/ 3087
685. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Th. Ribot. La Philosophie de Schopenhauer » pp. 281-296

C’est le caractère propre de la métaphysique de triompher des coups qu’elle se porte quand elle retourne contre elle son dard de scorpion. […] Il croit, comme Littré et peut-être même avant Littré, que l’homme vient du singe, et voici ses propres paroles, recueillies par M.  […] Schopenhauer a fait de la métaphysique aussi bien que personne, et, de son propre aveu, il est arrivé, par les sentiers les plus compliqués, les plus redoublés et les plus difficiles, à l’Inconnu d’une indégageable équation.

686. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Stendhal et Balzac » pp. 1-16

Mille motifs autres que son propre jugement peuvent influer sur lui quand il s’agit d’un livre nouveau qu’il publie : ainsi la nouveauté, les coteries, l’entourage, l’action plus ou moins éloquente de l’auteur, que sais-je encore ?… Mais, pour un livre qui a déjà produit son effet, qui n’a plus sa fleur, qui est tombé peut-être sous le coup de cette indifférence du public dont furent frappés pendant longtemps un si grand nombre de chefs-d’œuvre, pour un pareil livre à reprendre et à relancer, le libraire n’a plus que son appréciation, son sentiment de la valeur de l’ouvrage, sa propre perspicacité. […] Une fois dans sa vie, dans sa jeunesse encore, quand les hommes de génie se grisent d’eux-mêmes et sont comme les Bacchantes de leurs propres facultés, il voulut procéder de Rabelais qu’il appelait son maître, et il fit un livre dans lequel il l’égala, ces Contes drolatiques 2 qui n’eurent aucun succès, comme l’Amour de Beyle, et qu’un éditeur courageux, Giraud, vient aussi de rééditer.

687. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Raymond Brucker » pp. 27-41

Mais, aujourd’hui, précisément celui des deux auteurs que nous venons de charger davantage revient sur sa propre pensée, Puisqu’il l’a corrigée, c’est lui qui l’a flétrie. […] Car, pour tous ceux qui ne sont pas dupes du bruit que le hasard ou les circonstances élèvent autour d’un nom ; pour tous ceux qui savent que le plus souvent la gloire, c’est le son de la flûte, tombée dans les grands chemins, et qu’un âne qui passe, en la flairant, fait résonner ; pour ceux enfin qui prennent les esprits dans leur propre substance et qui les comparent, il y a plus d’un rapport à faire saillir et à reconnaître entre M.  […] Illuminés d’enthousiasme ; hommes de parti enlevants d’éloquence dans des camps opposés ; natures bouillonnantes qui dégorgent incessamment comme la bouche d’un fleuve, soit des pensées, soit des images ; espèces de Pythonisses de leur propre esprit ; passionnés dans leur âme et passionnés dans leur sang que l’Imagination fouette incessamment de ses mille dards enflammés, ils ont les mêmes audaces d’expression et ils se ressemblent jusque dans leur originalité… La seule différence qu’il y ait entre eux, c’est que Diderot l’athée ne fut jamais qu’un athée.

688. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIe entretien. Vie et œuvres de Pétrarque » pp. 2-79

Ces Mécènes ecclésiastiques ou laïques rivalisaient alors, en Italie, de patronage pour les grands talents susceptibles de servir leur propre gloire ; le palais du cardinal Colonna était la cour du génie italien. […] Ce site est étroit, mais propre à réveiller l’esprit le plus paresseux et à l’élever jusqu’aux nues. […] Rome était bloquée par ses propres enfants. […] Rienzi, en effet, jetait cette capitale dans sa propre démence ; quelques jours après l’assaut où les Colonne avaient péri, il conduisit son fils vers le bourbier rempli d’eau et de sang où le corps du plus jeune de ces princes gisait encore. […] non, mais à pleurer sur mon propre deuil !

689. (1860) Cours familier de littérature. X « LVe entretien. L’Arioste (1re partie) » pp. 5-80

L’Italien est le seul peuple antique ou moderne qui ait à la fois assez d’imagination pour s’enthousiasmer du merveilleux, et assez d’esprit pour se moquer de son propre enthousiasme. […] C’est précisément là le caractère de l’Italien moderne : il imagine, et il rit de ses propres imaginations ; c’est aussi le caractère de la vieillesse dans les nations et dans les individus. […] Il se vanta à Ariodant de son intimité nocturne avec Ginevra, et, pour l’en convaincre par ses propres yeux, il le fit cacher dans des masures inhabitées qui couvraient le glacis du palais au pied du balcon de la princesse. […] Un ermite chez lequel il s’était réfugié pour sécher ses vêtements lui avait appris la condamnation de Ginevra et son péril de mort ; il avait pris la résolution de combattre contre son propre frère pour l’innocence de son amante. […] — Je vous arrête, jeune homme, me dit le professeur ; vous oubliez qu’un poète de votre propre pays l’a fait.

690. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIe entretien. Cicéron » pp. 81-159

IV Aucune forme de gouvernement, autant que la république romaine, ne fut propre à former ces hommes complets, tels que nous venons de les définir dans le plus grand orateur de Rome. […] Mais il fut consumé par sa propre flamme : son corps fragile ne put supporter ces excès d’études, de parole publique, de clientèle et de gloire dont il était submergé. […] — En suivant toujours tes propres inspirations, et non l’opinion de la multitude », lui répondit l’oracle. […] Plein du bruit que son nom, son éloquence et sa magistrature heureuse faisaient en Italie, Cicéron s’étonna, en revenant à Rome, de trouver ce nom et ce bruit étouffés par le tumulte tous les jours nouveau d’une immense capitale absorbée dans ses propres rumeurs, dans ses passions, dans ses intérêts, dans ses jeux, et divisée entre ses tribuns, ses agitateurs et ses orateurs. […] « Je ne rappellerai point que Servilius Ahala, pour sauver la république des changements que méditait Spurius Mélius, le tua de sa propre main : de tels exemples sont trop anciens.

691. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre septième »

Comme l’art de Michel-Ange, l’art de Bossuet fait naître des impressions d’humilité de ce qui semblerait si propre à enfler la nature humaine. […] Bourdaloue n’use pas même de preuves qui lui soient propres ; il ne quitte point l’école d’un pas, et il n’emploie que les raisonnements consacrés. […] Le propre de leur morale est de se proportionner aux forces humaines. […] Elle sait aussi que la coutume, les mœurs publiques, l’opinion, toutes ces règles inégalement variables, nous instruisent assez de ce qui nous est permis, outre notre propre penchant et l’exemple des autres. […] Dans les caractères de Vauvenargues, comme dans sa morale, le meilleur c’est ce qui le peint lui-même, ce sont les traces de sa vie douloureuse, c’est sa propre physionomie.

692. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre IV. De la délimitation, et de la fixation des images. Perception et matière. Âme et corps. »

Mais qu’il y ait un mouvement réel, personne ne peut le contester sérieusement : sinon, rien ne changerait dans l’univers, et surtout on ne voit pas ce que signifierait la conscience que nous avons de nos propres mouvements. […] Déjà le pouvoir conféré aux consciences individuelles de se manifester par des actes exige la formation de zones matérielles distinctes qui correspondent respectivement à des corps vivants : en ce sens, mon propre corps, et, par analogie avec lui, les autres corps vivants, sont ceux que je suis le mieux fondé à distinguer dans la continuité de l’univers. […] D’autres s’organisent autour de lui, qui ont tous pour objet la conservation de l’individu ou de l’espèce : or, chacun d’eux nous amène à distinguer, à côté de notre propre corps, des corps indépendants de lui que nous devons rechercher ou fuir. […] Mais la question est justement de savoir si les mouvements réels ne présentent entre eux que des différences de quantité, ou s’ils ne seraient pas la qualité même, vibrant pour ainsi dire intérieurement et scandant sa propre existence en un nombre souvent incalculable de moments. […] Il faut distinguer ici entre notre propre durée et le temps en général.

693. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — II. (Fin.) » pp. 20-37

C’est par cette ouverture pénétrante que Massillon s’attaquait au vif à l’incrédulité de son temps, à celle qui était le propre des hommes de plaisir, qui était encore de bel air et de prétention bien plus que de doctrine, et qui pouvait s’appeler du libertinage en réalité. […] À tout cela ajoutez ces moments cruels où la passion moins vive nous laisse le loisir de retomber sur nous-même et de sentir toute l’indignité de notre état ; ces moments où le cœur, né pour des plaisirs plus solides, se lasse de ses propres idoles et trouve son supplice dans ses dégoûts et dans sa propre inconstance. […] [NdA] On voudra bien ne pas oublier que ces articles parurent d’abord dans Le Moniteur, le lieu le moins propre assurément à une discussion de ce genre sur les mœurs d’un prédicateur éloquent.

694. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « La princesse des Ursins. Ses Lettres inédites, recueillies et publiées par M. A Geffrot ; Essai sur sa vie et son caractère politique, par M. François Combes » pp. 260-278

J’ose dire être plus propre que qui que ce soit pour cet emploi par le grand nombre d’amis que j’ai en ce pays-là et par l’avantage que j’ai d’être grande d’Espagne, ce qui lèverait les difficultés qu’une autre rencontrerait pour les traitements. […] C’est, madame, que M. de Torcy, de son chef, et sans y intéresser le nom du roi en rien, voulût, par manière de conversation, demander à l’ambassadeur de Savoie, qui est à Paris, quelle est la personne que son maître destine ù cet emploi, et qu’il voulût bien me nommer comme m’y trouvant assez propre. […] Certes tout cela était bien agréablement dit et tout propre à divertir un moment les bonnes amies de France ; mais, pour ne pas s’y laisser prendre, qu’on lise aussitôt après, par contraste, les admirables et vigoureuses lettres qu’elle écrira huit ans après à Mme de Noailles (28 octobre 1709), à Mme de Maintenon (11 novembre 1709), sur les affaires publiques, sur les fautes commises, sur le précipice où l’on s’est jeté, sur les moyens d’en sortir et sur les ressources de la situation, qui n’est pas, humainement ni divinement, si désespérée qu’on la veut faire : quelle force ! […] À l’électrice Sophie de Brunswick, elle écrivait en 1698 : «… Je différerais même encore de me donner l’honneur d’écrire à Votre Altesse électorale, si je ne trouvais une espèce de consolation à entretenir une grande princesse qui est plus propre qu’une autre à me compatir par la bonté de son cœur et par l’amitié dont elle m’honore. » — Ô pure langue française, que tu es donc une chose délicate et fugitive pour que Mme des Ursins elle-même ait pu t’oublier et t’offenser quelquefois !

695. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — II » pp. 435-454

. — Oui, ennuyeux tant que vous voudrez ; ils parlaient de ce qu’ils ne savaient pas bien, ils entreprenaient un jeune homme qui y était peu propre, ils allaient comme sont allés si souvent nos théoriciens prêcheurs, tout droit devant eux et à tort et à travers ; mais l’idée pourtant, l’idée française d’une histoire suisse à faire, — du besoin qu’on avait d’une histoire suisse, — restait attachée à l’imagination et enfoncée dans l’esprit de Bonstetten ; il emportait sans y songer l’aiguillon ; et lorsque trois ans après, il rencontre Jean de Muller au seuil de sa magnanime entreprise, mais encore incertain sur la forme, sur l’étendue, sur la plénitude du dessein, Bonstetten se souvient à l’instant et se sert de l’aiguillon qu’il a reçu, et, devenu prêcheur à son tour, il pousse, excite et soutient son ami dans la grande carrière. […] Vous avez en vous un trésor de connaissances, vous avez un ami ; pourquoi ne pas jouir d’un bonheur qui est en votre puissance, au lieu dépasser votre vie dans des intrigues sans intérêt, auxquelles nous sommes, vous et moi, moins propres que personne au monde ? […] Préposé à l’administration et (si ce mot n’était trop pompeux) à la vice-royauté d’un pays sujet, qui voyait dans la Révolution d’un grand pays voisin un signal pour sa propre émancipation, Bonstetten sut, par son ascendant moral, maintenir jusqu’au bout sans violence le régime dont il était le représentant. […] les émigrés jugeaient très bien les étrangers avec qui ils étaient appelés à vivre, et ne comprenaient jamais les hommes de leur propre pays.

696. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

Considérez notre littérature depuis le Moyen-Age, rappelez-vous l’esprit et la licence des fabliaux, l’audace satirique et cynique du Roman de Renart, du Roman de la Rose dans sa seconde partie, la poésie si mêlée de cet enfant des ruisseaux de Paris, Villon, la farce friponne de Patelin, les gausseries de Louis XI, les saletés splendides de Rabelais, les aveux effrontément naïfs de Régnier ; écoutez dans le déshabillé Henri IV, ce roi si français (et vous aurez bientôt un Journal de médecin domestique, qui vous le rendra tout entier, ce diable à quatre, dans son libertinage habituel) ; lisez La Fontaine dans une moitié de son œuvre ; à tout cela je dis qu’il a fallu pour pendant et contrepoids, pour former au complet la langue, le génie et la littérature que nous savons, l’héroïsme trop tôt perdu de certains grands poëmes chevaleresques, Villehardouin, le premier historien épique, la veine et l’orgueil du sang français qui court et se transmet en vaillants récits de Roland à Du Guesclin, la grandeur de cœur qui a inspiré le Combat des Trente ; il a fallu bien plus tard que Malherbe contrebalançât par la noblesse et la fierté de ses odes sa propre gaudriole à lui-même et le grivois de ses propos journaliers, que Corneille nous apprît la magnanimité romaine et l’emphase espagnole et les naturalisât dans son siècle, que Bossuet nous donnât dans son œuvre épiscopale majestueuse, et pourtant si française, la contrepartie de La Fontaine ; et si nous descendons le fleuve au siècle suivant, le même parallélisme, le même antagonisme nécessaire s’y dessine dans toute la longueur de son cours : nous opposons, nous avons besoin d’opposer à Chaulieu Montesquieu, à Piron Buffon, à Voltaire Jean-Jacques ; si nous osions fouiller jusque dans la Terreur, nous aurions en face de Camille Desmoulins, qui badine et gambade jusque sous la lanterne et sous le couteau, Saint-Just, lui, qui ne rit jamais ; nous avons contre Béranger Lamartine et Royer-Collard, deux contre un ; et croyez que ce n’est pas trop, à tout instant, de tous ces contrepoids pour corriger en France et pour tempérer l’esprit gaulois dont tout le monde est si aisément complice ; sans quoi nous verserions, nous abonderions dans un seul sens, nous nous abandonnerions à cœur-joie, nous nous gaudirions ; nous serions, selon les temps et les moments, selon les degrés et les qualités des esprits (car il y a des degrés), nous serions tour à tour — et ne l’avons-nous pas été en effet ? […] Renan croit fermement que l’homme individuel a un but, « une perfection morale et intellectuelle à atteindre. » Il professe avec énergie ces hautes doctrines ; et, si on le presse, si on le chicane, si on lui oppose ses propres recherches, sa propre méthode, ce qu’il y a d’inexorable dans les résultats ou les inductions de l’analyse positive, il n’hésite pas à s’arrêter, à réserver l’avenir, à poser au terme de tout examen critique, et en présence du grand inconnu, ce qu’il appelle un doute inébranlable, mais un doute qui est tout en faveur des plus nobles suppositions et des hypothèses les plus conformes à la dignité du genre humain. […] C’est même pour lui une des conditions de la critique complexe et nuancée telle qu’il l’entend : « L’esprit délicat et dégagé de passion, critique pour lui-même, voit, dit-il, les côtés faibles de sa propre cause et est tenté par moments d’être de l’avis de ses adversaires. » Le contraire lui paraît presque de la grossièreté, de la violence à l’usage seulement des hommes d’action, des chefs de secte ou de parti, non des penseurs.

697. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Histoire des cabinets de l’Europe pendant le Consulat et l’Empire, par M. Armand Lefebvre (suite et fin.) »

Et nous-mêmes, reportons-nous au point de départ de nos propres jugements, quand nous commencions à réfléchir et à penser. […] Le premier Consul pouvait-il défaire de ses propres mains victorieuses son ouvrage, l’ouvrage du général en chef de 1796 ? […] La France le lui eût-elle pardonné alors, et ne fut-elle pas sa complice dans cette paix, grosse de périls futurs, qu’il dicta moins encore en son propre nom qu’au nom de la nation personnifiée tout entière en lui ? […] Les dynasties hostiles, il les renversera et leur substituera des princes de sa propre famille ; il en fera une masse compacte et comme indivisible qui doublera ses ressources.

698. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine, Recueillements poétiques (1839) »

Il vous initie à tout, et il n’y aurait qu’à le remercier pour tant de bonne grâce et d’aimable  confidence, s’il ne partait de là pour jeter, en littérature et en poésie, certaines façons de voir qu’il est impossible d’accepter par rapport à l’art en général, et par rapport à son propre talent, car ce serait une ruine. […] Nous nous trompons fort, ou cette manière de traiter son talent, quand on est surtout grand par là, cette facilité de faire bon marché de sa renommée quand elle est si haute et si légitime, est peu propre à prévenir les hommes politiques spéciaux, parmi lesquels il aurait à prendre rang. […] Le lyrique a beau faire ; il n’échappera pas à ses propres émotions ni à son âme ; c’est absolument comme dans la romance : En songeant qu’il faut qu’on l’oublie, On s’en souvient. […] La conclusion de tout ceci est triste ; un grand trouble, en achevant ce volume et en repassant mes propres impressions, m’a saisi ; on doute de soi ; les notions du beau et du vrai se confondent : y a-t-il telle chose qu’un art, et n’est-ce pas chimère que d’y croire et de s’y dévouer ?

699. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « DIX ANS APRÈS EN LITTÉRATURE. » pp. 472-494

Chacun aurait ses réserves pour de certains apanages propres et auxquels on tient chèrement tout bas ; mais on entrerait en communauté et en concert sur bien des points de critique positive et de travaux qui s’appuieraient. […] On peut dire que le genre de déviation propre à M. […] Il les faut laisser à l’orgueil des générations survenantes, qui ont encore à parcourir en leur propre nom tout le cercle des erreurs. […] Dix ans se sont écoulés, et ces mêmes esprits développés, rapprochés, peuvent, quand on les lit, sembler unis en une large nuance commune, qui ne laisse guère subsister d’essentiellement différent que ce qui tient au talent propre, à la manière, à la finesse.

700. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre premier. Les signes — Chapitre II. Des idées générales et de la substitution simple » pp. 33-54

Noms propres et noms communs. — Importance des noms communs ou généraux. — Ils sont le premier terme d’un couple. — Le second terme de ce couple est un caractère général et abstrait. […] I La famille des noms, comme on sait, se divise en deux branches, celle des noms propres et celle des noms communs, et on les distingue très justement en disant que les premiers, comme César, Tuileries, Cromwell, ne conviennent qu’à un seul objet, tandis que les seconds, comme arbre, triangle, couleur, conviennent à un groupe indéfini d’objets. […] Mais ce second a des caractères fort singuliers qui le séparent de tous les autres et prêtent au nom des qualités propres. […] Mais cette image incertaine n’est pas l’arbre abstrait, ni le polygone abstrait ; la mollesse de son contour ne l’empêche pas d’avoir un contour propre ; elle est changeante et obscure, et l’objet désigné par le nom n’est ni changeant ni obscur ; il est un extrait très précis ; on peut en beaucoup de cas donner sa définition exacte.

701. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Stéphane Mallarmé » pp. 146-168

Né à Paris le 18 mars 1842, d’une famille d’ancienne bourgeoisie mais sans fortune, il avait dû pourvoir de bonne heure à sa propre subsistance. […] systématique, ne signifiaient pas leur sens propre, qu’avait abouti un si long effort continu de pensée ? […] De son propre aveu, ce n’étaient là que des essais, les pierres d’attente d’un édifice toujours futur dont il expliquait à l’occasion le plan et la portée, mais qu’il ne voulut ou plutôt qu’il ne put bâtir. […] Paul Valéry, croyant suivre Mallarmé, se soit égaré dans son propre rêve et n’ait réussi qu’à se traduire lui-même, mais son cantique méritait d’être reproduit.

702. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Éloges académiques de M. Pariset, publiés par M. Dubois (d’Amiens). (2 vol. — 1850.) » pp. 392-411

Esprit supérieur lui-même et ami de la vérité, mais ami ambitieux, et bien moins à l’abri que Fontenelle des intempéries et des contagions de son temps, Condorcet a ses propres idées qu’il ramène trop complaisamment à travers l’exposé qu’il fait de celles des autres. […] Et moi je demande comment il est possible de savoir si bien ce qui se passa sur le visage de Haller regardant son ami avec complaisance, dans une scène qui n’eut pas de témoin, puisque Gessner d’abord n’y figurait qu’endormi ; et Haller était sans doute trop occupé de son ami pour songer à sa propre attitude. […] Pourtant, de telles grâces ressemblent trop à ces fausses beautés poétiques par lesquelles d’habiles versificateurs se piquaient d’éluder élégamment le mot propre ; elles ont l’air d’un jeu et ne survivent pas au petit succès du moment. […] À un certain moment sa propre imagination s’échappe ; il ne voit dans le vaste spectacle des révolutions du globe qu’un thème à variations.

703. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Patru. Éloge d’Olivier Patru, par M. P. Péronne, avocat. (1851.) » pp. 275-293

La première phrase de ce discours est difficile et délicate à traduire ; Cicéron y dit : « S’il y a en moi quelque talent (et je sens combien ce talent est peu de chose, quod sentio quam sit exiguum), si j’ai quelque habitude de la parole… c’est à Archias que je le dois. » On assure que Patru mit quatre ans avant de se fixer sur la traduction qu’il donnait de cette première phrase ; il y revint encore dans la seconde édition, qui ne parut que trente-deux ans après la première ; et, dans les deux cas, il manqua le point essentiel, le Sentio quam sit exiguum, ce correctif que Cicéron apporte aussitôt à son propre éloge. […] On résolut, pour plus de simplicité, de s’adresser à quelques auteurs vivants qui fourniraient des citations et extraits de leurs propres ouvrages : Nous sommes convenus que pour ta part, écrit Patru à Maucroix, non seulement tu ferais la même chose pour tes propres ouvrages, mais de plus (garde-toi de dire non) pour tout Balzac. […] Le père Bouhours, l’un de ses admirateurs et de ses disciples, et qui l’assista dans ses derniers moments, a dit : Les malheurs d’autrui le touchaient plus que les siens propres, et sa charité envers les pauvres, qu’il ne pouvait voir sans les soulager, lors même qu’il n’était pas trop en état de le faire, lui a peut-être obtenu du ciel la grâce d’une longue maladie, pendant laquelle il s’est tourné tout à fait vers Dieu ; car, après avoir vécu en honnête homme et un peu en philosophe, il est mort en bon chrétien dans la participation des sacrements de l’Église et avec les sentiments d’une sincère pénitence.

704. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le surintendant Fouquet. (Article Fouquet, dans l’Histoire de Colbert, par M. P. Clément.) 1846. » pp. 294-312

Son frère, l’abbé Fouquet, qui l’aida à ses débuts, était un homme actif, intrigant, dévoué à Mazarin : les défauts de la famille se démasquaient en ce frère impétueux, et qui se montrait propre à tout : dans les autres membres ils se présentaient sous forme plus spécieuse et plus décente, et les projets, les vues aventureuses affectaient un air de supériorité et de grandeur, qui apparaît d’abord dans le surintendant dont nous parlons, et qu’on revit plus tard dans MM. de Belle-Isle, ses petits-fils. […] C’est à lui que pensait Louis XIV quand il écrivait dans son État de la France en 1661 : Les finances, qui donnent le mouvement et l’action à tout ce grand corps de la monarchie, étaient entièrement épuisées, et à tel point qu’à peine y voyait-on de ressource ; plusieurs des dépenses les plus nécessaires et les plus privilégiées de ma maison et de ma propre personne étaient ou retardées contre toute bienséance, ou soutenues par le seul crédit, dont les suites étaient à charge. […] Les premières découvertes qui se firent à Saint-Mandé dans les papiers de Fouquet n’étaient nullement propres à lui réconcilier l’indulgence du monde. […] Ne répondit-il pas, avec toute la confiance qu’on pourrait presque prendre en Dieu même, qu’il ne voulait (ce furent ses propres termes) ni protection, ni support, ni bien, ni honneur, ni vie, qu’en la bonté de Votre Majesté, et n’employa-t-il pas sur l’heure même pour votre service tout ce qu’il avait reçu du prix de sa charge ?

705. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Portalis. Discours et rapports sur le Code civil, — sur le Concordat de 1801, — publiés par son petit-fils — II. » pp. 460-478

Je ne sais si Portalis s’était fait relire cet épisode avant de prendre la parole pour ses naufragés, mais ce même sentiment de piété, qui est propre à Virgile, respire dans son discours. […] En y apportant sa prudence naturelle et la précision propre à la race française, Portalis voyait ces grandes questions de controverse s’évaporer en fumée et ne laisser pas même, au fond du creuset, des cendres : C’est une chose plaisante, disait-il, de voir des écrivains, d’ailleurs distingués, se battre pour des abstractions ou pour des logogriphes ; ce qu’il y a de plus étonnant, c’est de voir le public prendre part à des disputes qu’il n’entend pas. […] Il avait poussé la chicane jusqu’à reprocher aux rédacteurs du Code d’avoir dit dans une phrase : « Le bon sens, la raison, le bien public ne permettent pas, etc. », comme si c’était une pure redondance ; à quoi Portalis répliquait : Nous ne nous engagerons pas dans la question, si la langue française admet ou n’admet pas des mots synonymes ; mais nous dirons que le bon sens et la raison diffèrent, en ce que le propre de la raison est de découvrir les principes, et que le propre du bon sens est de ne jamais les isoler des convenances.

706. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « De la retraite de MM. Villemain et Cousin. » pp. 146-164

Je ne me permets point de juger ce que fait ou ne fait pas la Providence, grand mot dont on abuse, et qui n’est souvent que la déification de notre propre pensée ; mais il me semble que si le gouvernement représentatif n’a pas un type unique et seul bon, et s’il n’est pas lui-même l’unique gouvernement possible, il faut se garder d’offrir toujours des types dans un ordre aussi changeant et aussi divers que celui de l’histoire, et dans lequel le fait donne à la théorie des démentis perpétuels. […] Il fait remarquer qu’en donnant ses Maximes, La Rochefoucauld a gravé son propre portrait : Et le portrait, ajoute-t-il magnifiquement, est aussi celui de l’homme de son temps, tel que La Rochefoucauld l’avait vu, et même de l’humanité tout entière. […] Tout professeur célèbre, tout écrivain habile s’est cru propre à être politique, orateur, ministre et gouvernant. […] Il y a convenance et obligation à tout régime qui s’affermit dans notre France, et qui la rend calme et prospère, de susciter bientôt sa propre génération d’esprits et de talents.

707. (1894) Écrivains d’aujourd’hui

A ce point de vue, une étude des caractères propres au style de M.  […] On a perdu sa propre maîtrise. […] Il se complaisait dans sa propre virtuosité. […] Il comprend d’ailleurs à sa manière et suivant les indications de sa propre nature. […] Ces genres vivent de leur vie propre.

708. (1914) L’évolution des genres dans l’histoire de la littérature. Leçons professées à l’École normale supérieure

vivent-ils enfin d’une vie qui leur soit propre ; et indépendante non seulement des besoins de la critique, mais du caprice même des écrivains ou des artistes ? […] 2° Je tâcherai de vous dire alors quelle a été, dans la constitution de la doctrine ou de l’hypothèse, la part propre de Darwin. […] Nous nous garderons donc d’abonder dans notre sens propre. […] En d’autres termes encore, s’il y a des beautés dont le propre est d’être inimitables, la critique n’en est pas « féconde » ; elle en peut même devenir aisément dangereuse. […] Saint-Marc Girardin et Désiré Nisard. — La part propre de Villemain dans l’histoire de la critique.

709. (1782) Essai sur les règnes de Claude et de Néron et sur la vie et les écrits de Sénèque pour servir d’introduction à la lecture de ce philosophe (1778-1782) « Essai, sur les règnes, de Claude et de Néron. Livre premier. » pp. 15-203

Il signe le contrat de mariage de Silius avec sa femme, il déshérite son propre fils par une adoption ; quelquefois il oublie qui il est (TACIT. […] Le refus, en pareil cas, ne peut naître que de la certitude du crime d’un ami qu’on répugnerait à condamner, ou de la crainte politique de nuire à son propre avancement, à sa propre fortune, si l’on osait prendre sa défense. […] « Ils l’ont tué, comme leur propre sécurité et nos maux leur en donnaient le conseil. — De qui parlez-vous ? […] Rome, que le sang des nations a été bien vengé dans tes propres murs ! […] J’ai cité les propres paroles de Tacite, dans une note sur le Traité de la Clémence, lib. 

710. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Appendice à l’article sur Gabriel Naudé »

(Campanella)  ; mais si la lettre que je lui écrivis il y a environ quinze jours ou trois semaines ne lui donne ouverture et occasion de travailler autrement, je ne pense pas qu’il soit bastant pour terminer le différend, car il ne m’écrit rien autre chose, sinon que le Père proteste de n’avoir rien dit à mon désavantage et qu’il veut mourir mon serviteur et ami, qui sont les caquets desquels il m’a repu jusqu’à cette heure, et desquels je ne puis en aucune façon demeurer satisfait ; et s’il ne m’écrit de sa propre main de s’être licencié légèrement ou par inadvertance de certaines paroles et imputations contre moi, lesquelles il voudroit n’être point dites, et proteste maintenant qu’elles ne me doivent ni peuvent préjudicier en aucune façon, je suis résolu, sous votre bon consentement néanmoins, de ne pas endurer une telle calomnie sans m’en ressentir. […] Diodati et Gaffarelli, auxquels je voudrois vous prier d’écrire confidemment que vous avez entendu parler des différends qui se passent entre lui et moi, et que, sachant assurément que le Père m’a donné juste sujet de me plaindre de lui, vous les priez de le réduire et persuader à me donner quelque satisfaction par lettre de sa propre main, conçue en telle sorte qu’il montre au moins d’avoir regret de m’avoir offensé à tort et légèrement contre tant de services que je lui avois rendus.

711. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Philosophie du costume contemporain » pp. 154-161

Les tissus flottent naturellement, font d’eux-mêmes des plis, et c’est là leur grâce propre. […] Le col et le plastron de la chemise empesée font des taches de lumière amusantes par la crudité même de leur éclat et par un air de netteté unie et précise : mais je voudrais que la chemise molle, et même de couleur (rien ne lui interdirait d’être propre et jolie), fût partout tolérée, et à toutes les heures.

712. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface d’« Hernani » (1830) »

Tout en admirant la littérature de Louis XIV si bien adaptée à sa monarchie, elle saura bien avoir sa littérature propre, et personnelle, et nationale, cette France actuelle, cette France du dix-neuvième siècle à qui Mirabeau a fait sa liberté et Napoléon sa puissance9. » Qu’on pardonne à l’auteur de ce drame de se citer ici lui-même ; ses paroles ont si peu le don de se graver dans les esprits, qu’il aurait souvent besoin de les rappeler. […] La liberté a une sagesse qui lui est propre, et sans laquelle elle n’est pas complète.

713. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Troisième faculté d’une Université. Faculté de droit. » pp. 506-510

Ce dernier aura l’attention d’être court sur tout ce qui est tellement propre aux Romains qu’il n’a nulle application aux modernes ; mais il ne pourra trop s’étendre sur tout ce qui concerne les contrats. […] Quel homme plus propre à servir dans le département des affaires étrangères que l’émérite dans le droit naturel et le droit des gens ?

714. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 20, de quelques circonstances qu’il faut observer en traitant des sujets tragiques » pp. 147-156

Elles y traitent des évenemens tragiques arrivez dans leur propre païs depuis un siecle. […] La définition qu’Aristote fait de la comedie, quand il l’appelle une imitation du ridicule des hommes, enseigne suffisamment quels sujets lui sont propres.

715. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 4, objection contre la proposition précedente, et réponse à l’objection » pp. 35-43

Ils sont durant long-temps des adolescens, propres à faire encore l’apprentissage d’une profession, à laquelle ils seroient appellez par leur génie. […] Enfin ce ne sont pas les lettres qu’on enseigne à un homme qui le rendent poëte : c’est le génie poëtique, que la nature lui donna en naissant, qui les lui fait apprendre, en le forçant de chercher les moïens d’acquerir les connoissances propres à perfectionner son talent.

716. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres de Virgile »

Assemblons, s’il se peut, tous les fruits dans notre collecte finale, et n’en écartons aucun ; mais que chaque nation conserve, dans celle émulation commune, le coin de génie qui lui est propre. […] Nous avions pour sièges et pour lit de repos de larges blocs de grès, masses hétérogènes descendues jadis de la colline et enfouies dans la terre, que leur dos use et arrondi perce de place en place… Ces beaux grès, propres et sains, semés dans l’herbe sous un clair ombrage, invitent au repos. […] Je me suis plu, dans mon ancienne Étude, à donner dans des exemples déterminés le secret du mode de composition et d’imitation propre à Virgile, mode savant et ingénieux s’il en fut, qui consiste d’ordinaire à combiner plusieurs éléments en un et à leur donner sous cette dernière forme une valeur, une âme toute nouvelle. […] Or voici encore un exemple très particulier de ce mode d’imitation éclectique qui lui est propre et par lequel, en empruntant d’Homère, il y change, il y ajoute, et je dirais, il le perfectionne, si la poésie d’Homère était de ces choses qui se laissent perfectionner. […] Seulement cette répétition qui, chez Homère faisant parler Hector, accentuait un sentiment héroïque et belliqueux, Virgile, qui n’oublie rien et qui ne fait rien comme un autre, Virgile, en s’en emparant, la transpose aussitôt sur le mode sensible et pathétique ; il la dépayse si je puis dire, pour qu’elle ne soit pas trop reconnaissable : voilà un des traits de son art ; le coup de clairon redoublé est devenu, grâce à lui, un écho de flûte plaintive ; il a soin de le reporter, ainsi adouci, et de le confondre dans son imitation du guerrier mort, gisant si loin de son berceau : cette imitation s’en relève et prend un tour original qui n’est plus de l’Homère : c’est du Virgile, et l’on a un admirable exemple de plus du genre de beauté poétique qui lui est propre et qui se désigne de son nom.

717. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre IV. Construction de la société future »

Ainsi tous seront égaux devant la loi ; nulle personne, famille ou classe, n’aura de privilège ; nul ne pourra réclamer un droit dont un autre serait privé ; nul ne devra porter une charge dont un autre serait exempt  D’autre part, tous étant libres, chacun entre avec sa volonté propre dans le faisceau de volontés qui constitue la société nouvelle ; il faut que, dans les résolutions communes, il intervienne pour sa part. […] Il est admis que, d’elle-même et par sa propre force, la théorie engendre la pratique, et qu’il suffit aux hommes de décréter ou d’accepter le pacte social pour acquérir du même coup la capacité de le comprendre et la volonté de l’accomplir. […] Prenez des femmes qui ont faim et des hommes qui ont bu ; mettez-en mille ensemble, laissez-les s’échauffer par leurs cris, par l’attente, par la contagion mutuelle de leur émotion croissante ; au bout de quelques heures, vous n’aurez plus qu’une cohue de fous dangereux ; dès 1789 on le saura et de reste  Maintenant, interrogez la psychologie : la plus simple opération mentale, une perception des sens, un souvenir, l’application d’un nom, un jugement ordinaire est le jeu d’une mécanique compliquée, l’œuvre commune et finale437 de plusieurs millions de rouages qui, pareils à ceux d’une horloge, tirent et poussent à l’aveugle, chacun pour soi, chacun entraîné par sa propre force, chacun maintenu dans son office par des compensations et des contrepoids. […] Au bout de tous ces rouages apparaît toujours le ressort final, l’instrument efficace, je veux dire le gendarme armé contre le sauvage, le brigand et le fou que chacun de nous recèle, endormis ou enchaînés, mais toujours vivants, dans la caverne de son propre cœur. […] Nulle exception ni réserve ; rien de ce qu’il était ou de ce qu’il avait auparavant ne lui appartient plus en propre.

718. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLIXe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis (suite) »

Laurent s’attacha à cet enfant, lui ouvrit sa maison, le reçut à sa table avec ses propres enfants. […] Beaucoup de choses me soutiennent et me consolent ; le concours de ceux qui pleurent avec nous notre perte, la douleur générale qui se manifeste dans toute la ville, le deuil public, et beaucoup d’autres considérations de cette nature, propres à adoucir en grande partie notre chagrin : mais ce qui me console le plus, c’est de t’avoir ; c’est d’avoir un frère en qui j’ai plus de confiance et d’espoir que je ne le saurais dire. […] Philippe, fait prisonnier et gardé un an dans les cachots de Castille, mourut en Romain, en se frappant, comme Caton, de sa propre main. […] XVII L’esprit humain, ébranlé par les grandes catastrophes de l’Orient et par la ruine des ruines de la Grèce à Athènes et à Constantinople, avait la passion de se reconstruire de ses propres débris ; c’était ce qu’on appelle une renaissance. […] Il est encore l’égal du souverain pontife, non pas seulement dans les États de l’Église, mais dans sa propre patrie.

719. (1921) Enquête sur la critique (Les Marges)

Tout écrivain qui a quelque chose à dire peut trouver son public, et, selon l’heureuse formule de Gaëtan Bernoville, le directeur-fondateur de ces peu frivoles Lettres dont le public en deux ans s’est tant accru : « on fait son propre public ». […] 3º Je préfère de beaucoup le critique « impressionniste », qui est presque toujours, par ailleurs, un créateur, qui en général aime les livres et la vie plus que sa propre critique, et est rarement ennuyeux ; si ses créations ont de la valeur, il y a des chances pour que ses « impressions » soient intéressantes, et s’il a ce goût naturel qui est la première et la plus nécessaire qualité du critique, on le lira toujours avec plaisir. […] — Un critique qui garde le souci de sa propre gloire ou de ses petits intérêts est un mauvais critique. […] nos journaux et nos revues me paraissent avoir le souci d’exercer la critique exactement comme il convient : les premiers par des chroniques, par des notices bibliographiques destinées à renseigner le lecteur au jour le jour sur le mouvement littéraire ; les seconds — avec la doctrine d’art qui leur est propre — par des études d’ensemble sur les idées directrices de l’écrivain, ses origines, son influence, les caractéristiques de sa personnalité, etc. […] oui, le besoin d’une critique intelligente et propre se fait sentir !

720. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Discours préliminaire, au lecteur citoyen. » pp. 55-106

Et véritablement, il est aisé de faire voir, par de bons exemples, que les prétendus Philosophes du siecle, en se disant les zélateurs de l’humanité, en s’annonçant pour la lumiere des Peuples & les vengeurs de la raison, ont trouvé moyen de se faire croire & de se faire bénir, tandis que la plupart de leurs maximes ne respirent que trouble, sédition, renversement, & ne sont propres qu’à rendre le genre humain plus malheureux. […] Puis on l’assujettira à un régime propre à calmer l’âcreté de son sang ; on lui fera avaler des pillules capables de corriger le vice des humeurs ; enfin il changera d’air, pour tâcher de dissiper les vapeurs qui exaltent & brûlent son cerveau. […] Peu contenus d’avoir travaillé à la rendre plus malheureuse, en tâchant de briser les liens qui la soutiennent, & d’anéantir les charmes qui l’attachent à la vie, ils se sont efforcés de la rendre vile & méprisable à ses propres yeux. […] L’Auteur du dernier Discours couronné à l’Académie Françoise, dit en propres termes, qu’il ne faut jamais avoir recours aux Grands dans les entreprises difficiles, parce que, quand même ils auroient du courage & du génie, ils sont incapables d’en faire usage, & ne s’occupent qu’à calculer des convenances, lorsque le bien public devroit absorber toutes leurs facultés. […] Je tâche de les lire, comme les ont lues de tout temps les Sages & les Littérateurs éclairés : les Sages, pour n’y admettre que des mœurs, des sentimens, des caracteres, des maximes propres à donner à l’ame de l’énergie & des vertus ; comme les Littérateurs éclairés, pour condamner & rejeter les vains efforts de l’Art, les bizarreries de l’imagination, le clinquant de la fausse parure, la manie des sentences & des déclamations.

721. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « André Chénier, homme politique. » pp. 144-169

Il se fait leur dénonciateur déclaré et commence contre eux sa guerre à mort : Comme la plupart des hommes, dit-il, ont des passions fortes et un jugement faible, dans ce moment tumultueux, toutes les passions étant en mouvement, ils veulent tous agir et ne savent point ce qu’il faut faire, ce qui les met bientôt à la merci des scélérats habiles : alors, l’homme sage les suit des yeux ; il regarde où ils tendent ; il observe leurs démarches et leurs préceptes ; il finit peut-être par démêler quels intérêts les animent, et il les déclare ennemis publics, s’il est vrai qu’ils prêchent une doctrine propre à égarer, reculer, détériorer l’esprit public. Et il s’attache à définir ce que c’est que l’esprit public dans un pays libre et véritablement digne de ce nom : N’est-ce pas une certaine raison générale, une certaine sagesse pratique et comme de routine, à peu près également départie entre tous les citoyens, et toujours d’accord et de niveau avec toutes les institutions publiques ; par laquelle chaque citoyen connaît bien ce qui lui appartient, et par conséquent ce qui appartient aux autres ; par laquelle chaque citoyen connaît bien ce qui est dû à la société entière et s’y prête de tout son pouvoir ; par laquelle chaque citoyen respecte sa propre personne dans autrui, et ses droits dans ceux d’autrui ? […] Quand des brouillons tout-puissants, ivres d’avarice et d’orgueil, tombent détruits par leurs propres excès, alors leurs complices, leurs amis, leurs pareils, les foulent aux pieds ; et l’homme de bien, en applaudissant à leur chute, ne se mêle point à la foule qui les outrage. […] Et se retournant contre le maire Pétion qui, dans une lettre à ses concitoyens, avait répondu avec une « astuce niaise et une bénignité captieuse » que cette fête, si on n’y avait vu que ce qui était, n’avait qu’un caractère privé, « innocent et fraternel », et que l’esprit public s’élève et se fortifie au milieu des « amusements civiques », André Chénier l’enferme dans ce dilemme : « Dans un pays qui est témoin d’une telle fête, de deux choses l’une : ou c’est l’autorité qui la donne, ou il n’y a point d’autorité dans ce pays-là. » Le même sentiment militaire d’André Chénier, déjà si noblement irrité dans l’affaire des Suisses, s’anime de nouveau et éclate par les plus beaux accents, à l’occasion de l’assassinat du général Dillon, massacré après un échec par ses propres soldats près de Lille, en avril 1792. […] Tel est, dans cette admirable pièce, l’ordre et la suite des idées, dont chacune revêt tour à tour son expression la plus propre, l’expression hardie à la fois, savante et naïve.

722. (1868) Curiosités esthétiques « IV. Exposition universelle 1855 — Beaux-arts » pp. 211-244

Ces formes de bâtiments, qui contrariaient d’abord son œil académique (tout peuple est académique en jugeant les autres, tout peuple est barbare quand il est jugé), ces végétaux inquiétants pour sa mémoire chargée des souvenirs natals, ces femmes et ces hommes dont les muscles ne vibrent pas suivant l’allure classique de son pays, dont la démarche n’est pas cadencée selon le rythme accoutumé, dont le regard n’est pas projeté avec le même magnétisme, ces odeurs qui ne sont plus celles du boudoir maternel, ces fleurs mystérieuses dont la couleur profonde entre dans l’œil despotiquement, pendant que leur forme taquine le regard, ces fruits dont le goût trompe et déplace les sens, et révèle au palais des idées qui appartiennent à l’odorat, tout ce monde d’harmonies nouvelles entrera lentement en lui, le pénétrera patiemment, comme la vapeur d’une étuve aromatisée ; toute cette vitalité inconnue sera ajoutée à sa vitalité propre ; quelques milliers d’idées et de sensations enrichiront son dictionnaire de mortel, et même il est possible que, dépassant la mesure et transformant la justice en révolte, il fasse comme le Sicambre converti, qu’il brûle ce qu’il avait adoré, et qu’il adore ce qu’il avait brûlé. […] L’insensé doctrinaire du Beau déraisonnerait, sans doute ; enfermé dans l’aveuglante forteresse de son système, il blasphémerait la vie et la nature, et son fanatisme grec, italien ou parisien, lui persuaderait de défendre à ce peuple insolent de jouir, de rêver ou de penser par d’autres procédés que les siens propres ; — science barbouillée d’encre, goût bâtard, plus barbare que les barbares, qui a oublié la couleur du ciel, la forme du végétal, le mouvement et l’odeur de l’animalité, et dont les doigts crispés, paralysés par la plume, ne peuvent plus courir avec agilité sur l’immense clavier des correspondances ! […] Et toujours mon système était beau, vaste, spacieux, commode, propre et lisse surtout ; du moins il me paraissait tel. […] Il ne promet aux siècles à venir que ses propres œuvres. […] Ingres choisit ses modèles, et il choisit, il faut le reconnaître, avec un tact merveilleux, les modèles les plus propres à faire valoir son genre de talent.

723. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre III. De la nature du temps »

Si je promène mon doigt sur une feuille de papier sans la regarder, le mouvement que j’accomplis, perçu du dedans, est une continuité de conscience, quelque chose de mon propre flux, enfin de la durée. […] Ceci posé, il est aisé de voir que nous avons tout intérêt à prendre pour « déroulement du temps » un mouvement indépendant de celui de notre propre corps. […] Mais si nous l’acceptons, si nous comprenons que ce soit du temps et non pas seulement de l’espace, c’est parce qu’un voyage de notre propre corps est toujours là, virtuel, et qu’il aurait pu être pour nous le déroulement du temps. […] Dès que nous avons extériorisé notre propre durée en mouvement dans l’espace, le reste s’ensuit. […] Il faut cette simultanéité dans l’instant pour 1° noter la simultanéité d’un phénomène et d’un moment d’horloge, 2° pointer, tout le long de notre propre durée, les simultanéités de ces moments avec des moments de notre durée qui sont créés par l’acte de pointage lui-même.

724. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. DAUNOU (Cours d’Études historiques.) » pp. 273-362

Il ne portait point la main aux choses de lui-même, de son propre mouvement, mais seulement parce qu’il était en demeure et en devoir de le faire. […] Le livre qu’on examine, et dont le titre figure en tête de l’article, n’est le plus souvent aujourd’hui que le prétexte pour parler en son propre nom et produire ses vues personnelles. […] Mais cette cause, qui est la mienne propre et dans laquelle je puis me tromper encore plus qu’en toute autre, n’est point du tout, Monsieur le comte, celle que je vous prie de défendre. […] Il termine le hideux portrait en montrant l’ennemi du monde se précipitant lui-même, du faîte de sa puissance artificielle, dans la profonde ignominie de ses propres vices. […] « Dépouillé de tout pouvoir temporel et devenu le sujet de l’un des princes de l’Europe, le pape excommuniera-t-il son propre souverain ?

725. (1896) Les époques du théâtre français (1636-1850) (2e éd.)

Le théâtre est un art qui peut à la rigueur uniquement vivre de son propre fonds, en ne s’aidant que de ses moyens et de ses ressources à lui. […] C’est ce que Corneille a encore admirablement vu ; — et qu’il y avait ainsi comme une convenance interne entre la nature de l’histoire et sa propre conception dramatique. […] On s’amusait soi-même de ses propres inventions, sans y attacher autrement d’importance, et l’amour-propre ou la vanité d’auteur y étaient seuls en jeu. […] Précisons les idées par deux ou trois noms propres : on ne rit pas longtemps, on ne se « moque » point d’Octave, de Cromwell ou de Robespierre. […] Voilà le marquis de La Tribaudière en propre original, et voici maintenant M. 

726. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIIIe entretien. Littérature latine. Horace (2e partie) » pp. 411-480

Porte-le en sûreté, je t’en adjure, aux rivages de l’Attique, et garde-moi en lui la moitié de ma propre vie !  […] Le poète justifiait à ses propres yeux son ralliement au maître du monde par les salutaires inspirations qu’il lui insinuait en si beaux vers. […] Que tous ceux qui ont aimé le disent ; si le poète leur a arraché leur secret, c’est qu’il l’avait dans sa propre mémoire. […] Les discours en vers de Voltaire sont ce qui ressemble le plus, dans nos littératures modernes, aux épîtres du poète latin : une morale prodigue de préceptes merveilleusement alignés dans ces vers faciles, et des retours personnels sur sa propre vie privée qui font le charme des confidences poétiques. […] Voilà les douces retraites, disons mieux, les demeures enchantées qui préservent votre ami des influences de l’automne. » Voilà comment il ajuste son propre portrait dans ce cadre rustique de sa vie à l’âge où la sagesse l’y confine.

727. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIIe entretien. Littérature politique. Machiavel » pp. 241-320

Léon X en fit son profit ; il aimait Machiavel ; il regretta d’être privé de la présence de l’oracle politique de Florence, aussi propre à devenir l’oracle politique de Rome. […] Tous ces conseils parfaitement honnêtes de Machiavel à Léon X ne tendaient qu’à la paix de l’Italie ; il suppliait ce grand pape de s’en faire l’arbitre au nom de son autorité pontificale, au nom des Médicis, au nom de ses propres armées. […] Les trente-trois révolutions de ce royaume attestent la convoitise de toutes les nations sur cette magnifique proie des ambitions dynastiques ; elles attestent aussi sa propre légèreté et sa propre turbulence. […] L’esprit de Joseph II et de Léopold, ses frères, les deux souverains les plus hardis contre les routines de gouvernement, respirait dans ses propres actes ; elle avait autant de philosophie et de hardiesse : plus puissante, elle aurait été la Catherine II du midi de l’Europe ; mais, fille de Marie-Thérèse, elle était reine avant tout, et, femme autant que reine, elle mêlait le goût du plaisir à celui de la domination. […] Telle était la reine Caroline quand la révolution française éclata ; elle y reconnut ses propres principes, mais elle y reconnut bientôt aussi l’ennemie des trônes et le levier des peuples ; le détrônement, les infortunes, le meurtre inexcusable de Louis XVI, de sa sœur Marie-Antoinette, la jetèrent dans une terreur qui se convertit en haine dans les âmes fortes.

728. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (5e partie) » pp. 145-224

« Sa chambre était étroite, propre, discrète, avec une longue croisée au levant sur l’arrière-cour de la maison. […] « Leurs vêtements, propres du temps de la Magnon et qui lui servaient de prospectus vis-à-vis de M.  […] Cette magnificence était propre. […] Misères du crime qui se frappe lui-même, dont le remords est le bourreau, et qui peut tuer des milliers de victimes, mais qui ne peut tuer son propre supplice, le remords ! […] Mais il dépend de la société de se sauver elle-même ; c’est à sa propre bonne volonté que nous faisons appel.

729. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre II. Le rôle de la morale » pp. 28-80

D’autre part il détourne l’homme de profiter des lacunes de la solidarité sociale pour suivre, contre les autres, son propre intérêt. […] Le cœur doit envoyer du sang noir aux poumons, le poumon doit faire oxygéner ce sang, le cœur a le droit de recevoir, pour son propre entretien, du sang-oxygéné qui lui permettra de continuer à vivre et à remplir son office. […] Il est même permis de croire que ce sont là des qualités plutôt propres à empêcher de la conquérir. […] C’est une des bonnes ruses de l’instinct social d’avoir ainsi présenté ses propres suggestions comme l’expression de ce qu’il y a de plus intime et de plus personnel dans l’individu. […] C’est le propre des spécialistes en tout genre de commettre plus d’erreurs que le reste des hommes.

730. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre III. Poëtes françois. » pp. 142-215

Le propre des grands Ecrivains est d’avoir de foibles imitateurs. […] Il avoit le talent de saisir les traits essentiels d’un caractère & de le peindre des couleurs qui lui sont propres. […] Mais ses défauts sont compensés par des pensées neuves, par des réfléxions ingénieuses, par des maximes philosophiques propres à diriger le sage, à l’éclairer, à le consoler. […] Elles sont également propres à former le goût & les mœurs. […] On a de l’épigrammiste le Brun des fables d’un style plus simple & plus propre au genre, mais en général foibles & médiocres.

731. (1855) Préface des Chants modernes pp. 1-39

Alfred de Musset est mort, et chaque jour il assiste à son propre enterrement ; son talent est irrémissiblement perdu. […] Qu’elle vienne, et l’occupation ne lui manquera pas ; elle aura fort à faire ; car en ne touchant pas aux idées qui remuent le monde maintenant, nous semblons capitaliser notre propre fortune pour rendre plus riche encore notre jeune héritière. […] C’était l’esprit du bien, aveugles qui ne savez pas le reconnaître, et qui, renversant vos propres textes, créez votre Dieu à votre image ; c’était l’esprit du bien qui se répandait parmi les hommes et leur mettait entre les mains les instruments sacrés qui doivent défricher les plaines du fécond avenir ! […] Figurez-vous un poëte qui serait assez sage et assez ami de sa propre renommée pour écrire l’histoire de la vapeur ou de l’électricité ! […] Au contraire, elle s’est faite son commis voyageur, elle a été lui chercher en Italie, en France, en Espagne, en Nubie, en Syrie, au Mexique, aux Indes, en Sicile, partout enfin, des paysages, des monuments, des types, des costumes dont elle a pu tirer parti pour sa propre gloire.

732. (1772) Discours sur le progrès des lettres en France pp. 2-190

C’est avec ces matériaux si légers, si brillans, si propres à la Poësie, qu’Homère jeta les fondemens de sa gloire, & qu’il composa ces Ouvrages immortels, dans lesquels il déploya toute la grandeur & toute la beauté de son génie. […] Poëtes, Orateurs, Historiens, Philosophes, tous trouvoient dans leur langue abondante, énergique, harmonieuse & sonore, l’expression propre à chaque Art & à chaque Science : elle exprimoit, elle animoit, elle représentoit tout ; en un mot, elle étoit en tout genre le pinceau du génie. […] Mais, ce qu’il y a de plus admirable, c’est que la nature, en prenant plaisir à multiplier le nombre des grands hommes, sembloit ne leur dispenser que le génie propre à chaque Art dans lequel ils devoient exceller. […] Nous n’en avons que trop d’exemples dans cette multitude d’Ecrits ténébreux, enfans de la nuit, du mensonge & de l’orgueil, désavoués en naissant par leurs propres Auteurs à cause de leur honteuse origine. […] Les Juifs mêmes, après leur longue captivité à Babylone, oublièrent leur propre langue, & apprirent le Chaldéen, dont le génie étoit à-peu-près le même que celui de l’Hébreu.

733. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Académie française — Réception de M. de Falloux » pp. 311-316

Il eut le courage bien rare de ralentir alors son propre essor, et de vouloir mûrir et fortifier une éducation qui n’était complète qu’au moral et à laquelle bien des secours avaient manqué. […] Il a cru devoir à ses propres antécédents de regretter qu’en juillet 1830 on n’ait pas plus tenu compte à la branche aînée de la maison de Bourbon des concessions et des sacrifices qu’elle se décida à faire aux derniers moments et à la dernière extrémité.

734. (1875) Premiers lundis. Tome III «  Chateaubriand »

L’auteur, en retraçant dans la figure de René son propre portrait de jeunesse, son portrait idéalisé, a par là même présenté comme un type de la maladie morale des imaginations à cette époque et pour les générations qui ont suivi. […] Le roman qui est propre à René, cette passion d’une sœur pour un frère, n’est fort heureusement qu’un cas particulier ; mais chaque jeune homme qui a du René en soi trouve moyen, à son heure, de s’exagérer son cas particulier de passion et de s’en faire quelque chose d’étrange, quelque chose d’unique.

735. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Introduction. Origines de la littérature française — 3. Causes générales de diversité littéraire. »

Cet esprit français dont j’ai essayé de marquer les principaux traits, est né comme la patrie, comme la langue, entre Loire et Meuse, dans ce que Michelet appelle les « plaines décolorées du centre6 » : presque aucune particularité n’en modifie la définition générale dans cet ancien duché de France, qui en donne comme l’exacte moyenne, dans ce Paris surtout, qui, comme la première des bonnes villes, doit à ses marchands, ses étudiants, et, bientôt ses gens de palais, de paraître la propre et naturelle patrie de l’esprit bourgeois. […] La Normandie et la France propre s’appliquent à la rédaction des chansons de geste, comme la Bourgogne, qui vit longtemps à part, et se fait une épopée à elle.

736. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Un grand voyageur de commerce »

La vérité, c’est que les nations civilisées se demandent comment elles exploiteront, pour l’accroissement de leur propre richesse et de leur propre bien-être, les régions du globe occupées par les races inférieures, et qu’elles se disputent déjà cette exploitation.

737. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre III » pp. 30-37

Ce roman est une pastorale allégorique dans laquelle l’auteur a décrit ses propres amours dégagés de toute idée grossière, et où, « par plusieurs histoires et sous personnes de bergers et d’autres, sont déduits les divers effets de l’honnête amitié ». […] Toutes ces circonstances étaient propres sans doute à mettre en vogue la première publication de L’Astrée, sans que personne s’en mêlât.

738. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre Premier »

On ne s’est guère intéressé jusqu’ici aux mots du dictionnaire que pour en écrire l’histoire, sans prendre garde à leur beauté propre, de forme, de sonorité, d’écriture. […] Il n’est pas bien certain, en effet, que le vieux français fût aussi dénué qu’on l’a cru : si les innovateurs avaient connu leur propre langue aussi bien qu’ils connaissaient le latin, auraient-ils négligé afaiture pour construction, ou semblance pour représentation ?

739. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre VI. Autres preuves tirées de la manière dont chaque forme de la société se combine avec la précédente. — Réfutation de Bodin » pp. 334-341

Lorsque les citoyens sont ainsi devenus étrangers à leur propre pays, il est nécessaire que les monarques les dirigent et les représentent. […] Dans cette hypothèse, qu’on explique l’établissement de la monarchie par la force ou par la ruse, les fils auraient été les instruments d’une ambition étrangère, et auraient trahi ou mis à mort leurs propres pères ; en sorte que ces gouvernements eussent été moins des monarchies, que des tyrannies impies et parricides.

740. (1889) Derniers essais de critique et d’histoire

Tout en sachant se cantonner dans son domaine propre, il jetait à chaque instant son regard dans les divers royaumes des savants spéciaux. […] Elle fait effort en ce moment pour que ce quelqu’un puisse surgir, et à cet effet, de son propre mouvement, elle insiste pour une trêve. […] Cette façon sommaire de peindre est le propre de tout art idéaliste : et s’il en faut reconnaître les inconvénients, on doit en noter les avantages. […] Point de parenté étroite entre ses figures ; il n’a pas créé de type humain qu’on reconnaisse d’abord et qui lui soit propre. […] A l’égard de la cour, je ne lui mâche pas ses vérités, je lui dis même ses propres fautes.

741. (1880) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Première série pp. 1-336

Et généralement, de quel droit, à quel titre reproduisons-nous ce que Pascal, de sa propre main, a cru devoir barrer ? […] En propres termes, que « le sieur Molière commença à jouer la comédie à Bordeaux en 1644 ou 1645 ». […] On se révolte, et l’on a raison, à la seule pensée que Molière ait épousé une Armande qui risquait d’être sa propre fille ; mais, hélas ! […] Que, si Molière n’a pas épousé sa propre fille, il a du moins épousé la fille et, dans l’hypothèse la plus favorable, une sœur de Madeleine Béjart. […] Déjà, comme on l’a vu, l’audace de ses propres disciples commençait à l’effrayer.

742. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Vernet » pp. 130-167

Je m’en revenais donc, et je pensais que s’il y avait une morale propre à une espèce d’animaux et une morale propre à une autre espèce ; peut-être dans la même espèce y avait-il une morale propre à différens individus ou du moins à différentes conditions ou collections d’individus semblables, et, pour ne pas vous scandaliser par un exemple trop sérieux, une morale propre aux artistes, ou à l’art, et que cette morale pourrait bien être le rebours de la morale usuelle. […] C’est qu’il y a dans l’exercice de la raison, et même des sens, quelque chose de commun à tous et quelque chose de propre à chacun : cent têtes mal faites, pour une qui l’est bien. La chose commune à tous est de l’espèce, la chose propre à chacun distingue l’individu. […] Vous voyez une belle femme, sa beauté vous frappe ; vous êtes jeune, aussitôt l’organe propre du plaisir prend son élasticité, vous dormez, et cet organe indocile s’agite, aussitôt vous revoyez la belle femme et vous en jouissez plus voluptueusement peut-être. […] Chaque sens a son langage ; lui, il n’a point d’idiôme propre, il ne voit point, il n’entend point, il ne sent même pas, mais c’est un excellent truchement.

743. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre II. Axiomes » pp. 24-74

Pour être utile au genre humain, la philosophie doit relever et diriger l’homme déchu et toujours débile ; elle ne doit ni l’arracher à sa propre nature, ni l’abandonner à sa corruption. […] Lorsque les hommes ignorent les causes naturelles des phénomènes, et qu’ils ne peuvent les expliquer par des analogies, ils leur attribuent leur propre nature ; par exemple, le vulgaire dit que l’aimant aime le fer. […] Les hommes interprètent les choses douteuses ou obscures qui les touchent, conformément à leur propre nature, et aux passions et usages qui en dérivent. […] Alors le petit peuple, éclairé par ses propres maux, y cherche un remède en se réfugiant dans la monarchie. […] Comme la langue grecque, elle est aussi éminemment propre à traiter les sujets scientifiques.

744. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — I. » pp. 204-223

C’est un bon livre, qui ressemble à sa conversation refroidie ; les noms propres et les exemples qui pourraient égayer ou illustrer la matière font défaut : on a du moins un recueil d’observations fines, de maximes vraies et de définitions exactes. […] Il connaît bien sa nation : « Le grand défaut du Français est d’être toujours jeune, et presque jamais homme ; par là il est souvent aimable et rarement sûr : il n’a presque point d’âge mûr… Il y a peu d’hommes parmi nous qui puissent s’appuyer de l’expérience. » Avec ces défauts qu’il signale, il est loin de déprécier la nation ; il lui voudrait insinuer le patriotisme ; il se demande, avec le sentiment qu’ils ont de leur propre valeur, ce qui manque aux Français de son temps pour être patriotes. […] Mais en même temps il sait les inconvénients du bel esprit, et de cette disposition contagieuse qui se croit propre à tout et qui ne l’est qu’à une seule chose. […] Ils ont des inconvénients pour la conduite, et ne sont propres qu’aux révolutions ; ils sont nés pour édifier ou pour détruire.

745. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — III — Toujours Vauvenargues et Mirabeau — De l’ambition. — De la rigidité » pp. 38-55

Arouet. » Il répond aussi, plus délicatement qu’à lui n’appartient, sur la poésie que Vauvenargues n’aime guère et dont il méconnaît les ressources propres et le secret mécanisme, utile par sa contrainte même à la pensée, et provoquant par la rime à l’image. […] Au risque de démentir ses propres conseils de tout à l’heure, il dira à Mirabeau : Il n’est pas facile de changer son cœur, mais il est encore plus difficile de détourner le cours rapide et puissant des choses humaines ; c’est donc principalement sur nous que nous devons travailler, et la véritable grandeur se trouve dans ce travail. La pompe et les prospérités d’une fortune éclatante n’ont jamais élevé personne aux yeux de la vertu et de la vérité ; l’âme est grande par ses pensées et par ses propres sentiments, le reste lui est étranger ; cela seul est en son pouvoir. […] Il dit cela d’un accent pénétré, et c’est sa propre histoire.

746. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset, professeur d’histoire au lycée Bonaparte. (Suite et fin) »

Le roi pourtant fit, à ce passage, tout ce qu’il devait faire ; il le dit dans son propre récit, sans se vanter d’ailleurs et en s’appliquant à rendre à chacun la justice qui lui est due. […] Aussitôt après le passage du Rhin, le prince d’Orange se retire et n’estime pas de la prudence d’attendre dans ses retranchements de l’Yssel Louis XIV qui comptait se porter à sa rencontre : « Cette nouvelle de la retraite prompte du prince d’Orange, quoique avantageuse pour le bien de mon service, me donna d’abord quelque mortification pour ce qui regardait ma propre gloire, parce que, s’il fût resté sur l’Yssel, j’espérais le combattre et peut-être défaire entièrement son armée ; mais, ayant toujours préféré l’intérêt de l’État à celui de ma réputation, je ne songeai qu’à profiter des avantages que la retraite des ennemis me fournissait. » Ce ne fut pas la seule fois que Louis XIV regretta d’avoir manqué l’occasion de se mesurer avec le prince d’Orange : une autre fois, dans la suite de cette guerre (1676), il la manqua encore, proche de Valenciennes, mais par sa faute ce jour-là et par trop de prudence : il ne tenait qu’à lui d’attaquer. […] Ces mêmes marchands, à qui Louis XIV a tant de raisons ; d’en vouloir,, viennent de se relever dans son estime par le seul fait de cette résolution qui donne soudainement un si rude échec à ses propres desseins à lui ! […] Boileau (et je ne parle pas ici du poète louant en public, mais de l’homme de sens s’épanchant dans la familiarité), Boileau était d’un tout autre avis ; il entrait, nous assure-t-on, dans une espèce d’enthousiasme lorsqu’il parlait de Louis XIV, et l’on a recueilli de ses lèvres ces propres paroles, qui renferment un si bel éloge sous forme littéraire : « C’est, disait-il, un prince qui ne parle jamais sans avoir pensé ; il construit admirablement tout ce qu’il dit ; ses moindres reparties sentent le souverain ; et quand il est dans son domestique, il semble recevoir la loi plutôt que la donner. » Ce dernier trait se rapporte à la facilité de vivre du roi dans son intérieur et à son égalité d’humeur avec tout ce qui l’entourait.

747. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Les fondateurs de l’astronomie moderne, par M. Joseph Bertrand de l’académie des sciences. »

Flammarion accepté désormais sans réserve, mais déjà dépassé, la fusion qu’on n’avait qu’entrevue jusqu’ici entre la science et la métaphysique, est enfin opérée : partant de là et y ajoutant ses propres concepts, M.  […] Pour moi, quand je suis seul à contempler ces millions de mondes, cette ordonnance merveilleuse, connue dans de certaines limites et pressentie par-delà ou ignorée, il me semble que je n’ai pas besoin d’amasser tant d’autorités, tant de noms propres ou d’idées accessoires au service de mes rêves ; et tout en concevant qu’il y a autant de manières de sentir, d’être affecté et d’adorer, qu’il y a d’intelligences et de regards, je crois qu’il en est une non moins légitime, et je ne la cherche que dans cette contemplation même et dans ce qu’elle a d’auguste. […] Les résultats sublimes, auxquels cette découverte l’a conduit, sont bien propres à le consoler du rang qu’elle assigne à la terre, en lui montrant sa propre grandeur dans l’extrême petitesse de la base qui lui a servi pour mesurer les cieux.

748. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre troisième. Les sensations — Chapitre premier. Les sensations totales de l’ouïe et leurs éléments » pp. 165-188

. — Caractères propres et primitifs de la sensation. […] Telles sont les sensations de contact, de pression, de chatouillement, qui ordinairement s’éveillent en nous lorsqu’un corps extérieur touche d’une certaine façon certaines portions de notre corps ; telles sont les sensations de température qui se produisent lorsqu’un certain degré de chaleur est ajouté ou ôté à notre température propre ; telles sont les sensations d’activité musculaire, ainsi nommées parce qu’elles nous avertissent de la tension ou du relâchement de nos muscles ; telles sont enfin les sensations excitées en nous par les particules liquides d’un objet que nous goûtons, par les particules volatiles d’un objet que nous flairons, par les vibrations de l’air qui frappe notre appareil acoustique, par les vibrations de la lumière qui frappe notre appareil optique, et qu’on nomme ordinairement sensations de saveur, d’odeur, de son et de couleur. […] Depuis longtemps, selon la méthode ordinaire, on a distribué les sensations en classes et sous-classes, plus ou moins heureusement, d’abord d’après le genre de service qu’elles nous rendent, ensuite d’après les circonstances particulières où elles naissent et d’après l’endroit où les images associées les situent, enfin, d’après les ressemblances assez grossières que l’observation intérieure trouve en elles67. — On a fait une première famille avec celles qui dénotent les divers états du corps sain ou malade, et qui sont moins des éléments de connaissance que des stimulants d’action ; on les a nommées sensations de la vie organique, et, d’après l’appareil ou la fonction qui les provoque, on les a divisées en genres et en espèces : ici l’effort, la fatigue, et diverses douleurs déterminées par l’état des muscles, des os et des tendons ; un peu plus loin, l’épuisement nerveux et les souffrances nerveuses déterminées par l’état propre des nerfs ; ailleurs les angoisses de la soif et de la faim déterminées par l’état de la circulation et de la nutrition ; là-bas, la suffocation et un certain état tout opposé de bien-être déterminés par l’état de la respiration ; ailleurs encore, les sensations de froid et de chaud, déterminées par un état général de tous les organes ; ailleurs enfin, d’autres, comme les sensations digestives, déterminées par l’état du canal alimentaire. — À côté de cette famille, on en a formé une seconde dont les premiers genres touchent aux derniers de la précédente ; elle comprend les sensations qui ne nous renseignent point sur la santé ou sur la maladie de notre corps, et qui sont moins des stimulants d’action que des éléments de connaissance. […] En sorte que ces différences de la sensation, jusqu’ici irréductibles et notées par des métaphores lâches, se réduisent à l’intervention de petites sensations subsidiaires et complémentaires de la même espèce, qui, se collant sur la sensation principale, lui donnent un caractère propre et un aspect unique, sans que la conscience, qui voit le total et seulement le total, puisse démêler ces faibles auxiliaires, ni partant reconnaître que, inférieurs en force à la sensation principale, ils sont les mêmes en nature, et que, tous semblables entre eux, ils ne diffèrent, de timbre à timbre, que par le nombre et l’acuité.

749. (1858) Cours familier de littérature. V « XXVe entretien. Littérature grecque. L’Iliade et l’Odyssée d’Homère » pp. 31-64

Le cinquième élément nécessaire de cette création ou de cette poésie, c’est le don d’exprimer par la parole ce que nous voyons et ce que nous sentons en nous-mêmes, de produire en dehors ce qui nous remue en dedans, de peindre avec les mots, de donner pour ainsi dire aux paroles la couleur, l’impression, le mouvement, la palpitation, la vie, la jouissance ou la douleur qu’éprouvent les fibres de notre propre cœur à la vue des objets que nous imaginons. […] Cette opinion est l’athéisme du génie ; elle se réfute par sa propre absurdité. […] Toutes les aventures de l’Odyssée sont ses propres aventures transfigurées dans la langue des dieux. […] Sa sépulture fut dans tous les souvenirs, son monument dans ses propres vers.

750. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Henry Rabusson »

Le plus bel effort de la civilisation la plus raffinée, c’est de mettre les sexes aux prises dans les conditions les plus propres à rendre la lutte charmante ; c’est de multiplier, de nuancer et de prolonger les bagatelles à demi innocentes et tout le jeu préliminaire de l’amour, afin de sauver les oisifs de l’ennui. […] Puis les souvenirs des expériences morales consignées dans les livres lui reviennent sans cesse ; il y compare, malgré lui, ou cherche à y conformer sa propre aventure. Il prévoit à chaque instant ses propres mouvements et ceux de la femme qu’il aime ou qu’il se figure aimer. […] On ne saurait douter qu’il n’ait mis dans le Roman d’un fataliste sa propre philosophie.

751. (1829) De la poésie de style pp. 324-338

Or, cela étant, supposez qu’il s’introduise tout à coup dans une langue une figure qui permette de substituer continuellement à des termes abstraits des images, à l’expression propre une expression vague-et indéterminée ; et voyez-en l’effet. […] De même qu’on remplace le mot propre par une métaphore, ici l’idée est remplacée par son emblème : on a pour ainsi dire la métaphore d’une idée. […] Hugo veut caractériser la variété qu’il aime à trouver dans les productions d’un artiste, et qu’il désirerait voir dans ses propres ouvrages. […] Les pieds d’acier , les froides ailes , toutes les expressions qui étaient prises au propre reviennent au figuré.

752. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Mémoires d’outre-tombe, par M. de Chateaubriand. Le Chateaubriand romanesque et amoureux. » pp. 143-162

Ô vous toutes qui l’avez aimé, et dont quelques-unes sont mortes en le nommant, Ombres adorables, Lucile, dont la raison s’est d’abord troublée pour lui seul peut-être, et vous, Pauline, qui mourûtes à Rome et qui fûtes si vite remplacée, et tant de nobles amies qui auraient voulu, au prix de leur vie, lui faire la sienne plus consolée et plus légère ; vous, la dame de Fervaques ; vous, celle des jardins de Méréville ; vous, celle du château d’Ussé ; levez-vous, Ombres d’élite, et venez dire à l’ingrat qu’en vous rayant toutes d’un trait de plume, il ment à ses propres souvenirs et à son cœur. Ce que voulait M. de Chateaubriand dans l’amour, c’était moins l’affection de telle ou telle femme en particulier que l’occasion du trouble et du rêve, c’était moins la personne qu’il cherchait que le regret, le souvenir, le songe éternel, le culte de sa propre jeunesse, l’adoration dont il se sentait l’objet, le renouvellement ou l’illusion d’une situation chérie. […] René, parlant de cette fille qui est aussi la sienne, regrette de l’avoir eue ; il recommande à sa mère de ne pas le faire connaître à elle, à sa propre enfant : « Que René reste pour elle un homme inconnu, dont l’étrange destin raconté la fasse rêver sans qu’elle en pénètre la cause : je ne veux être à ses yeux que ce que je suis, un pénible songe. » Ainsi, perversion étrange du sentiment le plus pur et le plus naturel ! […] Ce sentiment de volupté et d’abandon suprême, qui, chez les anciens, chez Homère, chez les Patriarches, chez la bonne Cérès ou chez Booz, comme chez le bon Jupiter aux bras de Junon, est si simple, si facile, qui coûte si peu à la nature, qui est si doux, qui fait naître des fleurs à l’entour, et qui voudrait dans sa propre félicité féconder la terre entière, se raffine avec les âges ; il devient plus senti, plus délicat, plus sophistiqué aussi, chez les épicuriens des siècles plus avancés.

753. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Florian. (Fables illustrées.) » pp. 229-248

Une remarque singulière et qui caractérise bien le propre des vocations et des instincts, c’est que plus tard Florian traduira Don Quichotte et l’abrégera sous prétexte d’en affaiblir les taches ; mais ce sont souvent les beautés et les gaietés qu’il abrège : C’est le génie qu’il supprime, a dit Marie-Joseph Chénier ; il attiédit la verve de Cervantes ; un comique large et franc devient partout mince et discret. […] Aimables bergères au teint si blanc, malgré le soleil ; à la robe si propre, malgré l’étable ; au langage si élégant, sans écoles, sans Lancastres ! […] Florian, pour réussir dans le monde et saisir la veine du moment, avait eu à choisir dans ses propres goûts ; il y avait en lui un coin de pastoureau et de troubadour langoureux, qu’il s’était plu à développer exclusivement, plume en main : sa réalité, plus mêlée et plus vive, valait mieux que cet idéal-là. […] Chez tous on trouverait des fables vives, ingénieuses, piquantes, qui remplissent toutes les conditions propres à ce petit poème.

754. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Rulhière. » pp. 567-586

Il s’amuse lui-même, dès qu’il a quitté Rulhière, à lui faire l’application de sa propre méthode, et à tirer sur lui un jugement dans lequel il entre un grain de critique et d’ironie. […] Mais on sent que Rulhière était des plus propres, en effet, à composer une comédie de cette sorte dans le genre et dans le goût du Méchant. […] Rulhière, toujours occupé de son sujet de comédie, comme l’autre de sa lettre, continue de définir Jean-Jacques et de montrer à Dusaulx quelle chimère et quelle vanité d’amour-propre (sous forme d’enthousiasme) il y a de sa part à prétendre consoler un pareil homme : Mais, de bonne foi, qu’espérer d’un homme qui en est venu au point (la chose est certaine) de se méfier de son propre chien, et cela parce que les caresses de ce pauvre animal étaient comme les vôtres trop fréquentes, et qu’il y avait là-dessous quelque mystère caché ? […] Où est-il l’historien qui saura unir la beauté et la pureté de la forme, propres en tout genre aux anciens, avec la profondeur des recherches imposée aux modernes, et doit-on l’espérer désormais ?

755. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Paul-Louis Courier. — I. » pp. 322-340

Il les aura sans doute retirées des mains de ceux à qui il les avait écrites pour en faire ainsi collection, ou bien il les a refaites et corrigées à loisir, d’après ses propres brouillons conservés. […] Mais je vous trouve trop circonspect ; fiez-vous à votre propre sens ; ne feignez point de dire en un besoin que tel bon écrivain a dit une sottise : surtout gardez-vous bien de croire que quelqu’un ait écrit en français depuis le règne de Louis XIV : la moindre femmelette de ce temps-là vaut mieux pour le langage que les Jean-Jacques, Diderot, d’Alembert, contemporains et postérieurs ; ceux-ci sont tous ânes bâtés sous le rapport de la langue, pour user d’une de leurs phrases ; vous ne devez pas seulement savoir qu’ils aient existé. […] Dans la Conversation chez la comtesse d’Albany, à Naples (2 mars 1812), il agite cette question de savoir s’il y a un art de la guerre, s’il y a besoin de l’apprendre pour y réussir, s’il ne suffit pas qu’il y ait une bataille pour qu’il y ait toujours un grand général, puisqu’il faut bien qu’il y ait un vainqueur ; et il met dans la bouche du peintre Fabre sa propre opinion toute défavorable aux guerriers, tout à l’avantage des artistes, gens de lettres et poètes. […] La passion, pour la première fois, se mêla avec suite dans sa vue pratique des choses ; son humeur d’ailleurs le rendait tout propre à l’opposition.

756. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « L’abbé Barthélemy. — I. » pp. 186-205

Barthélemy avait songé d’abord à faire voyager un étranger, un Français, en Italie, vers le temps de Léon X, et à peindre par ce moyen la pleine et riche Renaissance ; mais, à la réflexion, il se trouva moins propre à un tel sujet, qui le tirait de son domaine favori et le jetait dans un monde d’art, de poésie moderne et de peinture, dans tout un ordre de sujets qui lui étaient médiocrement familiers, et il transporta alors cette idée en Grèce, en supposant un Scythe qui la visiterait vers le temps de Philippe. […] Mais Obéron, ajoute-t-il, ne l’aime pas, et il lui préfère une grande mortelle Hermione, sa propre sœur. » Cela fait allusion à la préférence un peu scandaleuse que le duc de Choiseul accordait ouvertement à la duchesse de Grammont, tout en ayant pour Mme de Choiseul les attentions les plus respectueuses, et en restant jusqu’à la fin l’objet de son amour. Walpole renouvelle à tout propos ces portraits de la jolie duchesse, et, puisque j’en suis à ces échantillons divers de son pinceau, j’ajouterai celui-ci encore, comme le plus complet et le plus ravissant de tous : La duchesse de Choiseul n’est pas fort jolie, mais elle a de beaux yeux, et c’est un petit modèle en cire qui, pendant quelque temps, n’ayant pas eu la permission de parler, comme en étant incapable, a contracté une modestie dont elle ne s’est point guérie à la Cour, et une hésitation qui est compensée par le plus séduisant son de voix, et que fait oublier le tour d’expression le plus élégant et le plus propre. […] Tout le monde l’aime, excepté son mari, qui lui préfère sa propre sœur, la duchesse de Grammont, espèce d’amazone, d’un caractère fier et hautain, également arbitraire dans son amour et dans sa haine, et qui est détestée. — Mme de Choiseul, passionnément éprise de son mari, a été martyre de cette préférence, mais, à la fin, elle s’est soumise de bonne grâce ; elle a gagné un peu dans son esprit, et l’on croit qu’elle l’adore toujours. — Mais j’en doute. — Elle prend trop de peine à le persuader !

757. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre deuxième. Rapports du plaisir et de la douleur à la représentation et à l’appétition »

Descartes et Leibniz donnaient à la théorie intellectualiste une signification meilleure en faisant du sentiment l’intuition confuse de notre bien propre, non d’une qualité inhérente aux objets : « Tota nostra voluptas, disait Descartes, posita est tantum in perfectionis alicujus nostræ conscientia. » Leibniz, admettant que l’essence de l’âme est de percevoir ou de représenter, faisait du plaisir et de la douleur un amas de perceptions ou représentations qui nous font obscurément connaître l’accroissement ou la diminution de notre vitalité42. […] II Selon les partisans de Schopenhauer, notamment de Hartmann, le plaisir et la douleur empruntent à l’intelligence les qualités qu’ils semblent avoir, mais, en eux-mêmes, ils ne sont que des degrés divers d’intensité dans la volonté inconsciente et n’ont aucune qualité propre. […] D’abord, il y au moins une différence de qualité indéniable qui appartient bien en propre à la sensibilité même, à savoir la différence du plaisir et de la peine : ce n’est pas avec des considérations de pure quantité, de pure intensité, qu’on expliquera le contraste de la jouissance et de la souffrance ; à intensité égale, la jouissance et la souffrance offrent le plus frappant contraste de qualité qu’on puisse concevoir. […] Et cependant, pour nous-mêmes, les couleurs et les sons ont toujours, si nous y regardons de près, une nuance tantôt sérieuse, tantôt gaie : c’est ce qui les rend propres à devenir des moyens d’émotion esthétique.

758. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 33, que la veneration pour les bons auteurs de l’antiquité durera toujours. S’il est vrai que nous raisonnions mieux que les anciens » pp. 453-488

Il en font des analyses, suivant la méthode des geometres, méthode si propre à découvrir les fautes échappées aux censeurs précedens. […] Il est vrai que tous ceux qui sont persuadez maintenant de la circulation du sang ne l’ont point vûë de leurs propres yeux, mais ils sçavent que ce n’est plus par des raisonnemens qu’on la prouve, et que c’est en la faisant voir qu’on la démontre. […] N’y dit-il pas en termes formels, qu’une difference qui est entre la geométrie et les autres arts, c’est que les autres arts ne sont utiles qu’après qu’on les peut avoir appris, mais que l’étude seule de la geométrie est d’une grande utilité, parce que rien n’est plus propre à donner de l’ouverture, de l’étenduë et de la force à l’esprit que la methode des geométres. […] Voïons-nous que ce soient ceux qui sçavent le mieux la logique, je dis celle de port-royal, et dont la profession est même de l’enseigner aux autres, qui raisonnent le plus consequemment, et qui fassent le choix le plus judicieux des principes propres à servir de base à la conclusion dont ils ont besoin ?

759. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre VI. Daniel Stern »

Comme toute femme qui a fait des observations sur son propre cœur, elle a écrit un roman, intitulé Nelida (on aimerait mieux qu’elle l’eût gardé dans son âme) ; puis des lettres politiques si pleines des erreurs du temps où elle les publia, qu’elle n’a pas osé les rééditer, tant les événements qui se sont produits depuis 1849 l’auraient confondue ! […] Elle en est perpétuellement, pour son propre compte et pour celui de ses concitoyennes, comme elle dit, à la déclaration des droits de l’homme. […] L’aristocratie d’éducation ou de race lui a probablement donné le sentiment du ridicule de ses propres opinions, et voilà pourquoi à la page 390 de son volume elle dit la cause des femmes compromise par celles qui la prêchent et qui la défendent. […] , elle montra, par son propre exemple, l’impossibilité pour toute femme de toucher à l’histoire ; et pourtant elle avait derrière elle le robuste Brequigny, qui la conseillait et l’aidait, quand elle jouait ainsi à la Montesquieu !

760. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Étude sur la vie et les écrits de l’abbé de Saint-Pierre, par M. Édouard Goumy. L’abbé de Saint-Pierre, sa vie et ses œuvres, par M. de Molinari. — II » pp. 261-274

Il le cite souvent, le réfute, s’en moque, s’en sert, lui arrange son Credo, le lui aiguise, le lui émoustille, et glisse ses propres pensées sous son nom. […] L’abbé était trop l’homme de sa propre idée pour pouvoir être un bon historien ; il était le plus éloigné de la condition voulue par M.  […] Rousseau, s’autorisant de l’exemple donné par ce singulier ecclésiastique, nous dit : « Un célèbre auteur de ce siècle, dont les livres sont pleins de grands projets et de petites vues, avait fait vœu, comme tous les prêtres de sa communion, de n’avoir point de femme en propre ; mais se trouvant plus scrupuleux que les autres sur l’adultère, on dit qu’il prit le parti d’avoir de jolies servantes, avec lesquelles il réparait de son mieux l’outrage qu’il avait fait à son espèce par ce téméraire engagement.

761. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre cinquième. La Bible et Homère. — Chapitre IV. Suite du parallèle de la Bible et d’Homère. — Exemples. »

Ceux qui ont vendu Joseph, les propres frères de cet homme puissant, retournent vers lui sans le reconnaître, et lui amènent le jeune Benjamin qu’il avait demandé. […] » Elle dit : et comme, lorsque le violent zéphyr amène une pluie tiède du côté de l’occident, les laboureurs préparent le froment et l’orge, et font des corbeilles de jonc très proprement entrelacées, car ils prévoient que cette ondée va amollir la glèbe, et la rendre propre à recevoir les dons précieux de Cérès, ainsi les paroles de Ruth, comme une pluie féconde, attendrirent le cœur de Noëmi. » Autant que nos faibles talents nous ont permis d’imiter Homère, voilà peut-être l’ombre du style de cet immortel génie. […] « Si l’Écriture, dit saint Grégoire-le-Grand, renferme des mystères capables d’exercer les plus éclairés, elle contient aussi des vérités simples, propres à nourrir les humbles et les moins savants : elle porte à l’extérieur de quoi allaiter les enfants, et dans ses plus secrets replis, de quoi saisir d’admiration les esprits les plus sublimes.

762. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 35, de l’idée que ceux qui n’entendent point les écrits des anciens dans les originaux, s’en doivent former » pp. 512-533

Celui d’ Hospes ne perd-il pas une partie de la dignité qu’il a en latin, où il signifie un homme lié avec un autre par l’amitié la plus intime, un homme lié avec un autre jusqu’à pouvoir user de la maison de son ami comme de la sienne propre, quand on le rend en françois par le mot d’ hôte, qui signifie communément celui qui loge les autres, ou qui loge chez les autres à prix d’argent. […] Ils répondront que l’énergie d’une phrase et l’effet d’une figure tiennent si bien, pour ainsi dire, aux mots de la langue dans laquelle on a inventé et composé, qu’ils ne sçauroient eux-mêmes se traduire à leur gré, ni donner le tour original à leurs propres pensées, en les mettant de françois en latin, encore moins quand ils les mettent de latin en françois. […] En effet, le rapport uniforme des sens des autres hommes, est après le rapport de nos propres sens, la voïe la plus certaine que nous aïons pour juger du mérite des choses qui tombent sous le sentiment.

763. (1912) L’art de lire « Chapitre V. Les poètes »

Ce qui suit n’est qu’une phrase nombreuse ; du reste, elle l’est à souhait, et sans affectation ni raffinement, par où elle est un vrai modèle : « Vous verrez dans une seule vie toutes les extrémités des choses humaines, | la félicité sans bornes aussi bien que les misères, | une longue et paisible jouissance d’une des plus nobles couronnes de l’Univers, | tout ce que peuvent donner de plus glorieux la naissance et la grandeur accumulée sur une seule tête, | qui ensuite est exposée à tous les outrages de la fortune ; | la bonne cause d’abord suivie de bon succès | et, depuis, des retours soudains, des changements inouïs, | la rébellion longtemps retenue, à la fin tout à fait maîtresse, | nul frein à la licence ; les lois abolies ; la majesté violée par des attentats jusqu’alors inconnus, | l’usurpation et la tyrannie sous le nom de liberté, | une reine fugitive qui ne trouve aucune retraite dans trois royaumes | et à qui sa propre patrie n’est plus qu’un triste lieu d’exil, | neuf voyages sur mer entrepris par une princesse malgré les tempêtes, | l’océan étonné de se voir traversé tant de fois en des appareils si divers et pour des causes si différentes, | un trône indignement renversé et miraculeusement rétabli. » Cette période est composée de membres de phrase d’une longueur inégale, mais non pas très inégale, de membres de phrase qui vont d’une longueur de vingt syllabes environ à une longueur de trente syllabes environ et c’est-à-dire qui sont réglées par le rythme de l’haleine sans s’astreindre à en remplir toujours toute la tenue, et qui ainsi se soutiennent bien les uns les autres et satisfont le besoin qu’a l’oreille de continuité à la fois et de variété, de rythme et de rythme qui ne soit pas monotone. De même (je préviens tout de suite qu’ici les membres de phrases sont plus courts) : « Celui qui règne dans les Cieux et de qui relèvent tous les empires, | à qui seul appartient la gloire, la majesté et l’indépendance, | est aussi le seul qui se glorifie de faire la loi aux rois | et de leur donner quand il lui plaît de grandes et terribles leçons. | Soit qu’il élève les trônes, soit qu’il les abaisse, | soit qu’il communique sa puissance aux princes, soit qu’il la retire à lui-même et ne leur laisse que leur propre faiblesse, | il leur apprend leurs devoirs d’une manière souveraine et digne de lui. | Car en leur donnant sa puissance, il leur commande d’en user comme il fait lui-même pour le bien du monde, | et il leur fait voir en la retirant que toute leur majesté est empruntée | et que pour être assis sur le trône | ils n’en sont pas moins sous sa main et sous son autorité suprême », Nous avons ici des membres de phrase presque toujours de dix-sept, dix-huit, dix-neuf ou vingt syllabes, donc presque égaux, plus égaux que dans le précédent exemple, et, puisque en même temps ils sont plus courts, obéissant à un rythme plus marqué ; la phrase est essentiellement nombreuse. […] Le texte est : « Je donne des avis », qui est le mot propre.

764. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « L’Empire Chinois »

La pureté, la grandeur de leur intention, l’absence complète d’orgueil et de pédantisme (car le pédantisme est de l’orgueil, sous sa plus laide forme, il est vrai), le désintéressement de tout ce qui n’est pas la gloire de Dieu et son triomphe, voilà ce qui rompt et assouplit le prêtre catholique, et fait de lui cette merveilleuse organisation domptée qui se ploie aisément à toutes les coutumes et le rend propre à toutes les fonctions. […] Qui sait si avant de s’abîmer ou de disparaître les peuples ne restent pas quelque temps comme figés et conservés dans leur propre corruption ? […] Quoi qu’en aient dit les écrivains européens qui se prennent, comme des oisillons au miroir, au mirage de leurs désirs et de leurs propres pensées, elle n’a pas d’autre caractère.

765. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le comte Gaston de Raousset-Boulbon »

Gaston de Raousset-Boulbon — d’une des familles les plus nobles et les plus anciennes de Provence — était le dernier rejeton d’une de ces races militaires qui, selon le mot du grand-duc de Guise, « doivent se bâtir des renommées sur les ruines de leur propre corps ». […] Il a préféré toujours l’intérêt des autres au sien propre. […] … On ne cite de tels vers que parce qu’ils s’appellent La Sorcière, — parce que cet homme qui a manqué un empire se promettait une royauté, — parce qu’il n’a pas revu son château et que nous savons à présent où ses os blanchissent… Macbeth pur, tué avant la couronne, et qui n’a sur les mains que son propre sang !

766. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « VIII. Du mysticisme et de Saint-Martin »

Et véritablement, pour qui n’a pas abandonné l’observation et l’analyse, le Mysticisme, — quelle que soit la forme qu’il revêt, — n’est jamais qu’une aberration du sentiment religieux en vertu de sa propre force, si une autorité extérieure ne le règle pas et ne contient pas, d’une main souveraine, la turbulence de ses élans. Or, nous ne connaissons dans l’histoire du monde que le Catholicisme qui ait jamais pu régler et contenir cet extravasement de la faculté religieuse, parce que le Catholicisme, cette force organisée de la vérité, a, par son Église, l’autorité éternellement présente et vigilante, qui sauve l’homme de son propre excès et le ramène tout frémissant à l’Unité, quand le malheureux s’en écarte, fût-ce même par une tangente sublime ! […] Il avait, au plus haut degré, ce qui est le signe de l’hérésie depuis que l’hérésie est dans le monde, c’est-à-dire la haine du sacerdoce et la fureur de sa propre interprétation.

767. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Charles Monselet »

Autrement on ne serait plus guères que l’Alceste ou le Timon de ses propres égratignures, et Monselet est fait évidemment, pour mieux que cela. […] Encore une fois, nous ne tenons pas grand état d’une pareille donnée, inspirée plus par les études et les préoccupations littéraires de l’auteur que par son propre génie ; mais ce que nous estimons infiniment, ce sont deux ou trois courants d’aperçus, d’observations et de pensées, qui se rencontrent, se croisent et se mêlent dans ce livre, taillé trop à facettes et à pans coupés, et que nous eussions voulu plus large et plus simple. […] Qu’il ne soit plus désormais qu’un conteur, en son propre et privé nom, qui dit ce qu’il a vu, observé, inventé (mêmes choses !)

768. (1912) Pages de critique et de doctrine. Vol I, « I. Notes de rhétorique contemporaine », « II. Notes de critique psychologique »

Et tout auditoire était bon à ce causeur-né, qui s’enivrait de sa propre parole. […] Son grand-père Ango aurait été le propre fils du roi Louis XV, son parrain. […] — sans les chercheurs dressés à sa propre méthode. […] » Sa littérature et sa vie ne se distinguaient plus bien à ses propres yeux. […] Il a possédé, plus que personne, l’extraordinaire don d’assimilation propre à sa race.

/ 3087