Néanmoins il m’a fallu une grande contention d’esprit et de volonté pour croire à la réalité de ce que je touchais.
Car une liaison existe dans leur esprit entre ces circonstances et le fait : la réalité se représente en bloc dans leur imagination, et il leur semble impossible qu’elle ne soit pas tout ce qu’elle est.
Rien ne prouve mieux qu’il y a en lui un artiste : la réalité le saisit, en dépit de ses préventions, de ses aversions, de ses théories ; et il lui est aussi impossible de ne pas la rendre que de ne pas la voir.
Le sujet l’a captivé, lui permettant d’évoquer deux réalités singulières, séduisantes et analogues : le satanisme dans l’histoire personnifié par Gilles de Rais, le satanisme contemporain incarné dans un chanoine Docre.
Il ne faut pas trop insister sur la réalité historique d’une telle conversation, puisque Jésus ou son interlocutrice auraient, seuls pu la raconter.
Il est évident qu’une division de ce genre, pour être satisfaisante, doit être imposée par la réalité.
Charrière, que nous ne connaissons pas, est probablement un homme d’esprit, et d’ailleurs il a trop vécu en tête à tête de son auteur dans le vis-à-vis d’une traduction, pour ne pas savoir la différence qu’il y a entre les tablettes d’un humouriste, écrites au courant de cette plume, mi-partie d’imagination et de réalité, qui est la plume des humouristes, et des Mémoires d’un seigneur russe, daguerréotypant, pour le compte de l’Histoire, avec une inflexible exactitude, les institutions et les mœurs politiques de son pays.
Saint Paul savait le nombre des chrétiens d’Éphèse, de Corinthe, de chez les Galates… Si vraiment l’Église saint-simonienne est une réalité, si effectivement M.
Gautier, cette Muse de la réalité terrestre, entourée, comme la Mélancolie d’Albert Durer, d’objets, affreux ou immondes, a grandi de plus d’un empan et s’est ouverte dans Émaux et Camées.
Or, encore, si vous ne mettez pas dans votre roman les facultés surabondantes nécessaires à une création, vous avez interverti l’ordre des œuvres, et, au lieu de ce monde inventé et organisé d’un roman dans lequel Walter Scott, par exemple, aurait fait tenir jusqu’à l’Histoire, vous n’avez qu’une histoire, qui n’a peut-être pas la réalité pure de l’Histoire, et c’est dans les formes énergiques, mais étroites, maigres et décharnées de cette histoire, que vous étranglez le roman !
Quand on est jeune, l’imagination aime assez la passion pour vouloir toujours la peindre belle et irrésistible, mais la montrer rapetissée, humiliée sous les habitudes de la vie, sacrifiée à la tyrannie de ces habitudes, et la prose de la réalité venant à bout de la dernière poésie de nos cœurs, suppose un désintéressement d’observation qui ne se voit guère que chez les hommes qui ont vécu et qui savent comme la vie est faite.
Après l’ordre matériel des apparences, rien de l’ordre moral des réalités !
L’érudition était pour lui une façon particulière de regarder l’éternelle vie jusque dans la réalité morte. […] Ayant beaucoup vécu dans les livres, il a été froissé de bonne heure par la réalité. […] Il mêle incessamment sa réalité morose aux nobles idées dont nous entretiennent les classiques latins et grecs, rangés tout à côté sur une planche de sapin. […] Héraclite pleurait en songeant à l’évanouissement, si rapide, des réalités illusoires que sa vue ne pouvait saisir ni arrêter au vol. […] Et, si je me trompe pour quelques détails matériels, je suis assuré que l’impression d’ensemble est conforme à la réalité.
Le récit du faux Turpin, quoiqu’il présente des confusions, est encore celui qui conserve le plus de traits qu’on peut regarder comme appartenant à la réalité. […] La Chanson est encore plus éloignée de la réalité. […] Le dernier est particulièrement intéressant en ce qu’il nous montre à la fois le lien étroit de la chanson avec les faits historiques, et les altérations qu’elle a, en se renouvelant sans cesse, fait subir à la réalité. […] C’est par le sacrifice volontaire d’Élisabeth que cette barrière est renversée, mais seulement dans le ciel, c’est-à-dire en dehors de la réalité humaine et présente. […] Ne t’ai-je pas dit de ne pas te repentir d’une chose passée et de ne croire que ce dont tu aurais constaté la réalité ?
Marivaux a eu ce bonheur, çà et là, de sentir vivement la réalité tout entière et de n’en rien mépriser, parce que, tout y étant lié et dépendant, tout y est significatif. […] Il a constamment, et peut-être à son insu, atténué la réalité et l’a rendue inoffensive et noble. […] (Dans la réalité, nous ne lui devons guère que l’égalité civile ; enfin, n’importe.) […] Qui n’a douté, parfois, de la réalité des choses extérieures, et de la stabilité même des lois de la perception ? […] On a cette impression que le théâtre est bien le plus artificiel des genres, puisque l’art dramatique est à la fois le seul de tous les arts qui ait la prétention de nous mettre la réalité même sous les yeux, et celui à qui sa forme impose les plus graves altérations de cette réalité.
Même orgueil chez Peer et chez Franck, même dégoût de la réalité présente, mêmes désirs immenses et indéterminés, mêmes révoltes frénétiques, et même inquiétude invincible. […] Oui, plus j’y songe, plus je me figure que son originalité est d’être un réaliste à la manière classique ; réaliste sans épithète ; ni russe, ni évangélique, ni amer, ni moral, ni même immoral Mais, justement parce qu’il voit très bien la réalité et qu’il va presque toujours, de lui-même, à la réalité moyenne (la réalité moyenne, ce n’est pas brillant, non, mais c’est infini), l’œuvre de M. […] Elle tient, par des points nombreux, à la réalité d’aujourd’hui. […] Henry Bataille, — de cette réalité plutôt vulgaire, il a surtout tiré du rêve. […] la situation initiale, de réalité moyenne, est engendrée par les caractères et se développe ensuite le plus uniment du monde et presque sans aucune intrusion du hasard.
Celui dont une telle âme anime le corps apaisé passe sa vie devant sa table de travail, sans souci des réalités dont il étudie obstinément la représentation graphique. […] Ce sont des poèmes intimes dont les héros flottent, entre la réalité et l’idéal, dans une région moyenne, où il est délicieux de se promener. […] Tous ces grotesques et tous ces malheureux, il nous les montre si distinctement, que nous croyons les voir devant nos yeux et que nous les trouvons plus réels que la réalité même. […] L’âge d’or imaginé par les poètes deviendra une réalité. […] Ses instincts de générosité positive la retenaient dans la saine réalité de la vie.
Ses conceptions prophétiques du monde étaient acceptées comme des réalités. […] Zola nous enseigna que rien n’était supérieur à la réalité, au déroulement monotone et grandiose de la vie terrestre. […] Ils fouillaient la réalité avec une curiosité attentive et fiévreuse de collectionneurs. […] Sans doute, la réalité vivante avait charmé ses sens, par sa beauté plastique et par son côté pittoresque, mais comment cet observateur et ce moraliste n’aurait-il pas été ému par l’excès des maux et des souffrances qui accablent les hommes actuels ?
Si, d’autre part, l’image tactile était absolument anéantie, la même quantité de conscience s’appliquant dans un temps donné aux voyelles et aux consonnes, les premières ne sauraient être plus profondément enracinées dans les mémoires que les secondes, et la linguistique trouverait aux unes et aux autres la même fixité dans l’évolution des langues ; or il est constant que, dans le cours des siècles, les voyelles subissent en général plus de changements que les consonnes ; ce phénomène nous invite à accorder à l’image tactile une intensité minimum toujours positive, toujours supérieure à zéro ; mais la lenteur de l’évolution des voyelles, et la réalité d’une évolution parallèle, bien que plus lente encore, des consonnes, prouvent que l’élément tactile de la parole intérieure est bien loin d’avoir l’importance qui lui est attribuée par l’école du toucher. […] L’antithèse de ces deux jugements est celle de l’espace et de la durée : la perception externe enveloppe toujours d’une façon ou d’une autre l’affirmation de l’étendue ; de même, la reconnaissance est l’affirmation du temps ; — non pas du temps, dira-t-on, mais du passé seulement ; — du passé, en effet, c’est-à-dire du temps, du temps réel, car le présent est un point indivisible, un néant de durée, qui ne peut contenir aucun événement ; l’avenir n’est qu’une hypothèse, un simple possible auquel nous croyons ; ce n’est pas une réalité dont nous ne puissions douter. […] Ces deux distinctions passent de la réalité objective dans la pensée, la première par la perception externe, la seconde par la reconnaissance ; la reconnaissance nous révèle ainsi la loi fondamentale de notre existence intérieure, l’habitude ; la connaissance de l’habitude n’est qu’une généralisation de nos jugements de reconnaissance. […] Enfin, dans certains cas, l’esprit s’abstient de toute thèse à l’égard de ses états ; c’est lorsqu’ils n’ont pas les caractères qui motivent la perception externe, et que le passé, étant minime, homogène quant à son contenu, limité sans solution de continuité par le présent, est, en quelque sorte, négligeable ; alors il est, en effet, négligé, il passe inaperçu, il se confond avec sa limite, à laquelle il donne un contenu et une réalité ; le passé immédiat devient le présent empirique, le présent apparent, le présent du langage vulgaire, qui n’est pas vide comme le présent des logiciens, mais contient un événement, un seul, ou tout au plus quelques événements simultanés.
Mais lui, qu’a-t-il fait toute sa vie que prendre des légendes pour des réalités, des brouillards pour des terres fermes, des nuages pour des rivages ?
Il n’est pas de ceux qui estiment que le langage n’est destiné qu’à relever la réalité telle qu’elle s’offre, avec ses inégalités, ses hasards, ses lacunes et parfois ses défaillances.
» Indiana n’est pas un chef-d’œuvre ; il y a dans le livre un endroit, après la mort de Noun, après la découverte fatale qui traverse l’âme d’Indiana, après cette matinée de délire où elle arrive jusque dans la chambre de Raymon qui la repousse, — il y a là un point, une ligne de démarcation où la partie vraie, sentie, observée, du roman se termine ; le reste, qui semble d’invention presque pure, renferme encore de beaux développements, de grandes et poétiques scènes ; mais la fantaisie s’efforce de continuer la réalité, l’imagination s’est chargée de couronner l’aventure.
Le tableau de l’élégiaque romain est touchant dans sa réalité, mais on sent aussitôt la différence : il y manque, pour égaler le rêve sicilien, je ne sais quoi d’un loisir tout facile, je ne sais quel horizon plus céleste.
XIX Ce que j’ai voulu en critique, ç’a été d’y introduire une sorte de charme et en même temps plus de réalité qu’on n’en mettait auparavant, en un mot, de la poésie à la fois et quelque physiologie.
Quelques-uns l’ont déjà dit : naturellement et dans la réalité, il est impossible que le duc de Richelieu, lorsqu’à la fin du second acte il se dirige à tâtons vers sa tendre proie, ne s’aperçoive pas presque aussitôt de la méprise et de la ruse.
Nous savons que si Corneille est inégal, c’est qu’il est souvent sublime ; nous savons que si l’imagination de Molière n’est pas riche en fantaisies comme celle de Shakespeare, c’est qu’il peint la réalité comique plus fidèlement.
Il rentre en l’éternel abri, l’âme vieillie peut-être, mais se confiant « aux mains de son destin », renonciateur de l’éphémère réalité.
Il a, je crois, une réalité certaine en ce qui concerne le second de ces poètes ; pour M. de Régnier, son authenticité est au moins probable.
Le contraste de Don Quichotte et de Sancho Panza, de la réalité grossière et de l’idéal chimérique, existait sur le théâtre italien bien avant Cervantès.
Il y a les fervents de l’idéal que la réalité écœure.
Est-il pris dans la réalité ou dans les vastes espaces de la fantaisie ?
Les Femmes savantes, ai-je dit, sont Les Précieuses ridicules reproduites avec un ridicule de plus, celui de la science supposée par le poète dans une condition qui ne laisse point de loisir pour les études scientifiques, ce qui était absolument contraire à la réalité.
Elle ne se préoccupa nullement de la vérité du ridicule et de ce qui fait sa réalité, mais elle prit une thèse de salon, un paradoxe d’après le café, et elle en composa son ouvrage.
Or, précisément, au milieu de ces événements qui ébranlaient le monde jusque dans sa raison, et qui semblaient pourtant moins une réalité qu’une fantasmagorie, on vit une singulière amazone qui n’était pas une bohème, celle-là, car elle était princesse ; elle était de la race de celles à qui les révolutions coupent très bien la tête, et qui venait par curiosité exposer la sienne.
Léopold Ranke, un Français de Berlin pour le vif sentiment de la réalité historique, nous donnait dans une histoire, au fond protestante, une étude magnifique sur Ignace de Loyola, le fondateur de l’ordre le plus impopulaire, et qui contraignait les plus insolents à baisser les yeux devant la beauté morale de ce chevalier qui fut un saint.
Au regard de ceux qui vont au fond de cette femme, peut-être plus profonde qu’on ne croit, Marie-Antoinette, cette reine de Trianon avant d’être la reine de France et la reine du Temple, Marie-Antoinette, qui fut un instant si frivole d’apparence avant d’être si sublime de réalité, ne semblait-elle pas avoir un côté historique bien tentant pour les statuaires en pâte tendre ?
Au regard de ceux qui vont au fond de cette femme, peut-être plus profonde qu’on ne croit, Marie-Antoinette, cette reine de Trianon, avant d’être la reine de France et la reine du Temple, Marie-Antoinette, qui fut un instant si frivole d’apparence, avant d’être si sublime de réalité, ne semblait-elle pas avoir un côté historique bien tentant pour les statuaires en pâte tendre ?
Pour qu’il soit dans la nature d’un homme, il faut combiner la réalité du point de vue que l’on embrasse et la force de volonté que l’on met à l’embrasser.
Ranke poussait jusque-là la réalité.
III Elle est morte, en effet, — le cœur peut en saigner, — mais elle est morte à jamais, pour qui a le sentiment des réalités de l’Histoire… Aux yeux de ceux qui savent ce qui constitue la personnalité et l’identité d’un peuple, il faut, pour qu’il se sente toujours vivant, qu’il ait pu rester, sinon tout entier, au moins en partie, dans le principe de sa vie et de sa durée.
Amoureux clairvoyant de la réalité, F.
Dieu, ce railleur terrible et solitaire dont Bossuet parle quelque part, faisait alors monter sur les tréteaux du pouvoir tous les Jocrisses de « l’idée », afin qu’on les vît mieux, de là, livrer leurs joues bouffies d’espérance aux soufflets de l’implacable Réalité.
La Bible et l’Évangile l’ont mis au monde et l’ont bercé, ce rêveur qui a fini sa longue rêverie par la réalité d’un monde !
Et c’est ainsi qu’un esprit fait pour dire ce qu’il voit dans les réalités humaines emboîte le pas derrière d’indignes maîtres, et se courbe jusqu’à n’être que le répétiteur de leurs ineptes prédictions.
Gérard de Nerval, le rêveur, put se mettre, dans la réalité toujours, à la chasse de son rêve, ce qui n’est permis qu’aux heureux.
Pendant que nous nous civilisons de plus en plus et que le Réalisme, cet excrément littéraire, devient l’expression de nos adorables progrès, un poète de nature, de solitude et de réalité idéalisée, nous donne un poème fait avec des choses primitives et des sentiments éternels.
V C’est que le poète, je l’ai dit, est la grande affaire, la grande réalité dont on doive se préoccuper quand il s’agit de Henri Heine, tellement poète qu’il emporte tout dans le tourbillon de sa création ou de son expression poétique.
Tout cela est la défroque pittoresque et littéraire de l’Italie, haillons en poudre qu’une main distinguée ne touche plus et dédaignerait de remuer, mais sous lesquels l’œil fin aperçoit des réalités sociales et individuelles de l’intérêt le plus attachant et le plus vif, — comme celles-là, par exemple, que, dans sa Chartreuse, Beyle a su peindre avec génie, mais qu’il n’a pas épuisées.
Le principe de cette malpropreté actuelle et solennelle est celui-ci : que la réalité est d’autant plus vraie que sa vérité est plus négligée et plus basse.
Dans la réalité, ce qui donne quelque prix à cette fiction, c’est qu’elle dément le cours ordinaire des choses, quant à l’origine de la poésie.
En fait, réalités et apparences, c’est tout un. […] J’y trouverais une revanche amusante de la réalité sur la convention. […] Sixte ne suppose pas un seul instant la réalité objective de Dieu. […] C’est le mirage qui n’atteste que la réalité de nos regards. […] Nous ne connaissons qu’une réalité : la pensée.
mais le Mystère de la Passion, d’Arnould Gréban, sans doute voilà le drame, le drame image de la vie, le drame tiré des entrailles de l’histoire et de la réalité. […] Il y a une connaissance des choses et des hommes plus profonde et plus sûre, un sens plus vif de la réalité, je ne dis pas dans les Maximes de la Rochefoucauld, mais dans les Mémoires du moindre frondeur que dans Diderot tout entier. […] Et c’était beaucoup déjà, puisque ce n’était rien moins que de ramener le théâtre aux conditions de la réalité, substituer l’observation de la nature, suivie, serrée de près, à la libre invention romanesque, essayer enfin dans le tragique la même réforme que Molière, vers le même temps et depuis déjà quelques années, accomplissait dans le comique. […] Je ferai seulement observer que par là, comme par la qualité de la langue et la simplicité de l’action, Racine se rapprochait de la réalité, c’est-à-dire de la vie. […] C’est là, sans doute, à Potsdam, à Berlin, qu’il avait puisé cette science de la réalité, cette défiance ou même ce dédain des idées et des maximes générales, ce goût du détail, ce souci de l’exactitude, et cette précision du langage qui sont comme historien son vrai titre de gloire et de supériorité.
* * * Cependant quelle dilection pour la réalité défaillante, incertaine, périssable ! […] Matisse se distingue des uns et des autres : il puise dans la réalité la matière de spéculations picturales. […] Souvent aussi il a l’absurdité de la logique ; n’étant pas embarrassé ni retenu par la réalité, il déploie une gratuite barbarie, comme dans le Nu à l’écharpe blanche. […] Elles ne vont pas jusqu’à leur réalité, elles ne portent pas sur les choses, elles ne se détachent pas de l’esprit. […] Car dans la réalité rien n’est définitif, rien ne s’achève à soi, rien n’existe qui ne soit un peu contredit, compensé et comme réparé par mille autres choses.
Quoique bien novice et inexpérimenté alors en matière d’histoire et en jugement politique, quoique mal édifié sur la vraie grandeur de Richelieu, j’en savais assez déjà pour relever dans cet ingénieux roman la fausseté de la couleur, le travestissement des caractères, les anachronismes de ton perpétuels : non, quoi que de complaisants amis pussent dire, non, ce n’était pas là du Walter Scott français ; M. de Vigny n’eut jamais, pour réussir à pareil rôle, la première des conditions, le sentiment et la vue de la réalité, — j’entends aussi cette seconde vue qui s’applique au passé. […] Rien de ce qui est histoire n’y est exact, rien n’y est vu naturellement ni simplement rendu : l’auteur ne voit la réalité qu’à travers un prisme de cristal qui en change le ton, la couleur, les lignes ; il transforme ce qu’il regarde ; mais, malgré tout, la pensée comme l’expression ont, à chaque page, une élévation et un lustre qui attestent un écrivain de prix. […] Droz, l’indulgent Droz, le moins épigrammatique des hommes, traduisait ainsi l’impression qu’il avait reçue de ce discours : « M. de Vigny a commencé par dire que le public était venu là pour contempler son visage, et il a fini en disant que la littérature française avait commencé avec lui. » — « On me dit que M. de Vigny a été immolé à cette séance, ajoutait un autre académicien ; pour moi, je n’ai vu en lui qu’un pontife, et rien ne ressemblait moins à un martyr. » Le récipiendaire fut quelque temps à se faire illusion et à s’apercevoir de la réalité des choses.
Ainsi les sensations, qui pourtant sont le fondement originel du tout, finissent par être considérées comme une sorte d’accident dépendant de nous, et les possibilités sont regardées comme beaucoup plus réelles que les sensations actuelles, bien plus, comme les réalités mêmes dont celles-ci ne sont que les représentations, les apparences ou effets. — Une fois arrivés à cet état d’esprit, et à partir de ce moment pour tout le reste de notre vie, nous n’avons jamais conscience d’une sensation présente sans la rapporter instantanément à quelqu’un des groupes de possibilités dans lesquels est enregistrée une sensation de la même espèce, et, si nous ne savons pas encore à quel groupe la rapporter, nous sentons au moins la conviction irrésistible qu’elle doit appartenir à un groupe ou à un autre, en d’autres termes, que sa présence prouve l’existence, ici et actuellement, d’un grand nombre et d’une grande variété de possibilités de sensation sans lesquelles elle ne se serait pas produite. […] Ceci met le sceau final à la conception par laquelle nous considérons les groupes de possibilités comme la réalité fondamentale dans la Nature. […] Notre expérience tout entière nous montre la force de la tendance qui nous porte à prendre des abstractions mentales, même négatives, pour des réalités substantielles ; et les possibilités permanentes de sensation que l’expérience garantit sont, par plusieurs de leurs propriétés, si extrêmement différentes des sensations actuelles, que, puisque nous sommes capables d’imaginer quelque chose qui dépasse la sensation, il y a une grande probabilité naturelle pour que nous supposions qu’elles sont ce quelque chose.
Tout cela lui parut ou trop abstrait, ou trop conventionnel, ou trop mystique, ou trop sensuel : il conçoit, plus près de terre, une félicité rurale et domestique plus accessible à l’universalité de l’espèce humaine, félicité fondée non sur les chimères d’esprit ou de cœur, mais sur les instincts innés de l’homme et sur les réalités péniblement douces de la vie. […] XXIV C’est là tout le tableau ; c’est-à-dire ce sont là tous les personnages ; mais l’expression profonde, variée, naïve, et pourtant auguste, de toutes ces figures ; mais les attitudes, ces physionomies du corps ; mais les costumes, ces draperies de la statue animée de l’homme et de la femme ; mais le geste, cette langue du silence ; mais l’ombre, cette contre-épreuve de la réalité des personnages ; mais le jour, cet élément de la couleur ; mais l’horizon, cet infini de la toile ; mais l’air, cet élément impalpable qu’en ne doit voir qu’on ne le voyant pas, quelle plume pourrait donner l’impression d’un tel pinceau ? […] Sans doute il y a eu et il y a, aujourd’hui surtout, en France, où une génération de grands peintres prépare un second siècle de Léon X, en deçà des Alpes, il y a des peintres qui peignent, comme Géricault, ou dessinent, comme Michel-Ange, avec le crayon fougueux et infaillible qui calque les formes du Créateur, qui sculpte la charpente des os et des muscles du corps humain ; il y en a qui ont ravi à Titien le coloris, à Raphaël la grâce, à Rubens l’éblouissement et l’empâtement profond, délayés dans des rayons par leurs pinceaux ruisselants ; il y en a qui font nager, comme Huet, leurs paysages, sévèrement réfléchis par un œil pensif, dans les lumières sereines de Claude Lorrain ou dans les ombres transparentes de Poussin ; il y en a qui pétrissent, comme Delacroix, en pâtes splendides, les teintes de l’arc-en-ciel sur leurs palettes ; il y en a qui, comme Gudin, font onduler la lumière et étinceler l’écume sur les vagues remuées par le souffle de leurs lèvres ; il y en a, comme Meissonier, qui donnent aux scènes et aux intérieurs de la vie domestique l’intérêt, la réalité, le pittoresque et le classique de la peinture héroïque ; il y en a qui, comme mademoiselle Rosa Bonheur, transportent avec une vigueur masculine, sur la grande toile, les pastorales de Théocrite, les chevaux de charrette ou les taureaux fumants dans le sillon retourné par le soc luisant ; il y en a qui, comme les deux Lehmann, dont le plus jeune, dans sa Graziella écoutant le livre qu’on lui lit à la lueur du crépuscule, sur la terrasse de l’île de Procida, au bord de la mer, semblent avoir retrouvé sur leur palette l’âme mélodieuse de Léopold Robert.
Nous recevons à l’instant même une preuve écrite de la réalité de nos conjectures. […] Premièrement, quant aux ministères faits ou à faire, je regarde tout cela comme des rêves et des agitations d’ambition sans fondement et sans réalité, et enfin je ne veux pour rien être ministre ; qu’on me raye de toutes les listes. […] Nous nous souvenons de quelque chose de semblable à cette amitié vigilante et habile pour un vieillard jadis aimé, quand Saint-Évremond, qui avait suivi à Londres la belle duchesse de Mazarin (Hortense Mancini), trouvait à quatre-vingt-dix ans auprès d’elle un visage d’ange, une humeur d’enfant, des soins de sœur, des attentions de fille, et qu’il passait sous les beaux regards d’Hortense de la vie à la mort avec les illusions de l’amour et les réalités de l’amitié.
J’ai été très lié avec lui, sans pitié pour son radicalisme, qui n’est pas de ce monde, et qui n’est bon qu’en songe sur cette terre des réalités. […] XXI C’est peu de temps avant cette époque que la beauté, l’amour, l’esprit et la fortune parurent d’un seul coup vouloir dépasser par la réalité tous les rêves de son passé. […] Mais le luxe de l’ameublement, des jardins, des antichambres, attestait la réalité de ce qu’il m’avait confié quelques mois avant.
D’autre part, si l’on se mettait à discuter, il faudrait d’abord savoir si la classification des grandes époques par « siècles » correspond à une réalité profonde ; et, cette discussion nous entraînerait loin. […] Mais on est un peu agacé par ceux qui les imaginent contenant toute la réalité du passé ou bien qui y cherchent une philosophie, une sociologie, une éthique et d’autres choses du même ordre. […] La réalité est différente : nous sommes en présence d’une campagne collective qui ne date pas d’aujourd’hui (elle puise ses origines dans les écrits de M.
De là cette réalité : le poëte est prêtre. […] Lucrèce, esprit qui cherche le fond, est placé entre cette réalité, l’atome, et cette impossibilité, le vide ; tour à tour attiré par ces deux précipices, religieux quand il contemple l’atome, sceptique quand il aperçoit le vide ; de là ses deux aspects, également profonds, soit qu’il nie, soit qu’il affirme. […] L’idée assez homme pour subir l’expiation, c’est le fantôme ; une forme qui est de l’ombre ; l’impalpable, mais non l’invisible ; une apparence où il reste une quantité de réalité suffisante pour que le châtiment y ait prise ; la faute à l’état abstrait ayant conservé la figure humaine.
Le succès d’un roman provincial est toujours de bon aloi puisqu’il ne résulte que du charme que l’on éprouve à lire une copie de la saine réalité. […] Pierre Louÿs osa publier en feuilleton un roman hors du temps et de la réalité. […] Après les romans scientifiques des frères Rosny (les Xipéhuz, Un autre Monde, le Cataclysme, etc.), qui bien avant Wells avait instauré cette forme romanesque, les écrivains n’ont pas hésité à nous mener hors de l’espace et de la réalité.
Dans la réalité rien ne choque ; au soleil, les guenilles valent les vêtements impériaux. […] La réalité qu’on dédaigne, n’est-elle pas plus curieuse que toutes ces folies ? […] Je vois cette recherche dans une infinité d’œuvres qui tendent à la réalité ou plutôt y prétendent et cependant n’ont pas de succès. […] Or la réalité comporte des choses impossibles ; par conséquent si les réalistes n’emploient pas ces choses, ce ne sont plus des réalistes, mais des gens qui ne savent ce qu’ils veulent et qui n’ont jamais eu aucun commerce avec la logique. […] Louis Goudall, dont voici le système : la nature a sa poésie, la réalité humaine est double ; pour être réaliste il faut être peintre, observateur et poète, ne l’est pas qui veut.
En grandissant son personnage pour le bien ou pour le mal, le poète classique proposait un exemple de ce qui devrait être ou ne pas être, plutôt qu’un exemplaire de ce qui existait dans la réalité. […] La théorie internationale leur fit perdre de vue la réalité russe. […] Résumé sommairement, le thème a l’air vieillot ; il faut en lire les développements pour voir avec quel art nouveau, avec quel souci de la réalité le romancier a rajeuni son sujet dans un large courant de vérité humaine. […] Qu’avons-nous à faire de la réalité décolorée ? […] Son plaisir est d’étudier des caractères et des sentiments, aussi simples que possible, pris dans la réalité quotidienne ; mais, et c’est là son secret, il voit cette réalité avec une telle émotion personnelle que ses portraits ne sont jamais prosaïques, tout en restant absolument vrais.
Après la bénédiction des arbres de la liberté et la lune de miel de la République, le quart d’heure de Rabelais commence : toute révolution amène avec elle son chômage à tous les degrés, depuis le bas jusqu’au faîte, et tout chômage entraîne après soi son déficit et sa pénurie : « (À Mme Derains, 1848)… La triste réalité est que je suis sans aucun argent ; que l’on m’envoie à l’heure même une contrainte pour mes impositions, et que je n’ai reçu ni mon mandat, ni avis sur mon trimestre échu depuis cinq jours.. […] C’est ainsi que l’ouvrier littéraire, épris de sa profession, prend ses invalides. — Si cette note paraît trop longue, et, à quelques égards, déplacée à propos de Mme Valmore, qu’on n’oublie pas que, comme dans l’industrie, la littérature a aussi ses ouvriers femmes , et l’on sait à présent quel poète douloureux dans la réalité de la vie était cette âme chantante de Mme Valmore.
Au type vague, abstrait, général, qu’une première vue avait embrassé, se mêle et s’incorpore par degrés une réalité individuelle, précise, de plus en plus accentuée et vivement scintillante ; on sent naître, on voit venir la ressemblance ; et le jour, le moment où l’on a saisi le tic familier, le sourire révélateur, la gerçure indéfinissable, la ride intime et douloureuse qui se cache en vain sous les cheveux déjà clair-semés, — à ce moment l’analyse disparaît dans la création, le portrait parle et vit, on a trouvé l’homme. […] Sans doute sa théorie du drame n’a guère de valeur que comme démenti donné au convenu, au faux goût, à l’éternelle mythologie de l’époque, comme rappel à la vérité des mœurs, à la réalité des sentiments, à l’observation de la nature ; il échoua dès qu’il voulut pratiquer.
La littérature française, c’est l’idéal de la vie humaine, dans tous les pays et dans tous les temps ou plutôt c’est la réalité dont on a retranché les traits grossiers et superflus, pour nous en rendre la connaissance à la fois utile et innocente. […] Ainsi, chez les anciens, quoique la forme de la société, essentiellement pratique et publique, retînt naturellement les écrivains dans la réalité, la part de la vaine curiosité et des spéculations oiseuses y est fort considérable particulièrement chez les Grecs.
Quoique à en croire Balzac, l’idée lui en fût venue de conversations entre de grands personnages, où il avait été mêlé, ces spéculations sur la cour, sur les bons et les mauvais ministres, sur le caractère des gens de la cour, n’étaient pas plus près de la réalité que la chimère de son Prince. […] Ce sujet, c’était en effet le prince, mais le prince considéré au point de vue de l’unité monarchique, dans la réalité des besoins de la France à cette époque.
Le scepticisme subjectif a pu m’obséder par moments ; il ne m’a jamais fait sérieusement douter de la réalité ; ses objections sont par moi tenues en séquestre dans une sorte de parc d’oubli ; je n’y pense jamais. […] À moins que mes dernières années ne me réservent des peines bien cruelles, je n’aurai, en disant adieu à la vie qu’à remercier la cause de tout bien de la charmante promenade qu’il m’a été donné d’accomplir à travers la réalité.
Par contre, il enseigne : « Vérité, réalité, sensualité, sont trois termes identiques… il n’y a d’autre preuve de l’être que l’amour, que les sens. » Et Wagner nous dit : « Ce qui m’attira vers Feuerbach, ce fut que cet écrivain renie la philosophie et qu’il donne de la nature humaine une explication dans laquelle je crus reconnaître l’homme artiste tel que je l’entendais moi-même » (III, 4). […] En voici un exemple, dans Opéra et Drame, dont le manuscrit fut envoyé à Dresde le 21 décembre 1851 (Das Orchester, 1855, 502) : « La musique, au lieu d’exprimer, comme la parole, ce qui n’est que pensé, exprime la réalité (ein Wirkliches) » (IV, 218).
Les uns et les autres ont un théâtre à la portée de leurs œuvres ou de leurs appétits ; les auteurs sont généralement incapables d’imposer un enseignement, une vérité au moyen de l’art ; le public n’est pas susceptible d’accepter la réalité dans l’art non plus que l’art dans la réalité.
Les qualités des animaux, pour y venir décidément, il les a vues ou cru les voir, et, en tout cas, il a agi comme un observateur poète, et les observateurs poètes ont cela de dangereux qu’ils ajoutent beaucoup à la réalité, mais ils ont cela de charmant tout au moins qu’une partie de la réalité, ils la voient, quand nous ne savons pas la voir, avec une puissance de vision, avec une force de perspicacité extraordinaires.
Est-ce conforme à la réalité ? […] Le seul nom d’enfance n’évoque-t-il pas un roman qui est en nous tous, et qui s’y trouve à l’état romanesque précisément, je veux dire avec la poésie de la réalité et celle du recul, avec le double attrait de la jeunesse qui se souvient et de l’expérience qui raconte, avec ces grossissements de certains épisodes, que le lointain déforme et amplifie, comme il fait, entre les branches d’arbres, pour les astres qui se lèvent ?
Dans notre esprit comme dans la réalité, l’accroissement des « variétés individuelles » efface les limites des « espèces » en constituant des « genres » plus larges. […] Topinard 127, les peuples seuls sont des réalités.
Sauf (bien entendu) tous les crocs-en-jambe que la réalité, même en la confirmant, donne à la formule.
Les plus vrais tableaux, les plus vives réalités qu’il nous offre, ont encore un parfum antique qui trahit une instinctive familiarité avec les maîtres de l’âge d’élégance, avec les poëtes du Musée et de l’Anthologie.
Il est bon toutefois, il est salutaire, au milieu de tant d’hymnes généreuses, mais toutes puisées en nous-mêmes, sur l’infaillibilité et les délices de cet avenir inconnu, d’entendre un rappel jeune et grave à la réalité, d’écouter un observateur positif et sévère.
En effet, les hommes peuvent toujours cacher leur amour-propre et le désir qu’ils ont d’être applaudis sous l’apparence ou la réalité de passions plus fortes et plus nobles ; mais quand les femmes écrivent, comme on leur suppose en général pour premier motif le désir de montrer de l’esprit, le public leur accorde difficilement son suffrage.
Les libertins J’ai montré Saint-Evremond, cet esprit curieux et indépendant qui ne subit de servitude que celle des bienséances mondaines ; ce douteur paradoxal en qui il y a du Montaigne, et du Voltaire aussi, parfois du Montesquieu, quand il juge le peuple romain et ses historiens ; ce franc matérialiste, qui, dans sa vieillesse, forcé de renoncer à tous les plaisirs, éloigna toute espérance indémontrable, et se consola par deux réalités : l’activité de son esprit, et la solidité de son estomac.
La réalité que la science révèle supérieure à toutes les imaginations.
Ce n’est pas que sa vertu baissât ; mais sa lutte au nom de l’idéal contre la réalité devenait insoutenable.
Ce qu’il aime en eux est bon et digne d’être aimé ; mais il n’a pas assez de pénétration pour discerner l’apparence de la réalité.
Taine, la minutieuse enquête de Sainte-Beuve, le réalisme humain des meilleurs biographes anglais, les études anecdotiques comme celles des romantiques, seront fondus ensemble et concentrés au point de donner de l’homme, de ses contours, une apparente image : on aura ainsi les procédés qu’il faut pour pénétrer de réalité, de vérité, de vie, pour galvaniser et animer l’être dont l’âme aura paru morte et morcelée d’après le travail de l’analyseed.
Chacun tourne en réalités, Autant qu’il peut ses propres songes.
Et ce n’est pas un mirage, cela, c’est une réalité !
C’est là une idée de comédie, — une idée de Molière écrivant contre la province son Monsieur de Pourceaugnac, — mais c’est une idée fausse, comme presque toutes les idées de Molière, un de ces grands esprits trop souvent faux, malgré la réalité et la sincérité de son génie.
Les plus beaux types (et nous prenons ici ce mot dans le sens criminel et tragique), les plus beaux types de la Poésie et de la Réalité, n’offrent rien, selon nous, de plus complet et de plus effrayant à ceux qui étudient la force d’impulsion des passions que cette Élisabeth de Platen, dont on n’aurait rien dit encore quand on l’appellerait la lady Macbeth de l’amour !
car Joseph de Maistre est certainement le seul homme au monde qui ait fait passer tous les sentiments de la vie, les plus offensés et les plus résistants, à travers la réalité d’un respect qui ne se démentit jamais, quand tout aurait dû, à ce qu’il semble, le faire éclater.