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1175. (1880) Goethe et Diderot « Introduction »

Je sais bien que Diderot, le précurseur Diderot, avait bien préparé la gloire de Gœthe avec la sienne ; mais Voltaire, le seul homme du xviiie  siècle chez qui l’imbécille philosophie n’avait pas enniaisé l’esprit, resté français, Voltaire, qui méprisait Diderot, s’il avait vécu jusqu’au temps de Gœthe peut-être aurait-il respecté le Diderot allemand ! […] Voltaire, qui vécut aussi quatre-vingts ans, Voltaire, l’heureux Voltaire, mais moins heureux que l’heureux Gœthe, eut assurément sur son siècle une influence plus grande, plus militante, et surtout plus activement spirituelle que le sentimental coup de pistolet de Werther, et cependant Voltaire ne régna pas toujours du même empire sur l’opinion.

1176. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Th. Carlyle » pp. 243-258

Et si le puissant historien anglais a fait des grotesques énormes des scélérats de la première Révolution française, que ferait-il des pygmées criminels qui sont sortis d’eux, de tous ces eunuques de naissance que je n’appellerai même pas des petits crevés révolutionnaires ; car, pour être crevé, il faut avoir vécu, si peu que ce soit ! […] Il s’en fait l’acteur par la pensée, ou du moins le chœur qui épousait l’action même et la vivait dans le drame antique, et cela communique à son récit un accent très particulier, qui n’est pas la particularité d’un faiseur de Mémoires qui raconterait simplement sa vie, et qui donne au sien une passion que n’a pas ordinairement l’Histoire.

1177. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Armand Carrel » pp. 15-29

Il est vrai qu’il ne l’était pas : c’était une thèse dont il allait vivre. […] C’était même un journaliste moins fort que bien d’autres dont les œuvres moins sérieuses vivront plus longtemps que les siennes.

1178. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Eugène Pelletan » pp. 203-217

Il avait vécu dans l’atmosphère de Lamartine, cette pile de Volta de poésie et d’éloquence qui électrisait les âmes, même les moins semblables à la sienne, et dont la séduction était si grande que ceux qui ne pensaient pas comme lui avaient grand’peine à s’en défendre. […] Mais le rêveur, en vivant dans les-réalités qui auraient dû le réveiller, n’y a pas vécu impunément.

1179. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Balzac »

Le premier a vécu du sang de l’Europe ; il s’est inoculé des armées. […] Moi, j’aurai porté toute une société dans ma tête… Autant vivre ainsi que de dire tous les soirs : pique, atout, cœur, ou de chercher pourquoi madame une telle a fait telle ou telle chose. » Et cette fière ambition de Balzac n’a pas été une rêverie vaine.

1180. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Benjamin Constant »

» Benjamin Constant s’est bien mis à genoux devant Madame Récamier, mais il ne s’en est relevé… que pour prendre la fuite, et elle a vécu tranquillement toute sa vie qui a été longue. […] Elle rappelle cette autre femme dont Alfred de Musset a dit : Elle faisait semblant de vivre ; De ses mains est tombé le livre Dans lequel elle n’a rien lu.

1181. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XIII. Pascal »

C’est même la raison, par parenthèse, qui m’a toujours empêché de croire qu’eût-il vécu plus longtemps et n’eût-il pas eu dans le cœur le néant de tout, qui empêche de rien achever, Pascal eût pu élever à la religion le monument que l’on regrette, non que l’ordonnance d’un beau livre ne fût dans les puissances de ce grand esprit de déduction et de géométrie, mais la peur fait trembler la main et dérange les combinaisons de l’artiste, tandis que la terreur, tout le temps qu’elle ne vous glace pas, fait pousser le cri pathétique ; et le cri pathétique chez l’écrivain, c’est l’expression ! […] IV Et c’est aussi par là qu’il vivra toujours, le Pascal des Pensées.

1182. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Jules Soury. Jésus et les Évangiles » pp. 251-264

Soury avait vécu à cette époque, qui sait ? […] On est entré, du premier pas, d’une telle roideur dans le fanatisme de la haine, qu’on ne peut s’avancer d’un degré de plus dans la frénésie à froid du mensonge et dans le souillement des choses sacrées… Avoir vécu vainement dix-huit cents ans de Christianisme et d’Histoire, pour se retrouver, à la fin de ce xixe  siècle, qu’ils disent lumineux, de l’opinion de la canaille romaine et des plus atroces empereurs de cette canaille sur le compte des Juifs et des chrétiens, c’est encore moins fort d’absurdité et moins transcendant de sottise impudente, que d’avoir posé comme un fait scientifique et démontré la honteuse et humiliante folie du céleste Rédempteur du genre humain.

1183. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Matter. Swedenborg » pp. 265-280

Il n’eut plus d’accointances qu’avec le monde extra-mondain du ciel ou de l’enfer, et il vécut avec les trépassés et les anges, qui, dans son système, d’ailleurs, sont la nature et la forme humaines. […] n’est que la négation des protestantismes antérieurs auxquels il substitue un protestantisme de sa façon, — ni des milieux où il a vécu aux différentes époques de sa vie, ni des croyants qu’il a faits, ni des incrédules qu’il rencontra.

1184. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « A. P. Floquet »

L’enthousiasme ne sait pas trembler, un écrivain qui a voué à Bossuet un culte véritable et qui, pour mieux vivre tête à tête avec lui, s’est retiré intellectuellement de son siècle et n’a plus habité que celui de cet imposant génie, Floquet, a entrepris de nous donner un livre nouveau sur Bossuet, et, quoique sa modestie le cache avec un goût parfait sous ce nom respectueux d’Études, ce livre, d’une érudition vaste et détaillée, n’en est pas moins une biographie. […] Là, il vécut préoccupé des soins de son canonicat et d’études dont le fond n’a jamais peut-être été touché que par lui seul.

1185. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Maurice de Guérin »

… Annoncées depuis longtemps par quelques personnes qui l’avaient connu et aimé, ces œuvres disent mieux que l’amitié — et leur voix portera plus loin — les mérites exquis de ce poète qui, s’il eût vécu, aurait été grand. […] Toute sa vie, qui fut courte, il souffrit de cet idéal vers lequel il aspirait, mais qu’il n’atteignait pas, et qu’il aurait atteint probablement s’il avait vécu davantage ; car « nos désirs sont les pressentiments de nos facultés, les précurseurs des choses que nous sommes capables d’exécuter », a dit Gœthe, dans un éclair.

1186. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Soulary. Sonnets humouristiques. »

Théophile Gantier, — et quoiqu’il ait probablement vécu loin du foyer commun des théories où l’on réchauffe les enthousiasmes quand ils sont sur le point de se glacer, M.  […] Qu’une accolade intime, un baiser, les unisse, Et l’échange se fait, suave sacrifice ; Et soudain nous vivons, toi dans moi, moi dans toi !

1187. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Alfred de Vigny »

Tout ce qui est chétiveté d’amour-propre, banalité de pose, convention bête de vanités qui s’entendent comme larrons en foire, grosse manière de se faire valoir, était dédaigné par cet homme d’une distinction suprême et calme, à qui les tambourinades des gloires contemporaines avaient fait aimer le silence ; qui a vécu comme il a pensé, et qui n’avait pas deux manières d’être, comme tant de poètes, grands dans leurs vers, petits dans leur vie ! […] je suis très sûr qu’ils ont été vécus, ces vers, soufferts et saignés, avant d’arriver à l’arête froide sous laquelle ils brillent.

1188. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXIV. Des panégyriques depuis la fin du règne de Louis XIV jusqu’en 1748 ; d’un éloge funèbre des officiers morts dans la guerre de 1741. »

Du moins, s’il faut célébrer toujours ceux qui ont été grands, réveillons quelquefois la cendre de ceux qui ont été utiles. » Il s’élève ensuite avec une éloquence pleine de vigueur contre le fléau de la guerre, « contre cette rage destructive qui change, dit-il, en bêtes féroces des hommes nés pour vivre en frères ; contre ces déprédations atroces ; contre ces cruautés qui font de la terre un séjour de brigandage, un horrible et vaste tombeau. […] Toute la fin respire le charme de l’amitié, et porte l’impression de cette mélancolie douce et tendre, qui quelquefois accompagne le génie, et qu’on retrouve en soi-même avec plaisir, soit dans ces moments, qui ne sont que trop communs, où l’on a à se plaindre de l’injustice des hommes ; soit lorsque blessée dans l’intérêt le plus cher, celui de l’amitié ou de l’amour, l’âme fuit dans la solitude pour aller vivre et converser avec elle-même ; soit quand la maladie et la langueur attaquant des organes faibles et délicats, mettent une espèce de voile entre nous et la nature ; ou lorsqu’après avoir perdu des personnes que l’on aimait, plein de la tendre émotion de sa douleur, on jette un regard languissant sur le monde, qui nous paraît alors désert, parce que, pour l’âme sensible, il n’y a d’êtres vivants que ceux qui lui répondent.

1189. (1875) Revue des deux mondes : articles pp. 326-349

L’élément moteur peut vivre et mourir séparément, il a également ses poisons spéciaux. […] Les infusoires libres et disséminés à la surface de la terre trouvent ces conditions dans les eaux où ils vivent. […] Ce n’est que par des artifices de construction que les organismes de l’homme, ainsi que ceux d’autres animaux, peuvent vivre dans l’air ; mais tous les éléments actifs de leurs fonctions vivent sans exception, à la façon des infusoires, dans un milieu liquide intérieur. […] Le système du cœur gauche apporte aux organes le sang qui les anime ; le système du cœur droit emporte le sang qui les a fait vivre un instant. […] Il serait d’ailleurs impossible de séparer ces deux termes ou ces deux idées corrélatives, car ce qui vit, c’est ce qui mourra, ce qui est mort, c’est ce qui a vécu.

1190. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. RODOLPHE TÖPFFER » pp. 211-255

Töpffer, je n’ai guère vécu avec quelqu’un d’autre. » Entendons-nous bien, c’est avec le Rousseau de Julie, avec celui des courses de montagnes et des cerises cueillies, et de tant d’adorables pages du début des Confessions, avec le Rousseau des Charmettes. […] Sur l’importance de bien choisir son bâton d’encre de Chine, ce compagnon, cet ami fidèle qui doit vivre autant et plus que nous, il y a, par exemple, des pages bien délicates et sensibles, dont je veux extraire ici quelque chose, d’autant plus qu’elles ne seront pas reproduites dans l’édition de Paris. […] Ce qu’on est en train de pratiquer et de vivre, on ne l’idéalise guère. […] Là-bas, les choses ont gardé leur proportion encore ; les bons côtés ne sont pas trop entamés ; la discrétion, le respect de soi-même et des autres, une certaine lenteur à vivre, subsistent et conservent. […] non pas ; je laisse au bourgeon, comme il l’appelle, le soin de lui dire toutes ces choses, de lui en suggérer beaucoup d’autres ; et bien plutôt, pour mon propre compte, je revois en idée les lieux, les doux coins de terre tranquilles qui se peignent dans ses écrits ; il reste, à qui une fois les a bien connus, un regret de n’y pas toujours vivre.

1191. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIIe entretien. Littérature politique. Machiavel » pp. 241-320

Il mourut en lâche après avoir vécu en bourreau. […] Mais il est impossible que je demeure plus longtemps dans cet état, car je vois toutes mes ressources diminuer, et, si Dieu ne vient à mon secours, je serai forcé d’abandonner ma métairie et de me faire secrétaire de quelque podestat (maire) de village ; ou bien, si je ne puis trouver un autre moyen de vivre et de faire vivre ma pauvre famille, je serai forcé de me réfugier dans quelque bourgade écartée et ruinée, pour y enseigner à lire aux enfants, et de laisser ici ma famille, qui me considère comme un homme mort. C’est le meilleur parti qu’elle puisse prendre, car elle vivra plus aisément sans moi, qui lui suis à charge, attendu que j’ai été accoutumé toute ma vie à l’aisance, et que je ne puis m’astreindre aussi rigoureusement qu’il le faudrait à la parcimonie nécessaire. » XI N’est-ce pas un jeu bien ironique du destin que de voir le premier homme d’État et le premier écrivain de l’univers aspirer, pour gagner son pain, à apprendre à lire aux enfants des paysans dans un village privé de maître d’école ! […] et que lui aurait dit Machiavel s’il eût vécu de notre temps ?

1192. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLVIIIe Entretien. Montesquieu »

Fait pour vivre dans la société, il y pouvait oublier les autres ; les législateurs l’ont rendu à ses devoirs par les lois politiques et civiles. […] Lorsque le peuple meurt de faim, il se disperse pour chercher de quoi vivre ; il se forme de toutes parts des bandes de trois, quatre ou cinq voleurs. […] » Et il oublie que la république romaine, qu’il exalte, a cessé de vivre le jour où elle a cessé de conquérir ! […] Aussi l’Europe est-elle si ruinée, que les particuliers qui seraient dans la situation où sont les trois puissances de cette partie du monde les plus opulentes, n’auraient pas de quoi vivre. […] Je croyais qu’il vivait encore, il ne vit plus.

1193. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1882 » pp. 174-231

« De la vie vécue, s’écrie Zola, croyez-vous cela si nécessaire…, je sais bien que c’est l’exigence du moment, et dont nous sommes un peu cause… mais les livres des autres temps s’en sont bien passé… non, non, ce n’est pas si indispensable qu’on veut bien le dire ». […] Il aurait été en train de faire un roman à deux ou trois personnages, mais il dit qu’il faut faire ce qui a été décidé… que c’est une habitude de son esprit… Et cependant, il aurait été bien tenté d’écrire un roman sur la maternité, ou plutôt autour de l’exploitation sur la maternité, sur laquelle vivent tant de gens à l’heure actuelle… ces maisons de pensionnaires… ces trous sombres où grouillent des femmes enceintes… des Callot, quoi… ce serait d’un comique noir… par là-dessus, si on trouvait une mère prise dans la modernité… une mère qui ne serait pas dessus de pendule… une mère bien en chair… il y aurait là, un beau livre à faire. […] La joie intérieure que cette ruine universelle de la plupart de ses connaissances a causée à Charles, ça l’a distrait, pour un moment, de la persécution, qu’il a besoin d’exercer sur ceux qui vivent, côte à côte, avec lui. » * * * — Un mot drôle de Baron, l’acteur. […] Et la misérable femme vécut plusieurs jours. […] » Oui, il y a vraiment dans le temps de critique et d’analyse où nous vivons, abus d’ingénuité en ce génie de 1830 : le masque à bandeau qui rend Triboulet sourd et aveugle à la fois, et lui fait encore perdre le sentiment de sa droite et de sa gauche, est une invention dramatique par trop enfantine.

1194. (1887) Études littéraires : dix-neuvième siècle

Vieux, Lamartine a dû travailler pour vivre. […] Cet homme, si habitué à vivre de sentiments exquis, se souciait bien d’avoir des idées ! […] Supposez qu’un être céleste, par amour pour une mortelle, se fasse mortel lui-même, vienne vivre parmi les hommes. […] Mais il faut le chercher sans cesse ; car le chercher ce n’est pas seulement vivre d’une vie supérieure, c’est vivre, comme ne plus y songer c’est retomber à la mort. […] Le comte de Vigny était né triste, désenchanté avant même d’avoir goûté à l’illusion, et fatigué de vivre avant d’avoir vécu.

1195. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — F — Frémine, Charles (1841-1906) »

Ses vers sont pris sur le vif de la vie et de la nature, vécus et vus.

1196. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome II pp. 1-419

Le poète s’indigne à bon droit des mœurs efféminées de son temps, et compare le sort des hommes qui vivent de leur intelligence au sort des hommes qui vivent de leur voix. […] N’ayant pas vécu dans les ateliers, il n’en connaît ni la langue ni le travail. […] Guizot, qui a longtemps vécu dans le commerce familier de ce poète privilégié, n’oublie jamais pourtant, que dans les œuvres mêmes du génie, il faut faire un choix. […] Guizot, qui a longtemps vécu dans la familiarité de ce puissant génie, démontre, avec la dernière évidence, que ses tragédies sont très supérieures à ses histoires. […] Augier a trop peu vécu pour connaître à fond les hommes qu’il veut peindre.

1197. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre I. Les origines. — Chapitre II. Les Normands. » pp. 72-164

Par les tailles, la gabelle, les impôts sur le vin, les logements des gens de guerre, elles sont réduites à l’extrême misère. « Vous les avez vues en voyageant… Elles sont si appauvries et détruites, qu’elles ne peuvent presque pas vivre : ils boivent de l’eau, ils mangent des pommes avec du pain bien brun fait de seigle. […] C’est pourquoi ils sont contraints par nécessité de tellement veiller, travailler, fouiller le sol pour vivre, que leur corps est tout appauvri et leur espèce réduite à néant. […] Ils ont de bonnes maisons où ils vivent à l’aise et travaillent pour s’enrichir. […] On n’y peut point vivre nonchalamment étendu sous la belle lumière, dans l’air tiède et clair, les yeux occupés par les nobles formes et l’heureuse sérénité du paysage. […] Obscurément, en silence, pendant que, dans les guerres des Deux Roses, les grands s’égorgent, les communes continuent à travailler et à vivre, à se dégager de l’Église officielle, à garder leurs libertés, à accroître leur richesse175, mais sans aller au-delà.

1198. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXXII » pp. 131-132

Vivent les gens d’esprit pour suffire à tout !

1199. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Ducoté, Édouard (1870-1929) »

Pour moi, je ne vois aucun des écrivains nouveaux qui ait ainsi exprimé l’ennui de vivre.

1200. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — N — Nolhac, Pierre de (1859-1936) »

Gustave Larroumet Ce poète a regardé la nature française et italienne avec cette sorte de mélancolie que donne l’étude de l’histoire ; à vivre avec les morts, on aime d’autant plus les vivants, mais on contracte comme une tristesse reconnaissante qui, dans les choses du présent, fait toujours leur part à ceux qui y ont laissé-leur trace, en y imprimant une beauté matérielle ou morale dont ils ne jouissaient plus… Vous trouverez encore dans ces vers de lettré et d’artiste de curieux essais métriques.

1201. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Gide, André (1869-1951) »

Henri Ghéon J’ai dit la raison philosophique des Poésies d’André Walter, et comment ç’avait été la première tentative de Gide pour échapper à la vie banale et quotidienne, et pour réellement vivre en une foi.

1202. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rivoire, André (1872-1930) »

Ma main, qui tremble encor de t’avoir caressée, Parfois sent vivre en elle un contour frissonnant ; Et dans le grand lit sombre et vide maintenant La forme de tout corps est à peine effacée.

1203. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 444-446

Même nom de baptême, nom également substitué à son vrai nom de famille ; il a fait, comme lui, époque* dans notre Littérature ; l’un & l’autre sont nés avec beaucoup d’esprit & de talent ; l’un & l’autre ont ambitionné la Monarchie Littéraire, & la manie de dominer leur a également suscité une foule d’ennemis ; tous deux ont habité successivement l’Angleterre, la Hollande, l’Allemagne & la Suisse ; tous deux ont été fêtés à la Cour des Rois, & tous deux, par la suite des événemens, ont été forcés de vivre loin de leur patrie.

1204. (1864) Corneille, Shakespeare et Goethe : étude sur l’influence anglo-germanique en France au XIXe siècle pp. -311

J’ai beaucoup connu et fréquenté, dans les premières années de leur éclosion féconde, les talents et les génies de l’école dite romantique, et je puis dire que j’ai vécu familièrement avec la plupart. […] « On ne me vole point ma vie, disait-il, je la donne. » Il écrivait alors tout ce qui se présentait, pourvu qu’il y trouvât de quoi vivre. […] Enfin, Diderot vivait journellement avec Grimm, Helvétius, et ce fameux baron d’Holbach chez lequel se réunissait la coterie des encyclopédistes, et qu’on appelait à cause de cela le maître d’hôtel de la philosophie. […] Il a vécu longtemps à Paris, dans la maison même des bureaux de la Revue des deux mondes dont il est une des plus solides colonnes. […] Or ce monde artificiel où elles vivent est bien moins étendu que le monde réel.

1205. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE STAEL » pp. 81-164

A travers son exagération pathétique, qu’elle prend pour de la modération, elle réussit, quoi qu’il en soit, à nous faire estimer et plaindre ce personnage, fort admiré et fort envié en son temps, tout simplement oublié depuis, et qui ne vivra désormais un peu que par elle. […] … ses opinions politiques étaient bien des principes ; mais les noms propres, c’est-à-dire les personnes, les amis, les inconnus, tout ce qui vivait et souffrait, entrait en compte dans sa pensée généreuse, et elle ne savait pas ce que c’est qu’un principe abstrait de justice devant qui se tairait la sympathie humaine. […] si Mme de Staël avait vécu, admirative et sincèrement aimante qu’elle était, oh ! […] Allez tout de suite la voir ; elle est très-facile à vivre, et vos compositions musicales lui feront certainement le plus grand plaisir, quoique la littérature, la poésie, la philosophie et tout ce qui s’y rattache la touchent plus que les arts. » 61. […] Quelque chose a péri au sein de ce qui continue de vivre ; cette teinte de tristesse sied bien au milieu de l’admiration.

1206. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Paul Féval » pp. 107-174

Et Balzac l’amour passionné de tout ce qui était et vivait et pouvait être saisi par la pensée ! […] En soi, cette production ne sauve rien de ce qui doit périr, et elle perd souvent ce qui, sans son enragement, aurait pu vivre. […] Comme il avait vécu d’orgueil, il était avide de rabaissement et ambitieux de décadence. […] Goethe, — qui, malgré ses airs d’Olympien, fut quelquefois grotesque, s’est plaint toute sa vie de la longueur du nez des chandelles qui éclairaient (mal) les veillées de son génie ; — Goethe, mourant comme il avait vécu, criait, en mourant : « Toujours plus de lumière ! […] Les mauvais domestiques font faire la besogne à leurs maîtres, et on voit mieux la main de Dieu quand la main de l’homme ne la cache pas… Le Mont Saint-Michel a périclité longtemps par ses abbés, ruiné par la sordidité des uns, abandonné par l’ambition et la dissipation des autres, qui vivaient à la cour et préféraient la mitre de soie de l’évêque à la mitre en laine de l’abbé.

1207. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Bossuet et la France moderne »

Ils renoncèrent à la lutte et retournèrent à leurs foyers détruits, pour essayer de vivre en paix dans le silence et le travail. […] Dès le début des hostilités, reconnaissant une dernière fois que, malgré les promesses fallacieuses et les édits violés, ils ne parviendraient jamais à vivre en paix sous le ciel inclément de leur patrie, contraints en outre par la nécessité, des milliers de Réformés franchirent les frontières. […] Quand le futur évêque de Meaux écrivait dans un placet au roi : « Nous avons à cœur d’établir un ordre et union à Metz entre tous les sujets de Votre Majesté », cela voulait dire qu’il prétendait user de tous les moyens pour refuser le droit de vivre à une fraction de la population de Metz ; plus tard dans un prêche aux Nouvelles Converties, s’adressant aux protestantes arrachées par la force à leurs maris ou à leurs pères, puis incarcérées, il les nommera : « ces pauvres filles, qui sont venues à l’Église, … qui ont couru à nous… » ! […] Les Réformés ne demandaient qu’à vivre en paix dans le travail et dans l’étude, au sein de leur patrie qu’ils enrichissaient. […] Aucun péril ne les rebuta, et ce qui les soutint dans la pire détresse, ce fut la volonté invincible d’échapper aux bourreaux de Louis XIV, et de vivre librement leur vie sur une terre de liberté.

1208. (1848) Études sur la littérature française au XIXe siècle. Tome III. Sainte-Beuve, Edgar Quinet, Michelet, etc.

Au surplus, quiconque a lu Volupté sait comment vivait M.  […] Vous me direz que si c’est tout, il ne vaut pas la peine de vivre. […] J’ai vécu assez de siècles de siècles… J’ai froid… Je suis las… J’ai soif. […] Si nous vivons, c’est pour Dieu, et ce n’est que pour lui ; si nous ne vivons pas pour lui, nous ne vivons pas. […] Rejetez-la, si cela vous plaît ; mais consentez à vivre au hasard, et ne parlez plus de système.

1209. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (1re partie) » pp. 305-364

J’aime Hugo, parce que je l’ai connu et aimé dans l’âge où le cœur se forme et grandit encore dans la poitrine ; dans l’âge où les racines de notre vie, pleines encore de sève et de souplesse, s’attachent par leurs filaments les plus tendres à ce qui pousse, végète ou se rencontre seulement dans le même sol, et où, si ces racines viennent à se tordre, à se replier et à se nouer autour d’un caillou ou d’un bloc de granit, elles l’enserrent dans leurs nœuds, l’emportent en grandissant et le font pour ainsi dire végéter et vivre avec elles de leur propre substance, comme si l’arbre et la pierre n’étaient qu’une seule vie ! […] « Selon moi, le voici. » XI Alors, usant largement de l’attention passionnée qu’ils accordaient à ma personne et à mes paroles, je leur démontrai, avec une énergique sincérité, que personne n’avait le secret de l’organisation du travail, ni d’une organisation de fond en comble, d’une organisation parfaite de la société, dite socialisme, où il n’y aurait plus ni inégalité, ni injustice, ni luxe, ni misère ; qu’une telle société ne serait plus la terre, mais le paradis ; que tout le monde s’y reposerait dans un repos si parfait et si doux que le mouvement même y cesserait à l’instant, car personne n’aurait le désir de respirer seulement un peu plus d’air que son voisin ; que ce ne serait plus la vie, mais la mort ; que l’égalité des biens était un rêve tellement absurde dans notre condition humaine que, lors même qu’on viendrait à partager à parts égales le matin, il faudrait recommencer le partage le soir, car les conditions auraient changé dans la journée par la vertu ou le vice, la maladie ou la santé, le nombre des vieillards ou des enfants survenus dans la famille, le talent ou l’ignorance, la diligence ou la paresse de chaque partageur dans la communauté, à moins qu’on n’adoptât l’égalité des salaires pour tous les salariés, laborieux ou paresseux, méritant ou ne méritant pas leur pain ; que le repos et la débauche vivraient aux dépens du travail et de la vertu, formule révoltante, quoique évangélique, de M.  […] Mes chants peut-être auraient vécu ! […] On la lui refuse ; il fait susciter, par un avoué complaisant de la ville voisine, un mauvais procès de dépossession aux pauvres gens, possesseurs de la chaumière, de quelques champs limitrophes et de quelques châtaigniers dont ils vivent.

1210. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (3e partie) » pp. 161-219

« J’entends, je veux, je déclare que, tant que vivra un seul de mes serviteurs gratifiés par mon testament, ou de ceux qui ont reçu un legs annuel à vie, la Sacrée Congrégation ci-dessus nommée ne puisse jouir (excepté de ce qui sera indiqué plus bas) de mon héritage, ni en prendre en aucune manière l’administration, voulant que cette administration soit laissée entière et libre aux mains de mon héritier fiduciaire, Mgr Alexandre Buttaoni (ainsi qu’aux mains de celui ou de ceux qui lui succéderont dans son administration). […] XVIII C’est ainsi qu’il vivait, c’est ainsi qu’il mourut. […] Bel exemple pour les ministres d’une institution dont le présent se détache et qui ne peut vivre que d’honnêtes et habiles ajournements de la fatalité ; heureuse condition des pouvoirs résignés qui ne peuvent vivre que de leur innocence !

1211. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 septembre 1886. »

Enfin, le 29, le drame attendu de Gœtterdaemmerung, un drame dans la manière de Parsifal, c’est à dire un poème de pure musique disant l’éternel des passions humaines, sous le symbole de quelque vague conte que jouent des gens : — l’amour, Siegfried ; la séduction, Gutrune et Siegfried ; et la douleur, Brünnhilde, par lesquels ces deux premiers actes vivent l’essence de notre vie, jusqu’à la péroraison finale et héroïque, très charmante, du troisième acte. […] Ainsi on pourrait expliquer, en regard, l’écrasante splendeur des ouvertures71 : là, nulle règle cruelle, et le droit de ne point développer les émotions au-delà de leur mesure vécue. […] Il couvrait un cerveau où furent senties, et vécues, et recrées parfaitement, toutes les douleurs et les espérances et les joies de la nature humaine. […] De longtemps encore elle vivra.

1212. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre X »

vivent, d’une équivoque existence, les êtres dont la destinée d’honneur est perdue : femmes sans mari, grandes dames déchues, aventurières travesties, gentilshommes d’industrie, joueurs tarés, viveurs frauduleux, tout cela végète, fleurit, brille, s’éteint, monte, descend, apparaît et disparaît au hasard, les uns ressaisis par l’abîme de la chute ou de la misère, les autres parvenant à regagner la terre ferme, sinon les hauteurs. […] Voici d’abord la maîtresse de céans, madame de Vernières, une de ces invalides de la galanterie, dont l’hôtel garni est le dernier refuge, qui vivent de la table de jeu ou de la table d’hôtes, cantinières du vice dont elles ne peuvent plus être les amazones. […] On se hait, on s’exècre, on se fait une guerre à mort, soit : mais on sait vivre, on est de Paris, une ville où il faut savoir tuer et tomber avec grâce, comme au Colisée. […] Mais sied-il à un jeune homme qui a vécu, après tout, de confesser un secret de femme ?

1213. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1855 » pp. 77-117

» Si apaisées qu’elles soient ses mélancolies, — elles l’accompagnent plutôt qu’elles ne le poursuivent, — l’avenir inquiète Nanteuil, il a la crainte du travail pouvant manquer à sa vieillesse, d’un jour à l’autre ; voyant l’illustration de la romance, dont il vivait en grande partie, déjà abandonnée. Et il récapitule tous ces morts de mérite, auxquels le xixe  siècle n’a donné que l’hôpital ou la Morgue : son ami Gérard de Nerval qui s’est pendu, Tony Johannot qui, après avoir perdu dans le Paul et Virginie de Curmer, les 20 000 francs qu’il avait gagnés pendant toute sa vie, a été un peu enterré avec l’aide de ses amis, etc., « Oui, je sais bien, dit-il, si j’avais été raisonnable, j’aurais vécu dans une petite chambre, j’aurais dépensé quinze sous par jour, et maintenant, j’aurais quelque chose devant moi, c’est ma faute ! » Il reconnaît et avoue tristement la dépendance dans laquelle l’art est placé auprès du gouvernement : « Il faut vivre, dit-il, les convictions courbent la tête pour manger…. […] Les bourgeois ont raison… mais être raisonnable… est-ce vivre ! 

1214. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Romans et nouvelles » pp. 3-80

— Le docteur Simon va me dire, tout à l’heure, si notre vieille Rose vivra ou mourra. […] ……………………………………………………………………………………………… Au milieu du dîner rendu tout triste par la causerie qui va et revient sur la morte, Maria, qui est venue dîner ce soir, après deux ou trois coups nerveux du bout de ses doigts sur le crêpage de ses blonds cheveux bouffants, s’écrie : « Mes amis, tant que la pauvre fille a vécu, j’ai gardé le secret professionnel de mon métier… Mais maintenant qu’elle est en terre, il faut que vous sachiez la vérité. » Et nous apprenons sur la malheureuse des choses qui nous coupent l’appétit, en nous mettant dans la bouche l’amertume acide d’un fruit coupé avec un couteau d’acier. […] Elle a eu avec le fils de la crémière deux enfants, dont l’un a vécu six mois. […] Donc ces hommes, ces femmes et même les milieux dans lesquels ils vivent, ne peuvent se rendre qu’au moyen d’immenses emmagasinements d’observations, d’innombrables notes prises à coups de lorgnon, de l’amassement d’une collection de documents humains, semblable à ces montagnes de calepins de poche qui représentent, à la mort d’un peintre, tous les croquis de sa vie.

1215. (1895) Les règles de la méthode sociologique « Chapitre II : Règles relatives à l’observation des faits sociaux »

L’homme ne peut pas vivre au milieu des choses sans s’en faire des idées d’après lesquelles il règle sa conduite. […] Les hommes n’ont pas attendu l’avènement de la science sociale pour se faire des idées sur le droit, la morale, la famille, l’État, la société même ; car ils ne pouvaient s’en passer pour vivre. […] Quand la peuplade est dispersée sur une vaste surface, la trame sociale est très lâche et, par suite, les individus vivent isolés les uns des autres. […] on s’efforcera de reconstituer les manières de vivre, les coutumes professionnelles usitées dans les différents mondes du crime, et on reconnaîtra autant de types criminologiques que cette organisation présente de formes différentes.

1216. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre VI. L’espace-temps à quatre dimensions »

Mais nous, qui vivons dans un Espace à trois dimensions, nous aurions la perception réelle de ce qu’il se serait simplement représenté comme possible : nous nous rendrions exactement compte de ce qu’il aurait ajouté en introduisant une dimension nouvelle. […] Vivre dans le Temps consiste à traverser cette troisième dimension, c’est-à-dire à la détailler, à apercevoir une à une les images qu’elle met à même de se juxtaposer. […] c’est l’action même ; et l’obligation où je suis de le vivre, l’impossibilité de jamais enjamber l’intervalle de temps à venir, suffiraient à me démontrer — si je n’en avais pas le sentiment immédiat — que l’avenir est réellement ouvert, imprévisible, indéterminé. […] Mais moi, qui vois ce que seraient toutes les expériences, par vous simplement conçues, d’observateurs attachés à vos plans P′ et se déplaçant avec eux, je puis vous dire qu’ayant à chaque instant la vision d’une image faite de points empruntés à tous les moments réels de l’univers, il vivrait dans l’incohérence et l’absurdité.

1217. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 188-189

La seconde n’est, à ses yeux, qu’un esprit d’incertitude, de vertige, de révolte, qui tremble à l’idée d'un Dieu vengeur, qui voudroit se soustraire à son existence pour briser ensuite tous les liens de la Societé, vivre dans l’indépendance de tout devoir, & ne respirer que pour soi dans l’Univers.

1218. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — VIII. Les calaos et les crapauds »

Les calaos et les crapauds (Malinké) En ce temps-là, crapauds et calaos vivaient en bonne intelligence.

1219. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Sully, ses Économies royales ou Mémoires. — I. » pp. 134-154

Sully, retiré des affaires dans la force de l’âge, vécut encore trente ans dans ses châteaux, occupé à se nourrir de ses souvenirs et à en rassembler les pièces, les témoignages authentiques et mémorables. […] Préparez-vous donc à supporter avec courage toutes les traverses et difficultés que vous rencontrerez dans le monde, et, en les surmontant généreusement, acquérez-vous l’estime des gens d’honneur et particulièrement celle du maître à qui je veux vous donner, au service duquel je vous commande de vivre et mourir. […] Celui-ci, après être resté quelque temps dans la simple infanterie, passe dans la compagnie colonelle de M. de Lavardin et y sert en qualité d’enseigne ; mais bientôt il cède cette enseigne à un de ses cousins, et, ayant fait des épargnes de son revenu durant deux ou trois ans (car il est bon ménager de bonne heure), s’étant retranché durant ce temps à vivre de ses soldes, de ses profits et butins faits à la guerre, il s’arrange si bien qu’il peut figurer désormais comme gentilhomme, ayant ses gens et son équipage à lui, à la suite du roi de Navarre.

1220. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — I » pp. 139-158

Chapman (c’était le nom de l’homme de loi), il élut domicile au Temple, qui est le quartier des légistes de profession, et là, tandis qu’il vivait seul, il ressentit les premières atteintes de la maladie qui, sous une forme ou sous une autre, reparut et persista cruellement aux diverses époques de sa vie. […] Il continuait de vivre ainsi de cette vie sans règle et sans excès apparent, lettré amateur, agréable à sa société, badin, d’une espièglerie spirituelle et vive, semblant avoir pris pour devise ce mot d’un poète : « Dilecto volo lascivire sodali », et, pour tout dire, le plus aimable des compagnons, lorsque arriva le grand événement qui l’arracha à la société, le plongea en d’inexprimables angoisses et l’amena graduellement, et par des épreuves douloureuses, à un état de rajeunissement et de maturité d’où sortirent des productions de génie. […] Il y vécut quelques mois à peu près seul, évitant les visites, éludant les relations de voisinage, et « ne voulant de commerce, disait-il, qu’avec son Dieu en Jésus Christ. » Pauvre oiseau blessé ; il cherchait à s’y blottir, à s’y refaire peu à peu, à s’y guérir en silence de sa plaie, et à y apaiser ses trop longues et trop poignantes épouvantes.

1221. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — III » pp. 178-197

Cowper aime tendrement la campagne, il l’aime pour y vivre, pour y habiter, pour ne s’en lasser à aucun âge ni à aucune saison. […] Cowper vécut encore quinze années après la publication de La Tâche ; il ne mourut que le 25 avril 1800. […] Une fois il a découvert dans ses courses autour d’Olney, sur une colline assez escarpée, une toute petite cabane cachée dans un bouquet d’arbres, et il l’a appelée le nid du paysan ; il rêve de s’y établir, d’y vivre en ermite, y jouissant de son imagination de poète et d’une paix sans mélange ; mais il ne tarde point à s’apercevoir que le site est incommode, qu’on y manque de tout, qu’il est dur d’être seul : tout bien considéré, il préférera son cabinet d’été et sa serre avec son simple et gracieux confort, et il dira à la hutte sauvage et pittoresque : « Continue d’être un agréable point de vue à mes yeux ; sois mon but de promenade toujours, mais mon habitation, jamais ! 

1222. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Le président Hénault. Ses Mémoires écrits par lui-même, recueillis et mis en ordre par son arrière-neveu M. le baron de Vigan. » pp. 215-235

Heureux dès sa jeunesse, ayant reçu du ciel la fortune, la bonne mine, le désir de plaire et l’art de jouir, il vécut de bonne heure dans le meilleur monde ; il respira, sur la fin du règne de Louis XIV, cet air civilisé le plus doux et le plus tempéré pour lequel il était fait ; il continua sa carrière fort avant dans le xviiie  siècle sans en partager les licences ni les ardeurs, fut l’ami intime et le familier de tous les gens en place, le patron ou l’amphitryon des gens de lettres, parmi lesquels il prit un rang distingué que chacun s’empressa de lui offrir. […] En attendant, il entra dans le monde et se mit à vivre de la vie la plus répandue et la plus diversement amusée : il allait d’abord dans le monde de la finance, où se rencontraient toutes sortes de gens de qualité ; il voyait beaucoup les coryphées de la littérature, La Motte, Rousseau, La Faye et bien d’autres. […] J’ai beaucoup désiré de plaire, et l’on m’en a encore fait le reproche : c’était tout au plus un ridicule par le peu de succès ; mais le principe n’en est peut-être pas criminel… Le ton est en général indulgent ; il y revient avec complaisance sur les diverses sociétés où il a vécu, et il fait quelques portraits de femmes qui ne sont, en général, que des esquisses ; mais il en est d’une touche agréable.

1223. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Une petite guerre sur la tombe de Voitture, (pour faire suite à l’article précédent) » pp. 210-230

Sensuel et prudent, il avait dû commencer par établir sa fortune et son bien-être ; il s’était attaché pour cela à des prélats qui l’avaient pourvu de bénéfice, et en dernier lieu à l’évêque du Mans, M. de Lavardin, qui l’en avait comblé : depuis des années, il vivait grassement dans les obscures délices et la meilleure chère du Maine, en ecclésiastique épicurien. […] Et d’abord, il est à remarquer que, malgré les termes de bonne intelligence et les bons rapports dans lesquels avaient eu l’art de vivre à distance Balzac et Voiture, se ménageant l’un l’autre et évitant de se froisser, la force des choses l’emporta, le souffle rival de leurs deux réputations finit par s’entrechoquer et par faire un orage. […] Les deux chefs avaient vécu entre eux dans les termes les plus décents ; mais après leur mort, leurs disciples et les gens de leur suite n’y tinrent pas, ils en vinrent aux mains, ils se gourmèrent : c’est l’histoire du débat de Girac et de Coslar.

1224. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric-le-Grand Correspondance avec le prince Henri — II » pp. 375-394

Aussitôt qu’il est quitte d’une guerre si rude, il se réinstalle à Rheinsberg et s’y met à vivre de cette vie qui, sauf de courts intervalles, sera désormais la sienne, vie de luxe, de beaux-arts, de plaisirs raffinés, de conversation libre où les artistes étaient admis sur un pied de familiarité décente. […] Quoi qu’il en soit, après la guerre de Sept Ans, une des premières choses qu’il fit dans sa retraite fut de lire Bayle, et Frédéric lui écrivait à ce sujet (22 avril 1764) : Je ne vous plains point d’être en compagnie avec Bayle ; c’est de tous les hommes qui ont vécu celui qui savait tirer le plus grand parti de la dialectique et du raisonnement. […] Voilà ce que c’est que de vivre : on n’y gagne que la douleur d’enterrer ses plus chers parents.

1225. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — IV » pp. 103-122

Et encore : Tous les officiers de la garnison de Saint-Venant m’ont demandé en grâce de leur faire donner du pain, et cela avec modestie, disant : Nous vous demandons du pain parce qu’il en faut pour vivre ; du reste nous nous passerons d’habits et de chemises. […] On lui avait un moment donné pour second, dans cette prévision d’une bataille prochaine, le maréchal de Berwick avec qui il vécut en bons termes, bien qu’ils fussent quelquefois d’avis différents : « Je me doutais, dit Villars, qu’il était chargé de tempérer ce qu’on appelait ma trop grande ardeur : c’est pourquoi je n’hésitais pas à proposer les projets les plus hardis, persuadé qu’on en rabattrait toujours assez. » Dans la première partie de cette campagne de 1710 il ne put, malgré sa bonne envie, secourir et sauver Douai ; dans la seconde partie il sut manœuvrer et se poster assez bien pour empêcher le siège d’Arras, et l’on en fut quitte pour perdre Béthune, Saint-Venant et Aire. […] Eugène, plein de confiance, venait d’investir Landrecies, qui était de ce côté la clef du royaume ; il tirait ses munitions et ses vivres de Marchiennes, un peu éloignée, et croyait sa communication assurée par le camp retranché de Denain.

1226. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Maine de Biran. Sa vie et ses pensées, publiées par M. Ernest Naville. » pp. 304-323

Doué d’une organisation délicate qui lui donnait l’éveil et le qui-vive sur quantité de points du dedans, enclin à s’écouter et à se sentir vivre, il commença de bonne heure à noter les états successifs et, pour ainsi parler, les variations atmosphériques de son âme ; il se rendit compte de lui à lui-même. […] Tel nous apparaît Maine de Biran dans ce volume, au point de départ ; quinze et vingt ans après, et par le seul mouvement continu de sa pensée, il en était venu à déplacer totalement son point de vue, à le porter, en quelque sorte, de la circonférence au centre, à tout rendre (et même au-delà) à la force intime et à la volonté : L’art de vivre, écrivait-il en 1816, consisterait à affaiblir sans cesse l’empire ou l’influence des impressions spontanées par lesquelles nous sommes immédiatement heureux ou malheureux, à n’en rien attendre, et à placer nos jouissances dans l’exercice des facultés qui dépendent de nous, ou dans les résultats de cet exercice. […] C’est une vraie misère de vivre sur la terre. » Il a besoin d’un secours extérieur encore, mais, cette fois, de ce secours invisible qui opère par la grâce et moyennant le canal de la prière. « La plus fâcheuse des dispositions, dit-il, est celle de l’homme qui, se méfiant de lui-même au plus haut degré, ne s’appuie pas sur une force supérieure et ne se livre à aucune inspiration ; il est condamné à être nul aux yeux des hommes comme à ses propres yeux. » Il connaissait bien cet homme-là.

1227. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Histoire de l’Académie française, par Pellisson et d’Olivet, avec introduction et notes, par Ch.-L. Livet. » pp. 195-217

Mais par cela même que Chapelain vécut et se survécut, il vint un moment sous Louis XIV, et à la plus belle heure, où l’on aurait pu noter au sein de l’Académie un esprit légèrement arriéré. […] Par cela seul que l’ancienne et première école des Chapelain, des Des Maretz, vécut son cours de nature et se prolongea dans ses choix, Boileau ne fut jamais complètement chez lui à l’Académie ; il ne fut jamais content d’elle ; il n’avait guère que des épigrammes quand il en parlait ; il était presque de l’avis de Mme de Maintenon, à qui l’on reprochait de ne pas la regarder « comme un corps sérieux43 ». En un mot, les vieux académiciens voisins de la fondation et contre lesquels, à ses débuts, Boileau avait eu à guerroyer vécurent assez pour donner la main à des académiciens plus jeunes et qui, dès le début, se retrouvaient opposés à leur tour à Boileau déjà mûr ou déjà vieux.

1228. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « La comtesse de Boufflers (suite.) »

Vous n’avez aucun revenu, vous ne voulez plus écrire : comment pourrez-vous vivre, si vous vous obstinez à refuser à vos meilleurs amis le plaisir et la gloire de vous secourir ? […] Je conçois que votre générosité vous fasse dédaigner de recevoir le superflu, de quelque main qu’il vienne : il n’en est pas ainsi de ce qui est nécessaire pour vivre, et vous ne pouvez, sans m’offenser grièvement, me refuser de tacher de vous le procurer. […] Mais quelle apparence qu’il ait vécu cinquante ans passés aimé, respecté, au milieu de ses compatriotes, sans être connu ?

1229. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Mémoires de l’abbé Legendre, chanoine de Notre-Dame secrétaire de M. de Harlay, archevêque de Paris. (suite et fin). »

Il établit, dès le début, la meilleure police ecclésiastique dans la capitale, visitant les séminaires, les paroisses, tantôt l’une, tantôt l’autre, à l’improviste, s’inquiétant que les prêtres étrangers ou les religieux en passage à Paris n’y vécussent que convenablement à leur caractère ; sévère et sans quartier pour les moines errants. […] Quoi qu’il en soit du mobile, il fut le principal auteur et acteur dans cette élévation d’un cran et cet anoblissement définitif de la Compagnie ; il obtint que l’Académie eût désormais ses séances dans une salle du Louvre et fût considérée comme un des ornements ou accessoires du trône ; il usa de tout son crédit pour la faire valoir en toute occasion et la maintenir dans l’intégrité de son privilège ; et un jour qu’allant complimenter le roi elle n’avait pas été reçue avec tous les honneurs rendus aux Cours supérieures, il s’en plaignit directement à Sa Majesté, en rappelant « que François Ier, lorsqu’on lui présentait pour la première fois un homme de Lettres, faisait trois pas au-devant de lui. » La querelle engagée entre l’Académie et Furetière intéressait au plus haut degré l’honneur de la Compagnie : « car c’est grand pitié, comme remarque très sensément Legendre, quand des personnes d’un même corps s’acharnent les uns contre les autres, et qu’au lieu de se respecter et de bien vivre ensemble comme doivent faire d’honnêtes gens, elles en viennent à se reprocher ce que l’honneur de la Compagnie et le leur en particulier aurait dû leur faire oublier. » Il s’agissait, au fond, de l’affaire importante de l’Académie, le Dictionnaire, et de savoir si un académicien avait le droit d’en faire un, tandis que l’Académie n’avait pas encore publié le sien. […] Malheur à nous qui, étant témoins de tant de subits ajournements devant le tribunal divin, vivons avec tant de sécurité !

1230. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Sismondi. Fragments de son journal et correspondance »

Il revint vivre, en 1800, dans cette cité, alors française. […] Il débute avec Mme d’Albany en lui envoyant de Pescia, de cette métairie charmante ou il aimait à se retrouver avec sa mère, les deux premiers volumes de son Histoire des Républiques italiennes (18 juin 1807) : « Si votre noble ami avait vécu, lui écrit-il, c’est à lui que j’aurais voulu les présenter, c’est son suffrage que j’aurais ambitionné d’obtenir par-dessus tous les autres. […] Celui-ci, comme toute nature individuelle et franche, avait, dans le cercle habituel où il vivait, ses choix et ses préférences ; il avait aussi ses contraires et ses antipathies instinctives.

1231. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Dominique par M. Eugène Fromentin (suite et fin.) »

Les paysans qui l’ont vu naître et grandir, et qui le retrouvent aux lieux où vivait son père, le respectent et l’aiment ; il s’arrange lui-même pour les aimer assez, surtout pour les servir et ne pas trop voir leurs laideurs et leurs défauts. […] Le devoir fait, la tâche remplie, l’enfant continuait de vaquer à ses rêves ; il est évident, à lire ces pages de description détaillée et comme attendrie, que l’enfance de Dominique n’est pas une fiction de l’auteur, et qu’il y a là-dessous une réalité vive et sensible, prise sur le fait et étudiée d’après nature ; on y sent l’observation de quelqu’un qui a vécu au sein de la campagne, qui a vu passer bien des fois et repasser sur sa tête le tour des saisons, qui en sait les harmonies et les moindres mystères : « Chaque saison nous ramenait ses hôtes, et chacun d’eux choisissait aussitôt ses logements, les oiseaux de printemps dans les arbres à fleurs, ceux d’automne un peu plus haut, ceux d’hiver dans les broussailles, les buissons persistants et les lauriers. […] L’homme bien né, ainsi qu’on l’entendait autrefois, était au milieu des belles choses comme dans son élément ; il y était chez lui, non pas insensible sans doute à la finesse et à la noble élégance des objets qui l’entouraient, mais il ne s’y montrait pas non plus perpétuellement attentif et tout occupé de les faire remarquer aux autres ; il vivait au milieu, il en usait, et il vaquait à ses affaires, à ses plaisirs, à ses sentiments.

1232. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Collé. »

Il avait de la causticité tant qu’il vécut avec ses égaux : plus tard, en élargissant son cercle de société, en s’élevant au-dessus de sa sphère et en vivant avec les grands, il s’appliqua à se guérir de cette disposition au sarcasme, et il chercha dans sa plaisanterie à ne mordre sur personne en particulier, il avait de la finesse, et sentait le besoin de plaire. […] Il aimait pourtant l’art en lui-même ; il avait de la conscience dans les bagatelles, il soignait extrêmement ses « chansons et autres breloques. » Mais voilà tout ; il ne songeait qu’à vivre, à rire, à s’amuser avec ses confrères du Caveau, et il fallut que Crébillon fils et d’autres amis clairvoyants l’avertissent qu’il pouvait mieux et plus pour qu’il s’avisât de s’élever jusqu’au genre de proverbes et de petites comédies où il a excellé. […] En politique, comme en comédie, c’était un admirateur de Henri IV, et il eût pu être, s’il eût vécu en ce temps-là, l’un des chansonniers de la Ménippée : il aimait, presque à l’égal de la gaîté française, les vieilles libertés françaises et les franchises de nos pères ; il faut voir comme il daube à l’occasion, dans son Journal, sur le chancelier Maupeou, « ce Séjan de la magistrature. » Il donne à plein collier dans l’opposition parlementaire, mais il ne voit rien au-delà.

1233. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MME DESBORDES-VALMORE. (Les Pleurs, poésies nouvelles. — Une Raillerie de l’Amour, roman.) » pp. 91-114

Vivre, puisqu’il le faut, de la vie de tous, subir les hasards, les nécessités du grand chemin, y recueillir les enseignements qui s’offrent, y fournir au besoin sa tâche de pionnier ; puis se dédoubler soi-même, et dans une part plus secrète réserver ce qui ne doit pas tarir ; l’employer, l’entretenir, s’il se peut, à l’amour, à la religion, à la poésie ; cultiver surtout sa faculté de concevoir, de sentir et d’admirer : n’est-ce pas là une manière d’aller décemment ici-bas, après même que le but grandiose a disparu, et de supporter la défaite de sa première espérance ? […] Ces deux oncles étaient centenaires ; ils vivaient dans le célibat à Amsterdam, où ils avaient transporté et fondé une librairie. — J’ai des livres imprimés par eux. […] « Je vivais souvent seule par goût. — On m’appela au théâtre Feydeau.

1234. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « QUELQUES VÉRITÉS SUR LA SITUATION EN LITTÉRATURE. » pp. 415-441

Deux faits notables, deux phénomènes littéraires, sont venus, l’un pas plus tard qu’hier, l’autre depuis quelques années déjà, fournir à l’attention avide un sujet, un aliment tant désiré, sur lequel on a vécu à satiété et qui, par bonheur (cela reste vrai du moins pour l’un des deux), n’est pas près de s’épuiser encore. […] Mais ces générations, dont nous parlons ici, et desquelles nous nous glorifions d’être, ne sont pas tombées ; elles vivent encore, elles n’ont pas tout à fait abdiqué et peuvent dire un dernier mot. […] Désespérant de la postérité, n’y croyant pas, sentant bien, si jamais ils y pensent, qu’elle ne réserve son attention calme qu’à des efforts constants, élevés, désintéressés, ils convoitent le présent pour y vivre et en jouir, et ils le convoitent si bien, avec tant d’ardeur et de fougue, qu’ils semblent parfois l’avoir conquis tout entier d’un seul bond, d’un seul assaut.

1235. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « DU ROMAN INTIME ou MADEMOISELLE DE LIRON » pp. 22-41

Crois-moi donc, conservons notre 23 juin intact : c’est le destin qui l’a arrangé, c’est Dieu qui l’a voulu ; aussi son souvenir ne nous donne-t-il que de la joie. » Si Ernest eût vécu à une époque chrétienne, j’aime à croire qu’il ne se fût pas marié après la perte de son amie, et qu’il fût entré dans quelque couvent, ou du moins dans l’Ordre de Malte. Si Mlle de Liron avait vécu à une semblable époque, elle se fût inquiétée, sans doute, de sa faute comme Mlle Aïssé ; elle eût exigé un autre confesseur que son amant ; elle eût tâché de se donner des remords, et s’en fût procuré probablement à force d’en échauffer sa pensée. […] Mlle Aïssé vivait chez Mme de Ferriol, belle-sœur de l’ambassadeur et propre sœur de Mme de Tencin.

1236. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — II. » pp. 195-213

Mme Roland aurait pu vivre jusqu’au bout dans cette donnée première de la destinée et n’y point paraître trop déplacée encore. […] Il ne me surprend pas que Christine ait quitté le trône pour vivre paisiblement occupée des sciences et des arts qu’elle aimait… Pourtant, si j’étais reine, je sacrifierais mes goûts au devoir de rendre mes sujets heureux… Oui, mais quel sacrifice ! […] Dans toute cette partie finale et déjà bien grave de la Correspondance, au milieu des vicissitudes domestiques et des malheurs qui assiégent l’existence de celle qui n’est déjà plus une jeune fille, il ressort pourtant une qualité qu’on ne saurait assez louer ; un je ne sais quoi de sain, de probe et de vaillant, émane de ces pages ; agir, avant tout, agir : « Il est très-vrai, aime-t-elle à le répéter, que le principe du bien réside uniquement dans cette activité précieuse qui nous arrache au néant et nous rend propres à tout. » De cet amour du travail qu’elle pratique, découlent pour elle estime, vertu, bonheur, toutes choses dans lesquelles elle a su vivre, et qui ne lui ont pas fait faute même à l’heure de mourir.

1237. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Jules de Glouvet »

On la calomnie, on l’insulte, car les femmes qui vivent sur l’eau sont suspectes dans le pays : elle n’en a point souci… Une fois, dans une inondation de la Loire, elle sauve au péril de sa vie des parents pauvres de son mari, des maraudeurs qui habitent une île du fleuve. […] Ce n’est qu’à regret qu’il écrase la mouche qui menace ses ouailles ; et quand il a pris le loup il n’ose le tuer, il le laisse partir ; car Fleuse sait que partout, dans les animaux, dans les insectes, dans les plantes, dans les choses, dans le vent, dans la nuit, il y a des âmes, des esprits inconnus auxquels il ne faut pas toucher : Son idée, que l’analyse n’avait pas affaiblie, qui, en l’absence de toute formule, s’était changée en sentiment, vivait robuste dans ce crépuscule intellectuel : l’idée de l’homme chétif soumis à son grand gardien, l’Invisible. […] Ce mystère répandu dans tout le livre enveloppe un drame simple et violent, un drame de rapacité villageoise ; et ainsi M. de Glouvet a su donner pour ressorts à son âpre poème le sentiment le plus profond et la passion la plus forte des hommes qui vivent de la terre : la superstition et l’avarice ; l’une effarée jusqu’à l’hallucination l’autre exaspérée jusqu’au meurtre.

1238. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Herbert Spencer — Chapitre I : La loi d’évolution »

Si maintenant nous en venons de la terre aux plantes et aux animaux qui vivent ou ont vécu, les faits nous manquent pour vérifier la loi ; non qu’il soit douteux pour l’organisme individuel que le progrès se fait du simple au composé ; mais si nous passons des formes individuelles de la vie à la vie en général, nous ne pouvons dire si les Flores et Faunes modernes sont plus hétérogènes que celles du passé. […] Pour vivre, il faut nécessairement qu’il puisse connaître ce qui le nourrira, ce qui peut lui nuire, ce qu’il doit éviter, il doit distinguer une grande variété de substances, de plantes, d’animaux, d’outils, de personnes, etc.

1239. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. Tome IXe. » pp. 138-158

Profitant de la paix forcée de l’Europe, assuré de l’alliance de la Russie et certain d’acheter sa connivence à l’Occident moyennant un appât du côté de la Turquie, Napoléon conçoit à un moment l’idée de mettre la main sur le trône d’Espagne, d’en précipiter un roi imbécile, une reine dissolue, et de déshériter leur fils qui, au fond, ne valait guère mieux, mais à qui l’on n’avait à reprocher alors que de ne pouvoir vivre en intelligence avec ses tristes parents et avec leur scandaleux favori, le prince de la Paix. […] Je me suis promis, au contraire, de braver son pouvoir tyrannique, car il m’a été infligé de vivre en des temps où elle domine et trouble le monde. […] Mais ceux qui ont vécu en révolution savent que ce ne sont pas seulement les rois et les grands qui se trompent.

1240. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Adrienne Le Couvreur. » pp. 199-220

Il y a des noms qui vivent et dont on peut parler à chaque instant comme d’une chose présente. […] Mlle Le Couvreur avait eu deux filles qui vécurent : l’une, née à Strasbourg, fille de M. de Klinglin, qui était dès lors ou qui devint premier magistrat et, comme on disait, préteur de cette cité ; il est question plus d’une fois de cette fille de Monime dans les lettres de Voltaire. […] On y vivait familièrement ; mais elle n’avait rien de ce qu’on peut appeler un salon.

1241. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) «  Mémoires et correspondance de Mme d’Épinay .  » pp. 187-207

Peu d’hommes, disait le grand Frédéric, connaissent les hommes aussi bien que Grimm, et on en trouverait moins encore qui possèdent au même degré que lui le talent de vivre avec les grands et de s’en faire aimer, sans compromettre jamais ni la franchise ni l’indépendance de leur caractère. […] Toutefois, à partir d’une certaine heure, il se trouva insensiblement plus pris par la littérature, par les travaux et par les devoirs que lui imposaient des obligations honorables, et par l’ambition naturelle à l’âge mûr ; cet homme judicieux sentait qu’il fallait se donner de nouveaux motifs de vivre à mesure qu’on perdait de la jeunesse. […] « Continuez vos ouvrages, lui écrivait l’abbé Galiani ; c’est une preuve d’attachement à la vie que de composer des livres. » Avec un corps détruit et une santé en ruine, elle eut l’art de vivre ainsi jusqu’à la fin, de disputer pied à pied les restes de sa pénible existence, et d’en tirer parti pour ce qui l’entourait, avec affection et avec grâce.

1242. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de lord Chesterfield à son fils. Édition revue par M. Amédée Renée. (1842.) » pp. 226-246

À toutes les époques il y a eu des traités destinés à former l’Honnête Homme, l’Homme comme il faut, le Courtisan quand on ne vivait que pour les cours, le Cavalier accompli. […] Lord Chesterfield, à cette époque, vivait tout à fait séquestré du monde par ses infirmités, dont la plus pénible pour lui était une surdité complète. […] Vous avez vécu plus longtemps et plus heureusement que lui.

1243. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Le duc de Lauzun. » pp. 287-308

En effet, quelques-unes des femmes qui y étaient nommées pour leur conduite, légère et leurs aventures de jeunesse, vivaient encore et avaient passé depuis à la défense solennelle des bons principes, au culte de l’autel autant que du trône. […] L’ancienne société a jugé à propos de vivre d’une certaine manière, d’user et d’abuser de tous les biens qui lui ont été accordés. […] Mais enfin l’ancienne société, ayant vécu de la sorte, ne pouvait avoir droit à tous les bénéfices, ni ajouter, à l’excès des prodigalités et des jouissances passées, la considération finale qu’elle ne devrait qu’à la parfaite discrétion et au silence.

1244. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire des travaux et des idées de Buffon, par M. Flourens. (Hachette. — 1850.) » pp. 347-368

Arrivé à cette première grande division, animal, végétal et minéral, il en viendra à distinguer dans le règne animal les animaux qui vivent sur la terre d’avec ceux qui demeurent dans l’eau ou ceux qui s’élèvent dans l’air : Ensuite mettons-nous à la place de cet homme, continue Buffon, ou supposons qu’il ait acquis autant de connaissance et qu’il ait autant d’expérience que nous en avons, il viendra à juger des objets de l’histoire naturelle par les rapports qu’ils auront avec lui ; ceux qui lui seront les plus nécessaires, les plus utiles, tiendront le premier rang ; par exemple, il donnera la préférence dans l’ordre des animaux au cheval, au chien, au bœuf, etc. […] À la manière dont il parle « de cet horrible dégoût de soi-même, qui ne nous laisse d’autre désir que celui de cesser d’être », on voit que si cette âme calme et supérieure n’a jamais été atteinte du mal des Rousseau, des Werther et des futurs René, elle n’a pas été sans le reconnaître et sans le dénoncer à sa source : « Dans cet état d’illusion et de ténèbres, dit-il, nous voudrions changer la nature même de notre âme ; elle ne nous a été donnée que pour connaître, nous ne voudrions l’employer qu’à sentir. » Le vrai sage, selon lui, est celui qui sait maîtriser ces fausses prétentions et ces faux désirs : Content de son état, il ne veut être que comme il a toujours été, ne vivre que comme il a toujours vécu ; se suffisant à lui-même, il n’a qu’un faible besoin des autres, il ne peut leur être à charge ; occupé continuellement à exercer les facultés de son âme, il perfectionne son entendement, il cultive son esprit, il acquiert de nouvelles connaissances, et se satisfait à tout instant sans remords, sans dégoût, il jouit de tout l’univers en jouissant de lui-même.

1245. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Madame de Motteville. » pp. 168-188

Elle avait puisé dans sa belle Normandie l’amour de la campagne et de la nature, mais elle n’en savait pas jouir en courant : « La campagne, disait-elle, n’est belle qu’avec le repos et la solitude, quand on y peut goûter les plaisirs innocents que la beauté de la nature nous fournit dans les bois et auprès des rivières. » Elle disait encore en parlant des rois : J’estime bien heureux celui qui ne les connaît que par le respect qu’on doit à leur nom, et qui peut jouir de la vie douce et tranquille d’un bon citoyen qui est homme de bien, qui a de quoi vivre, et qui n’est point empoisonné par l’ambition. […] C’était précisément ce qui déplaisait à Mazarin et ce qui le faisait se plaindre : « Ce reproche, ajoute-t-elle, marquait assez de défiance naturelle, et combien nous étions malheureux de vivre sous la puissance d’un homme qui aimait la friponnerie, et avec qui la probité avait si peu de valeur qu’il en faisait un crime. » À ces reproches du cardinal, qui ne laissaient pas de transpirer, elle tâchait de remédier par quelque bonne parole de la reine, qui en réparât les impressions devant tous ; « car à la Cour, remarque-t-elle, il est aisé d’éblouir les spectateurs, et il ne leur faut jamais donner le plaisir de savoir que nous ne sommes pas si heureux qu’ils se l’imaginent, ou que nous sommes si malheureux qu’ils le souhaitent ». […] Marquant avec une vigoureuse justesse l’illusion des gens du Parlement et leur insatiable exigence qui les faisait résister à toutes les offres premières d’accommodement et de conciliation, elle en conclut hardiment « que la corruption des hommes est telle, que, pour les faire vivre selon la raison, il ne faut pas les traiter raisonnablement, et que, pour les rendre justes, il faut les traiter injustement ».

1246. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Michaud, de l’Académie française. » pp. 20-40

Il n’est rien de tel pour un homme d’une organisation chancelante, que de franchir ces âges indécis, et de ne plus être tout bonnement et franchement qu’un jeune vieillard qui se sent frêle et qui l’est sans partage, qui renonce aux demi-passions et ne songe plus qu’à vivre par la pensée. […] Michaud sage, aimable, occupé et honoré, vivait ainsi. […] Il continua de vivre en sage, ne s’étonnant de rien, fidèle à son passé, mais sans amertume, et accordant jusqu’à la fin aux choses un sourire doucement moqueur et désintéressé.

1247. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le cardinal de Richelieu. Ses Lettres, instructions et papiers d’État. Publiés dans la Collection des documents historiques, par M. Avenel. — Premier volume, 1853. — I. » pp. 224-245

Je ne puis que je ne les blâme, désirant que ceux qui manient les affaires de ma charge vivent paisiblement les uns avec les autres. Je le mande au sieur de La Coussaye, et vous en avertis, afin que vous vous disposiez l’un et l’autre à vivre en paix. […] Richelieu, dans de très belles pages historiques et morales, en nous développant le caractère de ce maréchal qui était vain et présomptueux avant tout, et qui tenait à paraître puissant plutôt qu’à l’être en effet, a bien marqué en quoi ce ministère, qui passait pour être tout au favori, ne lui était point cependant inféodé, et on sent à merveille que, si Luynes ne fût venu à la traverse, et que si le maréchal eût vécu, la lutte se serait engagée dans un temps très court entre Richelieu et lui pour l’entière faveur de la reine mère.

1248. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand (1846-1853). — I. » pp. 455-475

Aujourd’hui, en m’occupant de la Correspondance de Frédéric selon l’ordre où elle se déroule à nous dans les Œuvres complètes, je m’attacherai surtout à montrer en lui les sentiments du cœur et de l’âme, tels qu’il les avait dans la jeunesse et qu’il les garda jusque sur le trône, au moins tant que ses premiers amis vécurent. […] Nous vivons trop peu pour devenir fort habiles ; de plus, nous n’avons pas assez de capacité pour approfondir les matières, et d’ailleurs il y a des objets qu’il semble que le Créateur ait reculés afin que nous ne puissions les connaître que faiblement. […] On se demande ce que serait devenue cette incomparable amitié si M. de Suhm avait vécu, ce qu’il aurait pensé de son ami le philosophe en le voyant devenu guerroyeur et conquérant, ce qu’il aurait dit des soupers de Potsdam, des entretiens de Sans-Souci, des licences philosophiques que certains convives y apportaient, et si l’idéal premier, au milieu de l’admiration persistante, n’aurait pas subi un déchet inévitable ?

1249. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre VII. Mme de Gasparin »

Après l’avoir lu on se sent plus apte à vivre et plus disposé à accepter le calice d’amertume que nous tendent les Anges invisibles ! […] Plus haut que jamais à cette heure où nous vivons bas, les mains, le cœur, le front, occupés et plongés dans les plus viles poussières. […] Si vous mutilez mon être moral pour rendre à Dieu la tâche aisée, Dieu refusera de telles facilités. » Ni le repos promis par les uns, ni la contemplation immobile dans la lumière, décrite par les autres, car, le repos, « c’est l’oubli du passé, l’effacement de tout, excepté de l’ardeur présenté, éternelle, identique », ne peuvent satisfaire l’âme exigeante qui veut vivre dans les cieux avec des intensités plus grandes que celles de la terre, et qui demande au Paradis un Dieu personnel à aimer de toute l’énergie de sa personnalité à elle-même.

1250. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Innocent III et ses contemporains »

Elle a bien discuté, bien nié, bien versé des mépris sur son chemin ; mais elle a manqué le meilleur coup qu’elle pût porter, l’observation vraie et cruelle, d’autant plus, cruelle qu’elle est vraie : c’est que tous les Papes, sans exception, tous les hommes, même les plus éminents, qui ont représenté l’Église et par qui l’Église a vécu, ont été moins grands que leur situation, et ont manqué d’une intelligence à la hauteur de leurs devoirs ; c’est que nul d’entre eux ne s’est servi, dans l’intérêt de l’institution catholique, de circonstances uniques dans l’histoire et qui semblaient aller d’elles-mêmes au-devant d’une main qui les prît au passage et qui sût les plier à ses desseins. […] Mais alors pourquoi trouve-t-on les résultats de son pontificat si petits dans le cadre des événements du temps où il vécut ? […] Si les Papes avaient décidé que tout prêtre coupable avait bien droit à la miséricorde de l’Église, mais non plus aux fonctions publiques ; que, l’indignité reconnue, il n’était plus bon qu’à faire un moine, Home eût vécu plus longtemps sur le respect des peuples, et l’heure de la Réforme n’aurait pas sonné deux siècles après Innocent.

1251. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Ernest Hello » pp. 207-235

Vacquerie, louant, quand il vivait, Victor Hugo. […] Il n’a pas vécu pour rien avec la Rose mystique de Foligno. […] Il n’a pas le sublime honneur d’être un Voyant de l’extase, et l’honneur aussi grand d’être traité avec mépris de visionnaire par les philosophes et les écrivains de son époque, qui trouvent en lui un homme de leur espèce, mais de leur espèce agrandie par la foi et armée par la vérité catholique, et qui, s’il eût vécu, aurait été — comme il l’est, en plusieurs endroits, dans ce livre où il y a tant de choses, — un redoutable combattant contre eux !

1252. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre v »

  Les libres penseurs issus du catholicisme ou du protestantisme vivent, pour une grande part, du vieux fonds chrétien ; durant des siècles, ils furent préparés dans les petites églises de village. […] J’ai été habitué de longue date à la solitude ; j’ai appris à l’aimer et à la rendre féconde ; je travaille intérieurement le plus possible ; je sais vivre au milieu des gens qui me sont indifférents comme si j’étais seul, sans récriminations insensées contre eux et sans me ronger moi-même, en toute paix, avec un complet détachement de ceux auprès desquels je dois vivre.

1253. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « La princesse Mathilde » pp. 389-400

À vingt ans, la princesse Mathilde fut mariée à un riche sujet russe, ami des arts, qui vivait habituellement en Italie. […] La subtilité en tout genre la choque et lui est antipathique ; et dernièrement, à propos des écrits fort vantés d’une femme d’esprit, mais alambiquée, mais subtile et étrangement mystique, elle se refusait à comprendre qu’il fallût être aussi parfaite pour bien vivre et bien mourir : « L’un, disait-elle, est facile à faire avec un bon cœur et de la droiture, l’autre avec la résignation et la confiance. » La princesse Mathilde passe régulièrement une moitié de l’année à Paris, et l’autre moitié à la campagne, au château de Saint-Gratien.

1254. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Béranger, 1833. Chansons nouvelles et dernières »

En demeurant le plus individuel des poëtes, aussi bien que le plus accompli des artistes, le chansonnier a su devenir le plus populaire, le seul même qui réellement l’ait été en France, depuis des siècles, en ce sens que, durant quinze années, ses œuvres, partout retentissantes, auraient pu, à la lettre, vivre et se transmettre sans l’impression. […] On ferait preuve d’un esprit bien superficiel en n’y voyant que des accidents particuliers auxquels se serait pris le poëte : Béranger a dramatisé, sous ces figures populaires, toute une économie politique impuissante, tout un système d’impôts écrasants ; il a touché en plein la question d’égalité réelle, du droit de chacun à travailler, à posséder, à vivre, la question, en un mot, du prolétaire. 

1255. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « JULES LEFÈVRE. Confidences, poésies, 1833. » pp. 249-261

Je m’étais fait d’un rêve une vague patrie, Et je ne vivais pas : je préparais la vie. […] Dans la première moitié du volume, tant que la passion n’en est qu’aux tristesses, aux espérances, aux pressentiments qui envahissent toutes les âmes ainsi affectées, on regrette que de ce fonds un peu confus, étalé devant nous en longs épanchements, le poëte n’ait pas su tirer des scènes plus distinctes, plus détachées, plus parlantes aux yeux, de ces tableaux qu’on pourrait peindre sur la toile et qui vivent dans la mémoire.

1256. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « FLÉCHIER (Mémoires sur les Grands-Jours tenus à Clermont en 1665-1666, publiés par M. Gonod, bibliothécaire de la ville de Clermont.) » pp. 104-118

Les portraits abondent, les personnages y vivent. […] Mais j’aime mieux finir par la conclusion sérieuse, qu’il est impossible d’éluder en fermant ce livre : c’est que, s’il faisait beau écrire et parler comme chez M. de Caumartin au xviie  siècle, il fait bon de vivre au xixe , sous nos lois, sans Grands-Jours, sous notre Code civil et notre régime d’égalité, même lorsqu’on est gentilhomme comme lorsqu’on ne l’est pas.

1257. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Réception de M. Vitet à l’Académie française. »

Si l’artiste a mal vécu, s’il a vécu au hasard, au seul gré de son caprice et de son plaisir, qu’arrive-t-il le plus souvent lorsqu’il a dépensé ce premier feu, cette première part toute gratuite de la nature ?

1258. (1874) Premiers lundis. Tome I « Alexandre Duval de l’Académie Française : Charles II, ou le Labyrinthe de Woodstock »

qu’on regrette de ne pas l’avoir vu, et, quand on l’a vu, de ne pas y vivre toujours ! […] Même après la Révolution, durant les dix années de l’empire, l’absence seule de liberté n’a-t-elle pas suffi à faire vivre l’ancienne tragédie monarchique, si étrange, si disparate, Corneille excepté, auprès d’Austerlitz et d’Iéna ?

1259. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — III »

Nous, nous disons : Il n’y a qu’une cause que nous connaissons directement, c’est celle que nous sentons penser et agir, comprendre et pouvoir en nous, sentir, aimer, vivre en un mot ; vivre de la vie complète, profonde et intime, non-seulement de la vie nette et claire de la conscience réfléchie et de l’acte voulu, mais de la vie multiple et convergente qui nous afflue de tous les points de notre être ; que nous sentons parfois de la sensation la plus irrécusable, couler dans notre sang, frissonner dans notre moelle, frémir dans notre chair, se dresser dans nos cheveux, gémir en nos entrailles, sourdre et murmurer au sein des tissus ; de la vie une, insécable, qui dans sa réalité physiologique embrasse en nous depuis le mouvement le plus obscur jusqu’à la volonté la mieux déclarée, qui tient tout l’homme et l’étreint, fonctions et organes, dans le réseau d’une irradiation sympathique ; qui, dans les organes les plus élémentaires et les plus simples, ne peut se concevoir sans esprit, pas plus que, dans les fonctions les plus hautes et les plus perfectionnées, elle ne peut se concevoir sans matière ; de la vie qui ne conçoit et ne connaît qu’elle, mais qui ne se contient pas en elle et qui aspire sans cesse, et par la connaissance et par l’action, par l’amour en un mot ou le désir, à se lier à la vie du non-moi, à la vie de l’humanité et de la nature, et en définitive, à la vie universelle, à Dieu, dont elle se sent faire partie ; car à ce point de vue elle ne conçoit Dieu que comme elle-même élevée aux proportions de l’infini ; elle ne se sent elle-même que comme Dieu fini et localisé en l’homme, et elle tend perpétuellement sous le triple aspect de l’intelligence, de l’activité et de l’amour, à s’éclairer, à produire, à grandir en Dieu par un côté ou par un autre, et à monter du fini à l’infini dans un progrès infatigable et éternel.

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