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2064. (1895) Les mercredis d’un critique, 1894 pp. 3-382

Il savait, du reste, admirablement, par des comparaisons charmantes, exprimer les nuances les plus rares de ses sentiments. […] Bien que la beauté relève de la géométrie, c’est par le sentiment seul qu’il est possible d’en saisir les formes délicates. […] C’est par là que la haine n’est point un bas sentiment. […] Nous obéissions à divers sentiments. […] Je commençai par faire chasser les manifestants, et enfin, contre mon sentiment intime, je descendis pour signer sur le registre des “oui”.

2065. (1914) L’évolution des genres dans l’histoire de la littérature. Leçons professées à l’École normale supérieure

Mais, si ces mots expriment en même temps des idées ou des sentiments, peut-on les traiter comme on fait des couleurs ou des formes ? […] Pareillement, d’avoir éprouvé nous-mêmes un sentiment, ce n’est pas une raison pour qu’il soit naturel. […] Et, pourvoir, il faut comparer, sortir de soi, se juger du dehors, en comptant avec les sentiments des autres. […] Que savons-nous des sentiments de Voltaire pour Mme du Châtelet ? […] Je conçois son sentiment, mais je ne voudrais pas qu’il l’eût publiquement exprimé.

2066. (1900) La vie et les livres. Cinquième série pp. 1-352

Il a eu le courage de ses opinions, mais non pas de ses sentiments. […] Vous connaissez mes sentiments pour vous. […] Dans ce que je vous dis, ne voyez aucune apparence de protestation ; c’est le sentiment d’un Français, d’un soldat. […] Ils connaissent tous les grands sentiments et tous les bons tours. […] , on me permettra bien de me prouver à moi-même que je suis peut-être capable d’un sentiment désintéressé.

2067. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Haraucourt, Edmond (1857-1941) »

Leconte de Lisle L’Âme nue est un recueil de fort beaux poèmes où il a su exprimer de hautes conceptions en une langue noble et correcte, et prouver qu’il possédait, dans une parfaite concordance, un sens philosophique très averti, uni au sentiment de la nature et à celui du grand art.

2068. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Villeroy, Auguste »

Villeroy languit-elle à certains moments ; la gradation des sentiments n’est pas toujours assez marquée ; mais il est des scènes bien animées et vraiment dramatiques : celle, par exemple, qui termine le second acte, où Hérakléa cesse de croire aux Dieux, et, bravant le grand-prêtre Chrysès, décide l’empereur à agir contre la volonté de tous.

2069. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 358-361

Ce n’est plus cette élocution mâle & vigoureuse, ce zele convaincant & animé, ce ton de Christianisme & de persuasion, que respirent à chaque page les Sermons de cet Orateur ; c’est le plus souvent une affectation d’esprit, une afféterie de langage, une coquetterie d’expression, une hypocrisie de sentiment, qui dégraderoient les matieres qu’ils traitent, si les grands Maîtres ne les avoient mises à l’abri du tort qu’ils pourroient leur faire.

2070. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 7-11

Collé y a joint tout l’art dont le sujet étoit susceptible, celui de bien amener les incidens, de mettre du jeu & de la variété dans ses personnages, de développer l’ame de son Héros, de faire ressortir, pour ainsi dire, de chaque Scène un intérêt qui lui est particulier & contribue à l’effet général, de joindre enfin à l’énergie du sentiment, l’aisance & le bon ton du Dialogue, en conservant la naïveté & le costume des mœurs du siecle d’Hénri IV.

2071. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 264-267

Avant elle, les Romans étoient l’ouvrage de l’imagination, & jamais celui du sentiment.

2072. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 5-9

Ce Journal, destiné dans son origine à recueillir les prémices des Muses naissantes, à offrir aux yeux de la Nation les premiers germes des talens capables de flatter ses espérances, à former un mélange intéressant des traits de délicatesse, d’agrément, de force & de sensibilité qu’a produits l’imagination Françoise ; à rendre compte de ce que les Sciences & les Beaux-Arts enfantent tous les jours ; à encourager les Artistes par de justes éloges, ou à les éclairer par des critiques lumineuses : ce Journal borne à présent tout son mérite à des Logogryphes dignes du seizieme siecle, à des Contes d’une froideur qui glace l’esprit, ou d’une extravagance qui égare le sentiment & corrompt le goût ; à des analyses infidelles ou partiales, qui contredisent ouvertement les regles de la Littérature ou celles de la décence ; & à quelques nouvelles politiques rédigées avec une sécheresse qui ôte tout le piquant de la nouveauté.

2073. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 451-455

Panard offre une Collection agréable de petites Poésies, où l’esprit & le sentiment brillent sans affectation.

2074. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Préface » pp. 1-3

Les temps redevenant plus rudes, l’orage et le bruit de la rue forçant chacun de grossir sa voix, et, en même temps, une expérience récente rendant plus vif à chaque esprit le sentiment du bien et du mal, du juste et de l’injuste, j’ai cru qu’il y avait moyen d’oser plus, sans manquer aux convenances, et de dire enfin nettement ce qui me semblait la vérité sur les ouvrages et sur les auteurs.

2075. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre V. Suite du Père. — Lusignan. »

Voltaire lui-même ne se défend pas d’avoir cherché son succès dans la puissance de ce charme, puisqu’il écrit, en parlant de Zaïre : « Je tâcherai de jeter dans cet ouvrage tout ce que la religion chrétienne semble avoir de plus pathétique et de plus intéressant 17. » Un antique Croisé, chargé de malheur et de gloire, le vieux Lusignan, resté fidèle à sa religion au fond des cachots, supplie une jeune fille amoureuse d’écouter la voix du Dieu de ses pères : scène merveilleuse, dont le ressort gît tout entier dans la morale évangélique et dans les sentiments chrétiens : Mon Dieu !

2076. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre deuxième. Les images — Chapitre premier. Nature et réducteurs de l’image » pp. 75-128

. — Mais si, au lieu de prendre pour exemple un homme enclin à remarquer surtout les sentiments, on considère des hommes accoutumés à remarquer surtout les couleurs et les formes, on trouvera des images si nettes qu’elles ne différeront pas beaucoup des sensations. […] « Les actes de conception et d’imagination19, dit très bien Dugald Stewart, sont toujours accompagnés d’une croyance (au moins momentanée) à l’existence réelle de l’objet qui les occupe… Il y a très peu d’hommes qui puissent regarder en bas du haut d’une tour très élevée sans éprouver un sentiment de crainte. […] Le premier sentiment de surprise passé, il remonta à la source de l’illusion, et remarqua que la figure correspondait exactement à celle qu’il avait vue dans la gravure. […] Cette lecture fugitive de quelques mots était toujours accompagnée d’un sentiment de fatigue dans les yeux… Une fois surtout, je vis des caractères sanscrits, disposés en colonnes suivant la classification des grammairiens, et ces lettres avaient un relief et un brillant qui me fatiguaient. […] Il était tout à fait éveillé et sentait pleinement que c’était un fantôme produit par l’opium en même temps que par son intense sentiment intérieur ; mais il fut incapable par aucun effort de bannir la vision. » En effet, la sensation qu’aurait dû produire en lui la paroi grise de la cabine était annulée pour toute la surface que paraissait couvrir ce fantôme, et il est bien clair qu’un raisonnement n’a pas l’effet d’une sensation. — Beaucoup de circonstances organiques ou morales, l’action du haschich46, du datura, de l’opium, le voisinage de l’apoplexie, diverses maladies inflammatoires, diverses altérations cérébrales, bref une quantité de causes plus ou moins éloignées ou prochaines peuvent ainsi fortifier telle image ou telle série d’images jusqu’à annuler la sensation spéciale répressive, et partant amener l’hallucination. — Mais, si dans tous ces cas l’illusion circonscrite par les réducteurs secondaires est à la fin détruite par le réducteur spécial, on rencontre un plus grand nombre de cas où le contraire arrive.

2077. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIVe entretien. Littérature, philosophie, et politique de la Chine » pp. 221-315

La première de ces vertus, l’âme de ces rites ou devoirs, est l’humanité, sentiment inspiré par Dieu pour la conservation de la race. […] La sédition attente à la république ; Le sentiment légal se révolte contre la dictature ; L’incrédulité des peuples se joue de l’infaillibilité ou de la divinité des pontifes ; Les vaincus rompent leurs chaînes et brisent à leur tour avec l’épée la souveraineté humiliante des conquérants et des oppresseurs ; Les peuples monarchiques se dégoûtent de leur dynastie, fondent d’autres familles royales dont l’autorité plus récente a moins d’autorité encore que les dynasties antiques. […] La conscience, cette révélation du sentiment inné en nous, lui donnait aussi volontairement l’autorité. […] C’est pour eux la législation du sentiment. […] Comme il fonda tout le système politique sur le sentiment naturel et sur le devoir de la piété filiale, il détermina qu’aussitôt après avoir offert l’hommage au ciel, on offrirait par la bouche du Fils du ciel (le souverain) l’hommage aux ancêtres.

2078. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIIe entretien. Vie et œuvres du comte de Maistre » pp. 393-472

C’est ce qui explique peut-être pourquoi les deux écrivains les plus charmants et les plus éloquents de Savoie, le comte de Maistre et Xavier de Maistre, son frère, ont écrit, l’un de si sublimes platonismes mêlés de contrevérités, l’autre de si légers et de si pathétiques opuscules de pur sentiment et opuscules neutres comme le sentiment. […] XIV Ce fut le sentiment de l’Europe en le lisant. […] Si l’on peut voir au premier coup d’œil quelque chose de trop hardi dans cette ambition, la réflexion prouvera bientôt que le sentiment qui m’anime ne peut s’appeler audace ni légèreté, et que l’homme qui prend une telle détermination y a suffisamment pensé. […] Je ne connais aucun peuple que je mette au-dessus des Piémontais pour ce qui s’appelle bon sens et jugement ; mais, lorsqu’ils venaient en Savoie pour y commander, ce bon sens n’était plus le même. » XXVI On a vu en 1848 combien le comte de Maistre avait eu le sentiment de ces antipathies intestines qui empêchent tout amalgame durable entre les diverses nationalités italiennes, sous un sceptre italien, et plus peut-être sous un sceptre italien que sous un protectorat étranger.

2079. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — III. Le Poëme épique, ou l’Épopée. » pp. 275-353

L’expression même du sentiment que La Mothe a si bien traité dans son Inès, s’est refusée à lui dans son Iliade. […] Le sçavant abbé Fleuri veut qu’on n’ait commencé à les connoître qu’au douzième siècle, & donne pour la source de tous l’histoire des ducs de Normandie ; ce qui renverse le sentiment de ceux qui mettent Héliodore à la tête des romanciers, & qui disent que du mariage de Théagène & de Chariclée, sont nés tous les romans, Italiens, Espagnols, Allemands, Anglois & François. […] Mais que peuvent les plus longs raisonnemens contre le sentiment ? […] Ils sacrifièrent la nature à l’art : ils choisirent une métaphysique de sentiment, & un persifflage inconnus jusqu’alors. […] quel ton de sentiment !

2080. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre IV. De la délimitation, et de la fixation des images. Perception et matière. Âme et corps. »

Mais chez l’homme, être pensant, l’acte libre peut s’appeler une synthèse de sentiments et d’idées, et l’évolution qui y conduit une évolution raisonnable. […] Il faudra donc se rejeter sur le sens métaphysique du mot, et étayer le mouvement aperçu dans l’espace sur des causes profondes, analogues à celles que notre conscience croit saisir dans le sentiment de l’effort. Mais le sentiment de l’effort est-il bien celui d’une cause profonde ? Et des analyses décisives n’ont-elles pas montré qu’il n’y a rien autre chose, dans ce sentiment, que la conscience des mouvements déjà effectués ou commencés à la périphérie du corps ? […] On soutient, non sans quelque apparence de raison, qu’il n’y a pas de sensation sans « extensité 107 » ou sans « un sentiment de volume 108 ».

2081. (1897) La vie et les livres. Quatrième série pp. 3-401

Quelle dissemblance dans la hiérarchie des sentiments, dans les rapports mutuels, dans les habitudes prises, dans les méthodes usitées ! […] Leur amitié et leur confiance inspirent aux jeunes gens un vif sentiment du devoir et de l’honneur. […] Mais gardons-nous de chercher ici des subtilités de sentiment qui ne sont pas dans l’esprit de l’archaïsme grec. […] « Tout, autour d’eux, nous dit-il, paraît fait à souhait pour développer le sentiment des formes et l’acuité de la vision. […] Les poètes suppléent aux lacunes de leur instruction par le sentiment qu’ils ont de la vie et de son infinie diversité.

2082. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1893 » pp. 97-181

À huit heures, par une neige et une glace à ne pas savoir, si je ne serai pas obligé de coucher dans un hôtel de Paris — et seulement par un sentiment de déférence, de devoir envers mes acteurs — je me risque, j’attrape le chemin de fer, j’arrive à la gare Saint-Lazare, où le cocher qui doit me mener chez Riche, demande à un camarade le chemin pour m’y conduire, par ce temps : à quoi le camarade répond qu’il n’y parviendra jamais par le boulevard. […] À la fin mon nom est prononcé, au milieu de faibles applaudissements, et j’ai le sentiment que la chose n’a pas porté, comme je l’aurais cru. […] Ce sentiment d’impuissance, c’est la première fois que je l’éprouve. […] Mme Daudet racontait alors, que veillant son fils, menacé d’une fièvre typhoïde, elle avait le sentiment que le monde surnaturel, dont elle se voyait séparée, comme par un cristal ondulé, s’ouvrait et laissait sa grand’mère s’approcher d’elle, — d’elle, qui toute frissonnante, le bras étendu, criait : « Non ! […] Et au milieu de ces sentiments, comme un monument s’élevant dans leur cœur, fait d’un tas d’illusions de leur passé, — de leur passé à distance, — en sorte que des femmes, qui ont été peu heureuses dans leur ménage, se figurent avoir aimé leur tyran, et en chantent l’éloge.

2083. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « La religion dynamique »

Mais si l’âme s’absorbe en Dieu par la pensée et par le sentiment, quelque chose d’elle reste en dehors . c’est la volonté : son action, si elle agissait, procéderait simplement d’elle. […] Quand ce sentiment a grandi au point d’occuper toute la place, l’extase est tombée, l’âme se retrouve seule et parfois se désole. […] Tout au plus le sentiment familial et social pourra-t-il surabonder accidentellement et s’employer au-delà de ses frontières naturelles, par luxe ou par jeu ; cela n’ira jamais très loin. […] Et pourtant aucun courant de pensée ou de sentiment n’a contribué autant que le prophétisme juif à susciter le mysticisme que nous appelons complet, celui des mystiques chrétiens. […] Il y aura là deux atmosphères de sentiment distinctes, deux parfums différents, et dans les deux cas l’amour sera qualifié par son essence, non par son objet.

2084. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome II pp. 5-461

Ce sentiment que j’éprouve, que je déclare ingénument ici, est une nouvelle preuve de l’utilité des cours publics dont je vous rappelais l’importance. […] Qui sait même si l’on ne doit pas à cette triste réflexion le tableau des nobles chagrins du Misanthrope, de qui l’humeur exprime avec tant d’éloquence ce même sentiment, déplorable pour l’humanité ? […] Je ne contredis qu’à regret les sentiments de ce littérateur dont j’appréciai les talents autant que personne ; mais la nécessité de suivre l’ordre régulier des principes l’emporte sur les considérations qui m’engageraient à vous taire les erreurs où je crois qu’il s’est égaré. […] « Voilà des sentiments dignes d’une Artémise. […] La raison en est simple ; c’est qu’il est véhément, expansif, exalté ; que ses sentiments, loin de se contenir, tendent violemment à s’exhaler au-dehors : il en est de même d’Harpagon, dont l’inquiétude active ne peut se réprimer.

2085. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Lamartine.] » pp. 534-535

. — Vous avez glissé sur les défauts et voilé avec délicatesse les parties regrettables chez celui qui s’est trop abandonné en écrivant aux sentiments éphémères et au courant des circonstances.

2086. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — Alphonse Karr. Ce qu’il y a dans une bouteille d’encre, Geneviève. »

Mais tandis que Rose répond à Léon, Albert ignore et méconnaît le sentiment de Geneviève, qui en souffre et qui en meurt.

2087. (1875) Premiers lundis. Tome III « Armand Carrel. Son duel avec Laborie »

Pour ceux qui connaissent son caractère de droiture, d’énergie et de franchise, ou qui ont apprécié la haute portée de son talent, c’était un besoin de manifester les sentiments d’estime et d’affection qu’ils lui portent : ceux qui partagent ses principes politiques ont dû lui savoir gré de cette généreuse ardeur toujours prompte à relever les provocations ou à venger les injures qui s’adressent à la cause de Juillet ; les hommes de cœur, enfin, qui, sans être attirés vers lui par une communauté d’opinion aussi étroite, ont pris en dégoût les honteuses palinodies qui font le scandale de notre temps, n’ont pu refuser quelque marque de sympathie à un écrivain dont la foi politique, éclairée et persévérante, va jusqu’au sacrifice de la vie.

2088. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — A — Autran, Joseph (1813-1877) »

Elle n’enlève pas légèrement sur son front limpide tout un monde d’idées ou de sentiments, comme les Cariatides de

2089. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bourget, Paul (1852-1935) »

Paul Bourget, pour Byron, dont il descend par les sensations et par les sentiments, est assez grand et assez résolu pour ne pas souffrir d’un jugement qui le rapproche même pour le diminuer, du grand poète qu’il admire le plus.

2090. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Gourmont, Remy de (1858-1915) »

Marcel Schwob De petites pages comme frottées de ciguë, entre lesquelles ont séché des brins d’ancolie, semées de mots suraigus et blêmes ; des phrases aux contours rapides, semblables à de simples coups de pinceau qui suggèrent tous les gestes de la vie par une ligne grasse ; des perversités promptes et acérées, et qui entrent en agonie dès qu’elles ont été conçues ; un monde minuscule de drames brefs, haletants, qui tournoient follement ainsi que des petites toupies dans leurs derniers circuits ; des sentiments éphémères comme les renouveaux lassés des fins de passion.

2091. (1887) Discours et conférences « Discours prononcé au nom de l’Académie des inscriptions et belles-lettres aux funérailles de M. .Villemain »

Son goût littéraire n’était pas l’admiration banale qui s’arrête au beau langage ; c’était un salutaire commerce avec un monde plus pur que le nôtre, un sentiment filial pour ces vieux sages dont nous faisons à bon droit les précepteurs et les consolateurs de notre vie.

2092. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » pp. 451-455

Barthelemi les trois quarts des horribles excès qui l’ont accompagnée, elle seroit encore assez affreuse pour être détestée de tous ceux en qui tout sentiment d’humanité n’est pas entiérement éteint.

2093. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 236-239

C’est là qu’on admire à la fois tout ce que le sentiment a de plus vif, tout ce que la piété a de plus noble & de plus tendre, tout ce que la Langue Latine a de plus énergique & de plus mélodieux, tout ce que la Religion peut ajouter à l’enthousiasme, en lui fournissant des sujets vraiment propres à l’échauffer.

2094. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 19, de la galanterie qui est dans nos poëmes » pp. 143-146

C’est, ajoute l’auteur anglois, un sentiment qui n’est pas dans la nature, une des affectations extravagantes que le mauvais goût du siecle a mis à la mode.

2095. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1891 » pp. 197-291

il y a des jours, où on joue comme on ne joue qu’une fois… samedi, aux applaudissements de la salle, j’ai eu le sentiment que je jouais, comme je n’avais jamais joué… Quand je suis rentrée dans ma loge, j’avais les yeux tout brillants, et ma fille m’a dit : « Ah ! […] Lundi 20 avril Les Japonais même intelligents très intelligents, n’ont pas le sentiment de la construction, de la composition d’un livre historique. […] Dans le livre des Maisons vertes, je voyais une planche représentant des femmes du Yoshiwara, en contemplation devant la lune, par une belle nuit d’été, et l’écrivain du livre affirmait que ces femmes avaient un très remarquable sentiment poétique. […] Mais en musique et en peinture, le non doué musicalement ou picturalement est condamné à n’avoir jamais le sentiment intelligemment raffiné de la musique ou de la peinture. […] Et quant à la peinture, c’est de la blague : le sentiment, l’esprit, l’ingénuité, l’honnêteté, toutes ces qualités inventées par les Thiers, les Guizot, les Taine, tous ces professeurs de peinture qui n’auraient pas été foutus de reconnaître la plus ignoble copie d’un original.

2096. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1892 » pp. 3-94

Stevens s’étonne de l’absence complète du sentiment de l’art chez la plupart des grands écrivains, affirmant qu’il n’en est pas ainsi à l’égard de la littérature chez les peintres de talent, même chez ceux qui n’ont pas fait d’humanités, déclarant qu’on ne les trouverait jamais à lire un livre d’auteur médiocre. […] » Et l’Anglais demeurait au diable de Crystal Palace, près duquel gîtait Carrière, qui répondait imperturbablement : « Oh, je prendrai un cab à la petite place de voitures, qui est à côté. » Et il revenait à pied, et rentrait chez lui, tant c’était loin, à quatre heures du matin… « Ce qui m’a sauvé, jette-t-il, en manière de péroraison, c’est qu’il y avait chez moi, dans ma jeunesse, beaucoup d’animalité, de force animale. » Il me confessait qu’à Londres, il avait eu, tout le temps, un sentiment d’effroi du silence des foules. […] Il s’indigne de la langue horrifique, que parlent à l’heure présente les gens avec lesquels, il prend le train de Vincennes, quand il va à sa petite maison de campagne du parc Saint-Maur, des gens, à propos de la translation d’un cimetière, traitant les morts du vocable de « charognes », et me jette cet éloquent appel : « Est-ce que vous n’avez pas en vous le sentiment de la désespérance, en ce monde de maintenant, dont les uns portent un étron dans la main, les autres un cierge ?  […] Et je me tenais un peu derrière elle, comme pris d’un sentiment d’adoration religieuse pour cette femme, qui me paraissait d’une essence autre, que celle des femmes de ma famille, et qui, dans l’accueil, le port, la parole, la caresse de la physionomie, quand elle vous souriait, avait sur vous un empire, que je ne trouvais qu’à elle, qu’à elle seule. […] À un moment, comme on parlait de la foi, il a dit que ce sentiment n’existait pas chez lui ; et il se comparait assez ingénieusement à un homme, qui habiterait une chambre, au-dessus de laquelle serait une autre chambre, où il aurait la perception qu’il se passe des choses… mais des choses qui ne l’intéressent pas du tout.

2097. (1920) Action, n° 2, mars 1920

Et il arrive aux musiciens, faute de pensée, et dans leur vaine effusion, d’ennuyer par leur vide et leur fadeur sentimentale : car beaux rêves du sentiment ne sont pas faits que de sensation. […] La musique est un paysage pour le sentiment. […] La vraie poésie est une réalité que le sentiment transfigure. […] Or, c’est un enchantement, c’est une série d’explosions tendues et fines sur toutes les cordes du sentiment, l’une après l’autre. […] Il est l’un des écrivains caractéristiques de la tendance expressionniste réunie autour de Der Sturm et de son refus de la pensée logique comme du sentiment.

2098. (1883) La Réforme intellectuelle et morale de la France

La France avait été faite par la dynastie capétienne. en supposant que la vieille Gaule eût le sentiment de son unité nationale, la domination romaine, la conquête germanique avaient détruit ce sentiment. […] L’expérience de 1870 l’a bien montré ; l’annonce de la guerre fut accueillie avec consternation ; les sottes rodomontades des journaux, les criailleries des gamins sur le boulevard sont des faits dont l’histoire n’aura de compte à tenir que pour montrer à quel point une bande d’étourdis peut donner le change sur les vrais sentiments d’un pays. […] Si la Prusse n’avait pas exigé de cessions territoriales, je n’hésiterais pas à répondre que le mouvement industriel, économique, socialiste, eut repris son cours ; les pertes d’argent eussent été réparées au bout de quelques années ; le sentiment de la gloire militaire et de la vanité nationale se fût perdu de plus en plus. […] Elle se formerait au respect ; elle prendrait, le sentiment de la valeur de la science. […] Des jeunes gens élevés dans le sentiment de leur supériorité se révolteront de ne compter que pour un comme le premier venu.

2099. (1714) Discours sur Homère pp. 1-137

On allegue contre ce sentiment, que si c’eut été là le dessein du poëte, il n’auroit pas terni le caractere de son héros par tant de mauvaises qualités. étoit-ce un bon moyen d’enlever l’admiration pour lui, que de le faire superbe, injuste et cruel ? […] Il peut imaginer à son gré des faits propres à exciter l’admiration, la compassion, la joye, ou tel autre sentiment qu’il lui plaira ; mais ces faits une fois choisis, il faut que le détail en soûtienne le fonds. […] Agamemnon, au second livre, propose la fuite à ses soldats, dans le dessein de les éprouver, et avec une adresse concertée pour leur inspirer un sentiment tout contraire. […] Si le fonds en est l’indignation, comme de celui d’Ajax, il doit finir avec le même sentiment, et il en est là-dessus de l’esprit, comme de l’oreille sur la musique. […] Je crois avoir des raisons plus concluantes pour le sentiment que j’avance.

2100. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Benjamin Constant et madame de Charrière »

Cette femme, comme tant d’autres, s’était, à l’entrée de sa carrière, lancée vers le monde, qu’elle ne connaissait pas, avec le sentiment d’une grande force d’âme et de facultés vraiment puissantes. […] Demain je serai à Methwold, un tout petit village entre ceci et Lynn, et au-delà de Newmarket, dont Chesterford, d’où je vous écris ce soir, n’est qu’à cinq lieues. — Adieu, madame ; ajoutez à ma lettre tous mes sentiments pour vous, et vous la rendrez bien longue. […] Quant à la conjecture sur l’esprit originel du grand ouvrage, ce n’en est pas une, à vrai dire, et tout ce qui trahit les sentiments philosophiques de l’auteur à cette époque ne laisse pas une ombre d’incertitude. […] Mais combien mes sentiments, mes espérances et mes alentours sont changés ! […] Je suis las d’être égoïste, de persifler mes propres sentiments, de me persuader à moi-même que je n’ai plus ni l’amour du bien ni la haine du mal.

2101. (1895) De l’idée de loi naturelle dans la science et la philosophie contemporaines pp. 5-143

En définitive, la conscience est le seul sentiment de l’être dont nous disposions. […] Mais le sentiment nous fournit aussi des données contraires au mécanisme. […] Pourquoi l’habitude, le caractère, le sentiment, la volonté même n’engendreraient-ils pas des uniformités mécaniques ? […] Pour ramener véritablement le libre arbitre au mécanisme, il faudrait expliquer mécaniquement le sentiment du libre arbitre ; et, pour être en mesure de fournir une telle explication, il faudrait avoir expliqué mécaniquement tous les phénomènes psychiques, moins compliqués, que suppose le sentiment du libre arbitre. […] Mais, si les sensations même les plus élémentaires ne sont pas encore complètement explicables par le cerveau, comment le sentiment du libre arbitre le serait-il ?

2102. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « [« Pages extraites d’un cahier de notes et anecdotes »] » pp. 439-440

Elle accourt à l’auberge et est reçue par Mme de Constant qu’elle traite fort mal en apprenant le mariage : ce qui l’impatiente le plus dans cette entrevue, c’est la fadeur allemande de cette personne à sentiments, qui ne savait que répéter à satiété : « C’est que Benjamin, voyez-vous, est si bon ! 

2103. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Cros, Charles (1842-1888) »

Vous y trouverez, sertissant des sentiments tour à tour frais à l’extrême et raffinés presque trop, des bijoux tour à tour délicats, barbares, bizarres, riches et simples comme un cœur d’enfant et qui sont des vers, des vers ni classiques, ni romantiques, ni décadents, bien qu’avec une pente à être décadents, s’il fallait absolument mettre un semblant d’étiquette sur de la littérature aussi indépendante et primesautière.

2104. (1887) Discours et conférences « Discours à la conférence Scientia : Banquet en l’honneur de M. Berthelot »

Berthelot 26 novembre 1885 Quelle joie vous m’avez préparée, Messieurs, en pensant à moi pour être l’interprète de vos sentiments envers l’homme illustre que vous fêtez aujourd’hui, vous vous êtes souvenus d’une vieille amitié qui, ces jours-ci justement, atteint à sa quarantième année.

2105. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 120-124

Il seroit à souhaiter qu’il eût également réussi dans les morceaux de sentiment.

2106. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre premier, premières origines du théâtre grec »

Elle la complique d’appels et de fuites, d’entraînements et de résistances ; bientôt chaque geste esquisse une pensée, chaque pas vole vers un sentiment.

2107. (1888) La critique scientifique « Avant-propos »

Taine, un chapitre de Roodbu sur la peinture, les recherches de Posnettbv sur la littérature de clan, de Parker sur l’origine des sentiments que nous associons à certaines couleurs, de Rentonbw et de Bainbx sur les formes du style.

2108. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 38, que les remarques des critiques ne font point abandonner la lecture des poëmes, et qu’on ne la quitte que pour lire des poëmes meilleurs » pp. 554-557

Il fait le discernement et il juge des poëmes à l’aide du sentiment bien mieux que les critiques ne le peuvent faire avec leurs regles.

2109. (1932) Les idées politiques de la France

Cet idéal et ce mouvement répondent à un sentiment humain profond, facilement communicable. […] Or, bien que le suffixe isme soit ici récent, son radical dérive d’un sentiment et d’un ordre d’idées révolutionnaire et antiroyaliste. […] Herriot a écrit à ce moment ce mot émouvant et instructif, que le sentiment de la patrie était tout ce qui lui restait, à lui, de religion. […] Mais enfin c’est toujours une tasse à déjeuner ou une pince à sucre qui vous tombent, et qu’on n’a pas le sentiment de payer. […] Saint-Just, lui, emploie le mot idée cartésiennement, dans un sens très général : aussi bien sentiment, désir, volonté.

2110. (1898) Ceux qu’on lit : 1896 pp. 3-361

Je ne parle, bien entendu, pas d’imitation, mais de parenté de sentiments, comme d’un peu du parfum qui s’échappe d’une fleur qu’on ne voit pas. […] G. d’Annunzio, j’ajouterai qu’il est écrit avec beaucoup de talent et renferme des pages exquises, des tableaux pleins de vie et de charme, et ce sentiment poétique qui ne l’abandonne jamais. […] De son côté, la jeune fille, qui d’abord ignorait qu’il fût marié, sent qu’elle a trouvé en lui le complément de son être, et livre sans scrupule son cœur à un sentiment qu’elle ne saurait d’ailleurs maîtriser. […] C’est presque un roman par lettres, que le Roman d’un académicien, une très fine analyse de sentiments élégamment étudiés à la façon de Marivaux. […] J’ai signalé plus haut le sentiment d’humanité qui, contrairement aux habitudes militaires du temps, apparaît souvent dans les Mémoires du général Paulin.

2111. (1903) La vie et les livres. Sixième série pp. 1-297

On a conservé, de lui, des lettres qui révèlent assez l’état de ses sentiments. […] Frédéric Masson intitule : Sentiments de Joséphine. […] Ce conquérant, exalté par la lecture de Rousseau, se trompait en matière de sentiment, comme tous ceux qui ont appris l’amour dans les livres. […] une femme bel esprit, une faiseuse de sentiment se comparer à Joséphine ? […] Sa voix affaiblie ne sait plus exprimer les sentiments d’invincible fidélité qui sont le ressort essentiel de sa vie intérieure.

2112. (1874) Premiers lundis. Tome II « L. Aimé Martin. De l’éducation des mères de famille, ou de la civilisation du genre humain par les femmes. »

Au milieu de distinctions fines et de bien nobles sentiments de spiritualisme que nous y reconnaissons, il nous est impossible, pour notre compte, d’en admettre le procédé, ni beaucoup des résultats.

2113. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Guérin, Charles (1873-1907) »

Georges Rodenbach Ils sont exquis de sentiment, de vocabulaire, d’image, ces vers choisis au hasard dans un livre soigné, et d’un métier sur de lui-même, qui, sans rompre avec toute la tradition d’une prosodie fondée en raison, profite des acquêts nouveaux, aère l’alexandrin, ductilise le sonnet, embrume la rime jusqu’à l’assonance ; et ce n’est pas un des moindres charmes de ce poème que la netteté des impressions et des pensées en une forme fluide et flottante, comme qui dirait des figures de géométrie faites avec de la fumée.

2114. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Schwob, Marcel (1867-1905) »

Marcel Schwob pour écrire tout jeune des récits d’un ton si ferme, d’une marche si sûre, d’un sentiment si puissant.

2115. (1890) L’avenir de la science « A. M. Eugène Burnouf. Membre de l’Institut, professeur au Collège de France. »

Grâce aux sentiments qu’elles m’ont inspirés, j’ai traversé de tristes jours sans maudire personne, plein de confiance dans la rectitude naturelle de l’esprit humain et dans sa tendance nécessaire à un état plus éclairé, plus moral et par là plus heureux.

2116. (1913) Le bovarysme « Deuxième partie : Le Bovarysme de la vérité — II »

Il semble en effet qu’elle ait sa source en un sentiment profond de la nature humaine, et, pour cette raison, elle peut nous révéler quelque chose d’important touchant le mécanisme de la vie.

2117. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIe entretien. Suite de la littérature diplomatique » pp. 5-79

Ils ont un orgueil individuel quelquefois humiliant pour ce qui n’est pas eux ; mais cet orgueil ou ce sentiment égoïste de leur supériorité leur donne un orgueil collectif et national qui fait une partie de leur force comme peuple. […] Ils ont le sentiment de la liberté, par suite de cet orgueil ; mais ils ont le sentiment de l’aristocratie, par raison. […] Cela est naturel : c’est par en haut que les peuples pensent, c’est par le cœur que les peuples sentent ; la pensée et le sentiment ne sont pas dans les membres.

2118. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIIIe entretien. Revue littéraire de l’année 1861 en France. M. de Marcellus (1re partie) » pp. 333-411

Sa figure allongée et pâle aurait peint le sentiment, si elle n’avait voulu lui faire exprimer l’énergie et le courage. […] « Mes sentiments, Monsieur, ne doivent pas être les vôtres, je le sais ; mais vous apprécierez ma franchise, et je ne dois point payer votre visite par une dissimulation qui n’est pas dans mon cœur. […] les Français, me dit-elle avec feu, ont des droits tout particuliers à mes sentiments. […] Ici, on ne croit pas à ces sentiments qui changent avec la fortune, à ces dévouements éphémères, qui, morts avec le vaincu, renaissent pour le vainqueur, et sautent de l’un à l’autre avec une agilité toujours plus souple.

2119. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIe entretien. Vie du Tasse (2e partie) » pp. 65-128

» De tels vers, adressés à la plus jeune et à la plus enivrante des beautés de la cour d’Alphonse, devaient être amers à Léonora, si les sentiments de Léonora dépassèrent jamais l’enthousiasme et l’amitié d’une femme vertueuse pour un respectueux adorateur. […] Il est juste d’ajouter à cette inconstance du poète le sentiment délicat de la gêne que sa présence imposait à une sœur dont l’indigence suffisait à peine à la nourriture de ses deux fils et de ses deux filles. Ce sentiment perce dans une lettre du Tasse à un de ses amis : « Tu verras de plus, dit-il, dans une lettre écrite par ma sœur, son extrême pauvreté, et la nécessité où je suis de venir à son aide, et comment, dans un si excessif dénuement, moi-même j’ai été obligé cependant de lui donner quelque assistance. » Tous ces motifs, et peut-être aussi le remords d’avoir attristé le cœur de sa constante protectrice Léonora, dont la tendresse survivait à ses propres inconstances, retournèrent ses pensées vers Ferrare. […] Si ce prince avait eu sur les sentiments de sa sœur une si inquiète susceptibilité, comment aurait-il rapproché depuis tant d’années le Tasse de Léonora ?

2120. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre deuxième »

Pour moi, je ne puis me représenter Descartes sans un certain effroi, soit à cause du sentiment de mon infirmité, soit en pensant à tant d’efforts sublimes osés avec un corps comme le mien, afin d’arriver à cette puissance d’abstraction qui le fit appeler par Gassendi : O idée ! […] Nous les trouvons, pour ainsi dire, sur le chemin de toutes nos actions, qu’ils ont comme prévues et réglées d’avance, et si nous ne faisons pas ce qu’ils conseillent, c’est avec le sentiment d’une sorte de désobéissance envers des maîtres infaillibles. […] Ce qui ne veut pas dire, on le comprend de reste, l’homme qui raisonne ou enseigne, mais l’homme qui sent, imagine, s’émeut, se passionne dans une mesure telle, que tout lecteur se reconnaît dans ses écrits, et que nous tenons pour nôtres ses sentiments, ses passions et sa raison. […] Je reconnais là pour la première fois le goût, ce sentiment de la langue de chaque sujet, commun aux écrivains du dix-septième siècle, Descartes en tête, lesquels n’étonnent guère moins par ce qu’ils rejettent de leurs discours que par ce qu’ils y reçoivent.

2121. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « III »

L’homme civilisé se manifeste par la richesse et la diversité des nuances entre les sentiments, et par un rythme plus complexe. » Wagner caractérise très bien les différents caractères de la mimique de l’homme : plus l’homme en effet est grossier, plus la mimique est simple et désordonnée. […] Adolphe Jullienq sait répondre à un sentiment bien français en plaignant les acteurs qui étaient sous le joug de Richard Wagner25. — Cet excès bienheureux du maître servira de leçon aux dramatistes futurs. — Pouvait-il, d’ailleurs, tolérer qu’un acteur jouât d’une autre façon que celle qu’il avait indiquée ?  […] Le seul sentiment qui s’ajoute encore à la mission révélée, c’est une sorte de compassion pour la femme qui pleure à ses pieds. […] l’accord est fait depuis la Valkyrie : rappelez vos souvenirs ; la vierge guerrière endormie sur la cime entourée de flammes en attendant son héros, a laissé dans les âmes les plus récalcitrantes une sorte de sentiment vague, tenant à la fois de l’admiration, de l’inquiétude et de la stupeur.

2122. (1920) Action, n° 3, avril 1920, Extraits

Ce sont même quelquefois des anecdotes au sentiment fabriqué : le conseil de protéger ses ongles pendant quinze jours puis de les enfoncer avec jouissance, bave et lenteur dans la poitrine d’un poupon glapissant est d’un sadisme enfantin, d’un baudelairisme d’employé de la Compagnie des Chemins de fer ; et la scène de famille — écrite d’abord sous forme de théâtre — est visiblement façonnée : l’« enfant qui souffre » ayant été utilisé déjà, comment le présenter à nouveau sans qu’il semble un peu usé aux coudes ? […] L’effet est obtenu par la transposition sur un plan supérieur de sentiments qu’il a observés en lui ou ses camarades. […] L’homme qui se croit un coq est pour son propre sentiment aussi simple que le coq. Tel autre qui se croit être du verre est pour son propre sentiment un objet aussi fragile que le verre.

2123. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « H. Forneron » pp. 149-199

Seulement, pourquoi, — s’il n’est qu’un joueur en perte par le fait d’une succession de fautes épinglées si minutieusement dans l’histoire de Forneron, et auxquelles j’ajoute, moi, pour le compte du Catholicisme, la faute de s’être trop pris pour la Papauté, par amour de la Papauté, — pourquoi l’homme victime de tant de fautes nous paraît-il obstinément plus grand, pourtant, qu’un joueur en perte aux échecs mal compris de la politique, et reste-t-il, malgré ses fautes, dans le sentiment de l’Histoire, quelque chose qu’il est impossible de rapetisser ou de déshonorer, et qui est toujours Philippe II, l’imposant Philippe II. […] Il a aimé Dieu et l’Église du premier amour de sa vie et à travers tous les sentiments de sa vie, s’il en eut d’autres, ce qui est douteux. […] On a chassé impitoyablement le sentiment humain de l’Histoire. […] Taine répondit par la plus vaste compulsion de faits et de témoignages à des apothéoses insensées quand elles ne sont pas scélérates, et faisait ainsi rentrer triomphalement le sentiment humain dans l’Histoire.

2124. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gui Patin. — II. (Fin.) » pp. 110-133

Il ne croit guère aux indulgences, il croit aux prières : « Les prières des gens de bien servent merveilleusement. » Quand il est près d’être continué dans sa charge de doyen (novembre 1651), sentant le poids et les devoirs qu’elle lui impose, il écrit à un ami : « Je me recommande à vos grâces et à vos bonnes prières. » Il a sur la mort en toute rencontre des réflexions philosophiques dont il relève la banalité par un sentiment vif et un certain mordant d’expression : M. le comte de R. est mort comme il a vécu. […] Si le jeune roi est malade, il faut voir comme Gui Patin s’intéresse aux moindres circonstances de sa santé : il aime le roi de toute la haine qu’il porte au Mazarin et à ses entours, et de quelque chose de plus encore, d’un vieux sentiment français héréditaire. […] Arnauld, et en général tous les écrivains de Port-Royal, non par communion de sentiments ou de doctrine, mais par une sorte de complicité d’esprit et de sympathie morale.

2125. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le marquis de Lassay, ou Un figurant du Grand Siècle. — II. (Fin.) » pp. 180-203

Son point de départ est toujours son ancienne passion pour Marianne ; il ne craint point de l’évoquer et d’y revenir : Vous avez rappelé dans mon cœur, dit-il à son nouvel objet, des sentiments dont je ne le croyais plus capable : je retrouve en moi ce même trouble et ces mêmes agitations que j’avais connus autrefois. […] On ne sait rien de la personne à laquelle il s’adressait alors, sinon qu’elle était bien plus jeune que lui ; il l’appelle une enfant : La vivacité de vos sentiments, des manières simples et naturelles, et un air de vérité, m’avaient fait croire que vous ne ressembliez point aux autres femmes, et je me flattais de retrouver en vous cette personne que j’ai tant aimée, et qui, toute morte qu’elle est depuis longtemps, n’a rien à me reprocher que la passion que j’ai eue pour vous ; je vois que je me suis trompé. […] Il l’y montre avec toutes ses grâces dans l’esprit et dans la personne, avec sa douceur charmante dans l’humeur et son soin continuel de plaire, en un mot, le plus aimable des hommes, et tel qu’on voit le Conti de Saint-Simon ; puis il ajoute d’une manière neuve et très judicieusement, au moins selon toute vraisemblance : Mais je suis persuadé qu’il est à la place du monde qui lui convient le mieux, et, s’il en occupe quelque jour une plus considérable, il perdra de sa réputation et diminuera l’opinion qu’on a de lui ; car il est bien éloigné d’avoir les qualités nécessaires pour commander une armée ou pour gouverner un État : il ne connaît ni les hommes ni les affaires, et n’en juge jamais par lui-même ; il n’a point d’opinion qui lui soit propre… ; il ne saisit point la vérité52 ; on lui ôte ses sentiments et ses pensées, et souvent il n’a que celles qu’on lui a données, qu’il s’approprie si bien et qu’il explique avec tant de grâce et de netteté qu’il n’y a que les gens qui ont de bons yeux et qui l’approfondissent avec soin qui n’y soient pas trompés : on peut même dire qu’il les embellit.

2126. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres de Virgile »

En profitant de ce qu’apporte l’exigeante sagacité d’un Ribbeck, n’abjurons pas le goût des Fénelon et des Fontanes, le sentiment rapide qui est une lumière. […] Or maintenant, nous allons nous rendre bien compte du procédé de Virgile : il s’empare de cette intention de sentiment qu’il y a dans le contraste des lieux, dans la distance qui sépare le berceau et la tombe. […] Seulement cette répétition qui, chez Homère faisant parler Hector, accentuait un sentiment héroïque et belliqueux, Virgile, qui n’oublie rien et qui ne fait rien comme un autre, Virgile, en s’en emparant, la transpose aussitôt sur le mode sensible et pathétique ; il la dépayse si je puis dire, pour qu’elle ne soit pas trop reconnaissable : voilà un des traits de son art ; le coup de clairon redoublé est devenu, grâce à lui, un écho de flûte plaintive ; il a soin de le reporter, ainsi adouci, et de le confondre dans son imitation du guerrier mort, gisant si loin de son berceau : cette imitation s’en relève et prend un tour original qui n’est plus de l’Homère : c’est du Virgile, et l’on a un admirable exemple de plus du genre de beauté poétique qui lui est propre et qui se désigne de son nom.

2127. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mémoires sur la mort de Louis XV »

Ils nous avaient frappés en les entendant ; ils firent le même effet sur tous ceux qui les apprirent, et le sentiment général fut de conclure qu’une troisième saignée prouverait au roi qu’il était bien malade, et le déterminerait au renvoi de Mme Dubarry. […] Je me proposais aussi la plus grande retenue dans mes propos, et de ne rien faire paraître de l’envie que j’avais de tout ce qui pouvait amener le renvoi de la maîtresse et du ministre, sans cependant me permettre d’affecter jamais aucun sentiment contraire. […] Quoique ce sentiment fût le même à Versailles, l’air d’inquiétude y était plus général ; c’est d’abord le pays du déguisement, et si le déguisement est permis dans un cas, c’est bien dans celui où quand on peut, sans blesser l’honneur, cacher ce qu’on pense, on ne peut pas le faire paraître sans étourderie et sans courir le risque à peu près sûr d’une Bastille éternelle.

2128. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre premier. Mécanisme général de la connaissance — Chapitre premier. De l’illusion » pp. 3-31

Le premier moyen est de lui donner une attitude qui corresponde à tel sentiment, qui soit le commencement de telle action, qui indique la présence de tel objet ; spontanément, il complète cette attitude, et aussitôt il éprouve le sentiment, il fait l’action, il croit à la présence de l’objet. — Vous penchez sa tête un peu en arrière et vous redressez son échine, « aussitôt sa contenance prend l’expression de l’orgueil le plus vif, et son esprit en est manifestement possédé… » En cet instant, « courbez sa tête en avant, fléchissez doucement son tronc et ses membres, et la plus profonde humilité succède à l’orgueil ». […] Enfin ils lui dirent que l’homme qui, en ligne, était le plus près de lui, venait de tomber ; aussitôt il sauta hors de son lit, s’élança hors de la tente, et fut tiré du péril et du rêve en trébuchant sur les cordes des piquets. — Après ces expériences, il n’avait point de souvenir distinct de ses rêves, mais seulement un sentiment confus d’oppression et de fatigue, et, d’ordinaire, il disait à ses amis qu’il était sûr qu’ils lui avaient joué quelque tour. » Le somnambulisme artificiel met l’esprit dans un état semblable.

2129. (1894) Propos de littérature « Chapitre V » pp. 111-140

Les exemples cités l’auraient indiqué davantage si trop souvent la préoccupation de la forme n’atténuait le vif éclair du sentiment et de la pensée. Du sentiment surtout, car M. de Régnier communie avec les choses plus qu’il ne théorise ; et cette communion fait naître une mélodie pénétrante et persuasive qui, sur un mode égal et lent de tristesse sans révolte, s’enlace invinciblement à l’esprit qu’elle atteint ; elle fait songer à ces dards fleuris des féeries qui percent comme en une caresse et déjà sont devenus un captivant réseau. […] Les formes ne furent plus pour lui les vassales du sentiment ou de l’idée qu’elles contiennent, — comme chez M. 

2130. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre huitième »

C’est le temps des grands sentiments par lesquels on se rachetait des grandes fautes. […] Bossuet avait vu de quoi la religion rend capable le cœur où elle est maîtresse de la volonté ; il savait de quelles chutes elle relève les âmes ; il ne lui en coûta pas de reconnaître dans le sentiment religieux, là même où la religion était fausse, une des causes de la grandeur du pays. […] Il l’a accusée de vouloir détruire et non régler les sentiments de l’homme, de parler à l’entendement et nom à l’âme88 ; critique injuste, contre laquelle témoigne la popularité sans vicissitudes de ces moralistes soi-disant outrés.

2131. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1861 » pp. 361-395

Quant à une restitution morale, le bon Flaubert s’illusionne, les sentiments de ses personnages sont les sentiments banaux et généraux de l’humanité, et non les sentiments d’une humanité particulièrement carthaginoise, et son Mathô n’est au fond qu’un ténor d’opéra dans un poème barbare.

2132. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des romans — Préface des « Derniers Jours d’un condamné » (1832) »

Ne sentez-vous pas au fond du cœur que vous avez tout au moins perdu le sentiment moral et social de la mission de sang que vos prédécesseurs, les vieux parlementaires, accomplissaient avec une conscience si tranquille ? […] Nous préférons souvent les raisons du sentiment aux raisons de la raison. […] La raison est pour nous, le sentiment est pour nous, l’expérience est aussi pour nous.

2133. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre III : Examen de la doctrine de Tocqueville »

qui voudra le faire taire doit lui remplir la bouche 7 » ; lorsque Richelieu, ennemi des grands, mais né parmi eux, écrivait de son côté : « Si les peuples étaient trop à leur aise, il serait impossible de les contenir dans les règles de leur devoir… il faut les comparer aux mulets, qui, étant accoutumés à la charge, se gâtent par un long repos plus que par le travail », lorsque ces écrivains laissaient échapper ces outrageantes paroles, ne trahissaient-ils pas par là les sentiments secrets de leur caste ? […] M. de Tocqueville, dans une lettre à M. de Corcelles, se plaint « de ce que certains esprits voient dans la liberté illimitée de philosopher contre lecatholicisme une compensation suffisante à la perte des autres libertés. » J’avoue que c’est là un vilain sentiment ; mais, sans soutenir que cette liberté puisse tenir lieu de toutes les autres, au moins faut-il reconnaître que c’est une liberté, par conséquent une limite à la toute-puissance de l’État. […] Si Tocqueville a exagéré une pensée qui lui était chère, il faut reconnaître en même temps qu’il avait le sentiment le plus juste, lorsqu’il demandait à la religion et à l’Église de s’unir à la liberté au lieu de la combattre, et à la liberté de respecter la religion et l’Église au nom de ses principes mêmes ; mais il est plus facile de réconcilier les idées que les intérêts et les passions.

2134. (1767) Sur l’harmonie des langues, et en particulier sur celle qu’on croit sentir dans les langues mortes

Je dis que nous ne la sentons guère ; car je ne nie pas que nous ne puissions en sentir quelque chose ; et ce sentiment tient surtout au mélange plus ou moins heureux des voyelles avec les consonnes, soit dans les mots isolés, soit dans leur enchaînement. […] Les Italiens trouvent, et avec raison, que les étrangers l’écorchent ; un Français ou un Anglais qui chantent devant eux leur musique, leur font grincer les dents ; cependant ces étrangers, tout en écorchant la musique italienne, y éprouvent un certain degré de plaisir, et même assez vif pour affecter beaucoup ceux d’entre eux qui ne sont dénués ni de sentiment ni d’oreille. […] Je ne parle ici que de l’harmonie ; je ne parle point du goût qui différencie ces auteurs, et qui étant du ressort de l’esprit seul, peut être plus aisément apprécié que le sentiment qui résulte de la cadence de leurs vers.

2135. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre I. La conscience et la vie »

Il est difficile de jeter un coup d’œil sur l’évolution de la vie sans avoir le sentiment que cette poussée intérieure est une réalité. […] Sur d’autres lignes, la conscience arrive à se libérer assez pour que l’individu retrouve un certain sentiment, et par conséquent une certaine latitude de choix ; mais les nécessités de l’existence sont là, qui font de la puissance de choisir un simple auxiliaire du besoin de vivre. […] Richesse et considération entrent évidemment pour beaucoup dans la satisfaction qu’il ressent, mais elles lui apportent des plaisirs plutôt que de la joie, et ce qu’il goûte de joie vraie est le sentiment d’avoir monté une entreprise qui marche, d’avoir appelé quelque chose à la vie.

2136. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre premier. »

Au fond, il paraîtrait ne le goûter qu’à demi, l’admirer surtout par respect humain, et peut-être ne l’avoir pas lu tout entier ; car, dans la suite de ses réponses à Perrault sur la controverse homérique, il n’emprunte rien, ni pour l’histoire conjecturale des premiers poëtes grecs, ni pour l’analyse du sentiment poétique, à bien des traits originaux, à bien des témoignages précieux de Pindare, qui partout, dans ses hymnes, se montre le premier croyant à l’authenticité d’Homère et comme le prêtre de son temple. […] Mais de telles ressemblances, dont nous parlerons ailleurs, n’étaient prises peut-être qu’au trésor inépuisable des sentiments humains, et à ces rencontres du génie, perpétuelle révélation que Dieu donne à l’homme. […] Mais c’est surtout par la croyance à l’âme immortelle et à l’avenir des méchants et des justes, que ce caractère du poëte se montre, soit dans les trop rares fragments de ses cantiques perdus, soit même dans les odes consacrées aux jeux athlétiques, où il ramène un sentiment, dont son cœur surabonde.

2137. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Mémoires de l’impératrice Catherine II. Écrits par elle-même, (suite.) »

La pitié était un sentiment pénible et même insupportable à son âme. » Un autre jour, quatre ans plus tard, la Cour étant à Moscou, Catherine eut à entrer dans les appartements du grand-duc pour remettre la paix et le bon ordre parmi ses gens, avec qui il avait l’habitude de boire, qu’il traitait de pair à compagnon, et qu’ensuite il rossait à coups de bâton ou de plat de sabre sans pouvoir les réduire, tandis qu’elle, d’ordinaire, elle y réussissait avec une parole ; et il se voyait quelquefois obligé de recourir à elle pour se tirer d’aflaire. […] Ce dernier sentiment, celui du chagrin, je le réprimais infiniment plus que tous les autres ; la fierté de mon âme et sa trempe me rendaient insupportable l’idée d’être malheureuse ; je me disais : “Le bonheur et le malheur est dans le cœur et dans l’âme d’un chacun ; si tu sens du malheur, mets-toi au-dessus de ce malheur, et fais en sorte que ton bonheur ne dépende d’aucun événement.”

2138. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « La Réforme sociale en France déduite de l’observation comparée des peuples européens, par M. Le Play, Conseiller d’État. »

En voulant déterminer les conditions principales d’une industrie, il en vint à reconnaître que le procédé technique n’était plus que la chose secondaire et que la condition essentielle tenait le plus souvent à un ressort moral, à un sentiment de fixité, de stabilité, d’affection et d’attachement au sol ainsi qu’à l’œuvre collective et à la communauté dont on fait partie. […] Propriétaire viager ou, si l’on veut, locataire à vie de la maison qu’il occupe, ayant ainsi le sentiment du chez-soi, l’ouvrier du Hartz, en sa qualité de membre de la corporation des mines, « possède sur les richesses minérales et forestières de ce district une sorte d’hypothèque légale qui le garantit, ainsi que sa famille, contre toutes les éventualités fâcheuses qui peuvent se présenter. » Il a non seulement l’habitation et le jardin qui y tient, il a le droit de récolter à titre gratuit dans les forêts domaniales le bois de chauffage ; le blé lui est assuré à un prix invariable et toujours au-dessous de celui du marché.

2139. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Verlaine, Paul (1844-1896) »

On peut même prétendre que Verlaine est le seul Français ayant dans ses vers cette intimité profonde et émouvante que l’Allemand considère comme le signe particulier du lyrisme, comme elle se retrouve, par exemple, dans les chansons populaires ou les poésies lyriques de pur sentiment de Goethe. […] Verlaine restera, en effet, un poète de l’amour et le témoin des formes que ce sentiment a revêtues chez nous.

2140. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre VI. Jean-Baptiste  Voyage de Jésus vers Jean et son séjour au désert de Judée  Il adopte le baptême de Jean. »

C’était une victoire que le sentiment de la foule remportait sur l’aristocratie sacerdotale. […] Jean fut l’écho du sentiment général en blâmant énergiquement Antipas 332.

2141. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XV. Commencement de la légende de Jésus  Idée qu’il a lui-même de son rôle surnaturel. »

Le sentiment premier de Jésus n’était pas précisément cela. […] Mais un singulier esprit de douceur et de bonté, un sentiment profondément populaire, pénétraient toutes ces fables, et en faisaient un supplément de la prédication 691.

2142. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXI. Dernier voyage de Jésus à Jérusalem. »

Depuis longtemps Jésus avait le sentiment des dangers qui l’entouraient 939. […] Mais un profond sentiment de tristesse empoisonnait pour Jésus le spectacle qui remplissait tous les autres israélites de joie et de fierté. « Jérusalem, Jérusalem, qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés, s’écriait-il dans ces moments d’amertume, combien de fois j’ai essayé de rassembler tes enfants comme la poule rassemble ses petits sous ses ailes, et tu n’as pas voulu 964 ! 

2143. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XV, l’Orestie. — les Choéphores. »

. — « La mâchoire dévorante du feu » — dit une strophe du Chœur — « ne détruit pas le sentiment chez les morts. […] Car il me faut te nommer mon père, et c’est à toi que va l’amour que j’eus pour ma mère détestée si justement aujourd’hui, et pour ma sœur cruellement sacrifiée. » — Passage d’effusion unique dans ce drame âprement aride, en qui la haine, dévorante comme une idée fixe, tarit alentour tous sentiments tendres.

2144. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre VI. Les localisations cérébrales »

Enfin les changements qui ont lieu dans nos sentiments et nos affections sous l’influence des maladies, prouvent bien aussi qu’il y a là quelque chose d’organique. […] Un anatomiste un peu distingué ne peut réellement jeter les yeux sur ces figures sans éprouver un sentiment pénible, tant elles sont peu conformes à celles que la nature nous offre. » Je laisse à décider aux anatomistes si M. 

2145. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — I. La métaphysique spiritualiste au xixe  siècle — Chapitre II : Partie critique du spiritualisme »

De cette dernière phase, il ne nous reste que des débris, et tout porte à croire qu’elle était plutôt un sentiment de l’âme qu’une doctrine rigoureusement philosophique. […] Avec lui, il enseigne que l’âme est, non un objet, mais un sujet, non un substratum mystérieux, mais une force libre, ayant conscience de soi, puisant dans le sentiment antérieur de sa causalité propre la conviction de son individualité, d’une unité effective et non nominale, identique d’une identité non pas apparente, mais essentielle, inexplicable enfin par toute hypothèse de collection, collection de modes ou de parties.

2146. (1761) Apologie de l’étude

Comme ils jouissent à leur aise, en fait de réputation, d’une fortune bornée, mais très suffisante pour eux, et que personne ne leur dispute, ils se piquent, entre autres qualités, d’un grand zèle patriotique pour la littérature ; car le patriotisme dans les âmes vulgaires (je ne dis pas dans les grandes âmes) n’est guère que le sentiment de son bien-être, et la crainte de le voir troubler. […] J’avouerai cependant, car il faut être juste, que dans ces archives de frivolité, d’erreur et d’ennui, j’ai distingué quelques historiens philosophes, quelques physiciens qui savent douter, quelques poètes qui joignent le sentiment à l’image, quelques orateurs qui unissent le raisonnement à l’éloquence ; mais le nombre en est trop petit, trop étouffé par le reste, pour me réconcilier avec cette vaste collection de livres : je la compare à ces tristes maisons, destinées à renfermer des insensés ou des imbéciles, avec quelques gens raisonnables qui les gardent, et qui ne suffisent pas pour embellir un pareil séjour.

2147. (1854) Préface à Antoine Furetière, Le Roman bourgeois pp. 5-22

L’Amour, descendu sur la terre pour fuir une correction maternelle, s’attache successivement à différents types, destinés, dans la pensée de l’auteur, à attester la dépravation des sentiments et l’avilissement des cœurs de son siècle : une pédante, Polymathie-Armande ; une prude, Archelaïde-Arsinoë ; une coquette, Polyphile-Célimène ; Landore, une sotte ; Polione, une courtisane, etc., etc. […] C’est ce sentiment de haine pour le bourgeois, pour le pédant, qui apparente Furetière aux écrivains les plus marquants de cette période de 1650 à 1680, qu’on est convenu d’appeler le siècle de Louis XIV.

2148. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Madame Paul de Molènes »

La femme comme il faut s’atteste ici de toutes les manières : par la pensée, le sentiment, la forme. […] La comédie du mariage jouée en ces seize chapitres, qu’on voudrait cinquante, est une comédie à la Marivaux, autant qu’on peut être Marivaux avec les mœurs plates et les sentiments grossiers de cet ennuyeux xixe  siècle.

2149. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVII. Des éloges en Italie, en Espagne, en Angleterre, en Allemagne, en Russie. »

Dans tous leurs grands poèmes, sans en excepter l’Arioste et le Tasse, la partie des descriptions et des tableaux est en général très supérieure à la partie des sentiments. […] Un sentiment énergique et noble vaut mieux qu’une beauté exacte et froide.

2150. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre VI. »

Quelques sentiments généreux et purs, quelques nobles élans du cœur, entraient-ils dans cette verve de haine ou cette ivresse de plaisirs ? […] Nous lisons chez un de ces doctes apologistes68 : « Dans Sapho, une ardente et profonde sensibilité, une pureté virginale, la douceur de la femme et la délicatesse du sentiment et de l’émotion s’alliaient avec la probité native et la simplicité du caractère ionien ; et, quoique douée d’une exquise perfection des choses belles et brillantes, elle préférait la naïve et consciencieuse rectitude de l’âme à toute autre source de jouissance humaine. » À la bonne heure !

2151. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre VIII. »

Sans doute, il s’y souvient encore et du penchant au plaisir, et des libres idées de sa première patrie ; mais il y mêle un sentiment moral, que relève l’accent de la poésie, pt qu’on n’attendrait pas d’un prétendu devancier du matérialisme moderne. […] ne semble-t-il pas rentrer dans ce trésor de sentiments et d’images qui, chez les Grecs, faisaient de la philosophie même une seconde poésie ?

2152. (1874) Premiers lundis. Tome II « Le poète Fontaney »

Ami de Charles Nodier, de Victor Hugo et des autres, il jouissait surtout de comprendre, et ne s’exerçait lui-même que rarement, bien qu’avec distinction et sentiment toujours.

2153. (1875) Premiers lundis. Tome III « Viollet-Le-Duc »

A l’article Du Barlas, il le loue d’avoir quelquefois ennobli ses descriptions en y rattachant des sentiments humains ; ainsi, après avoir peint dans le cinquième chant de sa Semaine la migration des poissons voyageurs, le poëte ajoute cette gracieuse comparaison que M. 

2154. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Introduction »

Tout cela est encore histoire des lettres, et le serait strictement resté malgré les incursions médicales les plus avancées6, si les nouveaux savants, fiers du titre arrogé, n’en avaient immédiatement tiré les conclusions suivantes : « Aujourd’hui que le roman s’élargit et grandit, qu’il commence à être la grande forme sérieuse, passionnée, vivante de l’étude littéraire et de l’enquête sociale, qu’il devient par l’analyse et la recherche psychologique l’histoire morale contemporaine, aujourd’hui que le roman s’est imposé les études et les devoirs de la science, il peut en revendiquer les libertés et les franchises » 7, et treize ans plus tard, Edmond de Goncourt insistait encore : « Ces libertés et ces franchises, je viens seul, et une dernière fois peut-être, les réclamer hautement et bravement pour ce nouveau livre écrit dans le même sentiment de curiosité intellectuelle et de commisération pour, les misères humaines » 8.

2155. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre IV. — Molière. Chœur des Français » pp. 178-183

Mais il n’a point créé de types qui soient demeurés l’expression éternelle d’un sentiment, d’un vice, d’une passion ; il n’a pas perpétué dans la langue des noms de personnages qui aient servi à définir des familles264.

2156. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Barbier, Auguste (1805-1882) »

Que de vers superbes, spacieux, animés d’un mâle sentiment de nature et se ruant à l’assaut des hautes périodes !

2157. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Blémont, Émile (1839-1927) »

Anatole Cerfberr Poète, essentiellement poète, grisé de cadence, de mesure et de difficulté vaincue, et néanmoins facile ouvrier des assemblages de rimes ; barde mariant sentiment, forme, pensée ; rêveur et berceur ; philosophe attendri et élevé, et musical ciseleur ; combinant Hier et Aujourd’hui, fougue et élan des preux, aïeux de soixante ans écoulés et mécanisme compliqué, ouvragé des quintessenciés de notre minute.

2158. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Courteline, Georges (1858-1929) »

Les Souvenirs de l’Escadron, d’un tout autre genre, sont aussi fort jolis, avec une teinte de sentiment qui est loin de déplaire.

2159. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 145-150

Quand on est né avec le sentiment du vrai, on y revient toujours, quoiqu’un enthousiasme mal entendu puisse nous en éloigner quelquefois.

2160. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 293-297

Les Eloges de Fontenelle & de Montesquieu sont des plus instructifs & des mieux écrits : le style en est simple, sans la moindre recherche, & presque toujours animé par le sentiment.

2161. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Préface »

Il faut croire qu’à diverses périodes, ces œuvres, et celles qui en ont été inspirées, ont mieux satisfait les penchants d’un nombre notable de lecteurs français que les œuvres véritablement du terroir ; qu’en d’autres termes la littérature nationale n’a jamais suffi, et aujourd’hui moins que jamais, à exprimer les sentiments dominants de notre société, que celle-ci s’est mieux reconnue et complue dans les productions de certains génies étrangers que dans celles des poètes et des conteurs qu’elle a fait naître.

2162. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre XII. Suite des machines poétiques. — Voyages des dieux homériques. Satan allant à la découverte de la création. »

Il y a même dans l’original un effet singulier que nous n’avons pu rendre, et qui tient, pour ainsi dire, au défaut général du morceau : les longueurs que nous avons retranchées semblent allonger la course du prince des ténèbres, et donner au lecteur un sentiment vague de cet infini au travers duquel il a passé.

2163. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre premier. Beaux-arts. — Chapitre VIII. Des Églises gothiques. »

On ne pouvait entrer dans une église gothique sans éprouver une sorte de frissonnement et un sentiment vague de la divinité.

2164. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre V. Moralistes. — La Bruyère. »

quelle force invincible et accablante de témoignages rendus successivement et pendant trois siècles entiers par des millions de personnes les plus sages, les plus modérées qui fussent alors sur la terre, et que le sentiment d’une même vérité soutient dans l’exil, dans les fers, contre la vue de la mort et du dernier supplice ! 

2165. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 6, de la nature des sujets que les peintres et les poëtes traitent. Qu’ils ne sçauroient les choisir trop interressans par eux-mêmes » pp. 51-56

Quand une satire ne met pas dans un beau jour quelque verité dont j’avois déja un sentiment confus, quand elle ne contient pas de ces maximes dignes de passer incessamment en proverbes à cause du grand sens qu’elles renferment en abregé, je puis tout au plus la loüer d’être bien écrite ; mais je n’en retiens rien, et j’ai aussi peu d’envie de la vanter que de la relire.

2166. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 15, des personnages de scelerats qu’on peut introduire dans les tragedies » pp. 115-119

Ainsi mon sentiment est qu’on ne doit point, par exemple, introduire jamais sur le théatre un romain encore païen qui se moqueroit du feu de Vesta, non plus qu’un grec qui traiteroit avec insolence l’oracle de Delphes de fourberie inventée par les prêtres d’Apollon.

2167. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 47, quels vers sont les plus propres à être mis en musique » pp. 479-483

Chaque sentiment a ses tons, ses accens et ses soupirs propres.

2168. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Paul Nibelle »

Paul Nibelle4 Paul Nibelle est un écrivain d’imagination et de sentiment.

2169. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Lettre-préface à Henri Morf et Joseph Bédier » pp. -

Vous ignorez sans doute tout ce que je vous dois ; vous savez du moins dans quel sentiment je vous offre ces pages qui sont une œuvre d’amour plus encore que de science.

2170. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre III. Du temps où vécut Homère » pp. 260-263

En réunissant toutes ces observations, recueillies pour la plupart dans l’Odyssée, ouvrage de la vieillesse d’Homère au sentiment de Longin, nous partageons l’opinion de ceux qui placent l’âge d’Homère longtemps après la guerre de Troie, à une distance de quatre siècles et demi, et nous le croyons contemporain de Numa.

2171. (1863) Histoire de la vie et des ouvrages de Molière pp. -252

Malgré l’incurie de leurs parents, les deux Béjart se firent toujours remarquer par la noblesse et l’élévation de leurs sentiments. […] Je n’ai pas les sentiments assez flexibles pour la domesticité. […] Les femmes affectaient entre elles une exagération romanesque de sentiments. […] Le pauvre mari, qui n’eut d’autre tort que d’aimer une coquette, avait, malgré cette rupture, conservé pour elle des sentiments qu’elle ne méritait pas. […] Les sentiments et les rôles de ces divers personnages devaient bientôt changer de nature ; mais n’anticipons pas sur les événements.

2172. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [1] Rapport pp. -218

Villon seul, en effet, avant les élégiaques de notre âge, a connu le sentiment de l’inespérance, de l’incuriosité, comme dira Charles Baudelaire, de l’inutilité de vivre. […] Pour qu’il revînt au juste sentiment des choses, il lui avait fallu lire (il s’en confessa, en petit texte de note, au bas d’une page) un opuscule de M.  […] D’où est issu ce sentiment presque général ? […] Le mépris des sentiments humains ? […] L’emploi du symbole, en poésie, c’est, me semble-t-il, l’art, d’ailleurs instinctif, d’éveiller dans les âmes des sentiments, des souvenirs, des espoirs, des rêves, que le verbe n’exprime ni totalement ni immédiatement.

2173. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre III. De la signification de la vie. L’ordre de la nature et la forme de l’intelligence. »

Notre sentiment de la durée, je veux dire la coïncidence de notre moi avec lui-même, admet des degrés. Mais, plus le sentiment est profond et la coïncidence complète, plus la vie où ils nous replacent absorbe l’intellectualité en la dépassant. […] Cet espace il en avait la représentation implicite dans le sentiment même qu’il prenait de sa détente éventuelle, c’est-à-dire de son extension possible. […] Si je la déclare une, des voix intérieures surgissent et protestent, celles des sensations, sentiments, représentations entre lesquels mon individualité se partage. Mais si je la fais distinctement multiple, ma conscience s’insurge tout aussi fort ; elle affirme que mes sensations, mes sentiments, mes pensées sont des abstractions que j’opère sur moi-même, et que chacun de mes états implique tous les autres.

2174. (1927) André Gide pp. 8-126

On peut regretter surtout qu’André Walter considère le raisonnement dialectique comme la seule forme de la raison, et que, enclin à faire la critique de la connaissance, il ne songe même pas à tenter celle du sentiment. […] André Gide semble s’associer aux sentiments de M.  […] Veuillez croire à mes sentiments bien cordiaux. […] Ces sentiments et cette fidélité les honorent également l’un et l’autre. […] André Gide veut parler sans doute du sentiment poétique, lequel se distingue de l’art, or en convient, mais n’est rien sans lui.

2175. (1904) Zangwill pp. 7-90

Avons-nous à étudier, nous proposons-nous d’étudier La Fontaine ; au lieu de commencer par la première fable venue, nous commencerons par l’esprit gaulois ; le ciel ; le sol ; le climat ; les aliments ; la race ; la littérature primitive ; puis l’homme ; ses mœurs ; ses goûts ; sa dépendance ; son indépendance ; sa bonté ; ses enfances ; son génie ; puis l’écrivain ; ses tâtonnements classiques ; ses escapades gauloises ; son épopée ; sa morale ; puis l’écrivain, suite ; opposition en France de la culture et de la nature ; conciliation en La Fontaine de la culture et de la nature ; comment la faculté poétique sert d’intermédiaire ; tout cela pour faire la première partie, l’artiste ; pour faire la deuxième partie, les personnages, que nous ne confondons point avec la première, d’abord les hommes ; la société française au dix-septième siècle et dans La Fontaine ; le roi ; la cour ; la noblesse ; le clergé ; la bourgeoisie ; l’artisan ; le paysan ; des caractères poétiques ; puis les bêtes ; le sentiment de la nature au dix-septième siècle et dans La Fontaine ; du procédé poétique ; puis les dieux ; le sentiment religieux au dix-septième siècle et dans La Fontaine ; de la faculté poétique ; enfin troisième partie, l’art, qui ne se confond ni avec les deux premières ensemble, ni avec chacune des deux premières séparément ; l’action ; les détails ; comparaison de La Fontaine et de ses originaux, Ésope et Phèdre ; le système ; comparaison de La Fontaine et de ses originaux, Ésope, Rabelais, Pilpay, Cassandre ; l’expression ; du style pittoresque ; les mots propres ; les mots familiers ; les mots risqués ; les mots négligés ; le mètre cassé ; le mètre varié ; le mètre imitatif ; du style lié ; l’unité logique ; l’unité grammaticale ; l’unité musicale ; enfin théorie de la fable poétique ; nature de la poésie ; opposition de la fable philosophique à la fable poétique ; opposition de la fable primitive à la fable poétique ; c’est tout ; je me demande avec effroi où résidera dans tout cela la fable elle-même ; où se cachera, dans tout ce magnifique palais géométrique, la petite fable, où je la trouverai, la fable de La Fontaine ; elle n’y trouvera point asile, car l’auteur, dans tout cet appareil, n’y reconnaîtrait pas ses enfants. […] Séailles en Sorbonne est surpopulaire, surhumaine, qu’il s’y passe des événements extraordinaires, et que, au fond, l’orateur y prononce des paroles surnaturelles ; quelle résonance n’aurions-nous pas obtenue si nous avions choisi un exemple maximum, et même des exemples communs ; les manifestations laïques ne sont-elles pas devenues des cérémonies toutes religieuses, des répliques, des imitations, des calques, des contrefaçons des cérémonies religieuses ; et pour la commémoration de Zola, pour l’anniversaire de sa mort, ne nous a-t-on pas fait une semaine sainte, une neuvaine ; sentiment religieux et naissance de la démagogie. […] « Pour moi, je goûte tout l’univers par cette sorte de sentiment général qui fait que nous sommes tristes en une ville triste, gais en une ville gaie. […] Or, sans nerfs ni cerveau, ou pour mieux dire sans matière organisée, on n’a jamais constaté jusqu’ici de conscience ni de sentiment à un degré quelconque. […] Altier, entier, droit, Taine a eu cette audace ; il a commis cet excès ; il a eu ce courage ; il a fait cet outrepassement ; et c’est pour cela, c’est pour cet audacieux dépassement que c’est par lui, et non par son illustre contemporain, qu’enfin nous connaissons, dans le domaine de l’histoire, tout l’orgueil et toute la prétention de la pensée moderne ; avec Renan, il ne s’agissait encore, en un langage merveilleux de complaisance audacieuse, que de constituer une lointaine surhumanité en un Dieu tout connaissant par une totalisation de la mémoire historique ; avec Taine au contraire, ou plutôt au-delà, nous avons épuisé nettement des indéfinités, des infinités, et des infinités d’infinités du détail dans l’ordre de la connaissance, et de la connaissance présente ; désormais transportés dans l’ordre de l’action, et de l’action présente, nous épuisons toute l’infinité de la création même ; toute sa forme de pensée, toute sa méthode, toute sa foi et tout son zèle, — vraiment religieux, — toute sa passion de grand travailleur consciencieux, de grand abatteur de besogne, et de bourreau de travail, tout son passé, toute sa carrière, toute sa vie de labeur sans mesure, sans air, sans loisir, sans repos, sans rien de faiblesse heureuse, toute sa vie sans aisance et sans respiration, toute sa vie de science et la raideur de son esprit ferme et son caractère et la valeur de son âme et la droiture de sa conscience le portaient aux achèvements de la pensée, le contraignaient, avant la lettre, à dépasser la pensée de Renan, à vider le contenu de la pensée moderne, le poussaient aux outrances, et à ces couronnements de hardiesse qui seuls achèvent la satisfaction de ces consciences ; il devait avoir un système, bâti, comme Renan devait ne pas en avoir ; il devait avoir un système, comme Renan devait nous rapporter seulement des certitudes, des probabilités et des rêves ; mais, sachons-le, son système était le système même de Renan, étant le système de tout le monde moderne ; et ce commun système engage Renan au même titre que Taine ; il fallait que Taine ajoutât, au bâtiment, à l’édifice de son système ce faîte, ce surfaite orgueilleux, parce que ce que nous nommons orgueil était en lui un défi à l’infortune, à la paresse, aux mauvaises méthodes et au malheur, non une insulte à l’humilité, parce que ce que nous croyons être un sentiment de l’orgueil était pour lui le sentiment de la conscience même, du devoir le plus sévère, de la méthode la plus stricte ; et c’est pour cela que nous lui devons, à lui et non à son illustre compatriote, la révélation que nous avons enfin du dernier mot de la pensée moderne dans le domaine de l’histoire et de l’humanité.

2176. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1863 » pp. 77-169

Sainte-Beuve laisse percer un sentiment très hostile à la personne de la Reine, une sorte de haine personnelle. […] — Le beau est simple, reprend Saint-Victor, il n’y a rien de plus beau que les sentiments d’Homère, c’est éternellement jeune… Voyons Andromaque, c’est plus intéressant que Mme Marneffe ! […] Presque toutes les difficultés de la vie viennent de ce sentiment de l’homme qui ne veut pas se considérer comme un être fait pour le viager, mais qui se prend pour le propriétaire éternel des choses et des créatures. Eh bien, ce sentiment, le premier et le plus fort de l’homme, je le tuerai en moi, j’aurai la maison, la voiture, la femme, à l’année, au mois… Je serai usufruitier de toutes les jouissances de la vie !  […] ma pauvre fille, tu es le sentiment… lui, il est l’esprit : il t’attrapera toujours ! 

2177. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1865 » pp. 239-332

Nous entendons sonner toutes les heures de la nuit avec le sentiment d’un épigastre tiraillé et douloureux. […] Toutes les fins de repas où il y a des femmes, vont à des causeries sur le sentiment, sur l’amour. […] On cause de la pièce des Deux Sœurs, jouée hier, et absolument chutée, et que la princesse, dans un sentiment de bienveillance pour Girardin, soutient mordicus, et contre tous, être un succès… Après déjeuner on passe dans la vérandah, et on attelle le vieux Giraud à l’album de caricatures. […] Et comme on parle de l’amour et de tous les sentiments complexes qui peuvent y entrer, il raconte l’histoire de son ami Malleville, enlevant une religieuse en diligence, vivant trois jours avec elle, au bout desquels, en apprenant qu’il était protestant, elle éprouva une telle révolution intérieure, que sa digestion fut dérangée. […] Elle a eu immédiatement le sentiment des choses observées, des choses vraies du rôle de Mme Maréchal.

2178. (1922) Le stupide XIXe siècle, exposé des insanités meurtrières qui se sont abattues sur la France depuis 130 ans, 1789-1919

Il est aussi dans le sentiment religieux. […] Sa principale caractéristique est la démesure, car : 1° il met tout au superlatif et ne tient compte que de l’excès, dans toutes les catégories et dans tous les genres ; 2° il donne la prédominance au sentiment sur la pensée, à la sensation sur le sentiment, à l’expression verbale et syntaxique sur l’une et l’autre. […] Verlaine était un aristo du sentiment, dans un physique de Silène du ruisseau, et ce ruisseau bordait, en effet, cet aristocrate. […] En lui, un sentiment sincère : la haine de l’obstacle intérieur qu’est le catholicisme à tous débordements ; la haine et la crainte du frein religieux. […] Mais, sympathiques ou antipathiques, elle ne m’ont jamais inspiré un sentiment qui ressemblât, de près ou de loin, à du respect.

2179. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Académie française — Réception de M. Ponsard » pp. 301-305

Et d’abord, il s’est présenté lui-même, tel qu’il est, avec son propre accent, avec ses sentiments et ses doctrines ; il n’a pas emprunté aux traditions académiques les exordes tant de fois renouvelés : il a parlé à sa manière, modestement, honnêtement, traçant de l’homme de lettres et du poète le caractère et le rôle qu’il conçoit, et s’y peignant lui-même avec cette sincérité élevée qui vient du cœur : on a senti dès ses premières paroles quelqu’un qui ne se mettait ni au-dessus ni au-dessous de ce qu’il devait être.

2180. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXIX » pp. 316-320

Le faux historique, l’absence d’étude dans les sujets, le gigantesque et le forcené dans les sentiments et les passions, voilà ce qui a éclaté et débordé ; on avait cru frayer le chemin et ouvrir le passage à une armée chevaleresque, audacieuse mais civilisée, et ce fut une invasion de barbares.

2181. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Louis XIV et le duc de Bourgogne, par M. Michelet. (suite et fin.) »

On n’arrive d’ordinaire à produire ce sentiment de la réalité dans l’esprit des lecteurs qu’avec un art infini et des lenteurs, des préparations extrêmes, par des analyses rapprochées, des témoignages rapportés, des narrations sincères, lucides, fidèles.

2182. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Avertissement de la première édition »

Entre tant d’écueils à travers lesquels je naviguais, si j’ai touché par accident sur quelques-uns, qu’il me suffise de me rendre ce témoignage que je ne crois pas avoir cédé à la crainte de déplaire quand j’ai été indulgent, ni à aucun sentiment hostile quand j’ai été plus sévère.

2183. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de madame de Genlis sur le dix-huitième siècle et la Révolution française, depuis 1756 jusqu’à nos jours — II »

Elle, habile et rusée, ne se livrait pas ; comme le comte de Guines jouait l’inconstance, elle jouait l’abandon, en Ariane délaissée et mourante ; elle n’entretenait le duc que de son sentiment pour l’ingrat de Guines, et le poursuivant de son rival trouvait moyen de l’attendrir.

2184. (1875) Premiers lundis. Tome III « Sur une pétition de directeurs de théâtres contre les auteurs, compositeurs et éditeurs de musique »

Il n’est pas mal assurément, messieurs, que dès que quelqu’un se croit victime d’une injustice ou croit apercevoir un abus, il s’écrie : « J’en appellerai au Sénat. » Le Sénat ne saurait décourager un sentiment si honorable de confiance en sa justice.

2185. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Introduction. Origines de la littérature française — 2. Caractère de la race. »

Race plus raisonnable que morale, parce qu’elle est gouvernée par la notion du vrai plutôt que du bien, plus facile à persuader par la justice que par la charité ; indocile, même quand elle est gouvernable, tenant plus à la liber té de parler qu’au droit d’agir, et encline à railler toujours l’autorité pour manifester l’indépendance de son esprit : elle a le plus vif sentiment de l’unité, d’où vient que la tolérance intellectuelle lui est peu familière, et qu’elle est moutonnière, esclave de la mode et de l’opinion, mais tyrannique aussi, pour imposer à autrui la mode et l’opinion, chacun voulant ou penser avec tout le monde ou faire penser tout le inonde avec soi.

2186. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Daudet, Alphonse (1840-1897) »

. — Les Bottines, Miserere de l’Amour, le Rouge-Gorge, Trois jours de vendanges, les Cerisiers, les Prunes, Dernière amoureuse, tous ces sourires de dessins si divers, tous ces cris où il y a du roucoulement et de la violence, évoquent une physionomie personnelle d’écrivain curieux de sentiments, épris de la musique des mots, habile à faire tenir une longue et complète vision dans une phrase brève, sensuelle, dont la raillerie confine sans cesse à l’émotion.

2187. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Pailleron, Édouard (1834-1899) »

Je recommande également au lecteur les pièces : Au bal, la Tombe, le Jardin, fusées fébriles de sentiment mondain ou sensations de la vie de tous les jours.

2188. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Pottecher, Maurice (1867-1960) »

Depuis, la tendresse de cette âme de poète s’est élargie en un sentiment de sympathie et de sollicitude sociale.

2189. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — T — Theuriet, André (1833-1907) »

André Theuriet l’a compris, et ses délicieux paysages des bois, tout imprégnés de la senteur forestière, sont animés d’un sentiment profond qui s’élève parfois jusqu’au pathétique ; quelques-unes de ses églogues sont de véritables petits drames dont la concision augmente le tragique effet.

2190. (1882) Qu’est-ce qu’une nation ? « III »

Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu’on a faits et de ceux qu’on est disposé à faire encore.

2191. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XX » pp. 215-219

Il résulte de ce qui précède : i° que Saint-Simon s’est trompé sur le motif qui fit renvoyer madame de Navailles, et qu’ainsi son accusation contre madame de Montausier tombe ; 2° que la cause du renvoi de la maréchale fut une intrigue issue de main de courtisan, avec de telles circonstances, que ni le roi, ni les personnes instruites de ses motifs, ne pouvaient douter de la faute grave qui était imputée à la dame d’honneur, et qu’ainsi, madame de Montausier, en achetant sa charge, ne fit que partager le sentiment général qui la condamnait.

2192. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » pp. 527-532

Personne n’a plus que lui réuni l’abondance des idées & des raisonnemens, la plénitude du savoir & de la raison, aux richesses de l’expression à la variété des tours, & sur-tout à ce sentiment intime qui sait mettre la justice & la vérité dans tout leur jour, les faire aimer même de ceux qu’il combat.

2193. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 109-114

Il s'ensuivroit de ce principe, qu'un tel sentiment, qu'on ne peut regarder que comme un amour-propre désordonné, seroit commun à tous les hommes, qu'il seroit le premier ressort de toutes leurs démarches, & qu'il ne pourroit jamais mourir qu'avec chacun de nous ; ce qui est démontré faux par expérience.

2194. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface des « Voix intérieures » (1837) »

Quant à la dédicace placée en tête de ce volume, l’auteur, surtout après les lignes qui précèdent, pense n’avoir pas besoin de dire combien est calme et religieux le sentiment qui l’a dictée.

2195. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Le père Bouhours, et Barbier d’Aucour. » pp. 290-296

Sa lettre est l’expression même du sentiment.

2196. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « De la comédie chez les Anciens. » pp. 25-29

Dans la comédie de caractère, l’auteur dispose son plan de manière que les situations mettent en évidence le caractère qu’il veut peindre : expressions, sentiments, actions, incidents, épisodes, tout doit se rapporter à cet unique but.

2197. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre II. Vue générale des Poèmes où le merveilleux du Christianisme remplace la Mythologie. L’Enfer du Dante, la Jérusalem délivrée. »

Homère semble avoir été particulièrement doué de génie, Virgile de sentiment, le Tasse d’imagination.

2198. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre IV. Si les divinités du paganisme ont poétiquement la supériorité sur les divinités chrétiennes. »

C’est une chose miraculeuse, sans doute, qu’en peignant la colère ou la tristesse du ciel chrétien, on ne puisse détruire dans l’imagination du lecteur le sentiment de la tranquillité et de la joie : tant il y a de sainteté et de justice dans le Dieu présenté par notre religion !

2199. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre IV. Des Ecrits sur la Poétique & sur divers autres genres de Littérature. » pp. 216-222

Les excellens Ecrivains lus & relus, contribuent plus à former le sentiment, le jugement & le goût que tous les écrits didactiques.

2200. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 43, que le plaisir que nous avons au théatre n’est point produit par l’illusion » pp. 429-434

Suivant leur sentiment, la représentation du cid ne nous donne tant de plaisir que par l’illusion qu’elle nous fait.

2201. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Alcide Dusolier »

C’est particulièrement un descriptif que Dusolier, et je le crois même trop préoccupé (théoriquement) de description ; mais le sentiment le sauve des affreuses matérialités contemporaines… En ce moment encore, ce qui l’attendrit, il est vrai, c’est plus les choses que les personnes » Le salon de son père est plus tendrement traité que son père dans son livre, et pourtant c’est le charme du père qui fait le charme de ce salon.

2202. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « L’abbé Noirot »

Le livre de l’abbé Noirot, ou, pour parler mieux, ses idées peuvent donner l’espérance que philosophiquement notre pays n’a pas perdu tout à fait le sentiment de la vérité métaphysique, c’est-à-dire, en somme, de la plus haute vérité.

2203. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre I. Les personnages »

« Un homme qui sait la cour est maître de son geste, de ses yeux, de son visage, il est profond, impénétrable ; il dissimule les mauvais offices, sourit à ses ennemis, contraint son humeur, déguise ses passions, dément son coeur, parle et agit contre ses sentiments. »48 Sans ce talent, comment se soutiendrait-il ? […] Un campagnard suisse ou romain qui à l’occasion devenait chef d’armée, arbitre de la vallée ou de la cité, pouvait avoir des sentiments grands, laisser le gain à d’autres, vivre de pain et d’ognons, et se contenter du plaisir de commander : sa condition le faisait noble. […] Les conditions font les caractères, car le caractère n’est que l’ensemble des sentiments habituels, lesquels naissent de notre état journalier. […] Le sentiment s’en va et fait place à la routine. […] Marivaux trouvait Molière gros et grossier, bon pour le peuple, et prétendait suivre dans les recoins secrets du coeur des sentiments plus déliés et plus intimes.

2204. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIVe entretien. Alfred de Vigny (1re partie) » pp. 225-319

Cette coquetterie de costume, qu’on aurait pu prendre pour une affectation, n’était qu’un pieux sentiment filial, une relique vivante qui se renouvelait sur sa tête, et qui donnait à sa physionomie pensive et souriante quelque chose de la pudeur, de la grâce et de l’abandon de la femme. […] Il sait la place du mot et du sentiment, et les chiffrerait au besoin. […]   * * * « Voilà le sentiment et le vœu qui m’a fait écrire ce drame ; je ne descendrai pas de cette question à celle de la forme d’art que j’ai créée. […] Le rideau tombé, les actes se dévoilent, ils font horreur aux bons sentiments ; mais comme l’Angleterre, pays de la liberté individuelle et audacieuse, est en même temps le pays du paradoxe, une partie de l’opinion des jeunes gens et des femmes se laisse prendre à l’amorce du coup de pistolet et fait de Chatterton un martyr de génie et de vertu. […] — Qu’on juge de l’effet. — Le sentiment avait noyé le sophisme ; il n’y a pas de critique devant une larme.

2205. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (3e partie) » pp. 5-96

Comparez en fait de sentiment Candide et Werther, et prononcez ! […] La comparaison du peuple allemand avec les autres peuples éveille des sentiments douloureux auxquels j’ai cherché à échapper par tous les moyens possibles ; j’ai trouvé dans la science et dans l’art les ailes qui peuvent nous emporter loin de ces misères, car la science et l’art appartiennent au monde tout entier, et devant eux tombent les frontières des nationalités ; mais la consolation qu’ils donnent est cependant une triste consolation et ne remplace pas les sentiments de fierté que l’on éprouve quand on sait que l’on appartient à un peuple grand, fort, estimé et redouté. […] Il avait lu les Mémoires du général Rapp, ce qui amena la conversation sur Napoléon et sur les sentiments que Mme Laetitia a dû éprouver en se voyant la mère de tant de héros et d’une si puissante famille. […] Il était accompagné d’une lettre de David renfermant ces passages : “Je vous envoie cette faible image de vos traits, non comme un présent digne de vous, mais comme le témoignage d’un cœur qui sait mieux éprouver des sentiments que les exprimer… Vous êtes la grande figure poétique de notre époque ; une statue vous est due : j’ai essayé d’en faire un fragment ; un génie digne de vous l’achèvera.”

2206. (1899) Les industriels du roman populaire, suivi de : L’état actuel du roman populaire (enquête) [articles de la Revue des Revues] pp. 1-403

Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments très distingués et dévoués. […] … À cette époque, peu éloignée d’ailleurs, je regardais avec des sentiments d’intense curiosité le cocher de fiacre lisant le Petit Journal sur son siège, ou le trottin dévorant le feuilleton du Petit Parisien en croquant un petit pain d’un sou. […] C’est malheureux, si vous le voulez, au point de vue de l’art, mais cela n’empêche point que ce sentiment soit très respectable et très émouvant. […] Et cependant vos romanciers racontent tout cela et nos journaux populaires ont soin de les traduire pour notre édification… Veuillez croire, à mes sentiments distingués. […] Croyez, mon cher confrère, à l’expression de mes sentiments les meilleurs.

2207. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Bossuet et la France moderne »

Elles suffiraient, telles qu’elles sont, à édifier le lecteur sur les véritables sentiments de l’« aigle de Meaux » à l’égard des « religionnaires ». […] Mais comme ils n’en parurent pas satisfaits et qu’ils ne voulurent point promettre à leur évèque de changer de sentiments, il les envoya prendre deux jours après par ordre du Roy, et ils ont été conduits dans les prisons de la Conciergerie de cette ville, où on les fait instruire. »‌ Ces simples textes se passent, semble-t-il de tout commentaire. […] 3° Bien que les preuves exactes fassent défaut de sa participation effective au « conseil de conscience » qui prépara la Révocation de l’Édit de Nantes, il est indéniable qu’il approuvait hautement cet acte néfaste, auquel devait aboutir fatalement sa politique vis-à-vis des protestants, puisqu’aussitôt après la signature de l’édit révocateur, il fait éclater sa joie en des termes qui ne laissent aucun doute sur ses sentiments à l’égard de cette mesure.‌ […] Pour moi, je n’ai jamais pu explorer cette prose lourde et emphatique sans un sentiment intime de tristesse. […] Bossuet et ses émules symbolisent à merveille l’éternelle rhétorique catholique et latine, se payant des mots et d’attitudes, l’erreur battue en brèche, qui appelle à son secours la violence et la mauvaise foi, le faux esprit de Rome s’efforçant d’étouffer le sentiment national.

2208. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Discours sur le système et la vie de Vico » pp. -

Il a déjà le sentiment de bien des vérités, il n’en a pas encore la science. […] En effet la poésie était déjà pour les premiers âges une philosophie sans abstraction, toute d’imagination et de sentiment. […] Nous ne nous arrêterons que sur les poésies où Vico a exprimé un sentiment personnel. […] À travers les concetti ordinaires aux poètes de cette époque, on y démêle un sentiment vrai : « Douces images du bonheur, venez encore aggraver ma peine ! […] Voici les points principaux dans lesquels il s’en écarte. 1º Il pense avec raison que la seconde barbarie, celle du moyen âge, n’a pas été aussi semblable à la première que Vico paraît le croire. 2º Il estime davantage la sagesse orientale. 3º Il ne croit pas que tous les hommes après le déluge soient tombés dans un état de brutalité complète. 4º Il explique l’origine des mariages, non par un sentiment religieux, mais par la jalousie.

2209. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 14 mars 1885. »

Qu’ils parlent de la nuit et du jour, de la syllabe « et », de mille choses invisibles, par eux vues, un même sentiment les tient ravis, l’amour cruel et fatal, et si doux chez le héros puissant, plus fougueux chez la reine, et plus lascif. […] III Richard Wagner a exprimé dans ses mélodrames les plus hauts et les plus poignants sentiments de l’âme humaine. […] Création non moins inattendue que Tristan et Iseult, mais essentiellement familière, à la fois joyeuse et tendre, rabelaisienne par l’expansion comique, shakespearienne par la chaleur du sentiment et le charme fantasque : création wagnérienne, avant tout, par l’intime unité, la signification hardie, le libre style et l’accent. […] Wagner n’a pas son pareil à mettre à nu le sentiment des personnages dramatiques.

2210. (1829) Tableau de la littérature du moyen âge pp. 1-332

La poésie des troubadours, que l’on suppose frivole, a souvent retracé des sentiments graves et touchants. […] Rien ne ressemble moins à la poésie méridionale des premiers temps ; poésie qui est toute à fleur d’âme, et qui plaît, comme les accents d’une belle voix, indépendamment des pensées et des sentiments qu’elle exprime. […] Ce sentiment se mêlait, on le voit dans Guillaume de Tyr, à l’antipathie religieuse ; pour lui, les Sarrasins n’étaient pas seulement des mécréants, mais des barbares. […] Ce sont des sentiments de dépit, d’inquiétude, d’espérance, exprimés dans plusieurs langues à la fois. […] Il y a dans les vers de Thibaut telle nuance de sentiment délicat, tel mélange de finesse et de noblesse d’âme, que les siècles les plus ingénieux n’auraient pas surpassé, et qui est sorti cette fois de l’âme du poëte.

2211. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — III. (Fin.) » pp. 246-261

La relation de Duclos est d’un genre particulier et a mérité l’estime des voyageurs : n’y cherchez pas ce qui est dans de Brosses, le sentiment des arts, la grâce et la fertilité du goût, tout ce qui est des muses ; mais sur les hommes, sur les mœurs, sur les gouvernements, Duclos a de bonnes observations et s’y montre à chaque pas sensé, modéré, éclairé. […] Voici quelques-unes des idées et des réserves de Duclos au sujet du livre de Beccaria, et dont il s’ouvre de vive voix à l’auteur même : Après lui avoir fait compliment sur le caractère d’humanité qui l’avait inspiré, je ne lui dissimulai point que je n’étais pas de son sentiment sur la conclusion qui tend à proscrire la peine de mort pour quelque crime que ce puisse être.

2212. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 44-63

Il éprouva tout d’abord pour ce guerrier, alors très-impopulaire, un sentiment qu’il ne prodiguait pas, lerespect ; et, dans la suite, engagé au plus fort des luttes, on l’a entendu dire : « Il y a deux hommes dont je ne dirai jamais de mal, le maréchal Bugeaud et M.  […] Il commence ce pèlerinage, qui asurtout pour objet la Suisse catholique, par une diatribe violente contre Genève, où l’on célébrait, quand il ypassa, l’inauguration de la statue de Jean-Jacques, un sujet tout trouvé d’anathème : « Tristes fêtes dont nous n’osons plus rire, s’écrie l’auteur, quand nous songeons qu’il est une autre vie et que probablement ce malheureux Rousseau, mort dans l’hérésie, sans sacrements et, selon toute apparence, sans repentir, a plus affaire à la justice de Dieu qu’à sa clémence… » Je laisserais ce passage et le mettrais sur le compte de la jeunesse, si les mêmes sentiments d’exécration ne revenaient sans cesse sous la plume de l’auteur ; si, dans ces volumes de Çà et Là où il y a de charmants paysages et de beaux vers pleins de sensibilité, je ne voyais, lors d’une nouvelle visite à Genève (chapitre Du Mariage et de Chamounix), la même répétition d’injures contre la statue et les mêmes invectives contre les Genevois en masse.

2213. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 64-81

. — Je ne nie point la part de sentiments sérieux, qui sont d’accord en lui avec cet air-là. […] Son plus beau moment de journaliste, et que rien ne saurait faire oublier, est celui de 1852 à 1855, pendant lequel, ses parties élevées prenant le dessus, sa fibre populaire aussi s’en mêlant, il s’associa pleinement au sentiment public, à l’âme patriotique de la France, et fit acte d’adhésion éclatante à la politique impériale dans la guerre de Crimée et pour les premières victoires.

2214. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Lettres de Madame de Sévigné »

D’autres fois le sentiment intérieur, l’analyse morale s’en mêle : c’est un peu plus subtil, mais toujours aussi abondant. […] J’ai une santé au-dessus de toutes les craintes ordinaires ; je vivrai pour vous aimer, et j’abandonne ma vie à cette occupation, et à toute la joie, et à toute la douceur, à tous les égarements, et à toutes les mortelles inquiétudes, et enfin à tous les sentiments que cette passion me pourra donner. » Ne sentez-vous pas la passion vraie qui déborde et qui ne trouve jamais ; à son gré, assez de mots ?

2215. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Campagnes de la Révolution Française. Dans les Pyrénées-Orientales (1793-1795) »

Dans l’histoire des guerres comme dans celle des littératures, il y a des moments et des heures plus favorisées ; le rayon de la gloire tombe où il lui plaît ; il éclaire en plein et dore de tout son éclat certains noms immortels et à jamais resplendissants : le reste rentre peu à peu dans l’ombre et se confond par degrés dans l’éloignement ; on n’aperçoit que les lumineux sommets sur la grande route parcourue, on a dès longtemps perdu de vue ce qui s’en écarte à droite et à gauche, et tous les replis intermédiaires : et ce n’est plus que l’homme de patience et de science, celui qu’anime aussi un sentiment de justice et de sympathie humaine pour des générations méritantes et non récompensées, ce n’est plus que le pèlerin de l’histoire et du passé qui vient désormais (quand par bonheur il vient) recueillir les vestiges, réveiller les mémoires ensevelies, et quelquefois ressusciter de véritables gloires. Tel est le sentiment élevé qui a inspiré M. le commandant Fervel dans la remarquable histoire consacrée par lui aux trois campagnes des armées républicaines dans les Pyrénées-Orientales, jusqu’à la paix de Bâle (juillet 1795).

2216. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français (suite et fin.) »

On y assiste ; dans un tête-à-tête avec son fils, elle lui adresse successivement quatre requêtes, et lui demande au moins de quatre choses l’une : 1° de ne point mourir, lui son fils, de ne point souffrir mort, s’il est possible ; 2° cette première requête refusée, et puisque cette mort est jugée nécessaire, de ne point la souffrir si amère, si honteuse et si cruelle ; 3° cette requête rejetée encore par Jésus au nom des Écritures et des Prophéties, de permettre au moins que sa mère meure la première et n’ait point à voir de ses yeux une mort si terrible ; 4° puisque cette troisième pétition n’est pas plus accueillie que les deux autres, de vouloir bien qu’elle perde au moins connaissance pendant la durée de la Passion, qu’elle soit ravie en esprit et demeure comme une chose insensible, privée d’intelligence et de sentiment. […] Jésus En la force de ma Jeunesse… Ici le fond l’emporte sur la forme ; mais la forme même semble expressément sortir de la vivacité poignante des sentiments qui sont aux prises.

2217. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Mémoire de Foucault. Intendant sous Louis XIV »

Il raconte que, dans une de ses tournées de début, un consul de Nogaro, qui était à la fois médecin, lui dit dans sa harangue « que le roi l’avait envoyé dans la province pour la purger de tous les fainéants et gens de mauvaise vie, et qu’au sentiment d’Hippocrate ce qui formait les humeurs peccantes était l’oisiveté. » L’idée, en un sens, n’était pas aussi fausse que l’expression était ridicule. — « Je gardai mon sérieux, ajoute Foucault, mai les assistants ne se crurent pas obligés à la-même gravité. » Foucault, comme autrefois Fléchier aux Grands Jours d’Auvergne, se moque des harangueurs surannés de la province ; il est un homme, de goût par rapport à ce consul. […] « Heureux, est-on tenté de s’écrier quand on lit ces choses, heureux qui réussit à passer sa vie sans être dans ces alternatives de faveur et de disgrâce ; que les nécessités d’une carrière, l’aiguillon d’un continuel avancement ne commandent pas ; qui n’a pas soif de pouvoirs et d’honneurs ; qui n’est pas ballotté entre Colbert et Louvois, au risque d’oublier entre les deux sa conscience, d’étouffer ses scrupules et d’y perdre même le sentiment d’humanité ; qui n’est ni persécuteur ni victime, ni hypocrite, ni dupe, ni écrasant ni écrasé ; qui, après avoir connu sans doute quelques traverses de la vie et avoir essuyé quelques amertumes inévitables (sans quoi il ne serait pas homme), s’échappe le plus tôt qu’il peut, retire son âme de la foule et de la presse (comme dit Montaigne), passe le restant de ses jours « entre cour et jardin », ne voyant qu’autant qu’il faut et n’étant pas vu ; aussi loin de l’ovation que de l’insulte ; qui se soustrait en soi-même aux appels et aux tentations de la fortune non moins qu’aux irritations sourdes de l’envie et des comparaisons inégales qu’elle suggère, aux ennuis de toutes sortes, aux iniquités souvent qui s’en engendrent ; qui aime de tout temps quelques-unes de ces choses innocentes et paisibles qu’aimait et cultivait Foucault dans la dernière moitié de sa vie, mais sans en avoir taché comme lui le milieu, sans y avoir imprimé une note brûlante, et en pouvant, d’un bout à l’autre, reparcourir doucement, à son gré, et supporter du moins tous ses souvenirs ! 

2218. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Térence. Son théâtre complet traduit par M. le marquis de Belloy »

« J’écris, je traduis, semblent-ils vous dire, pour ceux qui n’iront jamais à Rome ni à Athènes, et j’ambitionne de leur donner, de leur rendre, par un équivalent habile, le sentiment de ce qu’ils ne verront jamais face à face, facie ad faciem. […] Tout cela revient à dire que la disposition particulière des esprits et le moment précis de culture littéraire qui favorisaient et réclamaient les traductions en vers sont passés et ont fait place à une autre manière de voir, à un autre âge ; et ici, comme dans des ordres d’idées bien plus considérables et bien autrement importants, il n’est que vrai d’appliquer ce mot d’un ancien sage que je trouve heureusement cité, à savoir qu’on ne retourne jamais au même point et que le cours universel du monde ressemble à « un fleuve immense où il n’est pas donné à l’homme d’entrer deux fois. » Les choses allant de la sorte, on doit savoir d’autant plus de gré aux esprits non pas attardés, mais foncièrement religieux à l’art ou obstinément délicats, qui n’ont pas perdu la pensée, même devant un public si refroidi, de lutter de couleur, de relief et de sentiment avec de désespérants modèles.

2219. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte. »

J’ai sous les yeux de jolies vignettes sorties du facile et spirituel crayon de Tony Johannot ; c’est le côté comique et gai, uniquement, qui est rendu, mais la dignité du héros, ce sentiment de respect sympathique qu’il inspire jusque dans sa folie, cette imagination hautaine qui n’était que hors de propos, qui eût trouvé sans doute son emploi héroïque en d’autres âges, et, comme on l’a très-bien nommée, « cette grandesse de son esprit et cette chevalerie de son cœur », qu’il sut conserver à travers ses plus malencontreuses aventures et qu’il rapporta intactes jusque sur son lit de mort, cela manque tout à fait dans cette suite agréable où l’on n’a l’idée que d’une triste et piteuse figure, et c’est au contraire ce que M.  […] Don Quichotte n’est déchu que par la raison ; il est entier par le cœur, par la hauteur des visées et des sentiments.

2220. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Souvenirs d’un diplomate. La Pologne (1811-1813), par le baron Bignon. »

Son caractère offrait la réunion des sentiments les plus généreux et des qualités les plus aimables. » Un troisième ministre important et à physionomie prononcée, qui ne jouissait à Varsovie ni d’une considération sans nuage comme Potocki, ni de la faveur populaire comme le prince Joseph, et dont le crédit avait son point d’appui à Dresde, était le ministre de la justice, comte Lubienski. — Mais je n’ai garde de m’aller enfoncer dans ce monde polonais si compliqué et si peu aisé à démêler de loin ; je n’ai qu’à caractériser la ligne de M.  […] Fidèle et circonspect, par devoir comme par nécessité, il réprimera son penchant et le tiendra secret jusqu’à ce qu’il croie le moment venu pour la Saxe de suivre une autre ligne et de repasser dans un autre camp : il aura l’air alors de changer de drapeau quoiqu’il n’ait réellement pas changé de sentiments ni de manière de voir.

2221. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, par M. J. Zeller. Et, à ce propos, du discours sur l’histoire universelle. (suite.) »

Il parle fort bien, pour commencer, des Égyptiens, et il a un sentiment juste de l’importance de ce premier grand empire civilisé. […] Ce qui les forme, ce qui les achève, ce sont des sentiments forts et de nobles impressions qui se répandent dans tous les esprits et passent insensiblement de l’un à l’autre… Durant les bons temps de Rome, l’enfance même était exercée par les travaux ; on n’y entendait parler d’autre chose que de la grandeur du nom romain… Quand on a commencé à prendre ce train, les grands hommes se font les uns les autres ; et si Rome en a porté plus qu’aucune autre ville qui eût été avant elle, ce n’a point été par hasard ; mais c’est que l’État romain constitué de la manière que nous avons vue était, pour ainsi parler, du tempérament qui devait être le plus fécond en héros. » La guerre d’Annibal est très-bien touchée par Bossuet ; et quand il a bien saisi et rendu le génie de la nation, la conduite principale qu’elle tint les jours de crise, et le caractère de sa politique, il ne suit pas l’historique jusqu’au bout, comme l’a fait et l’a dû faire Montesquieu.

2222. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires du comte Beugnot »

On regrette même pour lui, ce semble, qu’il n’ait pas été entraîné par un sentiment quelconque, et qu’après tous les services qu’il avait déjà rendus à Mme de Lamotte il lui ait refusé ce dernier bon office d’être son conseil et son avocat à l’heure de l’emprisonnement. […] Si l’auteur, sous le coup d’un mandat d’arrêt, va se promener au Jardin des Plantes, et s’il monte au labyrinthe, il jette de là un regard sur Paris, « cette magnifique cité que la tyrannie couvrait de son crêpe. » Il nous décrit du haut de ce belvédère toutes ses pensées, ses réflexions mélancoliques, et il prolonge jusqu’au soir « le rêve du sentiment.

2223. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Clermont et sa cour, par M. Jules Cousin. (Suite.) »

Il a témoigné ses sentiments dans quelques préfaces ; sur cela, on a parlé de lui dans les Cabinets, et le roi a dit qu’il ferait bien de le faire renfermer à Bicêtre ; S.  […] Ne doutez pas, Monsieur, des sentiments particuliers que j’ai pour vous.

2224. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. BRIZEUX (Les Ternaires, livre lyrique.) » pp. 256-275

Dans les Chants alternés, dans les Cornemuses, dans la pièce à saint Mauto ou Malo, le même croisement de sentiments et d’images se produit avec bonheur. […] Sa poésie est ainsi toute pleine de bons sentiments qu’il propose, d’idées et de visées qui ennoblissent, d’images qui observent l’austère beauté.

2225. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre III. Grands poètes : Verlaine et Mallarmé, Heredia et Leconte de Lisle » pp. 27-48

Chénier à qui l’on doit, réparation tardive, élever une statue, Chénier, l’un des plus grands prosateurs français (comme Lamartine est un de nos plus beaux orateurs), a marqué dans ses quelques pièces de vers un sentiment autrement vif de la beauté grecque. […] Le sentiment du grec, c’est l’imitation de la concision d’Eschyle et des grâces de l’Anthologie.

2226. (1890) L’avenir de la science « XII »

Ce jour-là, j’éprouvai le sentiment de l’immensité de l’oubli et du vaste silence où s’engloutit la vie humaine avec un effroi que je ressens encore, et qui est resté un des éléments de ma vie morale. […] Quand on songe au vaste engloutissement de travaux et d’activité intellectuelle qui s’est fait depuis trois siècles et de nos jours, dans les recueils périodiques, les revues, etc., travaux dont il reste souvent si peu de chose, on éprouve le même sentiment qu’en voyant la ronde éternelle des générations s’engloutir dans la tombe, en se tirant par la main.

2227. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre XI. Quelques philosophes »

Tout vient ici d’une source unique dans les profondeurs quoique doublement jaillissante : le sentiment de la réalité de l’individu le sentiment de l’irréalité de tout le reste.

2228. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Les romans de M. Edm. de Goncourt » pp. 158-183

C’est dans la notation de ces sentiments ténus, délicieux et troubles qu’éclate la maîtrise de M. de Goncourt, dans le rendu tâtonnant, repris, poussé, flottant et enlaceur de ces mouvements d’âme vagues et inaperçus de tous, dans la description de l’ivresse languissante que causent à Chérie la musique ou un effluve de parfums, dans la sorte d’extase hilare de deux clowns tenant un tour qui stupéfiera Paris, dans la vague stupeur d’âme qui vide peu à peu la cervelle d’une prisonnière histérique. […] III À ce sentiment vif et pénétrant de la vie en acte, de ses remuements physiques et des ses agitations morales, à cette recherche appliquée et reprise de l’enveloppement du fait par la phrase, se joint en M. de Goncourt le goût particulier d’une certaine sorte de beauté, qu’il recherche avidement et rend amoureusement, dont l’attrait l’a guidé dans ses courses de collectionneur, dans la détermination des sujets et des scènes de la plupart de ses romans : le goût passionné du joli.

2229. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Seconde Partie. De l’Éloquence. — Éloquence de la chaire. » pp. 205-232

L’impression que fait toujours cet orateur simple, naturel, insinuant, suffit pour faire préférer le sentiment à l’instruction, le pathétique au raisonnement, les réflexions de M. de Montcrif à toutes celles que lui oppose son adversaire. […] Il suppose toujours les principes, ou les établit en deux mots, & se jette sur la morale : il préfère le sentiment à tout : il remplit l’ame de cette émotion vive & salutaire, qui nous fait aimer la vertu.

2230. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre III. Le cerveau chez l’homme »

. — C’est du sentiment, répondra-t-on ; mais, encore une fois, ce sentiment est un fait qui doit avoir sa raison d’être dans l’identité de nature des êtres qui l’éprouvent.

2231. (1759) Observations sur l’art de traduire en général, et sur cet essai de traduction en particulier

Qu’on interroge ceux de nos grands poètes qui ont fait passer avec succès en notre langue quelques beaux endroits de Virgile ou d’Homère : combien de fois ont-ils été forcés de substituer aux idées qu’ils ne pouvaient rendre, des idées également heureuses et prises dans leur propre fonds, de suppléer aux vers d’image par des vers de sentiment, à l’énergie de l’expression par la vivacité des tours, à la pompe de l’harmonie par des vers pensés ? […] Préjugé de traducteur à part, comme il est sans comparaison le plus grand historien de l’antiquité, il est aussi celui dont il y a le plus à recueillir ; mais ce que j’offre aujourd’hui suffira, ce me semble, pour faire connaître les différents genres de beautés dont on trouve le modèle dans cet auteur incomparable, qui a peint les hommes avec tant d’énergie, de finesse et de vérité, les événements touchants d’une manière si pathétique, la vertu avec tant de sentiment ; qui posséda dans un si haut degré la véritable éloquence, le talent de dire simplement de grandes choses, et qu’on doit regarder comme un des meilleurs maîtres de morale, par la triste, mais utile connaissance des hommes, qu’on peut acquérir par la lecture de ses ouvrages.

2232. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XIX. Mme Louise Colet »

Ces deux sentiments peuvent seuls expliquer ce qu’elle a écrit. […] c’est peut-être la première fois que l’exaspération des sentiments ait produit des livres de si peu de puissance.

2233. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre III. Contre-épreuve fournie par l’examen de la littérature italienne » pp. 155-182

Pour la valeur des idées et des sentiments cette poésie est très supérieure au lyrisme courtois de la Provence et de la France du Nord28 ; pourtant, même quand on y ajoute la poésie didactique du Nord, quelques chansons politiques et quelques embryons d’épopée, c’est une pauvreté en œuvres qui contraste étrangement avec la littérature française du xiiie  siècle ! […] Aujourd’hui que le positivisme a desséché nos âmes, que le sentiment et l’intuition ne sont que des « phrases », on a peine à comprendre cette action immense d’un rêveur.

2234. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XVI. »

. — Timidité des sentiments. — Perfection du style et du goût ; inspiration rare, hors celle du plaisir. — Charme puissant et longue durée de cette poésie. […] L’extinction du sentiment moral dans la foule, la peur et l’égoïsme, voilà le secret de l’apothéose d’Octave par la voix de Virgile et d’Horace et jusqu’au milieu de l’exil d’Ovide.

2235. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Jouffroy.] » pp. 532-533

J’aime à croire cependant que Waterloo lui aura inspiré de tout autres sentiments que la capitulation de Paris.

2236. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XLVIII » pp. 188-192

Thiers voudrait bien être ce Chatham futur, ce restaurateur du sentiment et de l’honneur national.

2237. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXXI » pp. 323-327

Louis XVIII exilé y apparaît confit dans la conscience béate de son droit divin, y puisant quelques sentiments de dignité sans doute, mais surtout un contentement superbe qui était fait pour affliger les gens sensés de son parti.

2238. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Appendice. »

Gérusez comme une pièce authentique, omise à dessein par Vignon, dans un sentiment de patriotisme exagéré ; la voici « Où me cacher, sans que Amour ne voye ?

2239. (1875) Premiers lundis. Tome III « De l’audience accordée à M. Victor Hugo »

Victor Hugo venait plaider devant le monarque, avec la franchise de son âge, de ses opinions, et un sentiment profondément respectueux de son devoir, comme sujet.

2240. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rimbaud, Arthur (1854-1891) »

S’ils font vibrer en nous plusieurs des fibres les plus essentielles de l’âme, c’est parce que, pénétrant loin sous les sentiments émoussés dont nous revêtons d’habitude les plus humains de nos désirs, ils chantent l’hymne de la Nature raillant l’inconnaissable.

2241. (1887) Discours et conférences « Discours prononcé aux funérailles de M. Stanislas Guyard, Professeur au Collège de France »

L’amour du bien public, le sentiment abstrait du devoir formaient l’unique mobile de sa vie.

2242. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 189-194

Il faut, pour être assuré de toujours plaire, s’attacher à des ressorts plus essentiels & plus solides, c’est-à-dire, à ce naturel qui survit à tout, à cette chaleur vivifiante, à ce moëlleux séduisant & flatteur, qui naissent de la force du sentiment, & que l’esprit ne sauroit jamais suppléer.

2243. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre VIII. La Fille. — Iphigénie. »

De là dérive cette règle dramatique : qu’il faut, autant que possible, fonder l’intérêt de la tragédie, non sur une chose, mais sur un sentiment, et que le personnage doit être éloigné du spectateur par son rang, mais près de lui par son malheur.

2244. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre XVI. Le Paradis. »

Tout est machine et ressort, tout est extérieur, tout est fait pour les yeux dans les tableaux du paganisme ; tout est sentiment et pensée, tout est intérieur, tout est créé pour l’âme dans les peintures de la religion chrétienne.

2245. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre troisième. Histoire. — Chapitre VIII. Bossuet historien. »

« Le fond d’un Romain, pour ainsi parler, était l’amour de sa liberté et de sa patrie ; une de ces choses lui faisait aimer l’autre ; car, parce qu’il aimait sa liberté, il aimait aussi sa patrie comme une mère qui le nourrissait dans des sentiments également généreux et libres.

2246. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre III. Massillon. »

Pour cette fois, nous prendrons un passage où l’orateur abandonne son style favori, c’est-à-dire le sentiment et les usages, pour n’être qu’un simple argumentateur.

2247. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Un petit corollaire de ce qui précède [Mon mot sur l’architecture] » pp. 77-79

C’est lui qui réfléchit et qui voit dans l’arbre de la forêt, le mât qui doit un jour opposer sa tête altière à la tempête et aux vents ; dans les entrailles de la montagne, le métal brut qui bouillonnera un jour au fond des fourneaux ardents, et prendra la forme et des machines qui fécondent la terre et de celles qui en détruisent les habitants ; dans le rocher, les masses de pierre dont on élèvera des palais aux rois et des temples aux dieux ; dans les eaux du torrent, tantôt la fertilité, tantôt le ravage de la campagne ; la formation des rivières, des fleuves ; le commerce, les habitants de l’univers liés, leurs trésors portés de rivage en rivage et de là dispersés dans toute la profondeur des continents ; et son âme mobile passera subitement de la douce et voluptueuse émotion du plaisir au sentiment de la terreur, si son imagination vient à soulever les flots de l’océan.

2248. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 20, de la difference des moeurs et des inclinations du même peuple en des siecles differens » pp. 313-319

Si l’on me repliquoit que ces scélerats étoient catholiques ou huguenots par persuasion, mais que c’étoit des cerveaux brûlez, des imaginations forcenées, en un mot des fanatiques de bonne foi, ce seroit adhérer à mon sentiment.

2249. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Eugène Chapus »

Il a été écrivain d’instinct, naïvement, comme « de l’eau est de l’eau », dirait Diderot encore ; — il a été écrivain d’imagination et de sentiment comme on doit l’être quand on veut élargir sa renommée et donner au talent qu’on a l’air et l’espace, sans lesquels il n’est jamais qu’une fleur rare, dans un vase précieux, étiolée !

2250. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « L’abbé Cadoret »

éperdu de sentiments qui entraînaient l’honneur de son passé et de sa vie, il passa outre, et la thèse qu’il soutint, il ne l’épuisa pas : elle fut continuée.

2251. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Saint-Marc Girardin »

Hasard heureux quand ces formes sont reproduites avec le double sentiment de l’exactitude et de la vie, et quand ces ouvrages qu’on réimprime sont choisis avec discernement !

2252. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre IV. De la morale poétique, et de l’origine des vertus vulgaires qui résultèrent de l’institution de la religion et des mariages » pp. 168-173

Incapables d’atteindre encore une telle idée par le raisonnement, ils la conçurent par un sentiment faux dans la matière, mais vrai dans la forme.

2253. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre VII » pp. 278-283

Ces sentiments sont ennemis de la dissimulation, et n’excluent point la générosité ; elle devait admirer Achille, le héros de la force.

2254. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Elles montent plus haut… Je tâche d’y monter… » On aura remarqué la manière dont elle parle de Mme Tastu, avec quel sentiment pénétré, quel respect pour ses qualités régulières et pour ce mérite de femme qui a eu dans sa jeunesse quelques notes poétiques si justes et si pures. […] Langlais, à Saint-Denis d’Anjou : Mme Valmore y passa quelque temps avec sa fille ; le sentiment de cette vie des champs grasse et nourricière, au milieu des fermiers et des colons , respire et rit au naturel dans ce passage d’une lettre d’Ondine à son frère : « (1851)… Ici on oublie tout ; on se plaint par genre, mais sans amertume ; on dort, on mange, on n’entend point de sonnette. […] Je vous remercie de tous les sentiments qui vous la révèlent.

2255. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « L’Académie française »

Royaliste d’opinion et de sentiment, il inaugure, dès 1803, Père recommençante de la monarchie, et il vécut assez pour inaugurer, en 1816, l’ère de l’Académie redevenue bourbonienne et royaliste. […] Elle fit, ce jour-là, sa rentrée dans le grand courant du sentiment public, de la pensée nationale d’alors, et elle confirma hautement cette disposition par le choix qu’elle fit, quelques mois après, de M.  […] Or, depuis trente ans, l’Académie a trop semblé réserver son opinion sur toute chose littéraire, et elle, si prodigue en appréciations politiques, elle a éludé, en revanche, le péril de dire son sentiment dans les matières de goût.

2256. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « La Bruyère »

A l’appui de cette opinion, qui n’est pas récente, sur le caractère de novateur entrevu chez La Bruyère, je pourrais faire usage du jugement de Vigneul-Marville et de la querelle qu’il soutint avec Coste et Brillon à ce sujet : mais, le sentiment de ces hommes en matière de style ne signifiant rien, je m’en tiens à la phrase précédemment citée de D’Olivet. […] Mais il n’appartient qu’à lui d’avoir eu l’idée d’insérer au chapitre du Cœur les deux pensées que voici : « Il y a des lieux que l’on admire ; il y en a d’autres qui touchent et où l’on aimerait à vivre. » — « Il me semble que l’on dépend des lieux pour l’esprit, l’humeur, la passion, le goût et les sentiments. » Jean-Jacques et Bernardin de Saint-Pierre, avec leur amour des lieux, se chargeront de développer un jour toutes les nuances, closes et sommeillantes, pour ainsi dire, dans ce propos discret et charmant. […] On lit dans les Mémoires de Trévoux (mars et avril 1701), à propos des Sentiments critiques sur les Caractères de M. de La Bruyère (1701) : « Depuis que les Caractères de M. de La Bruyère ont été donnés « au public, outre les traductions en diverses langues et les dix « éditions qu’on en a faites en douze ans, il a paru plus de trente « volumes à peu près dans ce style : Ouvrage dans le goût des Caractères ; « Théophraste moderne, ou nouveaux Caractères des Mœurs ; « Suite des Caractères de Théophraste ut des Mœurs de ce siècle ; les « différents Caractères des Femmes du siècle ; Caractères tirés de l’Écriture « sainte, et appliqués aux Mœurs du siècle ; Caractères naturels « des hommes, en forme de dialogue ; Portraits sérieux et critiques ; « Caractères des Vertus et des Vices.

2257. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « François Ier, poëte. Poésies et correspondance recueillies et publiées par M. Aimé Champollion-Figeac, 1 vol. in-4°, Paris, 1847. »

Toujours c’est aux meilleurs et aux plus généreux sentiments de son frère qu’elle s’adresse ; c’est le culte de l’honneur qu’elle échauffe et qu’elle entretient en lui : Mais toy, qui as toujours foy conservée Et envers tous ta constance observée, Rendant content Dieu et ta conscience Par ta vertu, doulceur, foy, pacience, Tenant à tous parole et vérité, Honneur tu as, non ennuy mérité. […] A défaut de beaux vers, ce sont là de hauts sentiments, et ils se font écho dans cette correspondance rimée entre le roi et sa sœur. […] Un éditeur instruit17, qui, dans un premier travail, avait jugé fort sainement, selon nous, de Marguerite, a cru devoir revenir sur ce jugement dans une seconde publication, et il a été conduit par une interprétation laborieuse à dénoncer dans le cœur de cette princesse je ne sais quel sentiment fatal et mystérieux, dont son frère aurait été l’objet.

2258. (1875) Premiers lundis. Tome III « De la loi sur la presse »

Et permettez-moi de le dire, je suis toujours étonné que les hommes de mon âge ne paraissent point se souvenir mieux de ce qui s’est passé sous la Restauration et des sentiments, selon moi, fort justes, qui nous animaient alors. […] La pensée généreuse du chef de l’État veut supprimer les peines corporelles ; l’empereur l’avait déjà voulu, et avec une intention très-marquée, quand il s’agissait de la prison pour dettes ; il manifeste le vouloir de nouveau en matière de délits de presse ; le Prince qui, sur le trône, se souvient des jours de l’adversité sait ce que lui, homme de cœur et de pensée, a souffert dans une prison : Non ignara mali, miseris succurrere disco ; et il veut épargner cette même peine aux hommes de pensée, même à ceux qui se trompent ; et cette délicatesse de sentiment n’est pas comprise ; et à diverses reprises on s’est obstiné à réintroduire dans la loi ces peines corporelles : expulsées d’un côté, elles y rentraient de l’autre. […] Il y a un beau mot de Royer-Collard : Ne supposez jamais à un honnête homme des sentiments qu’il n’a pas : vous les lui donnez, Messieurs, après l’adoption du premier article, j’étais prêt, moi aussi, à voter la loi des deux mains, comme M. le président Bonjean.

2259. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXVIIe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (3e partie) » pp. 5-56

Elles ont l’unique et immense mérite d’élever l’âme, les lumières, et le sentiment de justice du peuple, à la hauteur de sa souveraineté. […] Le spiritualisme, c’est-à-dire le sentiment moral de ce qu’il doit à Dieu, aux autres peuples et à lui-même, y baisse à mesure que la fausse gloire y resplendit davantage. […] Autorité paternelle absolue, mais surveillée dans la famille pour que le commandement y soit respecté, et que l’obéissance y soit religieuse : spiritualisme légal qui fait du père un magistrat de la nature, et qui fait du fils un sujet du sentiment !

2260. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVe entretien. Chateaubriand, (suite) »

C’est l’inspiration, l’inspiration qui est à la langue ce que l’explosion est à la pensée, c’est-à-dire la force et la soudaineté intérieure du sentiment qui le fait jaillir en feu et en flamme dans une harmonie divine qui subjugue à la fois du même coup l’auditeur et le poëte. […] J’avais le sentiment vrai que mon nom trop nouveau ne pouvait pas rallier assez puissamment la France, et que, pour lui donner de l’autorité, il aurait fallu le fortifier par quelques victoires politiques qui n’étaient pas dans mon programme, à moins qu’elles ne fussent dans la nécessité, non de mon ambition, mais de la république des honnêtes gens en France. […] Le sentiment que le sculpteur a de cette vérité influe à son insu sur la perfection de son travail.

2261. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quinzième. »

Cet esprit, c’est autre chose encore que l’art de donner un tour piquant à des sentiments vrais ou à des pensées justes. […] Fallait-il que Mme de Sévigné eût de l’esprit pour tout le monde excepté pour sa fille, et en toutes choses excepté dans l’expression de ses sentiments les plus vrais ? […] Le plus près de Bossuet par le tour d’esprit, la nourriture chrétienne, la fougue, l’abondance, le sentiment de la vie, Saint-Simon a plus d’un trait commun avec ce grand homme.

2262. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Sainte-Beuve » pp. 43-79

Assurément, si je trouvais dans ses Œuvres critiques un livre de la valeur de celui-là en sentiment et en poésie, je ne lui refuserais pas aussi nettement que je le fais le titre de critique, à cet explorateur et à cet explanateur littéraire qui rôde et bouquine et nous fait faire toutes sortes de connaissances dont l’esprit humain pouvait se passer, comme M.  […] Il n’y a point l’aveugle sentiment d’amour-propre qu’on passerait à peine à l’auteur. […] Sainte-Beuve, qui pour travailler, ne mettait pas de manchettes comme Buffon, n’en est pas moins de l’école de Buffon, de la patience, de la rature, de l’accouchement à l’aide des secrétaires ; Sainte-Beuve n’avait pas le génie facile de la lettre, cet abandon dans le sentiment qui insinue dans la lettre une langueur divine, ou cette impétuosité dans la sensation du moment qui la fait jaillir de la plume, comme un oiseau s’échappe de la main !

2263. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « II. M. Capefigue » pp. 9-45

« Chevalier (s’appelle-t-il lui-même) des temps écoulés, il défend ces gracieux et beaux portraits de marquises, chefs-d’œuvre de Boucher, de Lencret et de Greuze. » Mais une raison de cette maigreur, l’amour d’une fausse élégance dans les arts, pouvaient-ils voiler à un esprit qui eut longtemps le sentiment de l’histoire, cette autre corruption dans les mœurs, bien plus épouvantable, qui allait faire tomber à quelques années de là toute cette société pourrie sur la planche de l’échafaud et devant laquelle l’historien, l’historien politique, devait enfin se dégriser et se retrouver ? […] Un sentiment inattendu s’est tout à coup éveillé dans sa vieille conscience d’historien religieux, de moraliste, d’homme d’autorité, et l’a saisi à la fin de sa tâche, l’inquiétant, pour la première fois, sur la valeur de travail de blanc forcé auquel il s’est livré depuis longtemps pour le compte du xviiie  siècle. […] Capefigue prie Dieu de nous garder, afin qu’il puisse écrire en paix, et sans qu’on y trouve à redire, l’histoire de Mme Du Barry, vous aurez toutes les justifications assez embarrassées de la préface et les motifs de sentiment que l’auteur de Madame la comtesse Du Barry se donne à lui-même encore plus qu’à nous pour écrire l’histoire d’une femme qu’on trouve bien à une certaine place de l’histoire, mais qui ne mérite pas l’honneur qu’on lui fait aujourd’hui d’un livre d’histoire.

2264. (1879) L’esthétique naturaliste. Article de la Revue des deux mondes pp. 415-432

Le ridicule des déclamations retentissantes, des tirades à effet, des grands sentiments étalés à faux, nous le connaissons depuis longtemps, il n’est personne qui ne s’en moque aujourd’hui ; et si l’on veut chercher qui a tué le mauvais romantisme, ce n’est pas à nos novateurs littéraires qu’en revient l’honneur : c’est l’opérette qui a fait cette besogne salutaire. […] Depuis de longs siècles, les générations passent devant leurs ouvrages et se figurent y retrouver leurs sentiments et leurs passions ! […] Mais à supposer même qu’en effet l’homme ne soit rien qu’un animal, et que nos sentiments, nos désirs, nos pensées mêmes et nos convictions soient uniquement les résultats nécessaires du jeu de nos organes, de notre constitution, je répondrai que la physiologie doit être laissée aux physiologistes ; méfions-nous de la physiologie littéraire autant que de la musique d’amateurs.

2265. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXI. »

Il excella dans la peinture des sentiments privés, bien plus que dans l’expression des grands devoirs et des vertus civiques. […] Ces sentiments, parés du plus beau langage, éclataient alors dans les vers, non pas d’un poëte de cour (Philippe II n’en avait pas), mais d’un Espagnol de Séville exprimant avec enthousiasme la joie religieuse et l’orgueil national de son pays. […] Le génie propre de la langue et, sans doute aussi, l’éclair d’un sentiment vrai dissipaient cette fois le nuage, et laissaient paraître le poëte.

2266. (1889) La bataille littéraire. Première série (1875-1878) pp. -312

Ici les sentiments s’élèvent, le fils a reconquis sa mère ; il le croit du moins. […] Un léger sentiment de la ligne et quelque dextérité dans le poignet. […] Jeanne, comme suspendue entre la rive abrupte et l’eau profonde, eut le vif sentiment du danger et prit un élan désespéré. […] Odilon Barrot, je vous ai choisi parce que je connais votre cœur et que j’ai déjà pu apprécier la générosité de vos sentiments. […] J’étais entre deux sentiments.

2267. (1878) Nos gens de lettres : leur caractère et leurs œuvres pp. -316

Legouvé exprime de nobles sentiments dans une poésie élégante ». […] Là seulement, pour qui a le sentiment des harmonies, le cadre est digne du tableau ». […] Il n’y éclatait sans doute pas un grand poète, mais on y trouvait la vue exacte, le vif sentiment des choses de la campagne. […] ———— Est un écrivain supérieur celui qui exprime des idées, des sensations ou des sentiments vrais en un style où l’on ne peut rien changer sans altérer ces idées, ces sentiments, ces sensations mêmes. […] Et c’est ainsi que de la montagne ou de la vallée natale — dont il avait déjà le sentiment — il acquerra l’intelligence.

2268. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — Post-scriptum » pp. 154-156

Et, en effet, il y a dans cette édition de 1825 des adoucissements poussés jusqu’à l’altération, portant sur le fond des sentiments mêmes du marquis d’Argenson, et sur le vrai de ses relations avec son frère le ministre de la guerre.

2269. (1874) Premiers lundis. Tome II « La Comtesse Merlin. Souvenirs d’un créole. »

Nièce du général O’Farrill, ministre de la guerre sous Joseph, et parfaitement informée de tout le détail de ces temps mémorables, madame Merlin réfléchit dans ces pages les sentiments de son oncle et les siens propres, de manière à nous transporter aisément à l’époque et aux lieux dont il s’agit.

2270. (1874) Premiers lundis. Tome II « Revue littéraire »

Il a voulu concilier et marier le sentiment poétique qu’il possède avec celui des souvenirs légendaires qu’il a recueillis.

2271. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre III. De la comédie grecque » pp. 113-119

C’est qu’ils avaient le bon goût qui appartient à l’imagination, et non celui qui naît de la moralité des sentiments.

2272. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre premier. Que personne à l’avance ne redoute assez le malheur. »

La douleur est fixe, et rien ne peut la déplacer qu’un événement, ou le courage ; alors que le malheur se prolonge, il a quelque chose d’aride, de décourageant, qui lasse de soi-même, autant qu’il importune les autres ; on se sent poursuivi par le sentiment de l’existence, comme par un dard empoisonné ; on voudrait respirer un jour, une heure, pour reprendre des forces, pour recommencer la lutte au-dedans de soi, et c’est sous le poids qu’il faut se relever, c’est accablé qu’il faut combattre, on ne découvre pas un point sur lequel on puisse s’appuyer pour vaincre le reste.

2273. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre III. Du meilleur plan. — Du plan idéal et du plan nécessaire. »

L’ordre s’impose dans une démonstration mathématique, où, abstraction faite des sentiments personnels, tout le monde opère sur les mêmes données et tend au même but.

2274. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 133-139

Une chose qui paroîtra inconcevable, c'est qu'on lui ait reproché de manquer d'onction & de sentiment.

2275. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Art français » pp. 243-257

Du reste, s’il s’en croyait capable, un sentiment pieux que comprendront quelques personnes le pousserait, le pousse aujourd’hui à vouloir qu’il en soit de ce livre, ainsi que de la chambre d’un mort bien-aimé, où les choses demeurent telles que les a trouvées la mort.

2276. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 1, de la necessité d’être occupé pour fuir l’ennui, et de l’attrait que les mouvemens des passions ont pour les hommes » pp. 6-11

L’ame trouve penible, et même impraticable quelquefois, cette seconde maniere de s’occuper ; principalement quand ce n’est pas un sentiment actuel ou recent qui est le sujet des reflexions.

2277. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 17, s’il est à propos de mettre de l’amour dans les tragedies » pp. 124-131

Suivant leur sentiment ce sont des hommes moins propres à joüer un rolle sur la scene, qu’à être reclus dans ces maisons où les nations polies renferment une partie de leurs fols.

2278. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 36, de la rime » pp. 340-346

C’est plûtôt par reflexion que par sentiment qu’on en connoît le merite, tant le plaisir qu’elle fait à l’oreille est un plaisir mince.

2279. (1908) Après le naturalisme

Le Classicisme lui-même ne pouvait que peindre des sentiments d’homme. […] Rousseau n’a de grand pour eux que le sentiment de la nature et c’est ce qui le sauve de leur mépris. […] Une réponse qui nous satisfait dans notre esprit et nos sentiments et qui est en même temps l’expression de la loi naturelle. […] Les bons sentiments ne prévalent pas en lui. […] Il faut se défier des sentiments trop généreux.

2280. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1894 » pp. 185-293

Il cause avec un voisin, un peintre que je ne connais pas plus que lui, et parlant un moment des compositeurs français du xviiie  siècle, il dit : « La préoccupation de ces hommes était avant tout de traduire leurs sentiments… le métier chez eux n’était qu’un domestique… tandis que chez nos contemporains, c’est le patron !  […] Ce volume, je crois, s’appelle Le Capitaine Jack, et c’est l’histoire d’un voleur-enfant, écrite avec un sentiment d’observation moderne, et mille petits détails d’une vie vécue, contés bien certainement à l’auteur, enfin avec toute la documentation rigoureuse et menue d’un roman réaliste de notre temps. […] En battant des rues, des ruelles interminables, avec le sentiment que chaque pas m’éloigne de mon gîte, j’ai soudainement l’angoisse d’avoir oublié le nom de mon hôtel, sans pouvoir le retrouver, quelque effort que je fasse : angoisse horrible qui ne dure qu’un moment, il est vrai. […] « J’affirme que ce sentiment est possible. […] Mardi 18 septembre Dans la pierre ancienne d’une vieille maison, se fait chez vous, un petit sentiment de jouissance très difficile à définir, mais parent du sentiment qu’on éprouve, en voyageant, dans un pays qui a un passé.

2281. (1902) Le chemin de velours. Nouvelles dissociations d’idées

La gloire littéraire ne fut d’abord que le sentiment de la durée future de la réputation présente ; sentiment légitime et qui concorde assez bien avec les faits, car les déchéances absolues sont presque aussi rares que les réhabilitations solides. […] Le changement de civilisation, de l’antiquité au Moyen Age, fut intellectuel et de sentiment, plutôt que matériel. […] Je m’écarte en ceci du sentiment commun, que je ne crois pas utile de généraliser des opinions, d’enseigner des admirations. […] Voilà pour le sentiment. […] Il semble bien que cela soit par l’intelligence qu’on les dompte bien plus que par le sentiment.

2282. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1885 » pp. 3-97

Zola affirme, chez Daudet, que le pauvre garçon avait la conscience de son état, le sentiment de sa mort prochaine. […] » Dimanche 15 février Hier, Mme Daudet se plaignait de la longueur ennuyeuse des beaux sentiments, en vers : Oui, lui ai-je dit, ce sont des sentiments qui ont douze pieds. […] ce plan d’avenir, qui me semblait une toquade de folle et de paresseuse, était inspiré à la pauvre enfant par cette anémie, qui a tout à coup éclaté, par le sentiment de sa faiblesse, qui lui faisait craindre, qu’après ma mort, elle ne puisse plus servir dans une autre maison. […] L’une d’elles lui avait dit : « Oui, les sentiments de Goncourt sont bien des aspirations de femmes, mais pas assez maintenues dans le vague des choses féminines… ce sont des aspirations de femmes masculinisées par l’auteur. » Voilà peut-être le blâme le plus délicatement juste du livre, et ce n’est point, comme on le voit, un critique qui l’a trouvé. […] Lorrain qui se trouvait dans une avant-scène, et avait autour de lui les femmes les plus connues de la grande société, parle de l’impression des dindes du monde, surtout choquées des ululements de la passion, dans la scène de rupture : — toutes ces femmes, dont l’explosion des sentiments est toujours comprimée par le chic, et quelques-unes avouant même tout haut, que leurs ruptures avaient été beaucoup plus calmes, beaucoup plus comme il faut, que ça.

2283. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIIe entretien. Littérature latine. Horace (1re partie) » pp. 337-410

à moi qui ne suis que le fils d’un affranchi, et que tous dénigrent parce que j’ai aujourd’hui la gloire de m’asseoir dans votre familiarité, à votre table, oubliant qu’autrefois tribun des soldats (colonel) je commandais une légion romaine… Quel bonheur pour moi d’avoir pu vous plaire, à vous qui savez si bien discerner l’honnête homme du vil coquin, et qui mesurez le mérite non sur le vain prestige de la naissance, mais sur la noblesse des sentiments. […] Mes sentiments sont tout autres et me dictent un autre langage. […] En ce genre les Géorgiques de Virgile sont le chef-d’œuvre immortel des anciens et des modernes, parce que le spectacle de la nature et les travaux des champs sont un sujet bien plus susceptible de description et de sentiment que les leçons de rhétorique et de prosodie données en vers boiteux par Horace et par Boileau. […] Soigneux de sa santé morale après quelques débauches de jeunesse, il s’était mis au régime des sentiments qui n’ont point de lie.

2284. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIVe entretien. Cicéron (3e partie) » pp. 257-336

Je ne vois donc rien que de mou et d’énervé dans le sentiment des péripatéticiens, qui regardent les passions comme nécessaires, pourvu, disent-ils, qu’on leur prescrive des bornes au-delà desquelles ils ne les approuvent point. […] « Les animaux, étant doués de sentiment, manifestent encore mieux la puissance de la nature. […] Le sentiment gâte-t-il jamais rien en littérature ? […] Voyez avec quel juste et noble sentiment de lui-même il recommande à son fils de lire ses livres de philosophie, et spécialement celui-ci : « Voici un an, mon cher fils, que vous suivez les leçons de Cratippe, et que vous êtes à Athènes ; les enseignements de la sagesse, les ressources philosophiques, ne doivent pas vous manquer au milieu d’une telle ville et avec un si grand maître ; et, quand je pense à la science de l’un et aux exemples de l’autre, je vous trouve à bonne école.

2285. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre neuvième »

Enfin, à un langage qui n’appartient pas en propre aux personnages, qui vise au trait, que gâtait un reste de pointes italiennes, il fallait substituer la conversation de gens exprimant naïvement leurs sentiments et leurs pensées, et n’ayant d’esprit que le leur ; il fallait, en un mot, plus observer qu’imaginer, plus trouver qu’inventer, et recevoir des mains du public les originaux qu’il s’agissait de peindre. […] Molière l’a dit de son public : « Ces gens-là ne s’accommoderaient nullement d’une élévation continuelle dans le style et les sentiments. » On veut rire à la comédie, et la réflexion n’y provoque guère. […] Armande Béjart ne ressemblait-elle pas trop à Célimène pour que le mari de l’une n’eût pas tous les sentiments de l’amant de l’autre ? […] Aussi rien de romanesque dans ces fortes et charmantes peintures des sentiments de l’amour ; rien qui soit fait de tête, ni sur le modèle de la galanterie à la mode ; pas un trait qui n’aille à tous les temps et à tout le monde.

2286. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVI. La littérature et l’éducation publique. Les académies, les cénacles. » pp. 407-442

Ce contraste criant est une preuve tragique de la force de pénétration qu’ont les notions et les sentiments enfoncés dans la molle argile des âmes adolescentes. […] Elle n’a plus la même raison d’être qu’autrefois dans une époque où le bon usage a cessé d’être « le bel usage », où le dédain du populaire est un sentiment suranné, où la liberté en tout domaine a été revendiquée avec passion. […] Le poète entend bafouer, j’imagine, dans ces harangues d’apparat la pauvreté d’idées, l’absence de sentiments forts et sincères. […] En même temps que ce dédain du passé le plus voisin d’eux, les cénacles ont une confiance extrême en l’avenir, en leur avenir ; ce n’est au fond qu’une autre face du même sentiment.

2287. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 mai 1885. »

L’extraordinaire sentiment qu’il avait de lui-même, se joignant à la superbe fierté de son caractère, lui donna, pour toujours, le désir de s’opposer aux frivoles dispositions musicales de ses contemporains, épris, surtout, des plaisirs. […] Mais, en revanche, la rude vivacité, déjà mentionnée, de son être humain, apparaît encore ici, et nous le montre impatient, — avec tout le sentiment d’une douleur intime, — de l’enclave où les formes, comme toutes les autres chaînes de la convention, retenaient son génie. […] Un pareil sentiment avait conduit, jadis, Spinoza, dans sa conscience de lui-même, à tailler des verres de lunettes, pour obtenir, par ce travail, le moyen d’entretenir sa vie. […] A l’esprit qui les écoute, elles ôtent le sentiment de tout péché ; et nous éprouvons toujours, — lorsque, après elles, nous nous retournons au monde de l’Apparence, — comme le souvenir douloureux d’un Paradis évanoui.

2288. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1884 » pp. 286-347

les gens qui m’ont vendu cela, si je ne leur avais pas acheté, une autre fois, peut-être ne m’auraient-ils rien apporté. » Mercredi 2 avril C’est vraiment curieux le sentiment de la destruction chez les enfants. […] Jeudi 24 avril La pensée taquinante d’un temps d’arrêt dans le succès, le sentiment que la vente s’arrête. […] Quand je me réveille sur la place de la Concorde, sous un ciel d’un bleu noir, sans étoiles, et ou mortuairement brillent six ou huit flammes électriques, dans de hauts lampadaires, j’ai, une seconde, le sentiment de n’être plus vivant, et de suivre une Voie des Âmes, dont j’aurais lu la description dans Poe. […] Car il sort de chez Hardy, qui lui a dit que ses maux d’estomac avaient amené chez lui un gonflement, lui ayant fait remonter le cœur, et lui donnaient le sentiment d’un asthme.

2289. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1886 » pp. 101-162

On sent chez lui un respect trop révérencieux pour les sentiments, les préjugés, les religions des mâles et des petites femelles du monde, au milieu desquels il vit. […] Dimanche 7 mars Le peintre Ziem, dont la parole parfois s’emballe, mais qui est toujours toute pleine d’inattendu, de trouvailles originales, arrive le premier au grenier, et se met à parler du charme de la voix des phtisiques, de cette voix de baryton qu’il a connue à Chasseriau, mort de la poitrine, de cette voix de caresse, qui est comme un suprême enlacement autour des êtres et des choses de la terre, de cette voix, dont déjà les microbes tuberculeux et tumulaires font, comme un râle du sentiment. […] On va vendre, ces temps-ci, la bibliothèque d’un bibliophile, qui avait fait relier ses livres, en harmonisant autant que possible la teinte du maroquin avec le sentiment du texte. […] Jamais il n’avait été plus heureux que dans ce temps, tout misérable qu’il était… D’abord, reprend-il, il n’avait pas un moment douté de son succès futur, non qu’il eût une idée bien définie de ce qui lui arriverait, mais il était convaincu qu’il réussirait, ajoutant que c’était assez difficile à exprimer ce sentiment de confiance, que par pudeur vis-à-vis de nous, il définit ainsi « que s’il n’avait pas foi dans son œuvre, il avait confiance dans son effort ».

2290. (1856) Cours familier de littérature. II « VIIIe entretien » pp. 87-159

Ce livre raconte en versets, dont chacun est un vers qui trouve son écho dans un autre vers, les pensées de Dieu, la création du monde en six grandes journées de l’ouvrier divin, qui sont peut-être des semaines de siècles ; la naissance du premier homme, son ennui solitaire dans l’isolement de son être, qui n’est qu’un morne ennui sans l’amour ; l’éclosion nocturne de la femme, qui sort, comme le plus beau des rêves, du cœur de l’homme ; les amours de ces deux créatures complétées l’une par l’autre dans ce premier couple dont le fils et les filles seront le genre humain ; leurs délices dans un jardin à demi céleste ; leur pastorale enchantée sous les bocages de l’Éden ; leur fraternité avec tous les animaux aimants qui parlaient alors ; leur liberté encore exempte de chute ; leur tentation allégorique de trop savoir le secret de la science divine, secret réservé seul au Créateur, inhérent à sa divinité ; leur faute, de curiosité légère chez la femme, de complaisance amoureuse chez l’époux ; leur tristesse après le péché, premier réveil de la conscience, cette révélation par sentiment du bien et du mal ; leur citation au tribunal divin ; les excuses de l’homme pour rejeter lâchement le crime sur sa complice, le silence de la femme, qui s’avoue coupable par les premières larmes versées dans le monde ; leur expulsion ; leur pèlerinage sur la terre devenue rebelle ; la naissance de leurs enfants dans la douleur ; le travail sous toutes les formes, premier supplice de l’humanité ; le premier meurtre faisant boire à la terre le sang de l’homme par la main d’un frère ; puis la multiplication de la race pervertie dans sa source ; puis le déluge couvrant les sommets des montagnes ; une arche sauvant un juste, sa famille, tous les animaux innocents ; puis la vie patriarcale, en familiarité avec des esprits intermédiaires appelés des anges, esprits tellement familiers qu’ils se confondent à chaque instant sur la terre avec les hommes, auxquels ils apportent les messages de Dieu ; puis un peuple choisi de la semence d’Abraham ; des épisodes naïfs et pathétiques, comme ceux de Joseph, de Tobie, de Ruth ; une captivité amère chez les Égyptiens ; un libérateur, un législateur, un révélateur, un prophète, un poète, un historien inspiré dans Moïse ; puis des annales pleines de guerres, de conquêtes, de politique, de liberté, de servitude, de larmes et de sang ; puis des prophètes moitié tribuns, moitié lyriques, gouvernant, agitant, subjuguant le peuple par l’autorité des inspirations, la majesté des images, la foudre de la langue, la divinité de la parole ; puis des grandeurs et des décadences qui montent et descendent de Salomon à Hérode ; puis l’assujettissement aux Romains ; puis un Calvaire, où un prophète plus surnaturel monte sur un autre arbre de science pour proclamer l’abolition de l’ancienne loi, et promulguer pour l’homme, sans acception de tribus, Juifs et païens, une loi plus douce scellée de son sang ; Puis une autre terre et un autre ciel pour l’univers romain devenu l’Europe. […] Il fait de la langue poétique de la France une musique où le sens, l’image et l’harmonie confondus donnent au mot la magie du son, au son le sentiment du mot. […] On dirait qu’une faveur secrète de la destinée façonnait ainsi, tantôt sur l’enclume, tantôt sur les genoux d’une mère, le plus divers, le plus malléable et le plus universel instrument de communication de sentiments et d’idées pour la littérature française. […] Cette tribune sacrée du sacerdoce moderne fut en réalité à cette époque, et à son insu, la plus puissante institution littéraire qui pût initier le peuple illettré au sentiment, au goût et même au jugement des lettres.

2291. (1857) Cours familier de littérature. III « XIVe entretien. Racine. — Athalie (suite) » pp. 81-159

Ma mère, qui est de Paris et qui a été élevée à la cour, nous a transmis les goûts et les sentiments délicats du monde où elle a vécu dans son premier âge. […] X On apporta le déjeuner sur un guéridon, et, tout en déjeunant lentement et frugalement aux rayons du soleil levant sur les arbres et aux roucoulements des tourterelles sur les toits de la maison, Talma me disait : « La nature vous a donné le sentiment et l’harmonie des beaux vers ; vous ferez ce que vous voudrez faire. […] Un peu plus grand que nature, il plaisait dans les sentiments surhumains ; il était l’art, Talma était la nature. […] En baignant son visage, Mes pleurs du sentiment lui rendirent l’usage ; Et, soit frayeur encore ou pour me caresser, De ses bras innocents je me sentis presser… Grand Dieu !

2292. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « III. M. Michelet » pp. 47-96

après cette ironique destination de l’univers, nous ne connaissons rien de plus beau dans le même sentiment d’ironie que les jugements contradictoires prononcés sur les plus grands hommes par les historiens de la Libre Pensée, toujours libres de se tromper, et nous ne connaissons pas non plus de grand homme qui ait plus essuyé de ces jugements contradictoires, dont la gloire est faite, que le cardinal de Richelieu. […] Lui, Richelieu, le passionné serviteur de la royauté, ainsi qu’il aimait à signer, le grand artiste en magnanimité, qui grava, avec tant de soin, sur la pierre poreuse et ramollie que Louis XIII avait en place de cœur, le chef-d’œuvre de noble sentiment qu’on appela depuis l’honneur de la couronne, n’a plus été, grâce à cette tourbe d’ennemis, que le bourreau traditionnel et glacé de tant de Mémoires écrits par la rancune ou l’épouvante, l’exécuteur impassible et patibulaire des hautes œuvres du despotisme personnel ; et M.  […] S’il est athée, c’est comme on l’était au xviiie  siècle, dans un temps où le perruquier de Chamfort disait avec la modestie de son état et le sentiment d’un homme qui sent où commence la dignité humaine : « Je ne suis qu’un pauvre merlan ; mais, après tout, il ne faut pas s’imaginer que je croie plus en Dieu qu’un autre !  […] Michelet leur a voués, c’est le sentiment qui anime son livre de la première page à la dernière ; ce sont les détails à côté de ces quelques portraits épars, mis là pour attirer peut-être la curiosité sur autre chose que sur ces portraits.

2293. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « De la dernière séance de l’Académie des sciences morales et politiques, et du discours de M. Mignet. » pp. 291-307

Quand le jeu est innocent pourtant, je m’y prête encore ; quand il s’y glisse des sentiments compliqués et équivoques, je ne fais pas comme Alceste, mais en prenant la plume, je tâche de rendre compte hautement de ce qui est, de manière que même les mécontents ne puissent me contredire. […] Il avait une langue pure, facile et pleine, une perception vive et pénétrante de la nature, un tour d’imagination assez romanesque, et un sentiment exquis de critique littéraire : il aurait pu se porter sur plus d’un sujet qui eût du corps, s’y reposer du moins et s’y refaire dans les intervalles de ses soliloques psychologiques trop prolongés.

2294. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le Roman de Renart. Histoire littéraire de la France, t. XXII. (Fin.) » pp. 308-324

Le bon chevalier Beaumanoir va vers lui, et lui dit dans un sentiment tout humain qui est rare au Moyen Âge, qui manque chez Froissart, historien de cour, et qu’on est heureux de retrouver ici : Chevaliers d’Angleterre, vous faites grand péché De travailler les pauvres, ceux qui sèment le blé… Si laboureurs n’étaient, je vous dis ma pensée, Les nobles conviendrait travailler en l’airée (aux champs), Au fléau, à la houe, et souffrir pauvreté ; Et ce serait grand peine quand n’est accoutumé. […] Ce que le trouvère n’a pas cherché, mais ce qui ne laisse pas de frapper encore et d’émouvoir, le combat continuant, c’est le contraste du lieu riant et frais et de la mêlée si lourde et si sanglante : « Dedans un très beau pré, sur une douce pente, à mi-voie de Josselin et du château de Ploërmel, au chêne que l’on appelle de la mi-voie, le long d’une geneslaie qui était verte et belle… » Il y a là un sentiment comme involontaire de nature, un souvenir circonstancié de la terre de la patrie, qui ajoute à l’effet simple et grandiose. — Si le poète y a pensé, ce n’est pas pour y voir un contraste, mais plutôt pour y noter un accord entre cette belle nature chérie et ce beau fait d’armes glorieux : son patriotisme marie tout cela.

2295. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le buste de l’abbé Prévost. » pp. 122-139

Un passage, entre autres, me semble avoir du sentiment, et, chanté, dut faire de l’effet. […] Mais, si huit mois d’éloignement et de silence peuvent vous paraître une satisfaction suffisante, je me flatte, monseigneur, que votre bonté achèvera de se laisser toucher en considérant que mon caractère est tout à fait exempt de malignité, que, dans plus de quarante volumes que j’ai donnés au public, il ne m’est rien échappé qui soit capable d’offenser, et que l’accident même qui fait mon crime n’a été qu’un aveugle sentiment de charité et de compassion pour un malheureux camarade d’école que j’ai voulu secourir dans sa misère après l’avoir aidé longtemps de ma propre bourse… M. le curé de Saint-Sulpice et Mlles de Raffé du Palais-Bourbon, qui l’ont assisté aussi à ma recommandation, ne me refuseront pas ce témoignage.

2296. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Œuvres de François Arago. Tome I, 1854. » pp. 1-18

On a dit avec vérité que l’aspect des lieux prend une couleur agréable ou sombre, selon les sentiments dont l’âme est agitée : nous l’éprouvions bien fortement alors. […] Une expression naturelle de regret se mêle dans la parole d’Arago au sentiment d’orgueil que lui inspire la vérité inaltérable, mais peu accessible, des sciences : Les sciences exactes, a-t-il dit dans sa notice sur Thomas Young, ont sur les ouvrages d’art ou d’imagination un avantage qui a été souvent signalé : les vérités dont elles se composent traversent les siècles sans avoir rien à souffrir ni des caprices de la mode ni des dépravations du goût.

2297. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Fénelon. Sa correspondance spirituelle et politique. — I. » pp. 19-35

Il dit vite et court, il recommence plus d’une fois ; il glisse, il coule, on dirait qu’il va s’élever, il en donne le sentiment ; il semble vous épargner plutôt que lui-même en ne vous saisissant pas, en ne vous ravissant pas. […] Fénelon est racinien de ton ; il a la distinction et le fini des sentiments, il a plus rarement l’image.

2298. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le président Jeannin. — III. (Fin.) » pp. 162-179

Le président Jeannin, amateur de la paix et sachant qu’au fond c’était aussi la politique de Henri IV, sut dissimuler dans l’origine et ne pas donner son dernier mot : Il était, a dit Grotius, si puissant en paroles et tellement maître des mouvements de son visage, que, quand il cachait le plus ses sentiments, il semblait toujours qu’il parlât à cœur ouvert (Vultus autem sermonisque adeo potens, ut cum maxime abderet sensus apertissimus videretur). […] C’était tout à fait aussi le sentiment du président Jeannin, qui avait pour principe « que la force et violence n’enseigne jamais le chemin de la piété et du vrai culte et adoration de Dieu », et qui avait vu de près l’écueil où si souvent ses contemporains avaient fait naufrage.

2299. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « La Divine Comédie de Dante. traduite par M. Mesnard, premier vice-président du Sénat et président à la Cour de cassation. » pp. 198-214

Il est plaisant que, même sur ces bagatelles, un homme qui pense n’ose dire son sentiment qu’à l’oreille de son ami. […] Ceux même qui connaissaient le mieux l’Italie, tels que de Brosses, et qui y mettaient plus d’application et de sérieux, n’étaient pas d’un sentiment très différent.

2300. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. (Tome XII) » pp. 157-172

Ses exposés sont tout au plus de grands dessins tracés d’un crayon net et léger, avec le sentiment vrai des lignes, mais sans couleur. […] Je sens toute l’exagération de cet éloge sous le rapport des talents ; mais je ne serai jamais au-dessous par la vérité de mon caractère, par la noblesse de mes sentiments, par ma tendre affection pour mon frère… Dans la position où je suis, il me faut une confiance absolue, Sire ; si je ne l’ai pas, la retraite absolue, comme vous le voudrez.

2301. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — I » pp. 39-56

Le père de Villars dans sa jeunesse, par sa tournure ou ses sentiments, donnait à ses enjouées contemporaines l’idée de cet intéressant personnage, et le nom lui en était resté. […] Mais il y a aussi le fond du sentiment et le feu sacré.

2302. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Correspondance de Buffon, publiée par M. Nadault de Buffon » pp. 320-337

Il nous est impossible de ne pas voir dans ces lettres à Mme Necker, qui sont toutes sur ce ton, bien de la sincérité, de la candeur, comme aussi une totale absence du sentiment du ridicule. […] Voici en entier cette admirable lettre ; tout ce qu’elle a d’impérieux est puisé dans la tendresse même, dans l’amour paternel le mieux entendu, qui n’est pas séparable du sentiment de l’honneur et de la dignité : Au Jardin du roi, le 22 juin 1787.

2303. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Œuvres de Maurice de Guérin, publiées par M. Trébutien — I » pp. 1-17

C’est en 1833 que Maurice de Guérin, qui n’était alors que dans sa vingt-troisième année, commença de développer et d’épanouir dans le cercle de l’intimité cette première fleur de sentiment, qui nous est montrée seulement aujourd’hui et qui va nous rendre tout son parfum. […] Ce livre dégage et illumine un sens que nous avons tous, mais voilé, vague et privé presque de toute activité, le sens qui recueille les beautés physiques et les livre à l’âme. » Et il insiste sur ce second travail de réflexion qui spiritualise, qui fond et harmonise dans un ensemble et sous un même sentiment les traits réels une fois recueillis.

2304. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire de mon temps. Par M. Guizot. »

Un sentiment personnel élevé domine et donnera le ton au discours, à l’apologie tout, entière :  Si j’étais sorti de l’arène comme un vaincu renversé et mis hors de combat par ses vainqueurs, je ne tenterais pas, dit-il, de parler aujourd’hui des luttes que j’ai soutenues. » M.  […] Ceux qui en avaient le sentiment, comme M. 

2305. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Biot. Essai sur l’Histoire générale des sciences pendant la Révolution française. »

Nous, à la vive lumière de la philosophie, oublions donc aussi ces craintes chimériques du retour de l’ignorance, et marchons d’un pas ferme dans l’immense carrière désormais ouverte à l’esprit humain. » Ainsi parlait le jeune savant ; et plein d’un profond sentiment d’horreur pour le régime oppressif et ignare qu’on avait subi, pour ce retour inouï de barbarie en pleine civilisation, il montrait pourtant avec une satisfaction élevée le rôle honorable et indispensable des savants au fort de la crise et leur empressement courageux à répondre à l’appel de la patrie, tout décimés qu’ils étaient alors par l’échafaud. […] On y voit se développer ce caractère ondoyant et complexe « avec toute la progression de ses sentiments, depuis les premiers mouvements d’une bonté naturelle jusqu’aux tristes jouissances d’un égoïsme raisonné. » Le sceptique y est combattu par de bonnes raisons, et les seules dignes d’un philosophe moderne.

2306. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Mémoires de l’Impératrice Catherine II. Écrits par elle-même. »

Pourquoi n’admettrions-nous pas la vérité des sentiments qu’elle exprime sans faste à cet endroit de sa vie ? […] que l’on comprend qu’une telle femme ait inspiré, dans l’espèce de disgrâce qui précéda son avénement à l’empire, des sentiments si répandus, si dévoués, si prêts à tout !

2307. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite.) »

Comme Don Quichotte, ils retrouvent partout l’image des vertus auxquelles ils rendent un culte… Ce dévouement continuel de l’héroïsme, ces illusions de la vertu, sont ce que l’histoire du genre humain nous présente de plus noble et de plus touchant ; c’est le thème de la haute poésie, qui n’est autre chose que le culte des sentiments désintéressés. […] Soldat, aventurier, esclave algérien, employé de finance, prisonnier, romancier, c’est un Gil Blas, mais un Gil Blas assombri, et qui n’est pas destiné à s’écrier comme l’autre dans sa jolie maison de Lirias : Inveni portum… » C’est étrangement rabaisser Cervantes (toujours d’après notre auteur), que de soutenir qu’il a employé la fleur de son génie à combattre l’influence de quelques romans de mauvais goût, dont le succès retardait sur les mœurs du siècle et n’avait plus aucune racine dans la société d’alors : « Ce que je crois plutôt, s’écrie le nouveau commentateur, qui a lu son Don Quichotte comme d’autres leur Bible ou leur Homère, et qui y a tout vu, c’est que le chevaleresque Cervantes, qui s’était précipité dans ce qui, à la fin du xvie  siècle, restait de mouvement héroïque, dut se sentir abattre par le désenchantement d’un croyant plein de ferveur qui n’a pas trouvé à fournir carrière pleine, qui dans l’exagération de son idéal s’est heurté et blessé contre les réalités, et qui, après avoir été contraint d’abdiquer l’action, s’est condamné à une retraite douloureuse, s’est réfugié dans ses rêves, et en dernier lieu, dans un testament immortel, lance à son siècle une satire qui n’était pas destinée à être comprise de ce siècle et dont l’avenir seul était chargé de trouver la clé. » Et nous adjurant à la fin dans un sentiment de tendre admiration, essayant de nous entraîner dans son vœu d’une réhabilitation désirée, l’écrivain, que je regrette de ne pas connaître, élève son paradoxe jusqu’aux accents de l’éloquence : « Ah !

2308. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Préface »

On y verra aussi qu’il n’y reniait rien de la sincérité de ses sentiments à aucune époque de sa vie ! […] Vous nous avez vu dans ces deux ou trois années de véritable ivresse, vous m’avez vu dans ces six mois célestes de ma vie qui m’ont fait faire les Consolations ; vous avez contribué à m’y inspirer par ce mélange de sentiments tendres, fragiles et chrétiens que vous agitez en vous et qui sont un charme.

2309. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. EDGAR QUINET.— Napoléon, poëme. — » pp. 307-326

Quinet n’a pas, à beaucoup près, atteint le premier dans le sentiment discret, et justement saisi, de la renommée populaire de son héros, il n’a pas non plus égalé le profil si net, si ferme, si vivement taillé en ivoire ou en airain, qu’en a souvent tracé le second. […] Antiquaire par son érudition allemande, poëte et philosophe par ses vues profondes et intimes sur l’histoire de l’humanité, familier avec les idées des Niebühr et des Gœrres, épris de l’imagination pittoresque de l’auteur de l’Itinéraire, il aborde la Grèce et l’interroge par tous les points, sur son antiquité, sur ses races, sur la nature de ses ruines, sur les vicissitudes de ses États, sur ses formes de végétation éternelle ; il saisit, il entend, il compose tous ces objets épars ; il les enchaîne et les anime dans un récit vivant, fidèle, expressif, philosophique ou lyrique par moments, selon qu’il s’élève aux plus hautes considérations de l’histoire des peuples, ou selon qu’il retombe sur lui-même et sur ses propres émotions ; c’est une œuvre d’art que ce récit de voyage : le sens historique et le sens des lieux y respirent et s’y aident d’un l’autre ; l’harmonie y règne ; le souffle du dieu Pan y domine ; l’interprétation du passé, depuis les époques cyclopéennes et homériques jusqu’à la féodalité latine, y est d’un merveilleux sentiment, et elle pénètre de toutes parts dans l’âme du lecteur, sinon toujours par voie claire et directe, du moins à la longue par mille sensations réelles et continues, comme il arriverait à la vue des ruines mêmes et sous l’influence du génie des lieux.

2310. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. LE COMTE MOLÉ (Réception à l’Académie.) » pp. 190-210

La seconde édition des Essais de Morale et de Politique (1809) contenait de plus une Vie de Mathieu Molé, où se mêlent avec convenance, à une manière nette et tout à fait saine, quelques traits d’imagination et de sentiment : « Pendant que Troie était en flammes, écrit l’auteur en commençant, peu de gens ont imité le pieux Énée ; pour moi, moins heureux que lui, je n’ai pu sauver mon père, mais je ne me suis jamais séparé de mes dieux domestiques. » Les dernières pages offrent quelque chose de méditatif, une sorte de reflet détourné, mais sensible, du jeune contemporain de René : « Au terme de sa carrière, dit-il de son grand-aïeul, on ne vit point se réveiller en lui ces regrets si ordinaires aux vieillards. […] Molé a parlé avec élévation et sentiment de la conduite de M. de Quélen durant le choléra, et de son sermon à Saint-Roch pour les orphelins de ce fléau : « Serait-il vrai, messieurs, qu’il y eût pour tous les hommes dont la vie mérite qu’on la raconte, un moment, une journée, où ils arrivent au plus haut qu’il leur soit donné d’atteindre, où ils sentent, au plus intime comme au plus profond de leur âme, une sainte estime d’eux-mêmes qui ne saurait être surpassée ? 

2311. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXe Entretien. Souvenirs de jeunesse. La marquise de Raigecourt »

Tous ses sentiments n’étaient que des vertus. […] II Dès qu’elle m’eut vu, elle conçut pour moi un sentiment qui était moins que l’amour, mais plus que l’amitié, une tendresse véritablement maternelle.

2312. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre 2. La littérature militante »

Ce parti, qui n’avait ni les armes ni le nombre, avait les lumières et le talent : il lutta par sa parole et par toute sorte d’écrits, s’efforça de gagner le sentiment national, de l’obliger à prendre conscience de soi-même et de ses pressants intérêts. […] Les partisans du roi y retrouvaient avec plaisir leurs sentiments : les ligueurs y trouvaient l’apologie de leur conversion ou achetée ou forcée.

2313. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre III. Trois ouvriers du classicisme »

Après 1660, un autre type prévaudra, en qui l’activité sentimentale sera développée au détriment de l’activité volontaire, et qui fera une place de plus en plus grande aux sentiments féminins. […] Car ce qu’il y avait au fond de cet esprit mondain sous les incohérences fantaisistes de la surface, c’était un sentiment très obscur et très fort du pouvoir de la raison : là-dessus s’appuyaient précisément la force du préjugé mondain et la tyrannie de la mode.

2314. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « La Religieuse de Toulouse, par M. Jules Janin. (2 vol. in-8º.) » pp. 103-120

Mais, chez les anciens aussi, il a ses antécédents et presque ses modèles ; il va les chercher, à ses instants de loisir, chez Apulée, chez Pétrone, chez Martial, et il a parlé d’eux tous avec le sentiment de quelqu’un qui les entend mieux que par la lettre et par le texte, qui en ressaisit l’essence et l’esprit, et qui est, à quelque degré, de leur descendance. […] On a une relation de ces moments suprêmes, écrite par l’une d’elles, et où respire un vif sentiment de l’innocence opprimée par l’injustice.

2315. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Qu’est-ce qu’un classique ? » pp. 38-55

Toutes les voix alors le dirent à Louis XIV avec flatterie, avec exagération et emphase, et cependant avec un certain sentiment de vérité. […] Ayons la sincérité et le naturel de nos propres pensées, de nos sentiments, cela se peut toujours ; joignons-y, ce qui est plus difficile, l’élévation, la direction, s’il se peut, vers quelque but haut placé ; et tout en parlant notre langue, en subissant les conditions des âges où nous sommes jetés et où nous puisons notre force comme nos défauts, demandons-nous de temps en temps, le front levé vers les collines et les yeux attachés aux groupes des mortels révérés : Que diraient-ils de nous ?

2316. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — II. (Suite.) » pp. 149-166

À cette époque, Franklin ne distinguait point entre ses deux patries ; il avait le sentiment des destinées croissantes et illimitées de la jeune Amérique ; il la voyait, du Saint-Laurent au Mississipi, peuplée de sujets anglais en moins d’un siècle ; mais, si le Canada restait à la France, ce développement de l’empire anglais en Amérique serait constamment tenu en échec, et les races indiennes trouveraient un puissant auxiliaire toujours prêt à les rallier en confédération et à les lancer sur les colonies. […] Pourtant, en fait de musique comme en tout, il est évident que Franklin n’aime que la partie simple ; il veut une musique toute conforme au sens des mots et du sentiment exprimé, et avec le moins de frais possible.

2317. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « L’abbé Barthélemy. — II. (Fin.) » pp. 206-223

En entendant ces nombres heureux et cette musique nouvelle unie à la couleur, on se rappelle le mot de Chênedollé, que « Chateaubriand est le seul écrivain en prose qui donne la sensation du vers ; d’autres ont eu un sentiment exquis de l’harmonie, mais c’est de l’harmonie oratoire : lui seul a une harmonie de poésie ». […] Il n’a pas ce sentiment vif de la vérité, cette ardeur parfois sèche et plus souvent féconde qui ne s’attache qu’à elle et rejette les faux ornements.

2318. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Th. Dostoïewski »

La vision des plus grises réalités est impitoyablement nette ; la force graphique du style en fait saillir aux yeux les ternes linéaments, — et à cette évidence se joint un sentiment du mystérieux, du spectral et de l’hallucinatoire, qui par un merveilleux alliage, infuse, au vrai, tout le noir effroi du rêve. […] Son intelligence n’était de force ni à obtenir cette victoire, ni à faire contrepoids en un équilibre indécis, à la violence de ses sentiments.

2319. (1912) L’art de lire « Chapitre IV. Les pièces de théâtre »

C’est à la lecture que l’on ne peut plus prendre la fausse monnaie pour la bonne, et des sonorités plus ou moins savantes pour une idée ou un sentiment. « Certains poètes sont sujets, dans le dramatique, à de longues suites de vers pompeux qui semblent fort élevés et remplis de grands sentiments.

2320. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Maurice Rollinat »

L’émotion qu’il avait causée était indéniable, c’était un fait comme un coup de marteau sur une enclume est un fait, mais on lui chicana la vérité intime du sentiment qui la produisait. […] Que cela plaise ou non à votre personne, à vos idées, à vos sentiments, à vos sensations, à votre éducation, à vos préjugés, l’homme que voici, l’inconnu d’hier qui s’appelle Rollinat et qui a écrit les Névroses, est-il puissant, oui ou non et quelle est la mesure de sa puissance ?

2321. (1903) Considérations sur quelques écoles poétiques contemporaines pp. 3-31

La rime doit être en rapport avec le sentiment exprimé. […] Elles ne s’écartent en rien du génie de notre race et tendent à donner un peu d’élasticité à des préceptes dont l’étroitesse ne peut que nuire à l’essor poétique, puisque la poésie est l’expression musicale et rythmée du sentiment et des idées.

2322. (1904) Le collier des jours. Souvenirs de ma vie

D’autres révélations de la vie vinrent compliquer ce sentiment et lui donnèrent bientôt une direction nouvelle. […] Et la petite lumière, qu’alluma l’éclosion brusque de ce sentiment nouveau, ne s’est jamais éteinte. […] Comme toujours le décor m’apparaît très précis, on dirait éclairé par la lueur du sentiment qui s’est produit là. […] La découverte de la nature m’absorba et m’enthousiasma tellement que tout autre sentiment fut submergé. […] Dans l’avenue même, le sentiment se modifiait.

2323. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXXVIII » pp. 158-163

. — Victor Hugo a trouvé d’éloquentes paroles sur la tombe de son rival, et lui-même il a eu le droit de rappeler avec sentiment le coup qui venait de le frapper30.

2324. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « En guise de préface »

Et, par malheur, comme il est grand dialecticien, il appuie ce sentiment d’excellentes raisons.

2325. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Chénier, André (1762-1794) »

Mais, dans Chénier, ce sentiment est toujours profane ; dans l’auteur que je lui compare, la passion terrestre est presque toujours épurée par l’amour divin.

2326. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Jean-Baptiste Guarini, et Jason de Nores. » pp. 130-138

Personne ne rend mieux le sentiment que Guarini.

2327. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre IV. De quelques poèmes français et étrangers. »

Cependant on y remarque quelques morceaux d’un sentiment vrai, et c’est sans doute ce qui avait adouci l’humeur du chantre de l’Art poétique.

2328. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre XI. Suite des machines poétiques. — Songe d’Énée. Songe d’Athalie. »

Telle est l’incohérence des pensées, des sentiments et des images d’un songe.

2329. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 5, que Platon ne bannit les poëtes de sa republique, qu’à cause de l’impression trop grande que leurs imitations peuvent faire » pp. 43-50

Or, suivant le sentiment de Platon, l’habitude de se livrer aux passions, même à ces passions artificielles, que la poësie excite, affoiblit en nous l’empire de l’ame spirituelle et nous dispose à nous laisser aller aux mouvemens de nos appetits.

2330. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Charles Barbara » pp. 183-188

Mais Charles Barbara, qui, je vous l’assure, est un homme, n’a pas craint de mettre son pied dans ce soulier éculé, rempli de sang, et, au lieu de barboter là-dedans comme un réaliste de 1855 ou un romantique de 1832, il nous a donné une étude superbe de vérité inattendue sur le remords dans les âmes fortes, — et, comme un chirurgien retire du fond d’une plaie des os brisés, des fragments de l’homme corporel il nous a retiré une conscience, les fragments d’une âme déchirée et mutilée par le crime… Jusqu’ici, la plupart des livres qui avaient peint le remords lui avaient fait pousser quelque cri sublime ou l’avaient peint accessoirement, de côté, le mêlant au torrent des autres sentiments de la vie.

2331. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Gabriel Ferry »

Chateaubriand, Bernardin de Saint-Pierre, avaient peint des coins de savanes, des bords de fleuves, des marines, derrière les personnages qui exprimaient avant tout, pour eux romanciers, les idées et les sentiments qu’il leur importait de creuser.

2332. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre ix »

Un monde d’idées nouvelles, ou plutôt de sentiments s’agitaient.

2333. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre V. Observations philosophiques devant servir à la découverte du véritable Homère » pp. 268-273

Dans ce travail de l’esprit, les peuples, qui à cette époque étaient pour ainsi dire tout corps sans réflexion, furent tout sentiment pour sentir les particularités, toute imagination pour les saisir et les agrandir, toute invention pour les rapporter aux genres que l’imagination avait créés (generi fantastici), enfin toute mémoire pour les retenir.

2334. (1885) Les étapes d’un naturaliste : impressions et critiques pp. -302

” « Il parlait posément, d’un beau timbre confiant et doux, sans aucun sentiment de ridicule. […] ” C’était aussi le sentiment d’Hortense, et elle s’exprimait avec sa nature expansive : “Oh ! […] Tous ces sentiments, que je ne fais ici qu’indiquer, le romancier les décrit à merveille, très finement, très délicatement. […] Trois grands sentiments dominent ce livre, et en ont inspiré les oasis littéraires : le patriotisme, la charité, le devoir. […] Quel admirable mélange de christianisme et de sentiments païens dans cette vieille et toujours neuve chanson !

2335. (1890) La bataille littéraire. Troisième série (1883-1886) pp. 1-343

Que de pages seraient à citer comme des chefs-d’œuvre de langue et de sentiment ! […] Le sentiment qui l’a dicté se retrouve sous toutes les formes à l’insu de l’écrivain. […] Chaque fois que ma mère exprimait ce sentiment, mon père secouait la tête avec incrédulité. […] Par désespoir, je ferme la lettre avec le sentiment de mettre à la poste quelque chose de pitoyable. […] L’opuscule sur ma sœur a été lu avec sympathie par quelques personnes animées pour elle et pour moi d’un sentiment bienveillant.

2336. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLIVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers » pp. 81-176

Ce genre d’histoire a son mérite quand il ne s’agit pour l’historien que de bien regarder et de bien faire voir les faits ; mais regarder ce n’est ni sentir ni juger : le regard n’est pas un sentiment, le regard n’est pas un jugement ; le regard n’est qu’une perception presque indifférente, et, s’il est permis de se servir d’une expression souvent citée depuis que M.  […] Avec l’intelligence seule il est une glace ; avec la pensée, le sentiment, la conscience, le jugement, il est un historien. […] Mais je suis certain que l’expérience n’a pas glacé en moi les sentiments généreux de ma jeunesse ; je suis certain d’aimer, comme je les aimais, la liberté et la gloire de la France. » La gloire, oui ! […] D’autres sentiments se mêlèrent à cette passion du retour pour altérer l’esprit de l’armée et y faire naître les plus fâcheuses dispositions. […] Cet avis rencontra néanmoins des contradicteurs ; quelques généraux, tels que Lanusse, Menou, Davout, Desaix surtout, osèrent montrer d’autres sentiments.

2337. (1879) À propos de « l’Assommoir »

Mais la maternité et la douleur lui ont rendu le sentiment du bien. […] Busnach, en dévorant le manuscrit, éprouva un sentiment d’admiration, d’enthousiasme, que, jusque-là, Les Misérables et Les Châtiments avaient seul excité en lui. […] Je n’avais pas attendu sa pitié méprisante pour dire mon sentiment, il y a bientôt dix ans, sur la littérature putride ; je suis presque confus, désappointé d’être si peu injurié. […] Que le drame soit bon ou mauvais, qu’il réussisse ou qu’il tombe, je n’en veux pas moins dire d’avance mon sentiment très net sur le livre d’où il est tiré. […] Il est tellement secoué de cette lubricité littéraire, que les sentiments naturels deviennent avec lui hideux, comme dans Une page d’amour ; qu’il ne peut décrire une poupée, une pauvre petite poupée d’enfant gisant à terre les jambes écartées, sans éveiller, sans chercher a éveiller aussitôt des idées sensuelles…..

2338. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « [Béranger] » pp. 333-338

Béranger, en 1830, et dans les années qui ont suivi, a peu ou point chanté, parce qu’il n’était qu’à demi satisfait alors dans ses sentiments de patriote.

2339. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « [Appendice] » pp. 417-422

J’allai dans cette forêt sombre, Douce retraite des amants, Et j’en aperçus un grand nombre Qui poussoient les beaux sentiments.

2340. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mort de M. Vinet »

Si nous avions besoin d’une autorité pour appuyer notre sentiment, nous ne craindrions pas d’invoquer celle même de M.

2341. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de madame du Hausset, femme de chambre de madame de Pompadour. »

Partout, autour d’eux, retentissaient des craintes confuses, a Ce royaume est « bien mal », disait un jour Mirabeau père, chez Quesnay, médecin du roi et de la favorite ; « il n’y a ni sentiments généreux ni argent. » —  « Il ne peut être régénéré, reprit La Rivière, que par une conquête comme  à la Chine, ou par un grand bouleversement intérieur ; mais malheur à ceux qui s’y trouveront, le peuple français n’y va pas de main morte ! 

2342. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de madame de Genlis sur le dix-huitième siècle et la Révolution française, depuis 1756 jusqu’à nos jours — III »

Élégant et facile, il semblait fait pour donner à son sexe d’utiles préceptes et d’agréables délassements, pour saisir quelques sentiments fugitifs du cœur, pour retracer quelques souvenirs d’une société évanouie.

2343. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires relatifs à la Révolution française. Le Vieux Cordelier, par Camille Desmoulins ; Les Causes secrètes ou 9 thermidor, par Villate ; Précis du 9 thermidor, par Ch.-A. Méda, Gendarme »

Ce regard du condamné vers les sentiments de famille est d’ailleurs à remarquer, en ce qu’il fut commun à plusieurs hommes de ce parti, à Danton, à Phélippeaux, ainsi qu’à Desmoulins.

2344. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. Tissot. Poésies érotiques avec une traduction des Baisers de Jean Second. »

Il eût donné plus de réalité à sa poésie, qui s’égare trop volontiers en vagues sentiments et en peintures générales ; son goût plus sûr lui aurait souvent fait aimer plus de simplicité ; du moins les éternelles redites du Dictionnaire des amants eussent-elles été davantage épargnées.

2345. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Les brimades. » pp. 208-214

Un secret et profond sentiment de vanité burlesque unit ici les tourmenteurs qui furent victimes l’an passé, et les victimes qui seront bourreaux l’année prochaine.

2346. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — J — Jammes, Francis (1868-1938) »

Paul Léautaud À écouter les poèmes contenus dans le volume : De l’Angélus de l’aube à l’Angélus du soir, poèmes dont la sincérité parfois touche à la naïveté et d’une notation directe souvent jusqu’au mot choquant, on respire un sentiment d’immense humilité devant la nature et de foi ingénue en Dieu.

2347. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Lemercier, Népomucène Louis (1771-1840) »

De Pongerville On reconnaîtra que Lemercier possédait une partie des éminentes qualités du grand écrivain, mais qu’il lui manquait le sentiment exquis, le gout qui en dirige l’emploi ; il méconnut trop souvent la précision harmonieuse du langage, la beauté des formes qui donnent la vie et la durée aux créations idéales.

2348. (1887) Discours et conférences « Discours prononcé à Tréguier »

Mais il y a une chose qu’on peut affirmer ; c’est la sincérité du cœur, c’est le dévouement au vrai et le sentiment des sacrifices qu’on a faits pour lui.

2349. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — Q. — article » pp. 572-580

D’après cette maniere austere de penser, que lui donnoit le sentiment de sa propre force, il avoit de la peine à regarder Quinault comme un grand Poëte, & en cela il étoit conséquent* ».

2350. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre V. Suite des précédents. — Héloïse et Abeilard. »

Après le morceau que nous avons cité, on lit ces vers : Chères sœurs, de mes fers compagnes innocentes Sous ces portiques saints, colombes gémissantes, Vous qui ne connoissez que ces faibles vertus Que la religion donne… et que je n’ai plus ; Vous qui, dans les langueurs d’un esprit monastique, Ignorez de l’amour l’empire tyrannique ; Vous, enfin, qui, n’ayant que Dieu seul pour amant, Aimez par habitude, et non par sentiment, Que vos cœurs sont heureux, puisqu’ils sont insensibles !

2351. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 44, que les poëmes dramatiques purgent les passions » pp. 435-443

Les écrivains qui ne veulent pas comprendre comment la tragédie purge les passions, alleguent pour justifier leur sentiment, que le but de la tragédie est de les exciter.

2352. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « Préface »

Quant aux principes sur lesquels elle s’appuie… pour clouer, — cette Critique, qui n’est, telle que nous la concevons, ni la Description, ni l’Analyse, ni la Nomenclature, ni la Sensation morbide ou bien portante, innocente ou dépravée, ni la Conscience de l’homme de goût, c’est-à-dire le plus souvent la conscience du sentiment des autres, toutes choses qu’on nous a données successivement pour la Critique, elle les exposera certainement dans leur généralité la plus précise, mais lorsque l’auteur des Œuvres et des Hommes arrivera à cette partie de son Inventaire intellectuel, intitulée : Les Juges jugés ou la Critique de la critique… Seulement d’ici-là, sans les formuler, ces principes auront rayonné assez dru dans tout ce qu’il aura écrit, pour qu’on ne puisse pas s’y tromper.

2353. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Méry »

Son Histoire de Constantinople est toute parfumée d’un catholicisme qui n’est pas du catholicisme littéraire, c’est à-dire un sentiment vague, énervé ou faux, dont l’expression plaque artificieusement une phrase artificielle.

2354. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre ii »

Nos soldats ont le cœur plein de sentiments qui font leur force et qu’ils veulent revivifier auprès de cœurs amis.

2355. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Renan — I »

Mais eût-il été maigre et d’humeur bougonne, qu’il avait un trop haut sentiment de sa tâche et de ses responsabilités pour s’accorder le plaisir de laver la tête à tous ceux qui ne l’ont pas propre.

2356. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Argument » pp. 93-99

 Les poètes théologiens ont été le sens (ou le sentiment), les philosophes ont été l’intelligence de l’humanité.

2357. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre premier. Sujet de ce livre » pp. 101-107

En conséquence la métaphysique doit essentiellement travailler au bonheur du genre humain dont la conservation tient au sentiment universel qu’ont tous les hommes d’une divinité douce de providence.

2358. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Charles Magnin ou un érudit écrivain. »

Rien ne rend mieux le surcroît et le tumulte de sentiments qu’éprouvait sincèrement alors toute une jeunesse espérante et enthousiaste, de celle même qui n’avait pas de parti pris et qui n’était pas enrôlée. […] Le premier il a introduit dans ces matières d’apparence ingrate le sentiment du goût et une critique déliée, avisée, exacte et légère. […] Lenient, étant amené à s’expliquer sur l’idée de la mort et du diable, si dominante durant tout le Moyen-Age, il ne paraît pas fâché de rencontrer, répandu alors dans toute la chrétienté, le « sentiment, dit-il, de cette continuelle et salutaire menace. » Ce n’est qu’un simple trait qu’on ne remarquerait pas, si l’on n’était averti.

2359. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Quelques documents inédits sur André Chénier »

Il eût insisté sur les langues, sur les mots : « rapides Protées, dit-il, ils revêtent la teinture de tous nos sentiments. […] Il voulait introduire le génie antique, le génie grec, dans la poésie française, sur des idées ou des sentiments modernes : tel fut son vœu constant, son but réfléchi ; tout l’atteste. […] Il disait encore dans ce même exquis sentiment de la diction poétique : « La huitième épigramme de Théocrite est belle (Épitaphe de Cléonice) ; elle finit ainsi : Malheureux Cléonice, sous le propre coucher des Pléiades, cum Pleiadibus, occidisti.

2360. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXIXe entretien. De la littérature de l’âme. Journal intime d’une jeune personne. Mlle de Guérin (2e partie) » pp. 321-384

Cela prouve que les enfants ont le sentiment du beau, et que par les œuvres de Dieu il est facile de leur inspirer la foi et l’amour. […] « Il fut un temps où cela m’aurait effrayée ; à présent, je ne sais pas comment je trouve tout naturel de mourir ; cercueils, morts, tombes, cimetières, ne me donnent que des sentiments de foi, ne font que reporter mon âme là-haut. […] On assiste par ce journal à cette permanence du sentiment.

2361. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIVe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

XLV Satisfait d’avoir protesté par ses actes au sentiment public, Chateaubriand reprit sa vie studieuse, et continua d’écrire des articles pour le Mercure. […] Ses premiers exils en Amérique, son émigration, ses misères, même en Angleterre, avaient été subis sous l’influence des sentiments chrétiens ; les grands spectacles de la solitude, du ciel, de la mer, des forêts, des fleuves, des cascades, qui l’avaient frappé dans son voyage, étaient empreints de cette couleur ; il les avait reflétés dans Atala et dans René, ses premières ébauches ; il avait pensé, il avait rêvé en chrétien ; sa haine même, si naturelle, contre les persécutions et les martyres des croyances de sa jeunesse leur avait donné quelque chose de tendre comme les souvenirs de la demeure paternelle, de sacré comme le foyer de ses pères ; tout son cœur et toute son imagination étaient restés ainsi de la religion du Christ. […] « Mettez sur le compte de mon exactitude ce qui est l’effet de mes sentiments, c’est votre coutume d’être injuste.

2362. (1914) Enquête : Les prix littéraires (Les Marges)

Les dames de la Vie heureuse ne sont pas insensibles au sentiment de la famille, aux amitiés, aux relations, etc… et se sont bien déshonorées en 1912. […] Voilà mon sentiment sincère, et — je crois bien — celui de tous ceux qui voient dans l’Art autre chose qu’un outil d’arrivisme. […] Il faudrait cependant venir, en effet, en aide aux jeunes écrivains puisque, moins renseignés et moins audacieux que d’autres groupements, moins pénétrés d’un noble sentiment de solidarité, ils n’ont pas encore su jusqu’à présent s’aider eux-mêmes.

2363. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 février 1885. »

Toutes les fois que j’ai cherché à m’analyser à moi-même l’extraordinaire intensité de plénitude qui me venait des drames de Wagner, en dépit de leurs visées métaphysiques, je suis arrivé à cette conclusion : c’est que, chez Wagner, l’amour de la vie et le sentiment de la réalité sont antérieurs et restent supérieurs à toute spéculation cérébrale. […] Il ne lui servirait de rien que ces épisodes parasites fussent d’exactes paraphrases de sentiments humains. […] On doit en conclure, ce me semble, qu’il possède, cette rare intensité du sentiment, cette ardeur intérieure, cette puissance de volonté, cette foi qui subjuguent, émeuvent et entraînent. » Et il termine son article par le fameux serment : « Si telle est cette religion (« le beau est horrible, l’horrible est beau ») je suis fort loin de la professer ; je n’en ai jamais été, je n’en suis pas, je n’en serai jamais… Je lève la main, et je le jure : Non credo ! 

2364. (1881) La psychologie anglaise contemporaine «  M. Georges Lewes — Chapitre II : La Psychologie »

C’est parce que notre respect pour la nature n’a pas été bien cultivé ; parce que notre familiarité avec les phénomènes inorganiques a émoussé en nous le sentiment de leur ineffable mystère. […] Une action peut être sensationnelle, sans produire ce sentiment secondaire, ordinairement appelé « conscience » ; et en ce sens on pourrait même dire que la pensée est inconsciente ; bien plus, que les sensations même le sont. […] Car c’est une loi de la sensibilité que toute sensation doit se décharger, soit en une action réflexe, soit en un sentiment réflexe, soit dans les deux.

2365. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre IX. Le trottoir du Boul’ Mich’ »

Auguste Dorchain, qu’on vous attribue « le fini du travail et l’infini du sentiment ». […] Ni pensée, ni sentiment. […] Il veut Peindre des sentiments que nul ne pense avoir, Raffiner sa couleur et compliquer sa tâche.

2366. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — CHAPITRE VI »

Il aime cette femme si indigne d’un sentiment sérieux et profond, au point de donner sa démission pour rester près d’elle, quand son régiment part pour le Mexique. […] Malheur à qui tombe dans ses froides mains, à qui lui demande ce qu’elle ne peut rendre, un sentiment vrai et sincère ! […] Augier excelle à faire retentir les sentiments généreux.

2367. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Romans et nouvelles » pp. 3-80

Il ne me paraît pas qu’elle soit morte ; j’ai seulement d’elle le sentiment d’une personne disparue. […] En 1877, ces libertés et ces franchises, je viens seul, et une dernière fois peut-être, les réclamer hautement et bravement pour ce nouveau livre, écrit dans le même sentiment de curiosité intellectuelle et de commisération pour les misères humaines. […] D’aventures, il est bien entendu que je n’en ai nul besoin ; mais les impressions de petite fille et de toute petite fille, mais des détails sur l’éveil simultané de l’intelligence et de la coquetterie, mais des confidences sur l’être nouveau créé chez l’adolescente par la première communion, mais des aveux sur les perversions de la musique, mais des épanchements sur les sensations d’une jeune fille, les premières fois qu’elle va dans le monde, mais des analyses d’un sentiment dans de l’amour qui s’ignore, mais le dévoilement d’émotions délicates et de pudeurs raffinées, enfin, toute l’inconnue féminilité du tréfonds de la femme, que les maris et même les amants passent leur vie à ignorer… voilà ce que je demande.

2368. (1857) Cours familier de littérature. III « XVe entretien. Épisode » pp. 161-239

Vous savez que moi je ne néglige pas ces amitiés, et que de la loge du dogue de basse-cour à l’étable du chevrier, et de l’étable au mur du jardin où je m’assieds au soleil, connu des souris d’espalier, des belettes au museau flaireur, des rainettes à la voix d’argent, ces clochettes du troupeau souterrain, et des lézards, ces curieux aux fenêtres qui sortent la tête de toutes les fentes, j’ai des relations et des sentiments partout. […] Le vent du midi avait redoublé d’haleine à mesure que le soleil était monté sous le ciel ; il avait pris les bouffées et les rafales d’une tempête sèche ; depuis que le soleil avait commencé à redescendre vers le couchant, il avait balayé comme un cristal le firmament ; il faisait rendre aux bois, aux rochers, et même aux herbes, des harmonies qui semblaient mêlées de notes joyeuses et de notes tristes, d’embrassements et d’adieux, de terreur et d’enthousiasme ; il amoncelait en tourbillons les feuilles mortes, et puis il les laissait retomber et dormir en monceaux miroitants au soleil : ce vent avait dans les haleines des caresses, des tiédeurs, des sentiments, des mélancolies et des parfums qui dilataient la poitrine, qui enivraient les oreilles, qui faisaient boire par tous les pores la force, la vie, la jeunesse d’un incorruptible élément. […] Maintenant plus qu’octogénaire, il paraissait tout à fait aveugle, car il tenait une de ses mains en entonnoir sur ses yeux fixés vers le soleil, comme pour y concentrer quelque sentiment de ses rayons ; de l’autre main il palpait une à une les pierres amoncelées du petit mur à hauteur d’appui qui bordait le sentier, comme pour reconnaître la place où il se trouvait sur le chemin.

2369. (1913) La Fontaine « VI. Ses petits poèmes  son théâtre. »

Malc à ces sentiments donnait un jour des pleurs : Les larmes qu’il versait faisaient courber les fleurs. […] Il s’est imaginé, pour connaître les vrais sentiments de sa pupille  car les sentiments des jeunes filles sont toujours inconnus  il s’est imaginé de la faire converser avec un sien cousin dans lequel il a de la confiance.

2370. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Ernest Feydeau » pp. 106-143

Il a oublié que partout où le sentiment baisse, le paganisme, qui n’est pas de l’histoire et de l’archéologie, mais bel et bien de la nature humaine éternelle, le paganisme remontait ! […] C’est que nous ne nous intéressons profondément qu’aux êtres le plus loin de nous dans la vie, non par la position extérieure, mais par l’intimité des sentiments, par la vertu ou par le vice. […] Autrement, il serait trop facile de toucher avec des sentiments maternels !

2371. (1898) Introduction aux études historiques pp. 17-281

Personne ne songerait à chercher les vrais sentiments d’un homme dans les assurances de respect qu’il écrit à la fin de ses lettres. […] C’est un état interne qu’on ne peut voir, un sentiment, un motif, une hésitation intérieure. […] est-il contraire à l’intérêt, à la vanité, aux sentiments, aux goûts littéraires de l’auteur ou de son groupe ? […] Ce sont les faits psychiques (vulgairement appelés sentiments et idées). […] Nous n’avons vu aucune troupe semblable aux guerriers francs ni ressenti personnellement les sentiments de Clovis partant en guerre contre les Wisigoths.

2372. (1896) Le livre des masques

Vielé-Griffin n’a usé que discrètement de la poésie populaire — cette poésie de si peu d’art qu’elle semble incréée — mais il eût été moins discret qu’il n’en eût pas mésusé, car il en a le sentiment et le respect. […] Quant au présent livre, il est ingénieux et original, érudit et délicat, révélateur d’une belle intelligence : cela semble la condensation de toute une jeunesse d’étude, de rêve et de sentiment, d’une jeunesse repliée et peureuse. […] Chaque époque de pensée, d’art et de sentiment devrait jouir de soi-même, profondément, et se coucher sur le monde avec l’égoïsme et la langueur d’un lac superbe qui, souriant aux ruisseaux anciens, les reçoit, les calme, et les boit. […] Le procédé inverse est plus conforme au vieux goût des hommes de prêter aux choses de vagues sentiments et une obscure conscience ; il reste fidèle à la tradition panthéiste et animiste, sans laquelle il n’y aurait de possible ni art ni poésie : c’est la profonde source ou viennent se remplir toutes les autres, eau pure que le moindre soleil transforme en pierreries vivantes comme les colliers des fées. […] Ce poème de xxiv feuillets est sans doute le plus délicieux livret de vers d’amour qui nous fut donné depuis les Fêtes Galantes et avec les Chansons d’amant les seuls vers peut-être de ces dernières années où le sentiment ose s’avouer en toute candeur, avec la grâce parfaite et touchante de la divine sincérité.

2373. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre II. Les directions divergentes de l’évolution de la vie. Torpeur, intelligence, instinct. »

Des sentiments nouveaux sont en voie d’éclore. […] La plante, comme nous le verrons, a des instincts : il est douteux que ces instincts s’accompagnent chez elle de sentiment. […] L’inconscience d’une pierre qui tombe est une conscience nulle : la pierre n’a aucun, sentiment de sa chute. […] Ce sentiment de vulnérabilité pourrait ne rien devoir à la perception extérieure, et résulter de la seule mise en présence du Sphex et de la Chenille, considérés non plus comme deux organismes, mais comme deux activités. […] Dans des phénomènes de sentiment, dans des sympathies et des antipathies irréfléchies, nous expérimentons en nous-mêmes, sous une forme bien plus vague, et trop pénétrée aussi d’intelligence, quelque chose de ce qui doit se passer dans la conscience d’un insecte agissant par instinct.

2374. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIe entretien. Cicéron » pp. 81-159

Tel était le sentiment qu’inspirait le jeune Cicéron aux enfants d’Arpinum. […] … Vous me reprochez le sentiment et la plainte de mes maux. […] Le temps diminue le sentiment des autres malheurs ; mais les miens sont de telle nature qu’ils s’aggravent continuellement par le sentiment de la misère présente comparée avec la félicité perdue !

2375. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIe entretien. Balzac et ses œuvres (1re partie) » pp. 273-352

Balzac était digne de se comprendre ainsi lui-même et de se mesurer tout entier devant Dieu et devant sa sœur en 1820 ; il avait tout en lui : grandeur de génie et grandeur morale, immense aristocratie de talent, immense variété d’aptitudes, universalité de sentiment de soi-même, exquise délicatesse d’impressions, bonté de femme, vertu mâle dans l’imagination, rêves d’un dieu toujours prêts à décevoir l’homme…… tout enfin, excepté la proportion de l’idéal au réel ! […] Un peintre aurait pu étudier sur ce visage si mobile les expressions de tous les sentiments : joie, peine, énergie, découragement, ironie, espérances ou déceptions, il reflétait toutes les situations de l’âme. […] « Ces yeux interrogeaient et répondaient sans le secours de la parole, voyaient les idées, les sentiments, et lançaient des jets qui semblaient sortir d’un foyer intérieur et renvoyer au jour la lumière au lieu de la recevoir. […] Cet état de choses tourna au profit de l’affection fraternelle ; ce fut certainement le premier sentiment qui s’épanouit et fleurit dans son cœur.

2376. (1890) L’avenir de la science « XVII » p. 357

Aussi bien, c’est la grande objection que l’on répète sans cesse contre le rationalisme ; j’éprouve le besoin de dire mon sentiment sur ce point. […] Je conçois idéalement un révolutionnaire vertueux, qui agirait révolutionnairement par le sentiment du devoir et en vue du bien calculé de l’humanité, de telle sorte que les circonstances seules seraient coupables de ses violences. […] Si l’on entend par humilité le peu de cas que l’homme ferait de sa nature, la petite estime dans laquelle il tiendrait sa condition, je refuse complètement à un tel sentiment le titre de vertu, et je reproche au christianisme d’avoir parfois pris la chose de cette manière. […] Pouvons-nous concevoir le sentiment des artisans, des cultivateurs de l’Attique devant ces monuments qui leur appartenaient, qu’ils comprenaient, qui étaient bien réellement l’expression de leur pensée ?

2377. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1857 » pp. 163-222

On s’apprend les mariages et les morts, et l’on vous gronde doucement d’avoir oublié d’anciens amis… Et nous voilà dans la maison du docteur Fleury, causant avec Banville, quand tombe dans notre conversation le vieux dieu du drame, le vieux Frédérick Lemaître… Dans tout cela, par tous ces chemins, en toutes ces rencontres, dans ce que le hasard fait repasser devant nous de notre vie morte, dans ces revenez-y de notre jeunesse qui semble nous promettre une vie nouvelle, nous roulons, écoutant et regardant tout comme un présage, tantôt bon, tantôt mauvais, pleins de pensées qui se heurtent autour d’une idée fixe, prêtant aux choses un sentiment de notre fébrilité et croyant, dans un air d’orgue qui passe, entendre l’ouverture de notre pièce. […] Il me semblait que vous étiez de ceux à qui la mémoire de mon ami ne pouvait inspirer que des sentiments de respect et d’émotion. […] Mercredi, 22 septembre 86. » À la réception de cette lettre, mon premier mouvement a été d’enlever la note sur ces lignes amies qui me semblaient dictées par un sentiment pareil que j’éprouverais à sentir la mémoire de mon frère égratignée ; mais, en réfléchissant, j’ai trouvé la prétention énorme, et j’ai pensé qu’il n’y aurait plus de mémoires possibles, s’il n’était pas permis au faiseur de mémoires de faire les portraits physiques des gens qu’il dépeint, d’après son optique personnelle — qu’elle soit juste ou injuste. […] Je ne nomme pas l’auteur, parce que j’aime beaucoup son talent et sa personne, et que je crois maintenant ce double sentiment partagé par lui à mon égard.

2378. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1869 » pp. 253-317

Pas d’émotion, une fois l’action engagée, mais avant, par exemple, aux premiers coups de fusil qui se tirent sur les lignes d’un camp, quand on est couché encore, alors un sentiment de compression de la poitrine, avec, au fond de soi, une sorte de tristesse. […] … C’est singulier, comme je suis contente de m’en aller de tous ces endroits-là… Je ne suis pas à mon aise à la cour… Là, les sentiments, la langue sont différents… Je ne peux pas m’expliquer cela… Mais je me sens une tout autre personne, et je suis pressée de revenir à moi et à mon chez moi. » 6 septembre Bar-sur-Seine. Le profond sentiment de tristesse qu’on éprouve à revoir ces bords de la Seine, qu’on a vus plein de santé et de force productive, à repasser dans ces sentiers, le pas traînant, sans que la nature parle au littérateur qui est en vous ! […] Nous n’avons obéi à aucun petit et misérable sentiment dans ce portrait, ayant bien certainement plutôt à nous louer qu’à nous plaindre du critique ; nous avons été tout bonnement mordus par ce désir d’analyste, de pousser à fond la psychologie d’une individualité très complexe, ainsi qu’un naturaliste, amoureux de sa science, disséquerait et redisséquerait un animal, dont l’anatomie lui semblerait avoir été incomplètement ou mal définie par ses confrères.

2379. (1856) Cours familier de littérature. II « VIIe entretien » pp. 5-85

Cela est moins douteux encore quand on songe que Turin, Milan, Gênes, Parme, Plaisance, Bologne, Venise, Florence, Livourne, Rome, Naples, la Calabre et la Sicile avaient déjà couru avec plus ou moins de patriotisme aux armes ; que ce mouvement militaire encore hésitant dans un pays déshabitué des armes se serait accru, multiplié, organisé sous le flanc droit de l’armée française, et que l’Italie, en six mois, n’aurait été qu’une forêt de baïonnettes inhabiles peut-être, mais héroïques comme le sentiment qui armait ses milices. […] Il suffit qu’un sentiment souffle dans les âmes pour que tout y résonne ! […] Il était déjà mort, comme meurent tous les sentiments prématurés de l’enfance ; mais enfin je lui devais mon exil en Italie. […] Pour la première fois de ma vie, j’eus le sentiment de la gloire, et je crus que la vie entière était assez bien employée à mériter un tel tombeau.

2380. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXe entretien. Dante. Deuxième partie » pp. 81-160

III « Le jour se retirait », chante le poète au commencement du second chant, « et l’air rembruni enlevait au sentiment de leur peine tous les êtres animés qui sont sur la terre, quand, seul éveillé, je me préparais à soutenir la double épreuve de la lassitude et de la compassion, épreuves que va retracer ma mémoire, qui ne défaillit jamais !  […] VII Sapho, dans sa strophe de feu, n’a rien de plus incendiaire que ces deux amants seuls avec ce livre complice qui interprète leur silence, que ce baiser involontaire qui les égare, et enfin que ce supplice changé en félicité amère par le souvenir de leur séparation sur la terre et par le sentiment de leur indivisibilité dans le châtiment. […] Le tyran qui les épie à leur insu, et qui, les perçant à la fois du même glaive, confond dans un même ruisseau leur sang sur la terre et dans un même soupir leur première et leur dernière respiration d’amour ; Le ciel qui les châtie avec une sévérité morale, mais avec un reste de divine compassion, dans un autre monde, et qui leur laisse au moins, à travers leur expiation rigoureuse, l’éternelle consolation de ne faire qu’un dans la douleur, comme ils n’ont fait qu’un dans la faute ; La pitié du poète ému qui les interroge et qui les envie (on le reconnaît à son accent) tout en les plaignant ; Le principal coupable, l’amant, qui se tait, qui sanglote de honte et de douleur d’avoir causé la mort et la damnation de celle qu’il a perdue par trop d’amour ; la femme qui répond et qui raconte seule pour tous les deux, en prenant tout sur elle, par cette supériorité d’amour et de dévouement qui est l’héroïsme de la femme dans la passion ; Le récit lui-même, qui est simple, court, naïf comme la confession de deux enfants ; Le cri de vengeance qui éclate à la fin de ce cœur d’amante contre ce Caïn qui a frappé dans ses bras celui qu’elle aime ; Cette tendre délicatesse de sentiment avec laquelle Francesca s’abstient de prononcer directement le nom de son amant, de peur de le faire rougir devant ces deux étrangers, ou de peur que ce nom trop cher ne fasse éclater en sanglots son propre cœur à elle si elle le prononce, disant toujours lui, celui-ci, celui dont mon âme ne sera jamais « désunie » ; Enfin la nature du supplice lui-même, qui emporte dans un tourbillon glacé de vent les deux coupables, mais qui les emporte encore enlacés dans les bras l’un de l’autre, se faisant l’amère et éternelle confidence de leur repentir, buvant leurs larmes, mais y retrouvant au fond quelque arrière-goutte de leur joie ici-bas, flottant dans le froid et dans les ténèbres, mais se complaisant encore à parler de leur passé, et laissant le lecteur indécis si un tel enfer ne vaut pas le ciel… Quoi de plus dans un récit d’amour ? […] La sainteté de l’âme béatifiée, le ressentiment amoureux de la femme, la honte silencieuse de l’amant infidèle, la foi du chrétien repentant, la joie du poète qui retrouve sa jeunesse, son innocence et sa vertu dans la première créature qu’il a aimée, y sont fondus dans une telle harmonie de couleurs, de sentiments, de remords, de joie, de larmes, d’adoration, qu’ils rendent à la fois le drame aussi divin qu’humain dans l’âme des deux amants sur les confins des deux mondes.

2381. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre III. De la survivance des images. La mémoire et l’esprit »

Il semble donc bien que nous ne débutions ni par la perception de l’individu ni par la conception du genre, mais par une connaissance intermédiaire, par un sentiment confus de qualité marquante ou de ressemblance : ce sentiment, également éloigné de la généralité pleinement conçue et de l’individualité nettement perçue, les engendre l’une et l’autre par voie de dissociation. […] Qu’on lise les descriptions données par certains fous de leur maladie naissante : on verra qu’ils éprouvent souvent un sentiment d’étrangeté ou, comme ils disent, de « non-réalité », comme si les choses perçues perdaient pour eux de leur relief et de leur solidité 88. Si nos analyses sont exactes, le sentiment concret que nous avons de la réalité présente consisterait en effet dans la conscience que nous prenons des mouvements effectifs par lesquels notre organisme répond naturellement aux excitations ; — de sorte que là où les relations se détendent ou se gâtent entre sensations et mouvements, le sens du réel s’affaiblit ou disparaît 89.

2382. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — III. (Suite et fin.) » pp. 454-472

 » Un sentiment élevé et délicat s’y mêlait, ce charme intérieur attaché à l’étude toute désintéressée des lettres et dont nul n’a joui plus que lui. […] C’est cette mesure de sentiments qui règne dans ces derniers chapitres et qui constitue en quelque sorte l’esprit de son Histoire.

2383. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Bossuet. Lettres sur Bossuet à un homme d’État, par M. Poujoulat, 1854. — Portrait de Bossuet, par M. de Lamartine, dans Le Civilisateur, 1854. — II. (Fin.) » pp. 198-216

Ainsi, prêchant devant la reine mère en 1658 ou 1659 le Panégyrique de sainte Thérèse, Bossuet, excité peut-être par les recherches de style de la sainte espagnole, et développant à plaisir un passage de Tertullien qui dit que Jésus, avant de mourir, voulut se rassasier par la volupté de la patience, ne craindra pas d’ajouter : Ne diriez-vous pas, chrétiens, que, selon le sentiment de ce Père, toute la vie du Sauveur était un festin dont tous les mets étaient des tourments ? […] À l’honneur et non à la honte du temps, le goût et le sentiment public se rendirent compte de la différence.

2384. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Agrippa d’Aubigné. — I. » pp. 312-329

Tel est le sentiment qui anime d’Aubigné prenant la plume de l’historien. […] Vous, monsieur, n’avez pas moins de sentiment, mais plus de force à le cacher.

2385. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — III. (Fin.) » pp. 479-496

On sent tout ce qu’a d’original ce double sentiment, exprimé ici, du peintre et du savant, de l’observateur et de l’amant de la nature. L’Oberman de Senancour dans ses voyages aux Alpes sera capable de former un tel vœu, mais il ne le formera que comme rêveur et pour avoir une sensation neuve, extatique, trop stérile : ici Ramond, tout en rêvant et en jouissant des âpres saveurs d’un tel spectacle, entend bien avoir le baromètre en main, peser, mesurer, calculer, faire son office enfin de disciple de Galilée et d’Empédocle, et c’est ce mélange, cette combinaison en lui du physicien et du savant avec le disciple de Jean-Jacques qui a de quoi se faire admirer, et dont le sentiment est si grandement rendu.

2386. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Préface pour les Maximes de La Rochefoucauld, (Édition elzévirienne de P. Jannet) 1853. » pp. 404-421

Indépendamment de ses Maximes, on a de lui des Réflexions diverses, qui y tiennent de près, mais qui portent moins sur le fond des sentiments que sur la manière d’être en société. […] Dans l’habitude de la vie, il fuyait le fracas du sentiment.

2387. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Madame Bovary par M. Gustave Flaubert. » pp. 346-363

Je sais que jusqu’en ces endroits les plus risqués et les plus osés le sentiment chez M.  […] Au moment même où le père Rouault, arrivé tout exprès, vient d’enterrer sa fille, au milieu de sa douleur désespérée il a un mot de paysan, grotesque et sublime de naturel : chaque année il envoyait à Charles Bovary une dinde en souvenir de sa jambe remise ; en le quittant les larmes aux yeux, il lui dit pour dernier mot de sentiment : « N’ayez peur, vous recevrez toujours votre dinde. » Tout en me rendant bien compte du parti pris qui est la méthode même et qui constitue l’art poétique de l’auteur, un reproche que je fais à son livre, c’est que le bien est trop absent ; pas un personnage ne le représente.

2388. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Mémoires de Mme Elliot sur la Révolution française, traduits de l’anglais par M. le comte de Baillon » pp. 190-206

Attachée au duc d’Orléans par une amitié qui survivait à un premier sentiment déjà entièrement éteint, elle nous montre d’abord la Révolution presque uniquement par ce côté du Palais-Royal et de Monceaux. […] Mme Elliott n’hésita point et rentra dans Paris au jour et à l’heure même où tous eussent voulu s’en échapper ; femme timide, mais enhardie par un sentiment d’humanité, elle se replongea bravement dans la gueule du monstre et en pleine fournaise.

2389. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Les Caractères de La Bruyère. Par M. Adrien Destailleur. »

On conjecture que, né dans un village près de Dourdan, il fut élevé à la campagne ; car il garda toujours de la nature une impression vive qu’il a exprimée avec bonheur, et il porte à l’homme des champs, pour l’avoir vu de près à la peine, un sentiment de compassion et d’humanité qu’il a rendu d’une manière poignante. […] Je ne vois guère que deux points où son bon sens si ferme se trouve en défaut : la révocation de l’Édit de Nantes, qu’il a louée comme l’a fait presque tout son siècle (mais peut-être, de sa part, était-ce une pure concession politique), et le détrônement de Jacques II ; en ce dernier cas il a certainement obéi à une indignation généreuse et à un sentiment de pitié.

2390. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Des prochaines élections de l’Académie. »

Je devrais peut-être éviter de rencontrer désormais son nom sous ma plume ; mais je n’éprouve, à son égard, aucune rancune personnelle, et je puis dire mon sentiment avec impartialité. […] C’est un faible qui tient à d’honorables sentiments.

2391. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Lettres inédites de Jean Racine et de Louis Racine, (précédées de Notices) » pp. 56-75

Ses Poésies sacrées sont pleines de pensées, de sentiment et d’onction. […] Racine avait une autre sœur encore dont l’abbé de La Roque ne parle pas, qui se fit religieuse à Port-Royal, la sœur Marie de Sainte-Geneviève Racine, de laquelle on ne dit rien sinon qu’elle mourut dans de grands sentiments de piété.

2392. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français »

Il y a eu incontestablement en ces siècles reculés une première époque assez simple et sévère, fervente, se suffisant à elle-même, et dont on peut retrouver à certain degré le sentiment, l’esprit d’édification et d’adoration, en se replaçant par la pensée en présence de cette liturgie vivante, à distance respectueuse de l’autel, au vrai point de vue des fidèles d’alors et des célébrants. […] Le meilleur endroit de la pièce est le dialogue entre Ève et Satan ; et en général, dans cet Adam primitif, il y a le sentiment du dialogue, assez de rapidité, de brièveté : « Je vais cherchant ton profit, ton honneur, dit Satan. — Ève : Que Dieu le donne !

2393. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Mémoire de Foucault. Intendant sous Louis XIV »

Dans un voyage et séjour de cinq mois à Paris, pendant lequel il alla prendre souvent l’air de Versailles, il commença par se bien pénétrer des intentions du roi et de ses désirs ; il exposa à Louis XIV, dans une audience particulière, et lui fit agréer toute la partie ostensible et séduisante de son plan ; il ne parla que de l’amour, de la vénération des Béarnais pour la mémoire de Henri IV, sentiments qui avaient passé à son petit-fils. […] A ces odieux, procédés, il mêle parfois des airs d’honnête homme, des semblants de sentiment ; il joue le bon apôtre : « Le sieur d’Audrehon, ministre de Lembeye, m’étant venu voir ; me dit qu’il sentait de grands mouvements dans son cœur pour embrasser la religion catholique ; mais qu’il avait encore besoin d’un, mois pour prendre sa résolution ; sur quoi, l’ayant fait entrer dans la chapelle du château de Pau, où M. l’évêque d’Oléron recevait l’abjuration d’un ancien avocat de Pau et où il y avait beaucoup de monde, je lui demandai s’il ne sentait rien dans son cœur qui le sollicitât, à la vue de son véritable pasteur, de s’aller jeter entre ses bras.

2394. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid. »

Pensez-y, belle Marquise : Quoiqu’un grison fasse effroi, Il vaut bien qu’on le courtise Quand il est fait comme moi. » Il semble, après la lecture de ces vers si naturels, si francs, si bien dans le ton et dans le tour des sentiments de Corneille, qu’il n’y ait plus qu’une question à se faire : c’est de se demander quelle est cette marquise. […] j’ai souvent ouvert, avec la meilleure volonté du monde, Corneille, Racine et Boileau, et je sens tout ce qu’ils ont de talent ; mais je ne puis en soutenir la lecture, et il me paraît évident qu’une partie des sentiments les plus profonds qu’éveille la poésie est restée lettre close pour ces auteurs56… » L’aveu est assez clair.

2395. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « La reine Marie Legkzinska »

Je lui répondis : « Je crois, Madame, le cœur du roi bien éloigné de ce qu’on appelle amour : vous n’êtes pas de même à son égard ; mais, croyez-moi, ne laissez pas trop éclater votre passion : qu’on ne s’aperçoive pas que vous craignez de la diminution dans ses sentiments, de peur que tant de beaux yeux qui le lorgnent continuellement ne mettent tout en jeu pour profiter de son changement. […] Villars, tout vieux qu’il est, nous rend bien ce sentiment de maussaderie et de fatigue que chacun éprouvait alors, et dont on s’est trop revanché plus tard.

2396. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Maurice comte de Saxe et Marie-Josèphe de Saxe, dauphine de France. (Suite) »

La princesse, fort jeune, blonde avec de grands yeux bleus, vifs et doux en même temps, avait la physionomie très spirituelle, le caractère excellent, une très bonne éducation et des principes, des sentiments de piété comme il convenait dans une alliance avec le dauphin, personnage si religieux. […] Mais j’en reviens là, Sire, n’admettez aucun délai ni aucune difficulté ; on ne veut pas vous lier les mains, mais on veut espérer… » Ce sont là de bons, de justes et même de sages et raisonnables sentiments.

2397. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Observations sur l’orthographe française, par M. Ambroise »

Et, par exemple, si je veux définir la manière de tel historien moderne qui, à force de dramatiser l’histoire, l’a énervée ; qui, en peignant les hommes de la Révolution, les a décrits dans un détail minutieux et impossible, comme Balzac fait pour ses héros de roman ; si, parlant de cet historien, je dis : « L… (Lamartine), dans son Histoire de la Révolution et dans les scènes qu’il y retrace, ne se contente pas d’exciter les sentiments de pitié ou d’indignation, il ébranle les nerfs ; il ne se contente pas d’émouvoir, il veut émotionner » ; — eh bien ! […] Fénelon, qui ne fut de l’Académie qui ; bien après Bossuet, et trop tard pour participer au travail du premier Dictionnaire, a donné, on le sait, d’excellents préceptes pour les occupations de la Compagnie, indépendamment de cette obligation principale et perpétuelle du Dictionnaire ; il lui a en quelque sorte taillé sa tâche : et avec quelle largeur, quel sentiment vif de la tradition, et aussi quelle intelligence présente du lendemain !

2398. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

Dans toutes les parties de l’Amérique que j’ai parcourues, je n’ai pas trouvé un seul Anglais qui ne se trouvât Américain, pas un seul Français qui ne se trouvât étranger. » Après l’inclination et l’habitude, il relève l’intérêt, cet autre mobile tout-puissant, surtout dans un pays nouveau où « la grande affaire est incontestablement d’accroître sa fortune. » Et comment ne seraient-elles point encore de Talleyrand ces réflexions morales si justement conques, exprimées si nettement, sur l’égalité et la multiplicité des cultes, dont il a été témoin, sur cet esprit de religion qui, bien que sincère, est surtout un sentiment d’habitude et qui se neutralise dans ses diversités mêmes, subordonné qu’il est chez tous (sauf de rares exceptions) à l’ardeur dominante du moment, à la poursuite des moyens d’accroître promptement son bien-être ? […] « Justement effrayé des fonctions dont je sens la périlleuse importance, j’ai besoin de me rassurer par le sentiment de ce que votre gloire doit apporter de moyens et de facilités dans les négociations.

2399. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « La Fontaine »

Il avait fini évidemment par y voir surtout un cadre commode à pensées, à sentiments, à causerie ; le petit drame qui en fait le fond n’y est plus toujours l’essentiel comme auparavant ; la moralité de quatrain y vient au bout par un reste d’habitude ; mais la fable, plus libre en son cours, tourne et dérive, tantôt à l’élégie et à l’idylle, tantôt à l’épître et au conte : c’est une anecdote, une conversation, une lecture, élevées à la poésie, un mélange d’aveux charmants, de douce philosophie et de plainte rêveuse. […] Il sentit vivement le prix de ce bienfait ; et cette inviolable amitié, familière à la fois et respectueuse, que la mort seule put rompre, est un des sentiments naturels qu’il réussit le mieux à exprimer.

2400. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre quatrième »

Tous les passages de dialectique qui sont médiocrement clairs dans le latin, s’obscurcissent encore dans la traduction mais une langue vive naît tout aussitôt pour exprimer tout de qui sort de sentiments vrais et durables de ce cœur désabusé. […] Ce sont quelques sentiments délicats dans Charles d’Orléans, quelques traits de mélancolie aimable ou de vive satire dans Villon.

2401. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXVI » pp. 413-441

Il n’avait pas lu ce qu’elle dit de Mithridate : « C’est une pièce charmante, on y est dans une continuelle admiration ; on la voit trente fois, et on la trouve plus belle la trentième que la première. » Il n’avait pas lu enfin ce qu’elle dit d’Esther, ni remarqué ce sentiment profond des beautés nouvelles que Racine avait puisées dans l’histoire sainte, ni le pressentiment qu’elle conçut d’une pièce du même genre encore plus parfaite, pressentiment qui fut réalisé par Athalie. […] Cette porte leur est fermée, et la mienne aussi… C’est le sentiment que j’aurai toujours pour un homme qui condamne le beau feu de Benserade, et qui ne connaît pas les charmes des fables de La Fontaine.

2402. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Mémoires de Philippe de Commynes, nouvelle édition publiée par Mlle Dupont. (3 vol. in-8º.) » pp. 241-259

Les lecteurs, qui liront désormais Commynes avec plus de plaisir et de facilité, y mêleront un sentiment d’estime pour l’excellent éditeur. […] Nul historien n’exprime aussi vivement que lui le sentiment profond de la misère des grands et des rois, des puissants et des heureux de la terre.

2403. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Éloges académiques de M. Pariset, publiés par M. Dubois (d’Amiens). (2 vol. — 1850.) » pp. 392-411

Chez Pariset, l’anatomie trop souvent fait défaut, même l’anatomie au moral : en peignant ses personnages, il n’a pas et ne rend pas assez le sentiment de la réalité. […] C’est ce sentiment de réalité et de vérité qu’il s’agit d’introduire de plus en plus, bien qu’avec discrétion toujours et avec goût, dans l’éloge historique.

2404. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Regnard. » pp. 1-19

Pourtant il lui en restera le sentiment vif de l’amour, de ses charmes et de ses tendresses, et, jusqu’en ses plus grandes gaietés, il aura de ces vers tout riants de fraîcheur : La jeunesse toujours eut des droits sur les belles ; L’Amour est un enfant qui badine avec elles… Regnard n’a que vingt-six ans. […] Durant les relâches forcées qu’il fait dans quelque île de la Baltique, il raconte qu’il allait tous les jours passer quelques heures sur des rochers escarpés où la hauteur des précipices et la vue de la mer n’entretenaient pas mal ses rêveries : Ce fut, dit-il, dans ces conversations intérieures que je m’ouvris tout entier à moi-même, et que j’allai chercher dans les replis de mon cœur les sentiments les plus cachés et les déguisements les plus secrets, pour me mettre la vérité devant les yeux sans fard, telle qu’elle était en effet.

2405. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Un symbole »

J’aspire pour elle à quelque édifice grandiose, à quelque temple national dont la vue quotidienne pût inspirer aux Parisiens d’autres sentiments que celui de l’indifférence et du mépris pour un symbole mensonger. […] Quels yeux et quels cœurs britanniques pourraient considérer sans un sentiment de légitime orgueil et d’espoir insondable cette nécropole des génies de sa race ?

2406. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XIV : De la méthode (Suite) »

. — Portez-la dans les affections privées : la famille, transformée en institution politique et despotique, fondée, non sur les sentiments naturels, mais sur une communauté d’obéissance et de rites, n’est plus que la chose et la propriété du père, sorte de province léguée chaque fois par une loi en présence de l’État, employée à fournir des soldats au public. — Portez-la dans la région : la région, fondée par l’esprit positif et pratique, dépourvue de philosophie et de poésie, prend pour dieux de sèches abstractions, des fléaux vénérés par crainte, des dieux étrangers importés par intérêt, la patrie adorée par orgueil ; pour culte une terreur sourde et superstitieuse, des cérémonies minutieuses, prosaïques et sanglantes ; pour prêtres des corps organisés de laïques, simples administrateurs, nommés dans l’intérêt de l’État et soumis aux pouvoirs civils. — Portez-la dans l’art : l’art, méprisé, composé d’importations ou de dépouilles, réduit à l’utile, ne produit rien par lui-même que des œuvres politiques et pratiques, documents d’administration, pamphlets, maximes de conduite ; aidé plus tard par la culture étrangère, il n’aboutit qu’à l’éloquence, arme de forum, à la satire, arme de morale, à l’histoire, recueil oratoire de souvenirs politiques ; il ne se développe que par l’imitation, et quand le génie de Rome périt sous un esprit nouveau. — Portez-la dans la science : la science, privée de l’esprit scientifique et philosophique, réduite à des imitations, à des traductions, à des applications, n’est populaire que par la morale, corps de règles pratiques, étudiées pour un but pratique, avec les Grecs pour guides ; et sa seule invention originale est la jurisprudence, compilation de lois, qui reste un manuel de juges, tant que la philosophie grecque n’est pas venue l’organiser et le rapprocher du droit naturel. […] La faculté égoïste et politique est dans le Romain une habitude héréditaire, plus agissante et plus puissante que les autres, qui fixe l’ordre, l’espèce et l’intensité de ses sentiments et de ses idées.

2407. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « La religion statique »

S’ils ne se pensent pas eux-mêmes sub specie aeterni, leur confiance, perpétuel empiétement du présent sur l’avenir, est la traduction de cette pensée en sentiment. […] L’application même de l’intelligence à la vie n’ouvre-t-elle pas la porte à l’imprévu et n’introduit-elle pas le sentiment du risque ? […] D’une manière générale, la frayeur est utile, comme tous les autres sentiments. […] On s’explique donc l’existence d’un sentiment tel que la crainte. […] Mais c’est un sentiment qui retient, qui détourne, qui retourne : il est essentiellement inhibiteur.

2408. (1908) Esquisses et souvenirs pp. 7-341

Hugo et Vigny plaquaient de préférence les sentiments. […] Cependant il faut qu’ils m’accordent l’usage du trésor de mes sentiments. […] Il avait aussi le goût et le sentiment de la mignardise. […] La pensée humaine est trop faible pour interpréter le sentiment qui ramène ce spectacle à une notion de la destinée. […] N’est-il point un délicat balourd, un tempérament trivial assaisonné des plus Fines épices du sentiment ?

2409. (1863) Causeries parisiennes. Première série pp. -419

« Il importe surtout, a-t-il dit, d’habituer la jeunesse à la modération des sentiments et à la rectitude du jugement. […] La modération dans les sentiments, la rectitude du jugement, le bon goût littéraire, la mesure, sont des qualités qu’on acquiert rarement sur les bancs du collège. […] Il y avait, du reste, en elle un sentiment toujours vigilant de raillerie qui devait l’empêcher, dans toutes les situations, de s’élever à une grande hauteur poétique. […] Le roman comme la poésie a de grandes exigences ; si l’une doit exprimer des pensées éternelles, l’autre doit peindre des sentiments universels. […] On sent au fond de cette législation un matérialisme désolant qui offense tous les meilleurs sentiments de l’âme humaine.

2410. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Lettre sur l’orthographe » pp. 427-431

Et si nous écrivons plus correctement, que ce soit pour exprimer surtout des sentiments droits ou des pensées justes.

2411. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Les legs de l’exposition philosophie de la danse »

Rien n’était d’une élégance plus chaste que la danse de Mlle Beaugrand — ou même de cette Cornalba pour qui Meilhac éprouva un sentiment d’une spiritualité si pure qu’un jour il commanda son portrait sans lui avoir jamais adressé la parole.

2412. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Moréas, Jean (1856-1910) »

Mais un si funeste hasard ne change rien à des sentiments que je nourris depuis plusieurs années : aujourd’hui comme hier, M. 

2413. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 20, de quelques circonstances qu’il faut observer en traitant des sujets tragiques » pp. 147-156

Je ne suis point de son sentiment.

2414. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 34, du motif qui fait lire les poësies : que l’on ne cherche pas l’instruction comme dans d’autres livres » pp. 288-295

On voudroit inutilement faire changer de sentiment aux italiens, et l’on se doute bien de ce qu’ils répondroient à l’étranger qui s’aviseroit de les réprimander sur la dépravation de leur goût.

2415. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — chapitre VI. Les romanciers. » pp. 83-171

On n’avait jamais vu un tel sentiment du réel, et on ne l’a point revu. […] Elle en est comme vivifiée ; aux plus périlleux moments comme aux plus doux, ce grand sentiment lui revient, tant il s’est enlacé à tous les autres, tant il a multiplié ses attaches et enfoncé ses racines dans les derniers replis de son cœur ! […] Il s’est roidi dans ces deux sentiments âpres et tonne contre la rebelle. […] Il y a bien des choses à voir en route ; le sentiment de la nature est un talent comme la conception de la règle, et Fielding, le dos tourné à Richardson, s’ouvre un domaine aussi large que celui de son rival. […] Le malin bouffon tire et brouille les fils de tous nos sentiments, et nous fait aller de ci, de là, baroquement, comme des marionnettes.

2416. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre III. La critique et l’histoire. Macaulay. »

Quand nous essayons de raconter la vie ou de figurer le caractère d’un homme, nous le considérons assez volontiers comme un simple objet de peinture ou de science : nous ne songeons qu’à exposer les divers sentiments de son cœur, la liaison de ses idées et la nécessité de ses actions ; nous ne le jugeons pas, nous ne voulons que le représenter aux yeux et le faire comprendre à la raison. […] Les uns ont raconté l’histoire des races, d’autres celle des classes, d’autres celle des gouvernements, d’autres celle des sentiments, des idées et des mœurs ; Macaulay les raconte toutes : « J’accomplirais bien imparfaitement la tâche que j’ai entreprise, si je ne parlais que des batailles et des siéges, de l’élévation et de la chute des gouvernements, des intrigues du palais, des débats du parlement. […] Il a le plus vif sentiment des causes ; et ce sont les causes qui lient les faits. […] Les grands romanciers entrent dans l’âme de leurs personnages, prennent leurs sentiments, leurs idées, leur langage ; il semble que Balzac ait été commis-voyageur, portière, courtisane, vieille fille, poëte, et qu’il ait employé sa vie à être chacun de ces personnages : son être est multiple et son nom est légion. […] Bien plus, par la structure de son esprit, par son éloquence et par sa rhétorique, il est latin ; en sorte que la charpente intérieure de son talent le range parmi les classiques ; c’est seulement par son vif sentiment du fait particulier, complexe et sensible, par son énergie et sa rudesse, par la richesse un peu lourde de son imagination, par l’intensité de son coloris, qu’il est de sa race.

2417. (1841) Discours aux philosophes. De la situation actuelle de l’esprit humain pp. 6-57

Mais ce qui est vrai encore, c’est que la femme, étant douée en prédominance de sentiment ou d’amour, devient, comme dit De Maistre, plus active et plus puissante que l’homme pour le mal comme pour le bien. […] Dans une pareille société, l’adultère est flagrant, public, effréné, frappant à toutes les portes ; il est reçu, salué, fêté ; on en rit : le mariage n’existe plus. » Lorsque la femme, qui est le sentiment dans la nature humaine, se lance dans le mal, parce qu’elle ne sait plus où est le bien, et que, l’ancien bien n’étant plus le bien, la règle du bien lui fait défaut, il est impossible que la société ne s’abîme vite et avec fracas. […] Si l’homme représente plus particulièrement la connaissance dans cette unité, la femme représente plus particulièrement le sentiment. […] Quand l’homme, représentant de la connaissance dans l’unité humaine, a dit : « Je ne vois d’autre loi que l’égoïsme » ; la femme, représentant du sentiment dans cette même unité, a dû dire : « Je ne vois de vie que dans la volupté et le plaisir. » Donc aujourd’hui l’unité humaine proclame par ses deux aspects cette indivisible formule : Égoïsme, Volupté. […] L’art, c’est-à-dire le sentiment, ne voyant autour de lui que cette décomposition du corps social, tombe dans le spleen et dans l’athéisme, ou revient aux conceptions du passé, et produit mille monstres semblables aux rêves du malade que la fièvre dévore dans une crise terrible… qui va le sauver.

2418. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXVI » pp. 256-263

. — Jules Lefèvre est un poëte qui mérite des égards, de la considération : il a quelque chose d’élevé, le culte de la muse et des nobles sentiments ; mais on n’a jamais rien vu de plus fatigué ni de plus manqué en général que ses efforts poétiques.

2419. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXVII » pp. 306-312

Un sentiment élevé d’intelligence et d’impartialité circule à travers l’ouvrage et fait honneur au cœur aussi bien qu’à l’esprit de M.

2420. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre I »

Le Russe, dominé par le sentiment de la dépendance universelle, ne se décide pas à trancher les mille liens qui rattachent un homme, une action, une pensée au train total du monde ».

2421. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre VII. De la propriété des termes. — Répétition des mots. — Synonymes. — Du langage noble »

Les mots qu’on croit l’être marquent généralement les nuances, les degrés dont une idée, un sentiment sont susceptibles : ils sont entre eux comme les individus d’une espèce, infiniment divers dans l’unité du type.

2422. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre IX. Précision, brièveté, netteté »

Faute de l’avoir trouvé, on ne croit pas son sentiment suffisamment expliqué : on ajoute un mot dans la proposition, une proposition dans la phrase, pour mettre en lumière un détail ou une partie de l’idée.

2423. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Introduction. Origines de la littérature française — 3. Causes générales de diversité littéraire. »

Enfin au xixe  siècle, après la reprise du sentiment religieux et du sens artistique qui produit l’explosion romantique, voici que jusqu’à une date très rapprochée de nous, l’esprit critique et expérimental devient le principal ressort de l’âme française, et se traduit littérairement par l’abondante floraison du roman et du théâtre réalistes, par l’étonnant développement de l’histoire et de la critique, par un effort enfin universel et sensible pour soumettre l’inspiration de l’écrivain aux lois de la méthode scientifique.

2424. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « La Solidarité »

C’est toutefois en m’en tenant aux vivants que je voudrais, après votre éminent professeur d’histoire, vous prêcher le sentiment, l’acceptation et, s’il se pouvait, l’amour de la solidarité humaine.

2425. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Des avantages attachés à la profession de révolutionnaire. » pp. 200-207

On y doit goûter d’âpres jouissances par le sentiment d’une communion parfaite avec des âmes véhémentes et frustes, par la conscience qu’on a de déchaîner et l’illusion qu’on se donne de diriger une puissance aveugle qui vous soulève, vous enveloppe et vous roule dans ses tourbillons ; — tout cela exaspéré encore par la lourde atmosphère des salles et par la brutalité même des sensations dont l’ouïe et l’odorat sont assiégés… Il y a une ivresse physique, une sorte d’hystérie dans la révolte, et qui se multiplie quand on la partage avec une foule.

2426. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — F — Fort, Paul (1872-1960) »

Paul Fort, qui possède à un haut degré le sentiment de la légende et de la chanson populaire.

2427. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre III » pp. 30-37

Soit inconstance naturelle et besoin de nouveauté, soit réaction du présent, toujours en révolte contre un passé dominateur, les contraires se succèdent sans cesse dans les sentiments et dans les opinions de la partie désœuvrée de la nation française.

2428. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre VIII » pp. 70-76

Sans parler d’une multitude de vers répandus dans les odes d’Horace et dans les satires, comme celui-ci : Nam fuit ante Helenam cunnus teterrima belli Causa, le chant séculaire (carmen seculare), ouvrage solennel, hymne national, renferme des expressions dont la propriété et la spécialité, relevées pour les Romains par les sentiments d’un patriotisme religieux, seraient pour nous insupportables.

2429. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre X. Suite du Prêtre. — La Sibylle. — Joad. — Parallèle de Virgile et de Racine. »

Nous avons déjà remarqué28 qu’une des premières causes de la mélancolie de Virgile fut sans doute le sentiment des malheurs qu’il éprouva dans sa jeunesse.

2430. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre IV. Bossuet orateur. »

Nous avons remarqué qu’à l’exception de Pascal, de Bossuet, de Massillon, de La Fontaine, les écrivains du siècle de Louis XIV, faute d’avoir assez vécu dans la retraite, ont ignoré cette espèce de sentiment mélancolique, dont on fait aujourd’hui un si étrange abus.

2431. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « I. Historiographes et historiens » pp. 1-8

L’histoire, pour nous, c’est la nationalité, la nationalité, inviolable et violée chaque jour, par les historiens au nom de sentiments que nous ne connaîtrons jamais, jamais pour être plus grands qu’elle !

2432. (1892) Essais sur la littérature contemporaine

L’histoire littéraire y périra d’abord ; la tradition ensuite, avec l’histoire littéraire ; et finalement, avec la tradition, le sentiment de la solidarité qui lie les générations les unes aux autres. […] Ce sentiment, l’un des premiers qu’il exprime en prenant possession de son nouveau séjour, indique d’abord la note et donne en quelque sorte la tonalité du poème. […] Il est image, il est légende, il est idée ; et la pensée, le sentiment, les sens y trouvent également leur compte. […] Je leur passe le « monde », parce qu’en effet, dans la société très mêlée qu’on est convenu d’appeler de ce nom, je pense que les sentiments peuvent éprouver des déformations très particulières. […] C’est encore de donner moins de place à l’aventure, ou même à l’imitation qu’à l’analyse des sentiments ; — et tous les trois, à cet égard, on peut les dire psychologiques.

2433. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre I. Les origines. — Chapitre III. La nouvelle langue. » pp. 165-234

et que devient le sentiment chrétien devant ces décorations d’opéra ? […] Ce n’est plus le trop-plein d’un sentiment vrai, c’est le besoin d’excitation qui les produit. […] Il n’assomme pas, il pique, en passant, non par haine ou indignation profonde, mais par agilité d’esprit et prompt sentiment des ridicules ; il les jette à pleines poignées sur les personnages. […] Dans Arcite et Palémon, dans Troïlus et Cressida, il esquisse des sentiments, il ne crée pas de personnages ; il trace avec aisance et naturel la ligne sinueuse des événements et des entretiens, mais il ne marque pas les contours précis d’une figure frappante. […] En effet, la poésie et la religion ne sont plus capables de suggérer un sentiment vrai.

2434. (1856) Cours familier de littérature. II « Xe entretien » pp. 217-327

III Cependant une réaction terrible du sentiment civilisé en Europe contre la France, sa philosophie, sa révolution, ses idées, sa Terreur, sa langue (et c’est encore ici un des funestes services de la Convention), se déclarait chez tous les peuples. […] C’est avec lui que je satisfis pour la première fois ce sentiment passionné et enthousiaste de curiosité qui me poussait à contempler de près les grands hommes. […] Cette beauté réunissait en elle tous les contrastes ; ses regards traduisaient tous les sentiments qui l’animaient avec une rapidité et une transparence qui avaient fait dire à sir Walter Scott que “sa belle tête ressemblait à un vase d’albâtre éclairé par une lampe intérieure”. […] Quand j’étais royaliste de sentiment, il était absolutiste, et quand j’étais républicain, il était démagogue. […] Peut-être, comme un homme du Midi, avait-il seulement un sentiment un peu trop en saillie de ses forces.

2435. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre I. Succès de cette philosophie en France. — Insuccès de la même philosophie en Angleterre. »

Sitôt qu’un geste adroit a fait brusquement tomber le masque héréditaire et solennel qui couvrait une sottise, nous éprouvons cette étrange convulsion qui écarte les deux coins de la couche et qui secoue violemment la poitrine, en nous donnant le sentiment d’une détente soudaine, d’une délivrance inattendue, d’une supériorité reconquise, d’une vengeance accomplie et d’une justice faite. […] Aucun des dons par lesquels on peut frapper et retenir l’attention ne manque à ce style, ni l’imagination grandiose, ni le sentiment profond, ni la vivacité du trait, ni la délicatesse des nuances, ni la précision vigoureuse, ni la grâce enjouée, ni le burlesque imprévu, ni la variété de la mise en scène. […] À l’origine ou au terme de tous nos sentiments exaltés, quelles crudités physiologiques !

2436. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIIIe entretien. Poésie lyrique. David (2e partie) » pp. 157-220

C’est le premier des poètes du sentiment ; c’est le roi des lyriques ! Jamais la fibre humaine n’a résonné d’accords si intimes, si pénétrants et si graves ; jamais la pensée du poète ne s’est adressée si haut et n’a crié si juste ; jamais l’âme de l’homme ne s’est répandue devant l’homme et devant Dieu en expressions et en sentiments si tendres, si sympathiques et si déchirants. […] Cette flûte sur la colline, ce convoi chantant dans la vallée, cette psalmodie dans le monastère, triple écho à la même heure de cette voix du grand lyrique, enseveli, mais ressuscité sans cesse sur sa montagne de Sion, me jetèrent dans un ravissement d’esprit qui semblait me donner pour la première fois le sentiment de la toute-puissance du chant dans l’homme.

2437. (1894) Propos de littérature « Chapitre IV » pp. 69-110

Le drame Ancæus est une étude d’harmonieuses plastiques motivées par une action simple, et non un réel conflit de sentiments humains. […] Mais l’homme, jusqu’ici, pense à soi plus qu’aux autres hommes ; la Société est une collection d’égoïsmes, et la lutte pour l’existence s’y dénonce à première vue comme le seul principe un peu apparent : le socialisme, venu de l’autre pôle, doit donc précéder l’anarchie, — de quelques centaines, peut-être de quelques milliers d’années, — car il importe avant tout de protéger les faibles ; il faut d’abord paralyser les forces de l’égoïsme et le faire peu à peu céder au sentiment contraire, pour qu’enfin puisse grandir l’universel Amour. […] Il faudrait, pour qu’en art l’anarchie pût régner sans dommage, il faudrait que le sentiment de la consistance parfaite des formes, de l’Eurythmie, de l’élément objectif de l’art, se fût à ce point fortifié chez tous, que tous, sans le savoir, y obéissent par leur seule nature ; que, par exemple, sans avoir appris la musique, un artiste pût écrire des suites d’accords aux conclusions euphoniques.

2438. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Mézeray. — II. (Fin.) » pp. 213-233

Mézeray, qui ne songe pas au drame, nous fait cependant connaître d’abord ses personnages principaux : il les montre surtout en action, sans les trop détacher des sentiments et des intérêts plus généraux dont ils sont les chefs et les représentants, mais en laissant néanmoins à chacun sa physionomie propre. […] Perrault de votre part a été un terrible coup de foudre, qui m’a rendu tout à fait immobile et qui m’a ôté tout sentiment, hormis celui d’une extrême douleur de vous avoir déplu.

2439. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Bourdaloue. — I. » pp. 262-280

Après sa mort, une lettre du supérieur de la maison professe, le père Martineauk ; un éloge mis en tête de ses Sermons par le religieux qui en fut l’éditeur, le père Bretonneau ; une lettre de M. de Lamoignon, son ami de tous les temps ; un autre hommage plus développé mais du même genre, par une personne de condition, Mme de Pringy, c’est tout ce qu’on a sur Bourdaloue ; et, je le dirai, quand on l’a lu lui-même et considéré quelque temps dans l’esprit qui convient, on ne cherche point sur son compte d’autres particularités, on n’en désire pas : on entre avec lui dans le sens de cette conduite égale, uniforme, qui est le caractère de la prudence chrétienne et le plus beau support de cette saine éloquence ; et l’on répète avec une des personnes qui l’ont le mieux connu : « Ce qui m’a le plus touché dans sa conduite, c’est l’uniformité de ses œuvres. » On ne sait rien ou à peu près rien non plus de la vie de La Bruyère ; mais, à l’égard de ce dernier, le sentiment qu’on apporte est, ce me semble, tout différent. […] Je lisais tout cela à haute voix ; et avec ce ressouvenir des premières années où l’on eût la foi vive et entière, avec ces sentiments sérieux et rassis que l’âge nous rend ou nous donne, et aussi avec ce goût d’une littérature apaisée, qui est désormais la mienne en vieillissant, je trouvais ce discours aussi excellent de forme que de fond, beau et bon de tout point.

2440. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le marquis de la Fare, ou un paresseux. » pp. 389-408

» — Moins de deux ans avaient donc suffi pour user et mettre à jour ce grand sentiment. […] On n’avait pas plus de douceur et de sel tout ensemble : C’était, a dit de lui son tendre ami Chaulieu, un homme qui joignait à beaucoup d’esprit simple et naturel tout ce qui pouvait plaire dans la société ; formé de sentiment et de volupté, rempli surtout de cette aimable mollesse et de cette facilité de mœurs qui faisait en lui une indulgence plénière sur tout ce que les hommes faisaient, et qui, de leur part73, en eurent pour lui une semblable… Les siècles auront peine à former quelqu’un d’aussi aimables qualités et d’aussi grands agréments que M. de La Fare.

2441. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) «  Œuvres de Chapelle et de Bachaumont  » pp. 36-55

Sur ce point même, les auteurs ne dérogeaient pas du tout à leur caractère de francs Gaulois : un vif et très rapide éclair de sentiment, à côté de beaucoup de bombance et de médisance. […] Chapelle, qui a si peu écrit et dont l’opinion avait une telle autorité sur les plus grands hommes de son temps, me représente assez bien une classe d’esprits peu nombreuse parce qu’elle est très distinguée : c’est celle des hommes d’un goût singulièrement fin, délicat, difficile, qui ont tout lu, qui savent toutes choses, et qui décrivent rien ou presque rien, parce que la volupté du repos est bien grande et que le sentiment très vif de la perfection décourage de produire.

2442. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « De la poésie de la nature. De la poésie du foyer et de la famille » pp. 121-138

Un jour, la fille du poète Roucher, écrivant à son père alors sous les verrous, relevait avec une sagacité remarquable et un sentiment de préférence filiale bien permis les défauts de la traduction de Delille au début des Géorgiques : « Mais d’un autre côté, répondait à sa fille l’honnête Roucher, tu ne me parais pas rendre toute la justice qui est due à sa grâce, à son harmonie, à ce je ne sais quoi qui plaît, même dans sa manière française, aux amateurs impartiaux de l’Antiquité. » On voit que je tiens à accorder à Delille tout ce qui se peut raisonnablement. Quant aux hautes sources de poésie ou à celles qui naissent secrètement du cœur, sentiments délicats ou croyances supérieures, il ne les a jamais blasphémées ; loin de là, il les a honorées et célébrées à la rencontre, et elles lui ont quelquefois inspiré en retour quelques accents qu’on a retenus : et malgré tout, on sent chez lui un vide à ces endroits essentiels, quelque chose de léger qui voltige de pensée en pensée comme de site en site ; il n’y habite pas.

2443. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — II » pp. 159-177

Franklin, à qui un ami l’envoya à Passy, où il était alors, y trouva, dit-il, « quelque chose de si nouveau dans la manière, de si aisé et pourtant de si correct dans le langage, de si clair à la fois et de si concis dans l’expression, et de si juste dans les sentiments », qu’il le lut d’un bout à l’autre avec plaisir (rare louange pour des vers, surtout de la part de quelqu’un qui n’en lisait plus), et il en relut même certaines pièces plus d’une fois. […] Littérairement, son goût était sain et sûr : Elle est si bon critique, non par théorie, mais par nature, disait Cowper, et elle a un sentiment si net de ce qui est bon ou mauvais dans une composition, que lorsque dans le doute je lui soumets (ce qu’en pareil cas je ne manque jamais de faire) deux sortes d’expression qui semblent avoir également droit à ma préférence, elle se décide, sans que je l’aie jamais vue se tromper, pour la plus droite et la meilleure.

2444. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « II » pp. 21-38

Ce sont là de détestables sentiments, en même temps qu’un détestable système et une fausse vue des véritables intérêts qui importent le plus aux hommes réunis en société. […] Quant aux notes, je ferai observer que le curé Meslier (tome i, page 349) était curé d’Étrépigni et de But, et qu’il ne s’agit point là de lord Bute ; que, si le Pollion de Thieriot (tome i, page 65) est en effet M. de la Popelinière, ce Pollion, à deux pages de là (p. 63), n’est probablement pas le duc de Richelieu ; que, si le marquis d’Argenson perdit le portefeuille des affaires étrangères, ce ne fut point purement et simplement, comme on l’affirme (tome i, page 263), parce qu’il avait des sentiments généreux et de la probité, mais aussi parce qu’il était utopiste et secrétaire d’État de la république de Platon ; qu’il est douteux que l’ami qui servait de lien entre Diderot et Voltaire (tome ii, page 519) fût Thieriot, et qu’il est bien plus vraisemblable que c’était Damilaville ; que, si l’on prodigue le contre-seing Belle-lsle (tome ii, page 370) pour faire arriver les lettres franc de port, ce ne sont pas messieurs de Laporte qui en seront mécontents, mais plutôt messieurs de la Poste, etc., etc.

2445. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — I » pp. 249-267

Aussi aimerais-je que, lorsqu’on écrit sur un auteur (et j’entends surtout parler d’un poète ou d’un artiste, d’un auteur de sentiment ou d’imagination), on se le figurât présent et écoutant ce que nous en disons. […] Cette première impression de pudeur serait bientôt dissipée, et l’on se mettrait à parler, à disserter du grand écrivain, avec liberté, avec hardiesse, en se figurant quelquefois qu’on le surprend bien un peu et qu’on l’étonne, mais en s’efforçant tout aussitôt de le convaincre et de le gagner à son sentiment.

2446. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset, professeur d’histoire au lycée Bonaparte. »

Rousset, le seul point où son excellent esprit me paraît avoir cédé à la prévention, est celui-ci, et j’ai peine à comprendre qu’au moment où il nous produit tant de preuves directes et nouvelles de l’élévation de sentiments, de la magnanimité et du bon esprit du jeune monarque, il soit si attentif à nous le présenter sous l’aspect le plus saillant de ses défauts. […] Trouvez donc bon, s’il vous plaît, qu’avec le respect que je vous dois, je vous dise librement mes sentiments dans cette matière.

2447. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Montaigne en voyage »

Ce n’est plus l’humeur voyageuse qui s’égaye et qui se joue en mille désirs de courses errantes et vagabondes, ce n’est plus la curiosité jeune et dans sa légère ivresse, c’est le sentiment historique profond, qui se prononce et se déclare, c’est une admiration pleine de deuil pour la plus grande cité qu’ait portée la terre et qu’elle a presque tout engloutie. […] quel sentiment de la grandeur, quand il y a lieu !

2448. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Charles-Quint après son abdication, au monastère de Saint-Just »

Car, quoiqu’il fût très fier de sentiments et de langage, Charles-Quint, outre qu’il aimait « la vérité dans sa simplicité », avait cela du vrai politique de ne point pousser les choses à l’extrême et de ne pas substituer avant tout l’orgueil à l’intérêt. […] N’admirez-vous pas le sentiment politique persistant ?

2449. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Oeuvres inédites de la Rochefoucauld publiées d’après les manuscrits et précédées de l’histoire de sa vie, par M. Édouard de Barthélémy. »

Que ceux qui, dans leur vie, se sont accoutumés à céder volontiers à des sentiments d’âcre passion ou à des calculs d’intérêt immédiat vous prêtent ces uniques mobiles, peut-on s’en étonner ou s’en plaindre ? […] Mme de Sévigné, qui nous fait ce récit, ajoute : « M. de La Rochefoucauld pleure lui-même en admirant la noblesse de ce sentiment. » Pourquoi cette larme ?

2450. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Le maréchal de Villars. »

Les lignes de communication, de Marchiennes à Denain, s’appelaient insolemment « le chemin de Paris. » Louis XIV, il faut lui rendre cette justice, écrivait de Fontainebleau, le 17 juillet, au maréchal de Villars, cette lettre qui en suppose une autre antérieure sur le même sujet : « Ma première pensée avait été, dans l’éloignement où se trouve Landrecies de toutes les autres places d’où les ennemis peuvent tirer leurs munitions et convois, d’interrompre leur communication en faisant attaquer les lignes de Marchiennes (ou de Denain), ce qui les mettrait dans l’impossibilité de continuer le siège ; mais, comme il m’a paru que vous ne jugez pas cette entreprise sur les lignes de Marchiennes praticable, je m’en remets à votre sentiment par la connaissance plus parfaite que vous avez étant sur les lieux… » Le ministre de la guerre, M.  […] Dans toute sa carrière active antérieure, il a montré l’instinct et le sentiment de la grande guerre, de brillantes et solides parties, des talents de plus d’un genre qui le classent comme capitaine à une belle place entre ceux qui viennent après les plus grands.

2451. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette (suite et fin.) »

Ce sentiment est noble ; il est chevaleresque ; elle est tout à fait à cet égard comme une émigrée du dedans. […] Ce qui la caractérise à jamais durant ce long supplice qui date du 6 octobre, c’était le motif qui l’inspirait, la source élevée de ses sentiments, la conscience de ce qu’elle était et de ce que la nature l’avait faite, le dévouement à ses devoirs de royale épouse et de mère, un courage de chaque heure, une constance qui ne se démentit en public à aucun moment, non plus que son air de dignité et de grâce.

2452. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat. »

Catinat savait mieux que personne tout ce qu’exige de qualités cet emploi de major et, qui plus est, de major général d’une armée, et, interrogé un jour par le duc de Savoie sur le détail et les prérogatives de la charge, il répondait avec esprit : « Monseigneur, le major général est un distributeur d’ordres, le porte-voix du général, sans aucune autorité que celle qu’il emprunte de son estime ou de son amitié ; mais ces sentiments changent sa place. […] Il y a de l’esprit et de la fermeté dans leurs sentiments.

2453. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Mlle Eugénie de Guérin et madame de Gasparin, (Suite et fin.) »

Et puis l’ordre d’idées et de sentiments qu’éveille la Joconde n’a aucun rapport prochain ni lointain avec le puritanisme religieux. […] mais encore une fois, bien de la sève et de la vitalité, et, en même temps que le talent supérieur du paysage, un beau et large jet de sentiment moral épanoui.

2454. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

N’employons pas de si grands mots, laissons de côté ces généreux sentiments qui n’ont que faire en un tel sujet ; bornons-nous au vrai. […] C’est lui qui m’a fait connaître l’endroit où il était, et, après m’avoir conseillé sa mort, il en a gémi avec toutes ses connaissances (l’empereur se remet à marcher, et, d’un ton calme, après un moment de silence)… Je ne lui ferai aucun mal ; je lui conserve ses places ; j’ai même pour lui les sentiments que j’ai eus autrefois ; mais je lui ai retiré le droit d’entrer à toute heure dans mon cabinet.

2455. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « UN FACTUM contre ANDRÉ CHÉNIER. » pp. 301-324

remy trouve sous sa plume, et qu’à notre tour nous nous permettons de souligner : « C’est en notant de pareils traits, dit-il, et beaucoup d’autres du même genre, qu’une lecture nouvelle et attentive des Poésies d’André Chénier indiquera d’elle-même que nous avons été porté à combattre ce sentiment, qui a fait placer par certaines personnes les productions de ce poëte parmi les grands monuments de l’antiquité littéraire. » Quel style, et au moment où l’on se fait juge de la grâce elle-même ! […] Ce qu’on pourrait faire, ce serait de comparer le sentiment de cette Jeune Captive qui ne veut pas mourir à l’Antigone de Sophocle qui le dit plus énergiquement et avec des cris désespérés, qui se plaint de s’en aller périr d’une mort misérable, non pleurée, non aimée, non épousée, ἄϰλαυτος, ἄϕιλος, ἀνυμέναιος… ; et elle revient plus d’une fois sur cette dernière idée.

2456. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre X. Les sociales »

Tout en secouant à vos paroles enthousiastes une tête sceptique, j’aime votre pensée et le sentiment d’où elle jaillit. […] Comme un bon gendarme, il garde une aptitude au prompt éveil entretenue « par le sentiment du devoir ».

2457. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre V »

Giboyer, qui faisait peur, fait pitié ; cette âme difforme devient presque belle ; on sait gré au poète d’avoir jeté un sentiment pur dans ce tas de boue. […] La délicatesse du sentiment s’y mêle à la force de la situation.

2458. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Discours sur l’histoire de la révolution d’Angleterre, par M. Guizot (1850) » pp. 311-331

On ne saurait ici, quand on a un sentiment de citoyen, s’en tenir au simple point de vue littéraire ; car, est-il donc possible de l’oublier ? […] Il a gardé de ses origines le sentiment religieux, le tour d’esprit et comme le geste habituel vers la Providence.

2459. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « La Mare au diable, La Petite Fadette, François le Champi, par George Sand. (1846-1850.) » pp. 351-370

nous sommes dans la réalité, nous sommes aux champs, et on a beau vouloir se tenir dans le sentiment pur, il y a, comme dit Mme de Sévigné, de certaines grossièretés sensibles dont on ne se passe pas si aisément. […] Au xviie  siècle, le sentiment du pittoresque naturel est né à peine, il n’est pas détaché ni développé, et, si l’on excepte le bon et grand La Fontaine17, nous n’avons alors à admirer aucun tableau vif et parlant.

2460. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La princesse des Ursins. Lettres de Mme de Maintenon et de la princesse des Ursins — I. » pp. 401-420

Celle-ci, se plaignant de la légèreté de paroles qui régnait plus que jamais à la cour de Versailles, lui avait écrit, à la date du 5 décembre 1706 : Oui, madame, les plus grandes difficultés viennent du peu de ressource qu’on trouve dans les hommes ; ils sont presque tous intéressés, envieux, de mauvaise foi, insensibles au bien public, et regardant les sentiments contraires aux leurs comme des vues romanesques et impraticables. […] Mme des Ursins, qui n’était là qu’une âme de passage, était de celles en qui la joie de plaire et le sentiment du succès redoublent les grâces.

2461. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le duc d’Antin ou le parfait courtisan. » pp. 479-498

Il n’en souffrit pas moins cruellement de l’affront qui lui était fait ; et alors, non pas, comme on l’a cru, par hypocrisie et pour complaire au roi, mais par un réveil naturel des sentiments religieux de sa première éducation, il songea à Dieu dans sa disgrâce, et il essaya s’il ne pourrait pas guérir son cœur en le tournant vers ce qui ne change point. […] Sa disgrâce, en 1707, après vingt-quatre ans de service, lui semble donc complète, et il la déplore avec des accents où la servilité elle-même se déguise sous des airs de sentiment : Mon malheur est sans exemple… Ce qu’il y a de plus épouvantable pour ce qui me regarde, c’est que le roi a toujours paru content de moi et touché de mes soins ; il l’a dit en son particulier même à qui l’a voulu entendre ; j’ai toujours été favorablement traité, même avec privauté et distinction ; un mois même avant ce dernier coup, il me dit tout haut dans son cabinet, devant toute la Cour, que j’avais toujours bien fait ; et cependant en voilà la récompense !

2462. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Paul-Louis Courier. — I. » pp. 322-340

Des lettres ainsi refaites et retouchées laissent toujours à désirer quelque chose, je le sais bien ; elles n’ont pas la même autorité biographique que des lettres toutes naïves, écrites au courant de la plume, oubliées au fond d’un tiroir et retrouvées au moment où l’on y pense le moins : mais Courier, homme de style et de forme, n’a guère dû faire de changements à ses épîtres que pour les perfectionner par le tour ; ses retouches et ses repentirs, comme disent les peintres, n’ont pas dû porter sur les opinions et les sentiments qu’il y exprime, et le travail qu’il y met, le léger poli qu’il y ajoute n’est qu’un cachet de plus. […] Les opinions, les sentiments de Courier à cette fin de la République et sous l’Empire, nous les savons maintenant, il vient de nous les dire, et il n’aura plus qu’à les varier et à les développer devant nous.

2463. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1873 » pp. 74-101

D’après l’étude profonde qu’en a fait l’historien de la Révolution, Bismarck serait un ambitieux, mais qui ne serait point animé de mauvais sentiments contre la France. […] » Vendredi 12 décembre De Béhaine, en attendant le dîner, et Stoffel qui est en retard, me parle de l’espèce de susceptibilité maladive de Bismarck, de ses fureurs à la moindre attaque d’un journal français, de sa gallophobie, de la chance, qu’a la France de trouver dans le comte d’Arnim — tout prussien qu’il est — un sentiment aristocratique, qui le rend hostile au radicalisme français et non à la France.

2464. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1880 » pp. 100-128

Il part pour son pays, cette fois, travaillé par un sentiment assez étrange d’incertitude, sentiment, dit-il, qu’il a éprouvé dans sa première jeunesse, en une traversée de la Baltique, où le bâtiment était complètement entouré de brouillard, et où il n’eut pour compagnon, qu’une singesse, enchaînée sur le pont.

2465. (1892) L’anarchie littéraire pp. 5-32

Poètes et prosateurs, unis dans le même sentiment de salubrité artistique, combattaient côte à côte dans la publication que je viens de citer. […] « Je savais qu’à défaut de sentiments socialistes, tous les hommes de notre génération avaient au plus haut degré le désir du nouveau, la soif de l’inconnu.

2466. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « IX. Mémoires de Saint-Simon » pp. 213-237

Si nous n’aimons pas tout ce qu’il aimait, si nous nous soucions assez peu, par exemple, de ses sentiments féodaux, de son duché, de sa pairie, des ducs à brevet ou sans brevet, de l’affaire du bonnet qui fut la grande affaire de toute sa vie, par ce côté, il faut le dire, sérieusement et idéalement grotesque, si même nous taillons des comédies dans tout cela, des comédies où la dignité de l’homme qui nous amuse à ses propres dépens reste à plat, nous haïssons au moins ce qu’il a haï, et il a pour lui tous les préjugés actuels (et ils sont nombreux) contre la personne ou le gouvernement de Louis XIV. […] C’était un de ces esprits brillants, mais sans ductilité, contournés, difficiles à aligner, plus chimérique que Fénelon peut-être, quoiqu’il fût très positif dans ses passions et ses sentiments et destiné par sa nature, vis-à-vis de tous les pouvoirs, à une opposition éternelle.

2467. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Xavier Aubryet » pp. 117-145

Cela pourrait-il être une raison, parce que l’auteur des Jugements nouveaux nous a exprimé, à la tête de son livre, une franche sympathie d’idées et de sentiments littéraires, pour que la critique, qu’il a la bonté d’estimer, lui manque tout à coup, et qu’il soit privé de sa part d’examen sous le prétexte, de peu de courage, que notre éloge serait suspect de reconnaissance et notre blâme d’ingratitude ? […] C’est Henri de Latouche, l’auteur de Fragoletta, qui nous a raconté dans ses œuvres l’histoire de ces yeux étonnants, et cette histoire est belle comme un poème, — un poème au fond duquel il y a des larmes… Latouche dit qu’elle était très triste, cette jeune fille qui répondait : Napoléon Empereur à tous les sentiments de la vie !

2468. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Brizeux. Œuvres Complètes »

Brizeux avait enlevé celle de ce poème, avec une grande légèreté de main, au monde du sentiment et au monde de la sensation, mais ni l’un ni l’autre de ces deux mondes n’y avaient été exprimés de manière à porter dans les esprits, où il éveille d’immortels échos, ce violent coup de l’originalité qui est comme la détonation du génie ! […] Malheureusement, pourquoi faut-il que dans cette idylle élégiaque de Marie l’unité de sentiment ne soit pas plus respectée que l’unité de composition, et qu’entre deux tableaux d’un amour naïf, dans un pays fruste, il nous tombe tout à coup sur la tête un Hymne à la Beauté, dédié à M. 

2469. (1900) La province dans le roman pp. 113-140

* *  * Mais ce n’est pas assez d’observer que ce sentiment dédaigneux du Parisien pour la province est général : il faut ajouter qu’il est ancien, chez nous, et qu’il a une histoire. […] L’ancien mépris a été remplacé par un sentiment tout contraire.

2470. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « SAINTE-BEUVE CHRONIQUEUR » pp. -

C'est pour cela que j’aimais mieux envoyer ma critique parlée en Suisse2. » C'est dans un sentiment analogue qu’il alla un jour écrire à Liége le livre sur Chateaubriand et son groupe littéraire sous l’empire.

2471. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XI » pp. 39-46

Et puis, chez d’honnêtes gens, le sentiment de leur dignité blessée et de leurs intentions calomniées les a mis en avant.

2472. (1874) Premiers lundis. Tome I « M.A. Thiers : Histoire de la Révolution française Ve et VIe volumes — I »

Thiers, les choses ne se passent pas aussi simplement, et qu’il n’ait eu garde d’omettre les fréquentes perturbations qui ont altéré sinon dévié leur cours ; on lui a reproché d’introduire dans l’histoire une sorte de fatalisme systématique, qui subordonne les actes humains à des règles inflexibles, intercale les hommes dans le cadre d’une destinée toute faite, et, dès lors, dispense trop l’historien d’indignation contre les oppresseurs, de sympathie pour les victimes, et de tous ces sentiments qui donnent couleur et vie.

2473. (1874) Premiers lundis. Tome II « Revue littéraire et philosophique »

Mais ici, le philosophe, par une psychologie moins abstraite et moins exclusivement rationnelle, aborde l’homme du côté des penchants actifs, des passions et instincts qui sont les mobiles réels des facultés de l’intelligence ; il marche davantage sur les traces d’Adam Smith, et nous donne sa théorie des sentiments moraux.

2474. (1874) Premiers lundis. Tome II « Deux préfaces »

., sont encore lus avec profit malgré leur manque absolu de sentiment littéraire.

2475. (1874) Premiers lundis. Tome II « H. de Balzac. Études de mœurs au xixe  siècle. — La Femme supérieure, La Maison Nucingen, La Torpille. »

Il vous sera permis de dire alors que rien d’incompatible avec le plus scrupuleux sentiment de notre dignité ne trouverait une excuse dans l’or reçu en échange ; mais vous saurez aussi que des richesses loyalement acquises seraient d’un grand prix, et vous laisserez la prétention de mépriser les biens à ceux qui, ne pouvant s’en détacher, s’irritent contre une sorte d’ennemi toujours victorieux. » Voilà le cri à demi étouffé d’une nature haute que la pauvreté comprime : mais, cela dit, il faut se taire.

2476. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIX. De la littérature pendant le siècle de Louis XIV » pp. 379-388

Aucune pensée, aucun sentiment ne perd pour cela de son énergie ; l’élévation du langage conserve seulement cette dignité de l’homme en présence des hommes, à laquelle ne doit jamais renoncer celui qui s’expose à leurs jugements ; car cette foule d’inconnus qu’on admet, en écrivant, à la connaissance de soi-même, ne s’attend point à la familiarité ; et la majesté du public s’étonnerait avec raison de la confiance de l’écrivain.

2477. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre III. De la sécheresse des impressions. — Du vague dans les idées et le langage. — Hyperboles et lieux communs. — Diffusion et bavardage »

Le pis est qu’on ne s’en aperçoit pas et que l’on croit bien véritablement exprimer son sentiment personnel ; on s’y affermit, on en conçoit la vérité en le voyant partagé par tant d’autres, qui lisent aussi le journal.

2478. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « André Theuriet »

» — Je sais que nul romancier, pas même George Sand, n’a su mêler aussi étroitement la vie des hommes et la vie de la terre sans absorber l’une dans l’autre ; ni mieux entrelacer l’histoire fugitive des passions humaines et l’éternelle histoire des saisons et des travaux rustiques  Je sais aussi que rien n’est plus charmant que ses jeunes filles ; car, tandis que la campagne les fait simples et saines, la solitude les fait un peu rêveuses et capables de sentiments profonds  La solitude, soit aux champs, soit dans les petites villes silencieuses, nul n’a mieux vu que M. 

2479. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Choses d’autrefois »

Ce qu’on développe chez les pensionnaires, c’est l’énergie individuelle, le sentiment de l’honneur ; et on leur apprend aussi l’immolation de soi à l’intérêt d’une caste qui est encore (pour quelques années) une institution politique et sociale.

2480. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Le termite »

Et, sous prétexte d’exprimer des nuances de sensation et de sentiment qui, si on les presse, s’évanouissent comme des rêves de fiévreux ou se ramènent à des impressions toutes simples et notées depuis des siècles, ils font de la langue française un je ne sais quoi qui n’a plus de nom.

2481. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Bilan des dernières divulgations littéraires. » pp. 191-199

— « Mais ce sentiment est odieux ! 

2482. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Maeterlinck, Maurice (1862-1949) »

Le rythme fait le décor ; l’intensité des formes populaires suffit à toute caractérisation sans que la profondeur du sentiment y perde de son étendue.

2483. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Silvestre, Armand (1837-1901) »

Silvestre indique comme ce chanteur, qui laissa depuis la sensualité déborder dans son œuvre, avait le sentiment juste des voies nouvelles.

2484. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre VIII. Les Fedeli » pp. 129-144

On voit quels sentiments édifiants animaient le directeur des Fedeli.

2485. (1882) Qu’est-ce qu’une nation ? « I »

Dans les derniers temps de l’Empire, il y eut, chez les âmes élevées, chez les évêques éclairés, chez les lettrés, un vrai sentiment de « la paix romaine », opposée au chaos menaçant de la barbarie.

2486. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XIX » pp. 207-214

Trop souvent même, c’est sympathiser avec le sentiment général ; c’est au moins imiter quelque noble exemple.

2487. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article » pp. 124-134

Ce n’est pas que la Poésie ne puisse & ne doive accorder son langage avec celui de la raison ; mais la gêne du raisonnement & des preuves énerve son activité, & fait avorter les traits de lumiere & de sentiment, propres à frapper & à convaincre plus vivement que toutes les pensées, les sentences, ou les démonstrations géométriques.

2488. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 439-450

Palissot à se déchaîner contre nous & contre les Trois Siecles, dans ses Mémoires littéraires ; on démêlera sans peine le sentiment qui l’a fait agir.

2489. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Avertissement » pp. -

C’est un parti qu’il faut nous décider à prendre, si nous commençons à craindre que l’attention ne se lasse, et surtout qu’à voir ainsi défiler triomphalement tant d’auteurs, le sentiment des distinctions et des distances qui les séparent ne finisse par s’y abolir.

2490. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre quatrième. »

Celui même de surpasser un auteur vivant, ne prend le nom d’envie que lorsque ce sentiment nous rend injuste envers un rival.

2491. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre second. Philosophie. — Chapitre II. Chimie et Histoire naturelle. »

Rousseau, qui chassent les sciences de leurs républiques, ou adoptera-t-elle le sentiment des législateurs qui les tolèrent ?

2492. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 29, si les poëtes tragiques sont obligez de se conformer à ce que la geographie, l’histoire et la chronologie nous apprennent positivement » pp. 243-254

Nous pouvons encore confirmer notre sentiment par ce qu’Aristote dit au sujet de la vrai-semblance historique qu’il faut garder dans les poëmes.

2493. (1860) Ceci n’est pas un livre « Les arrière-petits-fils. Sotie parisienne — Deuxième tableau » pp. 196-209

(D’un accent où vibre le sentiment du devoir.)

2494. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le voltairianisme contemporain »

Il n’a pas compris que son livre, qu’il croyait être une justice, une reconnaissance et à la fois tous les sentiments prosternés, n’était pas en proportion réelle avec cet homme d’ubiquité, cet homme qu’on retrouve partout et qui s’appelle Voltaire.

2495. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Auguste Nicolas »

Catholique d’intelligence, de sentiment, et nous dirons même de préoccupation, voyant tout à travers le catholicisme parce que le catholicisme c’est tout, même pour ses ennemis, depuis qu’il est né dans le monde et dans l’histoire, écrivain de discussion et d’apologie, Nicolas a dévoué sa pensée à l’avancement incessant, mais combattu, de l’Éternelle Vérité.

2496. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXII. Des éloges des hommes illustres du dix-septième siècle, par Charles Perrault. »

Il faut avouer que cette espèce de sentiment a quelque chose de singulier.

2497. (1882) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Deuxième série pp. 1-334

Marivaux est obligé de contourner sa manière pour suivre ces mêmes sentiments délicats à travers les replis où ils se dissimulent. […] C’est le sentiment de M. de Saint-Lambert. […] On peut rencontrer sans peine le nom de Dieu dans un genre d’écrire tel que le mien, plein de mœurs et de sentiments, moins romanesque et presque aussi grave que la tragédie. […] Je viens de recevoir l’écrit que vous avez pris la peine de lire ; mais, dans le profond sentiment de mon étourderie, je ne puis m’occuper que du soin de la réparer. […] quelles sensations, quels sentiments, quelles idées est-il capable d’éveiller en nous ?

2498. (1929) Critique et conférences (Œuvres posthumes III)

Jean Lorrain) ; mais je ne professe pas d’être galant, surtout quand un sentiment plus élevé m’anime. […] L’entretien se termina par l’assurance réitérée de nos sentiments de reconnaissance pour cette attention bien délicate, trop gentille et sur la promesse du jeune homme que Mme Reine, elle-même, nous favoriserait d’une visite. […] Cette fois, non plus comme dans l’autre occurrence, il ne s’agit pas de combat ni même de victoire contre l’oppressif sentiment qui créa les splendides mais si tristes grandes œuvres du commencement de ce siècle. […] Le « nommé » Raizonville est aimé « comme un empereur, comme un tsar » mieux peut-être, car nul soupçon d’égoïsme n’entache les sentiments que lui fait paraître la péripatéticienne dont il vit. […] rien de l’anecdote ; c’est Vénus, c’est Mars, toujours quelque sentiment porté à son plus haut degré.

2499. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1889 » pp. 3-111

Mais mon frère, en sa qualité de plus jeune, a voulu passer absolument le premier, et en dehors du sentiment paternel que j’avais à son égard, je le connaissais avec sa paresse de corps et son horreur pour les exercices violents et l’escrime, destiné à rester sur le terrain, tandis que moi qui tirais très mal, qui ne tirais pas du tout, j’avais cependant un jeu difficile, déconcertant même pour ceux qui tiraient bien. […] On cause du discours de Renan à l’Académie, et comme je me laisse aller à avouer toute la révolte de la franchise de mon esprit et de mon caractère, à propos du tortillage contradictoire de sa pensée, du oui et du non, que contient chacune de ses phrases parlée ou écrite, Mme Daudet, en une de ses charmantes ingénuités qu’elle a parfois, laisse tomber, comme si elle se parlait à elle-même : « Oui vraiment, il n’a pas le sentiment de l’affirmation !  […] Il a le sentiment de la vie des foules, et trouve un tas de petites inventions ingénieuses, pour faire revivre cette vie tumultueuse sur le champ étroit des planches d’un théâtre. […] Je suis là-dedans avec le sentiment d’un cœur non douloureux, mais plus gros qu’ailleurs. […] C’est ainsi que, si les 36 millions de Français hommes et femmes votaient, et qu’il y eût d’un côté 18 millions, moins une voix, et de l’autre 18 millions, plus une voix, les 18 millions, moins une voix, pourraient être absolument gouvernés à rebours de leurs sentiments politiques, de leurs tempéraments de conservateurs ou de républicains.

2500. (1906) Propos de théâtre. Troisième série

Elle a détaillé toutes les nuances du sentiment avec un art incomparable. […] Je désirerais que l’interprète marquât ces deux sentiments à cet instant de la pièce. […] « Voilà quelques-unes des raisons, Monsieur, qui m’ancrent dans mon sentiment. […] » « J’exprimais mon sentiment avec une vigueur peut-être incivile. […] Oui, il aurait fallu établir une hiérarchie des sentiments de Constantin : la patrie avant tout ; la piété filiale tout de suite après.

2501. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (3e partie) » pp. 249-336

Et en ce moment il s’avançait au Nord, laissant derrière lui la France épuisée et dégoûtée d’une gloire sanglante, les âmes pieuses blessées de sa tyrannie religieuse, les âmes indépendantes, de sa tyrannie politique ; l’Europe enfin, révoltée du joug étranger qu’il faisait peser sur elle, et menait avec lui une armée où fermentait sourdement la plupart de ces sentiments, où s’entendaient toutes les langues, et qui n’avait pour lien que son génie et sa prospérité jusque-là invariable ! […] Ces trois choses sont : un fort sentiment de gouvernement, une puissante science de l’administration, une haute glorification de la guerre quand elle est juste ; ces trois choses sont trois nécessités, et, nous ne craignons pas de le dire, trois vertus des civilisations nationales chez les peuples modernes. […] Ce sentiment du gouvernement est la première des qualités de l’homme d’État, comme il est le premier devoir de l’historien politique. […] Thiers, pour tous contre quelques-uns ; le sentiment du gouvernement est à nos yeux une des formes les plus saintes, non seulement du bon sens, mais de la vertu publique.

2502. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juin 1886. »

» Tout musicien qu’il est, Wagner n’en reste pas moins, il est vrai, poëte et prosateur distingué ; mais quelque poëte qu’il soit, il ne trouve que dans la musique la complète formule de son sentiment, si bien que seul il pourrait nous dire s’il adapte ses paroles à ses mélodies, ou s’il cherche des mélodies à ses paroles. […] Ronsard, sous le prétexte d’élégies, Théophile de Viau — ce phénomène qui stupéfie la régularité cartésienne du XVIIe siècle — furent les musiciens de sonatines graciles et délicates ; Lamartine instaura la lente et parfois monotone symphonie de nobles sentiments. […] Chacun des participants de ce concours de chant doit définir le sentiment amoureux. […] Wyzewa retrace l’histoire de la littérature et imagine une littérature qui mêlerait sentiments et raison et qui valoriserait la qualité musicale et sonore des mots.

2503. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Granier de Cassagnac » pp. 277-345

Pourquoi Cassagnac, qui a le sentiment du grand et la puissance de le peindre, n’a-t-il pas fait poser devant lui plus longtemps cette divine figure de Madame Royale ? […] Eh bien, ces hommes et ces partis, qui furent pendant un si grand nombre d’années des amis ou des adversaires, Cassagnac en a parlé comme il convenait à un homme qui a le sentiment des obligations de l’histoire et qui l’écrit en se plaçant, par la pensée, à deux cents ans du temps qu’il a à raconter ! […] Mais elle le dira plus durement que lui, car Cassagnac (est-ce délicatesse d’art ou de sentiment ?) […] Il a l’habileté des petites choses ; il n’a pas le sentiment des grandes.

2504. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Sully, ses Économies royales ou Mémoires. — I. » pp. 134-154

L’Estoile, dans un sentiment de malignité bien naturel, se plaît à relever et à dénombrer les titres et qualités de Sully à la date de juillet 1609, c’est-à-dire au faîte de sa grandeur : par un autre sentiment non moins naturel à l’homme, Sully se plaisait aussi à les étaler : Maximilien de Béthune, chevalier, duc de Sully, pair de France, prince souverain de Henrichemont et de Boisbelle, marquis de Rosny, comte de Dourdan, sire d’Orval, Montrond et Saint-Amand ; baron d’Épineuil, Bruyères, Le Châtelet, Villebon, La Chapelle, Novion, Baugy et Bontin ; conseiller du roi en tous ses conseils ; capitaine lieutenant de deux cents hommes d’armes d’ordonnances du roi sous le titre de la reine ; grand maître et capitaine général de l’artillerie ; grand voyer de France ; surintendant des finances, fortifications et bâtiments du roi ; gouverneur et lieutenant général pour Sa Majesté en Poitou, Châtelleraudois et Loudunois ; gouverneur de Mantes et Jargeau, et capitaine du château de la Bastille à Paris.

2505. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Histoire de la maison royale de Saint-Cyr, par M. Théophile Lavallée. » pp. 473-494

En présence de ce monde qu’elle connaissait si bien, ne croyez pas que Mme de Maintenon voulût former des plantes trop tendres, des femmes frêles, ingénument ignorantes et d’une morale de novices, elle avait plus que personne un sentiment profond de la réalité. […] N’analysons pas trop les divers sentiments de Mme de Maintenon à Saint-Cyr : il suffit que l’effet sur tout ce qui l’entourait ait été fructueux et bon.

2506. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Joinville. — II. (Fin.) » pp. 513-532

Les autres, qui n’avaient pas eu le courage de donner cet avis, n’osèrent toutefois le contredire : « Il n’y avait là personne qui n’eût de ses proches amis en prison ; par quoi nul ne me reprit, dit Joinville, mais se prirent tous à pleurer. » Il se livrait donc en leur cœur une sorte de lutte entre le violent désir qu’ils avaient de rentrer en France, et le sentiment de compassion et de justice qui leur disait qu’il n’était pas bien d’abandonner des frères et des compagnons malheureux. […] On le voit, Joinville est peintre, au milieu de toutes ses inexpériences premières, il a un sentiment vif qui le sert souvent avec bonheur, et il montre, comme écrivain, de ravissants commencements de talent.

2507. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — I. » pp. 473-493

Différent d’opinion avec elle sur un point délicat qui touche à la réputation de l’antique Lesbienne, il s’exprime avec une politesse et une galanterie inusitées chez les commentateurs : « Mlle Le Fèvre, dit-il, a eu sans doute ses raisons pour n’être pas de ce sentiment, et il faut avouer qu’elle a donné au sien toute la couleur qu’il était possible de lui donner. » Enfin, de même que deux jeunes cœurs se font des signes d’une fenêtre à l’autre ou à travers le feuillage des charmilles, Mlle Le Fèvre et M.  […] Elle entrait dans toutes mes occupations ; elle me déterminait souvent dans mes doutes ; souvent même elle m’éclairait par des traits qu’un sentiment vif et délicat laissait échapper.

2508. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — I » pp. 139-158

. — On peut comparer cette fable du rossignol et du ver luisant à une épigramme d’Evenus de Paros, traduite par André Chénier, et dans laquelle une cigale est aux prises avec une hirondelle : c’est la différence du sentiment grec au sentiment chrétien.

2509. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Mémoires ou journal de l’abbé Le Dieu sur la vie et les ouvrages de Bossuet, publiés pour la première fois par M. l’abbé Guetté. Tomes iii et iv· » pp. 285-303

Et, le 18 du même mois : Il y a plaisir à l’entendre parler de sa santé en des termes qui expriment l’amour de la vie, et il est assez étonnant que la méditation continuelle de l’Évangile n’ôte pas ce sentiment. […] Pline et Cicéron avaient pour secrétaires des affranchis qui les servaient mieux et avaient de plus nobles sentiments.

2510. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La comtesse de Boufflers. »

« Mais quoique j’entende quelques murmures de ce genre, j’ai également la consolation de rencontrer des gens qui nourrissent des sentiments opposés. […] Pardonnez ces sentiments si vous les trouvez un peu trop médiocres et vulgaires ; ils me sont dictés par mon amitié pour vous.

2511. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La comtesse d’Albany par M. Saint-René Taillandier (suite et fin.) »

On a trop peu de lettres ou de notes écrites de Mme d’Albanv ; on en possède assez toutefois pour bien se la représenter dans l’habitude et le train ordinaire de ses sentiments et de ses pensées. […] Alfieri, comme une âme rigide qui se fige pour jamais en un moment décisif et en un sentiment unique, nous voua dès lors une malédiction immortelle, et emporta en son cœur la haine de la France et des « singes-tigres », comme il les appelait, qui y avaient usurpé la domination.

2512. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Lettres inédites de Michel de Montaigne, et de quelques autres personnages du XVIe siècle »

Le spectacle de cette entrée épouvantable et de cette exécution laissa une longue horreur imprimée aux âmes, et quand on lit ensuite le traité de la Servitude volontaire d’Étienne de La Boëtie, l’ami de jeunesse de Montaigne, on ne peut s’empêcher d’y reconnaître un profond sentiment de représailles autant et plus peut-être qu’un ressouvenir et une imitation de l’antiquité. […] Il suffisait, en ces meilleurs moments, de l’appeler un noble cœur, et qui avait des sentiments délicats.

2513. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIIIe entretien. Chateaubriand, (suite) »

Rien n’y jurait avec le sentiment religieux de l’auteur que quelques phrases de scepticisme mal articulées sur le dogme religieux du moment. […] Après la perte de nos amis, si nous ne succombons à la douleur, le cœur se replie sur lui-même ; il forme le projet de se détacher de tout autre sentiment et de vivre uniquement avec ses souvenirs.

2514. (1887) Discours et conférences « Réponse au discours de M. Louis Pasteur »

Et cela est tout simple ; il est des questions insolubles sur lesquelles le sentiment moral veut une réponse. […] sentiment dénué de sens pour une âme philosophe !

2515. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame de La Tour-Franqueville et Jean-Jacques Rousseau. » pp. 63-84

Il a seulement senti durant toute sa vie ; et, à cet égard, sa sensibilité est montée à un degré qui passe tout ce que j’ai vu jusqu’ici ; mais elle lui donne un sentiment plus aigu de peine que de plaisir. […] Pour nous, quoi que la raison nous dise, pour tous ceux qui, à quelque degré, sont de sa postérité poétiquement, il nous sera toujours impossible de ne pas aimer Jean-Jacques, de ne pas lui pardonner beaucoup pour ses tableaux de jeunesse, pour son sentiment passionné de la nature, pour la rêverie dont il a apporté le génie parmi nous, et dont le premier il a créé l’expression dans notre langue.

2516. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Procès de Jeanne d’arc, publiés pour la première fois par M. J. Quicherat. (6 vol. in-8º.) » pp. 399-420

Après le premier sentiment d’intérêt et d’admiration pour cette jeune, simple et généreuse victime, on sent le besoin, afin même de mieux l’admirer, de se l’expliquer tout entière, de se rendre parfaitement compte et de sa sincérité et des mobiles qui la faisaient agir, du genre de foi qu’elle y attachait ; et la pensée va encore au-delà, elle va jusqu’à s’enquérir de ce qu’il pouvait y avoir de réel dans le fond de son inspiration même. En un mot, on se pose, bon gré, mal gré, cette question : Jeanne d’Arc peut-elle s’expliquer comme un personnage naturel, héroïque, sublime, qui se croit inspiré sans l’être autrement que par des sentiments humains ?

2517. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur Théodore Leclercq. » pp. 526-547

Bon nombre de ceux qui s’étaient laissé entraîner en 1815 revinrent alors et se sentirent poussés à des sentiments contraires. […] Théodore Leclercq n’a eu le sentiment vif et la science de la vie privée, de la vie de société, en un mot du salon et de tout ce qu’on y surprend en un clin d’œil de commérage piquant, de babil aiguisé, de luttes, de tracasseries, d’hostilités courtoises et élégantes.

2518. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Notice historique sur M. Raynouard, par M. Walckenaer. » pp. 1-22

Il n’avait, au lieu de cela, qu’à dire, ce qui est très vrai, que le grand maître avait eu la faiblesse de faire des aveux, soit par crainte, soit par l’espoir de sauver son ordre, et nous le représenter ensuite rendu au sentiment de l’honneur, par un retour heureux de courage et de vertu, et rétractant ses premiers aveux à l’aspect même du bûcher qui l’attend. […] Mais ici le sentiment vif de l’équité l’a fait écrire comme il aurait parlé.

2519. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Mémoires du cardinal de Retz. (Collection Michaud et Poujoulat, édition Champollion.) 1837 » pp. 40-61

On dirait d’un médecin curieux qui décrit avec amour la maladie, cette maladie qu’il a toujours le plus désiré voir de près ; évidemment il aime mieux la voir que la guérir : Il paraît un peu de sentiment, dit-il en parlant du corps abattu de l’État, une lueur ou plutôt une étincelle de vie ; et ce signe de vie, dans les commencements presque imperceptible, ne se donne point par Monsieur, il ne se donne point par M. le Prince, il ne se donne point par les grands du royaume, il ne se donne point par les provinces ; il se donne par le Parlement, qui, jusqu’à notre siècle, n’avait jamais commencé de révolution, et qui certainement aurait condamné par des arrêts sanglants celle qu’il faisait lui-même, si tout autre que lui l’eût commencée. […] Lorsque Saint-Simon, de son côté, nous peint les délices et le chatouillement qu’il éprouve à pouvoir observer les visages et les physionomies de la Cour dans les grandes circonstances qui mettent les passions et les intentions secrètes à nu, il ne s’exprime pas avec un sentiment plus vif de délectation que Retz nous rendant sa jouissance à l’idée de se saisir du rôle tant souhaité : on en pourrait conclure que l’un était dans son centre comme observateur, et l’autre comme agitateur, artistes tous deux en leur sens, et consolés après tout par leur imagination, quand il leur est donné de raconter leur plaisir passé et de le décrire.

2520. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — I. » pp. 1-22

On le peignait, lui, le plus accusé des guerriers de ce temps, comme l’un des plus vifs précisément sur l’honneur, sur le sentiment de gloire et de patrie, sur le dévouement à la France, brillant, généreux, plein de chaleur et fidèle aux religions de sa jeunesse, enflammé comme à vingt ans, pour tout dire, et tricolore. […] Cette conviction partagée par les autres, et exprimée par un sentiment d’admiration et de reconnaissance, cause une félicité dont celui qui ne l’a pas éprouvée ne peut guère avoir l’idée.

2521. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — I. » pp. 41-62

Il a des idées, mais il n’a pas, on l’a remarqué, de sentiments politiques. […] Un coup d’œil de divination perce comme un éclair dans cette phrase jetée en passant, et qui prédit l’émancipation de l’Amérique anglaise : « Je ne sais pas ce qui arrivera de tant d’habitants que l’on envoie d’Europe et d’Afrique dans les Indes occidentales ; mais je crois que, si quelque nation est abandonnée de ses colonies, cela commencera par la nation anglaise. » Je l’avouerai en toute humilité, dussé-je faire tort à mon sentiment de l’idéal, si l’on pouvait avoir dans toute sa suite ce journal de voyage de Montesquieu, ces notes toutes simples, toutes naturelles, dans leur jet sincère et primitif, je les aimerais mieux lire que L’Esprit des lois lui-même, et je les croirais plus utiles.

2522. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — II. (Fin.) » pp. 63-82

Au début de L’Esprit des lois, il va jusqu’à dire que les premiers hommes supposés sauvages et purement naturels sont avant tout timides et ont besoin de la paix : comme si la cupidité physique, le besoin et la faim, ce sentiment aveugle que toute jeunesse a de sa force, et aussi « cette rage de la domination qui est innée au cœur humain », ne devaient pas engendrer dès l’abord les rixes, et les guerres. […] Mais, si vous ne voulez point adoucir la rigueur de mes travaux, cachez le travail même : faites qu’on soit instruit et que je n’enseigne pas ; que je réfléchisse, et que je paraisse sentir ; et, lorsque j’annoncerai des choses nouvelles, faites qu’on croie que je ne savais rien, et que vous m’avez tout dit… Toute cette Invocation est pleine de beauté, et le sentiment de jouissance de la raison, qui y est définie « le plus parfait, le plus noble et le plus exquis de nos sens », y est élevé jusqu’à la poésie.

2523. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le cardinal de Richelieu. Ses Lettres, instructions et papiers d’État. Publiés dans la Collection des documents historiques, par M. Avenel. — Premier volume, 1853. — I. » pp. 224-245

Elles sont pourtant la seule moralité supérieure qui serve de garantie dans les personnes publiques, qui les sauve du pur machiavélisme ; et on aime à retrouver le signe de cet esprit religieux sous une forme ou sous une autre, ce sentiment sacré d’une divinité singulière invoquée et reconnue de tous les grands chefs et fondateurs d’États et des conducteurs de peuples. […] Nous montrant la reine Marie de Médicis forcée alors de quitter le Louvre, accompagnée de tous ses domestiques qui portaient la tristesse peinte en leur visage : « Il n’y avait guère personne, se plaît-il à faire observer, qui eût si peu de sentiment des choses humaines, que la face de cette pompe quasi funèbre n’émût à compassion. » Et parlant de l’odieux et barbare traitement infligé à la maréchale d’Ancre et de son supplice, quand elle fut condamnée comme sorcière à avoir la tête tranchée sur l’échafaud, et ensuite le corps et la tête brûlés et réduits en cendres, il a des paroles d’une haute pitié : Sortant de sa prison et voyant une grande multitude de peuple qui était amassé pour la voir passer : « Que de personnes, dit-elle, sont assemblées pour voir passer une pauvre affligée ! 

2524. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre II : La littérature du xviie  siècle »

Et, d’ailleurs, cet amour du spéculatif, cet isolement de toute société, ce retranchement des intérêts et des sentiments humains, tout cela, n’est-ce pas aussi une sorte d’humeur, une manière d’être individuelle ? […] Il a fallu la Révolution pour donner à la France le souci du passé et le sentiment de la tradition française.

2525. (1868) Curiosités esthétiques « VI. De l’essence du rire » pp. 359-387

Le rire est l’expression d’un sentiment double, ou contradictoire ; et c’est pour cela qu’il y a convulsion. […] Ainsi, pour en finir avec toutes ces subtilités et toutes ces définitions, et pour conclure, je ferai remarquer une dernière fois qu’on retrouve l’idée dominante de supériorité dans le comique absolu comme dans le comique significatif, ainsi que je l’ai, trop longuement peut-être, expliqué ; — que, pour qu’il y ait comique, c’est-à-dire émanation, explosion, dégagement de comique, il faut qu’il y ait deux être en présence ; — que c’est spécialement dans le rieur, dans le spectateur, que gît le comique ; — que cependant, relativement à cette loi d’ignorance, il faut faire une exception pour les hommes qui ont fait métier de développer en eux le sentiment du comique et de le tirer d’eux-mêmes pour le divertissement de leurs semblables, lequel phénomène rentre dans la classe de tous les phénomènes artistiques qui dénotent dans l’être humain l’existence d’une dualité permanente, la puissance d’être à la fois soi et un autre.

2526. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre III. “ Fantômes de vivants ” et “ recherche psychique ” »

Je retrouve le même sentiment, le même dédain du concret, au fond des objections qu’on élève contre telle ou telle de vos conclusions. […] Il se trouverait, vis-à-vis des pensées et des sentiments qui se déroulent à l’intérieur de la conscience, dans la situation du spectateur qui voit distinctement tout ce que les acteurs font sur la scène, mais n’entend pas un mot de ce qu’ils disent. » Ou bien encore il serait comme la personne qui ne perçoit, d’une symphonie, que les mouvements du bâton du chef d’orchestre.

2527. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXIX » pp. 117-125

Le sentiment moral inspire peu les gros bonnets, les chefs, et tout le corps s’en ressent.

2528. (1874) Premiers lundis. Tome I « Deux révolutions — I. De la France en 1789 et de la France en 1830 »

Cette haine s’était lentement grossie et avait sommeillé durant des années ; elle se tempérait de mépris, du sentiment de sa force, du respect pour les lois.

2529. (1874) Premiers lundis. Tome I « Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme. Deuxième édition. »

On s’étonnera, à la fin, de cette persévérance à ternir une belle réputation, dont les titres, incontestés jusqu’ici, sont l’élévation du sentiment, le culte fervent de l’art, une haute probité critique, une pureté de goût littéraire que les ménagements d’une bienveillance instinctive ne peuvent altérer, et surtout ce désintéressement, cette indépendance qui s’effarouchent, à tort selon nous, des distinctions les plus méritées* [* Voir à ce sujet, dans Souvenirs et Indiscrétions, pages 198 et 203, ce qui se rapporte à cette année même et aux années suivantes dans une Note confidentielle de M. 

2530. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Préface »

En 1808, tous ses grands traits sont arrêtés et définitifs : départements, arrondissements, cantons et communes, rien n’a changé depuis dans ses divisions et sutures extérieures : Concordat, Code, Tribunaux, Université, Institut, Préfets, Conseil d’État, impôts, percepteurs, Cour des Comptes, administration uniforme et centralisée, ses principaux organes sont encore les mêmes ; noblesse, bourgeoisie, ouvriers, paysans, chaque classe a dès lors la situation, les intérêts, les sentiments, les traditions que nous lui voyons aujourd’hui.

2531. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « La Tolérance »

Notez que souvent — outre des sentiments très bas — il y a, dans le fanatisme politique, une sorte d’archaïsme inconscient.

2532. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — K — Kahn, Gustave (1859-1936) »

Remy de Gourmont Ce poème de vingt-huit feuillets (Domaine de fée) est sans doute le plus délicieux livret de vers d’amour qui nous fut donné depuis les Fêtes galantes et, avec les Chansons d’amant, les seuls vers peut-être de ces dernières années où le sentiment ose s’avouer en toute candeur, avec, la grâce parfaite et touchante de la divine sincérité.

2533. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mallarmé, Stéphane (1842-1898) »

Chacun de ses vers, dans son intention, devait être à la fois une image plastique, l’expression d’une pensée, l’énoncé d’un sentiment et un symbole philosophique ; il devait encore être une mélodie et aussi un fragment de la mélodie totale du poème ; soumis avec cela aux règles de la prosodie la plus stricte, de manière à former un parfait ensemble, et comme la transfiguration artistique d’un état d’âme complet.

2534. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Laurent Tailhade à l’hôpital » pp. 168-177

Comme Achille, lorsqu’il paraît, Tailhade jette dans le camp ennemi une soudaine épouvante mais il n’a rien d’un fanatique, et il tolère chez ses amis l’indépendance des sentiments.

2535. (1890) L’avenir de la science « XX »

La ploutocratie, dans un autre ordre d’idées, est la source de tous nos maux, par les mauvais sentiments qu’elle donne à ceux que le sort a faits pauvres.

2536. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XVIII » pp. 198-205

Je me bornerai à remarquer dans cet ouvrage quelques sorties contre les précieuses, des mots grossiers qui reproduisent vingt fois une idée grossière, une scène licencieuse depuis longtemps interdite au théâtre, Arnolphe (c’est le vieillard), après un entretien avec Agnès dont la simplicité l’enchante, adresse cette apostrophe aux précieuses : Héroïnes du temps, mesdames les savantes, Pousseuses de tendresse et de beaux sentiments, Je défie à la fois tous vos vers, vos romans, Vos lettres, billets doux, toute votre science, De valoir cette honnête et pudique ignorance.

2537. (1898) Inutilité de la calomnie (La Plume) pp. 625-627

Le sentiment qu’il m’inspire vient de l’affection plus que de l’estime.

2538. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface des « Rayons et les Ombres » (1840) »

Voilant à dessein les exceptions honteuses, il inspirerait la vénération pour la vieillesse, en montrant la vieillesse toujours grande ; la compassion pour la femme, en montrant la femme toujours faible ; le culte des affections naturelles, en montrant qu’il y a toujours, et dans tous les cas, quelque chose de sacré, de divin et de vertueux dans ces deux grands sentiments sur lesquels le monde repose depuis Adam et Ève, la paternité, la maternité.

2539. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Première Partie. Des Langues Françoise et Latine. — Les inscriptions des monumens publics de France doivent-elles être écrites en Latin ou en François. » pp. 98-109

L’assemblée, devant laquelle il parla, étoit nombreuse & choisie ; mais il n’entraîna pas tout le monde dans son sentiment.

2540. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre VIII. La religion chrétienne considérée elle-même comme passion. »

Voilà ces admirables dialogues, à la manière de Corneille, où la franchise de la repartie, la rapidité du tour et la hauteur des sentiments ne manquent jamais de ravir le spectateur.

2541. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre cinquième. La Bible et Homère. — Chapitre III. Parallèle de la Bible et d’Homère. — Termes de comparaison. »

Le grec ne porte qu’une idée politique et locale, où l’hébreu attache un sentiment moral et universel.

2542. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre II. Des Orateurs. — Les Pères de l’Église. »

Nous ne connaissons point de mot de sentiment plus délicat que celui-ci : « Mon bonheur eût été d’être aimé aussi bien que d’aimer, car on veut trouver la vie dans ce qu’on aime. » C’est encore saint Augustin qui a dit cette parole : « Une âme contemplative se fait à elle-même une solitude. » La Cité de Dieu, les épîtres et quelques traités du même Père, sont pleins de ces sortes de pensées.

2543. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 1, du génie en general » pp. 1-13

C’est le but de l’orateur, quand il s’assujettit aux préceptes de la grammaire et de la réthorique : sa derniere fin n’est pas d’être loüé sur la correction et sur le brillant de sa composition ; deux choses qui ne persuadent point, mais de nous amener à son sentiment par la force de ses raisonnemens, ou par le pathétique des images que son invention lui fournit, et dont son art ne lui enseigne que l’oeconomie.

2544. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 10, du temps où les hommes de génie parviennent au mérite dont ils sont capables » pp. 110-121

C’est le sentiment de l’auteur que je viens de citer, qui certainement s’y connoissoit, quoiqu’il n’eut pas lû Descartes.

2545. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Essai sur la littérature merveilleuse des noirs. — Chapitre IV. Personnages des fables. »

Quand au courage, elle montre une prudence excessive qui ressemble à tel point à la couardise qu’il est aisé de la confondre avec ce sentiment.

2546. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Wallon »

Aujourd’hui qu’elles sont connues, elles font horreur, et la postérité n’aura pas assez d’invectives contre elles… Assumant en elles toutes les contradictions, elles éveillent en nous tous les sentiments contradictoires, la confiance et le doute, l’amour et la haine, l’estime et le mépris.

2547. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — VII »

Taine, j’éprouve plus de plaisir devant les choses naturelles que devant les œuvres d’art ; rien ne me semble égal aux montagnes, à la mer, aux forêts et aux fleuves. » A mon goût, il n’a écrit sur rien avec un sentiment plus profond et plus passionné que sur les arbres.‌

2548. (1907) L’évolution créatrice « Introduction »

Là résident certaines puissances complémentaires de l’entendement, puissances dont nous n’avons qu’un sentiment confus quand nous restons enfermés en nous, mais qui s’éclairciront et se distingueront quand elles s’apercevront elles-mêmes à l’œuvre, pour ainsi dire, dans l’évolution de la nature.

2549. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre II. Le public en France. »

» — Autre mot non moins significatif, celui d’énergie qui, jadis ridicule, devient à la mode et se place à tout propos528 — Avec le langage, les sentiments sont changés, et les plus grandes dames passent à l’opposition. […] Espérances infinies et vagues. — Générosité des sentiments et de la conduite […] Non seulement ils parlent de leurs sentiments, mais ils les éprouvent.

2550. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIe entretien. Biographie de Voltaire »

Cette liaison d’étude, autant que de sentiment, faisait l’orgueil et le charme de sa vie. […] La langueur finit par amortir le sentiment même de cette liberté ; la perversité morale du roi détacha le poëte ; les vices honteux de cet Alcibiade de caserne scandalisèrent même la tolérance de l’homme de goût ; le despotisme du roi admiré de loin, mais pesant de près jusque dans son Académie de Berlin, la jalousie du président de cette Académie Maupertuis, des querelles d’abord sourdes, puis éclatantes, des factions dans cette intimité, le climat rude, la santé atteinte, la monotonie, pédantisme allemand, désenchantèrent trop tard Voltaire. […] Le jour où cette indépendance, qui ne peut pas être éloignée et que les hommes de philosophie libre désirent ardemment, sera venue, ce jour-là seulement l’influence définitive de Voltaire sera fixée, et il ne restera de son nom et de son œuvre que ce qui doit en rester pour l’immortalité, c’est-à-dire : Un poëte lyrique sans flammes, sans ailes, sans enthousiasme ; Un poëte dramatique doué d’une certaine illusion théâtrale, mais d’un style au-dessous de Corneille, de Racine, style de parterre, qu’on peut entendre avec plaisir, mais qu’on ne peut relire avec admiration ; Un poëte badin au-dessous d’Arioste ; Un poëte familier égal à Horace ; Un historien inférieur à Thucydide, à Tacite, à Gibbon, à Montesquieu, sans profondeur dans les jugements, sans pathétique dans les sentiments, sans couleur et sans chaleur dans le récit, mais clair, rapide, sensé, judicieux, élégant, sincère, instruisant beaucoup, amusant toujours, ne trompant jamais son lecteur ; Un écrivain de lettres familières, tel qu’il n’en parut jamais dans l’antiquité ou dans les temps modernes, supérieur à Cicéron en facilité de style, égal en charme, en souplesse, en naturel à madame de Sévigné elle-même, féminin par la grâce, viril par le grand sens de ses lettres ; c’est là qu’il faut le chercher tout entier, ses imperfections sont dans ses œuvres, son génie est dans sa correspondance ; homme à la toise de beaucoup d’autres hommes si on le mesure quand il est vêtu, homme incommensurable en déshabillé ; Un polémiste dont on ne peut comparer l’éloquence aux éloquences de Cicéron, de J.

2551. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre premier »

Il y a tout un Achille que Boileau ne semble pas avoir plus connu que Perrault ; il y a le fils qui donne au souvenir de son père des larmes plus précieuses que celles que Boileau aime à lui voir verser pour un affront ; il y a l’ami de Patrocle, plus fidèle à l’amitié qu’à la colère ; il y a un sage aimable qui apaise les disputes parmi les hommes et console les vaincus ; il y a un homme qui, dans la solitude de sa tente, a beaucoup pensé sur le bien et le mal, sur la vie, sur la destinée, sur lui-même, le premier type de cette mélancolie que l’âme d’Homère a connue avec tous les sentiments qui sont de l’homme. […] « J’y représentais la neutralité, dit-elle ; on but à la santé d’Homère, et tout se passa bien. » Après la mort de Mme Dacier, Lamotte la chanta dans une nouvelle ode où les bons sentiments tiennent lieu des bons vers. […] Elle demande à toute chose ses preuves, et comme le sentiment n’en peut administrer aucune, elle le nie.

2552. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre IV. Le Séminaire d’Issy (1881) »

— Oui… C’est le sentiment ordinaire des saints, parce que la chair est entraînée par un tel poids vers le péché que Dieu seul peut l’empêcher d’y tomber. […] Cousin nous enchantait ; cependant Pierre Leroux, par son accent de conviction et le sentiment profond qu’il avait des grands problèmes, nous frappait plus vivement encore ; nous ne voyions pas bien l’insuffisance de ses études et la fausseté de son esprit. […] Voici ce qu’il me répondit : « J’ai bien tardé à vous faire connaître mon sentiment sur le Comte de Valmont ou les Égarements de la Raison.

2553. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 novembre 1886. »

Félicitons la direction du Ménestrel qui a « donné une nouvelle preuve de son impartialité en insérant les lettres de son jeune collaborateur Julien Tiersot, si contraires (pourtant) à son sentiment sur l’œuvre de Richard Wagner », mais qui a « en ce qui la concerne, fait toutes les réserves possibles sur leur contenu » et qui « reprendra quelque jour la question pour dire ce qu’elle en pense, lors des représentations prochaines annoncées à l’Eden. […] Il n’a donc pas écrit cette page véritablement unique en application directe de son système, mais à côté, presque à rebours, puisque les mobiles intérieurs sur lesquels il prétendait se guider échappaient à l’art musical et qu’il en arrivait, sans s’en apercevoir, à ne plus exprimer qu’un sentiment très banal, qu’une situation très ordinaire. […] Il ne suffit pas d’être rompu à la science et de se faire obéir ; il faut être artiste, et cette dispersion de la vie centrale, de l’expression générale dans toutes les parties ce l’édifice commun, ne se fait pas sans un sentiment profond de la vérité et de la passion, où l’âme éclate et rayonne. » En un mot, c’est le génie, et le génie dans ce qu’il a de plus spontané et de plus humain.

2554. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre I. Du comique en général »

et ne verrions-nous pas beaucoup d’entre elles passer tout à coup du grave au plaisant, si nous les isolions de la musique de sentiment qui les accompagne ? […] Un personnage de tragédie ne changera rien à sa conduite parce qu’il saura comment nous la jugeons ; il y pourra persévérer, même avec la pleine conscience de ce qu’il est, même avec le sentiment très net de l’horreur qu’il nous inspire. […] Et l’impression du comique se produira dès que nous aurons le sentiment net de cette superposition.

2555. (1929) Amiel ou la part du rêve

Il fait perdre à une société le sentiment de sa propre valeur ; elle se vulgarise à ses propres yeux et arrive à douter de la gravité de sa tâche. […] La question à trancher ressemblait bien à l’affaire du mariage, où Montaigne compare la diversité des sentiments à ceux de l’oiseau en l’air qui envie l’oiseau en cage, de l’oiseau en cage qui envie l’oiseau en l’air. […] En septembre 1861, au moment où il a trente ans, il se lève un matin avec un sentiment de gratitude « en songeant, dit-il, à la liberté qui m’était accordée par la Providence. » À d’autres moments il maudit cette liberté comme indifférente et vacante, disponibilité sans fruit, œuf non fécondé. […] Si Amiel donne à son amie le sentiment qu’il a assisté à la création du monde, de son côté elle collabore avec bien des pages du Journal pour nous défendre d’oublier la marque calviniste de son auteur, son interrogation : « Qu’est-ce que M.  […] Il suffisait d’imaginer les grands hommes ordinaires, purs de leur première erreur, ou de s’appuyer sur cette erreur même pour concevoir un degré de conscience plus élevé, un sentiment de la liberté d’esprit moins grossière. » Je crains qu’Amiel et Teste ne soient dupes d’une illusion.

2556. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le cardinal de Bernis. (Fin.) » pp. 44-66

Il faut pourtant convenir que ces tragédies, tout extravagantes ou grossières qu’elles sont, n’ennuient point, et je vous dirai, à ma honte, que ces vieilles rapsodies, où il y a de temps en temps des traits de génie et des sentiments fort naturels, me sont moins odieuses que les froides élégies de nos tragiques médiocres. […] Ce n’est que depuis, et après connaissance plus ample, qu’il a reconnu qu’il s’était mépris sur ce point, et qu’il est revenu à de plus justes sentiments sur l’homme et sur le pontife.

2557. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — III. (Fin.) » pp. 371-393

Dès 1800 et vers les premières années de cette renaissance, quelques hommes de talent et de goût revinrent également au grand règne, mais par un sentiment prompt et vif d’admiration pour les chefs-d’œuvre, par l’adoption reconnue salutaire des doctrines, par l’attrait du beau langage et de l’éloquence ; les Fontanes, les Joubert, les Bausset obéirent à cet esprit et s’en firent les organes. […] Pourtant l’âge venait ; Louis XIV se tempérait à son tour, et une femme sortie du plus pur milieu de la société de Mme de Rambouillet et qui en était moralement l’héritière, une femme accomplie par le ton, la raison ornée, la justesse du langage et le sentiment des convenances, Mme de Maintenon, s’y prenait si bien qu’elle faisait asseoir sur le trône, dans un demi-jour modeste, tous les genres d’esprit et de mérite qui composent la perfection de la société française dans son meilleur temps.

2558. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — II. Duclos historien » pp. 224-245

Charles, dit l’abbé Le Grand, était doux, facile, adonné à ses plaisirs et tellement livré à ses favoris et à ses maîtresses qu’il ne pouvait avoir d’autres passions ni d’autres sentiments que ceux qu’ils lui inspiraient. […] Duclos avait encore présentes certaines scènes de 1711, de 1712, et en avait gardé les poignantes émotions, comme nous avons eu celles de 1812 et de 1814 ; les victoires de Marlborough, les menaces et les outrageuses espérances du prince Eugène, l’épuisement de la France dans cette lutte extrême60, la carte du démembrement projeté, il rend cela avec nerf et dans un sentiment patriotique : c’est lorsqu’il en vient aux portraits des personnages qu’il s’en remet purement à Saint-Simon.

2559. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Marivaux. — I. » pp. 342-363

Il vous dira qu’en matière de critique, au lieu de se hâter et de se prononcer d’un ton d’oraclen : Cela ne vaut rien, cela est détestable, un habile homme, après avoir lu un livre, doit se contenter de dire : Il me plaît ou il ne me plaît pas ; car plus on a d’esprit, et plus on voit de choses, et plus on distingue autour de soi de sentiments et de goûts particuliers qui diffèrent du nôtre : « Ah ! […] Marianne est une ingénue qui, arrivée sur le retour et dans l’âge d’une expérience consommée, raconte à une amie les aventures de sa jeunesse et détaille ses sentiments.

2560. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Saint-Martin, le Philosophe inconnu. — II. (Fin.) » pp. 257-278

Le vendredi 3 février, paraissant aux Tuileries comme député de la Société philanthropique au roi, il se confirma plus que jamais dans le sentiment de remercier Dieu de deux choses : la première, de ce qu’il y avait des chefs ; la seconde, de ce qu’il ne l’était pas. […] Quand on la contemple dans ses détails, on voit que, quoiqu’elle frappe à la fois sur tous les ordres de la France, il est bien clair qu’elle frappe encore plus fortement sur le clergé… Plein de respect pour l’idée de sacerdoce, qui est à ses yeux peut-être la plus haute de toutes, Saint-Martin trouve tout simple que les individus de cet ordre aient été les premiers atteints et châtiés, de même que cette « révolution du genre humain » a commencé par les « lys » de France : « Comme aînés, dit-il, ils devaient être les premiers corrigés. » Je ne fais qu’indiquer ces manières de voir qui nous sont devenues depuis lors familières par le langage si net et si éclatant de M. de Maistre ; mais Saint-Martin y mêle des idées et des sentiments qui lui sont propres et qui ont beaucoup moins de netteté.

2561. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La femme au XVIIIe siècle, par MM. Edmond et Jules de Goncourt. » pp. 2-30

Elle se console par la justice que lui rendent ceux qui la connaissent plus particulièrement, et par les sentiments qu’elle leur inspire. […] Mais un roman qui, de sa nature, pousse au sentiment, échappe par trop d’endroits à la vérité.

2562. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite.) »

Et remarquez comme, sans théorie aucune et par un pur sentiment de vérité, il pense au peuple de l’armée, à toutes les classes de héros. […] On le voit, si Horace Vernet parut dans quelques sujets bien sentimental, c’est qu’il avait réellement en lui du sentiment.

2563. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français et de la question des Anciens et des Modernes »

Le poète, un certain Glaucus, peu connu d’ailleurs, mais qui a de l’art et du sentiment, s’écrie : « C’est après l’avoir vu, le douloureux héros de Trachine, que Parrhasius s’est mis à peindre ce Philoctète : car dans ses yeux desséchés habite une larme muette, et au dedans est la douleur qui le ronge. […] » Il a nombre d’épigrammes dans un sentiment triste et humain.

2564. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Essai de critique naturelle, par M. Émile Deschanel. »

Villemain excita en lui jusqu’à l’exaltation tout ce qu’il avait d’inclination littéraire ; il eut au plus haut degré le sentiment de sa vocation en ce genre ; il eut comme une vision de tout l’avenir qui lui était réservé s’il eût cultivé exclusivement les Lettres ; il lut page à page toute cette histoire de travaux, d’émotions, de succès, d’influence, qui aurait pu être la sienne aussi, et que son dévouement à des devoirs religieux avait tout entière annulée ; il vit à la fois tout ce qu’il avait sacrifié, et fut tenté (car c’est bien ainsi qu’il voyait la chose) d’un amer et indicible regret. […] Si je parlais à des Anglais je dirais : Est-ce que, pour le sentiment et la dégustation parfaite de Shakespeare, Charles Lamb n’est pas en progrès sur Pope — Eh !

2565. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. » p. 232

Bien des passages, et qui ne seraient pas les moins piquants pour la curiosité, dans les lettres de Mme Valmore à elle, ne sont pas à donner de quelque temps, à cause des noms propres et de l’entière confidence sur les personnes ; mais on en détacherait, dans les parties de sentiment, des notes ravissantes dont je mettrai quelques-unes ici, un peu pêle-mêle, et sans trop avoir égard à l’ordre des dates. […] » Emportée elle-même par son sort, par les nécessités de chaque heure, par la violence de son talent ou de ses passions, qui ne faisaient qu’un, Mme Dorval en son naufrage avait-elle le temps de montrer aux deux discrètes et silencieuses amies les nuances de sentiment qu’il aurait fallu et les grâces du cœur ?

2566. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [I] »

En rencontrant à l’improviste ces agréables pièces ou ces beaux passages, ils eurent un sentiment et comme un souffle de fraîcheur, d’aurore et de renaissance. […] Pour les imiter dignement et conformément à l’esprit, c’était donc en français qu’il les fallait non pas seulement traduire, mais reproduire avec art, avec sentiment et choix, qu’il les fallait sinon transplanter tout entiers, du moins renouveler par quelques-uns de leurs rameaux, les faisant refleurir et fructifier à souhait par une greffe heureuse, afin qu’on pût dire de la langue française, à son tour, en toute vérité : Nec longum tempus, et ingens Exiit ad cœlum ramis felicibus arbos, Miraturque novas frondes et non sua poma.

2567. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine »

Il faut, en effet, pour arriver à elles, pour prétendre à les ravir et à être nommé d’elles leur bienfaiteur, joindre à un fonds aussi précieux, aussi excellent que celui de l’Homme de Désir, une expression peinte aux yeux sans énigme, la forme à la fois intelligente et enchanteresse, la beauté rayonnante, idéale, mais suffisamment humaine, l’image simple et parlante comme l’employaient Virgile et Fénelon, de ces images dont la nature est semée, et qui répondent à nos secrètes empreintes ; il faut être un homme du milieu de ce monde, avoir peut-être moins purement vécu que le théosophe, sans que pourtant le sentiment du Saint se soit jamais affaibli au cœur ; il faut enfin croire en soi et oser, ne pas être humble de l’humilité contrite des solitaires, et aimer un peu la gloire comme l’aimaient ces poëtes chrétiens qu’on couronnait au Capitole.  […] Il était né et avait grandi dans des sentiments opposés à la Révolution : il n’avait jamais adopté l’Empire et ne l’avait pas servi.

2568. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. EUGÈNE SCRIBE (Le Verre d’eau.) » pp. 118-145

L’auteur s’est montré moins poétique depuis dans ses couplets de sentiment au Gymnase. […] La grâce recouvrait celles-ci ; la corruption mignonne de l’espèce y était corrigée par des teintes de sentiment, et y devenait tout avenante : Les vices délicats se nommaient des plaisirs.

2569. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. J. J. AMPÈRE. » pp. 358-386

Elle est devenue pour lui, à l’état d’étude, un entraînement successif, un sentiment continu et attachant, un voyage ému. […] Ampère ne l’a pas toute détachée et mise à part dans son Hilda ; cette fleur respire avec discrétion et sentiment en d’aimables passages, comme, par exemple, en ces endroits si bien touchés des chastes mariages chrétiens, où les époux convertis n’étaient plus que frère et sœur. où l’épouse rougissante revenait à la virginité169.

2570. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXIe Entretien. Chateaubriand »

Tels étaient nos sentiments : ils n’étaient point gênés, mais ils étaient purs. […] Ce livre était bien plus qu’un chef-d’œuvre, c’était un mystère ; c’était bien plus encore, c’était un sentiment, une résurrection, un passé évoqué de toutes les tombes, de tous les cœurs.

2571. (1890) L’avenir de la science « XIX » p. 421

» Et pourtant ils l’auraient dû, s’ils avaient eu le sentiment de l’avenir 178. […] La littérature sérieuse n’est pas celle du rhéteur, qui fait de la littérature pour la littérature, qui s’intéresse aux choses dites ou écrites, et non aux choses en elles-mêmes, qui n’aime pas la nature, mais aime une description, qui, froid devant un sentiment moral, ne le comprend qu’exprimé dans un vers sonore.

2572. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre IX. La littérature et le droit » pp. 231-249

Il a beau être, à son origine et dans son essence, un élan spontané de ceux qui souffrent vers le mieux-être, vers une répartition plus équitable des jouissances matérielles et spirituelles entre tous les membres de la société ; il a beau être, à ce titre, une aspiration vers une cité future qui n’existe qu’en idée dans le cerveau d’un petit nombre de penseurs ; sous l’inspiration de Marx et de ses disciples, il change de figure ; il se pique de renoncer aux chimères, de ne relever que de la science ; il raille les visées humanitaires ; il affiche la haine du sentiment ; il se moque de la fraternité et autres « fariboles » ; il met tout son espoir dans la force, cette accoucheuse des sociétés en travail ; il bannit l’idéalisme de l’histoire comme de la formation de l’avenir ; il déclare que l’intérêt est le point de départ réel de tous nos actes. […] Peintures tragiques de soldats qu’on fusille ou torture, souvent pour une peccadille ; puis, par contre-coup, éveil d’un sentiment d’horreur contre les férocités de ce livre de sang ; enfin dessein avoué d’y faire pénétrer un souffle d’humanité79 ; voilà ce qu’on rencontre dans une quantité de drames et de romans qui, depuis un siècle, ont exploité ce filon.

2573. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mademoiselle de Scudéry. » pp. 121-143

Suit alors l’énumération de ses talents, vers, prose, chansons improvisées : Elle exprime même si délicatement les sentiments les plus difficiles à exprimer, et elle sait si bien faire l’anatomie d’un cœur amoureux, s’il est permis de parler ainsi, qu’elle en sait décrire exactement toutes les jalousies, toutes les inquiétudes, toutes les impatiences, toutes les joies, tous les dégoûts, tous les murmures, tous les désespoirs, toutes les espérances, toutes les révoltes, et tous ces sentiments tumultueux qui ne sont jamais bien connus que de ceux qui les sentent ou qui les ont sentis.

2574. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — II. (Suite.) » pp. 220-241

Le comte Almaviva, au milieu de situations qui perdraient et dégraderaient tout autre, sait conserver son grand air, sa noblesse et un fonds d’élévation qui n’est pas à l’usage ni à la portée de Figaro ; il est toujours dupe et jamais colère, ou du moins jamais rancunier ni méchant ; c’est l’homme qui supporte le plus décemment le ridicule ; il le sauve par la bonne humeur et par des sentiments qui se sentent de leur origine. […] La pièce pour moi se gâte du moment que la Marceline, en étant reconnue la mère de celui qu’elle prétend épouser, introduit dans la comédie un faux élément de drame et de sentiment : cette Marceline et ce Bartholo père et mère me salissent les fraîches sensualités du début.

2575. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Histoire » pp. 179-240

Les pensées, les caractères, les sentiments, les hommes, les choses, l’âme et les dehors d’un peuple apparaîtront dans le portrait de cette personnalité où l’humanité d’un temps se montrera comme en un grand exemple. […] Les lettres que nous annonçons au public sont déjà recommandables, comme on le voit, par le nom des personnages qui les ont écrites, et dont nous possédons les originaux ; mais quand on apprendra qu’elles renferment tout ce qu’il y a de plus instructif à la fois, de plus original et de plus piquant ; quand on saura que la science, la politique, la littérature, y ont leur compte avec de nouveaux aperçus, quand on y verra le vieux philosophe Adanson, l’homme le plus scientifique et le plus profond qui fût jamais, s’enivrer des regards d’une Dervieux, et tourner le fuseau presque à ses pieds ; Noverre, déployer toutes les ressources de l’imagination la plus riche ; Mme Beaumarchais, effacer presque les Ninon et les Sévigné ; et cette brillante Sophie Arnould, parer tour à tour son style de tout ce que l’esprit a de folle gaieté, de tout ce que le cœur a de sentiments les plus exquis, révéler avec cet abandon séduisant toutes les petites indiscrétions du boudoir et nous initier aux mystères de l’alcôve, c’est alors surtout que nos lecteurs nous sauront gré de notre entreprise. 2 vol. in-8, 12 francs.

2576. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Première partie. Écoles et manifestes » pp. 13-41

René Boylesve déclare (Gil Blas, 23 août 1904) : « La tendance la plus nette qui m’apparaisse est celle qui aboutit à tout confondre ; la politique avec le sentiment ; la raison avec la passion ; les pouvoirs entre eux ; l’oppression avec la liberté, l’art avec la science ; la littérature avec la peinture, avec la musique, avec la morale, avec la philosophie, avec la sociologie, voire avec la carrière littéraire ! […] Ils ne veulent pas chanter l’homme en ses symboles, ils veulent l’exprimer en ses pensées, en ses sensations, en ses sentiments.

2577. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Vien » pp. 74-89

Car il y a cent peintres décorateurs, pour un peintre de sentiment. […] Malgré cette petite répugnance, je conviens que la vérité est inflexible, que la pitié est un sentiment étranger au métier que je fais, et que je vous remets le glaive pour faire justice sévère.

2578. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 35, de la mécanique de la poësie qui ne regarde les mots que comme de simples sons. Avantages des poetes qui ont composé en latin sur ceux qui composent en françois » pp. 296-339

L’homme qui manque de mots pour exprimer quelque bruit extraordinaire, ou pour rendre à son gré le sentiment dont il est touché, a recours naturellement à l’expedient de contrefaire ce même bruit, et de marquer son sentiment par des sons inarticulez.

2579. (1920) Action, n° 4, juillet 1920, Extraits

Mais — ô notre maître Rouveyred, — sur ce chemin délicat que vous avez ouvert à nos curiosités froissées par la pesanteur et l’insincérité des critiques professionnels — ne nous avez-vous pas enseigné que tout fait vrai, doré d’un peu de sentiment, peut avoir son prix et son parfum ? […] Elle lance son cosmorama… en un paroxysme extatique, en une tristesse martyrisante, en une douce et musicale élégie, avec la simultanéité de sentiments qui s’entrechoquent, dans la destruction chaotique de la langue, dans la caricature térébrante de l’enfer terrestre, dans sa nostalgie démente de Dieu, de la bonté, de l’amour et de la fraternisation.

2580. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre IV. Le rêve »

Il en éprouvait un vif sentiment d’angoisse. Ce sentiment, grandissant d’instant en instant, finit par le réveiller.

2581. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Première partie — Chapitre II. Réalité des idées égalitaires »

Sautons par-dessus les monarchies, grandes et petites, qui ont étouffé de plus en plus la liberté primitive et brisé le ressort de la dignité18 : nous nous retrouvons, chez les Fuégiens ou les Iroquois, face à face avec le sentiment de l’indépendance individuelle et de l’égalité sociale. […] Comment, du sentiment que quelques hommes avec lesquels on vit sont égaux, en est-on venu à l’idée que tous les hommes, en principe, ont les mêmes droits, voilà le pas qui importe.

2582. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « AUGUSTE BARBIER, Il Pianto, poëme, 2e édition » pp. 235-242

Les vers sont exquis et mélodieux : le sentiment d’où ils découlent ressemble à cette exclusive prédilection dont les mères jalouses environnent une fille nubile et chérie.

2583. (1874) Premiers lundis. Tome I « A. de Lamartine : Harmonies poétiques et religieuses — I »

Mais si l’on veut trouver le sentiment chrétien avec ses espérances, ses besoins, ses angoisses intimes, tel qu’il agite et ronge en ce moment bien des âmes, c’est à d’autres pièces qu’il faut s’adresser, véritables méditations de métaphysique religieuse, où le poète, seul avec lui-même, cherche, interroge, doute, passe de la défaillance à l’espoir, et le plus souvent, dès qu’il a entrevu la lueur, se prosterne au lieu de conclure.

2584. (1874) Premiers lundis. Tome II « Charles de Bernard. Le nœud Gordien. — Gerfaut. »

Après tout, M. de Bernard, en se livrant vers cette fin au terrible à la mode, a pu se dire qu’il avait, dans les trois autres quarts du roman, payé assez largement sa dette à l’observation fine et franche, à la vérité amusante des mœurs, à cette nature humaine d’aujourd’hui, vivement rendue dans ses sentiments tendres ou factices, ses élégances et ses ridicules, ses affectations naïves ou impertinentes ; car il a fait de tout cela dans Gerfaut, et bon nombre de ces pages, de ces conversations et de ces scènes scintillantes ou gaies, entraînantes ou subtiles, et parfois simplement plaisantes, auraient pu être écrites par un Beaumarchais romancier, ou même par un Regnard.

2585. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre II. Distinction des principaux courants (1535-1550) — Chapitre III. Les traducteurs »

Calvin, pour détourner de son Église les rigueurs du pouvoir temporel, se fait conservateur en politique, prêche aux fidèles la soumission et la fidélité, même envers le roi qui les persécute : c’est de l’humanisme, des écoles, des âmes imprégnées de sentiments antiques, que part le premier cri républicain, la première déclaration de haine aux tyrans.

2586. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Contes de Noël »

… M. l’abbé Fulcran, toujours aussi clairvoyant, morigène son neveu en ces termes : —    Vous avez obéi, mon enfant, à un sentiment peu digne d’un chrétien.

2587. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XVII. Conclusion » pp. 339-351

Il s’en servit pour révéler une préoccupation de l’esprit, un état de l’âme, un sentiment, une passion ; pour faire éclater un caractère du premier mot et du premier geste.

2588. (1887) Discours et conférences « Discours lors de la distribution des prix du lycée Louis-le-Grand »

Pour moi, je vous l’avoue, tel n’est pas mon sentiment.

2589. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre IV Le Bovarysme des collectivités : sa forme imitative »

C’est ainsi que l’engouement pour Rome et la Grèce ne pouvait donner à des Français du xviii e siècle, produits d’une longue hérédité chrétienne, les sentiments et les conceptions d’un Grec ou d’un Romain.

2590. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Aristophane, et Socrate. » pp. 20-32

Je les ai vus écouter & applaudir, sans s’en appercevoir, par sentiment & par instinct. » Oui, sans doute, la cabale ne fera jamais tomber une excellente pièce.

2591. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Mon mot sur l’architecture » pp. 70-76

Où aurait-il pris le sentiment exquis des proportions ?

2592. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Deuxième cours des études d’une Université » pp. 489-494

C’est le sentiment de Grotius. « En général, dit-il, ne pas commencer par des faits surannés qui nous sont indifférents, mais par des choses plus certaines, et qui nous touchent de plus près, et s’avancer de là peu à peu vers l’origine des temps86. » Voilà ce qui nous semble plus conforme à un véritable enseignement, c’est l’étude des faits soumis à notre principe général : et pourquoi en serait-elle une exception ?

2593. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 14, comment il se peut faire que les causes physiques aïent part à la destinée des siecles illustres. Du pouvoir de l’air sur le corps humain » pp. 237-251

Mais il est des animaux qui paroissent la connoître par sentiment.

2594. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 16, objection tirée du caractere des romains et des hollandois, réponse à l’objection » pp. 277-289

C’est le sentiment que donne l’expérience.

2595. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 1, idée generale de la musique des anciens et des arts musicaux subordonnez à cette science » pp. 6-19

Nous verrons cy-dessous que le mouvement étoit, au sentiment des anciens, ce qu’il y avoit de plus important dans l’exécution de la musique, et l’invention de l’art du pantomime les aura encore engagez à faire une étude plus profonde de tout ce qui pouvoit perfectionner l’art du mouvement.

2596. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 7, nouvelles preuves que la declamation théatrale des anciens étoit composée, et qu’elle s’écrivoit en notes. Preuve tirée de ce que l’acteur qui la recitoit, étoit accompagné par des instrumens » pp. 112-126

Il est vrai qu’au sentiment des meilleurs critiques le traité contre les spectacles que je viens de citer, n’est pas de saint Cyprien, ainsi son autorité ne seroit point d’un poids bien considerable, s’il s’agissoit d’une question de théologie.

2597. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 14, de la danse ou de la saltation théatrale. Comment l’acteur qui faisoit les gestes pouvoit s’accorder avec l’acteur qui récitoit, de la danse des choeurs » pp. 234-247

Comme le dit Ciceron, la nature a marqué à chaque passion, à chaque sentiment son expression sur le visage, son ton et son geste particulier et propre.

2598. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Proudhon et Couture »

Ils ont le sentiment chevaleresque de l’honneur de la France à l’étranger, mais, à l’intérieur, ils ne voient rien.

2599. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Charles Monselet »

Il l’avait, en effet, ce sentiment céleste sans lequel les poètes ne sont pas, et il en était un « Oui !

2600. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre IV. Que la critique doit être écrite avec zèle, et par des hommes de talent » pp. 136-215

Faite pour parler au sentiment, comme la logique et la grammaire parl ent à l’esprit, elle impose silence à la raison même. — Les hommes sont le premier livre que l’écrivain doive étudier pour réussir, après quoi il étudiera les grands modèles !  […] Une fois entré chez sa belle, Louis XIV fait du sentiment à la façon d’un héros du Gymnase. […] « En vérité, ses sentiments ont quelque chose de si divin, que je ne puis y penser sans être en de continuelles actions de grâces, et la marque du doigt de Dieu, c’est la force et l’humilité qui accompagne toutes ses pensées, c’est l’ouvrage du Saint-Esprit. […] Vous avez beaucoup de cette énergie qui ressemble au sentiment, etc. » Madame de Montespan répondait à Lauzun : « Je sais que tu as été l’architecte de ma puissance. » On voyait ensuite Louis XIV jouant aux échecs avec mademoiselle de La Vallière. […] Dans tous les arts, mais surtout dans l’art dramatique, les sentiments et les passions se tiennent. — Mettez une insolence dans la question que fait un de vos personnages, à coup sûr l’autre personnage répondra, tout au moins, à cette insolence, par une bêtise.

2601. (1925) Les écrivains. Première série (1884-1894)

Caro prononça son discours, au moment où, avec un tact infini, une tristesse sincère et des allusions délicates, qui ne pouvaient blesser personne, il parla des sentiments politiques et religieux de M.  […] Tous deux procèdent du même mouvement qui entraîna hommes et choses, sentiments et systèmes, à la fin du dix-huitième siècle. […] Quels sont les sentiments, les vices qu’elles aiment ? […] Les grands sentiments — il paraît que ce sont de grands sentiments — ont beaucoup perdu de leur prestige ancien, et même de leur signification morale. […] Jules Huret oblige chacun à se révéler tout entier, à montrer ce qu’il y a en lui, sous le maquillage des faux sentiments et des grandes idées, de grotesque, de ridicule, de grimaçant.

2602. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIIIe entretien. Littérature latine. Horace (2e partie) » pp. 411-480

XI On retrouve les mêmes sentiments voilés sous une allusion transparente dans la belle ode pindarique où Horace prophétise par la bouche de Nérée sur la ruine imminente de Troie ; dans Troie menacée il est impossible de ne pas reconnaître Rome déclinant vers la servitude. […] « Quoique Calaïs soit plus beau qu’un astre du ciel, toi plus léger que la feuille et plus perfide que la mer d’Adria, avec toi j’aimerais à vivre, avec toi je voudrais mourir. » A-t-on jamais chanté l’influence d’un premier sentiment et le retour des cœurs sur leurs traces en pareilles strophes ? […] Mais si vous êtes seulement un homme de bon sens et de goût exquis, un amateur des délicatesses de l’esprit et des grâces de la poésie ; si vous ne sentez plus dans votre cœur ou si votre nature tempérée n’a jamais senti les brûlures sacrées ni les stigmates toujours saignants des fortes passions : amour, dévouement, religion, soif de l’infini ; si une félicité facile et constante vous a servi à souhait dans les différents âges de votre vie ; si vous avez passé l’âge des tempêtes, l’équinoxe de cette vie ; si vous êtes détrompé des hommes et de leurs vains efforts pour se retourner sur leur lit de chimères ; si vous avez vu dix révolutions et cent batailles soulever pendant soixante ans la poussière des places publiques et des champs de mort sans rien changer dans le sort des peuples que le nom de leur servitude et de leurs déceptions ; si vous avez vu les prétendus sages de la veille déclarés fous le lendemain, et les philosophies et les systèmes qui avaient fanatisé les pères devenir la dérision de leurs fils ; si la pensée humaine, toujours active et toujours trompée, vous a attristé d’abord par ce perpétuel enfantement du néant ; si, après avoir pleuré sur ce tonneau retentissant des Danaïdes qu’on appelle Vérité, vous avez fini par en rire ; si, sans chercher plus longtemps cette impénétrable moquerie du destin qui pousse le genre humain à tâtons de la vie à la mort, vous avez pris le parti de douter de tout, de laisser son secret à la Providence, qui, décidément, ne veut le dire à aucun mortel, à aucun peuple et à aucun siècle ; si vous vous laissez glisser ainsi sur la pente, comme l’eau de l’Anio qui glisse en gazouillant sous le verger d’Horace ; si vous n’avez ni femme ni enfant qui doublent et qui perpétuent pour vous les soucis de la vie ; si votre cœur, un peu rétréci par cet égoïsme qui se replie uniquement sur lui-même, a besoin d’amusement plus que de sentiment ; si vous possédez cet Hoc erat in votis , ce vœu d’Horace, un joli domaine aux champs pour l’été, une maison chaude l’hiver, tapissée de bons vieux livres ( nunc veterum libri ) ; si votre fortune est suffisante pour votre bien-être borné ; si vous avez pour amis quelques amis puissants, amis eux-mêmes des maîtres du monde, avec lesquels vous soupez gaiement en regardant combattre Pompée et mourir Cicéron pour cette vertu que Brutus appelle un vain nom en mourant lui-même ; enfin, si vous n’avez pas grand souci des dieux, et si les étoiles vous semblent trop haut pour élever vos courtes mains vers les choses célestes ; oh !

2603. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIIe entretien. Littérature politique. Machiavel » pp. 241-320

Comme on sent, quelques lignes plus loin, l’homme qui a le sentiment de sa supériorité sur ses contemporains, de son égalité de niveau avec les plus hauts caractères et les plus vastes intelligences de l’antiquité ! […] Capponi ayant par mégarde laissé tomber de son habit la liste des conjurés, les Médicis avertis firent saisir tous ceux dont le nom était porté sur la liste de Capponi et tous ceux que leurs sentiments républicains pouvaient faire soupçonner complices de la conjuration. […] XX Mais un livre de Machiavel sur lequel il n’y a qu’un sentiment, c’est son Histoire de Florence ; toute la théorie de l’Italie classique, de l’Italie contemporaine de Machiavel et de l’Italie actuelle, est dans ce livre, quand on est capable de comprendre la logique historique des événements et la nature des nations.

2604. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIIe entretien. Phidias, par Louis de Ronchaud (2e partie) » pp. 241-331

Or, voyager, c’est traduire ; c’est traduire à l’œil, à la pensée, à l’âme du lecteur, les lieux, les couleurs, les impressions, les sentiments que la nature ou les monuments humains donnent au voyageur. […] L’œil ne peut s’en arracher ; on les regarde, on les suit, on les admire, on les plaint avec ce sentiment qu’on éprouverait pour des êtres qui auraient eu ou qui auraient encore le sentiment de la vie.

2605. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre VI. Bossuet et Bourdaloue »

Il a affaire à des malades qui souvent ne voient pas leur mal : il faut leur en donner le sentiment cuisant et non la connaissance théorique, et il faut leur faire apercevoir, désirer, tenter le remède. […] Ces réalités sont celles où se manifestent les desseins et les jugements de Dieu : leur image éveille en lui tous les sentiments dont son Dieu est l’objet, toutes les ardeurs de la foi, de l’espérance et de l’amour. […] A l’ordinaire, il improvisait, et ce qu’il pouvait y avoir de séduction, de tendresse, de grâce ondoyante et captivante, d’abondance d’idées et de sentiments, dans ces homélies familières qu’il « parlait » si inépuisablement, ses écrits et particulièrement ses lettres de direction peuvent nous l’apprendre.

2606. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1882 » pp. 174-231

Au khédive succède le duc de Ripalda, qui a longtemps voyagé dans les déserts de l’Amérique méridionale, ces déserts d’herbe qui recouvrent un cavalier et son cheval et qui nous entretient du sentiment douloureux d’infériorité, qu’on éprouve dans ces contrées, quand les Européens comparent leurs sens aux sens des Indiens. « Nous, nous sommes des aveugles, disait-il, rappelant un jour que son guide lui signalait à l’horizon, cinq chevaux avec le détail de leurs couleurs, chevaux qu’il ne voyait que quelques minutes après, et encore avec une lorgnette. […] Got est un excellent, un très remarquable acteur dans une pièce bourgeoise, mais en ce rôle historique, il ne sait ni être bossu, ni boiter, ni pleurer, ni dire un vers, et il n’a pas même la silhouette naine à la Velasquez, qu’aurait eue Rouvière… Puis toujours cette humanité hugotienne, cette humanité à la sublimité des sentiments et qui parle seulement au cerveau, et non pas au cœur, à la fibre. […] » Oui, il y a vraiment dans le temps de critique et d’analyse où nous vivons, abus d’ingénuité en ce génie de 1830 : le masque à bandeau qui rend Triboulet sourd et aveugle à la fois, et lui fait encore perdre le sentiment de sa droite et de sa gauche, est une invention dramatique par trop enfantine.

2607. (1902) La politique comparée de Montesquieu, Rousseau et Voltaire

C’est ailleurs qu’on est bien forcé de voir que Voltaire n’avait pas l’idée de ce que peut être patrie, ni aucun sentiment patriotique. […] Encore est-il que son sentiment est très bon. « Les Huguenots, sans doute, ont été enivrés de fanatisme et souillés de sang comme nous ; mais la génération présente est-elle aussi barbare que leurs pères ? […] Etat dans l’Etat, un parti, car c’est une fédération de sentiments d’intelligence et de volontés. […] Voilà mes sentiments, qui sont conformes à ce qu’assurent la liberté et la sûreté publique, premier objet de toute législation.  » Au fond le philosophe de la Brède et le roi de Prusse sont à peu près d’accord. […] Je souhaiterais passionnément que vous voulussiez entreprendre cet ouvrage et l’embellir de votre poésie, afin que, chacun pouvant l’apprendre aisément, il portât dès l’enfance dans les cœurs ces sentiments de douceur et d’humanité qui brillent dans vos écrits et qui manquèrent toujours aux dévots.

2608. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome III pp. -

Il croyoit le sentiment des idées innées un sentiment très-fondé. […] Le citoyen de Genève défendit son sentiment en homme persuadé. […] Les paroles ne sont que pour désigner l’objet « que le musicien a dû peindre, le sentiment qu’il a dû exciter. […] Voici comme le docteur Subtil avoit raisonné pour établir ce sentiment. […] Je ne connois point de sentiment plus élevé que celui de la mère Angélique, dans une lettre qu’elle écrivit alors à M.

2609. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Alexis Piron »

Ça buvait, ça mangeait, ça s’empiffrait, ça citait au dessert du Sophocle, du Démosthène, ça pleurait dans son verre : où le sentiment de l’Antique va-t-il se nicher ? […] Il faut faire entrer dans notre être tous les modes imaginables, ouvrir toutes les portes de son âme à toutes les sciences et à tous les sentiments ; pourvu que tout cela n’entre pas pêle-mêle, il y a place pour tout le monde. […] Il n’était pas homme à sentir la portée des idées, l’éloquence des sentiments ; cela ne rentrait pas dans son genre. […] On a là-dessus des lettres de Piron, fort honorables par les sentiments qu’il y exprime.

2610. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVIe entretien. Épopée. Homère. — L’Iliade » pp. 65-160

XIII Ces scènes, les unes publiques, les autres domestiques, de ce sixième chant ; ces amours voluptueuses dans la chambre d’Hélène ; ces amours chastes dans le palais d’Andromaque ; ces adieux sur la tour de la porte Scées ; ce cœur d’épouse qui fléchit sous ses alarmes ; ce cœur d’époux qui s’affermit tout en s’attendrissant sous le sentiment de son devoir ; cette habileté instinctive de la mère, qui se fait suivre par la nourrice et par l’enfant pour doubler sa puissance d’amante par le prestige de sa maternité ; ce dialogue, dont chaque mot est pris dans les instincts les plus vrais, les plus délicats et les plus saints de la nature ; cette passion légitimée par la chaste union des deux époux ; cette éloquence qui coule sans vaines figures et sans fausse déclamation des deux cœurs ; cet épisode puéril et attendrissant à la fois de l’enfant effrayé du panache et se replongeant dans le sein de la nourrice en se détournant des bras de son père ; ce père qui berce l’enfant de ces mêmes bras forts qui vont tout à l’heure lancer le javelot d’airain contre Achille ; le pressentiment sinistre de cette épouse, qui se rappelle tout à coup et comme involontairement que c’est ce même Achille qui a tué jadis son père et ses sept frères ; enfin jusqu’à ces ormeaux plantés autour de la tombe de ce père d’Andromaque qui s’élancent tout à coup de son souvenir comme des flèches de cyprès dans un ciel serein ; puis les larmes mal contenues qui voilent les yeux ; puis le départ en sanglotant, et ce visage qui se retourne tout en pleurs pour apercevoir une dernière fois celui qui emporte son âme ; puis ce retour dans sa maison vide de son mari, mais pleine de femmes indifférentes, et cette présence d’Andromaque, seule avec l’enfant et la nourrice, excitant, par la compassion qu’elle inspire, sans parler, plus de sanglots que la chute et l’incendie d’Ilion n’en feront bientôt éclater sur la colline des Figuiers, ce sont là autant de coups de pinceau qui égalent le peintre à la nature et qui font du poète plus qu’un homme, un interprète véritablement divin entre la nature humaine et le cœur humain ! […] Oui, mais c’est l’âme appliquée par le calcul à la matière ; l’autre, c’est l’âme appliquée par la poésie au sentiment, à la pensée, à la nature universelle, à la Divinité. […] Cette générosité, que nous appellerions aujourd’hui chevaleresque, atteste que la chevalerie, cette grâce dans l’héroïsme, était inventée bien avant les mœurs arabes et chrétiennes, et qu’elle était sortie du cœur de l’homme, même dans les temps que nous nommons barbares, comme une beauté innée des sentiments humains, beauté qui n’a pas d’autre date que celle du cœur humain lui-même. […] Il décrit toutes les choses matérielles les plus vulgaires par le côté où elles touchent à l’imagination la plus pittoresque ou au sentiment le plus pathétique.

2611. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXVIII » pp. 266-276

Autrement comment pouvoir exprimer en toute sincérité certains sentiments, certaines vérités nobles, désintéressées, naturelles, qui sont l’âme même de toute généreuse poésie ?

2612. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « La poésie »

Le tombeau de Jésus-Christ retombera entre les mains des infidèles, mais les membres de Jésus-Christ seront libres. » Et c’est ainsi que renseignement secondaire initie les jeunes filles au sentiment vrai de nos origines modernes, et les émancipe, les aguerrit par degrés en leur donnant sous cette forme agréable la clef des vicissitudes et des révolutions de l’histoire générale : c’est quelque chose déjà que de les guérir d’un convenu dans le jugement des œuvres de l’esprit et de l’imagination.

2613. (1874) Premiers lundis. Tome I « Ferdinand Denis »

C’est un polype élégant, et la nature semble avoir été dans l’indécision quand elle le fit naître. » Et ailleurs, à l’occasion des déserts de l’Arabie et de l’Amérique : « L’amour dans ces pays brûlants devient un sentiment dont rien ne peut distraire ; c’est le besoin le plus impérieux de l’âme ; c’est le cri de l’homme qui appelle une compagne pour ne pas rester seul au milieu des déserts. » Certes Bernardin de Saint-Pierre n’eût pas mieux dit.

2614. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Vigny, Alfred de (1797-1863) »

Mais, du moins, dans cette victoire du Doute, il n’a pas perdu le sentiment de la grandeur du Dieu auquel il ne croit plus.

2615. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XIV. Moralistes à succès : Dumas, Bourget, Prévost » pp. 170-180

Bourget sans dire quel sentiment de respect autre qu’artistique et presque personnel s’impose pour l’écrivain de cette préface et même de ce roman de moralisme un peu flou… III M. 

2616. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Samuel Bailey »

salués d’applaudissements de triomphe, des milliers de savants s’emploieront à des investigations physiques presque infinitésimales ; à rechercher la composition atomique et la structure microscopique du corps ; à explorer les formes innombrables de la vie animale et végétale, invisibles à l’œil tout seul ; à découvrir des planètes qui ont parcouru, inconnues pendant des siècles, leurs orbites obscurs ; à condenser, par la puissance du télescope, en soleils et systèmes, ce qui était regardé récemment encore comme la vapeur élémentaire des étoiles ; à traduire en formules numériques l’inconcevable rapidité des vibrations qui constituent ces rayons, si fermes en apparence que les plus forts vents ne les ébranlent pas ; à mettre ainsi en vue les parties les plus mystérieuses de l’univers matériel, depuis l’infiniment loin jusqu’à l’infiniment petit ; mais l’analyse exacte des phénomènes de conscience, la distinction entre les différences, si fines pourtant et si petites, des sentiments et des opérations ; l’investigation attentive des enchaînements les plus subtils de la pensée, la vue ferme mais délicate de ces analogies mentales qui se dérobent au maniement grossier et négligent de l’observation vulgaire, l’appréciation exacte du langage et de tous ses changements de nuances et de tous ses expédients cachés, la décomposition des procédés du raisonnement, la mise à nu des fondements de l’évidence : tout cela serait stigmatisé comme un exercice superflu de pénétration, comme une perte de puissance analytique, comme une vaine dissection de cheveux, comme un tissage inutile de toiles d’araignées ?

2617. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 23-38

Y a-t-il, soit parmi les Anciens, soit parmi les Modernes, un Poëte qui offre autant d’exemples du sublime de sentiment & du sublime d’expression ?

2618. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre quatrième. L’aperception et son influence sur la liaison des idées »

Ce n’est pas sans raison qu’on a comparé l’inspiration de l’artiste à un souffle qui entraîne toutes ses pensées : ce souffle est un sentiment dominateur, un désir déterminé et déterminant.

2619. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — V »

C’est que les instincts naturels, — sentiment de la famille, amour de la liberté individuelle, attachement aux biens immédiats et à la vie présente, — formes de l’égoïsme élémentaire, représentants d’une réalité antérieure à la genèse des sociétés humaines et contemporaine des premiers stades de la biologie, c’est que ces instincts réagissent maintenant contre la contrainte que leur imposa la croyance.

2620. (1894) Notules. Joies grises pp. 173-184

En effet, je peux répéter exactement — de l’assonance interne — ce que j’ai dit de l’assonance finale, savoir : qu’au moyen des combinaisons d’assonances il n’est pas une sensation, pas un sentiment, pas une idée qu’on ne puisse rendre dans ses nuances les plus délicates.

2621. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre III. Suite des Époux. — Adam et Ève. »

Mais ni l’amour de Pénélope et d’Ulysse, ni celui de Didon pour Énée, ni celui d’Alceste pour Admète, ne peut être comparé au sentiment qu’éprouvent l’un pour l’autre les deux nobles personnages de Milton : la vraie religion a pu seule donner le caractère d’une tendresse aussi sainte, aussi sublime.

2622. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Seconde faculté d’une Université. Faculté de médecine. » pp. 497-505

Il y a sans doute quelque différence entre la conservation d’un grand ministre et d’un petit mercier, d’un célibataire et d’un père de famille, d’un bon général d’armée et d’un mauvais poëte ; mais ni le souverain qui nous regarde comme ses enfants, ni le sentiment de l’humanité qui nous rapproche de nos semblables ne s’arrêtent à ce calcul.

2623. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 37, des défauts que nous croïons voir dans les poëmes des anciens » pp. 537-553

Si les heros d’Homere ne se battent pas en duel aussi-tôt qu’ils se sont querellez, c’est qu’ils n’avoient pas sur le point d’honneur le sentiment des gots ni de leurs pareils.

2624. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 15, observations concernant la maniere dont les pieces dramatiques étoient représentées sur le théatre des anciens. De la passion que les grecs et les romains avoient pour le théatre, et de l’étude que les acteurs faisoient de leur art et des récompenses qui leur étoient données » pp. 248-264

De la passion que les grecs et les romains avoient pour le théatre, et de l’étude que les acteurs faisoient de leur art et des récompenses qui leur étoient données L’imagination ne supplée pas au sentiment.

2625. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XI. Mme Marie-Alexandre Dumas. Les Dauphines littéraires »

on dit que le sentiment de la famille n’existe plus !

2626. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XVI. Mme de Saman »

Mais bas-bleu de bonne heure, élevée sans mère dont elle ne parle pas et par un père qui pour tuer en elle le sentiment religieux et la prédisposer à la philosophie, lui faisait lire la correspondance de Voltaire et du Roi de Prusse, cette Prudence, sans prudence, ne fit, en vivant, que foncer son indigo davantage ; et ses amours, même les plus jeunes, et qui auraient dû être si roses, ne furent que de vaniteux amours de bas-bleu.

2627. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « L’insurrection normande en 1793 »

L’estime des hommes est un sentiment pur de toute épouvante.

2628. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Napoléon »

Mais les petits, ils ont pullulé de toutes parts… Et à ce point que les esprits qui ont le sentiment de la convenance des choses et de leur harmonie ont dû souvent être importunés jusqu’à l’impatience de toute cette quantité de traîne-fétus historiques qui s’imaginent être des colosses parce qu’ils remuent leur activité d’insecte dans les cendres du colosse du xixe  siècle, et tracassent sa grandiose histoire.

2629. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Pierre Dupont. Poésies et Chansons, — Études littéraires. »

La vraie gloire de Béranger, dans la postérité, sera quelques romances, d’un sentiment éternel, auxquelles personne ne pense que les âmes tendres qu’elles font rêver et qui, pour cette raison, n’en parlent pas.

2630. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XI. Des éloges funèbres sous les empereurs, et de quelques éloges de particuliers. »

Enfin, il vint à parler de sa rare prudence et de sa profonde sagesse, c’est-à-dire, de la profonde sagesse d’un empereur qui n’avait ni une idée dans la tête, ni un sentiment dans le cœur ; qui ne sut jamais ni vouloir, ni aimer, ni haïr ; toujours prêt à obéir à qui daignait lui commander, jouet de ses courtisans, esclave de ses esclaves même, et si stupide qu’il inspirait encore plus de pitié que de mépris.

2631. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XVII. De l’éloquence au temps de Dioclétien. Des orateurs des Gaules. Panégyriques en l’honneur de Maximien et de Constance Chlore. »

Ainsi, dans la représentation des sentiments, des hommes et des choses, tout, sous les empereurs, fut porté à l’extrême.

2632. (1824) Épître aux muses sur les romantiques

     C’est une vérité qui n’est point la nature ; Un art qui n’est point l’art, de grands mots sans enflure ; C’est la mélancolie et la mysticité ; C’est l’affectation de la naïveté, C’est un monde idéal qu’on voit dans les nuages : Tout, jusqu’au sentiment, n’y parle qu’en images.

2633. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre V. La philosophie. Stuart Mill. »

Le mot honneur exprime un sentiment d’approbation et d’admiration suivi à l’occasion par les actes extérieurs correspondants. […] Prenez, disent les logiciens, un animal, une plante, un sentiment, une figure de géométrie, un objet ou un groupe d’objets quelconques. […] When, for example, we say of any character, or (in other words) of any mind, that it is admirable, we mean that the contemplation of it excites the sentiment of admiration ; and indeed somewhat more, for the word implies that we not only feel admiration, but approve that sentiment in ourselves. […] The assertion made, therefore, is twofold, and of the following purport : Certain feelings form habitually a part of this person’s sentient existence ; and the idea of those feelings of his excites the sentiment of approbation in ourselves or others.

2634. (1864) Le positivisme anglais. Étude sur Stuart Mill

Le mot honneur exprime un sentiment d’approbation et d’admiration suivi à l’occasion par les actes extérieurs correspondants. […] Prenez, disent les logiciens, un animal, une plante, un sentiment, une figure de géométrie, un objet ou un groupe d’objets quelconques. […] When, for example, we say of any character, or (in other words) of any mind, that it is admirable, we mean that the contemplation of it excites the sentiment of admiration ; and indeed somewhat more, for the word implies that we not only feel admiration, but approve that sentiment in ourselves. […] The assertion made, therefore, is twofold, and of the following purport : Certain feelings form habitually a part of this person’s sentient existence ; and the idea of those feelings of his excites the sentiment of approbation in ourselves or others.

2635. (1886) Le naturalisme

Là aussi, le langage et les sentiments s’alambiquaient. […] L’auteur nous le révèle : « Ce n’est partout que peintures et sentiments, mais des peintures vraies et des sentiments naturels…. […] Un homme entre dans une église, s’agenouille aux pieds d’un confesseur et lui raconte sa vie sans omettre une circonstance, sans voiler ses bassesses ni ses fautes, sans cacher ses sentiments ni atténuer ses mauvaises actions. […] Ils contiennent toute manifestation de leurs sentiments, n’interviennent pas dans leurs récits, et évitent de les interrompre par des réflexions et des digressions. […] Seulement dans les anciens romans anglais, ce qui était lourd et interminable, c’était la peinture des sentiments, des passions et des aspirations de leurs héros et de leurs héroïnes, de leurs grandes batailles avec eux-mêmes, et de leurs plaintes amoureuses.

2636. (1893) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Cinquième série

Si l’auteur de ces très beaux vers n’est sans doute pas absent de son œuvre, il ne nous livre cependant que le moins qu’il peut de lui-même ; et son intention n’est pas du tout de traduire ici ses sentiments, à lui, mais bien ceux qui doivent être les nôtres comme les siens. […] » disait un autre Théophile ; et comme on y respire, ajouterons-nous, ce sentiment de la nature qu’au contraire ou rencontre si rarement dans Malherbe ! […] C’est faire trop d’honneur à ce génie chagrin et singulier, qui peut-être n’a manqué de rien tant que de bon sens, à moins encore que ce ne soit de l’expérience de la vie, et du sentiment de la réalité. […] La Vie de saint Bruno — que je n’admire pas plus qu’il ne faut, — et les Sept Sacrements, qui sont une des grandes choses de la peinture, ne doivent rien qu’au génie de leurs auteurs, et aux sentiments qu’ils partageaient avec leurs contemporains. […] « La conquête était des plus minces, dit-elle, mais dans la solitude les objets se boursouflent, comme ce que l’on met dans la machine du vide. » C’est M. de Rey, un autre galant, dans les sentiments duquel elle découvre quelque diminution.

2637. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre III. Services locaux que doivent les privilégiés. »

. — Sentiments des paysans à leur endroit. […] — Effets de leur droit de chasse. — Sentiments des paysans à leur endroit. […] Sur la conduite et sur les sentiments des seigneurs ecclésiastiques et laïques, cf.

2638. (1860) Cours familier de littérature. X « LVIe entretien. L’Arioste (2e partie) » pp. 81-160

Puis il reprend la note sérieuse et tendre pour raconter la félicité des deux amants dans la solitude : « Angélique laissa cueillir à Médor la première rose d’un sentiment qui n’avait encore été respiré par personne. […] Mais Arioste, transportant son lecteur dans une loge de fou, et se complaisant à montrer son héros dans la sordide nudité d’une bête féroce, privée même de son instinct, nous paraît avoir commis une faute non-seulement contre le sentiment, mais contre le goût. […] Votre cœur comprend de reste le sentiment qui m’oblige à le faire, puisqu’il s’agit d’un ami qui n’est plus là pour se défendre, d’un homme que ses adversaires ont pu accuser d’étroitesse d’esprit, parce qu’il se tenait renfermé dans la stricte limite du devoir, mais à qui il n’a manqué qu’un vice, l’ambition, pour qu’on le plaçât parmi les grands génies.

2639. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 juin 1885. »

» Ce fut, toujours, non seulement pour la critique, mais encore pour les sentiments les moins prévenus, une pierre d’achoppement, de voir ici le Maître, tout à coup, sortir en une certaine mesure, de la musique, s’élancer hors du cercle enchanté que lui-même s’était tracé, pour faire appel, ainsi, à des moyens de représentation pleinement différents de la conception musicale. […] Deux peintures sont ; l’une, immédiate, la peinture dite réaliste, donnant l’image exacte des choses, vues par la vision spéciale du peintre ; l’autre, médiate, comme une Poésie de la peinture, insoucieuse des formes réelles, combinant les contours et les nuances en pure fantaisie, produisant aux âmes, non la vision directe des choses, mais — conséquence de séculaires associations entre les images et les sentiments, — un monde d’émotion vivante et bienheureuse : deux peintures sont, toutes deux également légitimes et sacrées, formes diverses d’un Réalisme supérieur, et que le Wagnériste trouve, toutes deux, sur la voie tracée à l’Art par le Maître vénéré. […] La thèse correspond au XVIIe siècle, période où s’exprime l’esprit ; l’antithèse est le romantisme, le temps de l’émotion et des sentiments.

2640. (1739) Vie de Molière

On tâchera d’éviter cet écueil dans cette courte histoire de la vie de Molière ; on ne dira de sa propre personne, que ce qu’on a cru vrai et digne d’être rapporté ; et on ne hasardera sur ses ouvrages rien qui soit contraire aux sentiments du public éclairé. […] Les romans de Mlle Scudéri avaient achevé de gâter le goût : il régnait dans la plupart des conversations un mélange de galanterie guindée, de sentiments romanesques et d’expressions bizarres, qui composaient un jargon nouveau, inintelligible et admiré. […] Molière pour ne point heurter de front le sentiment des critiques, et sachant qu’il faut ménager les hommes quand ils ont tort, donna au public le temps de revenir, et ne rejoua L’Avare qu’un an après : le public, qui à la longue se rend toujours au bon, donna à cet ouvrage les applaudissements qu’il mérite.

2641. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « M. Boissonade. »

En fait de sentiments et de procédés dans les relations ordinaires, c’était la délicatesse même. […] Tout ce qui n’était pas sentiment immédiat, aperçu d’un goût rapide, n’était pas son propre.

2642. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid, (suite.) »

A cela près, le Cid du poème a des sentiments qui sont en général d’accord avec les nôtres et qui nous touchent. […] On y distingue plusieurs sentiments opposés, qui se compliquent et se combattent.

2643. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [IV] »

Conservez-moi quelques sentiments de bienveillance. […] Après Leipsick, Jomini crut devoir se retirer du quartier général des Alliés ; il en demanda, dès Weimar, l’autorisation à l’empereur Alexandre, alléguant « que rien n’arrêterait plus les armées alliées jusqu’au Rhin ; que de deux choses l’une : ou que l’on ferait la paix, si l’on se contentait d’avoir assuré l’indépendance des puissances européennes ; ou que, si l’on continuait la guerre, on marcherait vers Paris ; que dans ce dernier cas il lui paraissait contre sa conscience d’assister à l’invasion d’un pays qu’il servait encore peu de mois auparavant. » Jomini estimait, à la fin de 1813, que l’invasion de la France serait pour les Alliés une beaucoup plus grosse affaire qu’elle ne le fut réellement : « J’avoue, écrivait-il en 1815, qu’aussitôt qu’il a été question d’attaquer le territoire français mon jugement politique et militaire n’a pas été exempt de prévention, et que j’ai cru qu’il existait un peu plus d’esprit national en France… Est-il besoin, ajoutait-il pour ceux qui lui en faisaient un reproche, de se justifier d’un sentiment de respect pour un Empire que l’on a bien servi et auquel on a vu faire de si grandes choses ? 

2644. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Chateaubriand, Vie de Rancé »

On fit courir dans le temps divers bruits contradictoires, et quelques personnes prétendaient qu’il avait redoublé de frayeur aux approches suprêmes : « S’il a eu, comme on vous l’a dit (écrivait Bossuet à la sœur Cornuau), de grandes frayeurs des redoutables jugements de Dieu, et qu’elles l’aient suivi jusqu’à la mort, tenez, ma fille, pour certain que la constance a surnagé, ou plutôt qu’elle a fait le fond de cet état. » Peu de temps après cette mort, le même Bossuet, qu’on ne se lasse pas de citer et dont on n’a cesse de se couvrir en telle matière, posait ainsi les règles à suivre et traçait sa marche à l’historien d’alors, tel qu’il le concevait : « Je dirai mon sentiment sur la Trappe avec beaucoup de franchise, comme un homme qui n’ai d’autre vue que celle que Dieu soit glorifié dans la plus sainte maison qui soit dans l’Église, et dans la vie du plus parfait directeur des âmes dans la vie monastique qu’on ait connu depuis saint Bernard. […] On est obligé de reconnaître que les sentiments de l’homme sont exposés à l’effet d’un travail caché ; fièvre du temps qui produit la lassitude, dissipe l’illusion, mine nos passions, fane nos amours et change nos cœurs, comme elle change nos cheveux et nos années.

2645. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Du génie critique et de Bayle »

Bayle était religieux, disons-nous, et nous tirons cette conclusion moins de ce qu’il communiait quatre fois l’an, de ce qu’il assistait aux prières publiques et aux sermons, que de plusieurs sentiments de résignation et de confiance en Dieu, qu’il manifeste dans ses lettres. […] Il est curieux surtout à entendre parler des poètes et pousseurs de beaux sentiments, qu’il considère assez volontiers comme une espèce à part, sans en faire une classe supérieure.

2646. (1875) Premiers lundis. Tome III «  À propos, des. Bibliothèques populaires  »

Sainte-Beuve eut la parole au début et prononça le discours suivant :   Messieurs, Il faut que ce soit le sentiment bien vif d’un devoir à remplir qui m’amène ici, — qui m’y ramène malgré un état de santé très-peu satisfaisant, et quoique je sache à l’avance que la faveur du Sénat, qu’il m’a publiquement retirée dans une circonstance regrettable et mémorable, — je veux dire regrettable pour d’autres que pour moi, — quoique cette faveur, dis-je, ne doive point m’être rendue au sujet des quelques observations que j’ai aujourd’hui à lui soumettre. […] « Je n’apporte dans ce débat aucun sentiment étranger ni personnel, en dehors du sujet même.

2647. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre IV. Construction de la société future »

Le premier intérêt de l’État sera toujours de former les volontés par lesquelles il dure, de préparer les votes qui le maintiendront, de déraciner dans les âmes les passions qui lui seraient contraires, d’implanter dans les âmes des passions qui lui seront favorables, d’établir à demeure, dans ses citoyens futurs, les sentiments et les préjugés dont il aura besoin448. […] Car le pacte social ne tolère pas une religion intolérante ; une secte est l’ennemi public quand elle damne les autres sectes ; « quiconque ose dire hors de l’Église point de salut doit être chassé de l’État »  Si enfin je suis libre-penseur, positiviste ou sceptique, ma situation n’est guère meilleure. « Il y a une religion civile », un catéchisme, « une profession de foi dont il appartient au souverain de fixer les articles, non pas précisément comme dogmes de religion, mais comme sentiments de sociabilité, sans lesquels il est impossible d’être bon citoyen ou sujet fidèle ».

2648. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLIXe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis (suite) »

La nature, en même temps, lui créa dans Raphaël d’Urbin un émule et un rival ; ils s’admirèrent l’un l’autre en sentiment et ne se confondirent que dans la double immortalité qu’ils répandaient sur leur pays. […] Le fourbe et fanatique Savonarole, qui voulait prendre pied sur un cadavre pour se montrer plus dévoué au peuple, osa troubler son agonie en venant lui offrir sa bénédiction dans des termes qui semblaient révoquer en doute sa foi chrétienne ; il l’interrogea sur ses sentiments.

2649. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre II. La jeunesse de Voltaire, (1694-1755) »

Il fait ses études à Louis-le-Grand, chez les Jésuites, où il a pour préfet des études l’abbé d’Olivet : on pourra juger de quelle prise la Société saisit les esprits, si l’on songe que Voltaire même gardera toujours des sentiments de respect et d’amitié pour ses anciens maîtres ; et jamais il ne se défera des principes littéraires qu’ils lui ont donnés, de leur goût étroit et pur. […] Les idées de Voltaire avant 1755 Jusqu’à son établissement aux Délices, Voltaire est un poète qui a des sentiments de philosophe.

2650. (1890) L’avenir de la science « XVIII »

À voir les flots rouler sur la plage leurs montagnes toujours croulantes, le sentiment qu’on éprouve est celui de l’impuissance. […] Mais le peuple n’a pas le sentiment de la difficulté des problèmes, et la raison en est évidente : il se les figure d’une manière trop simple et il ne tient pas compte de tous les éléments.

2651. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Appendice »

Quelques amis m’ayant témoigné les avoir lues avec intérêt, je les reproduis ici : Tréguier, 24 août 1845, Mon cher ami, Peu d’événements considérables, mais beaucoup de pensées et de sentiments se sont pressés pour moi depuis le jour de notre séparation. […] Pourtant, par condescendance, comme il disait, pour le sentiment des autres, M. 

2652. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Discours préliminaire, au lecteur citoyen. » pp. 55-106

On peut en juger par ce passage horrible : Des milliers d’hommes dépouillés de tout par la dureté de leurs Maîtres, enhardis par le sentiment de la liberté, & encouragés par le vrai droit naturel, oseront enfin un jour réclamer hautement leurs droits. […] Ce sont des Philosophes qui ont substitué, dans le style, l’emphase au naturel, l’enflure au sentiment, l’entortillage à la clarté, la glace au pathétique [Voyez les articles Diderot, Thomas, &c.], qui ont les premiers introduit, dans les Ouvrages polémiques, les épithetes de Gredin, de Cuistre, de Pédéraste, de Fripon, d’Escroc, &c. qui ont employé contre leurs Adversaires les calomnies, les emprisonnemens, les persécutions de toute espece, &c.

2653. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XV »

Il rappelle madame la duchesse de Septmonts au sentiment de son devoir et de son honneur. […] Il l’a fait sortir, comme une créature légendaire, d’une sorte de chaudière magique, où il y a du sang de courtisane et du sang de roi, de la corruption et de la fierté, des sentiments nobles et des instincts dépravés.

2654. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre II. Des poëtes étrangers. » pp. 94-141

Pope la réponse que Socrate fit à Euripide, qui lui demandoit son sentiment sur les écrits d’Héraclite : Ce que j’entends est plein de force, je crois qu’il en est de même de ce que je n’entends pas. […] Nous courons après les traits sentencieux, ils mettent tout en sentiment.

2655. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre vi »

Et puis, le même jour, virilement, il expliquait ses sentiments dans une autre lettre adressée à son ami M.  […] Peu avant cette belle fin, Lapierre avait écrit à ses amis de l’Humanité cette page testamentaire :‌ Nous sommés soldats des armées de la République menacée par le militarisme allemand, mais nous restons tous inébranlablement attachés à notre grand idéal et à l’organisation qui en est la forme vivante… Socialistes au cœur humain et au sentiment généreux, nous avons un devoir sacré à remplir, au milieu de tant de colères et de haines : éviter que les bas instincts ne sèment dans l’âme de nos camarades de combat les idées de vandalisme et de sauvagerie.

2656. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre III. De la nature du temps »

Une telle conscience aurait une continuité de vie constituée par le sentiment ininterrompu d’une mobilité extérieure qui se déroulerait indéfiniment. […] C’est peut-être pour n’avoir pas analysé d’abord notre représentation du temps qui coule, notre sentiment de la durée réelle, qu’on a eu tant de peine à déterminer la signification philosophique des théories d’Einstein, je veux dire leur rapport à la réalité.

2657. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Appendice. [Rapport sur les primes à donner aux ouvrages dramatiques.] » pp. 497-502

Quelques auteurs pourtant peuvent se tromper avec une sorte de sincérité et croire qu’il n’y a nul inconvénient à présenter hardiment les scènes d’un monde mélangé et corrompu, en ayant pour guide et pour conducteur quelque sentiment pur, quelque passion plus élevée, représentée dans un des personnages, et en visant à une conclusion satisfaisante pour les cœurs honnêtes ou pour les convenances sociales.

2658. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. LOUIS DE CARNÉ. Vues sur l’histoire contemporaine. » pp. 262-272

Ce sentiment contradictoire entre lui et nous, qui affecte le ton général de l’ouvrage et perce en mille détails, n’est pas fondamental pourtant, puisqu’il n’empêche pas sa raison de rencontrer aux endroits capitaux la nôtre ; mais nous en avertissons expressément, parce que des lecteurs peu attentifs pourraient prendre le change et repousser à première vue, sur quelques mots blessants, un livre où il y a beaucoup à gagner pour toutes les classes d’esprits sérieux et sincères.

2659. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « PENSÉES » pp. 456-468

Mais, en avançant, il arrive que nos pensées et nos sentiments ne peuvent plus remplir notre solitude ; — ou du moins ils ne peuvent plus la charmer.

2660. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Relation inédite de la dernière maladie de Louis XV. »

L’auteur, appelé par les devoirs de sa haute charge domestique à assister à la dernière maladie de Louis XV, en note tous les détails et les alentours avec cette vérité entière et inexorable qui ne fait grâce de rien ; le sentiment qui l’anime n’est pas une curiosité pure, et, dans ce qui semblerait même repoussant, sa probité s’inspire à une source plus haute : témoin de l’agonie d’un monarque et d’une monarchie, il veut flétrir ce qui en a corrompu la sève et ce qui en pourrit le tronc.

2661. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la Révolution française — II. La Convention après le 1er prairal. — Le commencement du Directoire. »

Nul historien de nos jours n’a, ce nous semble, un sentiment aussi vif, une intelligence aussi naïve de son art.

2662. (1874) Premiers lundis. Tome II « Thomas Jefferson. Mélanges politiques et philosophiques, extraits de ses Mémoires et de sa correspondance, avec une introduction par M. Conseil — II »

Conseil, le sentiment des partis et des nécessités de circonstance, c’est l’intelligence de la marche ardente d’une révolution et des métamorphoses qu’elle subit tout en se poursuivant.

2663. (1874) Premiers lundis. Tome II « Quinze ans de haute police sous Napoléon. Témoignages historiques, par M. Desmarest, chef de cette partie pendant tout le Consulat et l’Empire »

Par un sentiment de gravité et de discrétion qui prouve l’honnête homme et qui ajoute encore au poids de ce qui est affirmé, M. 

2664. (1874) Premiers lundis. Tome II « Loève-Veimars. Le Népenthès, contes, nouvelles et critiques »

Loève-Veimars l’a rempli avec simplicité et sentiment ; lui aussi il sait peindre ; il nous a peint tour à tour Aloysius Block et l’abbé Joie, portraits à la flamande, et récemment Casimir Périer moribond, en traits historiques qui ont fortement frappé.

2665. (1874) Premiers lundis. Tome II « E. Lerminier. De l’influence de la philosophie du xviiie  siècle sur la législation et la sociabilité du xixe . »

A Montesquieu, l’histoire renouvelée ; à Voltaire, la propagation du déisme, du bon sens et de la tolérance ; à Diderot, le résumé encyclopédique des connaissances humaines ; à Jean-Jacques, la restauration du sentiment religieux, des droits de l’homme, tant individuel que social, et le grand principe de la souveraineté démocratique ; tels sont les titres généraux, que leur reconnaît M. 

2666. (1874) Premiers lundis. Tome II « Henri Heine. De la France. »

Agréez, monsieur, l’assurance de mes sentiments les plus distingués et obligés, Sainte-Beuve. »

2667. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Verhaeren, Émile (1855-1916) »

Voici le carrefour où les grand-routes des sentiments et des pensées — et du destin se rejoignent.

2668. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre VI. Le charmeur Anatole France » pp. 60-71

Les sentiments qui nous la rendent douce naissent d’un mensonge et se nourrissent d’illusions. » À chaque page, même négation résignée et souriante, qu’il parle du jeu, de la jalousie, de l’art ou de la justice.

2669. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XI. Trois bons médanistes : Henry Céard, Joris-Karl Huysmans, Lucien Descaves » pp. 145-156

Gardant de sa traversée parmi les sciences naturelles la défiance du médecin qui démêle l’instinct brutal sous le sentiment hypocrite, Céard fut naturellement séduit par les écrivains d’analyse.

2670. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les petites revues » pp. 48-62

Les images sont particulièrement utiles à l’expression des sentiments.

2671. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les poètes maudits » pp. 101-114

Tel est l’enseignement qui se dégage de la première série de cette plaquette des Poètes maudits, dont la gloire fut de susciter, en France, avec la sonnerie des beaux vers, le réveil du sentiment poétique endormi sous de pernicieuses influences.

2672. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XV » pp. 175-187

On souffrait à l’idée de revêtir ses pensées d’expressions nobles et vigoureuses, ou de voir quelqu’un pénétré des sentiments d’une personne.

2673. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 140-155

Du côté du style, un tissu séduisant de tout ce que l’imagination a de plus brillant & de plus riche, de tout ce que le sentiment a de plus chaud & de plus énergique, de tout ce que l’expression a de plus mâle, de plus tendre, de plus pittoresque, & de plus élégant.

2674. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Première Partie. Des Langues Françoise et Latine. — L’orthographe, et la prononciation. » pp. 110-124

Quelque sentiment qu’on embrasse pour ou contre, on ne manquera jamais de partisans & de raisons Le moyen de sçavoir à quoi s’en tenir c’est d’aller à la source, de consulter les gens de cour, & les gens de lettres.

2675. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 5, des études et des progrès des peintres et des poëtes » pp. 44-57

S’il avoit la vivacité et la délicatesse de sentiment, qui sont inséparables du génie, il seroit tellement saisi par les beautez des ouvrages consacrez, qu’il jetteroit sa balance et son compas pour en juger, ainsi que les hommes en ont toûjours jugé, je veux dire par l’impression que ces ouvrages feroient sur lui.

2676. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 8, des plagiaires. En quoi ils different de ceux qui mettent leurs études à profit » pp. 78-92

Que peut gagner en effet un poëte qui lit un ouvrage, lequel a déja reçû sa derniere main, que d’être redressé sur quelque mot, ou tout au plus sur quelque sentiment ?

2677. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Les Philippiques de la Grange-Chancel »

C’est enfin d’avoir voulu être un satirique, sans ce qui fait essentiellement le satirique : la violence loyale du sentiment !

2678. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Rome et la Judée »

Les plus grands artistes n’ont qu’un sentiment, qu’ils répètent sans cesse, qu’ils expriment toujours !

2679. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Lefèvre-Deumier »

Il a toujours été ou voulu être un sentiment ou une pensée.

2680. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Victor de Laprade. Idylles héroïques. »

Ces trois poèmes, d’une donnée que tout le monde trouverait sans peine, sont évidemment des prétextes pour peindre la vie des champs et les sentiments, et jusqu’aux vertus que, selon le poète, elle inspire.

2681. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre VIII. De Platon considéré comme panégyriste de Socrate. »

« Et moi aussi, dit Socrate, j’ai une famille, j’ai trois fils, dont l’un est sorti de l’enfance et les deux autres ont encore besoin des secours de leur père ; je n’en ferai cependant paraître aucun pour vous attendrir, et ce n’est ni par mépris ni par orgueil, ces sentiments ne peuvent entrer dans le cœur de Socrate ; mais la gloire de ses juges, la sienne, celle de la république lui défendent de donner un tel exemple, à son âge surtout, et avec le nom qu’il porte ; car, dit-il, que ce nom soit mérité ou ne le soit pas, on est persuadé que Socrate est au-dessus des hommes ordinaires.

2682. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre IV. De la méthode » pp. 81-92

Notre libre arbitre, notre volonté libre peut seule réprimer ainsi l’impulsion du corps… Tous les corps sont des agents nécessaires, et que les mécaniciens appellent forces, efforts, puissances, ne sont que les mouvements des corps, mouvements étrangers au sentiment.

2683. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre septième. Les altérations et transformations de la conscience et de la volonté — Chapitre deuxième. Troubles et désagrégations de la conscience. L’hypnotisme et les idées-forces »

L’association des idées ou des actes a pour base, selon nous, l’association plus profonde des sentiments ou des impulsions ; celle-ci, à son tour, a pour cause un état général de la conscience, une direction générale de la volonté. […] Chaque mouvement, en un mot, s’accompagnait d’un sentiment quelconque et d’une représentation plus ou moins confuse ; d’autre part, toute représentation mentale était inséparable d’un mouvement effectué dans les membres. […] A cette masse durable du cerveau répond un sentiment permanent d’individualité. […] Dans les états de ce genre, le lien des images particulières avec l’ensemble et avec le sentiment du moi, n’est plus le même qu’à l’état normal : il a lieu par d’autres voies de communication et d’autres intermédiaires ; quoique subsistant toujours, il est affaibli au point d’être pratiquement comme s’il n’était pas.

2684. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Vernet » pp. 130-167

J’en étais là de ma rêverie, nonchalamment étendu dans un fauteuil, laissant errer mon esprit à son gré, état délicieux où l’âme est honnête sans réflexion, l’esprit juste et délicat sans effort, où l’idée, le sentiment semble naître en nous de lui-même comme d’un sol heureux ; mes yeux étaient attachés sur un paysage admirable, et je disais : l’abbé a raison, nos artistes n’y entendent rien, puisque le spectacle de leurs plus belles productions ne m’a jamais fait éprouver le délire que j’éprouve, le plaisir d’être à moi, le plaisir de me reconnaître aussi bon que je le suis, le plaisir de me voir et de me complaire, le plaisir plus doux encore de m’oublier : où suis-je dans ce moment ? […] Il me semble que si elle était là, dans son vêtement négligé, que je tinsse sa main, que son admiration se joignît à la mienne, j’admirerais bien davantage ; il me manque un sentiment que je cherche et qu’elle seule peut m’inspirer. […] Il en arrive cependant tout le contraire ; c’est qu’alors la langue du sentiment, la langue de nature, l’idiôme individuel était parlé en même temps que la langue pauvre et commune ; c’est que la variété de la première de ces langues détruisait toutes les identités de la seconde, des paroles, du ton, de la mesure et du chant. […] Tout ce qui étonne l’âme, tout ce qui imprime un sentiment de terreur conduit au sublime.

2685. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. Tome xviii » pp. 84-92

Dans l’éclat si pur de cette première campagne d’Italie, quel sentiment vif, léger, allègre, de liberté et de victoire !

2686. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Les poëtes français. Recueil des chefs-d’œuvre de la poésie française »

Félix Arvers, qui n’a pas toujours visé très-haut dans l’art, qui n’a pas réalisé toutes les espérances qu’avaient fait naître ses brillants débuts, ses succès universitaires, qui s’est un peu dispersé dans les petits théâtres et dans les plaisirs, a eu dans sa vie une bonne fortune ; il a éprouvé une fois un sentiment vrai, délicat, profond, et il l’a exprimé dans un sonnet adorable.

2687. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Hommes et dieux, études d’histoire et de littérature, par M. Paul De Saint-Victor. »

On l’a encore appelé « le Vénitien du feuilleton », ou « le Don Juan de la phrase. » Mais n’allez pas là-dessus vous figurer que, parce qu’il a cette qualité dominante qui frappe d’abord, il ne soit pas un critique, qu’il n’ait pas un jugement, surtout un sentiment vif d’attrait ou d’aversion, et qu’il sait très-bien rendre sans marchander.

2688. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Indiana (1832) »

Nous consentirions volontiers à cette créature refoulée, contrainte, silencieuse, qui cache les débris d’une âme trop sensible sous un vermillon de santé bienheureuse, la délicatesse des sentiments sous une gaucherie épaisse ; qui a tout fait pour s’égoïser et qui ne l’a pu qu’en apparence ; qui épie, devine, sait tout et n’en laisse rien voir, mais veille à chaque minute sur l’objet de son dévouement avec l’instinct d’un animal domestique.

2689. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « en tête de quelque bulletin littéraire .  » pp. 525-535

C’est, après tout, l’observation du même fait, mais dans un sentiment différent.

2690. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Virgile et Constantin le Grand par M. J.-P. Rossignol. »

Il n’y avait donc rien que de simple et plutôt d’heureux à un rapprochement et à un sentiment de tendre sympathie, tel qu’en pouvait éprouver pour lui un Dante touché du mystique rayon, ou encore un saint Augustin à travers ses larmes.

2691. (1874) Premiers lundis. Tome I « J. Fiévée : Causes et conséquences des événements du mois de Juillet 1830 »

« Sortis des malheurs attachés à la caducité des rois par des événements que nous n’avons pas provoqués, on nous a offert les malheurs d’une minorité que l’instinct du peuple ne comprendrait pas ; et c’est sérieusement que des hommes d’honneur, de bon sens, qui se sont montrés capables de combinaisons politiques, trouvent des paroles qu’ils appellent des principes, et des phrases qui ressemblent à du sentiment, pour nous dire que ce terme moyen entre le passé et l’avenir pouvait suffire à toutes les exigences !

2692. (1875) Premiers lundis. Tome III « L’Ouvrier littéraire : Extrait des Papiers et Correspondance de la famille impériale »

« Veuillez, Monsieur, agréer l’expression de mes sentiments respectueux, « Sainte-Beuve. » Une note du Cabinet résumait ainsi le mémoire de l’auteur des Causeries : 5 avril 1856.

2693. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Régnier, Henri de (1864-1936) »

Avec une sorte de hautaine indifférence à tout ce qui n’est pas le chant, sans avoir destiné de monument, il cueille comme d’harmonieuses fleurs ses pensées et ses sentiments les plus beaux, les plus dignes de la gloire des vers.

2694. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXVIII » pp. 305-318

Je ne puis retenir ici l’expression d’un sentiment dont j’ai eu plus d’une fois l’occasion de me pénétrer ; c’est que ce système est condamnable en littérature, en politique, et surtout en morale, qui convertit des ouvrages d’imagination en écrits historiques, et fait d’une satire ou d’une comédie un répertoire d’anecdotes.

2695. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Japonisme » pp. 261-283

Votre papa a beaucoup d’ennuis, et il ne faut pas parler ainsi. » L’infortuné pensa à ses devoirs envers son prince mort, et s’armant d’un cœur d’acier contre tout sentiment, il se recoucha et recommença à faire semblant de sommeiller.

2696. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préfaces des « Odes et Ballades » (1822-1853) — Préface de 1824 »

Chacun d’eux a créé pour sa sphère sociale un monde d’idées et de sentiments approprié au mouvement et à l’étendue de cette sphère.

2697. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Ruy Blas » (1839) »

Et, comme cette vie acharnée aux vanités et aux jouissances de l’orgueil a pour première condition l’oubli de tous les sentiments naturels, on y devient féroce.

2698. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Seconde Partie. De l’Éloquence. — Éloquence en général. » pp. 177-192

Ce philosophe y met, dans tout son jour, son sentiment.

2699. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Deux diplomates »

Les gouvernements, qui se jalousent et qui se craignent, restent les uns en face des autres avec des sentiments ou des ressentiments contenus par des prudences inquiètes… et les corps diplomatiques demeurent entre eux, croupissant dans une immobilité d’observation que leurs Correspondances attestent.

2700. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Pélisson et d’Olivet »

Quelle que fût l’opinion à laquelle on appartiendrait, soit qu’on fût pour la règle, l’autorité et la tradition dans les lettres, soit, au contraire, qu’on adoptât le système de l’indépendance sans limites et de l’individualité à tous crins, il y aurait dans l’histoire de l’Académie, de cette institution d’un grand homme qui porta en toutes choses le sentiment d’un ordre impérieux, oui !

2701. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Paul de Saint-Victor » pp. 217-229

Quoique l’auteur n’ait pas inventé le sujet de son livre, et que les idées lui en aient été inspirées par ces chefs-d’œuvre dramatiques de l’esprit humain dont il fait l’analyse et raconte l’histoire, il met dans cette histoire et dans cette analyse une telle profondeur de sentiment et une telle richesse de coloris, qu’analyser et raconter ainsi, c’est presque aussi rare et aussi glorieux que de créer…· Positivement, le livre de Saint-Victor est une création.

2702. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Lenient » pp. 287-299

L’homme s’est moqué, à toute époque, de ses pouvoirs, de ses néants, de ses sentiments, de lui-même.

2703. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Eugène Talbot » pp. 315-326

Dans ce temps de critique pointilleuse où l’histoire, cette riche draperie, s’effiloche sous le travail des ronge-mailles qui fendent en quatre chaque fil dont elle est faite, ce sera une originalité et un contraste qui auront leur ragoût, que cette vieille et toujours jeune histoire d’Hérodote contrastant, par le respect des traditions et le sentiment des choses divines, avec nos histoires contemporaines, qui mettent Dieu sous la remise et qui sont, elles, si jeunes et cependant si vieilles déjà !

2704. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Francis Wey » pp. 229-241

Il a, à un très haut degré, l’indépendance du moraliste, qui ne se laisse imposer par aucune hypocrisie de sentiment ou de société.

2705. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Léopold Ranke » pp. 1-14

Mais il paraît que le bœuf aussi a la même horreur pour ce qui brille… Aux yeux de ces sortes d’esprits, Léopold Ranke, passant de l’état d’historien qui sent, se passionne et peint sa pensée, à l’état d’historien systématique et décoloré, est un grand esprit qui s’élève ; et si, à cette suppression de sentiment ou de mouvement, à cette recherche amoureuse sans amour de l’expression abstraite, à cette généralisation vague quand elle n’est pas fausse et fausse dès qu’elle s’avise de préciser, on ajoute la gravité, ce masque des têtes vides qui cache si bien, dans tant de livres contemporains, la platitude de la niaiserie sous l’imposance du sérieux, vous avez un de ces historiens composés de qualités négatives tels que les rationalistes philosophiques et littéraires conçoivent leur historien — leur caput mortuum — et l’ont souvent réalisé.

2706. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Crétineau-Joly » pp. 367-380

Le plus souvent, un seul sentiment, une seule idée moule leur vie, et ce qu’un homme est au fond de son âme, il se retrouve l’être identiquement dans toutes les circonstances de sa destinée.

2707. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Le docteur Revelière » pp. 381-394

III Elle est morte, en effet, — le cœur peut en saigner, — mais elle est morte à jamais, pour qui a le sentiment des réalités de l’Histoire… Aux yeux de ceux qui savent ce qui constitue la personnalité et l’identité d’un peuple, il faut, pour qu’il se sente toujours vivant, qu’il ait pu rester, sinon tout entier, au moins en partie, dans le principe de sa vie et de sa durée.

2708. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Silvio Pellico »

Car, puisque je n’aimais pas la domination autrichienne, mon devoir aurait été de réprimer et de cacher mes dangereux sentiments ou d’abandonner les pays gouvernés par l’Autriche.

2709. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Sismondi, Bonstetten, Mme de Staël et Mme de Souza »

Mais je le dis pour deux esprits qui nous emporteront toujours du côté où l’on dira qu’ils seront, je le dis pour Madame de Staël, qui a la fascination du génie, et pour Madame de Souza, qui a celle de la grâce et du sentiment.

2710. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « L’abbé Galiani »

L’abbé Galiani fit les délices d’une société charmante qui les lui rendit, et quand, par suite d’une indiscrétion diplomatique, car ce pétulant intellectuel, cette tête à feu et à fusées, ne pouvait pas être la tirelire à serrure des petits secrets politiques qu’il faut garder, il fut forcé de quitter cette société qui était devenue la patrie de son esprit, il la quitta comme on quitte une maîtresse aimée, et la Correspondance que voici atteste à chaque page ce sentiment presque élégiaque dans une nature si peu tournée à l’élégie, mais dont l’esprit souffre de regret comme un cœur !

2711. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « IV. Saisset »

Saisset, qui veut bien du sentiment chrétien, mais qui ne veut pas de la religion chrétienne, et qui, non plus, ne veut pas du panthéisme, qu’il hait comme un voleur d’héritage parce qu’il le priverait de la succession sur laquelle il a compté, M. 

2712. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « VI. Jules Simon »

D’ailleurs, à défaut d’une idée, cette mère robuste d’une idée, c’est le même sentiment qui les a inspirés.

2713. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXII. Philosophie politique »

Il l’est, à la vérité, avec les réserves que font les honnêtes gens dans ce temps-ci, mais il l’est, nonobstant, de sentiment, d’idées, de rêveries.

2714. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXVII. Silvio Pellico »

Car, puisque je n’aimais pas la domination autrichienne, mon devoir aurait été de réprimer et de cacher mes dangereux sentiments ou d’abandonner les pays gouvernés par l’Autriche.

2715. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Gérard de Nerval  »

Pendant tout le temps qui nous en sépare, on eût passé pour un cœur bien dur si on avait dit, sans précaution, la vérité sur Gérard de Nerval, et le sentiment, cette niaiserie toujours triomphante dans les choses de l’esprit, se serait révolté, comme une femme à qui l’on dit des indécences.

2716. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Maurice Bouchor »

Ce poème du Faust moderne donne le volume d’une voix qui chantera prochainement dans un registre plus à elle, — le registre de sa propre originalité… Maurice Bouchor qui, aujourd’hui, a voulu ranimer le vieux Faust et le rajeunir, a fini par le tuer dans un épilogue qui est la revanche de l’âme contre la matière, comme tout le poème est la revanche du sentiment religieux contre l’athéisme pleurant le dieu qu’il dit n’être pas, — inconséquence vengeresse !

2717. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Mistral. Mirèio »

Pendant que nous nous civilisons de plus en plus et que le Réalisme, cet excrément littéraire, devient l’expression de nos adorables progrès, un poète de nature, de solitude et de réalité idéalisée, nous donne un poème fait avec des choses primitives et des sentiments éternels.

2718. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. de Banville. Les Odes funambulesques. »

Mais nul sentiment, venant de plus haut ou de plus profond qu’un épiderme, rougissant ou pâle, ne passe dans cette langue ouvragée comme une cassolette pour contenir, à ce qu’il semble, les plus immatériels éthers de la vie, et qui ne gardera pas même cette goutte de larmes moins pure !

2719. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Auguste de Chatillon. À la Grand’Pinte ! »

lui aussi, la mauvaise démocratie l’emporte, et il touche par là au Réalisme, cet idéaliste de sentiment.

2720. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Henri Heine »

Henri Heine, cet intuitif dans l’ordre des idées, qui en voit le néant et qui, de sa flèche railleuse, en traverse le vide ; ce divinateur de l’âme par le sentiment ; Henri Heine, ce prodige d’adorable esprit, a été aussi bête que Goethe (toujours Jupiter : la bêtise dans l’immensité !)

2721. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Corneille »

Mais où il l’a le mieux vue, c’est là où elle est le plus dans des hommes d’autant de sentiment et de pensée que Corneille, c’est-à-dire dans ses écrits.

2722. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Charles Didier » pp. 215-226

Il a aimé la sœur de la femme qu’il devait épouser, et cet amour adultère, admirablement raconté, est, de sentiment et de circonstance, un des récits les plus poignants et les plus attendrissants tour à tour.

2723. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Feuillet de Gonches »

La seule chose qui appartienne bien à Feuillet, c’est le sentiment, sinon très sincère, au moins très bien joué (en art c’est identique), qui circule à travers les combinaisons qu’il n’a pas faites ; c’est le style, qui anime et colore toutes ces combinaisons.

2724. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre V. Autres preuves tirées des caractères propres aux aristocraties héroïques. — Garde des limites, des ordres politiques, des lois » pp. 321-333

Ce sentiment avait dû rester inconnu aux plébéiens des cités héroïques qui n’engendraient des fils que pour les voir esclaves des nobles.

2725. (1929) Dialogues critiques

Paul Pas absolument, et il y a des vertus plus pures, mais l’exclusive donnée aux intérêts vulgaires, l’admiration du courage à braver le péril pour une cause réputée noble, ce ne sont pas là des sentiments entièrement fâcheux. […] Mon ami en convient, mais il ajoute qu’il n’a jamais été effleuré par un sentiment trouble, et qu’il eût plutôt pensé à l’impératrice de la Chine ou à la favorite du Grand Turc. […] Paul Toute sentimentalité, et même tout sentiment national à part, elle pèche par la base.

2726. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre deuxième. La connaissance des corps — Chapitre premier. La perception extérieure et les idées dont se compose l’idée de corps » pp. 69-122

Car, « d’abord il nous fournit le sentiment de l’étendue linéaire en tant que cette étendue est mesurée par le mouvement d’un membre ou d’un autre organe mû par des muscles. […] Les différences que notre conscience reconnaît entre une sensation et une autre nous donnent l’idée générale de différence et associent indissolublement à chaque sensation que nous avons le sentiment qu’elle est différente d’autres choses ; et, quand une fois cette association a été formée, nous ne pouvons plus concevoir une chose quelconque sans être capables et même obligés de former aussi la conception de quelque chose de différent. […] Seulement nous sommes tenus de limiter cette analogie autant que l’exigent les autres indices ; c’est d’ailleurs ce que nous faisons pour nous figurer l’animal lui-même, lorsque, ayant admis en lui des sentiments et des idées comme les nôtres, nous diminuons cette analogie à mesure que l’expérience accrue nous prescrit des réductions.

2727. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Troisième partie de Goethe. — Schiller » pp. 313-392

La jeune fille ne se doute pas des sentiments du poète, se marie, et meurt dans la fleur de son printemps. […] Marmier, l’importateur des poésies du Nord dans notre langue, poète lui-même par l’imagination et le sentiment. […] Moi aussi j’ai prié son âme et pour son âme ; je me suis fait purifier par la lumière de la lune, et je lui ai dit tout haut que je la désirais, que je regrettais ces heures où nous échangions ici-bas nos pensées, nos sentiments.

2728. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXe entretien. Œuvres diverses de M. de Marcellus (3e partie) et Adolphe Dumas » pp. 65-144

Jules Janin, cet homme qui a autant d’esprit que Voltaire, autant d’érudition littéraire que Fontenelle, autant de bon sens que Boileau, autant de cœur qu’une jeune fille quand elle verse ses premières larmes dans le sein de sa mère sur la mort de son serin…, Jules Janin, ce véritable homme de lettres, en action perpétuelle depuis trente ans, qui a tout vu, tout su, tout retenu, tout raconté, et dont le sentiment est éternellement jeune parce qu’il est sans cesse renouvelé par la verve aimable de ce cœur qui ne s’est jamais racorni sous la mauvaise humeur. […] XXII D’après Jules Janin, et d’après certaines rumeurs plus près de lui, il paraît qu’il vint à Paris, dans son printemps, pour tenter le théâtre, mais qu’il était, comme moi, trop lyrique pour le théâtre, qui exige plus de bon sens que de verve, et qu’il échoua ; que pendant ces essais, il s’éprit d’une jeune et grande actrice, interprète de ses beaux vers, écho de ses grands sentiments, et qu’il espéra l’épouser. […] Il n’y avait point d’intérêt et par conséquent point de bassesse dans son sentiment pour l’Empire.

2729. (1864) Cours familier de littérature. XVII « XCVIIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (2e partie) » pp. 1-80

Il y a là une énigme que personne encore n’a devinée, mais ce détail offre peu d’intérêt ; la seule chose à signaler ici, c’est le témoignage de leurs sentiments mutuels pendant ces années de séparation et d’exil. […] En vous renouvelant les plus sincères sentiments de reconnaissance et d’amitié, je suis votre bon ami, « C. d’Albanie 1. »   « Les conditions de la séparation furent réglées par le roi de Suède et le cardinal d’York. […] J’ai essayé d’exprimer dans les sonnets qu’on va lire les sentiments que j’ai apportés sur la tombe de notre ami. » Et comme en Italie tout commence et tout finit par des sonnets, l’abbé de Caluso, oncle de la comtesse Mazin, femme très distinguée du Piémont, avec laquelle j’ai eu des rapports aimables, dédie, en finissant, trois sonnets infiniment médiocres à la comtesse d’Albany.

2730. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (2e partie) » pp. 81-159

Je devais, disait-il, aller assurer le premier consul que si le Souverain Pontife ne pouvait pas adhérer à ses demandes au-delà de certaines limites, ce n’était point par mauvaise volonté, — Sa Sainteté étant animée des meilleurs sentiments à son égard, — mais uniquement parce qu’elle y était forcée par la nécessité la plus impérieuse. […] Notre lettre disait que, blessés par les accusations de complot et de rébellion qui nous avaient été révélées par le ministre de Sa Majesté, accusations si incompatibles avec notre dignité et notre caractère, nous nous faisions un devoir d’exposer nos sentiments à Sa Majesté avec la loyauté et l’énergie convenables à la circonstance. […] Nous déclarions ensuite qu’il n’y avait jamais eu de complot entre les cardinaux ; que la conduite tenue par nous résultait de nos sentiments propres, manifestés tout au plus dans des entretiens confidentiels ; que l’idée de voir le Pape exclu de cette affaire avait été la véritable cause de notre abstention ; qu’en agissant de la sorte, nous n’avions pas prétendu nous ériger en juges, ni semer dans le public des doutes sur la validité du premier mariage, ou sur la légitimité des enfants qui naîtraient du second ; qu’enfin il nous restait à prier Sa Majesté de bien se convaincre de notre obéissance.

2731. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXIXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (1re partie) » pp. 241-314

Je devais attendre de la fortune le retour des heures où le passé revivait et se représentait devant moi, où je jouissais d’une énergie intellectuelle assez grande, d’un bien-être physique assez complet pour élever mon âme à cette hauteur à laquelle il faut que je parvienne pour être digne de voir de nouveau reparaître en moi les idées et les sentiments de Goethe. — Car j’avais affaire à un héros que je ne devais pas abaisser. […] J’ai dit à mon fils d’aller vous voir pendant mon absence. » Tant de sollicitude de la part de Goethe m’inspirait de vifs sentiments de reconnaissance, et j’étais heureux de voir qu’il me traitait comme un des siens et qu’il voulait que je fusse considéré comme tel. […] J’avais fait de la comtesse le représentant de la noblesse, et les paroles que je mets dans sa bouche indiquent quels doivent être les sentiments d’un noble.

2732. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VII »

Et lorsque, dans les crises de grandes passions, il lui faut les exclamations les plus violentes, les plus pathétiques, il prend toujours les mêmes trois ou quatre mois : « selig, brunstig, heilig »… les termes génériques dans leur plus simple expression, parce que ceux-ci seuls siéent aux héros de son poème. « L’homme vivant et vrai, dit Wagner, ne décrit pas ce qu’il veut et ce qu’il aime : il aime et il veut… La poésie ne faisait plus que décrire… elle vous donnait le catalogue d’une galerie de peintures, mais pas les tableaux… elle était forcée de devenir platement prolixe… J’ai dû éliminer tout ce qui était superflu, fortuit, indécis, retrancher tout ce qui dénature les vrais sentiments des hommes… je n’ai gardé que le noyau… et je l’ai exprimé dans une langue concise, eu serrant autant que possible les accents de la phrase… » La langue est donc très forte, très concise, abrupte, « quintessenciée ». […] Le conscient et l’inconscient sont en effet ici intimement confondus dans le même sentiment d’effusion. […] Hélène Cao définit ainsi le leitmotiv (ou motif sous la plume de Chamberlain)  : «  par leitmotiv, on désigne un élément musical associé à un personnage, un objet, un lieu, un sentiment ou un concept, et qui reparaît à plusieurs reprises dans la partition  » (Dictionnaire encyclopédique Richard Wagner, p. 1078).

2733. (1884) Articles. Revue des deux mondes

Faut-il rappeler encore cette énergique tendance à l’action, cet indomptable sentiment de la personnalité, de la liberté, de la responsabilité, qui d’un bout à l’autre de son histoire distinguent le peuple hébreu, et forment un si vigoureux contraste avec cette passivité fataliste et mystique, dans laquelle Cousin engourdit uniformément toutes les nations de l’Orient ? […] Il lui manque l’intelligence et l’énergie, l’amour de la vérité, le sentiment de la dignité personnelle, les convictions morales et religieuses qui constituent la véritable humanité, et voilà pourquoi la nature se conduit envers lui comme une ennemie ; mais donnez-lui toutes ces qualités, et la nature aussitôt se mettra de son côté. […] Dès lors on sera disposé à voir, avec Bunsen, dans le sentiment que l’homme a de Dieu la force primordiale et constante qui meut les nations, le souffle toujours vivant qui pousse l’humanité vers le vrai et le juste, l’instinct originel de notre race, instinct qui, se développant graduellement de l’inconscience à la conscience, donne naissance à toute langue, à toute constitution sociale et politique, à toute civilisation.

2734. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre III. Le roman » pp. 135-201

Nous n’éprouvons, à vrai dire que des sentiments excessifs, mais avec quelle intensité ! […] Il le fit avec talent, avec beaucoup de talent, se joua des phrases jolies qui donnent aux sentiments profonds des allures d’écoliers en maraude, et nous conta une petite histoire qui n’avait l’air de rien, et qui était toute la vie. […] Animées d’un sentiment franc elles eussent été heureuses, mais, chez un être que la maladie ou l’analyse rongent, la tendresse n’est qu’une source de liquides sanglots. — Voilà qui est très joli, mais les romans où de pareils sujets sont développés ont, à l’ordinaire, le défaut d’être ennuyeux comme la grêle en hiver.

2735. (1903) La renaissance classique pp. -

Une foule de pensées et d’images, de sensations et de sentiments, de vagues réminiscences ataviques et de beaux souvenirs de famille ou de patrie l’agitaient et le travaillaient obscurément. […] Flaubert avait vu pourpre lorsqu’il conçut Salammbô : sur toute son épopée africaine, il y aura comme un reflet d’étoffes éclatantes et précieuses… Puis le poète demandera sans doute à son œuvre de flatter son imagination amoureuse des lignes et des couleurs, de lui chanter les mélodies intérieures qui accompagnent en son âme les plaintes ou les émois du sentiment, de fournir une matière docile à ses aptitudes d’ordonnateur et d’architecte verbal, de vibrer à l’unisson de sa sensibilité, de contenter ses enthousiasmes et jusqu’à ses manies, de soulager même sa mémoire, éprise des choses antiques… Quoi encore ? […] Enfin, le noble horizon se déploie tout entier ; et, en face de ces grandes étendues géométriques et pompeuses, le premier sentiment est une sorte de stupeur admirative devant la majesté de l’espace.

2736. (1873) Molière, sa vie et ses œuvres pp. 1-196

D’ailleurs je n’ai pas les sentiments assez flexibles pour la domesticité ! […] C’était une femme altière et peu raisonnable, lorsqu’on n’adhérait pas à ses sentiments : elle aimait mieux être l’amie de Molière que sa belle-mère ; ainsi il aurait tout gâté de lui déclarer le dessein qu’il avait d’épouser sa fille. […] Ne me plaignez-vous pas, leur disait-il un jour, d’être d’une profession et dans une situation si opposées aux sentiments et à l’humeur que j’ai présentement ? […] Et ce n’est plus seulement le bon sens qui raille ou s’indigne, il y a là une grandeur véritable, je ne sais quoi de plus profond, un sentiment plus élevé, une conception plus humaine et plus haute. […] « Agréez l’expression de tous mes sentiments distingués.

2737. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 5482-9849

Un madrigal doit bien plûtôt être élégant qu’une épigramme, parce que le madrigal tient quelque chose des stances, & que l’épigramme tient du comique ; l’un est fait pour exprimer un sentiment délicat, & l’autre un ridicule. […] En voici encore un autre fort ancien ; il est de Bertaud évêque de Sées, & paroît au-dessus des deux autres, parce qu’il réunit l’esprit & le sentiment. […] Le plaisir est un sentiment agréable & passager, le bonheur considéré comme sentiment, est une suite de plaisirs, la prospérité une suite d’heureux évenemens, la félicité une joüissance intime de sa prospérité. […] Ce sentiment deviendroit froid s’il étoit relevé par des termes étudiés. […] La beauté ne déplaît jamais, mais elle peut etre dépourvûe de ce charme secret qui invite à la regarder, qui attire, qui remplit l’ame d’un sentiment doux.

2738. (1891) La bataille littéraire. Quatrième série (1887-1888) pp. 1-398

— Malgré soi on ne prêche que sa propre opinion, et si les auteurs suivaient tous les conseils qui leur sont donnés, ils perdraient sûrement leurs qualités originales pour ne faire que se conformer au sentiment des autres, c’est-à-dire qu’ils ne produiraient rien que de plat et de banal, comme toute œuvre d’art sortie d’un concours. […] C’est l’histoire d’un jeune homme, jeune et homme, ce qui n’est plus de mode, dont le cœur est ouvert à tous les sentiments nobles et généreux et que la corruption de nos mœurs politiques, une faiblesse de conscience, il faut le dire, jettent dans le parti contraire à ses convictions. […] Ses personnages sont vivants, leurs sentiments sont vrais et humains ; c’est le livre d’un homme, cette créature qui devient rare par ce temps de nerveux, de hantés ! […] C’est un monstre qu’il a fait poser devant lui, un être pétri de tout ce qui se repousse dans la nature, qui renferme en lui l’attractif et le répulsif, un fou rempli de sagesse, un chaste hystérique, un assemblage d’étrangetés, un chaos de sentiments qui se détruisent l’un par l’autre, un amas d’horreurs et de beautés. […] Ainsi qu’on le voit, c’est le sentiment du vrai, de la nature, qui ressort surtout du roman de M. 

2739. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre septième. »

Après cette revue du xvie  siècle, j’éprouve un sentiment de lassitude et comme une sorte d’éblouissement qui me font désirer le repos dans la pure lumière et l’ordre admirable du xviie  siècle. […] La curiosité était le sentiment le plus naturel à cette époque.

2740. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre premier »

D’ailleurs Balzac est recommandé par un jugement de Descartes, d’autant plus digne de considération que l’éloge n’y paraît être qu’un sentiment juste du mérite de cet auteur, légèrement exagéré par une disposition bienveillante1. […] Balzac en avait reçu l’idée du cardinal de la Valette, « lequel lui avait commandé, dit-il, de ne rien laisser passer dans le monde sans lui en écrire son sentiment, et de faire des sujets de lettres de toutes les affaires publiques9. » Certains personnages y sont appréciés, certaines actions louées ou blâmées par des raisons générales qu’il appuie d’exemples du passé.

2741. (1890) L’avenir de la science « VIII » p. 200

Le sentiment des lois psychologiques est-il généralement répandu, ou du moins exerce-t-il une influence suffisante sur le tour de la pensée et le langage habituel ? […] Cela est si vrai qu’un même sentiment peut fournir de la poésie, de l’éloquence, de la philosophie, selon qu’on le fait diversement vibrer ; à peu près comme les vibrations diverses d’un même fluide produisent chaleur et lumière.

2742. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 janvier 1886. »

Et Richard Wagner, le génie mâle, a, dans cette œuvre féminine, exprimé ces sentiments si universels, — et son propre désespoir, et son « doute de lui-même », qui faisaient qu’à ce moment il approchait du niveau commun de l’humanité, — dans une musique si humaine, si mélodieuse ! […] Lohengrin, œuvre d’un moment de faiblesse, de découragement, de doute, — et dans laquelle ces sentiments très réels, très universellement humains, ont trouvé l’expression musicale parfaitement adéquate, — est, par cela même, plus accessible à tous.

2743. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « II »

C’est qu’il y a dans La Walküre une rare plénitude de sentiments humains, de grandes, de puissantes qualités de mouvement scénique, et au milieu d’une luxuriante floraison de mélodies passionnelles, tout un côté pittoresque, un étincelant paysage musical qui a ravi l’oreille des auditeurs. […] Dans le drame, c’est la perception qui doit nous conduire à la science » ; et autre part : « Dans le drame, dit-il, nous devons devenir sachants par le sentiment.

2744. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre V : La religion — Chapitre II : Examen critique des méditations chrétiennes de M. Guizot »

L’idée mère du positivisme, c’est que la science doit s’abstenir de toutes recherches sur les causes premières et sur l’essence des choses ; elle ne connaît que des enchaînements de phénomènes ; tout ce qui est au-delà n’est que conception subjective de l’esprit, objet de sentiment, de foi personnelle, non de science. […] Comment contester ses consolations à qui se sent consolé, le sentiment de sa force à celui qui l’a éprouvée ?

2745. (1913) La Fontaine « VII. Ses fables. »

En effet, c’est depuis La Fontaine que l’on a eu un certain respect pour les animaux, un certain sentiment qui est mêlé d’affection, de pitié, et, d’une manière particulière, de vénération à l’égard des animaux. […] L’argument consiste à dire que la bête est sensible, a des sentiments, que par conséquent elle est une âme.

2746. (1897) Un peintre écrivain : Fromentin pp. 1-37

Remarquez-vous le peu qui est accordé au portrait physique, et combien les expressions mêmes qui servent à peindre sont peu précises, empruntées au vocabulaire des idées, des sentiments et des comparaisons littéraires ? […] Est-ce le sentiment de la nature ?

2747. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Mémoires de l’impératrice Catherine II. Écrits par elle-même, (suite et fin.) »

J’aime à croire cependant qu’elle le fit non par mobilité et ingratitude, mais par un sentiment de délicatesse pour les émigrés français, nobles ou prêtres, qui étaient ses hôtes.

2748. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Appendice — Mémoires du comte d’Alton-Shée »

Cependant un sentiment de solidarité s’y développe chez lui ; opprimé, il prendra aussitôt parti pour les opprimés : « Ces souffrances de l’éducation universitaire ont laissé dans mon âme des traces ineffaçables ; elles y ont développé de bonne heure les instincts de solidarité au point que je n’ai jamais été témoin, que jamais je n’ai entendu le simple récit d’une injustice sans en ressentir le contre-coup ; je leur dois encore d’avoir été, dans toute l’étendue du mot, un excellent camarade. » La lecture de Gibbon commença de bonne heure son émancipation en matière de croyances.

2749. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre III. Du récit des faits. — Antécédents et conséquents. — Causes et effets »

On ne peut décrire les sentiments d’autrui ou les siens, sans en ordonner l’exposition selon une loi de succession constante qu’on découvre ou qu’on suppose.

2750. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre I. Les origines du dix-huitième siècle — Chapitre II. Précurseurs et initiateurs du xviiie  siècle »

Il n’avouait qu’un sentiment, un commencement de passion : « un peu de faiblesse pour ce qui est beau, disait-il, voilà mon mal ».

2751. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XXI. Le littérateur chez les peintres » pp. 269-282

Le plus louable critique, en ce sens, demeurera Huysmans, qui, il y a douze et quinze ans, sonnait la gloire d’artistes qu’on croit trop, ici ou là, avoir découverts hier… Ces bons écrivains pratiquent la bonne méthode ; avec le minimum de préjugés, ou avec des préjugés qui me plaisent, ils disent le sentiment qui devant tel tableau les retint ; leur dire vaut par la délicatesse de leur tact, et la grâce de leurs racontars les plus philosophes intercalent quelques théories d’ensemble, intéressantes puisqu’ils sont intelligents.

2752. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XVI. Miracles. »

Les païens et les gens peu initiés éprouvaient un sentiment de crainte, et cherchaient à l’éconduire de leur canton 766.

2753. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — La synthèse »

Et l’on remarquera qu’en exigeant cette addition à l’analyse, en demandant qu’on s’accoutume à considérer l’œuvre dans l’acte même de révolution de sentiments qu’elle est destinée à opérer, nous adjoignons à notre méthode, l’un des procédés dont la critique purement littéraire use, depuis l’avènement surtout de l’école romantique et réaliste.

2754. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — II. La versification, et la rime. » pp. 257-274

On lit dans Montaigne une chanson en rimes Américaines traduite en François, &, dans un des discours du Spectateur d’Addisson, une autre traduction d’une ode Laponne rimée & pleine de sentiment.

2755. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre neuvième. »

Est plein de traits de sentiment.

2756. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « VII »

Au surplus, si l’on veut connaître tout mon sentiment sur la Chanson de Roland, le voici tout net, pour clore la discussion : La Chanson de Roland est un poème sans vraisemblance, puéril, expéditif, mais remarquable comme progression et rapidité dramatiques.

2757. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XIII. Mme Swetchine »

C’est ce sentiment du voisinage de Dieu qui a inspiré à Mme Swetchine d’admirables pages consolatrices sur la vieillesse, qui mettent mieux que de la charpie, mais un dictame, sur le mal cruel d’être vieux.

2758. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXIII. Henry Gréville »

Il l’a opérée du sentiment religieux, ce circonciseur impie !

2759. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « La Société française pendant la Révolution »

L’histoire d’une société, c’est-à-dire l’histoire des idées, des sentiments et des influences, qui font les mœurs et qui les changent, et, pour tout exprimer avec le seul mot qui convienne : l’histoire de l’Histoire !

2760. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Royalistes et Républicains »

Ce gouvernement monarchique des Assemblées aura creusé plus profondément ce sentiment du besoin D’UN homme qui, dans ce néant d’hommes, se précise un peu davantage tous les jours !

2761. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « La diplomatie au xviie  siècle »

Supposez Michelet ou Chateaubriand, ou tout autre historien qui aurait eu le sentiment profond de l’Histoire, croyez-vous qu’ils n’auraient pas animé devant nous, et fait vivre dans leur action même, Innocent X, Alexandre VII, les Barberini, le duc de Parme, tous les hommes, enfin, à qui Lionne eut affaire, en ces deux négociations, dans lesquelles, il faut bien le dire, il fut battu, mais ne fut pas content ?

2762. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Prévost-Paradol » pp. 155-167

s’ils étaient de meilleure humeur et si on ne trouvait pas, traînant le long de ces Variétés singulières, le sentiment du regret le plus inattendu, qui les fait ressembler à une jérémiade éternelle !

2763. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Jules Girard » pp. 327-340

Girard et comme Thucydide, cette poétique ne crée qu’un art insuffisant aux besoins de pensée, de sentiment et d’émotion des sociétés qui n’en sont plus à la civilisation de Périclès, ce ne sera plus un avantage d’être si Grec.

2764. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Lettres d’une mère à son fils » pp. 157-170

Qui n’est qu’une mère n’est qu’une sentimentalité sublime, et il faut plus que des sentiments et des instincts pour élever un homme ; il faut de ces toutes-puissantes notions que nous ne trouvons pas uniquement dans les divinations de nos cœurs.

2765. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVI. M. E. Forgues. Correspondance de Nelson, chez Charpentier » pp. 341-353

» sublime en tout, se racornir subitement en cette grandeur immense, et consacrer son dernier mot et sa dernière pensée à celle qui fut la rivale de la Gloire dans son âme et qui a pu abaisser sa vie, et l’on se sent aussi, comme il sentait la sienne, l’âme partagée entre deux sentiments contraires, et on voudrait s’arracher, du fond de son admiration, ce mépris !

2766. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Félix Rocquain » pp. 229-242

Félix Rocquain fait l’histoire ne lui inspire pas les mêmes sentiments qu’à nous.

2767. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Nelson »

» sublime en tout, se racornir subitement en cette grandeur immense et consacrer son dernier mot et sa dernière pensée à celle qui fut la rivale de la Gloire dans son âme et qui a pu abaisser sa vie, et l’on se sent aussi, comme il sentait la sienne, l’âme partagée entre deux sentiments contraires, et on voudrait s’arracher, du fond de son admiration, ce mépris !

2768. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « X. Doudan »

Les sentiments et les sensations de ses lettres, exprimés avec la magie d’une forme très personnelle, sont infiniment au-dessus des jugements qu’on y trouve, et puisque ces lettres sont une histoire littéraire du temps où leur auteur vivait, il faut se demander, pour avoir une idée de son coup d’œil, ce qu’il a vu dans le xixe  siècle à mesure qu’il se déroulait devant lui.

2769. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXVI. Médecine Tessier »

La Science probablement trempe la tête dans un Styx, comme le corps d’Achille, afin de faire à ses enfants un sentiment moral invulnérable, et (le croiront-ils, ceux-là qui ne sont pas médecins ?)

2770. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Léon Aubineau. La Vie du bienheureux mendiant et pèlerin Benoît-Joseph Labre » pp. 361-375

C’est le Diogène chrétien, en effet, que Benoît-Joseph Labre, non plus avec le cynisme du philosophe antique, mais avec des sentiments inconnus à toute l’Antiquité : l’humilité, la simplicité du cœur, et l’amour du Dieu qui a enseigné aux hommes la mortification et la pauvreté.

2771. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « A. Dumas. La Question du Divorce » pp. 377-390

Alexandre Dumas a su inspirer aux hommes le sentiment très rare d’un respect voisin de la peur, et c’est le meilleur respect, celui-là !

2772. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Brispot »

Ces modèles, dus au crayon de Notalis, de Matheus et de Spinx, et qui ont été retrouvés dans une pauvre cabane de paysans à Magny, sont d’une naïveté d’inspiration qui ferait croire qu’ils appartiennent à une époque d’une date plus ancienne que celle qu’ils portent, si on ne savait pas que l’Allemagne, par le fait seul du génie qui lui est personnel, peut, au xviie  siècle, équivaloir, en naïveté de touche et en candeur de sentiment, à ce que pouvaient être les autres nations de l’Europe au Moyen Âge.

2773. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Charles De Rémusat »

Supposez Burke sans cette haine, Rémusat l’aurait mal jugé, et il n’en serait pas moins cependant, avec les talents qui firent illusion à son siècle, Burke le déclamatoire, le pédant de justice et de vérité, le pharisien, le philanthrope, tout ce qui nous le diminue, à nous, malgré sa haine anglaise contre la Révolution française, laquelle ne prenait pas sa source plus haut que dans les sentiments du whig.

2774. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Charles Baudelaire. Les Fleurs du mal. »

Baudelaire est moins l’épanchement d’un sentiment individuel qu’une ferme conception de son esprit.

2775. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Ronsard »

de Charles IX, cette singulière et royale fleur de poésie, fécondée peut-être par l’intimité de Ronsard, et qui, plus tard, mourut écrasée dans du sang… Ronsard semble avoir été fait avec tous les genres de grandeurs : naissance, vie, relations, facultés, sentiments et œuvres.

2776. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Lamartine »

Lamartine est le Virgile de la civilisation chrétienne par la profondeur des sentiments, et c’est un Virgile d’une bien autre force poétique par les facultés.

2777. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Eugène Sue » pp. 16-26

Il en a même risqué un de sentiment, de scepticisme et de solitude après Obermann.

2778. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Les Mémoires d’une femme de chambre » pp. 309-321

sans peur) de la femme la mieux placée pour les connaître, je dis qu’il est temps d’en finir avec ce monde écœurant de drôlesses, qui a pris tant d’importance dans les préoccupations des écrivains du dix-neuvième siècle, qu’on dirait qu’en dehors des filles, il n’y a plus en France de mœurs à peindre et de sentiments à étudier.

2779. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « L’Abbé *** »

L’abbé Julio de la Clavière est ce prêtre que l’Église, toujours au Moyen Age, persécute, traque et maudit, parce qu’il a dans la tète et dans la poitrine l’idée et le sentiment de l’Église transformée.

2780. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVII. Des panégyriques ou éloges adressés à Louis XIII, au cardinal de Richelieu, et au cardinal Mazarin. »

Les courtisans le louent par intérêt ; le peuple, par un sentiment qui lui fait respecter tout ce qu’il craint ; les gens à imagination par enthousiasme : alors les orateurs lui vendent leurs panégyriques, les poètes leurs vers.

2781. (1773) Essai sur les éloges « Morceaux retranchés à la censure dans l’Essai sur les éloges. »

S’il humilia les grands, ce ne fut point pour l’intérêt des peuples ; jamais ce sentiment n’entra dans son âme.

2782. (1912) Réflexions sur quelques poètes pp. 6-302

Dans les élégies et les sonnets de Louise Labé, Eros apparaît, certes, tout couvert des armes que la Renaissance pilla pour lui dans l’antique arsenal grec et romain ; cependant la douce Muse Lyonnaise conserve à l’amour ces sentiments délicats et quasi-mystiques dont il a plu au Moyen Âge de le douer. […] Dans cet autre sonnet également docte et doctissime, mais plus poignant de ton et de sentiment, du Bellay, comme le mantouan Virgile et Dante Alighieri, évoque les pâles morts ; Pâles esprits, et vous, ombres poudreuses, Qui jouissant de la clarté du jour Fistes sortir cest orgueilleux séjour, Dont nous voyons les reliques cendreuses, Dites, esprits, (ainsi les ténébreuses Rives de Styx non passable au retour, Vous enlaçant d’un trois fois triple tour, N’enferment point vos images ombreuses), Dites-moy donc, (car quelqu’une de vous, Possible encor, se cache ici dessous), Ne sentez-vous augmenter vostre peine, Quand, quelquefois, de ces costeaux romains, Vous contemplez l’ouvrage de vos mains N’estre plus rien qu’une poudreuse plaine ? […] Que de pensées ingénieuses pourtant et que de sentiments délicats ! […] Maurice Scève, qui la chanta morte, lui avait inspiré pendant sa vie un sentiment tendre, mais tout de poésie. […] Donc, Dircé et Thésée font assaut de beaux sentiments.

2783. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre sixième »

Chacun donnait, ou son sentiment, comme auteur, sur le genre qu’il cultivait, ou son jugement, comme lecteur, sur les genres que traitaient ses amis. […] Ce sont les satires littéraires et quelques satires morales, fruits de cet âge où l’on a un sentiment si vif des défauts et des vices des hommes, et la prétention de les corriger ; l’Art poétique, et les épîtres, qui marquent, l’un, l’âge de la pleine maturité et le désir d’établir ses principes et de confesser sa foi ; les autres, l’expérience, qui croît à mesure que les jours s’écoulent, et qui nous rend plus faciles sur les défauts d’autrui et plus attentifs aux nôtres. […] Boileau n’a-t-il pas ménagé quelques admirateurs considérables de Regnier, plutôt que donné son vrai sentiment ? […] Non que le poète y trouve le secret des vers faits de génie, ni le statuaire et le peintre l’art de créer des figures qui vivent, ni le musicien ce don de la mélodie par lequel il remue au fond de nos cœurs nos sentiments et nos souvenirs ; mais tous se rappellent l’idéal commun, le vrai par la raison, et ils se tournent vers celui qui a proclamé le premier ce principe suprême, qui les règle sans les gêner ni les borner. […] L’idée d’un dialogue avec son jardinier a pu lui venir d’Horace disant, lui aussi, à son fermier : « Disputons qui de nous deux saura le plus bravement arracher les épines, moi de mon esprit, toi de ton champ, et lequel vaut le mieux d’Horace ou de sa chose166. » Mais le sentiment est différent : ce qui n’est dans Horace qu’un agréable trait de douce et oisive philosophie, dans Boileau est un vœu ardent de s’amender, avec l’inquiétude chrétienne de n’y pas réussir.

2784. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 7172-17709

Voici deux ordres differens de mots dérivés d’une même racine génératrice, d’un même mot primitif destiné en général à exprimer ce sentiment de l’ame qui lie les hommes par la bien veillance. Les dérivés du premier ordre sont amant, amour, amoureux, amoureusement, qui ajoûtent à l’idée primitive du sentiment de bienveillance, l’idée accessoire de l’inclination d’un sexe pour l’autre : & cette inclination étant purement animale, rend ce sentiment aveugle, impétueux, immodéré, &c. Les dérivés du second ordre sont ami, amitié, amical, amicalement, qui ajoûtent à l’idée primitive du sentiment de bienveillance, l’idée accessoire d’un juste fondement, sans distinction de sexe ; & ce fondement étant raisonnable, rend ce sentiment éclairé, sage, modéré, &c. Ainsi ce sont deux passions toutes différentes qui sont l’objet fondamental de la signification commune des mots de chacun de ces deux ordres : mais ces deux passions portent l’une & l’autre sur un sentiment de bienveillance, comme sur une tige commune. […] Ainsi ennemi signifie l’opposé d’ami ; inimitié exprime le sentiment opposé à l’amitié.

2785. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome II

Ce sentiment des nécessités de l’État, intimement fixé au plus profond de son être, s’accompagnait d’une étonnante perspicacité à l’égard des choses et des gens qui pouvaient nuire à la conception qu’il se faisait de cet État. […] Pour Amiel, par exemple, le contraste entre l’atmosphère de la ville, où il dut enseigner, et celle des Universités germaniques, où il avait passé les belles années de sa jeunesse, explique qu’il ait subi un intense sentiment de solitude. […] Il existe un ordre de phénomènes appelés psychiques — idées, sentiments, volontés — et une science qui les étudie, la psychologie. […] C’est encore une influence à signaler que celle de ce sentiment si peu généreux, mais si fréquent, qui crispe de haine le cœur de l’homme dénué devant le bonheur de l’homme comblé. […] Ceux de nos hommes qui ont l’âme sensible achèvent les blessés d’une balle dans la tête. » Et mon correspondant ajoute, devenu cruel lui-même, mais par son sentiment trop justifié : « Jamais nous ne vengerons assez nos morts.

2786. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre premier. Ce que devient l’esprit mal dépensé » pp. 1-92

Il y a même un passage où il indique clairement Shakespeare en parlant des Anglais « qui se sont élevés contre nos héros de comédie, galants à propos et hors de propos, et poussant à toute outrance les sentiments tendres !  […] Tout ce que l’imagination la plus fraîche a pu réunir de sentiments les plus délicats, Molière l’a jeté à profusion dans cette petite pièce. […] Pas un mot qui ne porte une honte ; pas un sentiment qui ne soit une bassesse, et pas une opinion qui ne soit l’opinion d’un intrigant. […] Soudain, vous voyez notre homme enflé de sa gloire, faisant le gros dos, suant sang et eau pour nous donner le sentiment de son importance. […] Mais il s’agit d’une pauvre âme en peine toute disposée à l’amour, à l’amitié, aux plus doux sentiments du cœur, et qui se voit forcée de cacher, comme on cacherait un ridicule, tous ces rares trésors dont personne ne veut sa part.

2787. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) «  Poésies inédites de Mme Desbordes-Valmore  » pp. 405-416

Dans une première division du recueil où se lit cette inscription, Amour, il se trouve de bien jolis motifs de chants, des mélodies pures, et qui rappellent l’âge, déjà bien ancien, où la poésie se nourrissait encore toute de sentiment : Les roses de Saadi J’ai voulu ce matin te rapporter des roses ; Mais j’en avais tant pris dans mes ceintures closes, Que les nœuds trop serrés n’ont pu les contenir.

2788. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Note »

Note J’ai peu à ajouter à ces articles au point de vue littéraire, et toute la gamme des sentiments du critique, depuis l’enthousiasme premier jusqu’au temps d’arrêt et à la résistance finale, vient d’être, ce me semble, parcourue et comme épuisée.

2789. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre II. — De la poésie comique. Pensées d’un humoriste ou Mosaïque extraite de la Poétique de Jean-Paul » pp. 97-110

L’humoriste est plein de sentiment.

2790. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre IV. La langue française au xviie  »

Comme ils faisaient métier de démêler, d’analyser la nature et les nuances des sentiments, ils s’occupèrent de préciser les sens des mots, d’en délimiter l’extension, de séparer ceux qui étaient voisins et semblaient se confondre.

2791. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XV. Les jeunes maîtres du roman : Paul Hervieu, Alfred Capus, Jules Renard » pp. 181-195

On désigne ainsi un assemblage de pièces de métal, destiné à soutenir ou à contenir les parties moins solides, ou lâches, d’un objet déterminé… Là-dessus on dispose la garniture, l’ouvrage d’art, c’est-à-dire les devoirs, les sentiments, etc. » Eh bien non, cette thèse est fausse.

2792. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Préface »

L’opuscule sur ma sœur a été lu avec sympathie par quelques personnes animées pour elle et pour moi d’un sentiment bienveillant.

2793. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XIII » pp. 109-125

Madame de la Sablière disait de lui : « Il m’a donné de l’esprit, mais j’ai réformé son cœur. » C’était à l’occasion des Maximes, publiées en 1665, qu’ils faisaient l’utile échange de leurs sentiments et de leurs pensées.

2794. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Jean-Baptiste Rousseau, et Joseph Saurin. » pp. 28-46

La seule partie qu’on lui ait contestée est celle du sentiment.

2795. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XIV. L’auteur de Robert Emmet »

Seule, la femme, forte en orthographe de l’école doctrinaire, pouvait, à propos du mouvement d’imagination généreuse par lequel lord Byron fut emporté vers la Grèce, écrire, sans se déferrer, dans un style d’institutrice anglaise qui a lu Wilberforce, que Byron n’avait ni la foi d’un croisé (merci de me l’apprendre), ni l’ignorante ardeur d’un jeune homme, MAIS le sentiment d’un PHILANTHROPE SAGE et ÉCLAIRÉ !

2796. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Chamfort »

si toutes les lettres que nous avons reçues avaient été dans ce sentiment et ce style, elles auraient évidemment confirmé la justesse de nos réflexions sur ce mal indéniable de la bâtardise, et nous aurions été heureux de la voir ainsi confirmée !

2797. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Ch.-L. Livet »

… Ou il doit recommencer sérieusement, ce qui ne manquerait pas de hardiesse, la comédie de Molière, cette comédie des Précieuses, qui n’a point passé comme le temps qu’elle a peint, et dans laquelle tout est resté aussi vrai et aussi réel que cet éternel bonhomme que Molière met partout, ce Gorgibus qui est Chrysale ailleurs, et Orgon, et même Sganarelle ; car Sganarelle, c’est Gorgibus avec quelques années de moins et une… circonstance de plus ; ou bien — ce qui serait beaucoup plus crâne encore — il doit être, ce livre, la défense enfin arborée des Madelon et des Cathos contre les moqueries de Molière, la négation des ridicules mortels qu’il leur a prêtés, et la cause épousée par un spiritualiste du xixe  siècle de ces idéales méconnues qui tendaient à s’élever au dernier bien des choses, et voulaient des sentiments, des mœurs et une langue où tout fût azur, où tout fût éther !

2798. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes de la Révolution » pp. 73-87

Nous en avons nommé les héroïnes ; mais ce qui dépasse infiniment l’admiration et le culte que Michelet leur a voués, c’est le sentiment qui anime son livre de la première page à la dernière ; ce sont les détails à côté de ces quelques portraits épars, mis là pour attirer peut-être la curiosité sur autre chose que sur ces portraits.

2799. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Th. Carlyle » pp. 243-258

C’est la passion de l’Histoire même, la passion du récit, indépendamment des idées ou des sentiments qu’il exprime.

2800. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Eugène Pelletan » pp. 203-217

Et si ce n’était encore qu’un vieux républicain de la première heure, sur lequel Lamartine aurait laissé son rêve, comme Lekain laissa son talent sur La Rive, certainement ce ne serait pas très imposant d’intelligence, mais ce serait touchant, comme une folie de sentiment, que cette fidélité obstinée aux illusions de ses beaux jours.

2801. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame de Créqui »

Excepté l’affection maternelle, dont elle fut victime, elle n’eut jamais que deux sentiments, et les plus mâles que pût éprouver un cœur de femme, deux amitiés pour deux hommes avancés dans la vie : l’une pour son oncle, le bailly de Fronlay, et l’autre pour Sénac de Meilhan, à qui sont adressées les Lettres.

2802. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Alexis de Tocqueville »

pour que cette publication se produise en paix et s’impose à la Critique comme un sentiment auquel le respect défende de toucher ?

2803. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « VII. Vera »

Quand on absout l’humanité, parce que, dit-on, on la comprend, quand la meilleure justification des choses est… qu’elles sont ou qu’elles furent, il faut bien accepter la religion avec tout le reste, car il y en a eu assez, de religions, sur la terre de ce globe, et assez de sentiment religieux dans les cœurs qui battent encore à sa surface ou qui dorment glacés dessous.

2804. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XX. M. de Montalembert »

Exalter l’œuvre éternellement glorieuse de l’Église, un livre enfin dont la doctrine est pure et le sentiment très droit.

2805. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « MM. Delondre et Caro. Feuchtersleben et ses critiques. — L’Hygiène de l’âme » pp. 329-343

Enfin, ayant parfaitement observé encore que le regret était la cause la plus active des maladies de poitrine, il avait supprimé de ses sentiments le regret.

2806. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « A. P. Floquet »

Enfin, il se faisait lentement ce Bossuet dont un moine de ces derniers temps a pu dire, pour montrer qu’il avait aussi bien en lui la douceur résignée, le sentiment de l’immolation, — toute la mélancolie chrétienne qu’on lui refuse, — que la force qu’on ne lui nie pas : « Il avait la main droite sur le lion de Juda, et la gauche sur l’Agneau immolé avant tous les siècles. » Mot le plus plein et le plus résumant qui ait été dit sur Bossuet !

2807. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Maynard »

Je n’aurais jamais cru d’avance à cette virilité et à cette hauteur d’appréciation, à cette profondeur de judiciaire, à ce calme dans les plus vifs sentiments contenus, de la part d’un écrivain qui, jusque-là, avait montré du talent littéraire, mais sans rien de tranché et de péremptoire comme l’est la supériorité.

2808. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Victor Cousin »

il a eu le sentiment très net que c’était pour lui impossible.

2809. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Maurice de Guérin »

C’est un panthéiste qui, pour être profond et puissant, n’est ni trouble, ni confus, comme tous les esprits qui inclinent au panthéisme, aussi bien en poésie qu’en philosophie, aussi bien dans le sentiment que dans l’abstraction.

2810. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Mme Desbordes-Valmore. Poésies inédites. »

Ce sont encore La Voix d’un ami qui est l’ardeur de l’amour introduite dans le sentiment le plus calme, L’Esclave et l’Oiseau, Le Secret perdu, La Jeune comédienne.

2811. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Amédée Pommier »

Ils connurent sa profondeur de sentiment dans toutes les affections de sa vie, et, jusque dans ses plus flottantes relations, son incorruptible fidélité.

2812. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Jean Richepin »

Si la Critique, comme je l’entends du moins, n’était pas plus haute que la sensation, le sentiment et tous les genres de critiques de ce temps matérialiste, sentimentalement niais et individuel, le livre, je l’avoue, aurait passé avec moi un mauvais quart d’heure.

2813. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XIX. Panégyriques ou éloges composés par l’empereur Julien. »

Julien, à la tête de cet éloge, annonce le sentiment qui le lui inspire.

2814. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre III. Ben Jonson. » pp. 98-162

. —  Mais par-dessus les habitudes d’ordonnance latine, il possède la grande faculté de son siècle et de sa race, le sentiment du naturel et de la vie, la connaissance exacte du détail précis, la force de manier franchement, audacieusement, les passions franches. […] À présent Il a perdu le sentiment ; il a cessé de râler. […] La fantaisie surabonde, et aussi le sentiment des couleurs et des formes, le besoin et l’habitude de jouir par l’imagination et par les yeux.

2815. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (2e partie) » pp. 97-191

La tragédie s’efforce autant que possible de se renfermer dans une seule révolution du soleil, ou du moins de très peu sortir de ces limites ; l’épopée, au contraire, n’a pas de limite de temps ; et c’est là une différence essentielle, quoique dans le principe on se donnât cette facilité pour la tragédie aussi bien que dans la comédie. » * * * « La tragédie, continue-t-il, est selon moi l’imitation de quelque action sérieuse, noble, complète, ayant sa juste dimension et employant un discours relevé par tous les agréments qui, selon leur espèce, se distribuent séparément dans les diverses parties, sous forme de drame et non de récit, et arrivant, tout en excitant la pitié et la terreur, à purifier en nous ces deux sentiments. […] « Ainsi, l’on peut compter dans toute la tragédie six éléments qui servent à déterminer ce qu’elle est et ce qu’elle vaut : ce sont la fable, les mœurs ou caractères, le style, l’esprit ou les sentiments, le spectacle et la mélopée. […] « La terreur et la pitié peuvent venir du spectacle qu’on met sous les yeux des assistants ; mais on peut faire sortir ces sentiments de l’intrigue même du drame, ce qui est bien préférable et annonce un poète plus habile.

2816. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 octobre 1885. »

— s’est présentée, en une bonne journée, gaîment et innocent, dans une manière comique, puissent, aujourd’hui, mes amis ne pas trouver mauvais si, en leur communiquant ce poème burlesque, — dont il nous fut pourtant impossible de trouver la musique convenable, — je tâche à éveiller en eux le même sentiment de libération momentanée que je sentis quelques instants en l’écrivant. » UNE CAPITULATION COMÉDIE À LA MANIÈRE ANTIQUE (Analyse.) […] De cette lettre, où Wagner fait connaître ses sentiments à l’égard de la France, nous extrayons quelques passages décisifs à propos d’Une Capitulation. […] Ce qui semble jusqu’à présent n’avoir été entrepris par les fondateurs de ces associations que par un calcul de prudence repose, en grande partie inconsciemment, sur une base que nous appelons sans honte une conscience religieuse : l’aigreur même de l’ouvrier qui produit ce qu’il y a de plus utile, pour en retirer pour lui-même les avantages relativement les moindres, renferme une constatation de l’immoralité profonde de notre civilisation, que ses défenseurs ne peuvent repousser qu’à l’aide de sophismes véritablement ridicules : car s’il est vrai que la richesse ne fait pas le bonheur, celui-là seul qui est dépourvu de tout sentiment oserait nier que la pauvreté fait le malheur (R. et A.).

2817. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre VI » pp. 394-434

Il sait donner à l’amour un si bel air de galanterie, et de cette façon il fait de la passion quelque chose de si facile à avouer tout haut, que bien peu de femmes pourraient dire, avec cette effronterie naïve, les plus secrets sentiments de leur cœur. […] Comédienne dans son moindre geste, dans son sourire, dans le pli de sa robe, dans la forme et dans la couleur de ses habits, dans le son de sa voix, cette voix touchante et ingénue, douce musique qui allait à l’âme, raillerie, innocence, bel esprit, moquerie pleine de verve, causerie sans fin, gracieuse façon de tout dire, profond sentiment, non seulement des ridicules humains, mais encore des misères humaines ; sa comédie avait quelque chose de grave et d’ingénu tout à la fois, quelque chose de sérieux et de jeune en même temps auquel il eût été bien difficile de résister. […] on ne résistait pas à cet entraînement contenu dans les plus correctes limites ; au contraire, on s’abandonnait volontiers à cette force sincère, à cette passion naturelle, à cet entraînement, qui obéissent à toutes les règles du goût, du bon sens, de la grâce, du sentiment.

2818. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre I. Des poëtes anciens. » pp. 2-93

L’expression même du sentiment qu’il a heureusement maniée dans son Inés, s’est refusée à lui dans son Iliade. […] quel sentiment ! […] C’étoient pensées sur pensées, de l’esprit à chaque mot, par conséquent peu de sentiment & de passion.

2819. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « LOUISE LABÉ. » pp. 1-38

Voilà bien le jugement d’une femme, mais d’une femme délicate, éprise des beaux sentiments, non d’une Ninon. […] Ce dernier vers pourra sembler un peu serré, un peu dur, mais le sentiment général, mais l’expression vive du morceau, ces yeux qui tarissent, montrer signe d’amante, ce sont là des beautés qui percent sous les rides et qui ne vieillissent pas.

2820. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (1re partie) » pp. 305-364

L’envie n’est autre chose que le sentiment de quelque qualité qu’un autre possède et qui manque en nous. […] Voilà mes sentiments pour Hugo ; je crois que les siens sont identiques pour moi.

2821. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxive Entretien. Réminiscence littéraire. Œuvres de Clotilde de Surville »

Car on invente des idées, mais on n’invente pas des sentiments. Or, les poésies de Clotilde de Surville sont les plus belles et les plus naïves poésies et sentiment de toute la littérature française.

2822. (1920) Enquête : Pourquoi aucun des grands poètes de langue française n’est-il du Midi ? (Les Marges)

Quant à moi, au risque de me faire déchirer par tous les professeurs de France, je pense que, dans l’Europe occidentale, la poésie est surtout une manifestation du sentiment celtique. […] La création artistique ou littéraire a besoin d’être stimulée par cet échange d’idées, de sentiments, d’impressions qui est possible seulement dans un cercle où règne la curiosité des choses de l’esprit.

2823. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre quatrième »

Au milieu de ces excès si intéressants par l’ardeur même qui les suscitait, l’esprit français s’éprouvait tour à tour à toutes ces imitations où l’invitaient les doctes et les poëtes populaires, et il se formait en silence par le sentiment naïf des différences et des analogies. […] En désirant que la langue poétique fût riche, noble, harmonieuse, Ronsard avait le sentiment exact non-seulement de ses besoins actuels, mais de ses futures beautés.

2824. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre sixième. »

C’est de cette sagesse. que la langue d’Amyot nous mit en possession au xvie  siècle, et le sentiment de cette acquisition fut si vif, que Montaigne parlant du Plutarque d’Amyot, put dire, au nom de tous ses contemporains : « Nous aultres ignorants estions perdus, si ce livre ne nous eust relevés du bourbier : sa mercy, nous osons à cett’heure et parler et escrire ; les dames en régentent les maistres d’eschole ; c’est nostre bréviaire133. » § III. […] Le goût, c’est encore le sentiment du vrai commun à tous ; or, à ces deux époques, comme on ne croit pas à des vérités communes à tout le monde, on ne peut pas avoir de goût.

2825. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 septembre 1886. »

Il fut déterminé par l’avènement de la démocratie : les âmes furent modifiées : les choses apparurent sous un aspect plus sensible : le sentiment de leurs rapports s’atténua : grandit le sentiment de leurs forces externes.

2826. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 15 décembre 1886. »

Si par « Wagnérisme », au contraire, l’on entend désigner cette communauté de goûts et de sentiments qui rassemble une collectivité d’amateurs et de connaisseurs dans un même respect, sinon dans une égale admiration de ces œuvres, on peut affirmer que le Wagnérisme a droit de cité parmi nous, qu’il s’y est développé de bonne heure, qu’il y a son histoire. […] Ce rapport devient insensiblement un pamphlet contre la science en général, que l’auteur accuse de violer grossièrement les plus sacrés mystères de la nature et d’offenser le sentiment du beau en observant la vie dans sa pleine activité et dans son développement.

2827. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre X »

N’est-ce pas là un bon sentiment, tout à fait digne d’encouragement et de louange ? […] Cette part faite au sentiment, le banquier revient aux affaires.

2828. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1883 » pp. 236-282

Il ajoutait que dans les sentiments de pure affection, le baiser était une chose rare. […] Mardi 20 novembre Ce soir, au dîner de Brébant, existe le sentiment d’une conflagration générale au printemps, au milieu de laquelle la Prusse nous tombera sur les reins.

2829. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Victor Hugo » pp. 106-155

En Triboulet, en Lucrèce Borgia, le sentiment de la paternité lutte contre les vices innés. […] Que ces sentiments, cette façon de penser, d’être ému et d’exprimer, est portée chez M. 

2830. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Notes et éclaircissements. [Œuvres complètes, tome XIII] »

Je le répète encore, ce n’est point pour insulter à sa chute que je dis tout ceci, mais pour vous attendrir sur ses maux, et pour vous inspirer des sentiments de clémence et de compassion à son égard. […] Voici plusieurs passages de ses Lettres (où l’on doit toujours chercher ses sentiments intimes) qui le prouvent assez.

2831. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Villemain » pp. 1-41

Un peuple ne dépérit pas ainsi… S’il prévient, au contraire, la décadence par le travail continu des esprits, par le sentiment élevé du devoir, par quelque grandeur dans la vie publique, il ne subit pas la loi du temps et il peut compter indéfiniment sur de nouveaux âges virils. » Villemain, évidemment, a trop l’expérience de la vie pour croire à cette plaisanterie de jeunesses successives. […] Quelquefois Mirabeau, perplexe et pesant, mâchait de la laine dans sa gueule de lion avant de trouver le sang de l’idée ou du sentiment qu’il allait tout à l’heure faire jaillir ; mais la laine des phrases de Villemain lui reste dans les dents, et le rhéteur en meurt étouffé.

2832. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Victor Hugo »

certes, il faut que nous soyons de bien bons enfants en littérature, si nous sommes en politique de mauvais garçons ; il faut que nos besoins d’originalité ne soient pas bien grands, à nous autres éreintés de l’époque actuelle, pour que nous soyons si aisément satisfaits de la répétition des mêmes idées, des mêmes sentiments, du même langage et presque des mêmes mots, des mêmes tableaux et de la même manière de peindre, et que nous en jouissions avec autant de pâmoison de plaisir et de furie d’enthousiasme que si tout cela était inconnu, inattendu, virginal, et tombé, pour la première fois, du ciel ou du génie d’un homme. […] L’inspiration en est fausse et monotone sous prétexte d’unité, et l’exécution, au point de vue des sentiments et des images, quoique puissante à beaucoup d’endroits, est très inférieure à celle d’un grand nombre de poésies de Hugo, mais pour le rythme et pour le vers, non !

2833. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre VI. L’espace-temps à quatre dimensions »

L’objet de la science est de calculer, et par conséquent de prévoir : nous négligerons donc votre sentiment d’indétermination, qui n’est peut-être qu’une illusion. […] c’est l’action même ; et l’obligation où je suis de le vivre, l’impossibilité de jamais enjamber l’intervalle de temps à venir, suffiraient à me démontrer — si je n’en avais pas le sentiment immédiat — que l’avenir est réellement ouvert, imprévisible, indéterminé.

2834. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Alfred de Musset » pp. 364-375

Il a eu, il a dû avoir bien des fois le sentiment et comme l’agonie de sa défaillance devant l’idée de cette vérité supérieure, de cette beauté poétique plus sereine qu’il concevait et qu’il n’avait plus assez de force pour atteindre ni pour embrasser.

2835. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire de la littérature française, par M. D. Nisard. Tome iv. » pp. 207-218

Cicéron, tendre père d’une fille charmante, père désespéré quand il perdit Tullie, en est meilleur citoyen, plus attaché à ses amis, plus épris de la vérité, laquelle devient plus chère à l’homme chez qui la tendresse de cœur se communique à l’esprit, et qui aime la vérité à la fois comme une lumière et comme un sentiment. — J’ai peur que Voltaire n’ait aimé que son esprit… Il ne serait pas besoin d’avoir beaucoup vu M. 

2836. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Chateaubriand, jugé par un ami intime en 1803 » pp. 2-15

Il y a en effet, dans le fond de ce cœur, une sorte de bonté et de pureté qui ne permettra jamais à ce pauvre garçon, j’en ai bien peur, de connaître et de condamner les sottises qu’il aura faites, parce qu’à la conscience de sa conduite, qui exigerait des réflexions, il opposera toujours machinalement le sentiment de son essence ; qui est fort bonne.

2837. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Waterloo, par M. Thiers »

Hommes, soyons ouverts à tous les sentiments d’humanité, de communication facile et libre, et, s’il se peut, fraternelle : nation, gardons intègre le nerf des nations.

2838. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « FLÉCHIER (Mémoires sur les Grands-Jours tenus à Clermont en 1665-1666, publiés par M. Gonod, bibliothécaire de la ville de Clermont.) » pp. 104-118

Ce premier petit roman nous met en goût et en confiance avec Fléchier ; on sent qu’on a affaire, non-seulement à un écrivain singulièrement poli, mais à un esprit observateur et délié qui s’entend aux beaux sentiments, aux grandes passions, qui en sourit tout bas en les exposant, et les décrit à plaisir sans s’y prendre.

2839. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Appendice sur La Fontaine »

Ainsi introduit à la cour et dans le grand monde littéraire, il y paya sa bienvenue en sonnets, ballades, rondeaux, madrigaux, sixains, dizains, poëmes allégoriques, et put bientôt paraître le successeur immédiat de Voiture et de Sarasin, le rival de Saint-Évremond et de Benserade ; c’était le même ton, la même couleur d’adulation et de galanterie, quoique d’ordinaire avec plus de simplicité et de sentiment.

2840. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. Victor Vousin. Cours de l’histoire de la philosophie moderne, 5 vol. ix-18. »

Selon moi, au moment où nous entrons sur la scène de la vie, c’est surtout l’instinct et le sentiment des facultés que nous portons en nous qui détermine, à notre insu, la manière dont nous voyons et dont nous entamons les choses.

2841. (1875) Premiers lundis. Tome III « Nicolas Gogol : Nouvelles russes, traduites par M. Louis Viardot. »

La façon dont Tarass accueille ses fils, dont il les houspille et les raille, dont il force presque l’aîné à faire, pour premier bonjour, le coup de poing avec lui, nous transporte aussitôt dans ce monde de sauvagerie et de rudesse ; la mère silencieuse, émue et navrée, qui ose jouir à peine du retour de ses fils, est touchée avec un sentiment profond et délicat : on assiste à la misérable condition de la femme en ces mœurs et en ces âges barbares.

2842. (1875) Premiers lundis. Tome III « M. Troplong : De la chute de la République romaine »

L’histoire de ces temps peut donc servir à la nôtre, ou plutôt le spectacle de ce que nous avons eu sous les yeux et le sentiment de ce que nous avons observé nous-mêmes peuvent nous servir à entendre complètement cette histoire du passé ; car c’est moins l’histoire ancienne qui, en général, éclaire le présent, que l’expérience du présent qui sert à rendre tout leur sens et toute leur clarté aux tableaux transmis et plus ou moins effacés des anciennes histoires.

2843. (1895) Histoire de la littérature française « Avant-propos »

Brunetière : j’ai estimé plus utile, en une matière où il n’y a point de vérité dogmatique ni rationnelle, d’apporter les opinions, les impressions, les formes personnelles de pensée et de sentiment que le contact immédiat et perpétuel des œuvres a déterminées en moi.

2844. (1911) La valeur de la science « Deuxième partie : Les sciences physiques — Chapitre V. L’Analyse et la Physique. »

C’est que Maxwell était profondément imprégné du sentiment de la symétrie mathématique ; en aurait-il été de même, si d’autres n’avaient avant lui recherché cette symétrie pour sa beauté propre ?

2845. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « La Plume » pp. 129-149

., et cette admiration des nouveaux venus s’exagérait encore du sentiment qu’ils avaient de réparer une longue injustice.

2846. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre IX. Les disciples de Jésus. »

Dans ce paradis terrestre, que les grandes révolutions de l’histoire avaient jusque-là peu atteint, vivait une population en parfaite harmonie avec le pays lui-même, active, honnête, pleine d’un sentiment gai et tendre de la vie.

2847. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXIII » pp. 378-393

Toute la suite de sa vie a montré qu’en cette occasion sa peine la plus sensible fut la perte des espérances qu’elle avait déjà conçues de ramener le roi à une conduite plus conforme aux sentiments de religion et de piété dont elle était pénétrée. » M. de Beausset se fonde sur les Mémoires de Saint-Simon, et il en cite l’extrait suivant : « Bossuet était un homme dont les vertus, la droiture et l’honneur étaient aussi inséparables que la science et la vaste érudition.

2848. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre III, naissance du théâtre »

Tous les sentiments dramatiques que le théâtre futur allait bientôt faire connaître aux âmes, terreur et pitié, angoisse et espoir, étaient en germe dans les émotions que les contrastes de la nature suscitaient en lui.

2849. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre IV. La folie et les lésions du cerveau »

la nature se substituant à l’art, fait en quelque sorte à notre place de tristes expériences, lorsque, sous l’influence des causes les plus diverses, elle trouble, elle bouleverse, elle anéantit chez l’homme le sentiment et la raison.

2850. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre VII. Le langage et le cerveau »

La question est donc toujours en suspens, ou, pour mieux parler, l’unité du cerveau, comme organe d’intelligence et de sentiment, peut être considérée comme le fait le plus vraisemblable dans l’état actuel de la science.

2851. (1860) Ceci n’est pas un livre « Le maître au lapin » pp. 5-30

Romantique comme Albert Dürer et Rembrandt, Rodolphe Bresdin est exact et minutieux comme Van Eyck : il a de Rembrandt le sentiment mystique et les éblouissements prodigieux de lumière ; d’Albert Dürer, la rêverie profonde ; de Van Eyck, la science passionnée du détail.

2852. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XV. Mme la Mise de Blocqueville »

Mme de Blocqueville, qui n’a rien, — et je l’en félicite, — des idées et des sentiments de Mme Sand, n’a pas eu plus qu’elle la force qui lui a manqué.

2853. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Joubert » pp. 185-199

Il se maria par sentiment.

2854. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Guizot » pp. 201-215

Guizot l’a touchée, cette question, avec cette hauteur impassible de langage qui peut toucher hardiment à tout et voudrait bien l’amener à la lumière, mais il la laisse bientôt retomber dans les ténèbres qui l’enveloppent, — et ceux qui aiment Shakespeare restent épouvantés, ou du moins inquiets, en face de ces Sonnets, d’un sentiment et d’une expression tellement androgynes qu’on se demande si le génie qui parle ainsi est le génie de l’amour ou le génie de l’amitié… Tel est pourtant l’incomplet de cette histoire et de cette critique que nous a donné Guizot dans cette œuvre, trop courte d’ailleurs, intitulée la Vie de Shakespeare.

2855. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Louis Vian » pp. 373-387

Et enfin, dans ces derniers temps, nous avons eu Dupin, ce vieux soulier ferré de Dupin, extrait des crottes du Morvan, qui n’a jamais écrit une seule phrase de langue ou de sentiment français en toute sa vie, qui fut longue !

2856. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Histoire des Pyrénées »

C’est le même sentiment involontaire d’orgueilleuse et ridicule égalité.

2857. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « La Femme et l’Enfant » pp. 11-26

Le sentiment d’ordre moral qui manque à tant d’intelligences de notre époque ne lui manque pas, quoiqu’il soit en lui troublé et confus.

2858. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes d’Amérique » pp. 95-110

… Souffriront-ils patiemment qu’on les pose dans le monde et dans les sentiments de leurs femmes comme de simples éléments de rentes, eux si vite cabrés autrefois pour une observation de mistress Trollope ou une plaisanterie de Charles Dickens ?

2859. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes et la société au temps d’Auguste » pp. 293-307

Pour lui, on ne pénètre l’Histoire que par « le sentiment », et comme il va s’agir de l’Antiquité dans son livre, il pose au préalable qu’il est impossible d’interpréter le monde antique autrement que par l’impression personnelle, et il ajoute même, avec la crânerie d’une idée générale qui est le chapeau sur l’oreille de ce fantaisiste : « Écrire l’histoire, c’est donner notre manière de voir sur l’histoire. » Je ne sais pas si, de principe, de Bury est cartésien, mais jamais le moi de Descartes n’a été mieux appliqué à quelque chose qu’il ne l’est, sous sa plume, à l’Histoire.

2860. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIII. M. Nicolardot. Ménage et Finances de Voltaire » pp. 297-310

Nicolardot ne connaît pas ce sentiment qu’on pourrait appeler l’importunité de la gloire, mais il n’en connaît pas non plus la servilité.

2861. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. H. Wallon » pp. 51-66

Pour la première fois, ces barons, qui avaient inventé le mot méprisant, en parlant d’un État ou d’une terre : « tomber en quenouille », respectèrent celle-ci comme une masse d’armes, et ployèrent sous ce gouvernement d’une femme qui était mère du Roi et qui avait le sentiment de la Royauté de son fils.

2862. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Le comte de Gobineau » pp. 67-82

L’auteur de La Renaissance n’idéalise jamais, et ce n’est pas pourtant le sentiment de l’idéal qui lui manque !

2863. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « MM. Jules et Edmond de Goncourt » pp. 201-216

Sans amitié, sans préférence, sans chaleur, sans passion, indifférent à tout, et ne faisant acte de pouvoir, et d’un pouvoir jaloux, que dans la liste des invités de ses soupers, Louis XV apparaissait, dans le fond des petits appartements de Versailles, comme un grand et maussade et triste enfant, avec quelque chose dans l’esprit de sec, de méchant, de sarcastique, qui était comme la vengeance des malaises de son humeur… Un sentiment de vide, de solitude, un grand embarras de la volonté et de la liberté, joint à des besoins physiques impérieux et dont l’emportementrappelait les premiers Bourbons, c’est là Louis XV à vingt ans, c’est là le souverain en lequel existait une vague aspiration au plaisir et le désir et l’attente inquiète de la domination d’une femme passionnée, ou intelligente, ou amusante… Il appelait, sans se l’avouer à lui-même une liaison qui l’enlevât à la persistance de ses tristesses, à la paresse de ses caprices, qui réveillât ou étourdît sa vie en lui apportant les violences de la passion ou le tapage de la gaieté.

2864. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVII. Saint-Bonnet »

Conséquent à la manière des grands observateurs, qui généralisent quand ils concluent, anatomiste de la pensée comme Bichat et Cuvier l’étaient des organes, il a pris la tête humaine dans sa main et il a dit : Cette tête étant conformée comme elle est, il est évident que telles idées ou tels sentiments qu’on y infiltre quand elle est vierge encore doivent produire tel effet funeste, — absolument comme le chimiste dit : Tel liquide versé dans un autre liquide doit produire tel précipité à coup sûr ; — et par là il a donné à une argumentation épuisée le degré de solidité qui devait la rendre invincible.

2865. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Th. Ribot. La Philosophie de Schopenhauer » pp. 281-296

La sienne, qui n’est pas la leur, produit l’effet le plus inattendu à ceux qui savent que cette variété d’athée était, de sentiment et de doctrine, le pessimiste le plus absolu qui ait jamais existé et qui avait inventé cette raison pour que l’homme ne fût pas supérieur au singe : c’est qu’il n’aurait pu résister à l’horreur de la vie… La morale de Schopenhauer, — bien trop philosophe pour ne pas accrocher à la caisse de son système les deux roues d’une esthétique et d’une morale qui devaient le faire mieux rouler, — l’incroyable morale de cet homme qui ne croit pas au devoir : « bon pour des enfants et les peuples dans leur enfance », est, le croira-t-on ?

2866. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Agrippa d’Aubigné »

Pour qui a le sentiment des analogies et des parentés intellectuelles, Agrippa d’Aubigné est, évidemment, un des aïeux du grand Corneille, surpassé — je le veux bien ! 

2867. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Stendhal et Balzac » pp. 1-16

… Mais, pour un livre qui a déjà produit son effet, qui n’a plus sa fleur, qui est tombé peut-être sous le coup de cette indifférence du public dont furent frappés pendant longtemps un si grand nombre de chefs-d’œuvre, pour un pareil livre à reprendre et à relancer, le libraire n’a plus que son appréciation, son sentiment de la valeur de l’ouvrage, sa propre perspicacité.

2868. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Jules De La Madenène » pp. 173-187

Dans ce nouveau livre, en effet (un roman au lieu d’être un poëme), il s’agit du même terroir et du même ciel que dans Miréio, c’est-à-dire du Midi et de ses mœurs ardentes, saisies et reproduites avec une observation passionnée dans ce qu’elles ont de vivant encore, et jusqu’à ce jour d’inaliénable… Amour et souvenance de la patrie dont les premières impressions teignent à jamais le talent et teignent bien plus fort le génie, sentiment profond des poésies du sol, recherche de la vie où elle est, c’est-à-dire dans les classes populaires, plus près que nous de la nature, préoccupation des choses primitives que tous les jours, hélas !

2869. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Prosper Mérimée. » pp. 323-336

Une autre raison encore de ce succès chez le peuple de vaudevillistes, que nous avons le bonheur d’être, c’est la simplicité de la donnée de ces petits romans, tout en action extérieure, d’un sentiment brutal ou sinistre, et racontés avec cette impassibilité de roué qui aura toujours, en France, pays de vanité, un immense empire.

2870. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Arthur de Gravillon »

On s’étonnerait même qu’un homme animé d’un sentiment ou d’un ressentiment si personnel pût se traduire avec tant de verve et de mouvement et de vérité dans l’émotion sous des formes d’une imitation si complète, si on ne savait combien les habitudes de l’esprit sont impérieuses et enveloppantes.

2871. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre IV. »

Avec la différence des temps, la modération de désir recommandée par le fougueux satirique de Paros sert d’exemple à celle d’Horace49 : « Je ne me soucie nullement, avait dit Archiloque, des trésors de l’opulent Gygès ; jamais je ne fus pris du sentiment de l’envie ; je n’ambitionne pas les grandeurs des Dieux, ni je n’aspire aux pompes de la tyrannie ; je la laisse bien loin en arrière de mes regards. » À cette modération se joint l’abandon au destin, ou à la Providence.

2872. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE VIGNY (Servitude et Grandeur militaires.) » pp. 52-90

Puisque Stello, au milieu de ses émotions les plus pénétrantes, sait fort bien s’arrêter à d’ingénieuses vétilles, remarquer au plus fort de ses douleurs que le nom de Raphaël signifie un ange, et que Rubens veut dire rougissant ; puisque, le sentiment allant son train avec Stello, le raisonnement avec le docteur noir peut l’accompagner de ses hargneuses chicanes, je demande qu’on me pardonne si, dans l’admirable histoire du capitaine Renaud, qui faisait naître mes larmes, j’ai noté, chemin faisant, de petits désaccords, pour me rendre compte de ce manque de complète vraisemblance chez M. de Vigny. […] On a trop présent le grave et sublime caractère du capitaine Renaud et tout ce qu’il y a, sous cette mâle infortune, de philosophie humaine, d’abnégation stoïque attendrissante, de sagesse contristée et néanmoins incorruptible, pour que je fasse autre chose que d’y renvoyer Chez M. de Vigny, les grands sentiments de la pitié de l’amour, de l’honneur, de l’indépendance, se trouvent comme une liqueur généreuse enfermée dans des vases et des aiguières élégamment ciselées, avec des tubes, avec des longueurs de cou qui serpentent et qui ne la laissent arriver que goutte à goutte à notre lèvre : une source courante, à laquelle on puiserait dans le ci eux de la main, aurait son avantage ; mais la liqueur aussi a gagné en éclat et en saveur à ces retards ménagés, à ces filtrations successives.

2873. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Note I. De l’acquisition du langage chez les enfants et dans l’espèce humaine » pp. 357-395

En tout cas, ils annonçaient le premier éveil de l’intelligence : ils n’étaient plus aigus, prolongés, monotones ; c’étaient, pour ainsi dire, les sons d’une langue nouvelle ; cette langue, très différente du cri primitif, ne traduisait plus seulement la douleur brute, le simple malaise ; quoique rudimentaire et bornée, elle manifestait des nuances de sentiment, des états variés et compliqués de l’esprit et surtout de l’âme. […] Le sentiment de la forme, déjà manifesté par plusieurs traits, s’est encore révélé chez lui en cette circonstance.

2874. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XIV » pp. 126-174

Mais, par le mot Galantes, il entend parler d’un esprit tourné vers les idées et les sentiments romanesques et vers les ouvrages de galanterie, et non des habitudes désordonnées d’une vie galante. […] Ils corrigent les vers médiocres, et font à ces dames des réputations d’esprit. » « Une précieuse », dit-il ailleurs, « doit avoir l’adresse de donner du prix à ses sentiments, de la réputation à ses ouvrages, d’assurer approbation à ses railleries, force à ses sévérités. » Les auteurs soudoyés étaient les ilotes de la république ; aussi se rencontrait-il des précieuses de mauvais caractère qui, oubliant la politique du corps, se donnaient habituellement le plaisir de mettre les auteurs et les beaux-esprits de ce genre à la gêne, et de mortifier leur vanité ; et elles se vantaient de cette habitude : mais leur sévérité, dit de Pure, était combattue par d’autres précieuses.

2875. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — CHAPITRE IX »

Tant il est vrai que le sentiment de l’art est inaccessible au mensonge, et que les poupées se sentent mal à l’aise devant les statues. […] Qu’est-ce que la baronne d’Ange du Demi-Monde, l’Albertine du Père prodigue, sinon la Dame aux Camélias démasquée de son auréole, dépouillée de son idéal, montrée, non plus dans l’exaltation éphémère d’un sentiment vrai qui la transfigure, mais dans sa corruption normale et dans l’exercice régulier de sa profession ?

2876. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Additions et appendice. — Treize lettres inédites de Bernardin de Saint-Pierre. (Article Bernardin de Saint-Pierre, p. 420.) » pp. 515-539

Si le sentiment d’une bonne conscience nous rend heureux, vous devez jouir d’un bonheur inaltérable. […] Agréez les sentiments inaltérables d’amitié avec lesquels je suis pour la vie, Monsieur et ancien ami, Votre très humble et très obéissant serviteur, De Saint-Pierre.

2877. (1830) Cours de philosophie positive : première et deuxième leçons « Deuxième leçon »

Un tel accord est néanmoins évidemment le plus sûr indice d’une bonne classification ; car les divisions qui se sont introduites spontanément dans le système scientifique n’ont pu être déterminées que par le sentiment longtemps éprouvé des véritables besoins de l’esprit humain, sans qu’on ait pu être égaré par des généralités vicieuses. […] En se bornant à l’étude d’une science unique, il faudrait sans doute choisir la plus parfaite pour avoir un sentiment plus profond de la méthode positive.

2878. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre II. Axiomes » pp. 24-74

Elles sont l’expression des passions et des sentiments, à la différence des pensées philosophiques qui sont le produit de la réflexion et du raisonnement. […] L’épicuréisme la dissipe, en quelque sorte, parce qu’il abandonne au sentiment individuel le jugement de l’utilité.

2879. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Agrippa d’Aubigné. — II. (Fin.) » pp. 330-342

Dans ces parties accessoires de son ouvrage, et où il se permet toutes sortes de fleurs de rhétorique et de licences oratoires, il laisse bien voir aussi le sentiment d’élévation et d’enthousiasme qu’il y porte ; et pour revenir à un rapprochement que bien des endroits justifieraient, il y a en lui, chroniqueur et historien, quelque chose d’un Froissart passionné.

2880. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Lettres de la mère Agnès Arnauld, abbesse de Port-Royal, publiées sur les textes authentiques avec une introduction par M. P. Faugère » pp. 148-162

Un autre commerce de lettres, qui du moins nous fait assister à un échange de sentiments plus chrétiens, était celui de la mère Agnès avec le chevalier de Sévigné.

2881. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET (La Confession d’un Enfant du siècle.) » pp. 202-217

Il hésite, il est près de la frapper d’un poignard ; mais le bon sentiment triomphe.

2882. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Baudelaire, Charles (1821-1867) »

Théodore de Banville, je rappellerai ce que je disais il y a un an, à propos de ses Odelettes : « Des deux grands principes posés au commencement de ce siècle, la recherche du sentiment moderne et le rajeunissement de la langue poétique, M. de Banville a retenu le second… » Dans ma pensée, je retenais le premier pour M. 

2883. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Une soirée chez Paul Verlaine » pp. 18-33

C’étaient des tableaux réalistes transfigurés par le lyrisme du sentiment et de l’expression.

2884. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Avertissement sur la seconde édition. » pp. 23-54

Elle apprendra de plus en plus à se défier des lumieres qui égarent l’esprit & alterent le sentiment ; à réprouver une morale où tout s’évapore en maximes, & livre l’ame à ses passions ; à distinguer ceux qui l’aiment & la servent, de ceux qui la dégradent & la jouent.

2885. (1899) L’esthétique considérée comme science sacrée (La Revue naturiste) pp. 1-15

* *  * Les indices de ces sentiments abondent partout.

2886. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — IV »

Les vérités n’ont par elles-mêmes aucune réalité objective, mais elles sont des moyens de créer des réalités, c’est-à-dire des phénomènes, mœurs, sentiments, actes, états de connaissance.

2887. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre I : La science politique au xixe  siècle »

Ce n’est pas faire violence à ses opinions et à ses sentiments que de le réclamer comme un politique spiritualiste et comme un politique philosophe.

2888. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Introduction. Du bas-bleuisme contemporain »

Quoique nous pensions qu’en fait de femmes, le Christianisme ait mieux compris que qui que ce soit leur destinée, en les internant dans le sentiment ou en les déportant dans les vertus, nous voulons pour elles être moins cruel que saint Paul qui disait : Contineant in silentio.

2889. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « L’empire russe depuis le congrès de vienne »

Mais Custine porta sur elle un regard qu’aucun sentiment n’a troublé.

2890. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Buloz »

Les temps modernes ne sont pas tellement beaux pour la littérature qu’elle ne puisse supporter beaucoup de choses cruelles et qu’elle n’y soit même accoutumée ; mais la condition d’avoir Buloz pour correcteur, — non plus d’épreuves, mais de son style et de sa pensée, — lui sembla cependant trop dure pour la supporter, et on vit en très peu de temps tout ce groupe de talents que je viens de nommer se détacher de la Revue des Deux Mondes 24, s’égrener et complètement disparaître d’un recueil dont la rédaction, pour qui avait le sentiment de sa valeur propre ou de son œuvre, était une douleur, quand ce n’était pas une indignité.

2891. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VIII. M. de Chalambert. Histoire de la Ligue sous le règne de Henri III et de Henri IV, ou Quinze ans de l’histoire de France » pp. 195-211

Victor de Chalambert, esprit droit et ferme, profondément convaincu, mais très calme dans ses convictions, d’une expression sereine et lucide, comme son sentiment intérieur, a écrit l’histoire spéciale de la Ligue.

2892. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Fustel de Coulanges » pp. 15-32

Et elle y alla d’une sympathie si naturelle, que ceux-là mêmes qui, les premiers, dans la Gaule encore gauloise, s’allièrent aux Romains, ne furent jamais dans le sentiment gaulois des traîtres à la patrie, des hommes qui passaient à l’ennemi.

2893. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Le comte de Gasparin » pp. 100-116

Il n’y a pas beaucoup d’années que je parlai avec enthousiasme de ces deux livres charmants et bien étonnants sous une plume protestante, tant le sentiment des plus pures et des plus brûlantes Mystiques de l’Église catholique les animait de son incomparable accent !

2894. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « IX. L’abbé Mitraud »

Mais, si ce n’est pas le même malheur et le même sentiment d’impuissance qui unissent si tendrement, pour le quart d’heure, les écrivains philosophiques de ce temps et M. l’abbé Mitraud, il faut donc qu’il y ait dans le livre de ce dernier un fonds de choses qui soit un terrain commun où ils se rencontrent et s’embrassent, une petite île des Faisans quelconque où le prêtre et le philosophe passent leur traité des Pyrénées.

2895. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Vie de la Révérende Mère Térèse de St-Augustin, Madame Louise de France »

Et comme l’amour même de Madame Louise pour son père Louis XV, au nom duquel elle offre sa vie en expiation et en sacrifice, pourrait paraître encore un sentiment par trop divin à la petite raisonnette humaine, ce ratiocinant Bonhomme se rejette à « l’ascendant du prêtre !

2896. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Conclusion »

Mais il ne paraît pas avoir remarqué que le processus de notre activité libre se continue en quelque sorte à notre insu, à tous les moments de la durée, dans les profondeurs obscures de la conscience, que le sentiment même de la durée vient de là, et que sans cette durée hétérogène et indistincte, où notre moi évolue, Il n’y aurait pas de crise morale.

2897. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxviiie entretien. Littérature germanique. Les Nibelungen »

« Sa beauté démesurée était connue au loin et aussi les sentiments altiers que plus d’un héros avait rencontrés chez la jeune fille. […] Aussi n’ai-je pas mérité de leur part un autre sentiment. […] Je présente à mes amis des sentiments d’affection et de bienveillance, et je les prie de vouloir se rendre en mon pays. […] Mon éloquence ne suffit pas à vous exprimer avec quels sentiments d’affection nous ont envoyés ici et Etzel et votre noble sœur, dont la destinée est si heureuse.

2898. (1898) XIII Idylles diaboliques pp. 1-243

Ayant conçu, grâce à moi, l’évolution organique, ils conçoivent l’évolution des sentiments et des idées. […] Aimer exclusivement sa patrie, c’est éprouver les sentiments d’une carotte ou d’un navet à l’égard du coin de terre où ils ont prospéré. […] Non ; je vous donne mon sentiment personnel, rien déplus. […] Le sentiment de la Bourgeoisie à l’égard de quiconque s’efforce à la conquête du Beau est complexe. […] Je tâche d’exprimer des sentiments simples, — tels que je les ressens.

2899. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Les nièces de Mazarin et son dernier petit-neveu le duc de Nivernais. Les Nièces de Mazarin, études de mœurs et de caractères au xviie  siècle, par Amédée Renée, 2e éd. revue et augmentée de documents inédits. Paris, Firmin Didot, 1856. » pp. 376-411

On ne parla d’autre chose pendant tout le souper : chacun dit son sentiment sur la tragédie, et on se trouva plus disposé à la critique qu’à la louange. […] Il ajoutait d’ailleurs, dans un sentiment très judicieux : L’Académie, en vous adoptant si jeune, non seulement s’assure une plus longue jouissance de vos talents, mais elle donne en votre personne un exemple propre à réveiller dans notre jeune noblesse le goût des belles-lettres, qui semble s’y éteindre peu à peu ; c’est ce qui nous fait craindre pour l’avenir un temps où la noblesse ne se distinguera plus du commun des hommes que par une férocité martiale.

2900. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXVIe entretien. J.-J. Rousseau. Son faux Contrat social et le vrai contrat social (2e partie) » pp. 417-487

Tout cela n’est rien aux yeux du législateur immoral pour qui tout le spiritualisme social, et même sentimental, consiste à nier toute loi morale et tout sentiment, et à ne voir dans la divine loi de filiation de l’être pensant que le phénomène d’une sève nourricière, d’une chair humaine, qui, quand elle a passé d’une veine à une autre veine, ne laisse à l’espèce renouvelée que le devoir de fleurir un jour sur les débris desséchés et indifférents de l’espèce qui fleurissait hier dans le même sillon ! […] Qu’est-ce que toutes les lois qui n’emportent pas avec elles le sentiment de la justice, cette sanction de la loi ?

2901. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxviie entretien. Un intérieur ou les pèlerines de Renève »

Nous pleurâmes en silence toutes les quatre en présence du premier sentiment et des premières douleurs de Lamartine. […] — Monsieur, me répondirent-elles, il est maître de pension rurale dans notre village de Renève ; il vous aime pour votre conduite dévouée en 1818, et son cœur est la source où nous avons puisé nos sentiments.

2902. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre III. Pascal »

La foi est un moyen supérieur de connaissance : elle s’exerce au-delà des limites où la raison s’arrête (distinction de la raison et du sentiment ou du cœur). […] Il s’agit de montrer que l’homme est un composé de grandeur et de bassesse : la grandeur, ce sont les aspirations, le rêve, l’illusion ; la bassesse, c’est la réalité, et toutes les réalités, sentiments, croyances, institutions, coutumes, arts, toute la vie morale, politique et sociale de l’homme.

2903. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre VII. La littérature et les conditions économiques » pp. 157-190

Tu n’auras pas sans doute exprimé tes idées, tes sentiments, ta nature ; mais tu n’auras pas perdu ton temps et ta peine. […] Il est à peine besoin de faire observer que les idées, les sentiments, le langage varieront étrangement, selon que les auteurs sont nés dans l’opulence ou la pauvreté, dans l’aristocratie, la bourgeoisie ou le peuple.

2904. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Lettres de m. l’Abbé Sabatier de Castres ; relatives aux trois siecles de la littérature françoise.ABCD » pp. -641

Pour tout dire, en un mot, il loue & blâme, dans ses Ecrits, le même Homme, la même action, la même vertu, le même vice, le même sentiment, la même idée. […] Je les ai donc relues plus attentivement, ces Productions tant vantées ; j’ai comparé les assertions & les raisonnemens ; j’ai rapproché les principes & les contradictions ; j’ai analysé l’expression & le sentiment ; j’ai approfondi les systêmes & les conséquences.

2905. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre III »

Balardier, son agent de change, le dandy de la Bourse, le fashionable du courtage, un jeune premier frotté de sentiment et d’arithmétique, au demeurant le meilleur fils du monde. […] Il y a, dans le second, des scènes achevées de gaieté ou de sentiment, et je vous donne celle du souper pour un chef-d’œuvre de verve mordante et d’observation implacable.

2906. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Mémoires et journal de l’abbé Le Dieu sur la vie et les ouvrages de Bossuet, publiés pour la première fois par M. l’abbé Guettée. — I » pp. 248-262

Il n’avait pas été témoin, mais il avait vu et interrogé des témoins ; il avait fait parler le prélat lui-même : il écrit comme quelqu’un qui porte un sentiment d’enthousiasme et de vie dans ces choses d’autrefois qu’il veut rendre ; on a par lui le mouvement et comme le coloris de cette jeunesse de Bossuet.

2907. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

Rien de tel ; si le déchirement exista en effet, ce fut dans un autre ordre, dans celui des relations personnelles ; il lui fut pénible et douloureux, sans doute, d’avoir à se séparer des hommes respectables auxquels il était attaché par des sentiments d’affection et de reconnaissance ; il souffrit de devoir les affliger en leur annonçant une résolution irrévocable.

2908. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Frochot, Préfet de la Seine, histoire administrative, par M. Louis Passy. »

Frochot est zélé, dévoué, tout entier à son œuvre d’exécution et d’obéissance intelligente, animé d’un sentiment personnel d’humanité dans les réformes qui tiennent à l’assistance publique, au régime des prisons, paternel et plein de sollicitude pour les établissements d’instruction publique avant la création de l’Université, bienveillant pour les personnes, attentif aux talents naissants ; en un mot, doué de vertus, mais, on l’entrevoit, un peu faible : le nerf, on le pressent, le jour où il en aura besoin, est ce qui lui manquera.

2909. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « HOMÈRE. (L’Iliade, traduite par M. Eugène Bareste, et illustrée par M.e Lemud.) —  second article  » pp. 342-358

Aussi, en les abordant, en écoutant cette grande voix du passé par la bouche du chantre que la Muse s’est choisi, on n’a à gagner en toute sécurité qu’un je ne sais quoi de grandeur morale, une impulsion élevée de sentiments et de langage, un accès de retour vers le culte de ces pensées trop désertées qui restaurent et honorent l’humaine nature : c’est là, après tout, et la part faite aux circonstances éphémères, ce qu’il convient d’extraire des œuvres durables, et l’âme vivante qu’il y faut respirer.

2910. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Le Brun »

Le Brun dut aimer dès l’abord, chez le jeune André, un sentiment exquis et profond de l’antique, une âme modeste, candide, indépendante, faite pour l’étude et la retraite ; il n’avait vu en Gilbert que le corbeau du Pinde, il en vit dans Chénier le cygne.

2911. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. Rodolphe Topffer »

Le moment où Gertrude lui apprend la grossesse de Rosa et où son premier sentiment, au milieu du surcroît d’anxiété qui lui en revient, est d’aller à la jeune mère et de la bénir, arrache des larmes par sa sublimité simple.

2912. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre III »

Nous entendons parler ici de l’amour « triste, plaintif, dolent », de l’amour tel qu’il évolue chez les affinés ou exaspérés, et non du sentiment « joyeux, alerte, sain, sans remords, sans amertume », assez peu efficace et fécond, vraiment, comme matière esthétique.

2913. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre V. Subordination et proportion des parties. — Choix et succession des idées »

On ne s’avisait pas que, dans cette peu saisissante ouverture, le public apprenait les sentiments réciproques des deux jeunes gens et l’accord certain des deux pères pour les marier.

2914. (1925) Méthodes de l’histoire littéraire « III. Quelques mots sur l’explication de textes »

Il ne serait pas excessif de dire que dans l’enseignement littéraire que beaucoup d’entre eux sont venus donner, en divers pays, l’explication des textes français a été pour les étrangers, professeurs et étudiants, la partie la plus neuve, la plus originale, et, au sentiment général, la plus féconde.

2915. (1911) La valeur de la science « Première partie : Les sciences mathématiques — Chapitre I. L’intuition et la logique en Mathématiques. »

Les analystes, pour ne pas laisser échapper ces analogies cachées, c’est-à-dire pour pouvoir être inventeurs, doivent, sans le secours des sens et de l’imagination, avoir le sentiment direct de ce qui fait l’unité d’un raisonnement, de ce qui en fait pour ainsi dire l’âme et la vie intime.

2916. (1890) L’avenir de la science « XXI »

La civilisation, par l’extrême délimitation des droits qu’elle introduit dans la société et par les entraves qu’elle impose à la liberté individuelle, devient à la longue une chaîne fort pénible et ôte beaucoup à l’homme du sentiment vif de son indépendance.

2917. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XI »

La nature humaine est faite de chair et de sang, de va-et-vient et d’alternatives, de sentiments qui luttent et se contredisent : elle n’est point fabriquée avec des ressorts montés et pointés sur une idée fixe.

2918. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Mémoires touchant la vie et les écrits de Mme de Sévigné, par M. le baron Walckenaer. (4 vol.) » pp. 49-62

Un poêle élégiaque l’a remarqué : un amour qui vient tard est souvent plus violent ; on y paie en une fois tout l’arriéré des sentiments et les intérêts : Saepe venit magno foenore tardus amor.

2919. (1912) L’art de lire « Chapitre IX. La lecture des critiques »

Si vous êtes plutôt et surtout ou même uniquement un homme de sentiment, de sensibilité, d’émotion, quelles émotions M. 

2920. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXVI. La sœur Emmerich »

Il n’est jamais que l’intensité d’un sentiment dans les femmes, ces créatures de sensibilité bien plus que de pensée.

2921. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Nièces de Mazarin » pp. 137-156

Chez cet homme si sensuel, en qui la chair pouvait tout engloutir, ce fut elle qui, la première, éveilla le sentiment et la pensée.

2922. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Eugène Fromentin ; Maxime du Camp »

On y discute des manières de peintre et des sujets de tableau ; on y trouve du respect pour Rembrandt, sentiment honorable, mais insuffisant pour parler dignement de ce grand homme.

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