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1352. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XII. Marie-Antoinette, par MM. Jules et Edmond de Goncourt » pp. 283-295

Femme d’un grand sens, que la religion éclairait de ses lumières surnaturelles, elle ne s’y trompait pas ; et d’ailleurs, si elle avait pu l’oublier, un souvenir cruel l’aurait avertie. […] Avec cette pensée de relever la royauté avilie, dans le cœur d’un Roi, devenu fidèle, la vie de Marie-Antoinette prend un sens qu’elle ne perdra plus !

1353. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXV. Le Père Ventura »

Ventura a publié les sermons qu’il a prononcés devant Sa Majesté l’Empereur, à la chapelle des Tuileries, en 1857, et l’illustre théatin, dont la pensée, — comme l’on sait, — est toujours une pensée d’ensemble et d’unité profonde, les a publiés sous un titre collectif qui dit bien, en un seul mot, le sens particulier de ces discours. Ils ont, en effet, un sens particulier.

1354. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Barthélemy Saint-Hilaire »

I Je n’ai jamais eu un goût bien exalté pour les messieurs d’Académie, et cependant en voici un pour lequel je me sens beaucoup de sympathie, de considération intellectuelle et de respect. D’un autre côté, j’adore l’originalité dans la forme et dans la pensée, et, quoique la bizarrerie en soit la grimace, je me sens pour l’originalité une si grande faiblesse que je suis bien capable de l’aimer jusqu’à la bizarrerie.

1355. (1878) Leçons sur les phénomènes de la vie communs aux animaux et aux végétaux. Tome I (2e éd.)

Quoique des tentatives eussent été faites dans divers sens pour expliquer les phénomènes vitaux par des actions physico-chimiques, cependant la méthode anatomique continuait à dominer. […] Le malentendu entre les philosophes et les physiologistes vient sans doute de ce que le mot déterminisme est pris par eux dans le sens de fatalisme, c’est-à-dire dans le sens du déterminisme philosophique de Leibnitz. […] Cette hypothèse a simplement comme valeur de nous montrer le sens des interprétations actuelles que l’on tend à substituer à la théorie de la combustion directe de Lavoisier. […] C’est dans ce sens que M.  […] Peut-être pourrait-on supposer que le glycogène apparaît non par une véritable synthèse dans le sens chimique du mot, mais par un dédoublement de la matière protoplasmique.

1356. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome III pp. -

Il est certain que notre ame peut avoir des idées indépendamment de nos sens, & qu’elle en aura même un jour étant immortelle. […] L’opinion générale est aujourd’hui que toutes nos idées émanent des sens. […] Il anime par dégrés une statue qui n’acquiert nos sens que les uns après les autres. […] Innocens, tantôt dans une assemblée d’évêques des provinces de Sens & de Reims. […] « Je voulois, continue-t-il, vous punir, mais je me sens désarmé.

1357. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » p. 340

L’Auteur s’y montre aussi élégant dans son style, que fidele à conserver le sens de ses Originaux, deux points de perfection assez rares dans les Traducteurs.

1358. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « L — I »

S'il se fait, comme cela est certain, des modifications à la loi dans les deux Chambres, ce sera dans un sens tout autre que celui du clergé, ce sera au profit de l’Université et des droits de l’État.

1359. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » p. 388

Dans le cours de l’Ouvrage, on suit avec plaisir un Traducteur habile, qui, sans être l’esclave de son Original, en offre le véritable sens, embelli par les graces d’un esprit aussi élégant qu’éclairé.

1360. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article »

Lafosse avoit toutes les qualités d’un homme estimable & d’un vrai Philosophe dans le sens que les bons Moralistes attachent à ce mot.

1361. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article »

On a encore de cet Auteur des Eloges de quelques Hommes illustres, le tout écrit en Latin, farci de grands mots, & assez dépourvu de sens.

1362. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Madame de Verdelin  »

Boileau si cher aux bons esprits, aux hommes de sens et de goût, n’était guère de nature par son talent à faire vibrer une corde au cœur des femmes. […] Certes, l’enthousiasme de Bettine pour Goethe n’est pas un enthousiasme banal : il s’harmonise avec l’imagination, avec la haute fantaisie et le sens naturaliste du grand poète de Weimar. […] Quand Rousseau eut été obligé de fuir de Montmorency après sa publication de l’Émile, elle lui écrivait, en lui parlant de l’état des esprits, de réchauffement des têtes dans un certain monde, et en lui rapportant une conversation qu’elle avait eue à son sujet avec un magistrat : « Si vous n’y étiez pas intéressé, nous ririons de voir les protecteurs de la religion et des mœurs s’élever contre le seul écrivain de ce siècle qui ait écrit utilement en leur faveur ; qui ait bien voulu s’élever contre le matérialisme que le bien seul de la société devrait proscrire… » Elle tenait tête dans le monde, quand elle les rencontrait, à ceux qui attaquaient l’Èmile dans un sens ou dans un autre, dans le sens de d’Holbach ou dans celui de la Sorbonne et du Parlement. […]  » Quoique lectrice et admiratrice de Rousseau, Mme de Verdelin n’était donc pas une insurgée du sexe ni une émancipée ; elle était bien restée femme, au sens habituel du mot ; elle n’allait qu’à mi-chemin en bien des choses. […] Ce qu’il y a de certain, c’est que tout ce que vous me dites de vous m’affecte et me pénètre ; que je vous plains, que je sens vos malheurs comme les miens et que je voudrais que vous eussiez autant de plaisir à vous épancher avec moi que j’en goûte à m’épancher avec vous, et que je n’eus jamais d’attachement plus solide, plus vrai, et qui fît plus la consolation de ma vie, que celui que vous m’avez inspiré. » (29 juin 1763.) — Et le 10 septembre, même année : « Si je pouvais trouver en France un coin où vivre en paix et vous voir quelquefois, je serais heureux… » — Et le 30 octobre : « Je vois chaque jour mieux quelle amie m’est restée en vous, et j’oublie presque toutes mes pertes quand je songe à ce qui m’est laissé. » — Le 6 janvier 1765 ; « Daignez m’écrire plus souvent, je vous en supplie ; un mot me suffit, mais j’ai besoin d’un mot. » — Tant de passages significatifs que je pourrais multiplier encore montrent assez la vérité et la vivacité de ce sentiment dans l’âme de Rousseau avant qu’elle s’altérât.

1363. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIVe entretien. Littérature, philosophie, et politique de la Chine » pp. 221-315

une poésie rythmée avec un art où l’esprit et l’oreille combinent le sens et la musique dans un accord merveilleux ? […] « “Nous ne sommes pas assez érudit, poursuit-il, pour prononcer entre le Chi-King, et les poètes d’Occident ; mais nous ne craignons pas de dire qu’il ne le cède qu’aux psaumes de David pour parler de la divinité, de la providence, de la vertu, etc., avec cette magnificence d’expression et cette élévation d’idées qui glacent les passions d’effroi, ravissent l’esprit et tirent l’âme de la sphère des sens.” » XIII S’élevant ensuite à la hauteur d’une critique supérieure aux ignorances et aux préjugés de secte, le savant disciple des jésuites parle des Kings, de leur antiquité, de leur authenticité, de leur caractère en ces termes : « De bons missionnaires qui avaient apporté en Chine plus d’imagination que de discernement, plus de vertu que de critique, décidaient sans façon que les Kings étaient des livres, sinon antérieurs au déluge, du moins de peu de temps après ; que ces livres n’avaient aucun rapport avec l’histoire de la Chine, qu’il fallait les entendre dans un sens purement mystique et figuré. […] Ses historiens racontent que ces trois années de deuil et de réclusion absolus dans sa maison furent pour lui un noviciat sévère et actif, pendant lequel, à l’exemple de tous les grands législateurs qui se retirent avant leur mission sur les hauts lieux ou dans le désert, il s’entretint avec ses pensées, et fit faire silence à ses sens et au monde. […] Il ouvrit, pour la première fois, dans sa propre maison, une école publique d’histoire, de science, de morale et de politique ; puis s’élevant bientôt à une mission plus haute et plus universelle : « Je sens enfin, dit-il, que je dois le peu que le ciel m’a donné ou qu’il m’a permis d’acquérir à tous les hommes, puisque tous les hommes sont également mes frères et que la patrie de l’humanité n’a pas de frontière. » Il partit alors suivi d’un grand nombre de disciples de tous les royaumes voisins pour aller, non prophétiser, mais raisonner dans tout l’empire où l’on parlait la langue de la Chine. […] — « Ce moyen », répondit Confucius, « est de ne rien commander qui ne soit conforme au grand Ly (mot qui renferme dans son sens la raison, la conscience et la convenance des choses).

1364. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre troisième »

Daunou, retentirent longtemps d’anathèmes contre ce roman ; on s’en obstina davantage le lire, quelque ennuyeux qu’il pût être. » Je ne reconnais pas là le sens d’ordinaire si sûr de M. […] C’est d’abord faire remonter bien haut le mot décadence, jusqu’alors réservé aux époques littéraires qui suivent les grands siècles : ceux qui découvrent ainsi des décadences dans le berceau même des langues, risquent fort d’altérer le sens consacré de ce mot, et de troubler les esprits sur l’idée générale qu’il exprime. […] Le spectacle non moins beau de la France littéraire au xviie  siècle doit de même nous donner le sens des époques antérieures. […] Tout le monde, dit-il, n’a pas le sens rassis… Il ne raille ni ne se plaint ; il n’est pas assez coupable pour railler ; il l’est trop pour se plaindre. […] Le poète continue : Allé s’en est, et je demeure Pauvre de sens et de savoir.

1365. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre onzième »

Si quelque chose étonne plus que de si violentes offenses au sens commua, c’est le ton doctoral dont s’exprime Rousseau. […] Je me sens une âme qui peut se montrer. » C’est, aux mots près, le début des Confessions. […] Moi seul, je sens mon cœur, et je connais les hommes. […] Quand les utopistes deviennent nombreux chez une nation, et qu’ils y ont du crédit, on peut affirmer que le sens moral va s’y affaiblissant. […] Non, il n’y a jamais eu de société qui pût ainsi pervertir et dénaturer un homme ; non, pas même la société romaine, au temps où un Tacite, pour échapper aux délateurs de Domitien, pouvait bien tenir ses lèvres fermées et enfouir sa pensée, comme on enfouit son or en temps d’invasion, mais gardait intact ce sens moral par lequel « le plus grand peintre de l’antiquité117 » en est un des plus grands moralistes.

1366. (1890) L’avenir de la science « XVII » p. 357

Celui qui peut comprendre la prédication d’un Jocelyn de village et ces paraboles, Où le maître, abaissé jusqu’au sens des humains, Faisait toucher le ciel aux plus petites mains. […] Autrefois, au temps du christianisme, cela n’était pas si révoltant : au contraire, le sort du malheureux et du simple était en un sens digne d’envie, puisqu’ils étaient plus près du royaume de Dieu. […] Dieu me garde de dire que la croyance à l’immortalité ne soit pas en un sens nécessaire et sacrée. […] Elle est en un sens supérieure à la loi politique, puisque celle-ci a en elle sa raison et sa sanction. […] Le gouvernement représente la raison, Dieu, si l’on veut, l’humanité dans le sens élevé (c’est-à-dire les hautes tendances de la nature humaine), mais non un chiffre.

1367. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXe entretien. Dante. Deuxième partie » pp. 81-160

» Le soleil, qu’il aperçoit réverbéré sur les épaules d’une haute colline, le rassure un peu ; il regarde avec moins d’effroi on ne sait quel passage étroit et terrible qui est sans doute la mort : il ne le dit pas ; le sens est inintelligible ; puis, sans dire s’il a franchi ou non ce passage, il commence à gravir la colline. Une panthère au poil tacheté (personnification de l’amour des sens) lui barre la route. […] Il décrit d’abord, en vers qui frissonnent, l’ouragan glacé par lequel sont éternellement fouettées et entraînées dans un océan tumultueux de frimas les ombres dont le feu de l’amour ici-bas consuma les sens et les âmes. […] Je me sens pur et disposé à monter jusqu’aux étoiles. » Voilà le poème du Purgatoire, plein d’allégories glaciales, d’allusions obscures, d’inventions étranges, de rencontres touchantes, de vers surhumains. […] « Mais », dit-il, « à ce pas difficile je me sens vaincu plus que ne le fut jamais, à aucun tournant de son poème, aucun poète ou tragique ou comique ! 

1368. (1926) L’esprit contre la raison

Cette plurigénéricité permet une sorte de martèlement polémique  mais aussi une élaboration du sens : un cas particulier, une intuition frappante, rencontrent en s’essayant en plusieurs contextes, le lieu et la formule. […] Pour donner tout son sens au simple geste humain, son principe, il doit pousser hors de la réalité quotidienne la créature qui lui sert de truchement. […] Servi par un sens peu commun des valeurs, l’auteur du Manifeste du surréalisme assigne ainsi à la raison son véritable rôle qui est de contrôle. […] J’ai eu tort, je le sens, je le crois, je veux le sentir, le croire car ne trouvant point de solution dans la vie, en dépit de mon acharnement à chercher, aurais-je la force de tenter encore quelques essais si je n’entrevoyais dans le geste définitif, ultime, la solution ?  […] La citation de Breton prend ici un sens ambigu : Crevel a tenté une autre écriture romanesque en rupture avec l’attitude réaliste, et semble donc faire sienne cette critique de Breton.

1369. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Mézeray. — I. » pp. 195-212

Ce n’est pas en des temps de Fronde qu’il eût appris à les concevoir, et c’est pour avoir, en ses jeunes années, en sa saison de verve et d’entreprise, vu réunies entre les mains de Richelieu les pièces merveilleuses de cet assemblage, c’est pour lui avoir vu reconquérir ce Roussillon aliéné depuis un siècle et demi, et lui avoir vu refaire en tous sens une France, qu’il a su mêler lui-même à son Histoire cet esprit français étendu, cette intelligence d’ensemble qui y subsiste à travers les remarques plus ou moins libres et les réflexions conformes à notre vieux génie populaire. […] Ce qu’il dit là n’est vrai qu’en avançant ; car il est certaines de ces harangues, comme celle qu’il prête à Charles Martel au moment de livrer bataille aux Sarrasins, qui sont plus académiques que véritablement historiques, même à le prendre dans le sens de la définition précédente. […] On aura remarqué que Mézeray affectionne ce mot de vaste dans le sens de l’étymologie, qui est celui d’un défaut.

1370. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le prince de Ligne. — II. (Fin.) » pp. 254-272

Au duc Albert de Saxe-Teschen, qui venait de perdre la bataille de Jemmapes et d’être gravement malade, et qui lui demandait, en le revoyant à Vienne, comment il le trouvait : « Ma foi, monseigneur, répondit le prince de Ligne, je vous trouve passablement défait. » Il disait encore très joliment du prince royal de Prusse qui s’était trouvé indisposé et pris d’un étourdissement à une séance de l’Académie des sciences à Pétersbourg : « Le prince, au milieu de l’Académie, s’est trouvé sans connaissance. » Tout ceci est du meilleur : mais après une visite qu’il avait faite au cardinal de Luynes, archevêque de Sens, au sujet d’un procès, il outrepassait le mot, il le cherchait et le tirait de bien loin quand il répondait à M. de Maurepas, qui lui demandait comment il avait trouvé le cardinal : « Je l’ai trouvé hors de son diocèse », voulant dire hors de sens. […] Les émigrés, selon lui, ont emporté l’honneur (dans le sens royaliste) ; les rebelles n’ont gardé de leur nation que l’intelligence et le courage : il oublie que ces rebelles, qui sont à peu près tout le monde, ont, de plus, gardé intact le sentiment de patrie.

1371. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — I. » pp. 1-19

Prendre un texte de l’Écriture et nous l’interpréter moralement selon nos besoins actuels, le déplier et retendre dans tous les sens en nous le traduisant dans un langage qui soit nôtre et qui réponde à tous les points de nos habitudes et de nos cœurs, faire ainsi des tableaux sensibles qui, sans être des portraits, ne soient point des lieux communs vagues, et atteindre à la finesse sans sortir de la généralité et de la noblesse des termes, c’est là en quoi Massillon excelle. […] Languet, archevêque de Sens, au discours de réception du duc de Nivernais qui succéda à Massillon à l’Académie française (séance du 4 février 1743). […] Fréron, homme de sens (ou Desfontaines), l’avait déjà distingué et cité lors de la publication première (Jugement sur quelques ouvrages nouveaux, t. 

1372. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — II. (Fin.) » pp. 20-37

Venu à une époque où la corruption était déjà poussée au plus haut degré, et où elle ne se recouvrait que d’un voile léger en présence du monarque, il comprit bien quelle était la nature de l’incrédulité qu’il avait à combattre, et en ce sens il est curieux de voir l’ordre d’arguments qu’il juge le plus à propos de lui opposer. […] Spinoza, peu lu, peu compris, était resté dans l’ombre : mais d’autres incrédules moindres et plus éloquents avaient tracé ouvertement leur sillon sous le soleil et propagé en tous sens leurs germes : bien des âmes, bon gré mal gré, les avaient reçus ; on avait beau faire, chacun se ressentait plus ou moins à son jour d’être venu au monde depuis Voltaire et depuis Rousseau. […] Massillon abonde un peu trop en ce sens ; il n’y apporte aucun correctif ; il ne maintient pas le coin de fermeté, et il faut avoir gardé quelque chose du rêve de la monarchie pastorale selon le xviiie  siècle pour s’écrier avec Lémontey : « Le Petit Carême de Massillon, chef-d’œuvre tombé du ciel comme le Télémaque, leçons douces et sublimes que les rois doivent lire, que les peuples doivent adorer ! 

1373. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Agrippa d’Aubigné. — I. » pp. 312-329

On voit qu’il ne manquera bientôt plus rien à l’étude du caractère et de l’écrivain : il en sera, à cet égard, de d’Aubigné comme de Pascal, on aura tout dit sur lui, et pour et contre, et alentour ; on l’aura embrassé dans tous les sens. […] La vérité, à son sens, ressortira suffisamment des descriptions. […] Le vicomte de Turenne, depuis duc de Bouillon, opina le premier : c’était un homme de grands discours et habile à donner des infinités de raisons à l’appui des conclusions qu’il embrassait ; ayant été récemment accusé d’avoir été trop prompt à la dernière levée de boucliers, son point de départ, cette fois, fut qu’il fallait changer de méthode, mettre de son côté le droit et l’apparence, éviter avant tout l’odieux : « Si vous vous armez, disait-il, le roi (Henri III) vous craindra ; s’il vous craint, il vous haïra ; s’il vous hait, il vous attaquera ; s’il vous attaque, il vous détruira. » Par ces raisons subtilement déduites et enchaînées, il concluait qu’il fallait introduire, faire couler les gens de guerre dans les armées royales et servir de la sorte sans enseignes déployées : « Le roi devra sa délivrance à notre vertu, et sacrifiera sa haine passée à notre humilité. » Cet avis allait l’emporter, et la majorité semblait s’y ranger lorsqu’un mestre de camp, c’est-à-dire d’Aubigné, commandé de parler à son tour, s’exprima en sens contraire et changea la face de la délibération.

1374. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Préface pour les Maximes de La Rochefoucauld, (Édition elzévirienne de P. Jannet) 1853. » pp. 404-421

Certes, il ne se peut concevoir de dissection plus vive, plus pénétrante dans le sens de La Rochefoucauld, ni venant d’une main plus ferme et plus souveraine. […] L’inconvénient du système de La Rochefoucauld est de donner pour tous les ordres d’action une explication uniforme et jusqu’à un certain point abstraite, quand la nature, au contraire, a multiplié les instincts, les goûts, les talents divers, et qu’elle a coloré en mille sens cette poursuite entrecroisée de tous, cette course impétueuse et savante de chacun vers l’objet de son désir. […] Il avait pour principe « d’éviter surtout de parler de soi, et de se donner pour exemple. » Il savait que « rien n’est plus désagréable qu’un homme qui se cite lui-même à tout propos. » Il ne ressemblait point à ceux qui, en vieillissant, se posent avec vous en Socrates (je sais un savant encore5, et aussi un poète80, qui sont comme cela), vrais Socrates en effet, en ce sens qu’avant que vous ayez ouvert la bouche, ils vous ont déjà prêté de légères sottises qu’ils réfutent, se donnant sans cesse le beau rôle, que, par politesse, on finit souvent par leur laisser.

1375. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Madame Bovary par M. Gustave Flaubert. » pp. 346-363

Sans aller si loin que Bernardin de Saint-Pierre, Mme Sand, qui s’était peut-être ennuyée d’abord dans son Berry, ne s’est plu ensuite à nous le montrer que par des aspects assez attrayants ; elle ne nous a pas désenchantés, tant s’en faut, des bords de la Creuse ; en y introduisant même des personnages à théories ou à passions, elle a laissé circuler un large souffle pastoral, rural, poétique dans le sens des anciens. […] Son esprit, à elle, a fait bien du chemin depuis hier et en un sens tout opposé. […] Dans la dernière moitié de l’ouvrage qui n’est pas moins étudiée ni moins exactement exprimée que la première, je signalerai un inconvénient qui a trop éclaté ; c’est que, sans que l’auteur y ait visé certainement, mais par l’effet même de sa méthode qui consiste à tout décrire et à insister sur tout ce qui se rencontre, il y a des détails bien vifs, scabreux, et qui touchent, peu s’en faut, à l’émotion des sens ; il eût absolument fallu s’arrêter en deçà.

1376. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « La princesse des Ursins. Ses Lettres inédites, recueillies et publiées par M. A Geffrot ; Essai sur sa vie et son caractère politique, par M. François Combes » pp. 260-278

Combes, repasser sur les différentes phases de la carrière politique de Mme des Ursins pendant ses treize années d’influence ou de domination en Espagne : il a très bien distingué les temps, démêlé les intrigues selon l’esprit de chaque moment, montré Mme des Ursins représentant dès l’abord le parti français, mais le parti français modéré qui tendait à la fusion avec l’Espagne, et combattant le parti ultra-français représenté par les d’Estrées : — ce fut sa première époque : — puis, après un court intervalle de disgrâce et un rappel en France, revenue triomphante et autorisée par Louis XIV, elle dut pourtant, malgré ses premiers ménagements pour l’esprit espagnol, s’appliquer à briser l’opposition des grands et travailler à niveler l’Espagne dans un sens tout monarchique, antiféodal ; c’était encore pratiquer la politique française, le système d’unité dans le gouvernement, et le transporter au-delà des Pyrénées : — ce fut la seconde partie de sa tâche. — Mais quand Louis XIV, effrayé et découragé par les premiers désastres de cette funeste guerre de la succession, paraît disposé à abandonner l’Espagne et à lâcher son petit-fils, Mme des Ursins, dévouée avant tout aux intérêts de Philippe V et du royaume qu’elle a épousé, devient tout Espagnole pour le salut et l’intégrité de la couronne, rompt au-dedans avec le parti français, conjure au dehors la défection de Versailles, écrit à Mme de Maintenon des lettres à feu et à sang, s’appuie en attendant sur la nation, et, s’aidant d’une noble reine, jette résolument le roi dans les bras de ses sujets. […] Elle l’avait réellement façonné, créé, lui avait (au moral aussi, et jusqu’à un certain point) redressé la taille ; la fermeté récente dont il avait donné des marques dans ses lettres en France, dans toute sa conduite, était en effet son ouvrage : il avait acquis une sorte de caractère, de la volonté. « On ne connaît pas assez le roi d’Espagne », disait-elle à ceux qui paraissaient en douter : cela était vrai en plus d’un sens ; elle devait elle-même le vérifier quatre ans plus tard, lorsque, lui ayant trop fait sentir son joug, elle fut renversée traîtreusement en un clin d’œil et tomba de cette chute soudaine et ridicule dont sa renommée historique s’est ressentie. […] Mais, pour que la trame soit complète, que de fils tendus dans tous les sens !

1377. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe et d’Eckermann (suite) »

Gœthe n’était pas un physicien, un géomètre ; mais il était un naturaliste, il avait à un haut degré le génie de l’histoire naturelle, le sens et le tact du monde organique, et, de ce côté, en se confiant en sa force, il ne se trompait pas. […] Dans les traductions faites en Allemagne pour la scène, on fait du fils un parent ; tout est affaibli et perd son sens. […] Je sens ce qui pourrait exister, lorsque des hommes comme Alexandre de Humboldt passent par Weimar et en un seul jour me font plus avancer dans mes recherches, dans ce qu’il me faut savoir, que je ne pourrais y réussir par des années de marche isolée sur ma route solitaire.

1378. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Mémoire de Foucault. Intendant sous Louis XIV »

Voulez-vous savoir ce que c’est au juste qu’une algarade, non pas dans le sens général figuré et comme celle qu’on vient de voir de prélat à magistrat, mais dans le sens propre et primitif ? […] Mais l’on comprend très-bien, après cette merveilleuse campagne et cette sorte de pêche miraculeuse à laquelle on vient d’assister, et qui faisait de Foucault l’intendant modèle, celui qui était proposé à l’émulation de tous les autres, que Louis XIV, trop bien servi et trompé dans le sens même de ses désirs, ait cru pouvoir changer de système ; qu’il ait renoncé à l’emploi et au maintien des Édits gradués, précédemment rendus dans la supposition que les conversions traîneraient en longueur, et que, persuadé qu’il n’y avait plus à donner, comme on dit vulgairement, que le coup de pouce (tant pis pour le grand roi, s’il n’est pas content de l’expression, mais je n’en sais pas de plus juste), il se soit déterminé à révoquer formellement l’Édit de Nantes.

1379. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire (suite) »

Plus je vis et je réfléchis, moins je me sens ce que je voudrais être, destiné pour un meilleur avenir. […] J’en sens l’influence dans mes ouvrages : une émotion puissante me transporte sur les hauteurs de mon sujet. […] Je sens qu’au fond je suis indisciplinable… Je ne peux ni sentir sur parole, ni écrire d’après autrui… » Poète, il n’aspire qu’à manifester la nature dans ses ouvrages en vers, et il ne s’aperçoit pas qu’il ne la manifestera jamais plus pleinement, avec plus de couleur et de chaleur, qu’à ce moment même où il en forme le dessein et où il en parle ainsi.

1380. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Térence. Son théâtre complet traduit par M. le marquis du Belloy (suite et fin.) »

» C’est ici que Chrémès fait cette heureuse réponse qui a eu son écho à travers les siècles : « Je suis homme, et je considère que rien d’humain ne m’est étranger. » Et il s’attache de son mieux à désarmer la misanthropie du farouche voisin, à lui, rendre en un sens quelconque la réponse facile : « Prenez que c’est ou un avertissement, ou bien une simple question à mon usage ; si vous avez raison, pour que je vous imite ; sinon, pour que je vous ramène » Ménédème, malgré tout, regimbe encore : « C’est mon habitude à moi ; à vous de faire comme vous l’entendez !  […] « Plus je me rends malheureux, plus je me soulage ; moins je me sens coupable envers lui. […] Oui, mais c’est le talent aussi et l’art du poète d’amener si justement les mots pour le sens à la fois et pour la mesure.

1381. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Marie-Thérèse et Marie-Antoinette. Leur correspondance publiée, par M. le chevalier Alfred d’Arneth et à ce propos de la guerre de 1778 »

Je vous embrasse. » À cette date, le Cabinet de Versailles avait déjà cru devoir faire un premier pas, mais dans un sens bien plutôt de neutralité que d’alliance. […] Il est très-possible qu’il y ait eu aussi quelque autre dépêche postérieure do date et dans le même sens. […] Dans cet article, en parlant avec une sorte de sévérité de Joseph II pour sa conduite dans l’affaire de la succession de Bavière, je dois dire que je suis loin pourtant d’abonder dans le sens de ceux qui ne jugent en tout de ce souverain que d’après les événements et le succès.

1382. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Maurice comte de Saxe et Marie-Josèphe de Saxe, dauphine de France. (Suite) »

Le roi, ayant lu la note, fit venir le comte de Vaulgrenant qui, naturellement, parla dans le sens de ce qu’il avait écrit et y abonda. […] Dès que le roi eut pris son parti, il eut la délicatesse d’en faire honneur au maréchal et lui écrivit en ce sens. […] Et puis il s’était prodigué dans tous les sens, il avait épuisé les aventures, les plaisirs, il achevait de les épuiser chaque jour.

1383. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — Lamennais, Affaires de Rome »

Il y avait donc en un sens, et malgré l’extrême contrariété des moyens, lien étroit et, en quelque sorte, unité de but, entre la fondation de l’Avenir et la brochure des Progrès de la Révolution. […] et les traitait en un mot comme des alliés peu conséquents de la démocratie extrême et de l’incrédulité, les voilà outre-passés tout d’un bond, enjambés en quelque sorte, sans avoir été traversés par lui ; les voilà apostrophés peut-être des mêmes termes énergiques, mais en sens contraire, s’ils hésitent ou se replient. […] Jouffroy et Damiron, et, si l’on veut aller au plus loin dans ce sens, est-elle un socinianisme humanitaire ? 

1384. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « DIX ANS APRÈS EN LITTÉRATURE. » pp. 472-494

Et ceux qui étaient encore en feu il y a dix ans, et ceux qui se sont produits et déjà fatigués depuis, et ceux qui ressaisissent aujourd’hui de bons éclairs d’une ferveur littéraire longtemps ailleurs détournée, tous ne sont pas si loin de s’entendre pour de certaines vues justes, de certains résultats de goût, de sens rassis et de tolérance. […] Ils ont, en un sens, passé toutes les espérances et aussi laissé derrière eux toutes les craintes ; tous les hasards d’idées déchaînées dans les hautes régions ont soufflé en eux à pleines voiles, et les ont fait vibrer sur toutes les cordes selon leur mode particulier de véhémence ou d’harmonie. Certes, s’il ne s’agit que d’apprécier les ressources et la portée du génie individuel, l’étendue de ressort qu’on lui pouvait supposer, les applications plus ou moins larges qui s’en pouvaient faire, nous dirons que M. de La Mennais dans son ordre, et M. de Lamartine dans le sien, ont témoigné une flexibilité, une vigueur ou une grâce, une amplitude en divers sens, que leurs premières œuvres ne démontraient pas.

1385. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Mathurin Regnier et André Chénier »

Rien donc de plus piquant et de plus instructif que d’étudier dans leurs rapports ces deux figures originales, à physionomie presque contraire, qui se tiennent debout en sens inverse, chacune à un isthme de notre littérature centrale, et, comblant l’espace et la durée qui les séparent, de les adosser l’une à l’autre, de les joindre ensemble par la pensée, comme le Janus de notre poésie. […] Dans l’éternel concert je me place avec eux ; En moi leurs doubles lois agissent et respirent ; Je sens tendre vers eux mon globe qu’ils attirent : Sur moi qui les attire ils pèsent à leur tour. […] Chez l’un comme chez l’autre, même procédé chaud, vigoureux et libre ; même luxe et même aisance de pensée, qui pousse en tous sens et se développe en pleine végétation, avec tous ses embranchements de relatifs et d’incidences entre-croisées ou pendantes ; même profusion d’irrégularités heureuses et familières, d’idiotismes qui sentent leur fruit, grâces et ornements inexplicables qu’ont sottement émondés les grammairiens, les rhéteurs et les analystes ; même promptitude et sagacité de coup d’œil à suivre l’idée courante sous la transparence des images, et à ne pas la laisser fuir, dans son court trajet de telle figure à telle autre ; même art prodigieux enfin à mener à extrémité une métaphore, à la pousser de tranchée en tranchée, et à la forcer de rendre, sans capitulation, tout ce qu’elle contient ; à la prendre à l’état de filet d’eau, à l’épandre, à la chasser devant soi, à la grossir de toutes les affluences d’alentour, jusqu’à ce qu’elle s’enfle et roule comme un grand fleuve.

1386. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Réception de M. le Cte Alfred de Vigny à l’Académie française. M. Étienne. »

Les discours de réception se ressentirent de la publicité dès le premier jour : « Mais j’élève ma voix insensiblement, disait Fléchier, et je sens qu’animé par votre présence, par le sujet de mon discours (l’éloge de Louis XIV), par la majesté de ce lieu (le Louvre), j’entreprends de dire foiblement ce que vous avez dit, ce que vous direz avec tant de force… » Dès ce moment, le ton ne baissa plus ; la dimension du remercîment se contint pourtant dans d’assez justes limites, et la harangue, durant bien des années, ne passa guère la demi-heure. […] Il nous est impossible, nous l’avouons, d’attacher à cette pièce le sens profond et grave que M. de Vigny y a découvert. […] Mais sur les autres sujets un peu mixtes et par les autres œuvres qui atteignent les bons esprits dont je parle, dans ces matières qui sont communes à tous ceux qui pensent, et où ces hommes de sens et de goût sont les excellents juges, prouvons-leur aussi que, tout poëtes que nous sommes, nous voyons juste et nous pensons vrai : c’est la meilleure manière, ce me semble, de faire honneur auprès d’eux à la poésie, et de lui concilier des respects ; c’est une manière indirecte et plus sûre que de rester poëtes jusqu’au bout des dents, et de venir à toute extrémité soutenir que nos vers sont fort bons .

1387. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre I. Composition de l’esprit révolutionnaire, premier élément, l’acquis scientifique. »

S’il est hors ligne, il n’est pas hors cadre, il est un animal parmi les animaux337 en lui et chez eux, la substance, l’organisation, la naissance, la formation, le renouvellement, les fonctions, les sens, les appétits, sont semblables, et son intelligence supérieure, comme leur intelligence rudimentaire, a pour organe indispensable une matière nerveuse dont la structure est la même chez eux et chez lui. — Ainsi enveloppé, produit, porté par la nature, peut-on supposer qu’il soit dans la nature comme un empire dans un empire ? […] Selon que l’autorité est aux mains de tous, ou de plusieurs, ou d’un seul, selon que le prince admet ou n’admet pas au-dessus de lui des lois fixes et au-dessous de lui des pouvoirs intermédiaires, tout diffère ou tend à différer dans un sens prévu et d’une quantité constante, l’esprit public, l’éducation, la forme des jugements, la nature et le degré des peines, la condition des femmes, l’institution militaire, la nature et la grandeur de l’impôt. […] Considérer tour à tour chaque province distincte de l’action humaine, décomposer les notions capitales sous lesquelles nous la concevons, celles de religion, de société et de gouvernement, celles d’utilité, de richesse et d’échange, celles de justice, de droit et de devoir ; remonter jusqu’aux faits palpables, aux expériences premières, aux événements simples dans lesquels les éléments de la notion sont inclus ; en retirer ces précieux filons sans omission ni mélange ; recomposer avec eux la notion, fixer son sens, déterminer sa valeur ; remplacer l’idée vague et vulgaire de laquelle on est parti par la définition précise et scientifique à laquelle on aboutit et le métal impur qu’on a reçu par le métal affiné qu’on obtient : voilà la méthode générale que les philosophes enseignent alors sous le nom d’analyse et qui résume tout le progrès du siècle  Jusqu’ici et non plus loin ils ont raison : la vérité, toute vérité est dans les choses observables et c’est de là uniquement qu’on peut la tirer ; il n’y a pas d’autre voie qui conduise aux découvertes. — Sans doute l’opération n’est fructueuse que si la gangue est abondante et si l’on possède les procédés d’extraction ; pour avoir une notion juste de l’État, de la religion, du droit, de la richesse, il faut être au préalable historien, jurisconsulte, économiste, avoir recueilli des myriades de faits et posséder, outre une vaste érudition, une finesse très exercée et toute spéciale.

1388. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXVI » pp. 413-441

— À quoi bon m’étaler cette bizarre école Du mauvais sens, dis-tu, prêché par une folle ? […] Enfin le poète suppose à sa précieuse une docte demeure, toujours ouverte aux beaux esprits, où se tiennent les bureaux du faux bel esprit, où s’étale une école de mauvais sens prêché par une folle ; aucun de ces traits n’est applicable à madame Deshoulières, qui n’était point une folle, qui ne tenait point école, qui n’avait point de maison, point de cercle, qui était fort pauvre, allait dans le monde chercher le monde, et passait une grande partie de son temps à l’hôtel de Nevers. […] Elle parle aussi dans la même lettre d’une lecture que Boileau doit faire chez ce même cardinal, de son Lutrin et de sa Poétique, il faut que nos commentateurs se croient bien supérieurs en intelligence à cette bonne madame de Sévigné, pour se persuader qu’il leur était réservé de découvrir, à près de deux siècles de distance, une malveillance dont elle était l’objet, et dont elle ne se doutait pas, et pour pénétrer le sens et l’intention d’écrits dirigés contre elle, dont elle avait la sottise d’approuver le fond et la forme et d’aimer les auteurs.

1389. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XIII »

Il peut s’emparer hardiment d’une maladie des sens ou de l’âme, en scruter les plaies, en analyser les ressorts, compléter, par une étude hardie et profonde, la science de la vie à laquelle rien de ce qui est humain ne doit rester étranger. […] Le haut fumet de corruption qu’elle exhale monte à sa tête, enivre ses sens. […] Son coeur est stérile, ses sens sont glacés. « Ô ma hien-aimée !

1390. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires et correspondance de Mallet du Pan, recueillis et mis en ordre par M. A. Sayous. (2 vol. in-8º, Amyot et Cherbuliez, 1851.) — II. » pp. 494-514

Ce qui frappe Mallet aux diverses époques de notre Révolution, surtout pendant la période qui suit la Terreur, et au lendemain des nouvelles rechutes (telles que le 13 Vendémiaire, le 18 Fructidor), c’est l’absence complète d’opinion et d’esprit public, dans le sens où on l’entend dans les États libres : L’esprit public proprement dit, écrit-il le 28 janvier 1796, est un esprit de résignation et d’obéissance ; chacun cherche à se tirer, coûte que coûte, c’est-à-dire par mille bassesses infâmes, de la détresse générale. […] Il est difficile d’avoir l’esprit plus juste, plus formé, plus éclairé, de mieux parler, de montrer plus de sens, de connaissances, une politesse plus attirante et plus simple. […] sa conviction, toute sa moralité et sa personne même étant engagées dans les conseils qu’il donnait, il demandait sinon qu’on les suivît à la lettre, au moins qu’au même moment on n’agît point dans un sens directement contraire.

1391. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le surintendant Fouquet. (Article Fouquet, dans l’Histoire de Colbert, par M. P. Clément.) 1846. » pp. 294-312

Fouquet, comme Retz, était d’ailleurs un personnage aimable, séduisant, doué de qualités brillantes et de ressources infinies ; d’un génie vaste, en prenant le mot vaste dans le sens de défaut, embrassant trop de choses à la fois, mais d’une âme élevée, d’un cœur libéral et généreux, aisément populaire. […] Il n’avait songé d’abord qu’à éloigner le surintendant des affaires ; mais le voyant si plein de projets et d’humeur si inquiète, si empressé à se faire des amis, à s’étendre en crédit dans tous les sens, fortifiant Belle-Isle en Bretagne en même temps qu’il décorait si royalement sa terre de Vaux, il jugea qu’il fallait faire sur lui un exemple et ne pas laisser renaître un seul instant ces velléités, ces réminiscences encore récentes de la Fronde. […] C’est là le sens et le résumé de ce que dit en style plus périodique le très habile Pellisson.

1392. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « La Fontaine. » pp. 518-536

Si le règne de Fouquet avait duré, il eût été à craindre que le poète ne s’y relâchât et ne se laissât aller en tous sens aux pentes, aux fuites trop faciles de sa veine. […] Quand on a lu le Roman de Renart et les fabliaux du Moyen Âge, on comprend que déjà La Fontaine est là tout entier, et en quel sens on peut dire qu’il est notre Homère. […] Réduisant l’opinion de M. de Lamartine à son véritable sens, j’y cherche moins encore une erreur de son jugement qu’une conséquence de sa manière d’être et de sentir.

1393. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre II : Philosophie politique de Tocqueville »

Pour lui, rien n’était isolé, tout fait particulier s’animait, parlait, prenait une physionomie et un sens. […] C’était là, comme il le dit lui-même dans une lettre à M. de Kergorlay, « la plus vitale de ses pensées… Indiquer, s’il se peut, aux hommes ce qu’il faut faire pour échapper à la tyrannie et à l’abâtardissement en devenant démocratiques, telle est l’idée générale dans laquelle peut se résumer mon livre… Travailler en ce sens, c’est à mes yeux une occupation sainte. » Ce n’est pas seulement la liberté de l’individu, la liberté de la pensée, la liberté de la commune, que Tocqueville croyait menacées dans les sociétés démocratiques, c’est encore la liberté politique. […] Nous ne devons pas tendre à nous rendre semblables à nos pères, mais nous efforcer d’atteindre l’espèce de grandeur qui nous est propre. » Un de ses amis les plus intimes, M. de Corcelles, avait paru comprendre son livre dans un sens trop défavorable à la démocratie.

1394. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XII : Pourquoi l’éclectisme a-t-il réussi ? »

On s’était trouvé panthéiste en 1828, très-mauvais chrétien98, jusqu’à considérer le christianisme comme un symbole dont la philosophie démêle le sens, bon pour le peuple, simple préparation à une doctrine plus claire et plus haute. […] On essaya de donner un sens tolérable à celles qui n’étaient que douteuses. […] Le double sens du mot destinée.

1395. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE STAEL » pp. 81-164

Toutes les facultés de Mme de Staël reçurent du violent orage qu’elle venait de traverser une impulsion frémissante, et prirent dans tous les sens un rapide essor. […] Quel qu’ait pu être, en effet, le mélange inévitable de son salon, comme de tous les salons à cette époque bigarrée, les vœux manifestes qu’elle formait n’étaient pas dans un autre sens que l’honorable et raisonnable tentative de l’établissement de l’an III. […] Les articles de Fontanes eurent grand éclat et excitèrent les passions en sens opposé. […] Bailleul et M. de Bonald firent à ce sujet des brochures en sens contraire ; il y eut d’autres brochures encore. […] A la page 386, dans un journal de lecture de cet estimable Hollandais, on lit un morceau plein de sens intitulé : De certaines hardiesses de style reprochées à Mme de Staël.

1396. (1895) Les mercredis d’un critique, 1894 pp. 3-382

On applaudit… “À une autre… À une autre… Le numéro suivant… Non, pas celle-là…” On tourne tous les brancards dans le même sens. […] « Je sens que mon tour approche. […] J’entends un cliquetis d’instruments et je sens, tout près de moi, l’épouvantable odeur du chloroforme. […] tu n’as pas un sourire pour elle, pas un désir ne s’élève en tes sens pour son beau corps ? […] Je sens bien de hautes pensées dans le livre de M. 

1397. (1878) Nos gens de lettres : leur caractère et leurs œuvres pp. -316

Sainte-Beuve manque-t-il de sens moral ? […] Eh bien, cette étendue, cette impartialité de regard, beaucoup vous en font un crime : votre sagesse est un manque de sens moral. […] Ce fut une possession instantanée, une possession dans le sens ecclésiastique. […] Le motif de ma volte-face, le voici : je suis mécontent, je me sens humilié, parce que M.  […] que nos fondateurs de Revues ont peu le sens de leur pays !

1398. (1896) Impressions de théâtre. Neuvième série

Ce que je sens chez Tchâroudatta, Vasantasena et Çarvilaka, c’est une sorte de dilettantisme miséricordieux. […] Et maintenant je me sens bien à l’aise. […] Cas plus curieux, à mon sens, que celui de Lanspessade C’est sur ce dernier que l’auteur a porté presque tout son effort. […] Ce sujet est, en un sens, plus grand que ceux mêmes où Pierre Corneille s’arrêtait de préférence. […] Ce coup de revolver est, à mon sens, le plus comique, le plus ironique, le plus farce qui ait jamais été tiré au théâtre.

1399. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [1] Rapport pp. -218

Ce n’est pas sans raison que j’écris ce mot « ennui », en l’employant dans son sens moderne. […] Certes, sa pensée fut merveilleusement étendue, mais dans le seul sens et vers les seuls lointains où il entendait la diriger. […] Un instant les poètes purent croire que c’en était fait de l’opérette, et du vaudeville, et de l’école du Bon Sens ; qu’ils allaient reconquérir la foule. […] systématique, ne signifiaient pas leur sens propre, qu’avait abouti un si long effort continu de pensée ? […] Imaginée on ne sait plus par qui, — car les sots disparaissent vite, ne se remontrent que pour dire : je vous assure que ce n’est pas moi, — quelques jours acceptée, non sans un dandysme qu’ils regrettèrent bientôt, par deux ou trois poètes jeunes alors, cette épithète : décadent, est parfaitement stupide, n’a aucun sens, ne saurait avoir aucun sens.

1400. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Lautrec, Gabriel de (1867-1938) »

Thomas Braun Tour à tour héroïque, légendaire, philosophe ou gamin, M. de Lautrec traverse la vie, une badine à la main, déjouant ses combinaisons, interprétant son sens occulte.

1401. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des romans — Préface de « L’Homme qui rit » (1869) »

Le patriciat anglais, c’est le patriciat, dans le sens absolu du mot.

1402. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre III. Combinaison des deux éléments. »

. — Quand même on aurait osé les noter, on n’en aurait pas démêlé le sens et la portée. […] Autour de cette idée centrale se reforme la doctrine spiritualiste  Un être si noble ne peut pas être un simple assemblage d’organes ; il y a en lui quelque chose de plus que la matière ; les impressions qu’il reçoit par les sens ne le constituent pas tout entier. « Je ne suis pas seulement un être sensitif et passif413, mais un être actif et intelligent, et, quoi qu’en dise la philosophie, j’oserai prétendre à l’honneur de penser. » Bien mieux, ce principe pensant est, en l’homme du moins, d’espèce supérieure. « Qu’on me montre un autre animal sur la terre qui sache faire du feu et qui sache admirer le soleil. […] « La loi naturelle… consiste tout entière en faits dont la démonstration peut sans cesse se renouveler aux sens et composer une science aussi précise, aussi exacte que la géométrie et les mathématiques. » 404. […] Sens-tu s’allumer dans tes veines un feu secret à l’aspect d’un objet charmant ? […] Confessions , Livre I, I, et fin du Ve livre. — Première lettre à M. de Malesherbes. « Je connais mes grands défauts, et je sens vivement tous mes vices.

1403. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXIXe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Le drame de Faust par Goethe (2e partie) » pp. 161-232

Et là, là, plus bas que ton cœur, Ne sens-tu pas déjà dans ton sein Remuer quelque chose qui en s’agitant T’agite aussi toi-même ? […] Je peux assoupir les sens du geôlier ; empare-toi de la clef de la prison pendant sa léthargie. […] Si tu sens que c’est moi, viens donc ! […] « Des exclamations un peu légères du père sur la beauté séduisante de l’étrangère amenée par son fils blessent le pudique orgueil de la jeune fille ; ne sachant pas le sens que le père donne à ses paroles, et croyant qu’on offense ainsi en elle la domesticité chaste à laquelle elle se croit encore destinée, elle se tient immobile et triste ; une rougeur subite colore son cou et son visage ; elle reproche doucement au vieillard de n’avoir pas assez de pitié envers celle qui franchit le seuil de la porte d’une maison étrangère pour y servir. […] ” « Le pasteur explique tout à la jeune fille et restitue le véritable sens aux propos mal compris du père.

1404. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIVe entretien. Madame de Staël. Suite »

« Le cygne : Ma vie tranquille se passe dans les ondes, elle n’y trace que de légers sillons qui se perdent au loin, et les flots à peine agités répètent comme un miroir pur mon image sans l’altérer. » « L’aigle : Les rochers escarpés sont ma demeure, je plane dans les airs au milieu de l’orage ; à la chasse, dans les combats, dans les dangers, je me fie à mon vol audacieux. » « Le cygne : L’azur du ciel serein me réjouit, le parfum des plantes m’attire doucement vers le rivage, quand, au coucher du soleil, je balance mes ailes blanches sur les vagues pourprées. » « L’aigle : Je triomphe dans la tempête quand elle déracine les chênes des forêts, et je demande au tonnerre si c’est avec plaisir qu’il anéantit. » « Le cygne : Invité par le regard d’Apollon, j’ose me baigner dans les flots de l’harmonie ; et reposant à ses pieds, j’écoute les chants qui retentissent dans la vallée de Tempé. » « L’aigle : Je réside sur le trône même de Jupiter : il me fait signe et je vais lui chercher la foudre ; et pendant mon sommeil, mes ailes appesanties couvrent le sceptre du souverain de l’univers. » « Le cygne : Mes regards prophétiques contemplent souvent les étoiles et la voûte azurée qui se réfléchit dans les flots, et le regret le plus intime m’appelle vers ma patrie, dans le pays des cieux. » « L’aigle : Dès mes jeunes années, c’est avec délices que dans mon vol j’ai fixé le soleil immortel ; je ne puis m’abaisser à la poussière terrestre, je me sens l’allié des dieux. » « Le cygne : Une douce vie cède volontiers à la mort : quand elle viendra me dégager de mes liens et rendre à ma voix sa mélodie, mes chants jusqu’à mon dernier souffle célébreront l’instant solennel. » « L’aigle : L’âme, comme un phénix brillant, s’élève du bûcher, libre et dévoilée ; elle salue sa destinée future, le flambeau de la mort la rajeunit en la consumant. » XLVIII Mais rien ne surpasse son analyse et sa traduction du drame de Faust, par Gœthe, et cette scène à laquelle ni l’antiquité ni Shakespeare n’ont de scène tragique à opposer. […] Je me sens entraînée vers toi, et il me semble que tu me repousses avec violence ; cependant tes regards sont pleins de tendresse et de bonté. […] Reprends tes sens ; encore un pas, et tu n’as plus rien à craindre. […] « Les preuves de la spiritualité de l’âme ne peuvent se trouver dans l’empire des sens, le monde visible est abandonné à cet empire ; mais le monde invisible ne saurait y être soumis ; et si l’on n’admet pas des idées spontanées, si la pensée et le sentiment dépendent en entier des sensations, comment l’âme, dans une telle servitude, serait-elle immatérielle ? Et si, comme personne ne le nie, la plupart des faits transmis, les sens sont sujets à l’erreur, qu’est-ce qu’un être normal qui n’agit que lorsqu’il est excité par des objets extérieurs et par des objets même dont les apparences sont souvent fausses ?

1405. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « III »

C’est une hypocrisie dont nous souffrons, dont nous rougissons et que nous renierons, si le titre de wagnéristes a bien le sens de disciples de la vérité. […] Les documents fournis par la première sont évidemment antérieurs à ceux déduits de la seconde ; mais, à notre sens, on arrive à concilier très bien ces deux sources en considérant comme il suit la formation du cycle. […] Adoptée par ce peuple éminemment poétique, elle s’est beaucoup développée, mais dans un sens guerrier, presque national, médiocrement religieux. […] « Nous reconnûmes bientôt la nécessité, dit-il, de relever les mouvements plastiques en leur donnant un rythme. » Comme le grand éloignement qui se trouve entre l’acteur et le spectateur est supprimé dans le théâtre de Bayreuth (voir plus haut), le premier peut exprimer les mouvements expressifs des émotions intérieures, qui sont alors visibles pour le spectateur. — Aux gestes exagérés des bras, qu’il reprochait à l’instant aux acteurs, Wagner oppose des mouvements plus modérés : « Nous pensâmes, dit-il, qu’une simple élévation du bras ou un mouvement caractéristique de la main ou de la tête, suffirait à exprimer les émotions de l’acteur. » A cette immobilité contre nature du chanteur, à cette situation étrange où se trouvent les acteurs, dans les ensembles des opéras, a cette nécessité enfin de parler devant le public ou de se dérober aux trois-quarts à sa vue, Wagner remédie par une simple attitude, basée sur l’observation de la nature : « Nous tirâmes, dit-il, de la passion même du dialogue le changement de poses que nous cherchions : nous avions observé que les accents les plus pathétiques de la fin d’une phrase donnaient lieu naturellement à un mouvement de la part du chanteur. « En effet, la force de l’expression se porte toujours à la fin d’une phrase, et, même dans la conversation ordinaire, nous faisons involontairement un geste pour ponctuer en quelque sorte le sens de notre discours (tome X, 389 et sq.) « Ce mouvement fait faire à l’acteur un pas en avant et, en attendant la réponse, il tourne à demi le dos au public ; ce mouvement le montre en plein à son partenaire : celui-ci, en commençant sa réponse, fait aussi un pas en avant, et, sans être détourné du public, il se trouve face à face avec le premier. » Ce jeu de scène paraîtra bien simple et indigne d’explication à nos critiques qui n’y verront « qu’un truc » comme un autre. […] Le décor examiné, nous allons passer su premier degré de mimique, la première perceptible à l’œil, la plus accessible aux sens.

1406. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « H. Forneron » pp. 149-199

C’est, dans le meilleur sens d’un mot que je n’aime point : « un libre esprit », mais ce libre esprit a ses dominations que j’aime. […] Malheureusement, dans une histoire où le Catholicisme tient une si grande place qu’il semble tenir toute la place, il faudrait le sens profond et nécessaire du Catholicisme, et il manque à Forneron. […] C’est le même esprit, le même sens politique élevé et fort que j’ai distingué et vanté dans les Ducs de Guise ; mais ce n’est pas plus ici que là l’historien religieux qui, dans cette histoire suprêmement religieuse, devrait primer l’historien politique et le faire passer derrière lui. […] Mais il fut un roi catholique, ou plutôt le roi catholique, dans le sens le plus incompatible, le plus impérieux, le plus absolu. […] Ce livre a la puissance personnelle des facultés qui font le talent, mais il a l’impuissance de son siècle, — d’un siècle à qui manque radicalement le sens des choses religieuses, et il en faut au moins la connaissance et la compréhension pour en parler dans une histoire où elles tiennent une si grande place.

1407. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre VIII. Utilité de l’étude du plan et de la composition des ouvrages qu’on lit »

Utilité de l’étude du plan et de la composition des ouvrages qu’on lit Pour se bien pénétrer des conseils qui viennent d’être donnés, et en bien saisir le sens et l’application, il serait bon de s’habituer à connaître l’ordonnance et la composition des ouvrages qu’on lit : disséquez, réduisez à la substance essentielle, dressez des plans, des tables de matières.

1408. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article » p. 185

Outre qu’il est le premier qui ait fait passer dans notre Langue tout ce qui existe des Ouvrages de cet Orateur, dont on n’avoit encore traduit que dix ou douze Harangues ; il a rendu avec une exactitude singuliere le sens de l’original.

1409. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre V. Swift. » pp. 2-82

Il a gardé un souvenir confus des termes depuis qu’il a quitté l’université, mais il a perdu la moitié de leur sens, et les met ensemble sans autre motif que leur cadence, comme ce domestique qui clouait des cartes de géographie dans le cabinet d’un gentleman, quelques-unes en travers, d’autres la tête en bas, pour mieux les ajuster aux panneaux974. » Quand il juge, il est pire que quand il prouve ; témoin son court portrait de lord Wharton. […] Il est dépourvu du sens de la gloire et de la honte, comme quelques hommes sont dépourvus du sens de l’odorat ; c’est pourquoi une bonne réputation est pour lui aussi peu de chose qu’un parfum précieux serait pour eux. […] Un des frères ne goûta pas cela à cause de cette épithète d’argent, qui, dans son humble opinion, ne pouvait pas, du moins en langage ordinaire, être raisonnablement appliquée à un manche à balai ; mais on lui répliqua que cette épithète devait être prise dans le sens mythologique et allégorique. […] sur quoi il fut arrêté court, comme parlant irrévérencieusement d’un mystère, lequel certainement était très-utile et plein de sens, mais ne devait pas être trop curieusement sondé ni soumis à un raisonnement trop minutieux1006. » À la fin, le frère scolastique s’ennuie de chercher des distinctions, met le vieux testament dans une boîte bien fermée, autorise par la tradition les modes qui lui conviennent, puis, ayant attrapé un héritage, se fait appeler Mgr Pierre. […] Hérodote, précisément avec les mêmes hiéroglyphes, parle bien plus clairement et presque in terminis ; il a eu l’audace de taxer les vrais critiques d’ignorance et de malice, et de le dire ouvertement, car on ne peut trouver d’autre sens à sa phrase : que dans la partie occidentale de la Libye, il y a des ânes avec des cornes1010. » Les sanglants sarcasmes arrivent alors par multitude.

1410. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre V. La philosophie. Stuart Mill. »

. —  Sens et portée de l’axiome des causes. […] Sans doute on vous apprend par là le sens d’un nom, mais on vous apprend encore bien autre chose. […] Et la raison en est visible ; car ce fait que j’aperçois par les sens ou la conscience n’est qu’une tranche arbitraire que mes sens ou ma conscience découpent dans la trame infinie et continue de l’être. […] Nous pouvons maintenant comprendre la vertu et le sens de cet axiome des causes qui régit toutes choses, et que Mill a mutilé. […] C’est qu’avec un sens profond de notre puissance, ils n’ont point eu la vue exacte de nos limites.

1411. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — T — Tastu, Amable (1798-1885) »

Sainte-Beuve Il y a dans la manière de Madame Tastu la nuance d’animation ménagée ; la blanche pâleur, si tendre et si vivante, où le vers est, pour la pensée, comme le voile de Saphoronie, sans trop la couvrir et sans trop la montrer ; la grâce modeste qui s’efface pudiquement d’elle-même, et enfin cette gloire discrète, tempérée de mystère qui est, à mon sens, la plus belle pour une femme-poète.

1412. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » p. 449

Son Traité des Sens, surtout, est plein d’idées neuves, profondes, & propres à faire sentir qu’il eût pu s’illustrer dans les Lettres, s’il s’y fût uniquement dévoué.

1413. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — E. — article » p. 248

M. l’Abbé d’Espagnac, son fils, Chanoine de l’Eglise de Paris & Grand Vicaire de Sens, s’est fait connoître dans la République des Lettres, par un Ecrit peu réfléchi sur le Ministere du fameux Suger, dont quelques Critiques ont relevé les défauts avec trop d’amertume.

1414. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 495-496

PERRON, [Jacques Davi du] Cardinal, Archevêque de Sens, né à Berne en 1556, mort à Paris en 1618.

1415. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 87-88

On pourroit le regarder comme un bon Traducteur, si la fidélité à rendre le sens de son original étoit la seule qualité nécessaire à quiconque entreprend de faire passer les Poëtes célebres dans une Langue étrangere, sur-tout lorsqu'il s'agit d'une Traduction en Vers.

1416. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Roland de la porte » p. 203

Il est très-bien, mais ces sortes de morceaux ne sont pas la magie noire ; c’est ce qu’ignorent ceux qu’ils attirent par l’illusion qu’ils font au sens de la vue.

1417. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Conclusion de ce livre » p. 247

Nous pouvons conclure par le principe dont la démonstration était l’objet de ce livre : Les poètes théologiens furent le sens, les philosophes furent l’intelligence de la sagesse humaine.

1418. (1890) Impressions de théâtre. Quatrième série

Je vais essayer de le faire pour la troisième partie : mais je sens bien d’avance tout ce que j’en retirerai malgré moi. […] … Et je sens mieux maintenant tout ce qu’il y a de chinois dans ma querelle avec mon maître. […] Elle l’a aimé avec ses sens et — qui sait ? […] Mais ne nous plaignons pas, il y a dans ce drame bien de l’adresse et de l’ingéniosité et un vrai sens du théâtre. […] Tout de suite je me sens vendu, corrompu, suborné, et, dès avant le lever du rideau, j’appartiens pieds et poings liés à l’auteur.

1419. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Appendice. »

Mais vous me reprochez vous-même d’avoir fait uu poërne, d’avoir été classique dans le mauvais sens du mot, et vous me battez avec les Martyrs ! […] J’en excepte les noms de monnaie, de mesure et de mois que le sens de la phrase indique. […] Je le sais, ou plutôt je le sens. […] Un moine sincère, ardent, fier et humble à la fois, est, à mon sens, quelque chose de plus qu’un académicien à demi politique.

1420. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite et fin.) »

J’ai beau plaider pour tout ce qui rapproche et concilie ; je le sens et je le reconnais, il y a une limite qu’on ne franchit pas. […] Je sens que bientôt il faudra finir, avant que, flétri par la vieillesse, ou d’ennui et par anticipation, la triste solitude ne vienne fermer la boutique. […] D’autres tableaux de lui, vers la fin, purent marquer un pas de plus en ce sens religieux. […] Fortifie toi sans doute, orne toi, s’il se peut, des dons qui te manquent ; aspire à toute l’imagination que tu n’as pas ; acquiers, acquiers ; fais-toi des seconds ciels, des ciels d’Homère ou des ciels de Dante, des lueurs étranges à l’horizon, des visions et des visées plus hautes, des profondeurs en tout sens : si tu peux y atteindre, tant mieux !

1421. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

En jouir sans qu’elle y trouve du plaisir serait de plus une jouissance bien incomplète, et je ne me sens pas l’énergie d’aimer pour moi-même. […] Sainte-Beuve pour n’avoir pas présenté autrement le tableau des faits, et dans un sens purement favorable à l’armée. Il lui reproche en un mot, et pour résumer le sens de sa lettre, d’avoir trop pris parti pour l’émeute. […] Je vous remercie d’une larme de pitié qui vous vient aux yeux pour moi, et du serrement de cœur fraternel que sa perte vous cause, je le sens !

1422. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « L’Académie française »

Ces discussions donnent lieu à des joutes de parole, développées, agréables, solides pourtant, véritablement académiques dans le meilleur sens du mot. […] Les choix que l’Académie a faits en ce sens lui ont peu réussi. […] Plus l’Académie sera réservée en ce sens ecclésiastique, et plus sagement elle fera. […] … J’y ai beaucoup pensé, disait-il ; je n’ai jamais pu en saisir le sens avec certitude. » Montesquieu garda un moment le silence et répondit : « Pour faire de grands ouvrages, deux choses sont nécessaires, un père et une mère, le génie et la liberté… Mon ouvrage a manqué de cette dernière. » Noble et fière réponse !

1423. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Chateaubriand, Mémoires »

Et puis, comme dans le Louis XIV, un fonds de droit sens mêlé même au faste, de la mesure et de la proportion dans la grandeur. […] Cette faculté d’indignation honnête, ce sens d’énergie palpitante et involontaire que rien n’attiédit, et qui se fait jour, après des intervalles, à travers le factice des diverses positions, est une marque distinctive de certaines âmes valeureuses, et constitue une forte portion de leur moralité. […] En lisant l’Essai, on y voit quelles connaissances nombreuses, indigestes, avait su amasser le jeune émigré ; quelle curiosité érudite et historique le poussait à la fois sur tous les sujets qu’il a repris dans la suite ; quelle préoccupation littéraire était la sienne ; quel souci de style, et d’exprimer avec saillie, avec éclat, tout ce qui en sens divers était éloquemment exprimable ; quel respect empressé pour tout ce qui avait nom d’homme de lettres, pour Flins, par exemple, qu’il cite entre Simonide et Sanchoniaton. […] À ce collége de Dol, la troisième année de séjour fut marquée par la révolution d’âme et de sens qu’amena la puberté.

1424. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIVe entretien. Mélanges »

Le but était de m’offrir des articles purement politiques à rédiger ; mais le sens principal de cette Revue était de combattre les principes de l’Église gallicane comme attentatoires à la liberté du souverain pontife et à la spontanéité de la foi catholique en France. […] L’abbé de Lamennais parla dans le sens contraire, ainsi que M. de Bonald et M. de Genoude. […] IX Mais alors je cherchai de l’œil avec anxiété tous les hommes de popularité honnête et de confiance libérale, capables d’influencer le peuple par leurs exemples et par leurs écrits dans le sens de la modération et de l’ordre. […] On sait comment il mourut, luttant contre les opinions religieuses pour lesquelles il avait écrit plus jeune, martyr du doute pour avoir trop affirmé dans tous les sens ; on ne put l’accuser, du moins, d’une mort intéressée, car il mourut avec constance dans son incrédulité.

1425. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis (suite) »

Bannis de ton cœur la vaine espérance ; que la partie plus noble et plus calme reprenne son empire sur tes sens ; armée d’une force irrésistible et d’une prudence plus grande, qu’elle soumette à ses lois tout désir contraire à sa volonté, et que ton funeste ennemi, désormais terrassé, n’ose plus dresser contre toi sa tête venimeuse. » C’est ainsi qu’il méditait en vers longtemps avant l’époque des Méditations. […] Son début était frappant et son regard plein d’expression ; je commençai à m’intéresser sérieusement à ce qu’il allait dire. — Il commence ; je suis attentif : une voix sonore, des expressions choisies, des sentiments élevés. — Il établit les divisions de son sujet : je les saisis sans peine ; rien d’obscur, rien d’inutile, rien de fade et de languissant. — Il développe ses arguments ; je me sens embarrassé. — Il réfute le sophisme, et mon embarras se dissipe. — Il amène un récit analogue au sujet ; je me sens intéressé. — Il module sa voix en accents variés qui me charment. — Il se livre à une sorte de gaieté ; je souris involontairement. — Il entame une argumentation sérieuse ; je cède à la force des vérités qu’il me présente. — Il s’adresse aux passions ; les larmes inondent mon visage. — Il tonne avec l’accent de la colère ; je frémis, je tremble ; je voudrais être loin de ce lieu terrible. » « Valori nous a laissé, sur les sujets particuliers qui occupaient l’attention de Laurent et de ses amis dans leurs entrevues au couvent de San-Gallo, des détails qu’il tenait de la bouche de Mariano lui-même. […] s’écrie cette femme énergique en montrant son sein à la multitude ; il me reste des sens capables d’en avoir d’autres. » On vint à son secours, et sa générosité courageuse sauva sa patrie et ses jeunes fils.

1426. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre deuxième »

On commença par toute la France, dit un des biographes de Rabelais47, à chercher le sens caché de ces livres de « haute graisse, légers au pourchas et hardis à la rencontre », que Rabelais compare à de petites boîtes « peintes au-dessus de figures joyeuses et frivoles, et renfermant les fines drogues, pierreries et autres choses précieuses. » Ce fut à qui romprait « l’os rnedullaire », pour y trouver « doctrine absconse, laquelle », disait Rabelais, « vous revelera de très-hauts sacrements et mystères horrifiques, tant en ce qui concerne nostre religion qu’aussi l’estat politique et vie oeconomique48. » Cette recherche mécontenta les catholiques ; Rabelais ne leur avait rien épargné de ce qui pouvait se dire, jusques au feu exclusivement ; elle désappointa les partisans des idées nouvelles, que Rabelais n’attaquait pas, mais qu’il défendait encore moins. […] Il est sans doute intéressant de chercher quel a été le but d’un auteur, et par quelle diversité de chemins il y est arrivé ; mais si l’on s’opiniâtrait à demander à Rabelais le sens général de son livre, on risquerait de ne pas apercevoir le sens des détails, dont chacun a été tour à tour l’unique objet et le seul plan de l’auteur. […] Certains critiques, en voulant trouver le sens historique de l’ouvrage de Rabelais et expliquer toutes ses énigmes, ont ajouté à ses obscurités celles de leurs propres contradictions.

1427. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 janvier 1886. »

On abuse aujourd’hui du mot de pessimisme, qui, pour beaucoup de personnes, est un terme d’opprobre sans signification précise, que d’autres appliquent indifféremment à une théorie philosophique et à un état moral ; dans ce dernier sens, on peut qualifier Lohengrin d’œuvre pessimiste, par excellence. — Or, la foi, l’affirmation, exigent un effort ; affirmer est toujours créer ; le doute n’exige que l’abstention d’une faculté. […] L’évolution se poursuit en ce sens, et, un siècle plus tard, les rôles sont distribués d’une façon précise qui ne souffre plus d’interversion ; le chant se range décidément à l’aigu et l’accompagnement au grave. […] Sa simplicité lui donne un sens très précis, et cette précision même, qui en fait l’accord obligé de toute cadence finale, devient un obstacle à son emploi. […] Sans doute le personnage en scène peut avoir à conclure un long discours ; dans ce cas, il aura recours à la formule précitée ; mais, tandis qu’il fera avec la voix ce saut caractéristique de la dominante à la tonique, l’orchestre, lui, qui selon la définition de Wagner, « entretient le cours interrompu de la mélodie », l’orchestre ne portera pas trace de cette cadence parfaite, et poursuivra sa route en modulant par une cadence rompue, ou par l’introduction d’un accident quelconque, propre à modifier le sens harmonique.

1428. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre troisième. La reconnaissance des souvenirs. Son rapport à l’appétit et au mouvement. »

Notre activité se sent couler dans un lit tout fait ; notre pensée rencontre un cadre tout préparé à la recevoir : l’image présente, et en ce sens nouvelle, se trouve remplir une sorte de vide intérieur dont nous avions le sentiment, et c’est ce sentiment vague que nous appelons attente. […] Ce sont en effet les fibres qui établissent des relations entre les diverses cellules ; or, l’intelligence porte surtout sur des relations : elle doit avoir pour principal organe ces fibres, ces canaux de communication où le sens intime, se rapprochant de l’état d’indifférence et s’exerçant sur des termes, devient entendement. […] Supposons, avec Pascal, un homme devenu machine en tout un homme dont les sens seraient entièrement fermés aux impressions nouvelles, dont la conscience même serait close à tout état nouveau, idée, image, sentiment ou désir, « les séries d’états de conscience et de souvenirs auxquelles cet homme serait réduit finiraient à la longue, dit Th. […] Mais dès qu’elle a été capable de laisser un résidu, de constituer dans l’animal une mémoire au sens psychique, qui a capitalisé son passé au profit de son avenir, une chance nouvelle de survie s’est produite.

1429. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre septième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie. »

C’est en ce sens qu’on pourrait soutenir qu’il n’est peut-être pas mauvais que le poète se fasse illusion à lui-même, finisse par se croire au même degré l’auteur de certaines pensées et de la forme qu’il leur a donnée. […] Et son sens immortel, par la mort transformé. […] A cause de l’espérance, qui est la source de toutes nos lâchetés… Pourquoi ne pas dire : — Je sens sur ma tête le poids d’une condamnation que je subis toujours, ô Seigneur ; mais, ignorant la faute et le procès, je subis ma prison. […] en rêvant à vide            Contre un barreau, Je sens quelque chose d’humide            Sur le carreau.

1430. (1898) Les personnages de roman pp. 39-76

Les feuilletonistes montrent ainsi un sens très exact de la psychologie populaire. […] Elle est dans l’emploi exclusif des termes usuels qui forment le vocabulaire paysan, dans la coupe des phrases, qui doivent être brèves, très pleines de sens, et ne jamais former une période. […] Est-il possible de ne pas sentir que la minutieuse exactitude des détails humains ne suffit pas pour exprimer un rôle et une vie qui n’ont de sens qu’autant qu’ils sont, par un certain côté, divins ? […] Une plume si fine et si chaste, la faculté de comprendre et d’exprimer entièrement le sens de ces mots qui nous sont mal connus : le silence, le recueillement, le voile, l’oraison.

1431. (1879) L’esthétique naturaliste. Article de la Revue des deux mondes pp. 415-432

Ici l’on nous montre un homme qui vit de ressources inavouées, il exploite au profit de sa paresse les sens maladifs de créatures déchues. […] La littérature s’était appliquée jusqu’ici à montrer les ravages de la passion et les désordres s’accomplissant dans la conscience, les luttes du moi intérieur, les tentations, les faiblesses, les entraînements et les remords ; on nous étale aujourd’hui les troubles et les révoltes des sens, on nous montre la domination tyrannique des tempéraments, l’humanité esclave de la chair. […] Delaplanche, je sens qu’il y a là une façon saine et robuste de regarder la nature ; il me semble pressentir là comme un art nouveau, plein d’espérances et de promesses, original sans renier les traditions, déjà grand et qui doit grandir encore ; celui-là fortifie les cœurs et les intelligences. […] Ils seront des naturalistes au sens vrai du mot, des observateurs de la réalité, mais occupés d’autre chose que de décrire les verrues des visages ou d’observer complaisamment de vilains cas pathologiques.

1432. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » p. 134

M. de Lignac a encore composé, contre les Fatalistes modernes, un Ouvrage très-bien raisonné, intitulé, Témoignage du sens intime & de l’expérience, &c.

1433. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Coppée, François (1842-1908) »

Il y faut une grande dextérité de main, un tact sûr, un sens raisonnable. […] Moins politique que Béranger ; moins subtil et moins précieux, moins alambiqué que Sainte-Beuve ; plus sincère, comme connaissant mieux les choses dont il parlait, les ayant observées de plus près, plus attentivement, les goûtant, les aimant davantage, il a vraiment, en ce sens, étendu le champ de la poésie contemporaine ; il y a comme acclimaté des sujets qu’on en croyait indignes pour leur simplicité ; et il a surtout, en les traitant, presque toujours évité l’écueil du prosaïsme ou celui de l’insignifiance.

1434. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XXI. Le littérateur chez les peintres » pp. 269-282

Le plus louable critique, en ce sens, demeurera Huysmans, qui, il y a douze et quinze ans, sonnait la gloire d’artistes qu’on croit trop, ici ou là, avoir découverts hier… Ces bons écrivains pratiquent la bonne méthode ; avec le minimum de préjugés, ou avec des préjugés qui me plaisent, ils disent le sentiment qui devant tel tableau les retint ; leur dire vaut par la délicatesse de leur tact, et la grâce de leurs racontars les plus philosophes intercalent quelques théories d’ensemble, intéressantes puisqu’ils sont intelligents. […] Je ne sens de peinture contemporaine à notre jeunesse que chez les artistes appelés symbolistes, du nom des littérateurs qui les encouragèrent.

1435. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XVI. Miracles. »

Dans un sens général, il est donc vrai de dire que Jésus ne fut thaumaturge et exorciste que malgré lui. […] Le verbe [Greek : daimonan] a aussi, dans toute l’antiquité classique, le sens de « être fou. » 756.

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