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700. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite.) »

C’est ainsi qu’ils doivent apparaître dans les portraits de haut style, peints de souvenir plutôt que d’après la réalité. » On ne saurait mieux marquer ni définir la prétention du haut style par opposition à la réalité vive.

701. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Gavarni. »

La création de l’Institut qui assemblait dans un même lien toutes les branches de l’esprit humain, tous les ordres de savoir et de talents, consacra le fait en principe ; mais qu’il restait encore à faire en pratique et dans la réalité ! […] Il aime assez la vie, il ne la trouve pas mauvaise, il l’a satirisée sans être misanthrope, et seulement parce qu’il ne pouvait s’empêcher de la voir telle quelle est ; mais enfin la vie dans la réalité lui paraît plate ; elle ne lui plaît jamais plus que quand il peut l’animer, la poétiser, la travestir ; il eût été capable de faire, des folies pour cela ; « Mon royaume pour un cheval ! 

702. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier. »

Malgré sa répugnance pour le réel proprement dit et son habitude de tout voir à travers un certain cristal et dans un certain miroir, je le prendrai, pour commencer, dans la réalité et le positif. […] Je n’irai pas chercher dans les œuvres en prose, dans les romans de Théophile Gautier, son autobiographie précise : il pourrait la récuser, et trop d’art s’y mêle à tout moment à la réalité pour qu’on ose se servir sans beaucoup de précaution de cette clef-là.

703. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid (suite.) »

Ils gardent ainsi quelque chose de plus abstrait que dans la pièce espagnole, où ces changements de lieu sont fortement accusés, et que dans la réalité de la vie, où mille particularités du discours avertissent à tout instant de l’endroit précis où l’on est et où l’on parle. […] Ce rôle de l’infante qui, vers la fin, a perdu sa mère, qui n’est pas aimée de son frère, qui voudrait un tout petit royaume à elle, a, dans la pièce espagnole, une réalité qui disparaît dans la réduction analytique de Corneille, et l’on conçoit dès lors que, dans ce système de coupures et d’éviter à tout prix les longueurs, qui est ou était le nôtre, on n’ait pas résisté, bien qu’à tort peut-être, à la tentation de le supprimer.

704. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo en 1831 »

Littérairement, d’ailleurs, nous nous sommes dit qu’écrire ces détails sur un homme bien jeune encore, sur un poëte de vingt-neuf ans, à peine au tiers de la carrière qu’il promet de fournir, ce n’était, pour cela, ni trop tôt ni trop de soins ; que ces détails précieux qui marquent l’aurore d’une belle vie se perdent souvent dans l’éclat et la grandeur qui succèdent ; que les contemporains les savent vaguement ou négligent de s’en enquérir, parce qu’ils ont sous les yeux l’homme vivant qui leur suffit ; que lui-même, avec l’âge et les distractions d’alentour, il revient moins volontiers sur un passé relativement obscur, sur des souvenirs trop émouvants qu’il craint de réveiller, sur des riens trop intimes dont il aime à garder le mystère ; et qu’ainsi, faute de s’y être pris à temps, cette réalité originelle du poëte, cette formation première et continue, dont la postérité est si curieuse, s’évanouit dans une sorte de vague conjecture, ou se brise au hasard en quelques anecdotes altérées. […] De nos jours, les poëtes ont beau faire, la réalité les tient de toutes parts et les envahit ; ils sont, bon gré, mal gré, un objet de publicité : on les coudoie, on les lithographie, on les lorgne à loisir, on a leur adresse dans l’almanach, et ce n’est qu’en vers que l’un d’entre eux a pu dire :  . . . . . . 

705. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LE COMTE XAVIER DE MAISTRE. » pp. 33-63

Tout est de vrai chez lui ; rien du roman ; il copie avec une exacte ressemblance la réalité dans l’anecdote. […] Les Prisonniers du Caucase, par la singularité des mœurs et des caractères si vivement exprimés, semblent déceler, dans ce talent d’ordinaire tout gracieux et doux, une faculté d’audace qui ne recule au besoin devant aucun trait de la réalité et de la nature, même la plus sauvage.

706. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. EUGÈNE SCRIBE (Le Verre d’eau.) » pp. 118-145

La réalité surtout lui fait une rude concurrence tout à l’entour. Si cette réalité n’était qu’affreusement triste, on trouverait encore moyen de s’en tirer ; mais elle réunit à une tristesse profonde tous les caractères de contradictions et de ridicules, et tellement en grand qu’on n’arrive au théâtre que bien blasé.

707. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIIIe entretien. Fénelon, (suite) »

Les beaux rêves de Fénelon, en contraste avec les sombres réalités de la cour et avec les tristesses de son déclin, se levèrent comme autant d’accusations contre le monarque. […] Ses réformes politiques avaient passé de la poésie dans la réalité ; mais elles s’y étaient dépouillées des chimères qui les décréditaient dans le Télémaque, et elles y portaient l’empreinte de la maturité, de la réflexion et de la pratique.

708. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre III. L’Histoire »

Joinville nous les fait voir et toucher, il nous les montre en action, dans les faits particuliers : saint Louis jugeant à Vincennes ou dans son jardin du palais, ou bien punissant six bourgeois de Paris qui, pour s’être arrêtés à mander des fruits dans une île, avaient retardé et mis en péril toute la flotte ; saint Louis prisonnier des Sarrasins, qu’il domine par sa sérénité ; saint Louis refusant de quitter sa nef à demi bridée, pour partager le sort de ses gens ; saint Louis portant les cadavres de ses soldats, « sans se boucher le nez, et les autres le bouchaient », autant de tableaux expressifs, saisissants de réalité familière, et que Joinville a rendus populaires. […] Avec plus de singulière perfection, en saint Louis, avec plus de commune humanité, chez Joinville, voilà l’esprit qui a créé le monde mystique du Graal, voilà, réalisée en des actes vraisemblables, accessibles, en pleine réalité historique et vivante, la chevalerie du Christ.

709. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre I. Renaissance et Réforme avant 1535 — Chapitre II. Clément Marot »

Dans sa litière, où cette infatigable voyageuse passa la moitié de son existence, elle travaillait, conversait, dictait : vers ou prose, chant, drame ou récit, religion ou galanterie, mythologie ou réalité, toute forme et tous sujets lui étaient bons. […] Mais à travers cette folie d’invention on rencontre sans cesse une ferme réalité : des amours « exécutés » tels qu’ils le peuvent être dans le train le plus commun du monde, et plus rapidement même, de positives conclusions qui suivent, et parfois précèdent les vaporeuses adorations, une franchise d’accent, presque une brusquerie délibérée d’humeur chez ces chimériques héros, qui leur donne un peu de consistance et l’air de la vie.

710. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre IV. Le patriarche de Ferney »

Ses contes et ses romans sont comme des problèmes de mécanique dont ses descriptions seraient les figures : de la réalité copieuse et substantielle, Voltaire ne tire en quelque sorte que des forces abstraites et des mobiles idéaux. […] Une critique plus large, plus profonde, plus juste, qui comprend les religions en dissolvant les dogmes, qui admire la fonction, l’efficacité, la beauté des croyances auxquelles elle retire la réalité de leur objet, une critique non moins rationnelle, plus scientifique et plus savante, plus respectueuse et plus bienveillante précisément à cause de cela, a remplacé la critique voltairienne.

711. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « La jeunesse du grand Condé d’après M. le duc d’Aumale »

On peut, à ce compte, recueillir des impressions précises et variées sur tout ce que la réalité offre d’intéressant, et on le peut encore plus aisément si l’on a eu soin de se conserver libre et d’éviter le mariage, qui, comme dit La Bruyère, « remet chacun dans son ordre ». […] Mais, à mesure qu’on vit, on acquiert un sens plus exact des réalités.

712. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Goethe et de Bettina, traduites de l’allemand par Sébastien Albin. (2 vol. in-8º — 1843.) » pp. 330-352

Restée Italienne par son imagination, qui était colorée, pittoresque et lumineuse, elle y combinait la rêverie et l’exaltation allemande, qu’elle semblait pousser par moments jusqu’à l’hallucination et l’illuminisme : « Il y a en moi, disait-elle, un démon qui s’oppose à tout ce qui veut faire de la réalité. » La poésie était son monde naturel. […] Grand naturaliste et poète, il étudie chaque objet et le voit à la fois dans la réalité et dans l’idéal ; il l’étudie en tant qu’individu, et il l’élève, il le place à son rang dans l’ordre général de la nature ; et cependant il en respire le parfum de poésie que toute chose recèle en soi.

713. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Madame Émile de Girardin. (Poésies. — Élégies. — Napoline. — Cléopâtre. — Lettres parisiennes, etc., etc.) » pp. 384-406

Un grand sage, Confucius, disait, et je suis tout à fait de son avis quand je lis nos écrivains à belles phrases quand j’entends nos orateurs à beaux discours, ou quand je lis nos poètes à beaux vers : « Je déteste, disait-il, ce qui n’a que l’apparence sans la réalité ; je déteste l’ivraie, de peur qu’elle ne perde les récoltes ; je déteste les hommes habiles, de peur qu’ils ne confondent l’équité ; je déteste une bouche diserte, de peur qu’elle ne confonde la vérité… » Et j’ajoute, en continuant sa pensée : Je déteste la soi-disant belle poésie qui n’a que forme et son, de peur qu’on ne la prenne pour la vraie et qu’elle n’en usurpe la place, de peur qu’elle ne simule et ne ruine dans les esprits cette réalité divine, quelquefois éclatante, d’autres fois modeste et humble, toujours élevée, toujours profonde, et qui ne se révèle qu’à ses heures.

714. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « La Grande Mademoiselle. » pp. 503-525

Mme de Motteville, en répondant à Mademoiselle avec toutes sortes de compliments et en l’appelant tour à tour illustre princesse et belle Amelinte, la raille finement sur cet article d’interdiction matrimoniale qui était le grand point du nouveau code de bergerie, et elle essaie d’insinuer un peu de réalité, un peu de bon sens, dans la peinture de cette république à la fois galante, platonique et chrétienne. […] On disserte des deux côtés là-dessus, et Mademoiselle, dans la discussion, fait preuve d’un esprit romanesque assez fin et distingué, élevé même par moments ; mais en tout, ici comme dans la Fronde, c’est le sentiment de la réalité, c’est le bon sens et la justesse qui lui manquent.

715. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Hégésippe Moreau. (Le Myosotis, nouvelle édition, 1 vol., Masgana.) — Pierre Dupont. (Chants et poésies, 1 vol., Garnier frères.) » pp. 51-75

Les poètes sont une race à part, une race des plus intéressantes quand elle est sincère, quand l’imitation et la singerie (comme il arrive si souvent) ne s’y mêlent pas ; mais, dans aucun temps, cette race délicate ou sublime n’a paru se distinguer par une connaissance bien exacte et bien pratique de la réalité. […] Oui, l’on pouvait se montrer plus voisin de la nature encore, de la réalité simple, modeste et sensible, que ne l’avaient été nos illustres poètes classiques, sans tomber pour cela dans ce style lourd, plaqué et technique, qui prévaut presque partout aujourd’hui.

716. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre I. Shakespeare — Son génie »

C’est pourquoi Shakespeare a ce maniement souverain de la réalité qui lui permet de se passer avec elle son caprice. […] Cette école met sous clef les passions, les sentiments, le cœur humain, la réalité, l’idéal, la vie.

717. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Sainte-Beuve. Les Poésies de Joseph Delorme, Les Consolations, les Pensées d’août. »

… Comment lui, dont les premiers chants furent des cris étouffés si poignants, et les peintures d’une réalité qui saisissait le cœur comme la vie même, comment ce Rembrandt du clair-obscur poétique qui s’annonçait alors, est-il devenu, la vie aidant, avec les expériences, ses blessures et les ombres sinistres qu’elle finit par jeter sur toutes choses, moins pénétrant, moins mordant, moins noir et or (la pointe d’or dans un fond noir), qu’en ces jeunes années où l’on est épris des roses lumières ? […] Il y est toujours, cet accent d’une réalité qui palpite, et qui, en somme, n’a perdu que de son intensité, tandis qu’au contraire l’Augustin vrai que je cherche, l’Augustin dans lequel le poète veut fondre le René pour en faire un type inattendu, une autre création poétique vivante, je ne le vois pas.

718. (1868) Curiosités esthétiques « VII. Quelques caricaturistes français » pp. 389-419

Ce n’est pas précisément de la caricature, c’est de l’histoire, de la triviale et terrible réalité. — Dans une chambre pauvre et triste, la chambre traditionnelle du prolétaire, aux meubles banals et indispensables, le corps d’un ouvrier nu, en chemise et en bonnet de coton, gît sur le dos, tout de son long, les jambes et les bras écartés. […] Feuilletez son œuvre, et vous verrez défiler devant vos yeux, dans sa réalité fantastique et saisissante, tout ce qu’une grande ville contient de vivantes monstruosités.

719. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Appendice. — Post-scriptum sur Alfred de Vigny. (Se rapporte à l’article précédent, pages 398-451.) »

Ce que vous dites de la séance de réception à laquelle j’ai assisté, est vivant et de la plus rigoureuse réalité, quoique, suivant mon impression, vous me sembliez un peu partial pour M. 

720. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Note »

Toujours, en le louant ou en le critiquant, je l’ai désiré un peu autre qu’il n’était ou qu’il ne pouvait être, toujours je l’ai plus ou moins tiré à moi, selon mes goûts et mes préférences individuelles ; toujours j’ai opposé à la réalité puissante, en face de laquelle je me trouvais, un idéal adouci ou embelli que j’en détachais à mon choix.

721. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « AUGUSTE BARBIER, Il Pianto, poëme, 2e édition » pp. 235-242

Le poëme de M. de Lamartine nous rendait la pure lumière du ciel d’Italie ; mais les autres points plus solides de la réalité, tout ce qui était marbre, figures peintes ou hommes vivants, nous ne l’avions pas.

722. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. Mignet : Histoire de la Révolution française, depuis 1789 jusqu’en 1814. 3e édition. »

Son seul tort est d’avoir exclusivement rattaché à cet ordre unique de causes, des résultats auxquels ont concouru, pour une part indéterminée et peut-être immense, d’autres causes obscures et inappréciables, comme s’il en avait trop coûté à son esprit rigoureux d’admettre de la réalité ailleurs que là où il découvrait de l’ordre et des lois.

723. (1874) Premiers lundis. Tome I « Victor Hugo : Odes et ballades — I »

Cette fois, ils pourraient rencontrer la gloire et mériter la reconnaissance du public : car, il ne faut pas s’y tromper, malgré ses goûts positifs et ses dédains apparents, le public a besoin et surtout avant peu de temps aura besoin de poésie ; rassasié de réalités historiques, il reviendra à l’idéal avec passion ; las de ses excursions éternelles à travers tous les siècles et tous les pays, il aimera à se reposer, quelques instants du moins, pour reprendre haleine, dans la région aujourd’hui délaissée des rêves, et à s’asseoir en voyageur aux fêtes où le conviera l’imagination.

724. (1874) Premiers lundis. Tome I « Walter Scott : Vie de Napoléon Bonaparte — II »

Sous bien des rapports ils paraissent avoir fait entre eux l’espèce de convention tacite que le spectateur fait en entrant au théâtre, de prendre l’apparence des choses pour la réalité.

725. (1874) Premiers lundis. Tome I « A. de Lamartine : Harmonies poétiques et religieuses — II »

La Bénédiction de Dieu dans la solitude unit à cette belle réalité de notre sol et de notre nature une sorte de religion salubre qui passe de tous les objets à l’âme, qui la pénètre et la rend saine.

726. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre VII. Éducation de la sensibilité »

Sans doute c’est l’affaire à la réflexion de lire dans l’âme les émotions ; et c’est en appliquant à l’observation intérieure la même attention qu’à la réalité externe, qu’on s’habituera à démêler ses sentiments.

727. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre II. Distinction des principaux courants (1535-1550) — Chapitre III. Les traducteurs »

Mais il ne présente point la morale in abstracto : il la saisit dans la réalité qui la manifeste ou la contredit.

728. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Paul Bourget, Études et portraits. »

je me suis, sans doute, figuré depuis que j’avais fait le plus adorable voyage, et je le raconte quelquefois en coupant mon récit de cris d’admiration ou de plaisir : mais, quand je rentre en moi-même et que je tâche d’être sincère, je sens très bien que, ce coin du Sahara, c’est à travers le livre de Fromentin que je le revois, non à travers mes propres souvenirs ; je sens que ce voyage n’a rien ajouté à la vision que j’apportais avec moi, et que mes yeux ont, sans le savoir, conformé la réalité à cette vision.

729. (1879) Balzac, sa méthode de travail

D’autres feuillets pourraient représenter, avec plus de réalité que certaines toiles du musée de Versailles, le siège de Sébastopol.

730. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Gabrille d’Estrées et Henri IV »

Ce sont des épouses quasi-légitimes de par la coutume, mais en France, pays de droit sens et de réalité, où les situations ambiguës sont antipathiques au génie même de la race, les maîtresses de roi, elles, n’ont jamais été que des maîtresses, — toujours désavouées et déshonorées par les mœurs.

731. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Proudhon et Couture »

Voilà la vraie gloire de style qui lui restera, et dont se souviendra la Critique quand le mépris aura chassé de l’attention des hommes les chimères qu’il nous donne comme les réalités de l’avenir.

732. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Louandre »

L’un des plus grands de ce siècle, et qu’on n’accusera pas, tout poète qu’il fut, de manquer du sens profond de la réalité, — car c’est précisément ce sentiment incomparable qui fit le plus pur de sa gloire, — Walter Scott avait pensé toute sa vie à traiter le sujet qui a tenté Louandre, et sur ses derniers jours il écrivit, trop à la hâte, hélas !

733. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Comte de Gramont »

cette chimère du passé, des réalités la plus terriblement réelle, cette inévitable fatalité du souvenir que Manfred maudit, dans Byron, et qu’il appelle l’impossibilité d’oublier, voilà, malgré les tours de force du linguiste et les travaux de joaillier que Gramont exécute sur le rhythme, ce qui distingue ses poésies et communique un charme profond à ce recueil, qui est, on le sent à travers les ciselures passionnées du poète et de l’idolâtre matériel, un fragment rompu de la vie et non un livre de vers écrit seulement pour montrer qu’on sait faire des vers !

734. (1908) Promenades philosophiques. Deuxième série

Le langage a dû être d’abord purement musical, sans aucun accord avec la réalité, mais ponctué de signes de joie, de peur, d’appel. […] Les apparences sont-elles la réalité, ou faut-il la demander aux contre-apparences ? […] Jules de Gaultier, si sa réalité matérielle est un fait d’évolution, sa réalité intellectuelle est un fait de constance. […] L’imagination est intervenue comme un verre grossissant entre la réalité et notre sensibilité normale. […] Pourtant, je crois que l’intelligence du chat est plutôt un air qu’une réalité.

735. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIIe entretien. Littérature politique. Machiavel » pp. 241-320

En réalité les papes règnent avec une forte réalité sur ces ombres mouvantes. […] La résurrection sous la forme d’unité nationale, théocratique, monarchique ou républicaine, de chimère était-elle devenue une réalité ? […] Nous allons l’étudier avec vous dans son histoire récente ; nous allons conjecturer les conseils pratiques que lui donnerait aujourd’hui, s’il pouvait revivre, le plus ferme esprit politique, le plus sain appréciateur des réalités dans les choses, le plus hardi contempteur des chimères, que l’Italie ancienne ou moderne ait jamais produit, son premier patriote enfin.

736. (1890) L’avenir de la science « X » pp. 225-238

Mais il est des cas où la trame de l’humanité couvre entièrement la réalité primitive. […] Elle seule, au contraire, a le droit d’admirer ; seule elle est sûre de ne pas admirer des bévues, des fautes de copistes ; seule elle sait la réalité et la réalité seule est admirable.

737. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 novembre 1885. »

Par réalisme, nous n’entendons rien que la recherche de la vérité : dans le drame parlé réaliste, les caractères acquièrent, par la puissance de la poésie, une portée idéale, quoiqu’ils ne se meuvent pas devant nous comme des Idéals, mais comme des réalités, et la distinction demeure que nous avons faite entre le style idéal classique, et le style réaliste du drame parlé, — entre Schiller et Shakespeare, entre le chant et la parole, il faudra donc, dans tout effort pour réformer le drame parlé, laisser de côté toute tentative d’Idéalisation : le poète plongera son regard dans l’âme même du peuple ; il nous montrera des symboles de la Réalité, non pas des Idéals, mais des exemples personnifiés des idées universellement humaines. […] L’homme et la nature sont un ; ce qui sommeille dans les choses, leur intime essence, devient Réalité dans la Volonté consciente de l’homme.

738. (1930) Les livres du Temps. Troisième série pp. 1-288

La véritable réalité, souverainement belle et pure, est d’ordre intellectuel. L’application, la pratique, la réalité des prétendus réalistes, altère fatalement l’autre, la souille de mesquineries et de laideurs. […] Dans la réalité, les choses vont pêle-mêle et s’enchevêtrent. […] Bergson d’avoir le premier révoqué en doute la réalité objective du temps. […] Mais ce n’est pas à dire qu’elles correspondent à nos réalités matérielles.

739. (1891) Enquête sur l’évolution littéraire

Le succès de nos publications nous montre la réalité de cette idée. […] Mais qui sait aussi si quelques-uns ne se réjouiront pas d’être ainsi arrachés à l’ignoble réalité de leur au jour-le-jour ? […] Ce que vous appelez rêve et fantaisie est la vraie réalité pour qui a conçu ce rêve ou cette fantaisie. […] Mais alors il se trouve dans les conditions mêmes de toutes les expériences scientifiques, où la réalité d’hier n’est plus celle de demain. […] Il me semble pourtant que le rêve, tout légitime qu’il soit, devrait commencer seulement après la constatation de la réalité.

740. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Louis Veuillot »

Veuillot y découvre et y déteste l’œuvre finale de l’incrédulité furieuse du xviiie  siècle, œuvre de l’orgueil et de l’envie, et aussi de ce pédantisme philosophique, ignorant des vraies conditions de la réalité humaine, que Taine appellera l’esprit classique. […] Après le coup d’État, il est contre eux, et pour l’Empire, en homme aux yeux de qui l’intervention directe de la Providence dans les événements de ce monde est une réalité vivante. […] C’est que la Réalité est une grande païenne … Un autre endroit a de la grandeur : c’est lorsque le curé de Marsailles, ayant absous Valère, s’agenouille à son tour ; se confesse à son pénitent, le remercie de l’avertissement courageux qu’il a reçu de lui sur ses prudences de prêtre-fonctionnaire… Mais vous trouverez que ce sublime-là sent trop la calotte, et vous préférerez sans doute ce doux entremetteur d’abbé Constantin. […] Les hommes ont horriblement souffert et ont été horriblement méchants, quoi que vous disiez, même dans le temps où votre chimère d’une foi unique était le plus près d’être une réalité.

741. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre huitième »

La véritable invention, c’est de trouver un événement tragique qui s’accomplisse sur la scène en aussi peu de temps que dans la réalité ; c’est de ne lever la toile que sur des personnages mûrs pour l’événement, que leur vie antérieure, leurs intérêts, leurs passions, ont amenés, comme de force, dans le même lieu et dans le même temps, autour d’un personnage principal de qui tous dépendent, chacun plein de sa passion, abondant dans son sens, ne pouvant plus ni reculer, ni se dérober à la catastrophe qu’il a préparée par tout ce qu’il a été et par tout ce qu’il est. […] Il ne les prenait point pour des lois antérieures à la tragédie, mais pour des effets, pour des degrés de ressemblance avec la réalité, dont les poètes de l’antiquité avaient donné des exemples, et ses critiques la théorie. […] L’invention, ç’a été de trouver dans un des plus tragiques événements de l’Histoire sainte une tragédie aux conditions où la voulait Racine, avec toutes les vraisemblances qui font d’une fable une réalité. […] C’est ainsi que Racine, en rapprochant de plus en plus l’art de la réalité, a fini par l’y confondre, et a surpassé les anciens en appliquant leurs règles.

742. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre III. Variétés vives de la parole intérieure »

La littérature a souvent, et sous des formes bien diverses, dramatisé la voix de la conscience, la voix du devoir ; mais l’exactitude psychologique manque à la plupart de ces demi-fictions ; l’exemple du lieutenant Louaut, bien qu’inventé à l’appui d’une thèse discutable, nous paraît être un des moins inadéquats à la réalité ; nous le réduirons d’ailleurs aux détails les plus vraisemblables. […] Les monologues tragiques, s’ils ne passent pas dans l’allure générale et dans les détails la mesure de la vraisemblance, et s’ils ne sont introduits par le poète que dans les circonstances qui les motivent dans la réalité, reproduisent un événement assez fréquent de la vie humaine ; la preuve en est que la comédie use aussi de ce procédé et que le drame moderne l’a conservé ; rien n’est donc plus légitime que son emploi. […] Donnons quelques exemples de cette marche de la parole vers l’extériorité ; les uns ont été observés sur le vif ; d’autres, que nous emprunterons à des œuvres d’imagination, nous paraissent représenter assez fidèlement la réalité. […] Il rêve éveillé ; entre son rêve et ceux qu’il fait endormi, il n’y a d’autre différence que la vraisemblance ; les rêves du sommeil sont toujours incohérents, ils n’imitent pas vraiment la réalité, car, pendant la durée du sommeil, les lois de la nature sont suspendues ; tandis que les rêves de l’homme éveillé sont des drames analogues à ceux que le roman raconte ou que le théâtre représente aux yeux, avec cette différence que l’auteur même du drame y joue toujours le rôle principal.

743. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre II. De la reconnaissance des images. La mémoire et le cerveau »

En se conservant dans la mémoire, en se reproduisant dans la conscience, ne vont-elles pas dénaturer le caractère pratique de la vie, mêlant le rêve à la réalité ? […] Tantôt eues empêcheraient le corps de prendre, en face d’un objet, l’attitude appropriée au rappel de l’image : tantôt elles couperaient à ce souvenir ses attaches avec la réalité présente, c’est-à-dire que, supprimant la dernière phase de la réalisation du souvenir, supprimant la phase de l’action, elles empêcheraient par là aussi le souvenir de s’actualiser. […] On voit que le progrès de l’attention a pour effet de créer à nouveau, non seulement l’objet aperçu, mais les systèmes de plus en plus vastes auxquels il peut se rattacher ; de sorte qu’à mesure que les cercles B, C, D représentent une plus haute expansion de la mémoire, leur réflexion atteint en B′, C′, D′ des couches plus profondes de la réalité. […] Où est en effet la commune mesure, où est le point de contact entre l’image sèche, inerte, isolée, et la réalité vivante du mot qui s’organise avec la phrase ?

744. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Appendice » pp. 511-516

Il a été dit, au sein de la commission, beaucoup de choses très fines et très ingénieuses sur les mérites de l’ouvrage en ce sens ; ample justice a été rendue à ces quatre premiers actes surtout, qui sont presque en entier excellents, si nets d’allure et de langage, coupés dans le vif, semés de mots piquants ou acérés, et d’une comédie toute prise dans l’observation directe et dans une réalité flagrante.

745. (1874) Premiers lundis. Tome I « Ferdinand Denis »

Denis et de la littérature portugaise, et des ouvrages du poète, il devait oser se passer des combinaisons du roman, et ne chercher l’intérêt que dans la simple réalité.

746. (1874) Premiers lundis. Tome I « Diderot : Mémoires, correspondance et ouvrages inédits — II »

Diderot, dans quelques-uns de ces endroits, se reproche de marcher sur les brisées de Marivaux ou de Crébillon fils ; mais il a bien autrement de profondeur, de réalité et de goût ; Crébillon fils toutefois, dans ses ouvrages, plus estimables qu’on ne le croit communément, a tracé plus d’une analyse de cœur ingénieuse et civilisée qui soutiendrait assez bien le parallèle avec quelques passages de Diderot.

747. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre II. De l’amitié. »

Mais tous ces mouvements généreux que produit le plus beau des sentiments des hommes, la valeur, sont plutôt les qualités propres au courage qu’à l’amitié ; lorsque la guerre est finie, rien n’est moins probable que la réalité, la durée des rapports qu’on se croyait avec celui qui partageait nos périls.

748. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre V. Indices et germes d’un art nouveau — Chapitre I. Bernardin de Saint-Pierre »

Ce ne sont pas deux caractères, ce sont deux noms, quelques sentiments élémentaires, simples, larges, plus rêvés qu’observés, quelques attitudes gracieuses ou touchantes ; c’est un doux et triste songe d’amour pur, par lequel l’humanité se repose des réalités rudes.

749. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mistral, Frédéric (1830-1914) »

Il ne renonce pas à l’élégance, mais quel sentiment hardi de la réalité, quelle énergie redoutable dans ses peintures, soit qu’il chante la Belle d’août et qu’avec une grâce funèbre il associe toute la nature éplorée aux malheurs de son héroïne ; — soit que, dans l’étrange pièce intitulée : Amarum, il attaque le débauché, le secoue, le flagelle, et l’enferme, épouvanté, au fond du sépulcre infect ; — soit que, devant un épi de folle avoine, son ironie vengeresse châtie l’oisiveté insolente, toujours il y a chez lui une pensée généreuse, une imagination agreste, un langage imprégné des plus franches odeurs du terroir.

750. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Samuel Bailey »

Mais comme les différences dans la réalité sont aussi communément accompagnées de différences dans les apparences, l’esprit induit le réel en se fondant sur l’apparent.

751. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 23-38

Chacun tourne en réalités, Autant qu’il peut, ses propres songes : L’homme est de glace aux vérités, Il est de feu pour les mensonges.

752. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Avellaneda »

Ricaneur éveillé par la vieillesse, à qui les oreilles d’âne d’une raison trop positive poussent sur un front ingénu et ouvert comme celui d’Homère, c’est par la tristesse, la douce, la patiente, la sublime tristesse, que, poète et chrétien dépaysé, il se retrouve dans l’infini, du fond des réalités de la vie !

753. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Dupont-White »

Est-ce une abstraction, ou bien une réalité qui se circonscrit, se détermine et se définit ?

754. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Louis Wihl »

Louis Wihl a prouvé une fois de plus que le rêve, pour le poète, est la plus forte réalité.

755. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « J.-K. Huysmans »

Zola, le bouc du troupeau littéraire qui s’en va broutant, dans le roman, le serpolet des réalités les plus basses.

756. (1928) Les droits de l’écrivain dans la société contemporaine

Cette théorie, pur raisonnement sur des abstractions, est contraire aux réalités mêmes de la vie. […] La réalité n’est jamais inférieure au portrait pour celui qui sait recréer la réalité et interpréter le portrait. […] En présence de ces deux documents contradictoires qui sont comme deux plaidoyers, deux aspects approfondis et émouvants de la même réalité, le critique ou le public est apte à reconstituer celle-ci tout entière. […] Il ne doit mourir que du heurt avec la réalité.

757. (1880) Goethe et Diderot « Diderot »

Elle éclaire Diderot d’une lueur adoucie ; mais sous les velours du pastel filial le vrai Diderot n’apparaît pas dans la réalité de sa nature. […] C’était un esprit d’ordre composite, comme on dit en architecture, doué de ce qui est d’ordinaire séparé chez les autres hommes, allant à l’abstraction comme il allait à la réalité, — et peut-être avec plus de passion encore, — et, comme Bacon, du reste, qui prend souvent l’image pour l’idée, pouvant revêtir et réchauffer son abstraction d’une expression forte qui en cache le vide ou le faux. […] Ce n’est qu’un livre à bâtons rompus sur la nature, sans composition, sans enchaînement, sans déduction, et, quoique l’auteur y parle beaucoup de l’observation baconienne, d’un dogmatisme sans réalité. […] Un jour Thomas, ce Diderot en double par l’exagération et par l’enflure, s’avisa d’écrire une mauvaise déclamation sur les femmes, auxquelles le pauvre homme ne comprenait rien ; Diderot reprit le livre en sous-œuvre et le refit, pour montrer comme on pouvait le faire, et c’est son meilleur morceau de critique et le plus heureux modèle de ce que j’appelle la Critique inventive, qui prêche d’exemple et descend de l’abstraction des principes pour s’asservir vaillamment les réalités. […] Il est, dans l’histoire littéraire, des écrivains d’une étrange dissonance, qui masquent leur caractère par leur génie, et ceux-là, pour être compris, doivent laisser derrière eux une correspondance ou des mémoires qui renseignent sur ce qu’ils furent en dehors de leurs écrits, et qui nous donnent la réalité de leur vie après l’idéalité de leur pensée.

758. (1880) Une maladie morale : le mal du siècle pp. 7-419

Dès son enfance, la lecture des romans avait développé en lui cette habitude. « Il n’avait aucune idée des choses, que tous les sentiments lui étaient déjà connus… Il n’avait rien conçu, il avait tout senti. » Il atteint le seuil de la jeunesse « inquiet, mécontent de tout et de lui, dévoré de désirs dont il ignorait l’objet, pleurant sans sujet de larmes, soupirant sans savoir de quoi. » Le monde de l’imagination se substitue pour lui à la réalité ; et non seulement il oublie la réalité pour la fiction, mais plus la réalité est sévère, plus son imagination est riante. […] Cet état chez Adolphe avait plusieurs causes : sa jeunesse avait d’abord été austère, puis très dissipée et la réalité trop tôt connue avait tué en lui l’idéal. […] Il ne se compose que de quelques impressions fugitives, et de souvenirs qui ne peuvent rendre la réalité disparue ! […] Dans une première retraite, Lélia perd le sommeil ; elle n’a de repos que dans des rêveries qui épuisent son imagination, et qui lui font prendre en dégoût la réalité. […] Le Dieu qu’elle aime est un Dieu bien abstrait ; c’est tout ce qui n’est pas la réalité visible.

759. (1887) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Troisième série pp. 1-326

La prose est-elle, au théâtre, comme on l’a dit, un moyen de serrer la réalité de plus près ? […] C’est encore un trait de ressemblance avec la réalité que Le Sage avait sous les yeux. […] Mais cet instinct de parodiste, épuré par le temps, devint plus tard chez lui, comme chez tous les parodistes qui valent mieux que leurs parodies, un goût très vif de la réalité prochaine, et ce que nous pourrions appeler de nos jours une tendance au naturalisme. […] Si l’intention d’imiter la réalité de très près n’y était pas douteuse, l’intention de s’en amuser et d’en égayer le lecteur n’y était pas moins évidente. […] Et s’il y faut quelquefois, à ce qu’il semble, beaucoup de mots pour assez peu de choses, c’est que l’on n’aurait pas confiance à la réalité de la découverte si le chercheur ne nous faisait refaire, avec lui, pas à pas, les chemins qui l’y ont mené.

760. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « L’obligation morale »

Mais, de même que les Idées platoniciennes nous révèlent, parfaite et complète, la réalité dont nous ne percevons que des imitations grossières, ainsi la religion nous introduit dans une cité dont nos institutions, nos lois et nos coutumes marquent tout au plus, de loin en loin, les points les plus saillants. […] Notre exposé correspondrait de mieux en mieux à la réalité, croyons-nous, à mesure qu’on aurait affaire à des sociétés moins évoluées et à des consciences plus rudimentaires. […] Dira-t-on que nous sommes ici dans le domaine de l’art, et non pas dans la réalité, que nous ne nous émouvons alors que par jeu, que notre état d’âme est purement imaginatif, que d’ailleurs le musicien ne pourrait pas susciter cette émotion en nous, la suggérer sans la causer, si nous ne l’avions déjà éprouvée dans la vie réelle, alors qu’elle était déterminée par un objet dont l’art n’a plus eu qu’à la détacher ? […] Mais l’intelligence intervient, avec la faculté de choisir : c’est une autre force, toujours actuelle, qui maintient la précédente à l’état de virtualité ou plutôt de réalité à peine visible dans son action, sensible pourtant dans sa pression : telles, les allées et venues du balancier, dans une horloge, empêchent la tension du ressort de se manifester par une détente brusque et résultent pourtant de cette tension même, étant des effets qui exercent une action inhibitrice ou régulatrice sur leurs causes. […] Disons plutôt que la réalité est grosse de possibilités, et que la mère voit dans l’enfant non seulement ce qu’il sera, mais encore tout ce qu’il pourrait être s’il ne devait pas à chaque instant de sa vie choisir, et par conséquent exclure.

761. (1927) Des romantiques à nous

Quand un terme a la vie si dure et qu’il a fourni l’aliment de tant de controverses, c’est, à coup sûr, que quelque grosse réalité y correspond, si difficile qu’il puisse être de définir cette réalité et de traduire en idée claire le sentiment fort et confus que chacun en a. […] Il l’a même été assez sensiblement dans la réalité de sa vie, quand on y regarde de près. […] Comment croirait-il plus que nous à la réalité d’une inspiration qui a besoin d’établir une sorte de service de contentieux pour prouver qu’elle est ? […] Elle ne vaut pas moins pour reconstituer, d’après des indices extérieurs dont pas un d’ailleurs ne doit être négligé, une réalité qui se cache, que pour composer du fictif. […] Ces perspectives différentes répondent toutes à la réalité.

762. (1925) Promenades philosophiques. Troisième série

La théorie est très belle et très logique, mais que vaut-elle dans la réalité ? […] Une telle croyance représente seulement l’incapacité de saisir la réalité. […] — Très loin, vous dis-je, plus loin que vous ne sauriez calculer. — Et comment êtes-vous assurés de sa réalité ? […] Quand on parle de réalité, il est bien entendu que cela ne veut pas dire qu’il y ait une réalité en soi, distincte de nos sensations. […] L’excuse du christianisme, ç’a été son impuissance sur la réalité.

763. (1878) Nos gens de lettres : leur caractère et leurs œuvres pp. -316

se montre hospitalier à la réalité, mais entendons-nous : à la réalité exceptionnelle, excentrique — et brillante. […] Mais la réalité normale, la réalité domestique, en surprenez-vous seulement l’indication dans cette littérature ? […] C’est tout au plus si elle accepte le nuage rose qui colore la réalité sans l’altérer essentiellement et nous permet encore, sinon de la voir en plein, au moins d’en saisir le contour. […] Les autres se contentent d’exprimer la Réalité, mais, l’expriment avec tant de force qu’ils nous transportent au-delà. […] Il ne les restitua point, en effet, dans leur réalité morale, et par une suprême raison, qui dispense des-autres, c’est qu’il ne le pouvait, et nul ne l’aurait pu.

764. (1828) Introduction à l’histoire de la philosophie

Mais certes jamais apparence ne fut plus loin de la réalité ; car, bien avant 1828, l’amitié dont m’honorait M.  […] La réalité est dans l’union de ces deux éléments, quoiqu’essentiellement l’un soit supérieur et antérieur à l’autre. […] En effet il n’est pas au pouvoir de la pensée, si elle est, de ne pas posséder quelqu’un des éléments qui la constituent ; sans quoi, tout élément de réalité manquant, toute pensée, même extravagante, serait impossible. […] La conscience est la réalité la plus immédiate et la plus certaine pour nous ; et quand nous la transportons dans l’histoire, nous ne faisons autre chose que suivre le principe de toute réalité partout où il nous conduit. […] Un homme doué de sens commun, en faisant l’histoire de son espèce, peut bien omettre quelques côtés importants ; mais celui auquel il s’attache ne peut manquer de réalité.

765. (1885) Le romantisme des classiques (4e éd.)

Si, par ce procédé, on n’avance pas toujours très vite, on voit cependant beaucoup de pays ; et on serre de près la réalité. […] Ainsi ni Guillem de Castro, ni Corneille, quelque téméraires qu’ils puissent nous paraître, ne sont aussi étonnants que la réalité. […] Que nous fait la réalité sensée et plate ? […] C’était pis qu’un roi parricide et incestueux comme Œdipe, transmis d’ailleurs de la légende antique, et par là hors de la réalité. […] Ainsi les petits détails de la réalité curieuse s’entremêlent aux choses héroïques avec une agréable liberté.

766. (1910) Études littéraires : dix-huitième siècle

Par une sorte de nécessité rationnelle, qui pour l’artiste devient une loi de son art, qui dit réalité — chose singulière mais incontestable — ne dit donc pas toute la réalité, mais ce qui, dans le réel, paraît plus réel, parce qu’il est plus ordinaire. […] Lui se réserve la réalité. — Notez encore qu’à mesure que le roman avance, ces épisodes sont moins nombreux. […] La réalité n’est point si tranchée que cela, ni dans le bien ni dans le mal. […] Il se pénètre de réalité de toutes parts. […] Et encore M. de Climal est-il d’une si puissante réalité ?

767. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. BALLANCHE. » pp. 1-51

Ballanche la crut voir deux jours de suite, au matin, entrer dans sa chambre et lui demander comment il avait passé la nuit : tant était prédominante en son organisation la puissance intérieure, tant elle était indépendante du moment, du lieu, de la réalité actuelle ! […] il y a un fonds effrayant de réalité dans une partie de l’Homme sans nom, un fonds d’autant plus extraordinaire que M. […] L’Orphée n’est pas une tentative qui aille à recomposer une antique réalité ; ce n’est pas une restitution poétique, et poétiquement aussi vraisemblable que possible, d’une époque évanouie.

768. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1886 » pp. 101-162

Et un tableau, le plus spiritualiste des tableaux, par exemple la « Transfiguration » de Raphaël, par l’arrêté des lignes, la matérialité des couleurs, la réalité ouvrière de la fabrication, sera toujours une déception pour l’imagination du regardeur, si toutefois il en possède une. […] C’est suivi d’une scène, cherchée dans la réalité, d’une scène du noyé, du machabée à palmes vertes, rapporté dans la cour de l’Institut. […] Là-dessus, sa femme fait l’aveu que les cirques, les clowns, les tours de force, n’avaient autrefois aucun intérêt pour elle, et que c’était seulement depuis qu’elle avait lu Les Frères Zemganno, que l’idéalité mise par le livre, dans ces réalités vulgaires, lui avait fait prendre un vrai plaisir à ces représentations ; — et elle ajoutait que la vision de certaines choses ne se faisait chez elle, que par la voix de l’art.

769. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre premier. Le Moyen Âge (842-1498) » pp. 1-39

Elle n’est d’abord, comme encore en Grèce, que de l’histoire, s’il ne faut pas douter que les hommes du Moyen Âge ne fussent aussi convaincus de la réalité des exploits de Roland que de l’existence de Philippe-Auguste ou de saint Louis. […] Que d’ailleurs, à ce titre même, et en raison de ce qu’ils contiennent de réalité vivante, d’actualité contemporaine de Louis XI ou de Charles VII, les Mystères nous soient de précieux documents pour l’histoire des mœurs, on n’en disconvient pas. […] Le Roman de la Rose. — On en saisit mieux le rapport avec les genres qui les ont précédées, et entre elles. — En observant qu’elles sont toutes, ou à peu près, du même temps, on s’aperçoit que l’« allégorie » caractérise toute une « époque » de la littérature du Moyen Âge ; — et on est conduit à chercher les raisons de ce goût pour l’allégorie. — Il s’en trouve de sociales, comme le danger qu’on pouvait courir à « satiriser » ouvertement un plus puissant que soi ; — mais il y en a surtout de littéraires, qui se tirent — du peu d’étendue de l’observation « directe » de la réalité au Moyen Âge ; — du peu d’aptitude de la langue à exprimer les idées générales sans l’intermédiaire d’une personnification matérielle ; — et de la tendance des « beaux esprits » de tout temps à parler un langage qui ne soit pas entendu de tout le monde.

770. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Appendice. Discours sur les prix de vertu »

la charité, c’est un beau mot à prononcer, une belle chose à célébrer un jour de fête en Académie ; mais les conditions habituelles, journalières, la réalité et le matériel, si j’ose dire, de la charité, y pense-t-on bien ? […] Elle réunit, cette même loi, les hommes moins enthousiastes, qui, accoutumés à la discussion des intérêts divers et si compliqués que la société met sans cesse aux prises, savent les difficultés de la pratique, aiment à voir agir en tout l’expérience, ne recourent que dans les cas extrêmes aux principes de métaphysique, toujours contestables, et qui ont reconnu bien souvent que la réalité des choses, en se développant, déjoue la plupart des espérances ou des craintes que l’imagination s’était faites à l’avance.

771. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « M. MIGNET. » pp. 225-256

S’attachant à un ordre unique de causes, il négligea toutes celles qui n’avaient agi que pour une part indéterminée et confusément appréciable, comme s’il en avait trop coûté à son esprit rigoureux d’admettre de la réalité autre part que là où il découvrait de l’ordre et des lois. […] L’homme, il faut bien se le dire, n’atteint en rien la réalité, le fond même des choses, pas plus en histoire que dans le reste ; il n’arrive à concevoir et à reproduire que moyennant des méthodes et des points de vue qu’il se donne.

772. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis »

On peut juger, d’après le récit qu’il a fait de l’origine de sa passion, que Lucretia était la maîtresse du poëte, et non de l’homme : il cherchait un objet propre à fixer ses idées, à leur donner la force et l’effet nécessaires à la perfection de ses productions poétiques, et il trouva dans Lucretia un sujet convenable à ses vues, et digne de ses louanges ; mais il s’arrêta à ce degré de réalité, et laissa à son imagination le soin d’embellir et d’orner l’idole à son gré. […] Au milieu de ces illusions délicieuses, Laurent fut obligé de redescendre aux tristes réalités de la vie.

773. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre II. Littérature dramatique — Chapitre II. Le théâtre du quinzième siècle (1450-1550) »

Croyant a l’absolue réalité des choses qu’ils montraient, ils ne se doutaient pas que souvent c’était les dégrader, les fausser, les vider de leur sens, que de les figurer uniquement comme des réalités : mais parfois, quand ils s’approchaient familièrement des objets de leur foi, avec un sens instinctif de la vie, ils ne rendaient pas sans bonheur le pathétique des situations ou le mouvement des passions que les livres sacrés indiquaient.

774. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre II. La jeunesse de Voltaire, (1694-1755) »

Il épingle sur chaque fait, sur chaque personnage une petite note, précise, topique, substantielle, qui les explique ou les caractérise : il en fait des vérités intelligibles, jamais des réalités prochaines. […] Dans cet excès de division apparaît une des impuissances capitales du xviiie  siècle et de Voltaire : une analyse impitoyable sépare tous les éléments de la réalité ; et même un esprit comme celui de Voltaire échoue à rassembler ces fragments, à reconstruire le tissu, l’organisation des choses naturelles, à en remonter le jeu.

775. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Ferdinand Fabre  »

L’idée très simple et toute grossière que le dogme catholique lui donne du monde, partagé en deux camps, n’est pas pour le pousser à l’étude ni à l’analyse des dessous de la réalité. […] Dans la réalité, cela s’accommode.

776. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « L’expression de l’amour chez les poètes symbolistes » pp. 57-90

Les nouveaux venus auront un sens plus sûr des réalités et cesseront de rendre la femme responsable de leurs propres vices. […] Nous lui soufflerons le rôle, mais, pour Dieu, qu’elle n’aille point se piper au jeu, et croire à la réalité de notre hommage.

777. (1890) L’avenir de la science « XXII » pp. 441-461

On se raille de ceux qui s’enquièrent encore de la réalité des choses, et qui, pour se former une opinion sur la morale, la religion, les questions sociales et philosophiques, ont la bonhomie de réfléchir sur les raisons objectives, au lieu de s’adresser au critérium plus facile des intérêts et du bon ton 191. […] Chercher, discuter, regarder, spéculer, en un mot, aura toujours été la plus douce chose, quoi qu’il en soit de la réalité 198.

778. (1864) William Shakespeare « Conclusion — Livre III. L’histoire réelle — Chacun remis à sa place »

Dès le siècle dernier, ces réalités commençaient à poindre ; Frédéric II, en présence de Voltaire, se sentait et s’avouait un peu brigand. […] Il est temps que l’histoire se proportionne à la réalité, qu’elle donne à chaque influence sa mesure constatée, et qu’elle cesse de mettre aux époques faites à l’image des poètes et des philosophes des masques de rois.

779. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre I. La conscience et la vie »

Mais cette rigueur vient de ce qu’on a opéré sur une idée schématique et raide, au lieu de suivre les contours sinueux et mobiles de la réalité. […] Il est difficile de jeter un coup d’œil sur l’évolution de la vie sans avoir le sentiment que cette poussée intérieure est une réalité.

780. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. LOUIS DE CARNÉ. Vues sur l’histoire contemporaine. » pp. 262-272

Depuis Juillet, la position de l’école du Correspondant est devenue meilleure et plus vraie ; elle se dessine plus nettement dans la Revue européenne, où nous regrettons toutefois de trouver par instants des restes de superstition dynastique qui nuisent, sans y tenir, à la réalité des doctrines.

781. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « EUPHORION ou DE L’INJURE DES TEMPS. » pp. 445-455

Ce Moretum, si l’on s’en souvient, est le nom d’une espèce de sauce ou de brouet à l’ail que faisaient les paysans ; à propos de cette sauce et de sa préparation, la vie pauvre et misérable que menaient les gens de campagne se trouve décrite, dès l’aube du jour, avec un détail et une réalité qui semblerait n’appartenir qu’à la poésie d’aujourd’hui, à celle de Crabbe, par exemple, ou encore à celle de Regnier.

782. (1874) Premiers lundis. Tome I « Diderot : Mémoires, correspondance et ouvrages inédits — I »

La vie, le sentiment de la réalité, y respirent ; de frais paysages, l’intelligence poétique symbolique de la nature, une conversation animée et sur tous les tons, l’existence sociale du xviiie  siècle dans toute sa délicatesse et sa liberté, des figures déjà connues et d’autres qui le sont du moment qu’il les peint, d’Holbach et le père Hoop, Grimm et Leroy, Galiani le cynique ; puis ces femmes qui entendent le mot pour rire et qui toutefois savent aimer plus et mieux qu’on ne prétend ; la tendre et voluptueuse madame d’Épinay, la poitrine à demi nue, des boucles éparses sur la gorge et sur ses épaules, les autres retenues avec un cordon bleu qui lui serre le front, la bouche entr’ouverte aux paroles de Grimm, et les yeux chargés de langueurs ; madame d’Houdetot, si charmante après boire, et qui s’enivrait si spirituellement à table avec le vin blanc que buvait son voisin ; madame d’Aine, gaie, grasse et rieuse, toujours aux prises avec le père Hoop, et madame d’Holbach, si fine et si belle, au teint vermeil, coiffée en cheveux, avec une espèce d’habit de marmotte, d’un taffetas rouge couvert partout d’une gaze à travers la blancheur de laquelle on voyait percer çà et là la couleur de rose ; et au milieu de tout ce monde une causerie si mélangée, parfois frivole, souvent souillée d’agréables ordures, et tout d’un coup redevenant si sublime ; des entretiens d’art, de poésie, de philosophie et d’amour ; la grandeur et la vanité de la gloire, le cœur humain et ses abîmes, les nations diverses et leurs mœurs, la nature et ce que peut être Dieu, l’espace et le temps, la mort et la vie ; puis, plus au fond encore et plus avant dans l’âme de notre philosophe, l’amitié de Grimm et l’amour de Sophie ; cet amour chez Diderot, aussi vrai, aussi pur, aussi idéal par moments que l’amour dans le sens éthéré de Dante, de Pétrarque ou de notre Lamartine ; cet amour dominant et effaçant tout le reste, se complaisant en lui-même et en ses fraîches images ; laissant là plus d’une fois la philosophie, les salons et tous ces raffinements de la pensée et du bien-être, pour des souvenirs bourgeois de la maison paternelle, de la famille, du coin du feu de province ou du toit champêtre d’un bon curé, à peu près comme fera plus tard Werther amoureux de Charlotte : voilà, et avec mille autres accidents encore, ce qu’on rencontre à chaque ligne dans ces lettres délicieuses, véritable trésor retrouvé ; voilà ce qui émeut, pénètre et attendrit ; ce qui nous initie à l’intérieur le plus secret de Diderot, et nous le fait comprendre, aimer, à la façon qu’il aurait voulu, comme s’il était vivant, comme si nous l’avions pratiqué.

783. (1875) Premiers lundis. Tome III « Profession de foi »

Alors pourtant le Globe eut son unité, et cette unité pleine d’accidents, de saillies, de sentiments probes, de pensées utiles, fut, non plus une idée générale un peu vague et confuse dans sa réalité lointaine, mais un homme ; un homme de premier mouvement et d’action, d’une intelligence ouverte, d’une parole incisive, écrivain loyal, âpre et intrépide, tous les jours sur la brèche, à l’aise et en plein sur le terrain mouvant de la liberté ; répandant sur l’ensemble parfois discordant du journal l’unité passionnée, et sans cesse renaissante, de sa physionomie ; liant, non par des liens, mais par des étincelles électriques, en quelque sorte, les portions les plus excentriques du cercle ; nature impressive et rapide, embrassant par son impartialité la nuance doctrinaire, et par sa verdeur la nuance républicaine : c’est assez désigner M.

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