Fernand Gregh qui, par ses beaux poèmes la Maison de l’Enfance et la Beauté de vivre, s’est placé au premier rang de la nouvelle génération poétique. […] Nous sommes plongés dans la vie : il faut la comprendre et la vivre.
Je pourrois encore citer plusieurs passages d’anciens auteurs latins qui ont emploïé les termes de modi et de modulatio dans un sens aussi étendu ; mais pour convaincre le lecteur qu’on s’en servoit communément pour dire toute la composition, il suffira de rapporter la définition que fait du mot de modulation, Diomede grammairien, qui a vécu avant la destruction de l’empire romain. […] Voila pourquoi Boëce qui a vécu sous le regne de Theodoric roi des ostrogots, et quand les théatres étoient encore ouverts à Rome, dit, en parlant d’un compositeur de musique qui met des vers en chant : que ces vers ont déja leur mesure en vertu de leur figure ; c’est-à-dire en vertu de la combinaison des sillabes longues et des sillabes breves dont ils sont composez.
À peine échappés, comme eux, à la maison de servitude, nous vivons sous la tente comme eux, et, comme eux encore, nous sommes nourris en quelque sorte de la manne du ciel ; car le temps n’est pas venu d’avoir des moissons nouvelles. […] Mais ne cherchons point ici l’analogie que d’autres ont cru trouver : les rapports qui peuvent exister entre les temps où s’établit le christianisme, et les temps où nous vivons, ne sont que des rapports d’apparences grossières : nous aurons plus d’une fois occasion de remarquer les différences réelles et intimes.
Quand nous sommes éloignés de la patrie, nous nous rappelons toujours avec délices les jours où nous vivions sous les arbres qui ombragèrent notre berceau ; nous aimons à retracer à notre mémoire et la prairie et le ruisseau et la forêt qui étaient près du toit paternel : nous visitons mille contrées fameuses ; nous admirons les aspects les plus variés d’une nature tantôt belle, tantôt agreste et sauvage ; mais nulle part il ne sort de la terre que nous foulons sous nos pieds des souvenirs animés ; nulle part nous ne reconnaissons et le vent et la lumière et les ombres. […] Une grande tristesse est accourue les saisir ; ils ont été dégoûtés de la vie sans oser désirer la mort, ou plutôt sans chercher ce qui peut consoler de vivre dans des temps aussi terribles.
— non, ce n’est point parce qu’on a fait tout cela, parce qu’on a vécu en plein ciel d’indiscrétions d’abord et en plein enfer d’indiscrétions ensuite, avec un homme moralement violé (drôle d’alliance de mots), qu’on aime nécessairement, sincèrement, ingénument cet homme. […] Elle a moins vécu avec cet homme qu’elle n’a paradé avec lui.
Rigault, qui vivait alors, Rigault, talent tout de culture, mais qui, sans la culture, n’aurait pas été un talent du tout, était une des plus belles espérances de la littérature scolaire. […] Si le jugement que j’ai porté sur lui paraît trop byronien aux horatiens qui vivent toujours, à cette race d’égoïstes, d’impuissants et de vulgaires qui ont pris Horace pour leur poète et croient leur fond sauvé par sa forme, j’ai gardé pour la fin un mot doux et terrible, plus terrible dans sa douceur que la brusquerie de Byron.
Les leveurs d’empreinte qui viendront après nous et qui voudront prendre le plâtre de cette grande Morte du xixe siècle, de cette époque qui aura vécu dans la turbulence et dans l’inquiétude, trouveront sur son front deux caractères ineffaçables, à travers lesquels il sera toujours aisé de la reconnaître : — l’individualisme dans la vie morale, et, dans la vie intellectuelle, la fureur de généraliser. […] Homme à destinée complète, peut-être aurait-il attaché, s’il avait vécu, un éclat de plus, la gloire militaire, à son nom ; mais il mourut à Chio, et, à ce qu’il paraît, des suites d’une blessure reçue dans un combat de mer resté obscur.
… On y voit des faits recueillis dans tous les courants et tous les ravins de la chronique, des masses de faits, qui tombent un peu trop les uns sur les autres comme les avalanches tombent des montagnes, des faits dans leur brutalité muette et dans les obscurités de leur mystère, mais on n’y voit point assez la lumière d’une doctrine qui les éclairerait, les ferait parler et les ferait vivre. […] n’a pas le droit d’écrire ses mémoires, et, j’en demande bien pardon à Cénac-Moncaut, tout peuple non plus n’a pas droit à l’Histoire, parce que, boue et crachat longtemps pétris dans les mains de la divine Providence, il a vécu, combattu et souffert.
On n’est véritablement soulagé pour Renée que quand ce bel insignifiant de Montmorency se met enfin à vivre, et devient quelque chose à l’heure de mourir ! […] Au xviie siècle, Henry de Montmorency, si admiré et si brillant comme grand seigneur et comme homme de guerre, oublié maintenant ainsi que tant d’autres, sans sa mort, historiquement, n’aurait pas vécu.
À l’heure qu’il est, et malgré les soixante ans qui, chronologiquement, nous en séparent, nous vivons la tête dans ses doctrines. […] Plus étonnant que Boswell, ce roi des biographes selon Macaulay, car Boswell avait vécu dans la vie de Johnson et M.
Mais s’il n’a pas été baptisé comme nous, s’il a combattu trente ans contre l’Église et la Monarchie, cette fille de l’Église, et s’il est mort comme il a vécu, il n’en était pas moins chrétien par bien des points de son âme, — un chrétien de nature, et de nature indestructible. […] Ils lui prirent son noble cœur, l’enfermèrent dans une urne d’argent, et le portèrent au premier rang, où il marchait quand il vivait.
L’auteur de l’Essai sur l’indifférence, ce logicien ardent, cet esprit péremptoire, ce polémiste formidable qui vivait sous cette visière baissée de son génie, était, le croira-t-on ? […] Or, il n’existe plus de mariage en politique : les souverains et les nations vivent ensemble, voilà tout !
Le xviiie siècle ne se doutait pas de la perle qui vivait ensevelie — car les perles vivent — sous la mer de fange et de chairs souillées qui allait devenir une mer de sang.
Né en 1707, sous Louis XIV, le Roi réglé et éclatant comme le soleil, qu’il avait pris pour son symbole, Buffon devait garder sur tout lui-même un impérissable reflet de ce grand règne, qui expira sur son berceau, et montrer ce reste de grandeur par la règle, comme pour faire leçon en sa personne à la société déréglée au sein de laquelle il ne vécut pas. […] C’est ainsi que vécut Buffon, c’est ainsi qu’entre la société et la nature, mais plus loin de l’une que de l’autre, il atteignit cette vieillesse qui devait être longue et qui lui alla mieux que la jeunesse, tant ce grand esprit d’ordre et de paix majestueuse paraissait plus grand dans le rassoiement de sa puissance par ces dernières années voisines de la mort, qu’au temps de la virilité !
d’expiation et de rachat, qui feraient, s’il vivait, sourire le terrible Joseph de Maistre, de son sourire le plus cruellement indulgent. […] elle reste insouciante pour la forme qui la fera vivre et qui emporte l’idée vers l’avenir, sur ses ailes !
« Je suis en tout de la plus grande faiblesse, dit-elle, mais, appuyée à la colonne de l’Oraison, j’en partage la force. » Malade, pendant de longues années, de maladies entremêlées et terribles qui étonnent la science par la singularité des]symptômes et par l’acuité suraiguë des douleurs, Térèse, le mal vivant, le tétanos qui dure, a vécu soixante-sept ans de l’existence la plus pleine, la plus active, la plus féconde, découvrant des horizons inconnus dans le ciel de la mysticité, et sur le terrain des réalités de ce monde, fondant, visitant et dirigeant trente monastères, quatorze d’hommes et seize de filles. […] On cherche en vain dans cette aristocratique religieuse agenouillée, sous ce visage, à l’ovale si pur, que l’austère et strict bandeau fait paraître plus pur encore, la Mystique dont l’âme, à force d’énergie, détruisit le corps, la paralytique aux os écrasés et aux nerfs tordus, cet amas sublime d’organes dissous sur lesquels flamboyait l’Extase, l’ombre de fille consumée qui vécut, deux trous ouverts au cœur, les deux trous par lesquels le glaive du Séraphin avait passé, et si physiquement et si réellement, qu’après sa mort, sur le cœur même, on put constater la blessure.
Lacordaire, un homme de son ordre, ce Savonarole qui, en secouant son crucifix au-dessus de sa tête, secouait les passions de Florence comme une torche qu’on veut allumer, a laissé à la postérité distraite un volume de sermons politiques dont la lettre est à peu près morte, et un volume de sermons, purement catholiques, qui vivront toujours, comme le cœur de l’homme et la doctrine de vérité qui s’applique à ce cœur immortel : Immortale jecur ! […] Il ne la connaît pas seulement parce qu’il l’a regardée de cette cellule de moine qui est le meilleur observatoire d’où l’on puisse étudier le monde, mais il la connaît parce qu’il l’a traversée, parce qu’il l’a vécue comme les plus égarés d’entre nous.
C’est un homme, et il a vécu, et c’est même tant mieux, pour sa poésie, qu’il ait vécu !
Ils sont esthétiquement moins beaux, et par conséquent ils s’adressent moins à l’imagination que les pâtres de Miréio, ces figures de bas-reliefs qui vivent, mais ils parlent plus à la pensée. […] Ces enfants gâtés du soleil et souvent terribles, M. de La Madelène les a fait vivre tels qu’ils sont, non pas seulement dans leur vie domestique et de foyer, mais dans leur vie collective, leur vie d’assemblée, d’émeute, de farandoles et de batailles, car le plein air, le dehors, la place publique, sont pour eux bien plus le foyer que le coin du feu de la maison ; il nous les a montrés en plein dix-neuvième siècle et à cette heure du dix-neuvième siècle, dominés par l’incoercible élément méridional, qui leur donne encore la physionomie des ancêtres ; par ce caractère héréditaire et local que la poussière humaine ne perd que le dernier, et qui se révolte avec tant d’énergie sous l’émiettant et l’aplanissant rouleau que la civilisation, cette Tarquine à la main douce, qui ne fait pas voler les têtes de pavot sous les coups de baguette, mais qui se contente de les coucher par terre en les caressant, promène par-dessus toutes choses, comme dans une allée de jardin !
Il en est qui se sont formés en parcourant l’Europe ; il en est dont la pensée solitaire et profonde n’a vécu qu’avec elle-même. […] Vous en voyez plusieurs passionnés pour l’étude, et indifférents pour la gloire ; éloignés de cette ostentation, qui est toujours faiblesse ; ne s’apercevant pas même de ce qu’ils sont, ce qui est la vraie modestie ; honorant leurs bienfaiteurs, louant leurs rivaux, assez fiers pour faire du bien à leurs ennemis ; vous en voyez quelques-uns, ornés des grâces, qui, dans le monde, font pardonner les vertus ; mais ce qui fait le caractère du plus grand nombre, ce sont toutes les qualités que donne l’habitude de vivre plus avec les livres qu’avec les hommes : je veux dire des mœurs, les sentiments de la nature ; cette candeur si éloignée de toute espèce d’art ; Cette bonne foi de caractère qui agit d’après les choses, non d’après les conventions, et ne songe jamais à prendre son avantage avec les hommes ; une simplicité qui contraste si bien avec le désir éternel d’occuper de soi, vice des cœurs froids et des âmes vides ; l’ignorance de presque tout, hors des choses utiles et grandes ; une politesse qui quelquefois néglige les dehors, mais qui, au lieu d’être ou un calcul fin d’amour-propre, ou une vanité puérile, ou une fausseté barbare, est tout simplement de l’humanité ; enfin cette tranquillité d’âme, qui, ayant apprécié tout, et n’estimant dans ce songe de la vie que ce qui mérite de l’être, c’est-à-dire, bien peu de choses, ne se passionne pour rien, et se trouve au-dessus des agitations et des faiblesses.
Le reste constitue l’innombrable armée des assimilateurs qui vivent du talent d’autrui. […] L’intensité du vécu a inspiré à ces débutants des pages dignes de nos meilleurs écrivains. […] Il vivait riche, seul, sans parler à personne, sans fréquenter personne. […] Manon lui est si nécessaire, qu’il trouve lui-même naturel de vivre avec l’argent de ses adorateurs. […] Paul Hervieu avait vécu dans le monde et l’avait étudié de près, avant d’en devenir le peintre impitoyable.
Il semble donc que, pour vivre dans la mémoire des hommes, il faille d’abord les émouvoir. […] Bref, nous vivons par l’héroïne, notre cœur bat selon le sien, nos regards ont ses acuités et ses voiles, et nous voyons comme elle rêve. […] La folie a bénéficié de ce que perdait l’ivresse de vivre. […] Historien audacieusement sage, désireux d’amples métaphores, voyageur en quête de vocables, Chateaubriand a surtout vécu notre dominatrice langue française. […] Une métamorphose magique fera vivre et l’obséder le bourreau, le prophète, le roi, le mendiant, le criminel, le fou, l’enfant, la vierge et l’ouvrier.
Chez nos voisins, les époux, quelle que soit leur contribution au peuplement de la vieille Angleterre, continuent de vivre l’un pour l’autre. […] Et eux aussi, ils ont créé, sur les cimes glacées où ils habitent, une atmosphère irrespirable pour quiconque veut vivre vraiment et pleinement. […] Pour elle, raffinement de son être, pour lui, la sélection de ses ancêtres ne leur permettaient pas de vivre comme leur peu d’argent l’exigeait. […] Elles ont vécu avant Périclès et Phidias. […] Puis, les bandes de moujicks slaves qui envahirent la Morée au vue siècle vécurent longtemps sans le savoir sur les huttes des bergers d’Olympie, écroulées et enterrées à leur tour.
Certains livres catholiques se vendent si bien en France et sont pour les auteurs d’un profit si réel, qu’on assure que M. de Lamennais, ruiné depuis longtemps, a surtout vécu et vit encore de la vente des éditions de son Imitation de Jésus-Christ et de sa Journée du chrétien.
Nous joignons, dans notre souvenir, à ce qu’ils ont été, ce que nous sommes sûrs qu’ils auraient fait s’ils avaient vécu.
Dans ce poème, car le volume n’en contient qu’un, l’auteur a fait un adieu au monde social pour se retirer dans la nature, pour vivre loin des humains et laisser errer ses rêves des cimes des montagnes aux profondeurs des mers, des abîmes du ciel à ceux de la terre.
Les années qu’il m’est donné de vivre encore ne me réservent pas d’aussi douces heures que celles que j’ai passées au milieu d’eux, au sein de devoirs aimés, surprenant ou veillant dans de jeunes cœurs ouverts à toute parole sincère ces secrètes conformités de l’écrivain et du lecteur qui font la vie des ouvrages d’esprit.
La société est un système plus ou moins compliqué de relations sociales au sein desquelles un individu humain est appelé à vivre.
Se concevoir autre, c’est vivre et progresser.
Avec l’espoir de sauver et leurs âmes et la classique, bornée, imperméable, pétrifiée, notion de personne, sans laquelle, ils ne sauraient vivre. De l’obscurantisme, est né, a vécu, continue de vivre l’idée de Dieu. […] Ils vivent comme des bêtes. […] À telle tactique les anciennes aristocraties ont dû de connaître le plaisir de vivre, dont M. de Talleyrand disait que ceux qui n’avaient pas vécu avant 1789 ne pouvaient s’en faire idée. Plaisir de vivre à Versailles, misère de vivre par toute la France.
. — Vous vivrez ? — Je vivrai ! […] Barrière a mis en scène, et celui qu’il excelle à faire vivre. […] L’âme ainsi touchée aura vécu et compris la vie, elle ne l’aura pas créée. […] Il importe assez peu qu’un tel caractère ait vécu ou n’ait pas vécu, ait été pris dans la vie réelle ou soit sorti de l’imagination de l’auteur.
Son succès fut d’ailleurs complet : les individus ne vivent ici que pour la communauté. […] Doté d’intelligence, éveillé à la réflexion, il se tournera vers lui-même et ne pensera qu’à vivre agréablement. […] Avant de philosopher, il faut vivre. […] Nous ne cesserons de le répéter : avant de philosopher, il faut vivre ; c’est d’une nécessité vitale qu’ont dû sortir les dispositions et les convictions originelles. […] Telle est sa conviction vécue ; elle le soutient, elle se confond d’ailleurs avec son effort pour vivre.
« Il considere ce progrès insensible, mais si rapide de la vie vers sa fin, la mort toujours prochaine, ou plutôt toujours présente, le tombeau, la cendre, le tribunal de son Juge, les peines & la gloire de l’Eternité ; il attache sa vue sur ces dernieres fins de l’homme, si propres à régler sa course, &, prosterné chaque jour devant Dieu, il lui demande la grace de bien vivre, pour avoir celle de bien mourir ; sacré soin, précieuse solitude, sceau de Dieu dans les ames prédestinées, vigilance nécessaire, mais rare dans tous les hommes, plus rare dans les Grands, & plus nécessaire encore aux Grands qu’aux autres hommes ».
Ma vie est la vôtre, votre vie est la mienne, vous vivez ce que je vis ; la destinée est une.
Il oublie que Voiture, tant qu’il vécut, tint le dé en ce monde-là ; or, on sait, en fait d’esprit, mais aussi en fait de goût, ce qu’était Voiture. […] Mme de La Fayette vécut treize années encore : on peut s’enquérir chez Mme de Sévigné des légers détails de sa vie extérieure durant ces années désertes. […] En vain l’on se défend, en vain on dissimule : le voile se déchire à mesure que la vie et ses cupidités s’évanouissent ; et l’on est convaincu qu’il en faudroit mener une toute nouvelle, quand il n’est plus permis de vivre. […] On sent qu’on a vécu jusque-là dans l’illusion et le mensonge ; qu’on s’est nourri de viandes en peinture ; qu’on n’a pris de la vertu que l’ajustement et la parure, et qu’on en a négligé le fond, parce que ce fond est de rapporter tout à Dieu et au salut, et de se mépriser soi-même en tout sens, non par une vanité plus sage et par un orgueil plus éclairé et de meilleur goût, mais par le sentiment de son injustice et de sa misère. » Le reste de la lettre est également admirable, et de ce ton approprié et pressant. — Ainsi, vous qui avez rêvé, cessez vos rêves ! […] Ainsi, ma chère madame, nous regardons cette communion, qu’elle avoit accoutumé de faire à la Pentecôte, comme une miséricorde de Dieu, qui nous vouloit consoler de ce qu’elle n’a pas été en état de recevoir le viatique. » — Ainsi mourut et vécut dans un mélange de douceur triste et de vive souffrance, de sagesse selon le monde et de repentir devant Dieu, celle dont une idéale production nous enchante.
Mais, en homme de génie, il met dans ces rôles le plus de l’homme qu’il peut, et c’est assez pour les faire vivre. […] Enfin, ces valets de fantaisie, venus, d’imitation en imitation, de la Grèce en France, par l’Italie ancienne et moderne, sous ce costume bizarre auquel l’imagination de chaque auteur avait cousu quelque lambeau, ils vivent ; car ils sont possibles. […] En cherchant bien autour de certains fils de famille qui se sont ruinés galamment, et qui vivent sur le bien des autres, toujours courant à la suite d’une maîtresse ou devant un créancier, vous trouveriez quelque Mascarille, vicieux comme son maître, larron pour vivre, attaché pourtant, non par dévouement, mais parce qu’il n’y a pas d’hommes plus près d’être des égaux qu’un libertin et son valet. […] N’avait-il pas à faire vivre sa troupe ?
On se plaît quelques instants au demi-jour de la grotte ; on y admire le caprice des formes et le jeu des rayons, mais bientôt on se sent glacé, on aspire à l’air libre et chaud des champs que féconde le soleil : les vraies fleurs sont celles qui vivent, s’épanouissent et aiment. […] Buvant avec son lait la terreur qui l’enivre, A son côté gisant livide et sans abri, La foudre a répondu seule à mon premier cri ; Celui qui m’engendra m’a reproché de vivre, Celle qui m’a conçu ne m’a jamais souri. […] Et quel mal avait-il fait pour que ce Dieu le condamnât à vivre ? […] Si la bête, féroce n’a que des sommeils sanglants comme ses veilles, qui faut-il accuser, sinon la Nature, qui fait vivre les uns de la mort des autres ? […] Besoin inassouvi de notre âme impuissante, Du monde où nous vivons la justice est absente.
Une exhalaison s’échappait de ce grand amour embaumé et qui, passant à travers tout, parfumait de tendresse l’atmosphère d’immaculation où elle voulait vivre. » Puis des récits d’imagination1, aussi nombreux chez Flaubert que les récits de débats intérieurs chez Stendhal, complètent ces comparaisons, dévoilent en Mme Bovary l’ardente montée de ses désirs, l’existence idéale qui ternit et trouble son existence réelle. […] L’impérissable myope, toujours zélé de croire les images confuses et partielles qu’il aperçoit, alternant toute affirmation d’une autre, adhérant à la vérité actuelle et oubliant constamment que l’ancienne fut vérité aussi, protégé par ces continuels mirages contre la glaçante notion de l’inconnaissable dans la science et de l’inutile dans les actes, parvient à vivre presque tranquille et presque heureux, en une existence de rêve et de paix. […] Or que l’on se rappelle que Flaubert vécut au déclin du romantisme, qu’il put absorber et absorba en effet l’énorme vocabulaire du plus grand génie verbal de tous les temps, qu’il admira Hugo avec la ferveur d’un disciple et d’un semblable2. […] Il vécut ainsi douloureusement au déclin de sa vie, ce grand homme, haut de taille, portant sur ses lourdes épaules, une grosse face rubiconde, bénigne et naïve, que coupait une moustache blanche de vieux troupier, que dominait le vaste ovale d’un front rouge, sur des yeux bleus, « dont la pupille, dit M. de Maupassant, toute petite, semblait un grain noir toujours mobile. » Et cet homme à la carrure de cuirassier, qui semblait fait, avec sa mine bonasse de reître, pour courir les aventures, enlever les bataillons à la charge, se tanner le cuir sous des soleils incendiés ou de glaciales bruines, passa sa vie dominé par on ne sait quelle infime modification vasculaire de son encéphale comme un mince artisan, fabriquant, dans l’ombre de la chambre, des objets infiniment délicats. […] Il peinait, il souffrait ; les minuties toujours mieux aperçues de son métier, bornaient de plus en plus son horizon intellectuel ; il souhaita des succès de livres, puis des succès de pages, puis des succès de phrases5 ; il sacrifia graduellement toute sa vie à sa passion ; il vécut dans le sourd malaise des phénomènes, qui logent en leurs corps une âme hétéroclite, jusqu’à ce que cette despotique activité cérébrale, après avoir imposé au corps, sans en être atteinte, une maladie nerveuse l’épilepsie transitoire6 de sa jeunesse ; et de sa vieillesse l’anéantit et le foudroyât au pied de sa table de travail par une dernière et délétère victoire d’un organe sur un organisme.
La littérature légère dont nous nous occupons en ce moment, à propos d’Alfred de Musset, appartient particulièrement à la jeunesse : rire, sourire, badiner, aimer, délirer, chanter, folâtrer avec les primeurs de la vie qui ne vivent qu’un jour, sont choses jeunes de leur nature. […] J’avais encore cinq ou six ans à aimer le théâtre, la musique, la table ; il faut vivre de privations et d’économies ; je saurai me passer de ce que je ne puis avoir sans m’enchaîner, je suis un philosophe également éloigné de la superstition et de l’impiété, un voluptueux qui n’a pas moins d’aversion pour la débauche que de goût pour le plaisir. […] Quoiqu’il eût vécu presque autant qu’un siècle, il n’y avait eu rien de sérieux dans sa longue vie, que son honneur et son amour pour la belle Hortense Mancini, duchesse de Mazarin. […] Mais ces têtes chauves étaient les Scipion, les Caton, les Cicéron, les noms par qui Rome vivait et vivra dans les lettres, dans le cœur et dans la mémoire des hommes de bien de tous les âges futurs.
Mais surtout c’est ce qui explique cette absence entière de toute préoccupation d’art, qu’on a déguisée sous les noms spécieux de « spontanéité » ou de « naïveté ». « Les hommes d’alors, a-t-on dit, ne font pas à la réflexion la même part que nous ; ils ne s’observent pas ; ils vivent naïvement, comme les enfants. » [Cf. […] La préoccupation du présent les absorbe tous tout entiers ; et aussi bien le conçoit-on si l’on songe en quel temps ils vivent. […] Commynes a peu de préjugés, ce qui est toujours une excellente condition pour écrire l’histoire ; il a de l’expérience ; et surtout il a vécu dans la familiarité de l’un des modèles les plus originaux que jamais peintre ait rencontrés. […] Nous en vivons encore nous-mêmes ! […] 2º Le Poète ; — et qu’en saluant en lui le seul ou le « premier » de nos « vieux romanciers » ; Boileau ne s’est pas trompé. — L’écolier parisien du xve siècle ; — ses aventures ; — et comment elles ont failli le conduire au gibet ; — il était peut-être à la veille d’être pendu quand il a composé sa Ballade des pendus et ses deux Testaments ; — quoique d’ailleurs dans la littérature de son temps le Testament soit une forme consacrée. — S’il a fait partie d’une bande de voleurs, — et qu’en tout cas il était « ès prisons » de La Charité-sur-Loire lors de l’avènement de Louis XI. — Il en sortit à cette occasion, et, de ce moment, on perd sa trace. — Mais on en sait assez pour affirmer que la grande supériorité de son œuvre tient à ce qu’il a « vécu » sa poésie.
C’est alors que sa mère, chassée, ruinée par son amant, vient lui demander de la faire vivre. […] Tandis que ces avocats, c’est comme les journalistes : on ne sait trop comment ils vivent. […] L’air était chaud et bleu, un merle gazouillait, tout semblait vivre dans une douceur profonde. […] Décidé à vivre en paix, il suivra sa dentition où ses caprices le conduiront. […] Il y vivait en paix lorsque les bruits de guerre vinrent jusqu’à lui.
N’attendez pas d’y vivre pour commencer vos lectures. […] Parquoy c’est pareille folie de pleurer de ce que d’icy à cent ans nous ne vivrons pas, que de pleurer que de ce que nous ne vivions pas il y a cent ans. […] Le long temps vivre et le peu de temps vivre, est rendu tout un par la mort : car le long et le court n’est point aux choses qui ne sont plus. […] Le premier jour de vostre naissance vous achemine à mourir comme à vivre. Tout ce que vous vivez, vous le desrobez à la vie ; c’est à ses dépens.
Le gouvernement et le public, marchant alors sans crainte et sans scrupule, chacun dans sa carrière, vivent ensemble sans s’observer avec méfiance, ne se rencontrant même que rarement. […] Ainsi les mœurs publiques appelaient la poésie ; ainsi la poésie naissait des mœurs publiques et s’unissait à tous les intérêts, à toute l’existence de cette population accoutumée à vivre, à agir, à prospérer et à se réjouir en commun. […] dans ces actions si positives, si complètes, si conséquentes, vivent et se déploient toutes les inconséquences, tous les bizarres mélanges de la nature humaine. […] Shakespeare mort, Ben-Johnson vivait. […] Écrivain qui vivait environ cinquante ans après Shakespeare, et qui a recueilli des souvenirs et des traditions de son temps.
VII), et incapables de vivre dans la réalité. […] Avant d’être pensé, il a dû être vécu. […] J’ai commencé de vivre ! […] Penser, vivre et agir par imagination, c’est ne pas sortir de soi. […] Ainsi j’ai vécu : ainsi vont les années fécondes.
Mais vivent les clochers, la tiare, l’étole, Camille, et les oisons, sauveurs du Capitole ! […] Dans la solitude où nous vivons, vous ne pourriez être connu de personne, mais vous ne seriez pas fâché de passer ainsi quelques jours, et le tout ne vous éloignerait pas plus d’un mois de vos amis. […] « Vous avez raison : je suis un peu difficile à vivre, mais pour rancuneuse, je ne le suis pas ; je dis ce qui me blesse et puis je n’y pense plus. — Me voici à Rome depuis douze jours. […] Et lorsque plus tard, dans cette lutte déclarée du droit contre la fraude et du pays contre un parti, lorsqu’à l’heure du triomphe légal le grand citoyen fut nommé député sept fois, j’ai peine à croire que de ces sept élections il n’en fût pas revenu deux ou trois à Camille, s’il avait vécu. […] Necker vivait encore.
On s’est écrié que Molière même, s’il vivait de nos jours, ne trouverait pas grâce devant moi ! […] Ne vous êtes-vous jamais demandé de quel droit ils naissent heureux, et pour quel crime vous vivez et mourez dans la misère ? […] Misérables tous les deux, nous avons vécu aux dépens de ce monde, mais j’ai une autre méthode que toi, et je m’en trouve assez bien. […] Vous avez à vivre, et vous serez toujours pauvres. […] À vivre en face du vice, on se familiarise avec lui ; on se blase sur l’effroi ou le dégoût qu’il inspirait d’abord.
Honorer ses parents, afin de vivre longuement sur la terre, n’est pas une promesse faite aux individus, mais aux familles, aux groupes humains, qui durent par la tradition, par la lutte pour la tradition, par le maintien, eût dit Quinton, de leur température originelle. […] Les lettres ne vivent que par les découvertes et l’originalité de la forme, elles ne sont donc pas, du moins depuis la fin du système classique, traditionnelles, mais elles sont volontiers traditionalistes. […] Simplement il ne concevait que la République des cadres et par les cadres, tandis que Clemenceau, qui avait inventé Boulanger, et à qui il était réservé d’être lui-même le général ou plutôt le conventionnel Revanche, ne la sentait et ne la vivait que sous sa forme autoritaire. […] Nous vivons aujourd’hui, comme on dit, sous ce signe. […] se révélera toujours, pour un malin, d’un affairisme plus efficace qu’un Vivent les affaires !
Charles Asselineau Sans réclamer pour lui le premier rang qu’il convient sans doute de réserver à des talents plus amples et plus robustes, je ne crains pas de dire que parmi les écrivains du second, en ce temps-là, il est peut-être celui dont le nom est le plus assuré de vivre, par cette seule raison qu’il s’est plus exclusivement qu’aucun autre attaché à l’art.
. — La Joie de vivre (1884). — Germinal (1885). — L’Œuvre (1886). — La Terre (1887). — Renée, pièce en cinq actes (1887). — Le Rêve (1888). — La Bête humaine (1890). — L’Argent (1891). — La Débâcle (1898). — Le Docteur Pascal (1893)
Daniel auroit faits lui-même, s’il eût vécu assez de temps pour tirer parti des nouveaux secours historiques qui ont facilité & enrichi le travail de son Editeur.
Nous savons d’ailleurs qu’il est issu d’une famille honnête de notre ville d’Amiens ; que son aïeul & son pere y ont rempli différentes charge municipales, & qu’ils y ont toujours, ainsi que le sieur Gresset lui-même, vécu de cette maniere honorable, qui, en rapprochant de la Noblesse, est en quelque sorte un degré pour y monter, & c. »
Commencez, Seigneur, à songer Qu’il importe d’être & de vivre ; Pensez à vous mieux ménager.
Ce qui est peut-être exprimé parfois dans ce recueil, ce qui a été la principale préoccupation de l’auteur en jetant çà et là les vers qu’on va lire, c’est cet étrange état crépusculaire de l’âme et de la société dans le siècle où nous vivons ; c’est cette brume au-dehors, cette incertitude au-dedans ; c’est ce je ne sais quoi d’à demi éclairé qui nous environne.
Le jour où cet époux, comme un vendangeur ivre, Dans son humble maison t’entraîna par la main, Je m’assis à la table où Dieu vous menait vivre, Et le vin de l’ivresse arrosa notre pain.
Sophocle fait mourir Jocaste, il est vrai, au moment où elle apprend son crime, mais Euripide la fait vivre longtemps après.
Aussi convient-il d’encourager tous ceux qui, appelés par leurs fonctions à vivre au contact de populations aussi mal connues de nous que le sont encore les Noirs de l’Afrique Occidentale, ont eu la patience et le talent d’écouter parler les indigènes et de recueillir de leur bouche les contes merveilleux ou légendaires, les fables d’animaux, les apologues satiriques qui constituent le fond de la littérature orale de ces peuplades privées de littérature écrite.
(Bambara) Deux amis vivaient dans un même village, chacun avec sa maîtresse.
Comptez qu’ils sortent à peine du moyen âge, et que le moyen âge a vécu sur un fumier. […] Ainsi que dans un camp22, les dépenses, l’habillement ; la nourriture de chaque classe sont fixés et restreints ; nul homme ne peut vaguer hors de son district, être oisif, vivre à sa volonté. […] Ils vivent comme ils peuvent, font des dettes, écrivent pour gagner leur pain, montent sur le théâtre. […] Je voudrais lever les mains, mais, voyez, ils les retiennent, Lucifer et Méphistophélès les retiennent… — Plus qu’une heure, une pauvre heure à vivre… L’horloge va sonner, le démon va venir, Faust sera damné. — Oh ! […] « Parmi les laïques, il y avait peu de dévotion ; le jour du Seigneur était grandement profané et peu observé ; les prières communes n’étaient pas fréquentées ; plusieurs vivaient sans rendre aucun culte à Dieu.
« Je souriais encore, je composais mes attitudes ; mais au fond je ne vivais plus. […] Alors il s’écrie : « Vivre seul ! […] Runjet-Sing n’est pas mort ; il vivait à l’époque du voyage de Jacquemont, en 1831, et tout porte à croire qu’il vit encore. […] J’ai vu mourir bien des jeunes gens, robustes, pleins d’avenir, qui jouaient avec la mort ; et je vois vivre, avec une mauvaise santé, nombre de personnes qui en ont une peur effroyable. […] Jacquemont vécut encore quelques jours, qu’il employa à donner à M.
À ce prix, inquiet sur ce seul point, rassuré sur le reste, je me résigne à vivre en exil, à ne point revoir la maison natale, et, avec cette amère certitude, j’attendrai le décret du destin, soit que l’ennui d’un ciel étranger doive m’enlever avant l’heure, soit qu’il plaise à la Parque de me laisser longtemps survivre. […] C’est bien alors que celui qui survit peut s’écrier avec Pline le Jeune : « J’ai perdu un témoin de ma vie… Je crains désormais de vivre plus négligemment. » Parler de La Boétie et de Montaigne, c’est nécessairement parler de l’amitié. […] Du moins l’éditeur de 1833, M. de Lamennais, a eu le mérite de la franchise ; il a fait sa préface et l’a dirigée contre qui de droit, absolument comme si l’on vivait sous Tibère : « La Terreur a régné en Europe il y a quarante ans, disait-il : il serait curieux de voir aujourd’hui sur une couronne le bonnet rouge de Marat. » L’année suivante (1836), on réimprimait le même traité de La Servitude volontaire, transcrit en langage moderne pour être plus à la portée d’un chacun, voire des moins aisés, par Adolphe Rechastelet, anagramme de Charles Teste (Bruxelles et Paris).
Une fois retiré du service, Saint-Martin vécut dans le monde et dans la belle société du xviiie siècle ; il voyagea en France et à l’étranger, en Angleterre, en Italie ; il vit Rome, mais à son point de vue. […] Voyons-le donc dans le monde où il vivait alors et comme un des témoins les plus discrets et les plus originaux de la société de ce temps. […] Quoi qu’il en soit, le beau monde recherchait beaucoup M. de Saint-Martin dans ce demi-incognito philosophique et divin où il vivait ; les princesses françaises et allemandes se le disputaient, dans un temps où il avait son logement au Palais-Bourbonf.
Dans le printemps et l’été de cette année 92, il vécut à Petit-Bourg, où il écrivait en prose un poème hiéroglyphique et baroque intitulé Le Crocodile ; il le termina le 7 août 1792, « à une heure après midi, dans le petit cabinet de son appartement de Petit-Bourg, donnant sur la Seine ». […] Après la Terreur, il se retira quelque temps à sa maison de campagne de Chaudon et ne songea qu’à y vivre caché, selon sa maxime « qu’un sage (au sens complet qu’il donnait à ce mot) était un homme qui prenait autant de soin à cacher ce qu’il avait, que les autres en prennent pour montrer ce qu’ils n’ont pas ». […] Le propre de l’âme de l’homme, tant elle a conservé de royales marques de sa hauteur première, est de ne vivre que d’admiration, « et ce besoin d’admiration dans l’homme suppose au-dessus de nous une source inépuisable de cette même admiration qui est notre aliment de première nécessité ».
On voit nettement le défaut de la cuirasse ; pour vivre et résister dans un tel milieu, il n’avait pas la trempe. […] Il a dit d’une manière piquante, et qui se rapporte bien à sa première timidité et gaucherie naturelle : Je ne veux pas être loué, mais approuvé seulement ; voilà l’aliment de mes succès, et si je vivais tout de suite avec des gens dont je sentisse l’approbation continuelle et pas autre chose ni moins, je ne sais pas jusqu’où j’irais. […] De tout cela il lui a résulté peu de soif de la justice, et comme il ne se commande rien à lui-même, par facilité de vivre et par habitude de suivre ses penchants, il ne s’est formé aucuns principes de morale, de justice, ni de droit public ; il ne voit ces règles qu’à mesure des occurrences et de l’offre de chaque espèce, ce qui rend nécessairement cette conduite fautive et peu profonde, n’étant conduite que par l’esprit.
— Je n’avais pas assez de temps pour l’employer A compasser des mots : — adorer mon idole, La parer, admirer sa chevelure folle, Mer d’ébène où ma main aimait à se noyer ; L’entendre respirer, la voir vivre, sourire Quand elle souriait, m’enivrer d’elle, lire Ses désirs dans ses yeux ; sur son front endormi Guetter ses rêves, boire à sa bouche de rose Son souffle en un baiser, — je ne fis autre chose Pendant quatre mois et demi. […] Ami, vous avez beau, dans votre austérité, N’estimer chaque objet que par l’utilité, Demander tout d’abord à quoi tendent les choses Et les analyser dans leurs fins et leurs causes ; Vous avez beau vouloir vers ce pôle commun, Comme l’aiguille au nord, faire tourner chacun ; Il est dans la nature, il est de belles choses, Des rossignols oisifs, de paresseuses roses, Des poètes rêveurs et des musiciens Qui s’inquiètent peu d’être bons citoyens, Qui vivent au hasard et n’ont d’autre maxime, Sinon que tout est bien, pourvu qu’on ait la rime, Et que les oiseaux bleus, penchant leurs cols pensifs, Écoutent le récit de leurs amours naïfs. […] Toujours, au milieu du festin, au sein de l’ivresse, et quand le poète enflammé exhalera l’ardeur de ses chants entre les bras de Théone ou de Cinthie, la Mort se lèvera tout à coup et apparaîtra devant ses yeux, non la Mort des anciens dont l’idée ne faisait qu’aiguiser plutôt et raviver le sentiment du plaisir, mais la Mort de la Danse macabre, avec son ricanement féroce, et qui vous met et vous laisse au cœur une certaine petite crainte a l’Hamlet que la nuit funèbre ne soit pas le long sommeil, mais le rêve, et que tout ne soit pas fini après la vie : La mort ne serait plus le remède suprême ; L’homme, contre le sort, dans la tombe elle-même N’aurait pas de recours, Et l’on ne pourrait plus se consoler de vivre, Par l’espoir tant fêté du calme qui doit suivre L’orage de nos jours !
En général, on vivait là-dessus ; on lisait dans des textes faciles, comme on se promène dans des allées sablées. […] Et n’était-ce point, en effet, pour un esprit poétique et cultivé qui se sentait vieillir, un agréable et bien doux emploi des heures plus lentes, une bien aimable manie, que de se mettre ainsi à côté et sous l’invocation d’un Ancien, et, sous prétexte de lutter avec un maître et en s’en flattant, de s’appuyer sur lui, de vivre avec lui dans un commerce intime qui faisait pénétrer dans tous ses secrets de composition, dans toutes ses beautés et ses grâces de diction ? […] Du Bellay donne très justement le précepte d’user à propos de l’infinitif pris substantivement : l’aller, le chanter, le vivre, le mourir, le renaître… La Fontaine a bien su en user de lui-même : Maître François dit que Papimanie Est un pays où les gens sont heureux.
De là vient que pensant comme Genève, il ne put vivre à Genève. […] Poète de cour, il refléta l’esprit et les besoins de la cour, hors de laquelle il ne pouvait vivre en joie. […] Pour une telle nature, le plus insupportable mal, c’est la solitude, et l’ennui ; on le vit bien quand il vécut à Venise.
Mais on l’admirait, quand on voyait autour de lui tant de gens qui ne vivaient que par lui, et qui ne lui en étaient pas toujours reconnaissants ; il élevait Mlle Corneille, une arrière-petite-nièce du poète, la dotait avec le commentaire sur l’oncle, la mariait, se brouillait avec elle ; alors il prenait Mlle de Varicourt, à qui il trouvait aussi une dot et un mari. […] Il n’avait pas le sens de l’histoire, le don de vivre dans le passé et d’être en sympathie avec les générations lointaines. […] Voltaire a peu de sens : du moins il ne fait pas attention aux sensations que lui fournissent les choses extérieures ; il les emploie à vivre, à penser ; il ne les prend pas elles-mêmes pour matière d’art.
« Il y a aussi dans ce mot une part de langueur faite d’impuissance résignée, et peut-être du regret de n’avoir pu vivre aux époques robustes et grossières de foi ardente, à l’ombre des cathédrales. […] Cet industriel vivait depuis longtemps, déjà, retiré des affaires. […] Baju s’était vite ressaisi et avait célébré son affranchissement en tête du premier numéro de la seconde série du Décadent, la seule qui compte, assure Verlaine, et c’est pour cette rédaction dès lors « homogène » que le maître écrivit la Ballade des bons écrivains : Quelques-uns dans tout ce Paris Nous vivons d’orgueil et de dèche.
Ou bien, chez les historiens secondaires, une impuissance remarquable à noter les différences qui ont pu exister entre les époques lointaines et celle où ils vivent. […] Les sceptiques et les épicuriens de la société du Temple recueillent la tradition de Saint-Evremond et de Ninon de Lenclos, qui s’obstinent à vivre assez longtemps pour se voir refleurir en eux. […] S’il avait vécu jusqu’à nos jours, il aurait eu bien d’autres sujets de surprise.
Philiberte le supplie de vivre, de l’aimer et de l’épouser. […] Elle a choqué souvent, blessé parfois, inquiété toujours, mais elle n’a jamais ennuyé ; elle est brusquée, décousue, sans vérité sociale et sans vie morale ; mais elle amuse, elle intéresse, elle tient en haleine, elle jette aux yeux la poudre d’or de l’esprit ; elle vivra, je le crois du moins, quoiqu’elle n’ait fait que se donner la peine de naître… tout au plus. […] il faut vivre dans ce monde, et le prêtre lui-même vit de son autel.
Il vivait depuis de longues années à Weimar, à la petite cour de Charles-Auguste, dans la faveur, ou, pour mieux dire, dans l’amitié et l’intimité du prince, dans une étude calme, variée, universelle, dans une fécondité de production incessante et facile, en tout au comble de la félicité, du génie et de la gloire. […] Mais Bettina vivait loin de lui ; elle lui écrivait des lettres pleines de vie, brillantes de sensations, de couleurs, de sons et d’arabesques de tout genre, qui l’intéressaient et le rajeunissaient agréablement. […] Beethoven était certes aussi amoureux de l’art que Goethe pouvait l’être, et l’art serait toujours resté sa passion première ; mais il souffrait, il vivait superbe et mélancolique dans son génie, séparé du reste des hommes, et il aurait voulu s’en séquestrer davantage encore ; il s’écriait avec douleur et sympathie : « Chère, très chère Bettine, qui comprend l’art ?
Pourtant il paraît qu’aussitôt après son mariage il essaya de vivre d’un emploi régulier, et qu’il fut quelque temps dans la finance en province, commis chez quelque fermier général : il n’y resta que peu et en rapporta l’horreur et le mépris des traitants, qu’il a depuis stigmatisés en toute rencontre. […] Ce livre ne saurait être mal écrit, étant de Lesage ; mais il est aisé de s’apercevoir, par les matières que cet auteur traite depuis quelque temps, qu’il ne travaille que pour vivre, et qu’il n’est plus le maître, par conséquent, de donner à ses ouvrages du temps et de l’application. […] Il n’eut pas à ses côtés l’Aristarque, et s’abandonna sans réserve aux penchants de sa nature, et aussi au besoin de vivre qui le commandait.
Car enfin, ce droit de compter sur soi-même, et de mesurer son obéissance sur la justice, la loi et la raison ; ce droit de vivre et d’en être digne, c’est notre patrimoine à tous ; c’est l’apanage de l’homme qui est sorti libre et intelligent des mains de son Créateur. […] Il se plaisait à indiquer que le ministère dont il était chef, que lui-même en particulier, prenait volontiers sur lui tout l’odieux des lois proposées, et que d’autres recueilleraient un jour le fruit plus facile de ces rudes journées de lutte et de labeur. — « On nous fera responsables, on s’attaquera à nous, nous deviendrons le bouc émissaire de la société ; soit. » Il en prenait hautement son parti, et d’un ton demi-railleur, accentué de dédain, il faisait beau jeu à l’avance aux amis douteux ou aux adversaires : Pendant ce temps, disait-il, les périls s’éloigneront ; avec le péril, le souvenir du péril passera, car nous vivons dans un temps où les esprits sont bien mobiles et les impressions bien passagères. […] La révolution de Février a dû porter un dernier coup aux théories chères à M. de Broglie ; car enfin, si jusque-là il avait dû sacrifier plus d’une de ses anciennes et premières idées à la conservation de la monarchie constitutionnelle, cette monarchie subsistait et vivait.
Il vint à Paris en 1759 en qualité de secrétaire d’ambassade, et, à part de courtes absences, il y résida jusqu’en 1769, c’est-à-dire pendant dix années : il ne comptait avoir vécu d’une vraie vie que durant ce temps-là. […] Il fait des réductions, des suspensions, et cause la banqueroute du savoir, du plaisir et de l’esprit humain. » En philosophie, le vrai système de l’abbé Galiani est celui-ci : il croit que l’homme, quand il n’a point l’esprit alambiqué par la métaphysique et par le trop de réflexion, vit dans l’illusion et est fait pour y vivre : « L’homme, nous dit-il, est fait pour jouir des effets sans pouvoir deviner les causes ; l’homme a cinq organes bâtis exprès pour lui indiquer le plaisir et la douleur ; il n’en a pas un seul pour lui marquer le vrai et le faux d’aucune chose. » Galiani ne croit donc pas à la vérité absolue pour l’homme, à la vérité digne de ce nom : la vérité relative, qui n’est qu’une illusion d’optique, est la seule, selon lui, que l’homme doive chercher. […] Une femme de Paris, Mme Du Bocage, lui avait proposé de remplacer auprès de lui Mme d’Épinay comme correspondante, pour le tenir au courant des choses et des personnes ; il refuse cette distraction et ce soulagement : Il n’y en a plus pour moi, s’écrie-t-il avec un accent qu’on ne saurait méconnaître ; j’ai vécu, j’ai donné de sages conseils, j’ai servi l’État et mon maître, j’ai tenu lieu de père à une famille nombreuse ; j’ai écrit pour le bonheur de mes semblables ; et, dans cet âge où l’amitié devient plus nécessaire, j’ai perdu tous mes amis !
Elle rêvait dans l’avenir gloire, grandeur politique, puissance, et, en attendant, elle voulut vivre le plus à son gré et le plus en souveraine qu’elle pût, rendre le moins possible aux autres et se passer tous ses caprices, avoir sa cour à elle, où ne brillât nul astre rival du sien. […] On meurt comme on a vécu… — Ajoutez, pour achever de la peindre, qu’aimant à ce point la comédie et la jouant sans cesse, elle la jouait mal, et qu’elle n’en était que plus applaudie. […] Rentrée à Sceaux après une rude épreuve d’humiliation et de disgrâce (1720), elle se remit peu à peu dans les conditions où elle avait d’abord vécu ; elle ne trouva plus de résistance et oublia qu’il y en avait pour elle à deux pas hors de son vallon.
Eût-il vécu cent ans, il n’aurait jamais obtenu ce qui s’appelle considération, autorité ; mais il sut mériter l’indulgence et l’affection, et il peut encore être étudié aujourd’hui comme une curiosité du Grand Siècle et comme une gentille bizarrerie de la nature. […] L’abbé de Choisy, fort surpris de ce qu’il appelle la bizarrerie de M. de Montausier, mais à qui rien n’était sensible comme une désapprobation royale ou ce qui en approchait, crut là-dessus qu’il était bon de s’éclipser, et, durant deux ou trois ans, il alla vivre incognito dans un château du Berry qu’il acheta tout exprès, se faisant appeler la comtesse des Barres, jouant la comédie, s’habillant, se déshabillant, se coiffant et se mirant tout le jour, entouré de la noblesse et de la gentilhommerie du pays, curés, intendants, évêques, Mme la lieutenante générale, tous honnêtes gens qui raffolaient de lui comme d’une élégante Parisienne, et en usant sous main de telle sorte, qu’en d’autres temps il aurait pu avoir affaire au procureur du roi pour séduction de mineures. […] Durant trente-sept ans que l’abbé de Choisy vécut encore (1687-1724), il ne cessa de composer et d’écrire sur toute espèce de sujets ; il le faisait sans prétention, avec un agrément qui ne sentait pas l’érudition ni l’étude, et qui n’excluait pourtant pas certaines recherches.
Songez à moi, monsieur, dans ce temps qui, si j’en crois ce qu’annonçaient les derniers mois où je vivais avec les vivants, doit être fécond en événements (la Guerre d’Amérique) ; songez à moi, dis-je, ou plutôt (car j’ai assez de preuves que vous daignez vous occuper de ma triste existence) rappelez-la à d’autres. […] Il s’était mis à étudier le métier de la guerre et tout ce qui en dépendait, génie, artillerie, même le détail des vivres, comme il étudiait toutes choses, avec acharnement, avec l’ardeur propre à sa nature laborieuse et absorbante, à cette nature rapace et vorace, et jamais assouvie. […] L’amant était encore tout vivant et tout délirant en lui ; le père était tout occupé de l’enfant qui venait de naître et qui vécut peu ; le prisonnier multipliait ses réclamations, ses apologies, ses mémoires, dans la vue de ressaisir sa liberté, et, en attendant, l’homme d’étude se livrait à toutes les lectures qui lui étaient possibles, à la traduction et à la composition de divers ouvrages, dont on voudrait à jamais anéantir deux ou trois, pour l’honneur de l’amour, pour la dignité du malheur et celle du génie.
« Il est facile à un homme d’honneur de remplir son devoir quand il est tout tracé ; mais qu’il est cruel de vivre dans des temps où l’on peut et où l’on doit se demander où est le devoir ! » Il fut donné à Marmont de se poser deux fois ce fatal problème : « Heureux, s’écriait-il, heureux ceux qui vivent sous l’empire d’un gouvernement régulier, ou qui, placés dans une situation obscure, ont échappé à cette cruelle épreuve ! […] Tel, on le voit, tel vivait le duc de Raguse pendant la seconde moitié de la Restauration, oubliant peu à peu ses disgrâces, très aimé de ses amis, absous et plus qu’absous de tous ceux qui rapprochaient, et qui lisaient à nu dans cette nature vive, mobile, sincère, intelligente, bien française, un peu glorieuse, mais pleine de générosité et même de candeur (le mot est d’un bon juge, et je le reproduis) ; piquant d’ailleurs de parole, pénétrant dans ses jugements, parlant des hommes avec moquerie ou enthousiasme, des choses avec intérêt, avec feu et imagination, parfaitement séduisant en un mot, comme quelqu’un qui n’est pas toujours froidement raisonnable.
Et quand sur ce fond d’un paysage si neuf et si grand se détachent les deux plus gracieuses créations de figures adolescentes, et que la passion humaine y est peinte aussi dans toute sa fleur et dans toute sa flamme, il y a de quoi mériter à jamais de vivre, et de quoi couvrir bien des erreurs, des ignorances et des infirmités qui se trahissent ailleurs chez l’homme et dans son talent. […] Sans quelques fruits, l’Europe n’aurait qu’à pleurer sur des trophées inutiles ; mais des peuples entiers vivent en Allemagne des pommes de terre venues de l’Amérique, et nos belles dames mangent des cerises qu’elles doivent à Lucullus. […] Quand 300 livres ne seraient rien pour vous, ne savez-vous pas qu’un bienfait en attire d’autres ; que, si vous vivez plus à l’aise, vous serez plus en état de travailler, de vous procurer une existence agréable ?
Comme la métaphysique, comme la morale, l’art enlève donc l’individu à sa vie propre pour le faire vivre de la vie universelle, non plus seulement par la communion des idées et croyances, ou par la communion des volontés et actions, mais par la communion même des sensations et sentiments. […] Recommencer toujours à vivre, tel serait l’idéal de l’artiste : il s’agit de retrouver, par la force de la pensée réfléchie, l’inconsciente naïveté de l’enfant. » VI. — Ce qui est aux yeux de Guyau la règle suprême . de l’art, c’est cette qualité morale et sociale par excellence : la sincérité ; si donc il attache à la forme une très grande importance, il ne veut point qu’on sépare la forme du fond. […] Guyau, pour le montrer, passe en revue les grands poètes de notre temps, Lamartine, Vigny, Musset ; il insiste de préférence sur celui qui a vécu le plus longtemps parmi nous, et qui a ainsi le plus longtemps représenté en sa personne le dix-neuvième siècle : Victor Hugo.
Dans le désarroi universel des énergies, on ignore le but poursuivi, on redoute l’émotion pour rechercher la sensation et, depuis qu’on ne cesse de nous répéter qu’il faut aller vers la Vie, qu’il faut vivre, la quantité des œuvres artificielles n’a cessé d’augmenter. […] Nous avons rêvé : ils veulent vivre et dire ce qu’ils ont vécu, directement, simplement, intimement, lyriquement.
L’homme de lettres, — j’excepte Dumas fils et Philibert Audebrand, — gagne, en général, assez pour mal vivre quatre mois sur six à Paris ; comment voulez-vous, à moins de chercher une ressource sérieuse dans l’extermination des œils-de-perdrix, qu’il prélève, sur les deux mois qui lui restent à ne pas vivre du tout à Paris, de quoi vivre seulement un peu à Luchon, — Luchon, où les hôtelleries n’ont qu’un but : réduire le voyageur à la mendicité ?
Jusqu’à douze ans j’allais à l’école, je devins Robinson, je vécus cinq ans en Orient et depuis je végète. » Karl Ottenaf : « J’avoue que je n’ai jamais aimé les Allemands, et que je ne hais rien plus au monde que le bourgeois allemand depuis que je sais penser. […] Lettres italiennes Futurisme et néoprimitifsai Tokineaj « L’art c’est la mode… La mode c’est l’atmosphère dans laquelle se meuvent, vivent et respirent les artistes véritablement créateurs d’une époque » écrit A. […] Prouvez-nous le contraire ; aidez-nous à vivre et à créer.