directement à la conservation ; 2° une Chambre active, énergique, renouvelée souvent, retrempée dans le peuple, sans aucun cens d’éligibilité, résultant de l’adjonction des capacités et d’un cens électoral très bas, que chaque progrès nouveau, apporté dans l’instruction et la moralité des masses, permettrait de baisser encore ; si M.  […] Ces fréquentes mystifications ont dû rendre circonspects et le public qui s’est fatigué, et la philosophie qui se cherche encore.

1604. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre VII. Éducation de la sensibilité »

Éducation de la sensibilité Il peut arriver que des natures brutes et incultes, dans une violente agitation, rendent avec facilité ce qu’elles éprouvent, mais cela est rare. […] Il y a toute une éducation de la sensibilité, qui met de l’ordre et des nuances dans le chaos des émotions, qui surtout rend nettes et perceptibles les impressions confuses et faibles, qui développe le tact de l’âme, et fait qu’au plus léger attouchement elle frémit de joie et de peine, enregistrant les moindres phénomènes comme un instrument délicat.

1605. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre V. Transition vers la littérature classique — Chapitre II. La langue française au xvie siècle »

Ce soudain grossissement et cette régularisation téméraire eurent pour premier effet de rendre la langue plus trouble. […] Il les rendra plus denses, en leur retranchant du volume : il donnera une structure artistique à la masse inorganique du vers et de la phrase.

1606. (1887) Discours et conférences « Discours lors de la distribution des prix du lycée Louis-le-Grand »

Vos triomphes d’hier me rendent fier d’un tel choix. […] La joyeuse ivresse du vin nouveau de la vie, qui vous rend sourds aux plaintes pusillanimes des découragés, est donc légitime, jeunes élèves.

1607. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre V : Rapports du physique et du moral. »

C’est une transition qu’on ne rend pas exactement en parlant d’un passage de l’extérieur à l’intérieur ; car c’est encore là un changement qui ne se produit que dans la sphère de l’étendue. […] Il y a là une incompatibilité dont on se rend mieux compte en se demandant si les hommes d’une extrême sociabilité sont des penseurs profonds ou originaux, s’ils font de grandes découvertes ; ou bien si leur grandeur ne se borne pas aux sphères où la sensibilité joue un rôle — la poésie, l’éloquence, l’influence sociale. » Voilà bien des questions posées et qu’aujourd’hui nul assurément ne peut tenter de résoudre.

1608. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Aristophane, et Socrate. » pp. 20-32

Averti du jour où l’on devoit les représenter, il se rend le premier au spectacle, s’y place de façon à pouvoir être vu de tout le monde, applaudit aux endroits qui faisoient le plus rire à ses dépens, se lève plusieurs fois, afin de se montrer à des étrangers qui demandoient à le voir, & ne sort que le dernier de l’assemblée. […] le rendez-vous de la licence effrénée.

1609. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Bayle, et Jurieu. » pp. 349-361

Ses ouvrages sont un mélange de bon & de mauvais, qui en rend la lecture dangereuse à ceux qui n’ont pas l’esprit formé. […] Quelques propos qu’il a tenus, & qu’on n’a pas oubliés, font ce qui rendit sa croyance problématique.

1610. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 21, du choix des sujets des comedies, où il en faut mettre la scene, des comedies romaines » pp. 157-170

La comedie ne sçauroit donc rendre le ridicule de ses personnages trop sensible aux spectateurs. […] Leur nom venoit de taberna qui signifioit proprement un lieu de rendez-vous propre à rassembler les personnes de conditions differentes qui joüoient un rolle dans ces pieces.

1611. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 7, nouvelles preuves que la declamation théatrale des anciens étoit composée, et qu’elle s’écrivoit en notes. Preuve tirée de ce que l’acteur qui la recitoit, étoit accompagné par des instrumens » pp. 112-126

Le son des instrumens n’étoit pas donc un son continu durant les dialogues, comme peut l’être le son de nos accompagnemens, mais il s’échappoit de tems en tems pour rendre à l’acteur le même service que C. […] Il suffit que ces écrits qui sont très-anciens aïent été composez quand les théatres étoient encore ouverts, pour rendre les faits que j’appuïe de leur témoignage, des faits averez.

1612. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 14, de la danse ou de la saltation théatrale. Comment l’acteur qui faisoit les gestes pouvoit s’accorder avec l’acteur qui récitoit, de la danse des choeurs » pp. 234-247

Il est vrai que l’habitude d’assister aux spectacles l’avoit rendu si délicat qu’il trouvoit à redire même aux infléxions et aux accords faux lorsqu’on les repetoit trop souvent, quoique ces accords produisent un bon effet lorsqu’ils sont menagez avec art. […] Nous nous figurons d’abord les choeurs immobiles de l’opera, composez de sujets dont la plûpart ne sçavent point même marcher, rendre ridicules par une action gauche les scénes les plus touchantes.

1613. (1860) Ceci n’est pas un livre « Les arrière-petits-fils. Sotie parisienne — Premier tableau » pp. 180-195

… « Le rôle de Crispin a été rendu de la façon la plus remarquable par Thiron… » Crispin ! […] Dieu vous le rendra.

1614. (1912) L’art de lire « Chapitre X. Relire »

Si nous voulons travailler nous-mêmes, rien, évidemment, n’est plus utile ; mais, même si nous n’avons pas cette intention, surprendre quelques secrets de l’art est s’affiner singulièrement l’esprit, ce qui est déjà un plaisir, et le rendre capable de mieux, de plus sûrement, de plus finement juger l’auteur que demain nous lirons pour la première fois. […] J’aimais les romans à vingt ans, Aujourd’hui je n’ai plus le temps ; Le bien perdu rend l’homme avare ; J’y veux voir moins loin mais plus clair : Je me console de Werther, Avec la reine de Navarre.

1615. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre XI. Première partie. Conséquences de l’émancipation de la pensée dans la sphère des idées religieuses » pp. 315-325

Une parole, mais c’est la parole même de Dieu, une parole rend la victime présente pour être immolée de nouveau. […] Il s’agissait de délivrer un tombeau, le tombeau de celui qui racheta la nature humaine, le seul tombeau qui n’aura rien à rendre à la fin des temps, pour me servir d’une belle expression de M. de Chateaubriand.

1616. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Μ. Jules Levallois » pp. 191-201

La liberté morale, comme il dit, et à laquelle il tient comme un monsieur de ces derniers temps, sa liberté morale prend la force des chênes au pied des chênes, et le rend plus apte à servir les hommes et à se dévouer à leur bien-être et à leur grandeur. […] Croire que la contemplation des choses naturelles, que la solitude dans les bois ou sur les rivages a cette puissance de retremper la volonté, viciée en son principe, dans l’homme, et de le rendre un être moral plus fort et plus profond qu’avant de se promener sur ce rivage et dans ces bois, s’imaginer qu’on devient vertueux par l’influence du paysage, c’est la rêverie et l’illusion de quelqu’un qui aime mieux la nature qu’il ne comprend l’humanité.

1617. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Le Docteur Véron »

« Je suis de ceux, — nous dit Véron, — je suis de ceux qui peuvent sans adulation rendre cette justice éclatante à l’élu de huit millions de suffrages !  […] Véron, disons-le à son honneur, au reste, a rendu fausse la fameuse phrase : « le moi est haïssable », de Pascal.

1618. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre premier. De la louange et de l’amour de la gloire. »

Mais quelquefois aussi c’est l’hommage que l’admiration rend aux vertus, ou la reconnaissance au génie ; et sous ce point de vue, elle est une des choses les plus grandes qui soient parmi les hommes : d’abord, par son autorité, elle inspire un respect naturel pour celui qui la mérite et qui l’obtient ; par sa justice, elle est la voix des nations qu’on ne peut séduire, des siècles qu’on ne peut corrompre ; par son indépendance, l’autorité toute-puissante ne peut l’obtenir, l’autorité toute-puissante ne peut l’ôter ; par son étendue, elle remplit tous les lieux ; par sa durée, elle embrasse les siècles. […] Soit intérêt, soit justice, on a donc partout rendu des honneurs aux grands hommes ; et de là les statues, les inscriptions, les arcs de triomphe ; de là surtout l’institution des éloges, institution qui a été universelle sur la terre.

1619. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre VII. D’Isocrate et de ses éloges. »

Il est difficile que dans les plus beaux temps de la Grèce, on ait rendu ces honneurs à un homme médiocre ; d’un autre côté, Aristote n’en parlait qu’avec mépris : Il est honteux de se taire, disait-il, lorsqu’Isocrate parle. […] Athènes et Lacédémone se disputaient l’empire de la Grèce ; elles se déchiraient pour commander, et la Perse profitait de leurs divisions pour les rendre esclaves.

1620. (1892) Les idées morales du temps présent (3e éd.)

quoi, le culte à rendre à Dieu, c’est donc une espèce de flirt avec une chimère ? […] Il faut rendre à M.  […] Parmi les idées qui t’assaillent, il en est qui rendent cette âme moins capable d’aimer, moins capable de vouloir. […] et celle du soldat Petrouchka, dont le fifre rend le courage aux défenseurs de Bayazed ? […] en relisant les comptes rendus de certaines causes célèbres, surtout quand ces comptes rendus, comme par exemple ceux de M. 

1621. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre I. Les origines. — Chapitre III. La nouvelle langue. » pp. 165-234

Son père Calchas la redemande, et les Troyens décident qu’on la rendra en échange des prisonniers. […] « Oui, mon cœur, dit-elle, grâces soient rendues à Cupidon » ; Et là-dessus elle soupira péniblement. […] L’huissier raillé par le moine lui rend son panier par l’anse209. « Tu te vantes de connaître l’enfer, ce n’est pas étonnant : moines et diables sont toujours ensemble. […] Au fond de chaque œuvre d’art est une idée de la nature et de la vie ; c’est cette idée qui mène le poëte ; soit qu’il le sache, soit qu’il l’ignore, il écrit pour la rendre sensible, et les personnages qu’il façonne comme les événements qu’il arrange ne servent qu’à produire à la lumière la sourde conception créatrice qui les suscite et les unit. […] Si lourd et si incommode que fût l’instrument qui leur était transmis, le syllogisme, ils s’en rendirent maîtres, ils l’alourdirent encore, ils l’enfoncèrent en tout sujet dans tous les sens.

1622. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre septième. Les altérations et transformations de la conscience et de la volonté — Chapitre deuxième. Troubles et désagrégations de la conscience. L’hypnotisme et les idées-forces »

Si un assistant touchait en même temps un autre doigt, jamais il ne le rendait insensible ou rigide. […] Gurney, en touchant un doigt, le rendait insensible ; les autres personnes, non. […] Dans neuf cas, il y eut une convention antérieure entre les parties, par laquelle celui qui mourrait le premier s’efforcerait de rendre sensible sa présence. […] Supposez que, dans un piano, toutes les notes touchées soient rendues silencieuses par une sorte d’inhibition exercée sur les cordes vibrantes, mais qu’on entende les harmoniques qui accompagnent d’ordinaire la note principale. […] Quand les notes principales redeviennent conscientes, leur intensité relative rend imperceptibles les notes harmoniques, qui rentrent alors dans une subconscience mal à propos confondue avec une absolue inconscience.

1623. (1895) La science et la religion. Réponse à quelques objections

Chacune d’elles a son royaume à part ; et puisqu’il ne dépend que de nous de nous rendre les sujets de l’une, ou de l’autre, ou de toutes les deux à la fois, que veut-on, que peut-on demander davantage ? […] Vigné d’Octon, qui voyageait alors en Italie, s’avisa même de solliciter à son tour une audience du Pape, pour demander à Sa Sainteté ce qu’Elle pensait de la manière dont j’avais rendu ses idées. […] Trop simple ou trop naïf, je m’étais flatté que ce fût pour éviter la réponse que l’on a cru me faire en me demandant « quels sont les grands noms de la science que l’on pourrait placer au bas de ces superbes manifestes, dont je rends la science elle-même responsable ?  […] Mais s’il était Dieu, c’est sa divinité qui rend ses « miracles » ou sa a mission » probable. […] Vous avez ri mille fois de la sotte balance qu’Homère a mise dans les mains de son Jupiter, apparemment pour le rendre ridicule.

1624. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre I. De la sélection des images, pour la représentation. Le rôle du corps »

Mon corps est donc, dans l’ensemble du monde matériel, une image qui agit comme les autres images, recevant et rendant du mouvement, avec cette seule différence, peut-être, que mon corps paraît choisir, dans une certaine mesure, la manière de rendre ce qu’il reçoit. […] Quoi qu’on fasse, on sera amené à rendre aux sensations, sous une forme ou sous une autre, d’abord l’extension, puis l’indépendance dont on voulait se passer. […] Mais cette doctrine n’est pas seulement incapable de nous montrer clairement comment l’inétendu s’étend ; elle rend également inexplicables l’affection, l’extension et la représentation. […] Car elles ne se conservent que pour se rendre utiles : à tout instant elles complètent l’expérience présente en l’enrichissant de l’expérience acquise ; et comme celle-ci va sans cesse en grossissant, elle finira par recouvrir et par submerger l’autre. […] Le rôle du psychologue serait de les dissocier, de rendre à chacun d’eux sa pureté naturelle : ainsi s’éclairciraient bon nombre des difficultés que soulève la psychologie, et peut-être aussi la métaphysique.

1625. (1911) Visages d’hier et d’aujourd’hui

Je t’ai emprunté le titre de mon essai ; et je te le rends après en avoir fait, mon Dieu, ce que j’ai pu. […] Les batailles que se livrèrent en lui cette inquiétude et cet amour rendirent noble et pathétique sa vie intellectuelle. […] Il se rendit au Mont Valérien, pour y accomplir son service militaire. […] Le remords peut diviniser la faute ; il peut aussi la rendre plus perverse. […] Et ainsi la rapidité vertigineuse est rendue par les moyens les plus simples, les mieux conformes aux lois de l’art sculptural.

1626. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite et fin.) »

J’avais voulu prévenir la guerre, je croyais que la France liée à l’Angleterre la rendait impossible ; j’avais voulu, de plus, obtenir pour la Révolution française du mois de juillet 1830 le droit de bourgeoisie en Europe, et tranquilliser le monde sur l’esprit de propagandisme que l’on supposait à notre gouvernement. […] « J’ai souvent remercié la fortune de m’avoir donné un contemporain tel que vous, qui m’avez mieux compris que personne, et qui avez bien voulu en aider d’autres à me mieux comprendre48 ; mais je la remercierais davantage encore, si elle eût rendu nos habitations plus voisines : vous verriez qu’aujourd’hui, comme au temps que vous rappelez, tout serait de ma part abandon et confiance. — Pauvre Dalberg ! […] Si la bonne foi est nécessaire quelque part, c’est surtout dans les transactions politiques, car c’est elle qui les rend solides et durables. […] il eût fait beau voir un prêtre venir redemander à Talleyrand expirant de rendre tout le bien mal acquis (comme on disait autrefois), de le restituer au moins aux pauvres, de faire un acte immense d’aumône — une aumône proportionnée, sinon égale, au chiffre énorme de sa rapine ! […] « Le mois de juin passé, je m’abandonne à toutes les pertes de temps que l’on veut… » Et même après le mois de juin, dans une autre lettre du 31 juillet : « Notre vie ici (à Valençay) est fort ordonnée, ce qui rend les jours fort courts.

1627. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. VILLEMAIN. » pp. 358-396

Mais, malgré la révision de l’auteur, combien de qualités mobiles, de composés pour ainsi dire instantanés, ont disparu, ou du moins se sont modifiés en se fixant, et dont ceux qui ont assidûment entendu le maître peuvent seuls rendre aujourd’hui témoignage ! […] Villemain construisait à chaque moment, soutenait et rendait vivante cette composition d’enseignement toujours libre et renouvelée ? […] quel plus beau rendez-vous de discussion, quelle plus dominante vue sur les tournois littéraires du jour que les balcons de Shakspeare ! […] Son amour-propre comblé, quoiqu’il n’ait jamais été satisfait, ne le rendait pas alors aussi malheureux que depuis et le tenait constamment en haleine. […]  » Il a l’acumen plutôt que le lenitas ou le vis, ce qui, suivant Cicéron, rend surtout propre à enseigner.

1628. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXVIIe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 5-64

CXLIV Mais je vis bien vite que je m’étais trompée, quand un beau jeune paysan de Saltochio, son fiancé ou son frère, détacha de son épaule une petite gourde de coco suspendue à sa veste par une petite chaîne d’argent, déboucha la gourde, et, l’appliquant à mes lèvres, en fit couler doucement quelques gouttes dans ma bouche, pour me relever le cœur et me rendre la parole. […] Les roues massives, les ridelles ou balustrades du chariot étaient tout encerclées de festons de branches en fleurs ; sur le plancher du chariot, grand comme la chambre où nous sommes, il y avait des chaises, des bancs, des matelas, des oreillers, des coussins, sur lesquels étaient assis ou couchés, comme des rois, d’abord les pères et les mères des fiancés, les frères et les sœurs des deux familles, puis les petits enfants sur les genoux des jeunes mères, puis les vieilles femmes aux cheveux d’argent qui branlaient la tête en souriant aux petits garçons et aux petites filles ; tout ce monde se penchait avec un air de curiosité et de bonté vers moi pour voir si l’éventail de la belle fiancée et les gouttes de rosolio de son sposo me rendraient l’haleine dans la bouche et la couleur aux joues. […] Je voudrais bien que ce fût moi, car on dit que c’est une bien belle place, qu’on y gagne bien des petits bénéfices honnêtement, et qu’on est à même d’y rendre bien des services aux femmes, aux mères, aux filles de ces pauvres prisonniers. […] Celui qui tient le bout de la chaîne peut la rendre à son gré lourde ou légère. […] La zampogne n’était pas encore tout à fait désenflée du vent de la noce ; elle rendit sous mon pied un reste d’air ni joyeux ni triste, mais clair et perçant, semblable au reproche d’un chien qu’on écrase, en marchant par mégarde sur sa patte endormie.

1629. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre V. Le roman romantique »

Ce sont les épisodes et les tableaux qui font l’intérêt du livre : il faut y voir comme une suite d’estampes, où sont rendues, avec de saisissantes oppositions de blanc et de noir, des scènes tour à tour amusantes, fantastiques ou terribles. […] Elle rend vite célèbre son pseudonyme de George Sand : Indiana paraît en 1832 et Lélia en 1833. […] Cela lui rend impossible les notations délicates de sentiments poétiques, les fines analyses de passions tendres, d’exaltations idéalistes : là Balzac s’enfonce dans le pire pathos, étale un pâteux galimatias ; lisez, si vous pouvez, le Lys dans la vallée. […] Balzac, avec son génie robuste et vulgaire, est incapable de rendre les caractères et les mœurs dont la caractéristique est la délicatesse. […] L’homme d’affaires qu’il y avait eu Balzac a rendu un inappréciable service au romancier.

1630. (1839) Considérations sur Werther et en général sur la poésie de notre époque pp. 430-451

Byron, par la nature particulière de son génie, par l’influence immense qu’il a exercée, par la franchise avec laquelle il a accepté ce rôle de doute et d’ironie, d’enthousiasme et de spleen, d’espoir sans borne et de désolation, réservé à la poésie de notre temps, méritera peut-être de la postérité de donner son nom à cette période de l’art : en tout cas, ses contemporains ont déjà commencé à lui rendre cet hommage. […] Soyez sûrs que s’il n’avait pas toujours le même but, il ne blasphémerait pas avec tant d’audace ; c’est la passion qu’il a pour ce but divin qui le rend si impie. […] Vos peintres rendent la nature sans vérité et sans idéal, et aucune pensée ne dirige leur pinceau. […] Ils ont cédé à l’esprit du siècle, ils ont rendu les armes, ils ont jeté le masque, et on a vu de plus en plus les traces du vautour qu’ils voulaient nous cacher. […] L’Allemagne tournait les yeux vers lui : il ne répondait rien, ou il rendait des oracles douteux.

1631. (1920) Enquête : Pourquoi aucun des grands poètes de langue française n’est-il du Midi ? (Les Marges)

Mais lorsqu’on arrive à jouer sur cette lyre, elle rend le plein comme aucune autre. […] Il a fait rendre à la langue des sons qui n’avaient pas été entendus avant lui ; et, en saisissant de nouveaux rapports entre le monde physique et l’Homme, il a créé d’éternelles images. […] Chaumié, dans son article, ne tient pas assez compte des gloires éphémères, que la mode, une sensibilité nouvelle, ou de nouvelles conceptions rendront peut-être caduques. […] En effet, l’on conçoit qu’un pays puisse être d’un caractère qui le rende absolument impropre à la poésie Mais notre Midi a eu des poètes. […] les poètes nés dans le Midi qui ont cru pouvoir rendre en français les émotions de leur nature provençale ont changé leur flûte pour un violon étranger.

1632. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — CHAPITRE VI »

Madame Lecoutellier se rend au soldat qu’elle renvoyait tout à l’heure à sa garnison. […] La découverte n’est pas sérieuse et rend des sons de marotte, lorsqu’il la raconte. […] Malheur à qui tombe dans ses froides mains, à qui lui demande ce qu’elle ne peut rendre, un sentiment vrai et sincère ! […] Avant de rendre l’âme, il a voulu reconnaître le dévouement de Navarette en l’épousant in extremis. […] On a ri souvent de la bonhomie de Ducis écrivant deux dénouements pour son Othello : l’un heureux et l’autre funeste, qu’il offre, dans sa préface, au choix du public et des directeurs de théâtre. « Pour satisfaire, — dit-il, — plusieurs de mes spectateurs qui ont trouvé, dans mon dénouement, le poids de la pitié et de la terreur excessif et trop pénible, j’ai profité de la disposition de ma pièce, qui me rendait ce changement très facile, pour substituer un dénouement heureux à celui qui les avait blessés, quoique le premier me paraisse toujours convenir beaucoup plus à la nature et à la moralité du sujet.

1633. (1904) En méthode à l’œuvre

René Ghil ne manquent ni de grandeur ni de mystère. » C’est, d’une part, la complexe exposition du Rythme et du vers musical, l’Instrumentation verbale, qui, basée sur les valeurs harmoniques, rend à la langue ta double constitution originelle, idéographique et phonétique, et détermine une ordonnance harmonique du vers, du poème, du livre unifié. […] En vain par le doute et ses désespoirs et de hautains appels à sonder le néant des Révélations, avait-on ainsi que rendu tressaillantes les sphères ouraniennes de l’Intellect : en vain, parce que le doute et la négation participent davantage de l’erreur ou du rêve d’où ils naissent, que de la vérité à laquelle ils aspirent sans pouvoir la produire… Et pourtant, au présent immédiat et là de nos poétiques Fastes, — alors que la science des Origines a environné nos têtes ainsi que de la tornade stellaire dont éternellement devient l’éternelle Fluence : voilà que, sans savoir que les apports de la sensation ne sont que les matériaux de l’Idée pour que de ses ondes intelligentes elle tente, en le plus d’unité-sciente, de reproduire en soi l’Univers et ses Rythmes, — la presque généralité des poètes n’est que la survie dégénérée des rapsodes du plaisir et de la douleur, et des philosophes qui ne peuvent se passer d’Eden ! […] *** Mais (de quelques mots sur l’Expression poétique et les métriques), il est heureux de dire que presque partout une intuition, une spontanéité plus qu’une attention demeurée latente, sut plus ou moins apporter la vraie expression poétique, — don rare, d’ailleurs, qui n’est point l’expression proprement dite ou descriptive, non plus qu’allégorique : mais suggestive, qui doue le réel de prolongement dans le rêve, dans le non-perçu, et, à son degré conscient, rend participante du Tout universel toute partie de l’Œuvre poétique. […] Tant que de même la Poésie, présentement après le savoir du savant, et, en l’expression émotive et dramatique, après la musique, rendue à ses puissances désormais ! […] Exemple, où nous parvenons à l’entendement que la Matière en laquelle immanent en un seul deux désirs dont un autre s’engendre, qui est son désir du Fruit en qui elle se saura, — évolue expansivement selon un signe elliptique… Or, nous ne pouvions assentir à la proposition de Goethe, de voir selon une « spirale » le processus universel, — pour ce, que si elle en démontre heureusement le mouvement d’expansion et l’originelle sortie hors du Cercle, elle n’en rend ou n’en rappelle pas en même temps les temps de rétractive reprise : et ainsi, n’exprime pas, nous le verrons, tout le phénomène de l’évolution qui n’est pas égal et continu.

1634. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1883 » pp. 236-282

Cela me trouble toute la journée… Mardi 23 janvier Je me rends au dîner du Temps ; au milieu de vociférations d’aboyeurs de journaux, criant la démission du ministère. […] Il dit à peu près cela : « Il était trop bon et il n’avait pas le sens critique de l’humanité, ce qui le rendait parfois un mauvais juge des hommes, avec lesquels il était en rapport, mais quelquefois aussi, il voyait parfaitement juste… » Spuller s’arrête quelque temps et reprend : « Voyez-vous, il avait des conceptions, des conceptions comme celle-ci : un jour, parlant du couronnement de l’Empereur de Russie, il m’a dit, qu’en cette occasion, il fallait que la France affirmât à la face de l’Europe, fièrement, la République, et qu’il voulait envoyer à ce couronnement, comme représentant du pays, devinez qui ? […] Cette annonce rend rêveur. […] J’avais inventé un produit qui faisait évaporer l’hydrogène de l’air, et rendait cet air qui brûlait, irrespirable à des poumons humains. […] Puis l’on s’en va, Daudet disant : « Demain je laisserai lire les journaux à mon compaing, et n’en lirai aucun : ça me rendrait agité, nerveux, et ça m’empêcherait de travailler à mon livre, pendant dix jours.

1635. (1887) George Sand

Elle chercha à relever de son abjection le prétendu principe du mal et à le rendre, au contraire, serviteur et agent du bien »… etc., etc. […] De quelles coupables lâchetés de cœur, de quelles perfidies, de quelles défaillances morales on la rend ainsi involontairement complice ! […] Mais la société se trouvait là entre eux, qui rendait ce choix absurde, coupable, impie ! […] Plus tard, affranchie de la secte, Mme Sand rendra au nom de Dieu une partie de sa signification compromise et de ses attributs perdus. […] Comme tous ces détails d’intérieur sont rendus !

1636. (1903) Propos de théâtre. Première série

Mais voici que la question se complique et rend la réponse un peu moins commode. […] Mais, maintenant que je n’ai plus le sou, je vous rends votre parole. […] Il rend les sottes folles ; il rend les méchantes plus méchantes en les rendant hypocrites ; il rend même les âmes élevées un peu dures par l’orgueil qu’il leur donne. […] Mille regrets. » L’hommage à Corneille est rendu. […] Je me rends.

1637. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1894 » pp. 185-293

En sortant, La Gandara me fait la conduite jusqu’au Trocadéro, en me confessant son état nerveux, qui le rend incapable de travailler, pendant la semaine de l’ouverture de l’Exposition, m’avouant envoyer sa bonne, tous les matins, dès patron minette, acheter tous les journaux, et vouloir anxieusement découvrir d’un seul coup d’œil, si son nom y est. […] J’appris longtemps après, que c’était un vieil homme, que ses cheveux étaient blancs, ce qui fit s’évanouir mon rêve, mais je lui continuai toujours mon culte, que je voulus ne pas rendre vulgaire par une correspondance, qui aurait été méprisée par l’auteur lui-même, si j’en crois certains interviews récents. […] Pichot parle de la représentation sur le théâtre d’Orange, où, dit-il, le remuement dans le feuillage des vrais arbres du théâtre, amené par le mistral, rendait la scène vivante. […] Dans cette appropriation japonaise, la nature du pays perce, et rend, pour ainsi dire, l’imitation originale. […] En 1860 — eh, Mistral je me rendais justement chez toi !

1638. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre VI. La parole intérieure et la pensée. — Second problème leurs différences aux points de vue de l’essence et de l’intensité »

Dès lors, le désir d’exprimer au dehors notre pensée se partage en deux tendances opposées : d’une part, nous désirons faire sortir le signe intérieur naturel de la sphère invisible de la conscience et le rendre sensible à nos semblables ; c’est là le moyen le plus sûr et le plus direct de les amener à concevoir une pensée identique à la nôtre ; car, un tel signe une fois perçu par notre semblable, celui-ci possède l’élément essentiel de la pensée que nous voulons lui communiquer ; il ne lui reste plus qu’à la compléter ; cela même est facile et se fait sans effort : l’image qui est la principale pour tout esprit comme pour le nôtre éveille dans l’esprit d’autrui, comme elle ferait dans le nôtre, ses accessoires habituels ; — d’autre part, nous souhaitons un signe aussi rapide que la pensée, un signe facile à produire, un signe tel qu’une succession de ses variétés puisse rendre avec le moins de retard possible une succession de nos idées ; nous sommes donc invités à modifier les proportions naturelles de l’idée, à fixer de préférence notre attention sur un des éléments que la nature des choses reléguait au second plan, à le situer de force au premier, et à lui attribuer la fonction de représenter l’ensemble. […] Avant d’expliquer ce phénomène, il faut en préciser les limites et le rendre sensible par quelques exemples. […] Deux explications nous paraissent propres à lever la difficulté ; si l’une des deux était rejetée, l’autre pourrait suffire ; mais nous croyons que toutes deux contribuent à rendre possible et réel le fait étrange que nous venons de signaler. […] Corollaire : l’éducation de l’esprit au moyen des mots Cet effort de l’attention sur les idées est rendu nécessaire par deux raisons. […] … J’avoue que je n’ai jamais su dire ce que j’ai senti dans l’Andrienne de Térence et dans la Vénus de Médicis ; c’est peut-être la raison pour laquelle ces ouvrages me sont toujours nouveaux : on ne retient presque rien sans le secours des mots, et les mots ne suffisent presque jamais pour rendre précisément ce qu’on sent. » [citation de Diderot en partie utilisée déjà p. 7 (voir note a) : Pensées détachées sur la peinture, la sculpture, l’architecture et la poésie.

1639. (1831) Discours aux artistes. De la poésie de notre époque pp. 60-88

La poésie, qui prend pour instrument la parole, et qui rend par des mots le symbole et le rythme, est un accord, comme la musique, comme la peinture, comme tous les autres arts : en sorte que le principe fondamental de tout art est le même, et que tous les arts se confondent dans l’art, toutes les poésies dans la poésie1. […] Quelle est la conclusion à tirer de ces considérations sur l’art, que nous aurions voulu supprimer, mais que rendait indispensable le dévergondage d’idées qui règne aujourd’hui sur ces questions ? […] L’Amérique du Nord, se dépouillant de ses forêts et de ses habitants sauvages, a fait entendre un long soupir, que Cooper a écouté et a su rendre ; l’Écosse a produit le génie observateur et pittoresque de Scott, qui, se trouvant tout formé et tout grandi, s’est ensuite transporté, quelquefois peu heureusement, hors de ses limites naturelles de temps et de pays. […] Byron, par la nature particulière de son génie, par l’influence immense qu’il a exercée, par la franchise avec laquelle il a accepté ce rôle de doute et d’ironie, d’enthousiasme et de spleen, d’espoir sans borne et de désolation, réservé à la poésie de notre époque, méritera peut-être de la postérité de donner son nom à cette période de l’art : en tout cas, ses contemporains ont déjà commencé à lui rendre cet hommage. […] Il regarde la Corse et Sainte-Hélène, et y lit la destinée de Napoléon ; il voit cette destinée dans la bombe qui, partie de la terre, y revient après avoir touché le ciel ; il la voit dans le Vésuve, que l’œil découvre toujours au milieu de tous les sites et de toutes les merveilles de l’Italie ; et il rendra un culte d’artiste aux pyramides et à la colonne où Napoléon lui-même, ce grand artiste, a imprimé son sceau.

1640. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre II. Le rôle de la morale » pp. 28-80

Si l’on découvrait chez un médiocre chapelier des facultés de remarquable ébéniste ou un vrai génie de peintre, il faudrait évidemment encourager en lui la qualité psychique, la tendance qui lui permettrait de rendre aux autres les services les plus rares, les plus précieux, ceux qu’il est le plus capable de rendre. […] Pour moi, je m’en accommoderai de mon mieux ; mais je ne veux ni vous leurrer ni me leurrer moi-même par des illusions qui me rendent la réalité plus insupportable encore. » Ainsi parlerait, ou à peu près ainsi, l’homme qui serait assez avisé pour comprendre ses impressions et sa pensée, et assez mal avisé pour les exprimer. […] Il ne dépend ni de ce que nous pouvons vouloir, ni de ce qui nous sera rendu. […] Cette conscience, c’est sa faiblesse même qui la rend sacrée, et cela est très remarquable. […] L’âme sociale tâche de tourner à son profit même les révoltes de l’âme individuelle, ce que celle-ci s’efforce de lui rendre autant qu’il est en elle.

1641. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre II. Prière sur l’Acropole. — Saint-Renan. — Mon oncle Pierre. — Le Bonhomme Système et la Petite Noémi (1876) »

Ces braves gens s’indignent contre la prétention qu’ont ceux qui font leur fortune de rendre par surcroît un service social. […] Beaucoup de mes tantes restèrent sans se marier, mais n’en étaient pas moins heureuses, grâce à un esprit de sainte enfance qui rendait tout léger. […] On se rendit avant le jour à une chapelle située à une demi-lieue de la ville, dans un endroit désert, et dédiée à saint Roch. […] Je ne me rendais aucun compte de l’attrait qui m’attachait à elles. […] Le flot d’abstractions qui me montait à la tête m’étourdissait et me rendait, pour tout le reste, absent et distrait.

1642. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre quatrième. Les émotions proprement dites. L’appétit comme origine des émotions et de leurs signes expressifs. »

Les maladies qui modifient la nutrition modifient aussi le système nerveux, le rendent plus irritable. […] Chez le chien, chez le chat, la mobilité de la queue la rend capable de fournir, dès l’origine, l’indication du sentiment naissant ; la plus ou moins grande élévation de la queue est un signe de plaisir, les battements qu’elle exécute de côté sont un signe d’inquiétude. […] On dit de même, et avec raison, que le cœur et les poumons se dilatent, que leur jeu est rendu plus facile ; les fonctions cérébrales s’accomplissent avec plus de rapidité et d’aisance : l’intelligence est plus animée, la sensibilité plus expansive, la volonté plus bienveillante. […] Ce que font l’hérédité et la sélection, c’est simplement de rendre de plus en plus grande l’espèce de sonorité interne par laquelle un être répond à l’émotion d’autrui. […] L’habitude peut rendre les larmes de plus en plus faciles, et même volontaires.

1643. (1856) Cours familier de littérature. I « Ier entretien » pp. 5-78

« Les petits bergers, armés d’une branche de houx où pendent encore les feuilles, prennent avec leurs chèvres le sentier de rocher qui mène aux montagnes ; ils s’amusent en montant à cueillir les rameaux du buis, que le printemps rend odorants comme la vigne, et à cueillir au buisson les fruits verts de cet arbrisseau, qui ressemblent à de petites marmites à trois pieds, amusement et étonnement de leur enfance. […] On jouit sur cette hauteur d’un complet et perpétuel silence ; les bruits des vallées ne montent pas jusque-là ; on n’y entend que la chute accidentelle des petits coquillages pétrifiés qu’un mouvement du pied fait rouler jusqu’au bas de la montagne ou les imperceptibles sifflements que rend la brise en se tamisant sur les brins d’herbe mince, sèche et aiguë, qui percent les pierres comme de petites lances : accompagnement doux plutôt qu’interruption des hautes pensées que les hauts lieux inspirent. XII Mon père, à qui son goût pour la chasse avait fait découvrir ce site élevé et presque inabordable, s’y rendait souvent après le dîner, d’où l’on sortait alors à deux heures ; il y portait avec lui un livre, pour y passer en société d’un grand ou aimable esprit les longues soirées des jours d’été ; il m’y conduisait souvent avec lui, quand, vers l’âge de dix à douze ans, le collège me rendait à la famille. […] Ils s’étaient rencontrés un jour par hasard dans ce site solitaire, poussés par le même instinct de solitude et de contemplation ; ils y avaient passé des heures d’entretien et de lecture agréables l’un avec l’autre ; le lendemain ils s’y étaient retrouvés sans surprise, et, depuis, sans s’y donner jamais de rendez-vous, ils s’y rencontraient presque tous les jours. […] XXXIII La tribune politique, où je montai à mon tour pendant quinze ans de ma vie, redoubla pour moi le sentiment des lettres ; j’étudiai nuit et jour, sans relâche, pendant ces quinze années, les modèles morts ou vivants de la parole, pour me rendre moins indigne de parler après eux ou à côté d’eux.

1644. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre III. Poëtes françois. » pp. 142-215

Les applications qu’on faisoit de chaque leçon de morale de Fenelon à la conduite passée, ou présente, de ce Monarque, en rendit la lecture plus piquante. […] La justesse du raisonnement, la force des pensées, l’élégance du style, l’harmonie des vers, les graces de l’ironie la plus piquante & la mieux menagée, en rendent la lecture délicieuse. […] M. de Voltaire est plus gai ; il excelle par l’art de saisir tout ce qui peut rendre ses adversaires ridicules. […] L’heureux choix des mots & des images rend ce petit recueil précieux. […] Il semble que par ses Apologues, dit la Motte, il ait voulu rendre aux mœurs ce qu’il leur avoit ôté par ses contes.

1645. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre XIV : Récapitulation et conclusion »

Les espèces très répandues sont celles qui varient le plus, et le plus souvent les variétés sont d’abord locales, circonstances qui rendent la découverte des formes de passage d’autant moins probable. […] Cette variabilité semble principalement due à ce que le système reproducteur est éminemment susceptible d’être affecté par des changements dans les conditions de vie ; si bien que ce système, s’il n’est pas rendu totalement impuissant, du moins ne reproduit plus exactement la forme mère. […] Cette théorie rend aisé à comprendre l’axiome : Natura non facit saltum, dont chaque nouvelle conquête de la science tend à prouver de plus en plus la vérité. […] Le défaut d’exercice, quelquefois aidé par la sélection naturelle, tend souvent à réduire les proportions d’un organe que le changement des habitudes ou des conditions de vie a peu à peu rendu inutile. […] Tous ceux qui ont déjà été amenés à croire à la mutabilité des espèces rendront un vrai service à la science en exprimant consciencieusement leur conviction : c’est le seul moyen de soulever la masse de préjugés qui pèsent sur cette question.

1646. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre III. Le comique de caractère »

Je le veux bien, mais il n’en est pas moins vrai que ce travers d’Alceste, dont nous rions, rend son honnêteté risible, et c’est là le point important. […] Choisissez au contraire un vice profond et même, en général, odieux : vous pourrez le rendre comique si vous réussissez d’abord, par des artifices appropriés, a faire qu’il me laisse insensible. […] Quand on nous peint un état d’âme avec l’intention de le rendre dramatique ou simplement de nous le faire prendre au sérieux, on l’achemine peu à peu vers des actions qui en donnent la mesure exacte. […] Les services qu’on lui rend sont les plus fictifs de tous les services ; pourtant ce sont ceux-là qui laissent derrière eux une reconnaissance durable. […] Il rendrait plutôt le mal pour le mal.

1647. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — II. (Suite.) » pp. 463-478

Ramond rendit, d’ailleurs, au cardinal le plus grand des services pour sa justification. […] Pour lui, laissant là en arrière ses compagnons et son guide, et retrouvant son sentiment allègre des hautes Alpes, il se met à gravir seul et en droite ligne vers la cime : « Je l’atteignis en peu de temps, et, du bord d’un précipice effroyable, je vis un monde à mes pieds. » C’est ici qu’il entre dans une description parfaite et de ce que la vue embrasse du côté des plaines, et des rangées de monts qui s’étagent en amphithéâtre au midi, et des collines et pâturages plus rapprochés qui s’élèvent du fond du précipice vers la pente escarpée du Pic et forment un repos entre sa cime et sa base : Là, dit-il, j’apercevais la hutte du berger dans la douce verdure de sa prairie ; le serpentement des eaux me traçait le contour des éminences ; la rapidité de leur cours m’était rendue sensible par le scintillement de leurs flots. […] Il s’y rend par la vallée de Gavarnie, dont il monte les bassins successifs et de plus en plus resserrés.

1648. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — I » pp. 56-70

Soit naïveté, soit finesse (car il est très spirituel), il trouve moyen de convaincre à la fois de sa véracité et de sa jactance ; les fiertés de son style nous rendent bien celles de son courage et de sa personne : il n’est pas donné à tout le monde d’être un Catinat. […] Je veux dire seulement que son titre de maréchal de France ne doit point induire en erreur ; ce titre ne lui fut donné que tout à la fin de sa carrière, comme récompense des services rendus, et non comme un moyen d’en rendre de nouveaux.

1649. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Fanny. Étude, par M. Ernest Feydeau » pp. 163-178

Antiquaire par la science et l’imagination, auteur d’un travail où, avec une rare vigueur d’analyse, il a restitué et rendu présentes les royales cités, les immenses nécropoles de l’Égypte, M.  […] Tout est décrit et montré dans Fanny, tout est vu et rendu visible ; mais il n’y a point (à part celle de la cabane désolée) de description proprement dite : j’en sais gré à M.  […] On ne la travestit pas, on n’en prend pas la peine ; la curiosité n’est qu’à la bien rendre ; mais on la dépasse, on l’outrepasse quelquefois, à force de la vouloir exprimer.

1650. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Souvenirs et correspondance tirés des papiers de Mme Récamier » pp. 303-319

J’allais (tant l’art de l’arrangeur est parfait, et tant il a mis d’attention à se dérober), — j’allais oublier d’avertir que le tout est lié par un récit biographique rapide, par des transitions indispensables, par des fils adroits et légers ; que toutes les explications nécessaires au lecteur lui sont agréablement et brièvement données, qu’elles viennent à propos au devant de lui ; que tous les petits faits, toutes les anecdotes qui se rattachent au cercle de Mme Récamier, celles qu’elle aimait à raconter elle-même, nous sont rendues avec ce tour net et dans cette nuance qui était le ton particulier de son salon ; qu’une fine critique, toujours convenable, corrige et relève, par-ci par-là, le trop de douceur dans les portraits. […] Par exemple, se plaignant doucement qu’elle ne rendît point amour pour amour, et supposant qu’elle luttait en cela contre sa destinée naturelle et sa vocation secrète, il lui disait : Ce qu’il y a eu de séparé dans votre existence n’est pas ce qui vous eût le mieux convenu, si vous en aviez eu le choix. […] [NdA] C’est ce double sentiment d’admiration persistante pour l’écrivain et de vérité entière sur l’homme, que j’ai essayé de rendre dans mon ouvrage Chateaubriand et son groupe littéraire ; la plupart des critiques n’ont voulu y voir qu’une chose, qui n’y est pas, le désir de rabaisser Chateaubriand ; les lecteurs français sont si pressés et si inattentifs qu’ils n’admettent guère qu’une idée à la fois.

1651. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 64-81

Veuillot, feuilletoniste des Chambres, c’est qu’en même temps qu’il sait et qu’il rend, de chacun, le geste, le timbre de voix, les tics, il sait aussi la valeur sérieuse de l’homme et la respecte assez quand il la rencontre. […] Guizot sait mieux que personne justifier ou nier à la tribune les erreurs du Cabinet ; mais il n’est pas toujours à la tribune. » — Tout ce compte rendu des Chambres est excellent, si l’on ne regarde qu’aux physionomies. […] Veuillot de les avoir ressentis et rendus si dignement.

1652. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Les Contes de Perrault »

C’est ici qu’il me faudrait la plume d’un Théophile Gautier pour traduire à mon tour ces dessins et les montrer à tous dans un langage aussi pittoresque que le leur ; mais je ne sais nommer toutes ces choses, je n’ai pas à mon service tous les vocabulaires, et je ne puis que dire que ces dessins me semblent fort beaux, d’un tour riche et opulent, qu’ils ont un caractère grandiose qui renouvelle (je répète le mot) l’aspect de ces humbles Contes et leur rend de leur premier merveilleux antérieur à Perrault même, qu’ils se ressentent un peu du voisinage de l’Allemagne et des bords du Rhin (M.  […] Mais quand on a rendu à Boileau tous ces hommages et toute cette justice, il faut s’arrêter : il n’entendait bien et n’aimait que les vers ou une certaine prose régulière, ferme, élevée, dont Pascal, dans ses Provinciales, offrait le modèle. […] « La vérité avec lui se continue, même dans le merveilleux. » Il a de ces menus détails qui rendent tout d’un coup vraisemblable une chose impossible.

1653. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Octave Feuillet »

Pour se rendre bien compte de M.  […] Le parterre rendait peu ; c’était une bataille non gagnée. […] Resté seul un moment, il examine autour de lui ce lieu qui lui était à peu près inconnu et qui lui rend presque des désirs : « Charmante petite chambre !

1654. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte. »

J’ai sous les yeux de jolies vignettes sorties du facile et spirituel crayon de Tony Johannot ; c’est le côté comique et gai, uniquement, qui est rendu, mais la dignité du héros, ce sentiment de respect sympathique qu’il inspire jusque dans sa folie, cette imagination hautaine qui n’était que hors de propos, qui eût trouvé sans doute son emploi héroïque en d’autres âges, et, comme on l’a très-bien nommée, « cette grandesse de son esprit et cette chevalerie de son cœur », qu’il sut conserver à travers ses plus malencontreuses aventures et qu’il rapporta intactes jusque sur son lit de mort, cela manque tout à fait dans cette suite agréable où l’on n’a l’idée que d’une triste et piteuse figure, et c’est au contraire ce que M. Doré semble s’être attaché plus particulièrement à rendre. […] Il quitta Madrid et se rendit en 1588 à Séville, qui était alors un débouché très-important, l’entrepôt et le grand marché de toutes les richesses arrivant d’Amérique.

1655. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Souvenirs d’un diplomate. La Pologne (1811-1813), par le baron Bignon. (Suite et fin.) »

Je ne sais rien de plus significatif à cet égard qu’une lettre du roi de Westphalie Jérôme, à son frère, écrite à la date du 5 décembre 1811, et qui exprime, qui résume la situation vraie, telle qu’elle se dessinait aux yeux d’un frère dévoué de l’Empereur, placé au cœur même de la difficulté, au centre du péril : « Sire, écrivait le roi Jérôme, établi dans une position qui me rend la sentinelle avancée de la France, porté par inclination et par devoir à surveiller tout ce qui peut donner atteinte aux intérêts de Votre Majesté, je pense qu’il est convenable et nécessaire que je l’informe avec franchise de tout ce que j’aperçois autour de moi. […] L’opinion prit alors ce caractère énergique qui la rend maîtresse des événements ; et c’est ainsi que le grand mouvement qui a abattu la puissance gigantesque créée par la Révolution, loin de démentir l’esprit primitif de celle-ci et le génie du siècle, n’a fait que déployer le principe fondamental de l’une et de l’autre, sous de plus nobles auspices et dans une direction plus heureuse. » Quand il écrivait ainsi, M. de Senfft était encore libéral, et il avait foi encore en l’avenir des peuples. — Mêlant des idées mystiques et des pensées de l’ordre providentiel à ses observations d’homme politique, il voyait, l’année suivante (1812) et lors de la gigantesque expédition entreprise pour refouler la Russie, il voyait, disait-il, dans « cette réunion monstrueuse » de toutes les puissances de l’Europe entraînées malgré elles dans une sphère d’attraction irrésistible et marchant en contradiction avec leurs propres intérêts à une guerre où elles n’avaient rien tant à redouter que le triomphe, « un caractère d’immoralité et de superbe, qui semblait appeler cette puissance vengeresse nommée par les Grecs du nom de Némésis » et dont le spectre apparaît, par intervalles, dans l’histoire comme le ministre des « jugements divins. » Il lisait après l’événement, dans l’excès même des instruments et des forces déployées, une cause finale providentielle en vue d’un résultat désiré et prévu : car telle grandeur d’élévation, telle profondeur de ruine. […] Singulier mélange, en effet, que cet abbé de Pradt, instruit de tant de choses et qui croyait s’entendre à toutes ; homme d’Église qui l’était si peu, qui savait à fond la théologie, et qui avait à apprendre son catéchisme ; publiciste fécond, fertile en idées, en vues politiques d’avenir, ayant par moments des airs de prophète ; écrivain né des circonstances, romantique et pittoresque s’il en fut ; le roi des brochuriers, toujours le nez au vent, à l’affût de l’à-propos dans les deux mondes, le premier à fulminer contre tout congrès de la vieille Europe ou à préconiser les jeunes républiques à la Bolivar ; alliant bien des feux follets à de vraies lumières ; d’un talent qui n’allait jamais jusqu’au livre, mais qui avait partout des pages ; habile à rendre le jeu des scènes dans les tragi-comédies historiques où il avait assisté, à reproduire l’accent et la physionomie des acteurs, les entretiens rapides, originaux, à saisir au vol les paroles animées sans les amortir, à en trouver lui-même, à créer des alliances de mots qui couraient désormais le monde et qui ne se perdaient plus ; et avec cela oublieux, inconséquent, disparate, et semblant par moments sans mémoire ; sans tact certainement et sans goût ; orateur de salon, jaseur infatigable, abusant de sa verve jusqu’à l’ennui ; s’emparant des gens et ne les lâchant plus, les endoctrinant sur ce qu’ils savaient le mieux ; homme à entreprendre Ouvrard sur les finances, Jomini sur la stratégie, tenant tout un soir, chez Mme de Staël, le duc de Wellington sur la tactique militaire et la lui enseignant ; dérogeant à tout instant à sa dignité, à son caractère ecclésiastique, avec lequel la plupart de ses défauts ou, si l’on aime mieux, de ses qualités se trouvaient dans un désaccord criant ; un vrai Mirabeau-Scapin, pour parler comme lui, un archevêque Turpin et Turlupin.

1656. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Clermont et sa cour, par M. Jules Cousin. (Suite.) »

Nous sommes à l’endroit vraiment honorable de la carrière du comte de Clermont, à ce qui le rend digne, aujourd’hui encore, qu’on s’occupe de lui. […] Les détails dans lesquels veut bien entrer Votre Altesse Sérénissime ne laissent rien à désirer du côté de leur justesse, et de la netteté avec laquelle ils sont rendus… » Le roi, nous dit Voltaire, voulait la bataille. […] C’était une sorte de triomphe pour les lettres que cet hommage que leur rendait un prince du sang, honoré jusqu’alors pour ses succès militaires, et qui, en voulant bien devenir un académicien, aspirait à être un égal.

1657. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre IV. Poésie lyrique »

Les rencontres, les rendez-vous, les départs, les absences, les abandons, les dangers, les surprises, les craintes et les ruses font la matière des émotions et des chansons. […] « L’amour est une grande chose, un grand bien, qui rend tout fardeau léger… L’amour pousse aux grandes actions, et excite à désirer toujours une perfection plus haute… Rien n’est plus doux que l’amour, rien n’est plus fort, ni plus liant, ni plus large, ni plus doux, ni plus plein, ni meilleur au ciel ni sur la terre… L’amour vole, court, il a la joie. […] Tandis que la poésie antique ne connaissait que la passion physique, et, pour rendre raison de la force de l’amour, regardait le désir allumé par Vénus dans la nature entière à la saison nouvelle, la poésie moderne, par une orientation toute contraire, assimilera l’amour humain à l’amour divin et en fondera la puissance sur l’infinie disproportion du mérite au désir Même quand le terme réel de l’amour appartiendra à l’ordre le plus matériel et terrestre, la pensée et la parole s’en détourneront, et c’est à peine si, comme indice de ses antiques et traditionnelles attaches au monde de la sensation physique, il gardera ces descriptions du printemps, saison du réveil de la vie universelle ; encore ces descriptions seront-elles de moins en moins sincères et vivantes, et ne subsisteront-elles chez la plupart des poètes que comme une forme vide de sens, un organe inutile et atrophié.

1658. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre V. La Fontaine »

Hardiment naturaliste, il estimait qu’il n’y a pas d’interprétation artistique de la nature qui n’y manifeste de l’agrément et de la grâce ; mais, comme c’était le plus loyal et le moins truqueur des artistes, il ne rendait ainsi que parce qu’il sentait d’abord : sa forme d’esprit était un délicat épicurisme, de plaisir qui y étaient enveloppées. […] Mais ces mondains mêmes subissaient, sans trop se rendre, compte de leur impression, le charme complet de cette poésie qui, en leur parlant toujours de l’homme, leur faisait voir toute la nature, l’immense, la multiple nature, et qui mêlait l’effusion lyrique à la précision narrative ou dramatique. […] On n’y retrouve guère ce pétillement de fantaisie, qui rendaient Chaulieu séduisant dans un souper, au Temple, à Saint-Maur ou à Sceaux.

1659. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Gaston Paris et la poésie française au moyen âge »

Il le fait tranquillement, n’esquivant rien, n’exagérant rien, avec un désintéressement, une impartialité, une indépendance de jugement telle, que cette sorte de sacrifice ou plutôt (car il n’avait point à la sacrifier) d’oubli provisoire de la piété filiale en face de la science qui prime tout, m’a rappelé, je ne sais comment, la hauteur d’âme des vieux Romains mettant tout naturellement l’intérêt de la patrie au-dessus des affections de famille… Puis, tout à coup, après ce long, tranquille et consciencieux exposé qui n’eût point été différent s’il se fût agi d’un étranger, la voix du professeur s’altère et laisse tomber ces mots : … Moi qui vous parle, moi qui seul sais le respect et la reconnaissance que je lui dois, j’ai dû m’abstenir de les exprimer comme je les sens, autant pour être fidèle à cette modération qu’il aimait à garder en toutes choses, autant pour ne rien rire ici qui ne dût être dit par tout autre à ma place, que pour ne pas m’exposer à être envahi par une émotion trop poignante qui ne m’aurait pas laissé la liberté et la force de rendre à cette mémoire si chère et encore si présente l’hommage public auquel elle a droit. […] Il nous rend une noblesse, à nous qui n’en avons pas d’autre. […] Et l’on se demanderait alors si l’antiquité ne nous a pas fait payer un peu cher le service qu’elle nous rendait.

1660. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XIV. La commedia dell’arte au temps de Molière (à partir de 1662) » pp. 265-292

Arlequin lui apprend qu’il l’a vendue dix louis ; il lui en rend six et en retient quatre, deux pour payer le dîner qu’il a commandé lui-même, deux pour le souper qu’ils vont manger. […] Il apprend que son élève a certain rendez-vous pour le soir même, à minuit : il se rend au lieu indiqué, et trouve une échelle appuyée au balcon de la demoiselle.

1661. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXIV. Arrestation et procès de Jésus. »

Jésus, selon son habitude, passa le val du Cédron, et se rendit, accompagné des disciples, dans le jardin de Gethsémani, au pied du mont des Oliviers 1093. […] La frivolité ordinaire, aux aristocraties depuis longtemps établies ne permit pas aux juges de réfléchir longuement sur les conséquences de la sentence qu’ils rendaient. […] L’expérience de tant de conflits l’avait rendu fort prudent dans ses rapports avec un peuple intraitable, qui se vengeait de ses maîtres en les obligeant à user envers lui de rigueurs odieuses.

1662. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 15 janvier 1887. »

La décision de la cour de Leipzig n’ayant été rendue qu’au mois de décembre, M.  […] Tout au plus s’appliquerait-il à quelques fous que leur ignorance de la question doit rendre à peu près excusables. […] Le musicien est libre alors, débarrassé des contingences scéniques, préoccupé seulement de rendre ce qu’il pense, ce qu’il éprouve, et ce qu’il rêve.

1663. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Pensées de Pascal. Édition nouvelle avec notes et commentaires, par M. E. Havet. » pp. 523-539

Né en 1623 d’une famille pleine d’intelligence et de vertu, élevé librement par un père qui était lui-même un homme supérieur, il avait reçu des dons admirables, un génie spécial pour les calculs et pour les concepts mathématiques, et une sensibilité morale exquise qui le rendait passionné pour le bien et contre le mal, avide de bonheur, mais d’un bonheur noble et infini. […] Son excès de travail intellectuel l’avait de bonne heure rendu sujet à une maladie nerveuse singulière qui développa encore sa sensibilité naturelle si vive. […] Havet, m’a traité avec tant d’indulgence en une page de son introduction, que j’ai quelque embarras, en finissant, à venir le louer à mon tour ; il me paraît, toutefois, s’être proposée et avoir atteint le but principal que j’indique, et son édition savante est un service rendu à tous.

1664. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Despréaux, avec le plus grand nombre des écrivains de son temps. » pp. 307-333

Ce grand poëte eut toujours dans le cœur un germe de religion, lequel se développa parfaitement sur la fin de sa vie, & la rendit exemplaire. […] Rendons pourtant justice à l’auteur immortel de l’Art poëtique. […] Bien de beaux esprits se seroient honneur de ce madrigal :         Iris s’est rendue à ma foi ;         Qu’eut-elle fait pour sa défense ?

1665. (1936) Réflexions sur la littérature « 6. Cristallisations » pp. 60-71

Tout le rouge et le noir sortira de rapports dans ce genre, et Taine, grand lecteur de Stendhal et, lui, de formation très livresque, s’en inspirera évidemment (le Voyage en Italie nous rend les mémoires d’un touriste surchargés de pâte oratoire). […] Il y a dans les contemplations une admirable pièce, Cerigo, où Victor Hugo rend sensible comme une palme d’étoiles cette cristallisation de l’amour dans le temps. […] Mauclair qui ne s’en souvenait sans doute pas à ce moment, nous en a rendu le sens et même un peu le mouvement dans son très beau morceau sur la Vieillesse des amants.

1666. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVIII et dernier. Du genre actuel des éloges parmi nous ; si l’éloquence leur convient, et quel genre d’éloquence. »

Catinat, le plus vertueux des hommes, est enseveli sans pompe dans un village ; et avant qu’une compagnie savante eût proposé aux orateurs l’éloge de Fénelon, et qu’elle eût couronné un ouvrage éloquent, quels honneurs rendus à ce grand homme avaient consolé son ombre des disgrâces de l’exil ? Nation impétueuse et légère, ardente à ses plaisirs, occupée toujours du présent, oubliant bientôt le passé, parlant de tout, et ne s’affectant de rien, elle regarde avec indifférence tout ce qui est grand ; et quelquefois un ridicule est tout le salaire d’une action généreuse, ou d’un service rendu à l’État et à nous. […] Mais par la manière dont vous présentez les faits, dont vous les développez, dont vous les rapprochez les uns des autres, par les grandes actions comparées aux grands obstacles, par l’influence d’un homme sur sa nation, par les traits énergiques et mâles avec lesquels vous peignez ses vertus, par les traits touchants sous lesquels vous montrez la reconnaissance ou des particuliers ou des peuples, par le mépris et l’horreur que vous répandez sur ses ennemis, enfin, par les retours que vous faites sur votre siècle, sur ses besoins, sur ses faiblesses, sur les services qu’un grand homme pourrait rendre, et qu’on attend sans espérer, vous excitez les âmes, vous les réveillez de leur léthargie, vous contribuez du moins à entretenir encore dans un petit nombre l’enthousiasme des choses honnêtes et grandes.

1667. (1929) Amiel ou la part du rêve

Tout le printemps de 1859, rendez-vous et promenades. […] À l’article des aveux, je ne me rends qu’à l’évidence, et encore ! […] Les rendez-vous au clair de lune d’Amiel et de Philine se donnent dans la Prairie. […] L’œil ironique de M. de Voltaire est présent aux rendez-vous. […] Le rendez-vous est organisé par Philine, presque au corps défendant d’Amiel.

1668. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins » pp. 185-304

— C’était mon livre, en effet, qui ne l’avait pas faite, mais qui l’avait rendue possible en la rendant innocente. […] En poésie, je n’ai été qu’une main novice qui fait rendre par un attouchement léger quelques accords à un instrument à cordes dont le doigté n’est pas une vraie science, mais une inhabile improvisation de l’âme. […] XLI Je me rendis au rendez-vous chez M.  […] Or, quel compte la coalition peut-elle lui rendre de ses motifs en vous renversant ? […] Le ministre, son rival, qui avait consenti à servir, à Londres, la politique de guerre et qui n’avait servi qu’à se rendre acceptable au roi pour remplacer M. 

1669. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Louis Veuillot »

., on a vu des moines éloquents qui donnaient de ces choses des interprétations philosophiques : et cela est étrange, car un mystère que l’on comprendrait ne serait plus un mystère, et on ne rend pas raison de ce qui est au-dessus de la raison. […] » Mais, si mon âme est faible, elle a du moins embrassé une loi forte ; si elle penche à de vils désirs, elle aime pourtant une loi sainte et pure ; si je me rends coupable dans mon coeur, du moins je ne veux point devenir la pierre où trébuche le pied de l’innocent. […] Veuillot était bon, Sainte-Beuve lui rend cette justice. […] C’était le caprice d’un esprit curieusement « traditionnaliste » que de ressusciter ainsi la vieille satire en vers, après que le lyrisme romantique avait ruiné les « petits genres » et que le journalisme les avait rendus inutiles. […] Et que vous eûtes raison de vous entêter dans un rêve qui vous a rendu, vous, si noble, si bon et si grand !

1670. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « M. Denne-Baron. » pp. 380-388

Nous savons par cœur Le Lac, cette divine plainte de ce qu’il y a de fugitif et de passager dans l’amour : Denne-Baron, dans une pièce lyrique qui semble avoir été composée avant Le Lac, a rendu à sa manière un soupir né du même sentiment. […] Denne-Baron, et il s’efforça de le rendre en vers français.

1671. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Poésies d’André Chénier »

Il est si beau d’offrir à ses ennemis une victime sans tache, et de rendre au Dieu qui nous juge une vie encore pleine d’illusions59 !  […] Il aime à redonner à un mot son sens primitif, qui souvent s’est oublié et perdu de vue dans l’acception figurée, et à lui rendre tous les sens qu’il avait en passant de la langue latine dans la nôtre, et que nos vieux écrivains lui avaient conservés.

1672. (1874) Premiers lundis. Tome II « Doctrine de Saint-Simon »

La portion du peuple juif qui a résisté au règne spirituel du Messie, se rendra en voyant venir son règne temporel, et toutes les prophéties seront accomplies, car toutes les prophéties sont vraies. » La justification du mosaïsme ressort avec éclat des travaux d’Eugène. […] Or, voilà pourquoi le christianisme est resté en chemin de son œuvre ; voilà pourquoi de Maistre, génie autant mosaïque qui catholique, ne conçoit pas que Dieu, auteur de la société des individus, n’ait pas poussé l’homme, sa créature chérie et perfectible, jusqu’à la société des nations ; voilà pourquoi les juifs s’obstinent à contempler avec un sentiment orgueilleux de supériorité leur loi, si complète en elle-même, que le christianisme a brisée avant d’avoir à rendre au monde l’unité définitive ; voilà pourquoi la religion de l’avenir, qui devra renfermer tous les caractères du judaïsme et du christianisme, renfermera aussi dans ses temples les juifs et les chrétiens, en les mettant d’accord, selon qu’il a été dit dans les anciennes et les nouvelles Écritures.

1673. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre II. De l’amitié. »

Enfin, en mêlant ensemble le sentiment et les affaires, les intérêts du monde et ceux du cœur, on éprouve une sorte de peine qu’on ne veut pas démêler, parce qu’il est plus honorable de l’attribuer au sentiment seul ; mais qui se compose aussi d’une autre sorte de regrets, rendus plus douloureux par leur mélange avec les affections de l’âme. […] Les anciens avaient une idée exaltée de l’amitié, qu’ils peignaient sous les traits de Thésée et de Pirithoüs, d’Oreste et de Pilade, de Castor et de Pollux ; mais, sans s’arrêter à ce qu’il y a de mythologique dans ces histoires, c’est à des compagnons d’armes que l’on supposait de tels sentiments, et les dangers que l’on affronte ensemble, en apprenant à braver la mort, rendent plus facile le dévouement de soi-même à un autre.

1674. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre III. De l’étude. »

Ces travaux suspendent l’action de l’âme, dérobent le temps, ils font vivre sans souffrir ; l’existence est un bien dont on ne cesse pas de jouir ; mais l’instant qui succède au travail, rend plus doux le sentiment de la vie, et dans la succession de la fatigue et du repos, la peine morale trouve peu de place. […] La philosophie ne fait du bien que par ce qu’elle nous ôte ; l’étude rend une partie des plaisirs que l’on cherche dans les passions.

1675. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre IV. La fin de l’âge classique — Chapitre I. Querelle des Anciens et des Modernes »

Et puis surtout les œuvres de ses amis lui rendaient la tâche difficile : après Racine et La Bruyère, après Bossuet, après La Fontaine et Molière, après Pascal et Corneille, comment soutenir l’infériorité des modernes ? […] De plus, la notion de l’honnête homme, que la société demandait à chacun de réaliser en soi, a rendu dans le cours du siècle l’instruction plus légère, plus superficielle : on a imposé à l’homme du monde de n’afficher aucune compétence spéciale, et on a fini par l’amener à n’avoir en effet aucune sorte de compétence.

1676. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Marcel Prévost et Paul Margueritte »

«… Il s’agissait de favoriser avant toute chose le développement physiologique de l’enfant, surtout au passage périlleux de la puberté ; il fallait, en un mot, la rendre capable d’être épouse et d’être mère. […] C’est donc, sous une forme plus concrète, dans des conditions qui rendent la leçon autrement émouvante et démonstrative, la même histoire que nous a contée dans le Sens de la vie M. 

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