/ 2928
1251. (1739) Vie de Molière

Son goût pour l’étude se développa ; il pressa son grand-père d’obtenir qu’on le mît au collège, et il arracha enfin le consentement de son père, qui le mit dans une pension, et l’envoya externe aux jésuites, avec la répugnance d’un bourgeois qui croyait la fortune de son fils perdue, s’il étudiait. […] La mode de représenter ces petites farces après de grandes pièces était perdue à l’hôtel de Bourgogne. […] Il crie qu’il est perdu, qu’il est abîmé, si la fumée de son feu va hors de sa maison. Il se met une vessie à la bouche pendant la nuit, de peur de perdre son souffle. […] Cet homme dit dans sa préface : Je crois pouvoir dire sans vanité, que Molière n’a rien perdu entre mes mains.

1252. (1893) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Cinquième série

Rien ne se crée de rien, en histoire ou en littérature, mais aussi rien ne se perd. […] Et l’on voit aisément ce qu’il y eût perdu de réputation ou d’influence, mais ce que la littérature en général, ou la poésie même y eussent gagné, c’est ce que l’on ne voit pas du tout. […] Et, tôt ou tard, conseils, préceptes, injonctions, finissent par perdre ce caractère de fixité sans lequel une morale est indigne de son nom. […] Et ils n’ont pas osé le traiter de « dévot » ou de « clérical », comme nous dirions aujourd’hui, mais ils l’ont rayé du calendrier de leurs grands hommes, — et Bayle y a perdu le peu d’autorité qui lui restait encore. […] et parce que l’héritier de Bayle s’était jeté dans leurs bras, croirons-nous qu’en vérité la réputation ou la gloire de l’auteur du fameux Dictionnaire y ait beaucoup perdu ?

1253. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Troisième partie. — L’école historique » pp. 253-354

Ce sont amusements de ma jeunesse, premiers essais de mon imagination émancipée, au sortir de la longue enfance où nous avions tous perdu notre liberté de penser sous la tyrannie d’une lettre morte. […] Serait-ce qu’elles ont besoin du charme de l’éloquence, et que, dépouillées de leur expression oratoire, elles perdent leur intérêt ? […] Quand il perdit son père à dix-huit ans, le pauvre fils de pasteur n’ayant pas le sou, point de science et peu d’idées, pour vivre imagina d’écrire, et pour se faire lire imagina de n’avoir pas le sens commun, d’être original à tout prix, c’est-à-dire à peu de frais. […] Louis XIV faisait perdre l’équilibre à son poète au moment même où il le faisait perdre à l’Europe : Les Femmes savantes paraissent avec la guerre de Hollande453. […] Aux larmes, Le Vayer, laisse tes yeux ouverts ; Ton deuil est raisonnable, encor qu’il soit extrême, Et lorsque pour toujours on perd ce que tu perds, La Sagesse, crois-moi, peut pleurer elle-même.

1254. (1923) Au service de la déesse

Il murmure : « L’excès a perdu les Centaures, les Magnètes, Smyrne et Colophon ; il perdra notre république !  […] Lefranc ne perdra point ce mot. […] Tontine : « C’est gagner que d’en perdre. […] » Quelques mois plus tard, il perd son vieux Théo, comme il l’appelle. […] Pour le prévoir, ne perdez pas de vue la continuité française : et préservez-la.

1255. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Quelques « billets du matin. » »

Je vous avertis qu’ils perdent à être écrits. […] Je serais curieux de savoir si, dans votre esprit, nous perdrions à la comparaison. […] Un seul faux pas pourrait les perdre. […] Bernhardt a perdu la faculté de comprendre et de traduire les sentiments moyens, ceux de la vie de tous les jours. […] Là est son salut, et ce qui l’empêche de perdre pied.

1256. (1899) Arabesques pp. 1-223

Tous exploitaient la ferveur et la bonne foi du grand nombre afin de perdre leurs rivaux. […] Maintenant, je vous ordonne de me perdre et de vous trouver. […] La plupart se croient perdus dès qu’ils ne se sentent plus tenus en lisière par les maîtres qu’ils se donnent. […] Perdus dans la nuit, ils parlent du soleil qui leur illumine l’âme. […] Tous ces spoliés commencent à perdre patience et à s’acheminer vers la Révolution.

1257. (1906) Propos de théâtre. Troisième série

Je suis las de perdre encre, plume et papier. […] Cette « race rêveuse » de Bretagne ne perd pas toujours son temps. […] Il perd sa cause pour n’avoir pas voulu se plier aux usages coupables de l’époque, pour s’être refusé à visiter ses juges. […] C’est sa troisième bataille perdue. […] Ces dieux qu’il outragea, ces droits qu’il a perdus.

1258. (1892) Essais sur la littérature contemporaine

France en perdit ce jour-là jusqu’au goût d’atticisme, — ou plutôt d’alexandrinisme, — dont il se pique d’habitude. […] Comme rien, dit-on, ne se perd dans la nature, rien aussi ne s’y crée. […] On perd du même coup le bénéfice d’en être, et personne n’y gagne. […] J’avoue que je l’ignore, mais, à coup sûr, ils n’y eussent point perdu. […] et ne perdrait-on pas la moitié du profit que l’on croit en tirer ?

1259. (1910) Variations sur la vie et les livres pp. 5-314

Elle était infirme ; et toujours enfermée dans sa chambre, elle pleurait son amitié perdue. […] Un enfant du village a-t-il perdu ces fleurs ? […] Par-ci par-là une façade a été grattée, une fenêtre a perdu ses meneaux ; et c’est tout. […] Voilà mon espoir perdu. […] Un drame satirique perdu d’Euripide portait le titre d’Autolycus.

1260. (1914) Une année de critique

Le trésor de sa vie intérieure serait à jamais perdu, si Constantin Christomanos n’en avait pieusement recueilli des parcelles. […] Elle a perdu la grâce de l’adolescence ; son allure s’est alourdie. […] On a fait des mots un usage si déréglé que leur force s’est perdue et leur relief émoussé. […] Elle y gagne en singularité ; elle y perd en richesse. […] Julien Benda ratiocine à perdre haleine.

1261. (1928) Quelques témoignages : hommes et idées. Tome II

Nous avons perdu le Père Léonce en 1927, et jeune encore. […] Si vous pariez qu’il existe et s’il n’existe pas, que perdez-vous ? […] L’éloignement de la mer l’a préservée des ambitions impérialistes qui ont perdu Pise. […] Peine perdue. […] Il s’y voit, entre autres, une copie conservée au château de Leufota en Suède, faite par Gustave Lundberg lui-même, d’une grande toile de Santerre qui représente la princesse jeune, toile aujourd’hui perdue, comme est perdu le pastel exécuté par Lundberg en 1726.

1262. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Redonnel, Paul (1860-1935) »

Les Chansons éternelles forment une ligne parabolique dont les deux côtés vont se perdre dans l’infini.

1263. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 544-547

Cet Ouvrage a soulevé quiconque n’a pas perdu toute étincelle de raison & d’humanité ; on y combat jusqu’à l’existence de l’Etre suprême.

1264. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Notes et pensées » pp. 441-535

— Quand Musset sent que sa verve traîne et commence à languir, il se jette à corps perdu dans l’apostrophe. […] Guizot a pour lui l’action oratoire, le jeu ; mais, lu, cela perd beaucoup. […] Livrez beaucoup de batailles, livrez-en à tort et à travers, dussiez-vous les perdre. […] Il ne voulait pas perdre ni laisser tomber à terre une seule des miettes de son esprit. […] Pendant les trois mois qui suivirent la révolution de Juillet, je fis nombre d’articles de tout genre, mais je ne perdais point de vue la poésie et nos chers amis les poètes.

1265. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Chapitre I. Les idées et les œuvres. » pp. 234-333

La vie n’est qu’une casaque d’arlequin, —  nous ne regardons pas comment elle va. —  Allez cafarder sur le décorum, —  vous qui avez des réputations à perdre. […] On voulut appeler un médecin. « Pourquoi un médecin perdrait-il son temps sur moi ? […] C’était un enfant délicat, craintif, d’une sensibilité frémissante, passionnément tendre, et qui, ayant perdu sa mère à six ans, fut soumis presque aussitôt au fagging et aux brutalités d’une école publique. […] Il se croyait perdu, il s’était cru perdu toute sa vie. […] Ils pullulent comme les volées d’insectes éclos un jour d’été dans la végétation surabondante ; ils bourdonnent et luisent, et l’esprit se trouve perdu parmi leurs bruissements et leurs chatoiements.

1266. (1925) Dissociations

Je connais la vie, mais je suis bonne et c’est ce qui m’a perdue. » C’est la règle, ils ne veulent pas se reconnaître. […] L’animal fou perd donc à la fois la notion de ses devoirs et la notion de ses fonctions. […] Elle y perd toute signification. […] On peut les attaquer sans qu’elles perdent contenance ; la riposte ne leur manquera pas. […] Le sculpteur protestait de son respect pour l’histoire où Camoens perdit un œil.

1267. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Saint-Martin, le Philosophe inconnu. — I. » pp. 235-256

Ce sont ses mémoires à bâtons rompus, ses confessions : Je ne me suis laissé aller, dit-il, à composer de pièces et d’idées détachées ce recueil historique, moral et philosophique, que pour ne pas perdre les petits traits épars de mon existence ; ils n’auraient pas mérité la peine d’en faire un ouvrage en règle, et je ne donne à ce petit travail que des minutes très rares et très passagères, croyant devoir mon temps à des occupations plus importantes. […] Il avait perdu sa mère, mais il trouva dans une belle-mère une tendresse inaccoutumée : J’ai une belle-mère à qui je dois peut-être tout mon bonheur, puisque c’est elle qui m’a donné les premiers éléments de cette éducation douce, attentive et pieuse qui m’a fait aimer de Dieu et des hommes… Ma pensée était libre auprès d’elle et l’eût toujours été si nous n’avions eu que nous pour témoins ; mais il y en avait un dont nous étions obligés de nous cacher comme si nous avions voulu faire du mal. […] Je n’oublierai point que, pendant les six mois que j’ai été dans la magistrature, j’avais beau assister à toutes les plaidoiries, aux délibérations, aux voix et au prononcé du président, je n’ai jamais su une seule fois qui est-ce qui gagnait ou qui est-ce qui perdait le procès, excepté le jour de ma réception, où on avait arrangé un petit plaidoyer que l’on était convenu d’avance de couronner.

1268. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — II » pp. 454-475

Sur Montesquieu il est d’un avis assez tranché et a l’air paradoxal, et peut-être n’a-t-il que raison : Montesquieu perdra moins qu’un autre dans cette révolution d’idées et de sentiments, parce que les objets dont il a parlé seront éternellement intéressants, et que sa manière de s’exprimer est simple et piquante ; mais, tout en admirant plusieurs parties de L’Esprit des lois, je crois que cet ouvrage lui donnera moins de droits que les Lettres persanes pour se maintenir au premier rang des hommes de génie. […] Le temps fait perdre de leur prix non seulement aux pensées des hommes, mais à leurs actions, à mesure que des actions semblables se multiplient ; des exemples de valeur héroïque, des mots sublimes inspirés par l’héroïsme militaire ou patriotique, qu’on admirait chez les anciens, sont devenus des lieux communs ; dès qu’on entend commencer l’histoire, on en devine la fin et le trait, comme on devine souvent l’hémistiche d’un vers ; l’esprit se blase ainsi sur tout ; l’amour-propre même s’use ; les triomphes, les honneurs, les applaudissements multipliés n’offrent plus le même attrait, et l’homme, de jour en jour, doit être moins avide de succès qu’il voit prodiguer à un grand nombre de personnes, et souvent à des hommes méprisables. […] Mais, en vivant de cette vie obscurément délicieuse et amollie, à la fois sentimentale et très sensuelle, il est arrivé au dégoût final, au néant ; en perdant les enchantements de la jeunesse, il a perdu ses illusions de tout genre qui, même dans l’ordre de l’esprit, avaient besoin d’elle pour se colorer.

1269. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Souvenirs militaires et intimes du général vicomte de Pelleport, publiés par son fils. » pp. 324-345

Une autre race de guerriers, que personnifie le nom de Catinat, ou, si l’on veut, de Vauban, est celle des militaires qui joignent aux qualités de leur profession des mérites presque contradictoires de penseurs, de philosophes, de raisonneurs ; ils jugent, ils ont des idées politiques, des vertus civiles ; une capacité de plus les complète, mais parfois aussi les complique ; ils y perdent un peu en relief s’ils y gagnent en profondeur. […] » Un peu troublé par cette question, je perdis toute contenance, et répondis naïvement : « Mais rien, Sire. » — « Vous avez cependant une famille, reprit l’empereur ; que voulez-vous pour elle ?  […] C’est ce sentiment-là, répandu dans ces pages et inspirant toute une vie, qui est fait pour toucher et pour donner à des générations bien différentes l’idée de toute une race d’hommes, laquelle, il faut l’espérer, n’est point perdue.

1270. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Œuvres de Louise Labé, la Belle Cordière. »

Après tout, le poète chez elle n’y perd pas. […] Vénus, pour le toucher et l’apitoyer, énumère et rappelle tous les grands moments où elle a dû déjà recourir à son père et où il s’est montré bon pour elle : — quand elle fut blessée par Diomède ; — quand elle voulut sauver Énée ; — quand elle perdit Adonis, etc. […] Nous le savons, tu peux donner encor des ailes Aux âmes qui ployaient sous un fardeau trop lourd : Tu peux, lorsqu’il le plaît,, loin des sphères mortelles Les élever à toi dans la Grâce et l’Amour ; Tu peux parmi les chœurs qui chantent tes louanges A tes pieds, sous tes yeux nous mettre au premier rang, Nous faire couronner par la main de tes Anges, Nous revêtir de gloire en nous transfigurant ; Tu peux nous pénétrer d’une vigueur nouvelle, Nous rendre le désir que nous avions perdu ; Oui, mais le Souvenir, cette ronce immortelle Attachée à nos cœurs, l’en arracheras-tu ?

1271. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni. »

Beaux diseurs de secrets, vous perdiez un mystère Échappé de Paris pour ce cher entretien : Les paroles allaient tomber dans la fougère, Et le salon ne saura rien. […] Il n’a fait qu’une seule caricature politique dans toute sa vie, contre Charles X, le Ballon perdu, en 1830, et il se la reproche encore ; il voudrait l’effacer. […] Les Artistes, les Actrices, les Lorettes ; Paris le matin, Paris le soir ; la Physiologie de la vie conjugale, toutes les physiologies illustrées d’alors, celle de l’Étudiant, de l’Écolier, de l’Amoureux, du Provincial, etc. : on se perd à suivre Gavarni dans cette fécondité multiple et simultanée29.

1272. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier. »

Ne voit-on pas qu’une onde, à sa source limpide, En passant par la fange y perd sa pureté, Que d’un ciel d’abord pur, un nuage rapide Bientôt ternit l’éclat et la sérénité ? […] En ce temps-là précisément (1833), il était allé se loger avec quelques amis dans la rue et l’impasse du Doyenné, ce reste du vieux Paris, un îlot perdu et oublié dans un coin de la place du Carrousel. […] La jeunesse s’exalta pour l’amoureux passionné qu’elle ne discuta plus et elle s’écria, quand elle le perdit : Adieu, notre grand poète !

1273. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet (suite et fin.) »

Ce n’est pas seulement la faiblesse du roi et son indécision qui Pont perdu, c’est surtout une disposition malheureuse de son caractère qui le portait à une demi-confiance pour tous ceux de ses serviteurs qu’il estimait, mais jamais à une confiance entière pour aucun. […] » Le récit des Mémoires qui se rapporte à ce séjour de Malouet à Londres laisse à désirer : tous les papiers de ce temps ont été perdus ou détruits. […] Les éclaircissements que donne Malouet ont pour objet de prouver que, dans la conduite de cette affaire, il sut toujours se montrer Français sans perdre l’estime des Anglais, et qu’en s’exposant sur le moment à des calomnies inévitables, il n’a jamais démérité de ses concitoyens.

1274. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [V] »

L’esprit de parti a pu vous diviser un instant, mais le sang de Winkelried coule encore dans vos veines… Dites-vous bien qu’une nation assez faible pour supporter un attentat contre son territoire est une nation perdue, et qu’il vaut mieux encore succomber avec honneur comme les Bernois en 1798, que d’imiter l’exemple des hommes pusillanimes de 1813. […] Apprenez à vos milices à combattre en ligne s’il le faut, ou à se disperser en partisans après une bataille perdue pour reparaître sur des points donnés et y renouveler la lutte. […] il en est le malheureux fils, et, pour me servir de l’expression allemande qui dit que le temps présent est gros (enceinte) de l’avenir, je vous assurerai que, si la progéniture va ainsi en dégénérant, nous ne perdrons pas grand’chose à quitter le monde sans faire connaissance avec elle.

1275. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [II] »

L’Antiquité grecque et latine avait trouvé dans tous les genres les belles formes, les moules admirables, des modèles qu’une fois ressaisis, on ne perdait plus de vue et qu’on révérait sans cesse. […] Il dut y songer à deux fois et se recueillir pour accommoder et accorder ses propres pensées avec ce mode d’expression fin, éclatant et poli, dont l’idée si longtemps éclipsée était enfin retrouvée pour ne plus se perdre, et qui rayonnait avec diversité en vingt types immortels ; il fit, en présence des Grecs et des Latins, ce que les Latins avaient déjà fait en présence des Grecs : il choisit, il s’ingénia, il combina. […] S’il regrette le temps que l’on perd dans les années de l’enfance et de la jeunesse à apprendre des mots, il est loin (tant s’en faut !)

1276. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « DE LA LITTÉRATURE INDUSTRIELLE. » pp. 444-471

Sans doute pour qui considère les productions de l’époque d’un coup d’œil complet, il y a d’autres littératures coexistantes et qui ne cessent de pousser de sérieux et honorables travaux : par exemple la littérature qu’on peut appeler d’Académie des Inscriptions, et qui reste fidèle à sa mission de critique et de recherche en y portant un redoublement d’activité et en y introduisant quelque jeunesse ; il y a encore la littérature qu’on peut appeler d’Université, confinant à l’autre, et qui par des enseignements, par des thèses qui deviennent des ouvrages, est dès longtemps sortie de la routine sans perdre la tradition. […] Afin d’avoir en caisse le profit de l’annonce, on eut de la complaisance pour les livres annoncés ; la critique y perdit son crédit. […] Les journaux, par cette baisse de prix, par cet élargissement de format, sont devenus de plus en plus tributaires de l’annonce ; elle a perdu son reste de pudeur, si elle en avait.

1277. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LOYSON. — POLONIUS. — DE LOY. » pp. 276-306

Son Océan regagne en Amérique ce qu’il a perdu dans nos landes. […] Et à lui-même il lui importe assez peu maintenant de perdre la bataille là où il n’est plus tout entier. […] Pensers mystérieux, espace, éternité, Ordre, beauté, vertu, justice, vérité, Héritage immortel dont j’ai perdu les titres, D’où m’êtes-vous venus ?

1278. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LES JOURNAUX CHEZ LES ROMAINS PAR M. JOSEPH-VICTOR LE CLERC. » pp. 442-469

On y gagne, quand on juge le moyen âge, de le faire dans un esprit plus détaché de toutes les analogies contemporaines ; mais on y perd aussi quelque chose en notions continues. […] Il y aurait danger, si l’on n’y faisait attention, de demeurer attardé dans les préparatifs de l’entreprise et perdu dans les notes : je sais un estimable érudit qu’on trouva de la sorte dans son cabinet, assis par terre, à la lettre, et tout en pleurs, au milieu de mille petits papiers entre lesquels il se sentait plus indécis que le héros de Buridan : Sedet æternumque sedebit infelix Theseus. […] On est entraîné, le vent chasse, le courant pousse, le rivage se perd de vue.

1279. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « HISTOIRE DE LA ROYAUTÉ considérée DANS SES ORIGINES JUSQU’AU XIe SIÈCLE PAR M. LE COMTE A. DE SAINT-PRIEST. 1842. » pp. 1-30

Mais le pont de bateaux ne se fait pas toujours ; les matériaux manquent ou se perdent ; il ne se trouve plus que des jalons, et de place en place, après l’orage, des massifs de pièces interrompues et pendantes. […] Et, par exemple, il importe de bien dégager l’idée principale, l’idée monarchique, de la séparer des nombreux accessoires où elle se mêle et qui peuvent parfois la faire perdre de vue. […] M. de Saint-Priest a vu sans doute l’idée monarchique beaucoup plus désertée en théorie qu’elle n’est peut-être perdue en fait, et il m’a l’air de ceux qui ne désespèrent pas précisément de son lendemain.

1280. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIIIe entretien. Fénelon, (suite) »

On s’empressa néanmoins d’envoyer ces lettres infamantes à Rome, pour y ternir celui qu’on voulait perdre. […] … » Sa vie, en effet, était désormais sans mobile, il en avait perdu le but. […] L’amitié du moins lui restait ; il en perdit la meilleure part avec l’abbé de Langeron, le disciple, le confident, le soutien de son cœur dans toutes les fortunes.

1281. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre I. Renaissance et Réforme avant 1535 — Chapitre II. Clément Marot »

Il n’est pas jusqu’à Marot, si peu érudit, qui ne se plaigne de l’insuffisance des études : En effet, c’étoient de grans bestes Que les régens du temps jadis : Jamais je n’entre en paradis, S’ils ne m’ont perdu ma jeunesse. […] En 1500 paraissent à Paris les Adages d’Érasme ; c’est toute la lumière de l’antiquité qui se répand à flots sur le monde : dans ce petit livre est ramassée la quintessence de la sagesse ancienne, la fleur de la raison d’Athènes et de Rome, tout ce que la pensée humaine suivant sa droite et naturelle voie peut trouver de meilleur et de plus substantiel, avec cette forme exquise et simple qui s’était perdue depuis tant de siècles. […] Il y a dans Amadis une fantasmagorie d’héroïsme, des héros occis, des géants pourfendus, des chevaliers vaincus par deux et par trois à la fois, des hommes d’armes par huit ou dix, des soldats par milliers sur le champ de bataille, un seul preux, tantôt Amadis, et tantôt Galaor, ou un autre, pour toutes ces besognes : des enfants perdus et retrouvés, des époux ou des amants séparés, des amours foudroyants ou ineffablement profonds, des enchantements, des oracles, une géographie fabuleuse.

1282. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 7761-7767

Il sembleroit que les manieres naturelles devroient être les plus aisées ; ce sont celles qui le sont le moins, car l’éducation qui nous gêne, nous fait toûjours perdre du naturel : or nous sommes charmés de le voir revenir. […] On peut la comparer aux Pyrenées, où l’oeil qui croyoit d’abord les mesurer, decouvre des montagnes derriere les montagnes, & se perd toûjours davantage. […] Lorsqu’une chose nous est montrée avec des circonstances ou des accessoires qui l’aggrandissent, cela nous paroit noble : cela se sent sur-tour dans les comparaisons où l’esprit doit toûjours gagner & jamais perdre ; car elles doivent toûjours ajoûter quelque chose, faire voir la chose plus grande, où s’il ne s’agit pas de grandeur, plus fine & plus délicate : mais il faut bien se donner de garde de montrer à l’ame un rapport dans le bas, car elle se le seroit caché si elle l’avoit découvert.

1283. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVIII. Formule générale et tableau d’une époque » pp. 463-482

Phèdre a des remords de chrétienne, Andromaque des délicatesses et des coquetteries de princesse habituée à la vie de cour ; Junie se fait vestale, comme une fille noble, ayant perdu son fiancé, entre en religion ; Mithridate expire aussi majestueusement que mourra Louis XIV. […] A peine si Boileau accorde à Villon et à Marot quelques maigres éloges qui encore portent à faux ; il traite Ronsard et son école avec une insultante pitié ; et l’historien qu’il essaie d’être pousse un soupir de soulagement, comme un homme perdu dans la nuit qui voit poindre l’aurore, quand, dans sa course rapide à travers le passé littéraire de la France, il arrive à Malherbe, son précurseur. […] Ce n’est pas tout : à mesure que la hiérarchie des castes perd de sa rigueur, la philosophie commence, elle aussi, à rapprocher dans l’homme les deux moitiés inégales entre lesquelles Descartes opérait un divorce si complet.

1284. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Huet, évêque d’Avranches, par M. Christian Bartholmèss. (1850.) » pp. 163-186

Huet perdit de bonne heure ce père excellent ; il perdit aussi sa mère peu de temps après, et se trouva en bas âge aux mains de parents éloignés, qui furent des tuteurs négligents. […] Il n’en perdit jamais tout à fait l’habitude et le tour.

1285. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Goethe et de Bettina, traduites de l’allemand par Sébastien Albin. (2 vol. in-8º — 1843.) » pp. 330-352

Au moment où il perdit sa mère, Bettina lui écrivait, en faisant allusion à cette disposition froide et ennemie de la douleur, qu’on lui attribue : « On prétend que tu te détournes de ce qui est triste et irréparable : ne te détourne pas de l’image de ta mère mourante ; sache combien elle fut aimante et sage à son dernier moment, et combien l’élément poétique prédominait en elle. » Par ce dernier trait, elle montre bien qu’elle sait l’endroit par où il faut le pénétrer. […] Quand il voyait quelqu’un malade, triste et préoccupé, il rappelait de quelle manière il avait écrit Werther pour se défaire d’une importune idée de suicide : « Faites comme moi, ajoutait-il, mettez au monde cet enfant qui vous tourmente, et il ne vous fera plus mal aux entrailles. » Sa mère savait également la recette ; elle écrivait un jour à Bettina, qui avait perdu par un suicide une jeune amie, la chanoinesse Gunderode, et qui en était devenue toute mélancolique : Mon fils a dit : Il faut user par le travail ce qui nous oppresse. […] Oserons-nous dire qu’il nous semble souvent que la fleur naturelle est devenue par là une fleur artificielle plus brillante, plus polie, mais aussi plus glacée, et qu’elle a perdu de son parfum ?

1286. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Mme de Caylus et de ce qu’on appelle Urbanité. » pp. 56-77

Elle est jolie, si vous voulez ; mais, après cela, elle vous est donnée par une personne qui, quand elle sera à votre côté, voudrait bien ne la pas perdre de vue… Partez, ma quenouille ; il n’y a point d’ironie à dire que je vous envie : rien n’est plus vrai. […] Mme de Caylus, y faisant allusion, dira ailleurs, dans une image pleine de pensée : Je suis fort bien ici, je ne perds pas un rayon du soleil, ni un mot des vêpres d’un séminaire (Saint-Sulpice) où les femmes n’entrent point ; c’est ainsi que toute la vie est mêlée : d’un côté, ce palais (le Luxembourg), et de l’autre, les louanges de Dieu ! […] [NdA] Sa santé se perdit de bonne heure ; sa taille se gâta.

1287. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires de Marmontel. » pp. 515-538

Dès les premières pages, quand il nous peint sa famille modeste, unie et heureuse (il était fils, je crois, d’un tailleur), le bon prêtre qui lui apprend le latin, l’abbé Vaissière ; le premier camarade et ami de cœur qu’il se donne pour modèle, le sage Durant ; quand il nous fait connaître de près sa mère, charmante et distinguée d’esprit dans sa condition obscure, son père sensé et d’une tendresse plus sévère, ses tantes, ses sœurs, on croit respirer une odeur de bonnes mœurs et de bons sentiments qui lui resteront, et qu’il ne perdra jamais, même à travers les boudoirs où plus tard il s’oubliera. […] Ainsi, lorsqu’en janvier 1760, sortant de la Bastille, où il avait été détenu onze jours pour avoir récité en société une satire contre le duc d’Aumont, il va trouver le ministre, le duc de Choiseul, et qu’il essaie de l’émouvoir, d’obtenir qu’on lui laisse le privilège du Mercure avec lequel il soutient sa famille, ses tantes, ses sœurs, le discours qu’il se suppose en cette occasion et qu’il refait de mémoire est faux et presque ridicule : Sachez, monsieur le duc, qu’à l’âge de seize ans, ayant perdu mon père, et me voyant environné d’orphelins comme moi et d’une pauvre et nombreuse famille, je leur promis à tous de leur servir de père. […] Bélisaire est parfaitement ennuyeux, et le fameux xve  chapitre, dont la théologie est si fade en elle-même, a perdu le piquant de l’à-propos, puisque la tolérance absolue que l’auteur réclame dans l’ordre civil est à peu près chose gagnée.

1288. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le comte-pacha de Bonneval. » pp. 499-522

Je conçois qu’on ait eu envie de l’écrire. » C’est pour avoir cédé toujours à ces envies et ne les avoir jamais contrôlées par un devoir, par un principe ou un scrupule, que Bonneval se perdit. […] Entre lui et Prié, c’est une guerre à mort ; il se figure que l’Europe entière est attentive à ce démêlé et à l’éclat qu’il en a fait : Je dois songer à la grande affaire qui est de vaincre, écrivait-il à un ami de Bruxelles pendant sa détention au château d’Anvers (16 septembre 1724) ; le moyen que j’ai pris et mes mesures m’y conduisant tout droit, il n’importe pas si cela se fait exactement suivant le goût et la règle des cours, puisqu’un homme de courage hasarde volontiers une petite mortification de la part de son maître pour arriver à un plus grand bien, et qu’il doit suivre sans aucun égard les routes les plus courtes, pourvu que ce soient celles des gens de bien, quand on y devrait chiffonner sa perruque, déchirer ses habits, perdre son chapeau et le talon de ses souliers en sautant les fossés… Au reste, si vous lisez attentivement mes lettres à Sa Majesté, vous verrez qu’elles présagent les pas que j’ai faits avec toute la franchise d’un soldat qui ne craint rien, pas même son maître, quand il y va de son honneur, que je n’ai jamais engagé ni n’engagerai de ma vie à aucun des rois de la terre. […] Il s’était finalement retranché dans une philosophie épicurienne à laquelle son tempérament le portait assez, et qui était celle de Rabelais et du Temple : « Dans toutes les persécutions qu’on m’a faites, je n’ai perdu ni mon bon appétit, ni ma bonne humeur : heureux sont ceux qui ont leur philosophie dans le sang ! 

1289. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Volney. Étude sur sa vie et sur ses œuvres, par M. Eugène Berger. 1852. — II. (Fin.) » pp. 411-433

Le trait distinctif du colon français qui, jusque sur les confins du désert, sent le besoin de voisiner et de causer, y est vivement saisi : « En plusieurs endroits, ayant demandé à quelle distance était le colon le plus écarté : Il est dans le désert, me répondait-on, avec les ours, à une lieue de toute habitation, sans avoir personne avec qui causer. » Il y a aussi dans les Éclaircissements un chapitre curieux sur les sauvages ; en nous décrivant leurs mœurs et leurs habitudes, Volney ne perd pas l’occasion de revenir à la charge contre Rousseau et contre son paradoxe de parti pris en faveur de la vie de nature ; il donne la preuve de ce parti pris par des anecdotes qu’il savait d’original, et notamment par celle de la fameuse conversation de Jean-Jacques avec Diderot à Vincennes : « Et cet homme aujourd’hui, ajoute-t-il, trouve des sectateurs tellement voisins du fanatisme, qu’ils enverraient volontiers à Vincennes ceux qui n’admirent pas Les Confessions !  […] Voici donc un tableau général et en raccourci de l’aspect et du sol des États-Unis à la date où Volney les a visités, en 1797 ; pas un mot n’est à perdre ni à négliger : Telle est, en résumé, dit-il, la physionomie générale du territoire des États-Unis : une forêt continentale presque universelle ; cinq grands lacs au nord ; à l’ouest, de vastes prairies ; dans le centre, une chaîne de montagnes dont les sillons courent parallèlement au rivage de la mer, à une distance de 20 à 50 lieues, versant à l’est et à l’ouest des fleuves d’un cours plus long, d’un lit plus large, d’un volume d’eau plus considérable que dans notre Europe ; la plupart de ces fleuves ayant des cascades ou chutes depuis 20 jusqu’à 140 pieds de hauteur, des embouchures spacieuses comme des golfes ; dans les plages du Sud, des marécages continus pendant plus de 100 lieues ; dans les parties du Nord, des neiges pendant quatre et cinq mois de l’année ; sur une côte de 300 lieues, dix à douze villes toutes construites en briques ou en planches peintes de diverses couleurs, contenant depuis 10 jusqu’à 60 000 âmes ; autour de ces villes, des fermes bâties de troncs d’arbres, environnées de quelques champs de blé, de tabac ou de maïs, couverts encore la plupart de troncs d’arbres debout, brûlés ou écorcés ; ces champs séparés par des barrières de branches d’arbres au lieu de haies ; ces maisons et ces champs encaissés, pour ainsi dire, dans les massifs de la forêt qui les englobe ; diminuant de nombre et d’étendue à mesure qu’ils s’y avancent, et finissant par n’y paraître du haut de quelques sommets que de petits carrés d’échiquier bruns ou jaunâtres, inscrits dans un fond de verdure : ajoutez un ciel capricieux et bourru, un air tour à tour très humide ou très sec, très brumeux ou très serein, très chaud ou très froid, si variable qu’un même jour offrira les frimas de Norvège, le soleil d’Afrique, les quatre saisons de l’année ; et vous aurez le tableau physique et sommaire des États-Unis. […] Volney, sous le choc, épouvanté de l’effet qu’il avait produit, perdit connaissance : on dut le transporter chez son ami le minéralogiste La Métherie, chez qui il resta quelques jours.

1290. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Histoire » pp. 179-240

Autour de l’homme, les choses ont perdu leur violence. […] Elle cherchera partout l’écho, partout la vie d’hier ; et elle s’inspirera de tous les souvenirs et des moindres témoignages pour retrouver ce grand secret d’un temps qui est la règle de ses institutions : l’esprit social, — clef perdue du droit et des lois du monde antique. […] Seulement, alors je croyais à une suite autographe des Mémoires, peut-être perdue, peut-être enfouie dans quelque collection inconnue ; à l’heure présente je n’y crois plus guère ; je suis presque convaincu que la paresseuse artiste, que l’écriture n’amusait pas, s’est arrêtée à la quatorzième page, et que les mémoires manuscrits que j’ai entre les mains, — sauf le commencement, — par un certain Talbot, sur la commande de Loiseau, n’ont pas été rédigés, dis-je, sur un brouillon de la chanteuse, mais bien d’après ses confidences et ses conversations.

1291. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Plan, d’une université, pour, le gouvernement de Russie » pp. 433-452

Le sauvage perd cette férocité des forêts qui ne reconnaît point de maître, et prend à sa place une docilité réfléchie qui le soumet et l’attache à des lois faites pour son bonheur. […] La méthode barbare de Wolf y a perdu le bon goût. […] — Ils ont perdu moins de temps, ils ne savent rien, mais rien du tout qui puisse leur servir ; cependant ils ne sont pas incapables de quelques professions utiles, et c’est leur ressource.

1292. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Le Prince » pp. 206-220

Poursuivez votre chemin, et lorsque vous aurez perdu de vue ces enfans-là, vous vous trouverez parmi des moutons et des chèvres, et vous arriverez à un grand arbre au pied duquel on a déposé un panier de fleurs. […] Substituez aux figures de Le Prince des français ajustés à la mode de leur pays, et vous verrez combien les mêmes tableaux exécutés de la même manière perdront de leur prix, n’étant plus soutenus par des détails, des accessoires aussi favorables à l’artiste et à l’art. à la jolie petite femme du concert substituez une de nos élégantes avec ses rubans, ses pompons, ses falbalas, sa coëffure ; et vous verrez le Bel effet que cela produira, combien ce tableau deviendra pauvre et de petite manière. […] Je vous le répète, il ne faudrait qu’assujettir la peinture et la sculpture à notre costume pour perdre ces deux arts si agréables, si intéressans, si utiles même à plusieurs égards, surtout si on ne les emploie pas à tenir constamment sous les yeux des peuples ou des actions déshonnêtes ou des atrocités de fanatisme, qui ne peuvent servir qu’à corrompre les mœurs ou à embéguiner les hommes, à les empoisonner des plus dangereux préjugés.

1293. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre X. Première partie. Théorie de la parole » pp. 268-299

Virgile exprime encore les sentiments délicats et généreux d’une civilisation avancée, et montre ainsi comment avec un goût parfait le poète peut marier certaines idées et certaines mœurs d’un siècle avec celles d’un siècle antérieur, leçon admirable qui ne fut point perdue pour Racine et pour Fénelon. […] Agathon mit sur le théâtre des sujets de pure invention : l’art alors fut perdu. […] La langue hébraïque, quoique perdue pour les Juifs eux-mêmes, continue d’enchaîner les enfants d’Israël dans ses liens immortels : ils ne peuvent se fondre parmi les nations au milieu desquelles ils vivent dispersés.

1294. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Révolution française »

Il a ruiné et pulvérisé, les unes après les autres, toutes ces gloires posthumes et postiches faites à distance par la niaiserie ou le fanatisme, et, de l’infecte poussière de ces gloires dissoutes, il a pétri un puissant engrais de mépris qui ne sera pas perdu pour le cœur des générations futures. […] Elle ne tenait qu’à un déficit dans les finances, ce qui n’a jamais perdu un gouvernement : preuve, l’Angleterre et sa dette. […] Aussi, dans toutes ces figures qui nous semblaient si familières et qu’il fait passer devant nous, trouvons-nous des physionomies que nous ne connaissions qu’à moitié et dont le trait principal s’était perdu dans une lumière plus trompeuse que l’ombre.

1295. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Philarète Chasles » pp. 147-177

Beau discours, bel esprit, belle humeur, Chasles a-t-il perdu tout cela ? […] Il y aura perdu les yeux, sans doute ; et c’est cela qui l’a rendu aveugle au catholicisme de Balzac ! […] c’est ce qui vous perd !

1296. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre IV. Le rêve »

Au réveil, tout vient se perdre dans une grande tache d’un gris pâle parsemée de points brillants. […] Vous sentiez que vos pieds avaient perdu leurs points d’appui, puisque vous étiez en effet étendu. […] Il est vrai qu’elle perd en tension ce qu’elle gagne en extension.

1297. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Première partie — Chapitre II. Réalité des idées égalitaires »

Alors ne risquons-nous pas de nous perdre dans la diversité même de leurs théories, et, en suivant le fil des idées qui leur sont propres, de rencontrer, en lieu et place de l’unanimité cherchée, la variété dies opinions individuelles ? […] Mais d’abord ces distinctions de « mondes » perdent chaque jour de leur, rigidité : ce ne sont plus, des, castes, où l’on entre que par droit de naissance, mais des cercles, qui par l’admission chaque jour plus tolérante d’éléments hétérogènes, s’élargissent incessamment. […] Et enfin, dans des sociétés comme les nôtres, où les règles essentielles de l’activité, générale, ne manquent plus d’être dûment formulées, où la puissance de l’État se met immédiatement au service des habitudes collectives vraiment indispensables au bien de l’ensemble, la portion de la vie sociale que les lois abandonnent en quelque sorte aux mœurs proprement dites perd chaque jour de son importance.

1298. (1887) George Sand

On n’a pas perdu le souvenir des polémiques exaltées dont George Sand était alors l’occasion ou le prétexte. […] Et André, qui de nous ne saurait le retrouver, s’il l’avait perdu ? […] Tant d’événements n’ont pas été perdus pour elle, ni en politique, ni en philosophie sociale. […] Il faut nous débarrasser des théories de 1793 ; elles nous ont perdus. […] Pour moi, c’est du temps perdu, comme de se récrier sur l’ennui de la pluie et des mouches.

1299. (1882) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Deuxième série pp. 1-334

Ôtez les adjectifs et relisez la phrase ; vous serez étonné que vous ne la reconnaîtrez plus, et que le sens pourtant n’en aura rien ou presque rien perdu. […] Quiconque tente un coup de partie doit savoir ce qu’il risque, et, s’il perd, se montrer beau joueur : ce fermier général ne fut pas philosophe. […] Ces corrections se font à mes dépens, comme il est juste, et j’y perds de tous côtés. […] Un jour, on essaya, paraît-il, de retourner son titre d’abbé contre lui pour le perdre auprès de Tanucci. […] On en sent la moitié lorsqu’ils s’en vont, et, quoique absents, ils ne sont pas entièrement perdus ; … s’ils viennent à mourir, la douleur tombe sur ce reste d’existence perdue et qui est bien moindre que le total.

1300. (1908) Promenades philosophiques. Deuxième série

Les mathématiciens se perdent en des problèmes qui demandent une vie et dont la solution ne s’applique à rien. […] Si, au lieu de paralyser le charançon, il le tue, sa postérité est perdue ; il n’y a plus de cercéris. […] On y voit un homme qui perd tout bonheur au milieu même des satisfactions de l’amour. […] Le café semble, d’ailleurs, avoir eu, au dix-huitième siècle, une puissance qu’il a depuis longtemps perdue. […] Ils savent parfaitement ce que c’est que de gagner ou de perdre, et, pas plus que les enfants, ou les hommes, ils n’aiment à perdre.

1301. (1922) Gustave Flaubert

Il ne voit que ceci : Alfred, marié, est perdu. […] Flaubert l’avait perdu de vue depuis le collège. […] Peine perdue. […] Comme tout cela était perdu pour moi ! […] Mais elle m’étourdissait de sa vitesse et je me relevais brisé, perdu.

1302. (1881) Le naturalisme au théatre

Quelques-uns, je parle des comiques, chargent trop l’excentricité, ce qui leur fait perdre le caractère. […] Emile Augier perd lui-même toute logique ? […] Ils étaient furibonds ; mais, en petit nombre, noyés dans la foule, ils restaient impuissants et perdus. […] Quand Postumia voit Opimia perdue, elle veut tout au moins abréger son agonie, elle lui apporte un poignard. […] Le pire malheur qui lui puisse arriver est de perdre encore huit années dans une tentative sans espoir.

1303. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Léopold Robert. Sa Vie, ses Œuvres et sa Correspondance, par M. F. Feuillet de Conches. — [Note.] » pp. 444-445

C’est ce besoin qui le fait gratter, changer et refaire si souvent son dernier tableau : car depuis son dernier voyage à Paris et l’immense succès de ses Moissonneurs, il avait perdu la naïve bonhomie de Rome.

1304. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXX » pp. 126-128

Cela a été froid, et même l’acteur qui jouait le père a perdu je ne sais pourquoi la tête, et au lieu de l’assassin pâlissant, il s’est avisé de dire polisson, ce qui a bien fait rire.

1305. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « PENSÉES ET FRAGMENTS. » pp. 495-496

Par malheur il n’en est point absolument ainsi ; ce qu’on recueille dans de gros volumes n’est pas sauvé par là même, et ce qui reste dans des feuilles éparses n’est pas tellement perdu que cela ne pèse encore après vous pour surcharger au besoin votre démarche littéraire et, plus tard, votre mémoire (si mémoire il y a), de mille réminiscences traînantes et confuses.

1306. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre premier. La question de fait et la question de goût » pp. 30-31

Nous nous trouvons désorientés, perdus au milieu d’une quantité effrayante d’œuvres.

1307. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article » pp. 163-165

Sa Collection dramatique n’en est pas moins une des plus intéressantes qu’on ait publiées de notre temps, où l’on a perdu totalement de vue les grands modeles qui regardoient le style, le dialogue & le naturel, comme les premieres parties de l’art théatral.

1308. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 440-443

Il perd, aux yeux des hommes sages, tout le mérite qui peut briller dans ses créations.

1309. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 465-468

Telle a été la manie de presque tous les Peuples : ils ont fait remonter leur origine le plus haut qu’ils ont pu, croyant la rendre plus illustre ; & pour cet effet, il a fallu inventer des Fables & se forger une longue suite de Rois, dont la tige se perd parmi les Dieux ou les demi-Dieux.

1310. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 308-311

Ces Mémoires forment six volumes, qu’on eût pu réduire à trois, sans leur rien faire perdre du côté de l’intérêt.

1311. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre premier. Beaux-arts. — Chapitre VI. Architecture. — Hôtel des Invalides. »

Pénétrez-vous plus avant, le bruit s’affaiblit par degrés, et va se perdre à l’église, où règne un profond silence.

1312. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Boucher » pp. 196-197

Combien de travail perdu !

1313. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Réponse à une lettre de M. Grimm » pp. 205-206

J’en dis autant du maréchal, du cabaret, de la botte rajustée, ce sont tous morceaux vraiment précieux, l’effet en est si piquant, la couleur si vraie, la touche si vigoureuse, si spirituelle, l’harmonie totale si séduisante, qu’ils peuvent aller de pair avec les Wouwermans, dont on voit avec plaisir que le goût n’est pas perdu.

1314. (1898) Ceux qu’on lit : 1896 pp. 3-361

Les d’Orléans ont perdu leur popularité en s’alliant au comte de Chambord. […] C’est l’odyssée d’un officier français, envoyé en éclaireur et perdu dans les steppes. […] Ceux-ci se montraient peu disposés à perdre la moindre part de ces rayons vivifiants, et les nouveaux venus restaient debout derrière les autres. […] Il avait pris sept canons dans la redoute ; mais son beau régiment avait perdu beaucoup de monde. Le 61e y avait perdu tout un bataillon.

1315. (1884) L’art de la mise en scène. Essai d’esthétique théâtrale

Dans les cas où cette conjonction de perspectives se produit, on remarquera combien l’acteur, tout en se trouvant démesurément grandi, perd en importance dramatique. […] Comme dans la vie réelle, le spectateur perd la notion du temps dès que son attention est détournée ; il perd alors de vue ce concept abstrait pour lequel il ne possède pas d’unité de mesure absolue. […] On se perdrait immanquablement dans des essais aussi vains que puérils. […] Nos décorations ont perdu cet avantage. […] Dans toutes les pièces, tous les rôles ont ainsi leur physionomie propre que l’auteur ne doit jamais perdre de vue.

1316. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre II. Les bêtes »

Un sentier tournoie et se perd dans la profondeur des feuillages. […] Qu’on prenne et qu’on mange tous ses frères, il n’en perdra pas un coup de dent. […] Quand le chien, mourant de faim, lui demande en grâce de se baisser et de lui laisser prendre son dîner dans le panier : « Point de réponse, mot. »138 Il ne veut pas perdre un coup de dent ; il n’entend pas, il est sourd, vous remueriez aussi aisément une borne. […] Le roussin d’Arcadie Craignit qu’en perdant un moment Il ne perdît un coup de dent.

1317. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXVIIIe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 65-128

Tant qu’il avait vécu, la bonne fille n’avait pas voulu tenter de délivrer son amant pour ne pas priver son vieux père des douceurs qu’il trouvait dans son jeune camarade de chaîne, et pour qu’on ne punît pas le vieillard de l’évasion du jeune homme ; mais quand son père fut mort et que la pauvre enfant pensa qu’on allait donner je ne sais quel compagnon de lit et de fers à son amant, alors elle ne put plus tenir à sa douleur, à sa honte, et elle pensa à se perdre, s’il le fallait, pour le délivrer ; un signe, un demi-mot, une lime cachée dans un morceau de pain blanc rompu du bon côté, malgré le surveillant, sur le seuil de sa porte ; un rendez-vous nocturne, indiqué à demi-voix pour la nuit suivante, sur la côte à l’embouchure de l’Arno, furent compris du jeune homme. […] La fille, punie comme complice d’une évasion des galères, est ici dans un cachot isolé, avec son petit enfant ; elle pleure et prie pour celui qu’elle a perdu en voulant le sauver. […] Je m’étais dit, au moment où je cassais ma cruche : Si nous nous revoyons sans nous être avertis que nous allons nous revoir, Hyeronimo et moi, nous sommes perdus ; il faut donc nous avertir sans nous parler avant de nous rencontrer face à face ; quel moyen ? […] Pourquoi donc est-ce que je voudrais vivre et comment donc pourrais-je vivre alors, puisque je ne regrette rien que toi et eux dans ce bas monde, et qu’en me sauvant c’est toi et eux que j’aurai sacrifiés et perdus ?

1318. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIIe entretien. Madame de Staël »

On ne sort pas impunément de sa nature : ce qu’on gagne en gloire on le perd en amour. […] XX Aucun remords généreux ne lui inspira dans sa déchéance un parti capable de sauver le roi qu’il avait perdu, ou d’honorer du moins la chute du trône par un magnanime effort. […] Derrière l’échafaud elle voyait la gloire de le braver pour sauver un crime à la liberté ; mais en ce moment, et en se montrant alors, elle n’aurait fait que perdre son père et ses enfants. […] Défendez la reine par toutes les armes de la nature ; allez chercher cet enfant, qui périra s’il faut qu’il perde celle qu’il a tant aimée ; il sera bientôt aussi lui-même un objet importun, par l’inexprimable intérêt que tant de malheurs feront retomber sur sa tête ; mais qu’il demande à genoux la grâce de sa mère ; l’enfance peut prier, l’enfance s’ignore encore.

1319. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre I. Décomposition du Moyen âge — Chapitre I. Le quatorzième siècle (1328-1420) »

Les désordres scandaleux du schisme, les indignes querelles des antipapes, les ambitions, les passions, les mœurs, le luxe des cardinaux et des évêques, le marchandage effréné des dignités ecclésiastiques, la politique et les intérêts personnels se jouant de la religion, la déviation du grand mouvement chrétien qui avait créé les ordres mendiants, les richesses insolentes, l’esprit dominateur et intrigant de ces humbles moines, tout cela n’empêchait pas de croire, mais tout cela détachait de la forme actuelle de l’Église, tout cela rendait la simple obéissance, la docilité confiante à l’Église de plus en plus impossibles : et la foi des peuples se tournait en explosions indisciplinées de zèle individuel, en sombres exaltations où peu à peu se précisait l’idée que l’Église perdait la religion du Christ, et que les gens d’Église perdaient l’Église. […] Elle perd ses flexions. […] Biographie : Eustache, dit Des Champs, d’un bien qu’il possédait, et Morel, pour son teint noir, né entre 1338 et 1349, mort avant le 1er sept. 1415 : étudiant en droit à Orléans (depuis 1360), messager de Charles V (1367-1373) , huissier d’armes (1372), bailli de Valois, maître des eaux et forêts de Villers-Cotterets, marié vers 1373, châtelain de Fismes sous Charles VI, bailli de Senlis (1389) ; il perd sa place d’huissier d’armes en 1395, et est remplacé dans son baillage en 1404.

1320. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « M. Deschanel et le romantisme de Racine »

D’ailleurs il s’agit ici de crimes surtout politiques, et la tradition n’en était point encore perdue. […] et s’analyse-t-on si bien au moment où l’on perd la tête ? […] On sait que l’on subit une force mauvaise, que l’on déchoit, que l’on se perd, et l’on ne s’en perd pas moins.

1321. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « De l’influence récente des littératures du nord »

— Les Idées de Madame Aubray et Denise, ces deux pièces d’esprit vraiment évangélique, nous veulent persuader que, dans de certaines conditions, un honnête homme peut et doit, en dépit de prétendues convenances, épouser une fille séduite, et séduite par un autre que lui  Dans la Femme de Claude, un homme, après avoir prié Dieu, se met avec sérénité au-dessus des codes humains, et substitue son tonnerre à celui de Dieu même, dans la lutte engagée par la conscience contre les deux grandes puissances mauvaises qui perdent le monde moderne : la luxure et l’argent, ou, plus expressément, la spéculation financière  L’Ami des femmes, la Princesse Georges, l’Étrangère, Francillon reposent sur la même conception du mariage que la Dame de la mer ou Maison de poupée  Et si vous voulez des orgueilleuses, des insurgées démoniaques, Mme de Terremonde, et mistress Clarkson, et Césarine ne le cèdent point, ce me semble, à Hedda Gabler  Bref, le théâtre de Dumas, comme celui d’Ibsen, est plein de consciences ou qui cherchent une règle, ou qui, ayant trouvé la règle intérieure, l’opposent à la règle écrite, ou enfin qui secouent toutes les règles, écrites ou non. […] À quoi il est aisé de répondre que ce que ces auteurs perdent d’un côté à être traduits, ils le regagnent d’un autre, et avec usure. […] Nos deux littératures ne se mêlent point, et la laïque y perd un peu. Elle y perd parfois, peut-être, quelque profondeur morale.

1322. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre cinquième »

Il vendait un office de receveur des amendes à la cour des comptes et en laissait perdre le prix ; il gagnait de l’argent au système de Law et ne savait pas le garder. […] Quand nous les voyons sur le point de se perdre, il y a dans notre crainte comme un aveu secret que nous pourrions bien courir le même péril, si nous avions un pied sur la pente d’où ils vont se précipiter. […] Voltaire avait le sentiment de tout ce qu’il perdrait à la lecture. […] La critique peut parler sévèrement des tragédies médiocres, en les comparant à l’idéal ; mais dans sa sévérité pour l’œuvre, elle doit faire sentir son estime pour l’ouvrier, et ne jamais perdre de vue ce qu’il faut de mérite même pour ne pas réussir, et tout ce qui sépare le talent de produire du talent de juger.

1323. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Additions et appendice. — Treize lettres inédites de Bernardin de Saint-Pierre. (Article Bernardin de Saint-Pierre, p. 420.) » pp. 515-539

On ne saigne point les gens qui viennent de perdre une jambe. […] Le jour que je suis arrivé à Paris, j’ai eu le malheur de perdre mon père. […] Pictet votre compatriote me prêta un jour pour jouer, et que je perdis. […] [NdA] On conçoit qu’un pauvre voyageur comme l’était alors Bernardin de Saint-Pierre se préoccupe à ce point des détails de poche et d’économie, et y entre par sous et deniers : mais il n’en perdra jamais l’habitude, même lorsqu’il sera au-dessus du besoin.

1324. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1878 » pp. 4-51

Dans un bal, ce Martener, qui était médecin, comme son père, en un tour de valse que fit sa fille, à un rien, à une pose de son cou, la vit poitrinaire, morte, perdue. […] Les gens nés au-delà de la Loire, ne savent pas écrire la prose française… Moi ce que j’étais, un imaginateur… Vous ne vous doutez pas de ce que j’ai dans la tête… Eh bien, sans vous, je ne me serais pas préoccupé de cette chienne de langue… et j’aurais pondu, pondu dans la quiétude. » Vendredi 7 juin Le Marsaud qui signe les billets de banque, est un de ces vieillards qui a vu Paris, du temps des galeries de Bois, et qui, à propos de leur disparition, dit avec une indescriptible mélancolie : « Paris a bien perdu !  […] Autour d’elle, il y a une petite senteur sauvage, perdue dans un goût d’héliotrope. […] Enfin sa maladie de perdre les jeunes femmes est tellement connue, que son neveu, quelque insistance qu’y mette sa tante, ne permet jamais à sa femme d’y coucher, et quand elle lui propose une promenade, il met de suite ses gants, pour être en tiers entre elles deux.

1325. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Taine » pp. 305-350

Mais l’homme de talent, que je mets bien au-dessus du savant, y perdrait, de s’être mis dans les brassières d’une méthode, au lieu de suivre l’inspiration, qui domine toutes les méthodes quand on se sent la vocation d’écrire l’Histoire. […] Et, en effet, c’est le métaphysicien qu’il est encore, sans le vouloir, contre la métaphysique ; c’est le philosophe, qui, dans les premières années de sa vie intellectuelle, partit de Condillac pour aller à Hegel, où tout le monde philosophique allait alors, comme on va maintenant à Notre-Dame de Lourdes, puis qui revint à Condillac, dégoûté d’allemanderie, en véritable esprit français fait pour le léger et le clair, et qui, s’il a maintenant perdu la légèreté immatérielle de notre race, en a du moins gardé la clarté, sous les accumulations et les épaississements de son style et de sa manière. […] Je ne perds pas la mienne à la regarder. […] L’historien disparaît aussi dans ce qu’il raconte, et on admire cette force d’impersonnalité gardée au milieu d’un récit qui devrait la faire perdre cent fois à l’écrivain, et appeler, à chaque instant, la virulente éloquence de sa colère.

1326. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Gustave Flaubert »

, et des cure-dents faits avec les poils du tachas, animal perdu qui se trouve — alors il n’est pas perdu ! […] Il a été tout de suite, lui aussi, un de ces heureux à qui on n’a pas marchandé la gloire, et quoiqu’il ait fait tout ce qu’il fallait pour la perdre, elle lui est restée fidèle, comme ces femmes qui restent fidèles aux maris indignes qui les trompent. […] Exemple, la scène où, dans la cave, Pécuchet attrape une maladie honteuse ; car la haine du bourgeois, dans Flaubert, va jusqu’à cette fange qu’il remue, et qu’il remue en naturaliste, sans indignation, sans dégoût, sans nausée, avec l’impassibilité d’un homme qui a perdu la délicatesse de l’artiste.

1327. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Poésies complètes de Théodore de Banville » pp. 69-85

Ceux qui en ont été touchés une fois, peuvent la sentir à regret s’affaiblir et pâlir, diminuer avec les années en même temps que la vigueur qui leur permet d’en saisir et d’en fixer les reflets dans leurs œuvres, mais ils ne la perdent jamais. « Il y a, disait Anacréon, un petit signe au cœur, auquel se reconnaissent les amants. » Il y a de même un signe et un coin auquel restent marqués et comme gravés les esprits qui, dans leur jeunesse, ont cru avec enthousiasme et ferveur à une certaine chose tant soit peu digne d’être crue. […] En poésie on peut lancer et perdre bien des flèches : il suffit pour l’honneur de l’artiste que quelques-unes donnent en plein dans le but et fassent résonner tout l’arbre prophétique, le chêne de Dodone, en s’y enfonçant.

1328. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Lettres de la mère Agnès Arnauld, abbesse de Port-Royal, publiées sur les textes authentiques avec une introduction par M. P. Faugère » pp. 148-162

On avait essayé dans le temps de recueillir toutes les lettres de la mère Agnès comme on avait fait pour celles de sa sœur publiées en 1742-1744 ; mais l’entreprise était restée en chemin, soit qu’on n’eût pas réussi à réunir tout ce qu’on espérait, soit que le public qui s’intéressait à ce genre d’ouvrages eût fort diminué à mesure qu’on avançait dans le xviiie  siècle. « Il y a lieu surtout d’être étonné, remarquait dom Clémencet au sujet de ces mêmes lettres, que nous en ayons si peu de celles qu’elle a écrites à la reine de Pologne, avec laquelle les mémoires de Port-Royal nous apprennent que la mère Agnès continua la relation qu’avait eue la mère Angélique durant les sept années que cette reine survécut. » C’est qu’on avait eu, dès le principe, moins de précautions dans un cas que dans l’autre pour s’assurer de ne rien perdre. […] Assurément la mère Agnès connaissait Mme de Sévigné et l’avait entendue causer, puisqu’un jour que cette aimable femme était venue au couvent de la Visitation de la rue Saint-Jacques où se trouvait alors reléguée la mère Agnès par ordre de l’archevêque, et avait demandé à la voir sans en obtenir la permission, la recluse et prisonnière écrivait à l’oncle : « J’aurais beaucoup perdu du fruit de ma solitude si j’avais eu l’honneur de voir Mme de Sévigné, puisqu’une seule personne qui lui ressemble tient lieu d’une grande compagnie. » Cette religieuse, on le voit, connaissait son monde ; causer en tête à tête avec Mme de Sévigné, c’était posséder plusieurs femmes d’esprit à la fois.

1329. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Histoire de la Restauration, par M. Louis de Viel-Castel » pp. 355-368

On dirait que les uns veulent s’excuser de l’avoir perdue par la direction qu’ils lui ont imprimée dans les derniers temps de son existence, et les autres de lui avoir fait une guerre acharnée et mortelle, qui ne peut trouver sa justification que dans l’impossibilité avérée de la redresser et de la mener à bien. […] — Les chefs des anciennes maisons royales qui, dans les jours décisifs, sont devenus capables de ces quiproquos et de ces absences, ont à jamais perdu le fil du courant sympathique qui jadis identifia les héros de leur race avec la nation.

1330. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Appendice. »

Elle en avait retracé quelques-uns dans un écrit assez court, qu’un très-petit nombre seulement de ses amis particuliers ont pu lire et qui, nous l’espérons, ne sera point perdu pour l’histoire contemporaine. […] Croyez-bien, — ou plutôt laissez-moi être persuadé que vous le saviez déjà, — que votre pensée n’a cessé un moment de m’être présente pendant que je m’occupais de l’illustre ami que nous avons tous perdu.

1331. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo, Les Chants du crépuscule (1835) »

Hugo, au milieu des diversions laborieuses et brillantes qu’il s’est données, dans les intervalles de ses romans qu’il ne multiplie pas assez au gré du public, et de ses drames que, selon nous, il ménage trop peu, n’a jamais perdu l’habitude du rhythme lyrique auquel il dut ses premiers triomphes. […] Cette critique de détail, quoique depuis longtemps on ait perdu l’habitude d’en faire, nous a paru indispensable en présence d’une production aussi importante de la maturité d’un poëte de génie.

1332. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « HOMÈRE. (L’Iliade, traduite par M. Eugène Bareste, et illustrée par M.e Lemud.) —  premier article .  » pp. 326-341

semble avoir faibli, ou du moins il se tait volontiers pour céder le pas aux recherches de l’érudition, aux particularités de l’histoire : de sorte que l’instruction classique de nos hautes écoles et la littérature universitaire devenant de plus en plus solides n’ont pas tout leur brillant, et perdent en grande partie leur effet sur la littérature courante, laquelle devient de plus en plus légère. […] Tout occupé des études présentes et de saisir au passage ce qu’une curiosité insatiable apportait de tous bords, on a perdu de vue, dans ce tumulte de l’avant-scène, les lignes essentielles et pures du cadre, les proportions discrètes et décentes où l’œil et l’âme ont besoin de se reposer.

1333. (1874) Premiers lundis. Tome II « Mémoires de Casanova de Seingalt. Écrits par lui-même. »

A ceux qui ont toujours dans leur poche et souvent dans leurs mains le petit Horace Elzevir non expurgé par Jouvency, à ceux qui savent par cœur les épigrammes salées de Catulle et de Martial, les vers de Solon, qui citent volontiers certains passages d’Ovide et de Tibulle, et les fredaines du Lucius d’Apulée, qui suivent sans répugnance la naïve Chloé dans la grotte des Nymphes, faciles nymphæ risere ; à ceux que notre vieille littérature grivoise et conteuse ne rebute pas, qui se dérident à La Fontaine, qui se délectent aux Amours des Gaules, qui ne perdraient pas une ligne des Mémoires de Choisy, si tout le manuscrit de l’Arsenal était imprimé ; à ceux que les premières pages des Confessions n’irritent nullement, que les lettres de Diderot à Mlle Yoland enchantent sans réserve, qui en aiment jusqu’aux propos de madame d’Aine, jusqu’aux allusions insinuantes de Diderot comptant les arbres de ses vordes chéries : à ceux-là, loin de le défendre, nous conseillerons plutôt Casanova ; ce ne sera pas pour eux une dangereuse nouveauté ni un scandale attrayant, ce sera un tableau de plus, non le moins vif et le moins varié, dans le réfectoire de leur abbaye de Thélème. — Un jour, durant l’année que le docte Saumaise passa à Stockholm près de la reine Christine, comme il avait la goutte et gardait le lit, la reine le vint visiter ; or, en ce moment, pour se désennuyer et tromper son mal, le grave commentateur lisait un livre très agréable, mais assez leste (perfacetum guidem, at subturpiculum), Le Moyen de parvenir, de Béroalde de Verville. […] Durant l’une de ces promenades délicieuses, où ils avaient perdu exprès tous les deux la compagnie, Lucrezia lui tenait ce langage : « Comment !

1334. (1874) Premiers lundis. Tome II « Hippolyte Fortoul. Grandeur de la vie privée. »

Cette fois, il est sombre, amaigri ; il souffre de son génie déjà, et de ses fautes ; il déplore son innocence perdue, il déplore surtout son inaction forcée et son manque de carrière. […] Mais ce qui me paraît certain, c’est que l’auteur y a outre-passé les conditions de vraisemblance et d’intérêt, parce qu’à ce moment il a perdu de vue ses personnages en eux-mêmes pour s’adresser à la galerie.

1335. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIII. Des tragédies de Shakespeare » pp. 276-294

Quand on peint un héros prêt à perdre l’existence, le souvenir de ce qu’il a fait, la grandeur de son caractère, captivent tout l’intérêt. […] Lucien insiste, et lui dit : ………………… Our doubts are traitors ; And make us lose the good, we oft might win, By fearing to attempt………………… « Nos doutes sont des traîtres qui nous font perdre le bien que nous pourrions faire, en nous détournant de l’essayer. » Qui peut avoir vécu dans une révolution, et n’être pas convaincu de la vérité de ces paroles !

1336. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VII. Du style des écrivains et de celui des magistrats » pp. 543-562

Les ouvrages purement littéraires, s’ils ne contiennent point cette sorte d’analyse qui agrandit tous les sujets qu’elle traite, s’ils ne caractérisent pas les détails, sans perdre de vue l’ensemble ; s’ils ne prouvent pas en même temps la connaissance des hommes et l’étude de la vie, paraissent, pour ainsi dire, des travaux puérils. […] La langue française, comme toutes les langues, acquérait donc alors de nouveaux mots qui remplaçaient ceux qu’elle perdait, ou l’enrichissaient encore.

/ 2928