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1526. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXIIe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

Vous courez à l’endroit d’où ils sont partis, et vous n’y trouvez que quelques plumes, seules marques de leur passage, que le vent a déjà dispersées : heureux le favori des Muses qui, comme le cygne, a quitté la terre sans y laisser d’autres débris et d’autres souvenirs que quelques plumes de ses ailes !  […] Le christianisme s’associait divinement à la cure, et, sous un voile transparent qui laissait conjecturer une passion doublement immorale, il donnait une page suspecte de ses Mémoires personnels, purifiée par la douleur et par la religion. […] Il m’échappa quelques plaintes sur son oubli, et je laissai sans doute percer l’attendrissement qui surmontait peu à peu mon cœur. […] D’involontaires soupirs venaient expirer sur ses lèvres ; tantôt elle soutenait, sans se fatiguer, une longue course ; tantôt elle se traînait à peine ; elle prenait et laissait son ouvrage, ouvrait un livre sans pouvoir lire, commençait une phrase qu’elle n’achevait pas, fondait tout à coup en pleurs, et se retirait pour prier. […] Quiconque a reçu des forces, doit les consacrer au service de ses semblables ; s’il les laisse inutiles, il est d’abord puni par une secrète misère, et tôt ou tard le ciel lui envoie un châtiment effroyable. » Troublé par ces paroles, René releva du sein de Chactas sa tête humiliée.

1527. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « De l’influence récente des littératures du nord »

Un devoir inattendu, une petite fille abandonnée qu’il recueille, achève son retour à la vie morale  Adam Bede, ouvrier charpentier, aime une jeune paysanne coquette, pas méchante, mais qui, de faiblesse en faiblesse, en vient à se laisser séduire par un gentilhomme campagnard et, devenue mère, étouffe son nouveau-né. […] Or, ce second caractère tout au moins, pour ne retenir maintenant que celui-là, se retrouve évidemment, et avec une plénitude qui ne laisse rien à désirer, dans une partie considérable de l’œuvre de George Sand. […] Étant donné sa foi en Dieu et l’idée qu’elle se fait de cette vie transitoire, elle ne devait, elle ne pouvait que se laisser mourir avec ses parents. […] Je laisse M.  […] Je laisse M. 

1528. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Sully, ses Économies royales ou Mémoires. — II. (Suite.) » pp. 155-174

Je vous conjure donc de venir et d’amener tout ce que vous pourrez, surtout votre compagnie et les deux compagnies d’arquebusiers à cheval de Badet et Jammes, que je vous ai laissées ; car je les connais et m’en veux servir. […] Dans cet état, le mollet emporté d’un coup de lance, blessé d’un coup de pistolet à la hanche, et d’un coup d’épée à la tête et à la main, il ne laissa pas de se relever après quelque étourdissement ; mais il se trouva seul sur le champ de bataille, n’ayant près de lui aucun des siens, ne sachant où aller ni que faire. […] Il prétend que ce gouvernement de Gisors lui appartient, et, le roi le lui refusant, toujours par les mêmes raisons de ne porter ombrage aux seigneurs catholiques, Rosny s’irritera encore, criera au passe-droit, et fera au roi les mêmes reproches qu’au lendemain d’Ivry : À tous lesquels reproches, il (le roi) ne vous répondit jamais autre chose sinon : « Je vois bien que vous êtes en colère à cette heure ; nous en parlerons une autre fois » ; et s’en alla d’un autre côté ; puis, vous voyant avoir fait de même, il dit à ceux qui le suivaient : « Il le faut laisser dire, car il est d’humeur prompte, et soudaine, et a même quelque espèce de raison ; néanmoins, il ne fera jamais rien de méchant ni de honteux, car il est homme de bien et aime l’honneur. » Voilà la mesure des bouderies de Sully, et le mot de Henri sur son compte demeure le vrai. […] Il nous a laissé son credo religieux et son symbole, tout chrétien, sans rien d’exclusif.

1529. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le prince de Ligne. — I. » pp. 234-253

Plus on le laisse parler lui-même, mieux il se dessine ; il semble d’ailleurs que, sur son compte, toutes les formes de l’éloge brillant soient épuisées. […] Sans prétendre devancer cette idée finale qu’il laissera après qu’on aura publié ses Mémoires au complet, je voudrais ici parler un peu du prince de Ligne comme de quelqu’un qui a beaucoup écrit, et, sans le traiter précisément comme un auteur, m’appuyer de ce qu’il a fait imprimer pour donner quelques remarques et sur l’homme et sur le temps. […] Même après les avantages, on laisse souvent l’ennemi se retirer en bon ordre : « Il aurait été difficile de l’entamer, dit-il d’une de ces premières marches prussiennes dont il est témoin ; à la vérité nous n’étions pas entamants. » À une première affaire où il s’agit d’occuper une crête de hauteur, il y arrive avec son monde en même temps que l’ennemi : « Nous eûmes un moment de flux et de reflux comme au parterre de l’Opéra. » Cette image lui vient tout naturellement comme à une fête. […] Il a laissé là-dessus quelques pages qui sentent une âme enfin initiée, et qui montrent qu’il avait été récompensé de ses soins champêtres assidus.

1530. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Joinville. — I. » pp. 495-512

Pour laisser la délibération plus libre, il se lève et sort du conseil, et il en passe sans débat par tout ce qui est décidé. […] Le roi mande ses barons à Paris, et leur fait faire serment qu’ils porteront foi et loyauté à ses enfants si aucune chose fâcheuse lui advient dans le voyage : « Il me le demanda, dit Joinville ; mais je ne voulus point faire de serment, car je n’étais pas son homme. » L’amitié si tendre qui bientôt attachera Joinville à saint Louis laissera toujours subsister cependant ce coin d’indépendance féodale et personnelle, ou plutôt cet esprit de légalité qui consistait à dépendre avant tout et à relever du seigneur immédiat. […] Cet abbé de Cheminon lui donne l’écharpe et le bourdon, et le voilà parti en pèlerin, pieds nus et en chemise, faisant visite à tous les saints lieux d’alentour, sans plus devoir rentrer à son château jusqu’à ce qu’il revienne de Palestine ; et en passant d’un de ces lieux des environs à l’autre, « pendant que j’allais, dit-il, à Blécourt et à Saint-Urbain, je ne voulus jamais retourner mes yeux vers Joinville, pour que le cœur ne m’attendrît pas trop, du beau château que je laissais et de mes deux enfants ». […] Meyer, l’œil de lynx le plus perçant, la plume la plus exigeante d’exactitude et qui ne laisse rien passer, et j’y trouve quantité de remarques et nombre de leçons meilleures proposées pour l’avenir.

1531. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) «  Œuvres de Chapelle et de Bachaumont  » pp. 36-55

Il nous a laissé les noms de ceux qu’il hantait le plus7 : il y installait Molière, La Fontaine, Racine dans sa jeunesse, Despréaux. […] L’Huillier, que ce ne serait qu’un emportement de jeunesse, que vous laisseriez cette vie qui déplaisait tant à vos amis, et que vous retourneriez enfin à l’étude avec plus de vigueur que jamais. […] Il laissa bientôt pour toujours les longs projets de travail, garda seulement les conclusions pratiques d’Épicure, et s’oublia de plus en plus. […] J’ai beau parcourir les itinéraires en vers qu’ils nous ont laissés : Horace, dans ce Voyage à Brindes, est assez sec, mais élégamment sérieux et sans rien de cette mascarade9.

1532. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Ducis épistolaire. »

me laisserai-je aller à ce conseil ? […] Ducis ne l’y laissait point trop seul ; après une visite de quelques jours, il l’emmenait ou à Versailles ou d’autres fois à Paris ; ils y allaient voir ensemble Rousseau, encore logé rue Plâtrière, et qui, « malgré ses plaintes contre le genre humain, ne laissait pas de montrer une assez bonne gaieté72. » Ducis craignait pour son ami songeur le trop de solitude et le manque de distractions ; il aurait voulu lui en procurer d’un ordre élevé pour chasser les vapeurs : « Vous n’êtes pas encore obstrué, mais vous n’avez que trop de dispositions à le devenir : Annibal ad portas. […] » Ce maudit discours pourtant lui aura coûté bien des soins ; il faut écarter tout ce qui est scabreux, tout ce qui peut être matière à reproche, maintenir les bienséances, et ne laisser arriver que le respect : « Mon discours touche à sa fin, écrit-il à Deleyre (janvier 1779), mais vous ne sauriez croire, mon ami, combien ce travail me déplaît et me fatigue.

1533. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet »

Il n’a pas contracté l’obligation ou de déployer des nus, ou d’imaginer certaines formes de draperies, ou d’observer certaines règles de genre : il prend les choses telles qu’il les voit, il leur laisse leur réalité ; et il en résulte que, sans avoir prétendu faire ni de l’histoire ni du genre, il a fait de l’un ou de l’autre ; il a été touchant, noble, terrible, ou bien spirituel, comique et original. Il est tout cela à la fois, parce que tout cela se trouve dans la nature ; il est universel, parce qu’elle l’est aussi, parce qu’elle contient tout, et si son exécution, toujours facile et heureuse comme son imagination, répondait par la simplicité et le naturel à la vérité de ses conceptions, il ne laisserait rien à désirer. » M.  […] ni désagréable ni fausse, Horace Vernet n’est pas coloriste, et il laisse à dire par cet endroit. […] Ainsi, jusque dans cette Bataille de Bouvines qui lui était commandée et qui rentrait dans le solennel ennyeux (1824), je remarque un joli incident, le pige qui tient des chiens en laisse, un souvenir des Noces de Cana.

1534. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise, par M. Taine, (suite) »

Laissons cette manière à ceux qui ne tiennent qu’à amuser en écrivant ou qui se livrent à leurs antipathies sans y prendre garde. […] Averti de bonne heure par un ami, le poète Walsh, qu’il connut vers l’âge de quinze ans, il se dit qu’après tout ce qui avait été fait en poésie il n’y avait plus qu’une voie qui lui était laissée pour exceller. […] Oui, il était attentif à tout, même dans la conversation ; oui, quand une pensée, une expression heureuse, délicate ou vive, passait devant lui ou lui venait à l’esprit, il était empressé à la recueillir : toujours inquiet du mieux et de l’excellent, il l’amassait goutte à goutte et n’en laissait volontairement distraire aucune parcelle ; il s’y consumait, il se relevait la nuit quand il le fallait, et, comme il ne pouvait se servir seul, il faisait relever son monde, même en hiver, pour écrire une pensée qu’il craignait de perdre, et qui lui aurait échappé au réveil ; car plus d’une de nos pensées, et des meilleures, sont souvent noyées et englouties à jamais entre deux sommeils, comme les Égyptiens dans la mer Rouge. […] La grande époque d’inspiration est passée ; l’époque rassise et de déclin laisse lieu à bien des agréments encore, et même (Tacite et Swift l’ont prouvé) à de la véritable éloquence.

1535. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise, par M. Taine, (suite et fin.) »

Le poète critique attribue même un peu trop à Homère quand, se souvenant à son sujet d’un mot d’Horace pour le réfuter, il dit que là où nous voyons une faute et une négligence, il n’y a peut-être qu’une ruse et un stratagème de l’art : « Ce n’est point Homère qui s’endort, comme on le croit, c’est nous qui rêvons. » Le beau rôle du vrai critique, Pope l’a défini et retracé en divers endroits pleins de noblesse et de feu, et que je rougis de n’offrir ici que dépolis et dévernis en quelque sorte, dépouillés de leur nette et juste élégance : « Un juge parfait lira chaque œuvre de talent avec le même esprit dans lequel l’auteur l’a composée : il embrassera le tout et ne cherchera pas à trouver de légères fautes là où la nature s’émeut, où le cœur est ravi et transporté : il ne perdra point, pour la sotte jouissance de dénigrer, le généreux plaisir d’être charmé par l’esprit. » Et ce beau portrait, l’idéal du genre, et que chaque critique de profession devrait avoir encadré dans son cabinet : « Mais où est-il Celui qui peut donner un conseil, toujours heureux d’instruire et jamais enorgueilli de son savoir ; que n’influencent ni la faveur ni la rancune ; qui ne se laisse point sottement prévenir, et ne va point tout droit en aveugle ; savant à la fois et bien élevé, et quoique bien, élevé, sincère ; modeste jusque dans sa hardiesse, et humainement sévère ; qui est capable de montrer librement à un ami ses fautes, et de louer avec plaisir le mérite d’un ennemi ; doué d’un goût exact et large à la fois, de la double connaissance des livres et des hommes ; d’un généreux commerce ; une âme exempte d’orgueil, et qui se plaît à louer, avec la raison de son côté ?  […] Pope qui, comme tant de moralistes, n’a pas assez observé ses propres maximes, nous en donne à ce sujet d’excellentes dans son Essai  ; il nous dit que le mieux est souvent de retenir sa critique, de laisser le sot s’espacer et s’épanouir tout à son aise : « Votre silence, en ce cas, est mieux que votre colère : car qui peut railler aussi longtemps qu’un sot est capable d’écrire ?  […] Mêlé aux hommes de parti, aux tories, aux whigs, très lié avec les premiers, il n’épousa vivement aucune querelle ; il a exprimé sa doctrine dans des vers célèbres : « Laisse les fous se disputer pour les formes de gouvernement : l’État le mieux administré est le meilleur. » C’est ainsi que, plus tard, Hume le sceptique dira en appliquant des vers de Claudien : … Nunquam libertas gratior exstat Quam sub rege pio…………… « La meilleure des républiques, c’est encore un bon prince. » — Pope a parlé de Cromwell comme d’un criminel illustre condamne a l’immortalité. […] Et encore, Madame Louise, fille de Louis XV, qui s’était faite carmélite à Saint-Denis, redevenue princesse dans son délire sans cesser d’être nonne, et croyant toujours donner des ordres à son écuyer, laissa échapper ces dernières paroles : « Au paradis, vite, vite, au grand galop ! 

1536. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Mémoires de madame Roland »

Lorsqu’il a eu à parler de Mme Roland, comme s’il s’agissait avant tout de la disculper et de la défendre, il a essayé de diminuer son rôle actif auprès de son mari et sa part virile d’influence : il s’est refusé également à admettre qu’il se fût logé dans ce cœur de femme aucun sentiment autre que le conjugal et le légitime, ni aucune passion romanesque : « Écoutez-les, disait-il hier encore, en s’adressant par la pensée aux différents historiens ses prédécesseurs et en les indiquant du geste tour à tour : ceux-là, soit admiration sincère pour le mérite de Mme Roland, soit désir de rabaisser celui des hommes qui l’entouraient, voient dans la femme du ministre la tête qui dirige et son mari et les législateurs qui le fréquentent, et répétant un mot célèbre : Mme Roland, disent-ils, est l’homme du parti de la Gironde ; — ceux-ci, habitués à se laisser aller à l’imagination du romancier ou du poète, transforment l’être qu’ils ont créé en nouvelle Armide, fascinant du charme de ses paroles ou de la douceur de son sourire ceux qu’elle réunit dans ses salons ou qu’elle convie à sa table ; — d’autres enfin, scrutateurs indiscrets de la vie privée, se placeront entre la jeune femme et son vieux mari, commenteront de cent façons un mot jeté au hasard par cette femme, chercheront à pénétrer jusqu’aux plus secrets sentiments de son âme, compteront les pulsations de son cœur agité, selon que telle ou telle image, tel ou tel souvenir l’impressionne, et montreront sous un voile transparent l’être vers lequel s’élancent sa pensée et ses soupirs ; car à leur roman il faut de l’amour. » Et il ajoute, plein de confiance dans le témoignage qu’il invoque : « Mme Roland a raconté elle-même avec une simplicité charmante ce qu’elle a pensé, ce qu’elle a senti, ce qu’elle a dit, ce qu’elle a fait. » Eh bien ! […] L’énergie, le soin et la vigilance dont elles ont eu besoin pour se former et s’élever, pour conquérir l’éducation et la perfection du bien penser et du bien dire, laissent des marques et passent à l’état d’habitude, lors même qu’il n’y a plus d’effort à faire : que vous dirai-je ? […] Laissons Tacite avec sa manière à lui et son génie. […] Chloé nous est présentée comme une personne d’une raison précoce, « d’un naturel docile mais pénétrant, cultivé par une éducation aisée et prudente, d’un esprit juste mais gai », d’une humeur enjouée et vive, sur qui les amorces qui s’adressent à la vanité ne prennent pas, mais dont le cœur peut se laisser gagner au vrai mérite et au charme d’un entretien spirituel et instructif ; une conversation « gaiement sensée ou finement badine » a des chances de lui plaire.

1537. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette (suite et fin.) »

Elle a du cœur, elle a du ressort, et si elle était homme, elle voudrait combattre ; si elle était roi, elle ne se laisserait pas ainsi enlever la couronne morceau par morceau sans mot dire. […] Elle sent et pense comme une personne de son sang et de son éducation doit sentir ; religieuse avant tout, elle a tous les préjugés d’une princesse de la race et presque du siècle de saint Louis : le jour où l’Assemblée accordera aux Juifs la possibilité d’être admis à tous les emplois lui paraîtra le plus horrible des jours et marqué d’une note sacrilège ; elle attribue tout ce qui se passe à la colère du Ciel, à sa vengeance ; puis elle espère qu’il se laissera toucher aux prières des bonnes âmes. […] Mirabeau avait fait remettre quelques notes un peu vives, mais raisonnées, sur la nécessité de prévenir les usurpations de l’Assemblée, et de ne pas lui laisser lancer un décret déclarant la compétence à la nomination des ministres. […] Elle a des élans généreux qui ne se soutiennent pas ; elle se laisse enflammer comme un enfant et mener, et, une fois égarée, on lui ferait commettre tous les crimes, sauf à se repentir avec des larmes de sang.

1538. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Histoire de la Grèce, par M. Grote »

Grote envisage sous cet aspect les poëmes homériques, l’Iliade et l’Odyssée, et il arrive à des conclusions qui, par leur modération et leur plausibilité, m’ont beaucoup plu et m’ont paru apporter une certaine paix, une médiation conciliante, dans l’espèce de trouble et de partage où ont dû nous laisser en France les dernières guerres homériques engagées depuis plus de cinquante ans entre les savants d’outre-Rhin. […] D’ingénieux et savants disciples de Wolf poussèrent à bout les conséquences de ce système négatif et prétendirent ne laisser aucun coin de refuge à l’ancienne croyance9. […] Malgré tout, l’Iliade, non pas lue comme la lisait Ronsard, en trois jours, avec ce degré de chaleur et d’intérêt qui s’attache à une lecture plus ou moins courante, mais examinée et relue avec des yeux ennemis, avec des yeux de critique, armés du microscope, l’Iliade laisse voir bien des contradictions, en effet, des disparates, des hors d’œuvre, des superfétations, des sutures plus ou moins habiles. […] Le IXe livre, qui montre Agamemnon résigné à tout céder à Achille, semble néanmoins prématuré et anticipe trop sur le dénoûment ; il vient sans préparation ; il a l’air d’une addition postérieure qu’on n’aura pas voulu laisser en dehors, « et qui n’est nullement en harmonie avec ce grand courant de l’Achilléide qui coule depuis le XIe livre jusqu’au XXIIe. » M. 

1539. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Les fondateurs de l’astronomie moderne, par M. Joseph Bertrand de l’académie des sciences. »

Chez lui, l’imagination et le sentiment entrent volontiers en scène et finissent bientôt par l’emporter : il y a un moment où il laisse la méthode exacte et où il s’abandonne à l’enthousiasme. […] Nous occupons une sorte de juste milieu, qui nous laisse voir de plus petits que nous, mais qui nous en montre aussi de bien plus grands, supérieurs sans doute à plus d’un autre titre encore que le poids et le volume. […] L’Humanité collective et solidaire y apparaît rangée comme en amphithéâtre, ou plutôt échelonnée dans des stations successives et de plus en plus avancées ; mais laissons parler ou chanter l’auteur. […] Était-ce donc la peine, ô savants auteurs et pères de l’astronomie moderne, de tant observer, de tant calculer, de ne rien laisser à l’hypothèse ?

1540. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, publiée par M. Camille Rousset, historiographe du ministère de la guerre »

On sait qu’à l’occasion d’une tabatière donnée par le duc de Noailles à la duchesse de Bourgogne, le matin du jour où elle tomba malade, et qui ne s’est plus retrouvée depuis, il s’est laissé aller à des soupçons diaboliques. […] L’élocution nette, harmonieuse, toutefois naturelle et agréable ; assez d’élégance, beaucoup d’éloquence, mais qui sent l’art, comme avec beaucoup de politesse et de grâce dans ’ses manières, elles ne laissent pas de sentir quelque sorte de grossièreté naturelle ; et toutefois des récits charmants, le don de créer des choses de rien pour l’amusement, et de dérider et d’égayer même les affaires les plus sérieuses et les plus épineuses, sans que tout cela paraisse lui coûter rien. […] J’admettrais même volontiers que ce qui était arrivé au duc de Noailles avec Saint-Simon, et dont les conséquences furent longues et dures, pût lui servir de leçon pour ne pas recommencer et s’y laisser reprendre. […] Je laisse à M. 

1541. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Saint-Simon considéré comme historien de Louis XIV, par M. A. Chéruel »

Il discute, contrôle, chemine pas à pas, oppose témoignage à témoignage ; il construit autour de l’œuvre dont il fait le siège une suite d’excellents et solides chapitres comme autant de forts avancés qui la brident et qui l’entament ; il ne cesse, dans tout ce travail, de faire acte de bon et judicieux esprit, qui ne se laisse éblouir à aucun instant et qui ne s’écarte jamais des méthodes sévères. […] Laissons les procès-verbaux pour ce qu’ils sont, prenons la peinture pour ce qu’elle est. […] ajouta-t-il ; puis en se remettant tout d’un coup, il reprit : “Allez, mon fils, laissez-moi, je deviendrai ce qu’il plaira à Dieu ; remontez à cheval ; je vous le commande, le temps presse ; allez faire votre devoir ; et je ne désire plus de vie qu’autant qu’il m’en faudra pour apprendre que vous vous en serez bien acquitté.” « Quelque instance que je fisse pour demeurer auprès de lui jusqu’à ce qu’il fût venu un chirurgien et qu’on l’eût emporté, il ne le voulut jamais permettre ; il fallut obéir et le laisser entre les bras de mon jeune frère.

1542. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Idées et sensations : par MM. Edmond et Jules de Goncourt. »

De là des jugements qui, pour avoir leur part de justesse, ne laissent pourtant pas d’étonner et de déconcerter à première vue. […] Aussi voudrais-je que l’artiste ne s’en souvînt que de loin, pour lui-même et pour sa gouverne, sans le laisser paraître. […] Tout est bon au peintre écrivain pour arriver, non au fac-similé direct des choses (toujours impossible par un coin et toujours infidèle), mais à l’impression pleine et juste qu’il veut en laisser. […] Ils sont bien des hommes de la fin du xviiie  siècle en cela ; mais ils sont tout à fait des artistes du xixe   par les touches successives du tableau et les nuances à l’infini : « Se trouver, en hiver, dans un endroit ami, entre des murs familiers, au milieu de choses habituées au toucher distrait de vos doigts, sur un fauteuil fait à votre corps, dans la lumière voilée de la lampe, près de la chaleur apaisée d’une cheminée qui a brûlé tout le jour, et causer là à l’heure où l’esprit échappe au travail et se sauve de la journée ; causer avec des personnes sympathiques, avec des hommes, des femmes souriant à ce que vous dites ; se livrer et se détendre ; écouter et répondre ; donner son attention aux autres ou la leur prendre ; les confesser ou se raconter ; toucher à tout ce qu’atteint la parole ; s’amuser du jour, juger le journal, remuer le passé comme si l’on tisonnait l’histoire ; faire jaillir, au frottement de la contradiction adoucie d’un : Mon cher, l’étincelle, la flamme, ou le rire des mots ; laisser gaminer un paradoxe, jouer sa raison, courir sa cervelle ; regarder se mêler ou se séparer, sous la discussion, le courant des natures et des tempéraments ; voir ses paroles passer sur l’expression des visages, et surprendre le nez en l’air d’une faiseuse de tapisserie ; sentir son pouls s’élever comme sous une petite fièvre et l’animation légère d’un bien-être capiteux ; s’échapper de soi, s’abandonner, se répandre dans ce qu’on a de spirituel, de convaincu, de tendre, de caressant ou d’indigné ; jouir de cette communication électrique qui fait passer votre idée dans les idées qui vous écoutent ; jouir des sympathies qui paraissent s’enlacer à vos paroles et pressent vos pensées comme avec la chaleur d’une poignée de main : s’épanouir dans cette expansion de tous et devant cette ouverture du fond de chacun ; goûter ce plaisir enivrant de la fusion et de la mêlée des âmes, dans la communion des esprits : la conversation, — c’est un des meilleurs bonheurs de la vie, le seul peut-être qui la fasse tout à fait oublier, qui suspende le temps et les heures de la nuit avec son charme pur et passionnant.

1543. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE SÉVIGNÉ » pp. 2-21

Elle écrit d’ordinaire au courant de la plume et le plus de choses qu’elle peut ; et quand l’heure presse, à peine si elle relit. « En vérité, dit-elle, il faut un peu entre amis laisser trotter les plumes comme elles veulent : la mienne a toujours la bride sur le cou. » Mais il y a des jours où elle a plus de temps et où elle se sent davantage en humeur ; alors, tout naturellement, elle soigne, elle arrange, elle compose à peu près autant que La Fontaine pour une de ses fables : ainsi la lettre à M. de Coulanges sur le mariage de Mademoiselle ; ainsi celle encore sur ce pauvre Picard qui est renvoyé pour n’avoir pas voulu faner. […] Quel naturel plein de légèreté gracieuse, quelles pages éblouissantes de pur esprit dans Mme de Staël, quand le sentiment ne vient pas à la traverse, et qu’elle laisse sommeiller sa philosophie et sa politique ! […] Cette province est un bel exemple pour les autres, et surtout de respecter les gouverneurs et les gouvernantes, de ne leur point dire d’injures et de ne point jeter de pierres dans leur jardin ; » et enfin : « Vous me parlez bien plaisamment de nos misères : nous ne sommes plus si roués ; un en huit jours seulement pour entretenir la justice : la penderie me paroît maintenant un rafraîchissement. » Le duc de Chaulnes, qui a provoqué toutes ces vengeances, parce qu’on a jeté des pierres dans son jardin et qu’on lui a dit mille injures dont la plus douce et la plus familière était gros cochon, ne baisse pas pour cela d’un cran dans l’amitié de Mme de Sévigné ; il reste toujours pour elle et pour Mme de Grignan notre bon duc à tour de bras ; bien plus, lorsqu’il est nommé ambassadeur à Home et qu’il part du pays, il laisse toute la Bretagne en tristesse. […] Cette dernière y excelle : elle laisse trotter sa plume la bride sur le cou, et, chemin faisant, elle sème à profusion couleurs, comparaisons, images, et l’esprit et le sentiment lui échappent de tous côtés.

1544. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE SOUZA » pp. 42-61

C’est dans Charles et Marie que se trouve ce mot ingénieux, souvent cité : « Les défauts dont on a la prétention ressemblent à la laideur parée ; on les voit dans tout leur jour. » Si le voyage en Angleterre, le ciel et la verdure de cette contrée jetèrent une teinte lactée, vaporeuse, sur ce roman de Charles et Marie, on trouve dans celui d’Eugénie et Mathilde, qui parut seulement en 1811, des reflets non moins frappants de la nature du Nord, des rivages de Hollande, des rades de la Baltique, où s’était assez longtemps prolongé l’exil de Mme de Flahaut. « La verdure dans les climats du Nord a une teinte particulière dont la couleur égale et tendre, peu à peu, vous repose et vous calme… Cet aspect ne produisant aucune surprise laisse l’âme dans la même situation ; état qui a ses charmes, et peut-être plus encore lorsqu’on est malheureux. […] Adèle de Sénange en effet, dans l’ordre des conceptions romanesques qui ont atteint à la réalité vivante, est bien sœur de Valérie, comme elle l’est aussi de Virginie, de mademoiselle de Clermont, de la princesse de Clèves, comme Eugène de Rothelin est un noble frère d’Adolphe, d’Édouard, du Lépreux, de ce chevalier des Grieux si fragile et si pardonné : je laisse à part le grand René dans sa solitude et sa prédominance. […] La maréchale tient dans l’action toute la partie moralisante, et elle en use avec un à-propos qui ne manque jamais son but ; Athénaïs et Eugène sont le caprice et la poésie, qui ont quelque peine à se laisser régler, mais qui finissent par obéir, tout en sachant attendrir leur maître. […] Quant à Mme de Souza, récompensée par le glorieux sourire, elle aime à citer cet exemple pour preuve que l’habitude du monde et de laisser naître ses pensées les fait toujours venir à propos : « car, dit-elle, cette réponse s’était échappée si à part de ma volonté et presque de mon esprit, que je fus tentée de me retourner aussitôt pour voir si personne ne me l’avait soufflée. »

1545. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre II. Les privilèges. »

Ainsi, après quatre cent cinquante ans d’assaut, la taille, ce premier engin du fisc, le plus lourd de tous, a laissé presque intacte la propriété féodale33  Depuis un siècle, deux nouvelles machines, la capitation et les vingtièmes, semblent plus efficaces et ne le sont guère davantage  D’abord, par un chef-d’œuvre de diplomatie ecclésiastique, le clergé a détourné, émoussé leur choc. […] Un évêque, un abbé, un chapitre, une abbesse a le sien, comme un seigneur laïque ; car jadis le monastère et l’Église ont été de petits États, comme le comté et le duché. — Intacte de l’autre côté du Rhin, presque ruinée en France, la bâtisse féodale laisse partout apercevoir le même plan. […] Dans le Jura et le Nivernais, il peut poursuivre les serfs qui se sont enfuis, et réclamer à leur mort, non seulement le bien qu’ils ont laissé chez lui, mais encore le pécule qu’ils ont acquis ailleurs. […] D’ailleurs, dans son évaluation, Talleyrand laissait à part les maisons et enclos d’habitation, ainsi que le quart de réserve des forêts.

1546. (1892) Boileau « Chapitre VI. La critique de Boileau (Fin). La querelle des anciens et des modernes » pp. 156-181

Sur ce xviie  siècle essentiellement précieux et galant, très noble et très raffiné, très ingénieux et plus sensible à l’extraordinaire qu’au simple beau, capable de donner Scarron et Quinault, Voiture et Benserade, et tout au plus peut-être la moitié de Corneille, sur ce xviie  siècle qui laissé à lui-même eût produit sans intervalle et sans arrêt Fontenelle après Balzac, l’étude de l’antiquité, retardant l’éclosion de l’art mièvre tout prêt à succéder à l’art pompeux, fit fleurir des poètes capables de la perfection qui n’étonne pas, de cette perfection qui, semblant d’abord de plain-pied avec nos esprits, se révèle plus haute et inaccessible à mesure qu’elle nous devient plus familière, et nous donne des jouissances infinies que nous n’arrivons pas à épuiser : des artistes enfin tels que Racine et La Fontaine. […] Mais le principal objet de Perrault, c’était la littérature ; et les sciences et les arts lui servaient surtout à fonder cette induction assez téméraire : puisqu’il y a progrès dans les arts « dont les secrets se peuvent calculer et mesurer », il faut donc aussi qu’il y en ait dans l’éloquence et dans la poésie, dont les éléments ne se laissent pas mesurer ni même, souvent, atteindre par le raisonnement. […] Le premier volume contenait déjà quelques indications précieuses : Pindare et Platon, n’ayant pas l’heur de plaire aux dames et d’en être compris, étaient vivement bousculés ; mais le troisième volume ne laissa plus rien à désirer, et par la bouche de son abbé, Perrault fit un bel abatis des gloires de l’antiquité. […] Et Boileau, voyez-le tailler, rogner, changer, abréger son Longin, sans autre loi que son goût et le désir d’éviter de la peine à son lecteur, écartant les « antiquailles » (entendez ce qui suppose une teinture d’histoire ou d’archéologie), supprimant ce qui est « entièrement attaché à la langue grecque » (entendez ce qui suppose la connaissance du grec), substituant, dans une citation de Sapho, un « frisson » à une « sueur froide », parce que « le mot de sueur en français ne peut jamais être agréable, et laisse une vilaine idée à l’esprit ».

1547. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre IV. Des figures : métaphores, métonymies, périphrases »

On s’est souvent préoccupé chez nous de l’incohérence, de la préparation et de la suite des métaphores : et la question ne laisse pas d’être embarrassante. […] La métaphore soutenue plaît ou déplaît, selon que dans cette continuité l’on sent une rencontre naturelle ou une recherche laborieuse ; elle est de bon goût, quand les expressions figurées qui font cortège à la figure initiale naissent d’une création incessante de l’imagination, qui garde l’image comme elle la changerait, par la découverte instantanée et toujours renaissante de ressemblances successives ; elle est de mauvais goût, quand, par un renversement des rôles, l’esprit sacrifie la pensée à la figure, quand celle-ci, devenant tyrannique en cessant d’être dépendante, avide de durer, ne laisse plus pénétrer dans la phrase que les idées qu’elle peut absorber et amalgamer. […] Que vous servira d’avoir tant écrit dans ce livre, d’en avoir rempli toutes les pages de beaux caractères, puisque, enfin, une seule rature doit tout effacer : encore une rature laisserait-elle quelque trace, du moins d’elle-même ; au lieu que ce dernier moment, qui effacera d’un seul trait tout notre vie, s’ira perdre lui-même avec tout le reste dans ce grand gouffre du néant… Qu’est-ce donc que ma substance, ô grand Dieu ? […] Tout nous appelle à la mort ; la nature, comme si elle était presque envieuse du bien qu’elle nous a fait, nous déclare souvent et nous fait signifier qu’elle ne peut pas nous laisser longtemps ce peu de matière qu’elle nous prête, qui ne doit pas demeurer dans les mêmes mains, et qui doit être éternellement dans le commerce ; elle en a besoin pour d’autres formes, elle la redemande pour d’autres ouvrages.

1548. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre III. Comédie et drame »

Là, il pouvait faire recevoir des pièces qui ne ressemblaient à rien ; et là, le public, venu seulement pour se divertir, se laissait charmer par d’irrégulières inventions qu’il n’eût pas supportées sur la scène de la comédie classique. […] Ce sont deux égoïsmes, prêts à se donner, mais « donnant donnant », en échange, non gratuitement ; on les voit s’avancer, se reprendre, craindre de faire un pas que l’autre n’ait pas fait, estimer ce qu’un non laisse encore d’espérance, ce qu’un oui contient de sincérité, négocier enfin avec une prudence méticuleuse l’accord où chacun compte trouver pour soi joie et bonheur. […] Si le Glorieux (1772) se laisse lire encore, c’est que l’auteur, ayant renoncé à faire rire et cherchant un point d’appui pour fonder l’intérêt, s’est décidé à orienter tout à fait la comédie vers les effets sentimentaux et pathétiques. […] S’inspirant des drames anglais, dont le pathétique intense et la violence d’action le frappaient488, il professe que Molière et Racine, qu’il admire fort, ont pourtant laissé presque tout à faire.

1549. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre III. La poésie : V. Hugo et le Parnasse »

Hugo, au siècle de Comte et de Darwin, le répète avec aisance : le mythe est la forme essentielle de son intelligence Sa volonté candide de penser ne laisse dans la nature aucun phénomène où il n’aperçoive la transcription sensible de quelque redoutable énigme ou d’une auguste vérité : toute sensation tend à devenir symbole, tout symbole à se développer en mythe. […] Mais laissons les formules qu’il attache comme des étiquettes sur chaque paquet de satires. […] En certains endroits, un accent personnel se laisse sentir, et certain appel à la mort, certaine effusion de pitié sur les vivants, nous découvrent l’âme douloureuse du poète. […] Je ne sais, et le poète ne laisse guère entrevoir sa vie dans son œuvre.

1550. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Le père Monsabré »

Ils ont l’enfance du cœur qui permet de s’amuser à des riens  Quelquefois aussi (et alors elle est moins aimable et sonne un peu faux aux oreilles des profanes), cette gaieté laisse entrevoir une arrière-pensée d’édification ; elle paraît commandée et voulue ; elle s’étale comme un argument en faveur de la foi, comme un défi à la tristesse ou aux rires mauvais des pécheurs. […] Leur règle n’a rien d’oppressif ni d’absorbant, elle respecte leur personnalité, laisse à chacun une très large initiative. […] Il ne nous reste qu’un regret tranquille, qui nous laisse toutes nos forces pour le bien et ne nous empêche plus d’espérer un meilleur avenir. […] Laissez-moi vous le dire, messieurs, vous ne le connaissez pas.

1551. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Alphonse Daudet, l’Immortel. »

Si cela est vrai (et ce ne l’est pas toujours), c’est peut-être que ceux qui se laissent éteindre par elle ne flambaient plus guère ; et on ne saura jamais si c’est elle qui leur a coupé leurs élans ou si c’est eux qui ont cessé d’en avoir  L’institution est ridicule et surannée ? […] laissez-nous celui-là ! […] Guiraud ne se seraient laissés prendre aux pièces fabriquées par l’astucieux bossu. […] Gardons notre sagesse et laissons-lui la sienne.

1552. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre XI. L’antinomie sociologique » pp. 223-252

Les suicides seraient plus fréquents chez les individus isolés, désintégrés, déracinés, laissés à eux-mêmes au sein des sociétés de plus en plus fortement intégrées (suicides plus fréquents chez les célibataires). — Cette thèse nous semble discutable. […] Si l’individu n’est pas, de lui-même, originairement et physiologiquement, un Unique, au sens qu’a ce mot chez Stirner, c’est-à-dire un être animé d’une personnelle volonté d’indépendance et résolu à ne pas se laisser aveuglement absorber par la société où les circonstances l’ont jeté, ni la loi de l’entrecroisement des groupes, ni aucune loi sociologique quelle qu’elle soit, n’aura la vertu de faire de lui un Unique. […] « Être véridique, dit Nietzsche, c’est mentir avec le troupeau. » Il y a un mensonge de groupe négatif qui consiste à taire ou à dissimuler ou à nier une vérité fâcheuse ou gênante pour le groupe ou encore à ne présenter qu’un aspect des choses, l’aspect favorable aux visées du groupe et à laisser l’autre dans l’ombre. […] Et il pourrait ajouter qu’il se trompe lui-même, plus ou moins sciemment et volontairement C’est par cela que l’esprit du groupe se complaît dans les idées vagues, dans les idées qu’on laisse volontairement inanalysées, parce que leur obscurité favorise l’illusion et la duperie mutuelle.

1553. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre IV. Précieuses et pédantes »

Mathieu Soulières laisse mourir son meilleur ami qu’il pourrait sauver : c’est qu’il aime la femme et la fortune de cet ami. […] Quelquefois il laisse échapper la paire : Sarah le promena sur les routes fleuries Devant la perspective immense de la mer. […] Mais le plus souvent il se laisse éblouir aux lumières fumeuses de la baraque devant quoi il bonimente ; il prend les planches branlantes qui le supportent pour le Parnasse ; il est un nigaud réjoui qui croit utile de ne pas rire, un ahuri qui fait l’informé. […] Mais ce n’est pas de ces vieux livres, c’est de lui-même qu’il a voulu sortir « un Christ nouveau tout entier » : « J’ai laissé de côté les Évangiles antiques, je me suis écarté du Christ qui y est peint. » Pourquoi alors conserver le nom de Christ à son personnage ?

1554. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre X. Les sociales »

Désir de ne rien laisser perdre, sans doute, et inconscience vaniteuse, et manie du document. […] Le parnassien est un pharisien ; lui aussi se satisfait à se sentir différent ; il jouit de l’impeccabilité et du relief de sa correction et son expression cherchée laisse voir ce plaisir vaniteux. […] Pourvu que l’avocat vibre, les bons boutiquiers qui sont venus au Palais un peu comme à un devoir et un peu comme à un plaisir ; un peu comme à leur boutique, mais un peu comme au théâtre ; disposés sans doute à défendre la chère société faite à leur ignoble ressemblance, mais prêts aussi à applaudir l’acteur habile, oublient un instant leur morale utilitaire, se laissent entraîner à l’ivresse romantique. […] Toi aussi tu te laisses séduire par des mensonges.

1555. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Campagnes d’Égypte et de Syrie, mémoires dictés par Napoléon. (2 vol. in-8º avec Atlas. — 1847.) » pp. 179-198

Dans l’ordre des genres, il semblerait plus naturel de le comparer aux grands rois, aux grands ministres qui ont laissé des écrits. […] » En exposant de la sorte les incertitudes, il semble que Napoléon lui-même, au plus haut de son rêve, se complaise à les laisser planer, et que, dans son dessein préconçu de commencer par une de ces choses, il les embrasse toutes dans le lointain à la fois. […] Le plan et l’idée de cette campagne sont retracés avec une précision qui ne laisse aucun doute sur les projets, alors très réels, de Napoléon du côté de l’Inde. […] Là, comme il l’éprouva si souvent ailleurs, il eût fallu, pour achever et maintenir ce qu’il avait posé, qu’il y eût laissé un autre lui-même.

1556. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Mme du Châtelet. Suite de Voltaire à Cirey. » pp. 266-285

Le lecteur aime assez à se croire plus sévère que le critique ; je lui laisse ce plaisir-là. […] Laissons donc les anecdotes, renvoyons-y les curieux, et écoutons ses paroles. […] On voit dans chacune de ses lettres combien elle se méfie de la sagesse du poète quand il est loin d’elle, abandonné sans conseil à toutes ses irritations, à ses premiers mouvements et à ses pétulances : « Croyez-moi, dit-elle à d’Argental, ne le laissez pas longtemps en Hollande ; il sera sage les premiers temps, mais souvenez-vous Qu’il est peu de vertus qui résistent sans cesse. » Si elle avait lu La Fontaine autant que Newton, elle citerait, pour le coup, ces vers charmants du bonhomme, qui vont si bien à Voltaire et à toute la race : Puis fiez-vous à rimeur qui répond D’un seul moment ! […] Laissons donc aller les choses, et contentons-nous de les voir comme elles sont.

1557. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « De la poésie et des poètes en 1852. » pp. 380-400

Et d’abord, à travers ces guerres à mort et ces révolutions littéraires, qui semblaient ne vouloir rien laisser d’intact dans les traditions du passé, tous les anciens genres se poursuivent et trouvent encore des disciples et des continuateurs persistants. […] Ainsi les genres ne meurent pas ; ils peuvent s’éclipser, se laisser dominer par d’autres plus en vogue ; mais ils durent, ils se perpétuent, et ils sont là en réserve pour offrir aux talents nouveaux, quand il s’en présente, des cadres et des points d’appui tout préparés. […] laissez donc chaque être ; Laissez-le vivre en paix aux lieux qui l’ont vu naître !

1558. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — I. » pp. 84-104

En un mot, je conçois qu’on puisse dire : La statue de Carrel est une statue funèbre ; laissons dans le grandiose de son attitude le gladiateur mourant, sans discuter sa blessure. […] Ici, on le retrouve ce qu’il sera toute sa vie, combattant pied à pied, un peu formaliste, tenant à n’avoir pas eu un tort, retranché dans la question de droit, disputant le terrain comme il aurait pu le faire avec Mina dans les plis et replis des montagnesa, tendant la situation au risque de la briser, jouant sa tête en toute témérité et bonne grâce plutôt que de se laisser entamer de l’épaisseur d’un cheveu ; en un mot, si j’ose le dire, à la fois chevaleresque et raisonneur comme le sont certains héros de son compatriote Corneille. […] L’ennui qu’il ressentait de ce travail ingrat fut profond ; il ne le dissimulait point à ses amis, et il l’a laissé glisser jusque dans les pages toutes pesantes de matériaux et où l’on chercherait vainement un seul éclair. […] Lerond, le censeur, lui ordonna de sortir des rangs et lui dit : « Monsieur Carrel, rendez-vous sans retard à la prison ; il est vraiment déplorable qu’un élève aussi distingué que vous ait une tête aussi mauvaise ; avec les idées qui y fermentent, vous révolutionneriez le collège si on vous laissait faire. » — « Monsieur le censeur, répondit Carrel, il y a de ces idées dans ma tête plus qu’il n’en faut pour révolutionner votre collège de Rouen, il y en aurait de quoi révolutionner bien autre chose. » Il y a une anecdote de collège toute pareille qui est racontée par Marmontel, celui de tous les hommes qui ressemblait le moins à Carrel.

1559. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — III. (Suite et fin.) » pp. 242-260

On la lui offrait plus forte ; il crut devoir la réduire lui-même à ce chiffre modique, ne voulant y voir et y laisser subsister que la légère attache de l’obligation et du bienfait. […] Ma fortune, aux trois quarts détruite par une persécution de quatre années, ne me permet pas de payer un autre loyer, pendant que ma maison dépérit faute d’être habitée… Je cours après tous mes débris, car il faut laisser du pain à mes enfants… Quand on a tout savouré, l’existence presque entière est dans les souvenirs. […] Nous voudrions, par cette impression, effacer celle que laissent d’autres lettres publiques de Beaumarchais, écrites dans le même temps, et où il s’est oublié, par un dernier retour, à d’indignes irrévérences. […] Au milieu de tout ce que j’ai dû omettre sur Beaumarchais, je serais heureux si j’étais parvenu à laisser se dessiner d’elle-même, dans l’esprit de mes lecteurs, sa figure si libre et si naturelle, telle que je la conçois, sans la forcer en rien, sans trop la presser, et en y respectant même les inconséquences.

1560. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Bernardin de Saint-Pierre. — II. (Suite et fin.) » pp. 436-455

Il parlait contre les méthodes, contre les bibliothèques, les écoles et les académies ; il protestait contre l’abus et même contre l’usage de l’analyse : « Pour bien juger du spectacle magnifique de la nature, il faut en laisser chaque objet à sa place, et rester à celle où elle nous a mis. » Il voulait donc qu’on s’accoutumât à considérer les êtres en situation et en harmonie, non pas isolés et disséqués dans les cabinets et les collections des savants. […] Il fut quelque temps intendant au Jardin du roi ; mais on ne lui laissa point cette place. […] Retiré à Essonne, il y perdit bientôt sa première femme, qui lui laissa deux enfants nommés comme de juste Paul et Virginie, et qui lui légua aussi de fâcheux démêlés avec sa famille. […] Je laisse parler le témoin même qui raconte : Bernardin de Saint-Pierre était à la Malmaison chez Mme Lecoulteux du Moley ; il s’y montrait aussi peu aimable que l’abbé Delille l’était aisément ; il disait des choses désagréables aux femmes et sur les femmes.

1561. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand (1846-1853). — II. (Fin.) » pp. 476-495

Je parlerai de quelques autres amitiés de Frédéric qui ont laissé un vivant témoignage d’elles-mêmes dans sa correspondance, à commencer par son étroite et tendre liaison avec Jordan. […] Laissez à chacun le soin de démêler sa fusée comme il pourra, et bornez-vous à partager le sort de vos amis, c’est-à-dire d’un petit nombre de personnes. […] C’est la Moravie en épigramme. » Dans ces répits que lui laisse l’ennemi, il demande à Jordan des nouvelles de Berlin, et de le tenir au courant de tous les propos et les raisonnements politiques du public, qui lui semblent, la plupart du temps, fort saugrenus. […] Frédéric était engagé dans sa seconde guerre, lorsque la maladie de poitrine de son ami s’aggrava au point de ne laisser aucun espoir.

1562. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre deuxième. Rapports du plaisir et de la douleur à la représentation et à l’appétition »

. — « Ce qui fait la cruauté de la douleur, dit-il, c’est moins la douleur elle-même, si intense qu’elle soit, que le retentissement pénible qu’elle laisse après elle. » — Ce prétendu retentissement est, pour les douleurs physiques, la prolongation effective du trouble nerveux et par conséquent de la douleur même : c’est mieux qu’un souvenir, c’est une réalité. […] C’est par une abstraction artificielle qu’on sépare des émotions une qualité tout intellectuelle qui serait indifférente, pour ne leur laisser qu’un degré intensité qui seul serait agréable ou pénible. […] Il y a un côté vrai dans la théorie pessimiste : c’est que la peine a, en général, une plus grande force que le plaisir pour mouvoir l’activité, pour lui faire changer de direction au lieu de la laisser à l’état rectiligne, pour lui donner même une direction déterminée au lieu de la laisser à l’état flottant.

1563. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Prosper Mérimée »

Il laisse fort tranquille son toupet, il n’arrache pas son accroche-cœur qui n’accroche rien. […] Mais l’Histoire contemporaine qui était là sous sa main, ce maniaque d’Histoire, qui a fait de l’Histoire Romaine, l’a laissée sottement échapper ; et c’est là le grand reproche que lui feront les esprits friands d’anecdotes, les chasseurs aux documents historiques, en voyant qu’il n’y en a pas trois, de ces anecdotes et de ces documents, qu’on puisse citer. […] L’un (Gustave Planche) est un sec aux os épais qui a du muscle, l’autre (Mérimée) est un sec maigre qui a du nerf, mais tous deux, l’un comme critique et l’autre comme écrivain de roman et de drame, sont dépourvus également d’imagination créatrice, plantureuse et féconde, et, encore une fois, c’est dans cette identique absence de la même faculté que probablement ils sympathisèrent, Mérimée, il est vrai, n’a laissé dans ses écrits à ma connaissance aucun témoignage d’admiration ou de reconnaissance pour le critique auquel il doit tout, mais s’il a été ingrat, ce sec d’esprit qui pouvait bien l’être de cœur, il l’aura beaucoup été, car il doit tout à Gustave Planche, qui l’a presque inventé tant il l’a vanté ! […] Des lettres, qu’on écrit dans les négligences de l’intimité et au jet de la plume, sortent plus immédiatement de nous, laissent mieux voir le fond de l’âme, quand on en a, et l’aridité du fond si le fond est aride.

1564. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Brizeux. Œuvres Complètes »

Voilà pourquoi ce Breton, qui n’était pas assez Breton pour être le Burns de sa Bretagne, a laissé derrière lui, dans ce pays qu’il n’aurait jamais dû quitter, la seule poésie qui se fût donnée à sa faiblesse ? […] Cependant, il faut être juste, Primel et Nola et les dernières pièces de ce volume que Brizeux laisse à la Postérité, qui ne les prendra pas, je le crains bien, sont au-dessus, sans être très-haut, des pièces insupportablement affectées, métaphysiques, panthéistiques, et à contresens de toute manière sincère, qui composent le livre de La Fleur d’or. […] Mais abandonner l’idiome natal, traduire soi-même sa sensation et sa pensée, c’est-à-dire laisser aux difficultés et aux différences d’une autre langue le plus pur de son génie, car tout génie est consubstantiel de la langue dans laquelle il est né, ce n’est pas là, certes ! […] Il y a beaucoup de Nausicaa sur les bords des fontaines de Bretagne ; mais Brizeux, ce monsieur en noir et si bien peigné, qui a laissé là ses braies bariolées et ses longs cheveux celtes, ne rappelle pas plus le génie d’Homère que ses haillons !

1565. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre III : M. Maine de Biran »

Voici la pierre angulaire du temple ; le premier maître du spiritualisme, le révélateur de la force libre, le plus grand métaphysicien de notre temps. » Il tourna et retourna les quatre volumes, les ouvrit, fronça les sourcils, gronda un peu, me prit par la main, et me poussant dans ma chambre, me pria de le laisser seul. […]Laissez-moi dire ; j’en ai le cœur plein. […] La première n’étudie que les modifications, les effets, les phénomènes ; la seconde étudie la substance et l’être qui sont l’âme et le moi, Il laisse la première et s’attache tout entier à la seconde. […] Cela est si étonnant, qu’il faut le laisser parler : « Cette volonté n’est pas différente de moi.

1566. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XV. »

Vous n’avez plus d’autre argument que de multiplier les ruines, en preuve de la destruction universelle qui nous attend, d’autre consolation que de nommer tour à tour les rois, les grands hommes, les poëtes, les sages, dont la mort a précédé celle que vous déclarez pour chacun de nous aussi absolue qu’elle est inévitable ; vous dites éloquemment : « Scipion, ce foudre de guerre, la terreur de Carthage, a laissé ses ossements à la terre comme le plus infime esclave. […] grand rejeton du très grand Jupiter, que ta mère a déposée près du laurier de Délos, « Pour te laisser souveraine des montagnes, des vertes forêts, des gorges abritées et des fleuves retentissants ! […] « Ses éclatantes prouesses, ses faits glorieux, souvent les mères les attesteront aux funérailles de leurs fils, alors qu’on les verra laisser flotter sur la cendre leurs cheveux blanchis, et de leurs faibles mains meurtrir leurs seins livides. […] Ils ne daignent plus visiter de telles réunions d’hommes, et ne se laissent plus voir dans une pleine lumière182. » Ce triste retour convient au temps où Catulle vécut, ami de Cicéron et amnistié par César.

1567. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Le général Joubert. Extraits de sa correspondance inédite. — Étude sur sa vie, par M. Edmond Chevrier. — II » pp. 161-173

Le général Vaubois s’est laissé battre. […] Et puis il faut laisser quelque chose à César et à sa fortune. […] Pendant que se signait cette paix achetée par tant de travaux et de victoires, l’esprit de parti, l’esprit royaliste continuait d’infester la France ; la réaction levait la tête et avait pris pied partout, jusque dans les pouvoirs publics ; et le 18 fructidor, ce coup d’État fâcheux, mais nécessaire, n’était pas encore venu rappeler à l’ordre les mauvais Français, ou ceux qui, se croyant bons, s’égaraient assez pour laisser naître et s’élever en eux des désirs de malheur.

1568. (1861) La Fontaine et ses fables « Première partie — Chapitre III. L’écrivain »

Ils le mènent et il se laisse faire. […] Il montre les faibles opprimés sans leur laisser espoir de secours ni de vengeance. […] Nous reconnaissons « que notre ennemi c’est notre maître » ; nous nous moquons de lui, et, l’amour-propre ainsi satisfait, nous nous laissons docilement conduire.

1569. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre V. Indices et germes d’un art nouveau — Chapitre II. Signes de la prochaine transformation »

Les étincelantes conversations qui éblouissent par le dehors ne laissent au fond de l’âme qu’une désespérante sensation de vide et d’inutilité. […] Elle ne laissa point dessécher son âme de feu dans les bienséances mondaines, ni dans l’exercice intempérant de l’esprit. […] Une petite bourgeoise qui demeure sur le quai, au coin du Pont-Neuf, se met à sa fenêtre au soleil couchant : « On eût dit, écrit-elle à une amie, que le roi du jour, descendu de son char derrière ces hauteurs, avait laissé suspendu au-dessus d’elles son manteau de couleur rouge et orangée.

1570. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre IV. L’antinomie dans l’activité volontaire » pp. 89-108

Les unes, énergiques et indomptées, ne se laissent pas abattre par les déceptions et restent fidèles jusqu’au bout à la vie et à l’action. […] Mais la volonté générale se résout à l’analyse en un certain nombre de volontés particulières, celles des groupes dont on fait partie et qui ne laissent pas d’être tyranniques chacune pour son propre compte. […] Renan remarque que Jésus n’eût pas fait dix pas dans nos rues sans se faire arrêter pour désordre sur la voie publique. — Un certain état de flottement dans les conceptions intellectuelles laisse, dans les sociétés peu civilisées, une plus grande latitude à la fantaisie individuelle et ne lui interdit même pas les incursions dans le domaine du merveilleux.

1571. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XIII. Premières tentatives sur Jérusalem. »

Le propre de ces cultures scolastiques est de fermer l’esprit à tout ce qui est délicat, de ne laisser d’estime que pour les difficiles enfantillages où l’on a usé sa vie, et qu’on envisage comme l’occupation naturelle des personnes faisant profession de gravité 587. […] 598 Son spiritualisme absolu et son opinion arrêtée que la figure du vieux monde allait passer ne lui laissaient de goût que pour les choses du cœur. […] Constantin et les premiers empereurs chrétiens y laissèrent subsister les constructions païennes d’Adrien 611.

1572. (1899) L’esthétique considérée comme science sacrée (La Revue naturiste) pp. 1-15

Il n’est pas un homme parmi nous qui laisse amoindrir son type en abandonnant ses droits ; il n’en est pas un seul non plus qui se diminue de lui-même en ne remplissant pas sa tâche. […] Et en parlant de cette manière, je laisse encore bien loin de moi l’esthétique même. […] et si nous nous laissions amoindrir à tout instant ?

1573. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « M. de Montalembert orateur. » pp. 79-91

J’honore cette franchise, je respecte cette foi de Polyeucte, qui repousse les tièdes, et qui, forte d’un espoir supérieur, réclame le combat, même inégal, sans douter de la victoire ; mais, politiquement et moralement, j’aurais mieux aimé laisser un peu plus de confusion sur ces objets. […] Sa faculté ironique et poliment hautaine qui, à certains jours pourtant, excédait un peu le ton de la noble Chambre et pouvait sembler disproportionnée, trouve ici des objets très convenables, et il n’en laisse, à la rencontre, échapper aucun ; il joint aux autres qualités de l’orateur celle de la riposte et de l’à-propos. […] Le tout est enveloppé dans une sorte de circulation vive qui ne laisse apercevoir aucun intervalle, et qui fait que les jets du moment, les pensées méditées ou notées, les morceaux tout faits, se rejoignent, s’enchaînent avec souplesse, et se meuvent comme les membres d’un même corps.

1574. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — IV »

Cette interprétation laisse, comme l’autre, subsister dans toute sa rigueur le point de vue de Bovarysme dont l’exposition fait l’objet de cette étude : car ces notions primordiales, et que Kant veut a priori, ne sont autre chose que les formes de toute connaissance possible. […] Les vérités morales, c’est-à-dire celles qui, dans l’ordre vital, semblent aussi les dernières venues et se sont constituées, comme les vérités scientifiques, avec la collaboration ou tout au moins sous le regard de la conscience humaine, les vérités morales vont aussi nous laisser voir, malgré le masque rigoureusement dogmatique qu’elles affectent durant le temps de leur règne, leur caractère éphémère et leur rôle secondaire de moyens pour procurer des fins très différentes des buts vers lesquelles elles ordonnent de tendre. […] L’utilité qui les a formées les laisse sans force dès qu’elle cesse de les vivifier.

1575. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 35, de l’idée que ceux qui n’entendent point les écrits des anciens dans les originaux, s’en doivent former » pp. 512-533

Il ne faut pas se laisser ébloüir aux discours artificieux des contempteurs des anciens, qui veulent associer à leurs dégoûts les sçavans qui ont remarqué des fautes dans les plus beaux ouvrages de l’antiquité. […] Tous ceux qui entendent le latin ne se lassent point de dire que ces versions ne donnent pas l’idée du mérite des originaux, et leur déposition est encore confirmée par l’expérience generale de ceux qui se laissent guider aux attraits des livres dans le choix de leurs lectures. […] Ils se laissent abbatre enfin au génie de notre langue, et ils se soumettent à la destinée des traductions après avoir lutté contre durant un temps.

1576. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Buloz »

Je laisse les charmes de son visage aux photographes littéraires, qui peuvent le ramasser, s’ils savent par où le prendre. […] … Il remplaça, tout aussi simplement qu’on remplace des fauteuils par des chaises, les premiers écrivains de sa Revue par des médiocrités plus commodes, qui se laissèrent manier, opérer et traiter, par ce vétérinaire d’articles, sans les cabrements du talent qui ne veut pas qu’on touche maladroitement à sa gourmette ! […] Sous Louis-Philippe, il s’était donné, et on l’avait pris, comme le chef d’emploi de tous les hommes célèbres, comme le cornac de tous les éléphants littéraires, qu’il devait amener par la trompe… Il maquignonnait pour le compte du gouvernement et pour le sien… Il laissait croire, avec des airs discrets et importants, que la Revue des Deux Mondes était le chemin qui conduisait à la députation, à la diplomatie (elle y avait conduit Lœve Vemias), à l’administration, au haut enseignement.

1577. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Sainte Térèse » pp. 53-71

Moins encore que Pascal, qui songeait peu à faire de la littérature lorsque dans ses Pensées il essayait de se faire de la foi, sainte Térèse, dont la littérature espagnole a le très juste orgueil, n’était pas littéraire, et c’est pourquoi peut-être ce qu’elle nous a laissé est si beau ! […] Ce n’est ni la brûlante Visionnaire de la Vie, la pluie de larmes qui coula toujours, ni l’Extatique torturée, l’ardente poétesse d’après la Communion qui nous a laissé ce livre des Exclamations où les phrases ne sont plus que des cris, et ce n’est pas non plus la sainte Térèse du livre des Fondations. […] Sa Vie, comme elle nous l’a laissée, cette longue poésie écrite tout en élans, est un des plus beaux livres assurément de la littérature espagnole, mais elle est aussi le plus beau traité de psychologie appliquée qu’il y ait dans quelque littérature que ce soit.

1578. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « IX. L’abbé Mitraud »

Il aura mal aux nerfs d’une lecture qui le mène et le courbature pendant quatre cent cinquante pages pour ne lui apprendre que ce qu’il sait et pour le laisser où elle l’a pris. […] Ne l’oubliez pas : il est si bien à eux, qu’ils l’ont laissé s’acharner tout à son aise contre les doctrines plus ou moins mortes de MM.  […] D’un autre côté, vainement l’Église lui a-t-elle appris cette charité chrétienne qui a suffi au monde depuis l’Évangile, il ne s’en est pas moins laissé mordre par la brebis enragée de la Philanthropie moderne, et comme l’école tout entière du dix-huitième siècle qu’il essaie de combattre, mais qui le tient sous elle comme un vaincu, il se préoccupe, à toute page de son livre philanthropique, du droit de chaque homme vis-à-vis de la société, et il va chercher ce droit individuel dans des notions incomplètes ou fausses, pour l’exprimer dans de nuageuses définitions que le dix-huitième siècle n’aurait certes pas repoussées !

1579. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Le Comte de Gobineau »

Non, une telle bande ne mérite pas de vivre ; non, cette vermine croissante ne peut exister et laisser le monde vivre ordonné à côté d’elle. […] Eh bien, la main sur le cœur, comme l’y mettait Talma dans Manlius (laissez-moi vous l’y mettre !) […] Jamais la misanthropie d’Alceste, qui n’est après tout qu’une boutade de salon laquelle n’a jamais crevé le plafond, jamais celle de La Rochefoucauld, qui n’est que de l’égoïsme aux caillots biliaires dans le ventre, ni celle de La Bruyère qui n’est qu’un chagrin d’homme vieilli, faisant payer au monde le regret caché de n’être plus jeune, ni celle de Rousseau qui n’est que la révolte d’un laquais contre sa livrée, ni celle plus cruelle de Chamfort qui hachait, avec les couteaux à dessert des soupers qu’il faisait chez les grands seigneurs de son temps, la gorge d’une société assez bête pour la lui tendre, comme il se la hacha à lui-même avec son rasoir pour s’éviter l’échafaud, ni enfin aucune des misanthropies célèbres qui ont laissé leur empreinte sur notre littérature et l’ont marquée ou du sillon brûlant de la colère ou du sillon froid du mépris, n’ont l’étoffe, l’étendue, le complet, et, qu’on me permette ce mot !

1580. (1894) La vie et les livres. Première série pp. -348

Il peut ajouter Guy de Maupassant, qui s’était laissé mettre dans cet état-major. […] Comme il ne fallait pas laisser perdre une impression si rare, il la nota sur son précieux Journal. […] Cette fois, il a laissé à côté de sa route les grandes villes, trop visitées, et les paysages illustres, cent fois décrits. […] Mieux vaut se laisser prendre à l’émotion tendre et douloureuse qui anime tout ce drame moral, et féliciter M.  […] Le grand empire turc commence à laisser derrière lui des épaves.

1581. (1912) Pages de critique et de doctrine. Vol I, « I. Notes de rhétorique contemporaine », « II. Notes de critique psychologique »

Ceux qu’il nous laisse suffisent pourtant à lui assurer une place durable dans le roman français au dix-neuvième siècle. […] Léon Daudet et celles que nous a laissées son père, on croirait que des catastrophes se sont produites. […] » répond-elle. « Laisse-moi te regarder, Georges. […] Spinoza les cite en justice, gagne le procès et, pour toute vengeance, leur laisse l’argent. […] D’heureuses circonstances avaient permis aux siens de traverser la tourmente révolutionnaire sans y laisser leur fortune.

1582. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XI » pp. 39-46

L'Université laisse faire, arme au bras : M. […] Le gallicanisme en se dissolvant a laissé un grand héritage ; les jésuites peuvent en saisir un vaste lambeau, mais la masse n’en sera pas moins diminuée, disséminée.

1583. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. Laurent (de l’Ardèche) : Réputation de l’histoire de France de l’abbé de Montgaillard  »

Si, comme nous l’espérons, l’auteur ne se laisse pas égarer par l’esprit de système, une part équitable et rigoureuse y sera faite aux capacités et aux convictions d’un chacun, et les personnages que MM.  […] Cependant j’aurais voulu être impolitique comme eux, compromettre tout ce qu’ils avaient compromis, et mourir comme eux encore, parce qu’il n’est pas possible de laisser corôler le sang sans résistance et sans indignation… » Maintenant écoutons M. 

1584. (1874) Premiers lundis. Tome II « Deux préfaces »

Avec ses contemporains au contraire, quelque mobile et inachevée que soit l’œuvre, quelque contraignantes que soient les convenances, si l’on a saisi la clef, une des clefs de leur talent, de leur génie, on la peut toujours laisser voir, même quand il ne serait pas séant de s’écrier tout haut : la voilà. […] Je ne prends donc plus à cet égard ombre de détermination, surtout négative ; je laisse ma série ouverte, heureux d’y ajouter à chaque propos (toujours avec soin), le plus qu’il me sera possible, et de ces Portraits, puisque la veine s’y mêle, je ne dis même plus : Je n’en ferai que cent25.

1585. (1874) Premiers lundis. Tome II « H. de Balzac. Études de mœurs au xixe  siècle. — La Femme supérieure, La Maison Nucingen, La Torpille. »

Il vous sera permis de dire alors que rien d’incompatible avec le plus scrupuleux sentiment de notre dignité ne trouverait une excuse dans l’or reçu en échange ; mais vous saurez aussi que des richesses loyalement acquises seraient d’un grand prix, et vous laisserez la prétention de mépriser les biens à ceux qui, ne pouvant s’en détacher, s’irritent contre une sorte d’ennemi toujours victorieux. » Voilà le cri à demi étouffé d’une nature haute que la pauvreté comprime : mais, cela dit, il faut se taire. […] A côté des portions bien observées, qu’exprime un style trop complice de son sujet, l’auteur a laissé échapper de singulières inadvertances : en un endroit, Marion Delorme se trouve être une courtisane du xvie  siècle, par opposition à Ninon, qui est du xviie  ; ailleurs, la vie de Mazarin est donnée comme bien autrement dominatrice que celle de Richelieu, lequel meurt à la fleur du pouvoir : cela devient fabuleux.

1586. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — Le Comte Walewski. L’École du Monde »

Walewski que de le juger comme un de ses pairs, et, depuis sa préface, comme un de ses pairs qui laisse trop voir la peur maladroite d’avoir dérogé. […] La comédie de L’École du Monde est assez agréable à la lecture ; elle n’a rien qui choque ; on ne laisse pas de s’intéresser à Émilie ; les autres caractères y sont assez bien esquissés ; on n’y manque pas aux usages ; il y a dans le dialogue de la correction, une certaine élégance, quelques traits spirituels.

1587. (1875) Premiers lundis. Tome III «  La Diana  »

Voilà, me disais-je en parcourant le recueil local où l’on a réuni les touchants témoignages rendus à M. de Persigny dans ses visites à Saint-Étienne et à Montbrison, et qui sortent tout à fait du ton officiel, voilà une province qui vit, qui échappe au reproche qu’on a souvent adressé à notre centralisation administrative ; d’ailleurs si utile, de n’être qu’un mécanisme, un ensemble de rouages, et de laisser en dehors le cœur et l’âme des populations. […] Ce que je vais dire n’est pas un conte : je sais telle grande ville de province, siège de Facultés, dont la Bibliothèque possède un manuscrit d’Alfieri ; un jeune homme demande à le consulter : le bibliothécaire, gardien du trésor, s’effraie à cette seule demande : « Je puis bien vous le montrer, répond-il ; prenez le chiffre du format, le nombre de pages, si vous le voulez ; parcourez-le même, mais je ne puis vous en laisser copier une ligne. » Et pendant tout le temps que le manuscrit était en main, le malheureux homme en peine était là tournant, rôdant autour du pauvre curieux qui se sentait lui-même sur les épines de se voir ainsi épié.

1588. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre cinquième. Le peuple. — Chapitre V. Résumé. »

À leur tête, le roi, qui a fait la France en se dévouant à elle comme à sa chose propre, finit par user d’elle comme de sa chose propre ; l’argent public est son argent de poche, et des passions, des vanités, des faiblesses personnelles, des habitudes de luxe, des préoccupations de famille, des intrigues de maîtresse, des caprices d’épouse gouvernent un État de vingt-six millions d’hommes avec un arbitraire, une incurie, une prodigalité, une maladresse, un manque de suite qu’on excuserait à peine dans la conduite d’un domaine privé  Roi et privilégiés, ils n’excellent qu’en un point, le savoir-vivre, le bon goût, le bon ton, le talent de représenter et de recevoir, le don de causer avec grâce, finesse et gaieté, l’art de transformer la vie en une fête ingénieuse et brillante, comme si le monde était un salon d’oisifs délicats où il suffit d’être spirituel et aimable, tandis qu’il est un cirque où il faut être fort pour combattre, et un laboratoire où il faut travailler pour être utile  Par cette habitude, cette perfection et cet ascendant de la conversation polie, ils ont imprimé à l’esprit français la forme classique, qui, combinée avec le nouvel acquis scientifique, produit la philosophie du dix-huitième siècle, le discrédit de la tradition, la prétention de refondre toutes les institutions humaines d’après la raison seule, l’application des méthodes mathématiques à la politique et à la morale, le catéchisme des droits de l’homme, et tous les dogmes anarchiques et despotiques du Contrat social  Une fois que la chimère est née, ils la recueillent chez eux comme un passe-temps de salon ; ils jouent avec le monstre tout petit, encore innocent, enrubanné comme un mouton d’églogue ; ils n’imaginent pas qu’il puisse jamais devenir une bête enragée et formidable ; ils le nourrissent, ils le flattent, puis, de leur hôtel, ils le laissent descendre dans la rue  Là, chez une bourgeoisie que le gouvernement indispose en compromettant sa fortune, que les privilèges heurtent en comprimant ses ambitions, que l’inégalité blesse en froissant son amour-propre, la théorie révolutionnaire prend des accroissements rapides, une âpreté soudaine, et, au bout de quelques années, se trouve la maîtresse incontestée de l’opinion  À ce moment et sur son appel, surgit un autre colosse, un monstre aux millions de têtes, une brute effarouchée et aveugle, tout un peuple pressuré, exaspéré et subitement déchaîné contre le gouvernement dont les exactions le dépouillent, contre les privilégiés dont les droits l’affament, sans que, dans ces campagnes désertées par leurs patrons naturels, il se rencontre une autorité survivante, sans que, dans ces provinces pliées à la centralisation mécanique, il reste un groupe indépendant, sans que, dans cette société désagrégée par le despotisme, il puisse se former des centres d’initiative et de résistance, sans que, dans cette haute classe désarmée par son humanité même, il se trouve un politique exempt d’illusion et capable d’action, sans que tant de bonnes volontés et de belles intelligences puissent se défendre contre les deux ennemis de toute liberté et de tout ordre, contre la contagion du rêve démocratique qui trouble les meilleures têtes et contre les irruptions de la brutalité populacière qui pervertit les meilleures lois. […] Madame de Gramont, pour dissiper le nuage, n’insista pas sur cette dernière réponse et se contenta de dire de son ton le plus léger : Vous verrez qu’il ne me laissera seulement pas un confesseur  Non, madame, vous n’en aurez pas, ni vous, ni personne ; le dernier supplicié qui en aura un par grâce, sera… » Il s’arrêta un moment : « Eh bien, quel est donc l’heureux mortel qui aura cette prérogative   C’est la seule qui lui restera, et ce sera le roi de France. »

1589. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre III. De la sécheresse des impressions. — Du vague dans les idées et le langage. — Hyperboles et lieux communs. — Diffusion et bavardage »

Eût-on quelque velléité de sentir autrement, fût-on convaincu même que la vérité des faits y oblige, la phrase est là, si tentante, si facile à prendre ; il est si commode de la ramasser ; on a si peu le loisir, si peu l’habitude de sentir sa propre pensée et d’en chercher l’exacte formule, qu’on se laisse aller ; et l’on dit blanc quand on eût pensé noir si l’on n’avait pas lu son journal. […] Mais comme on laisserait le prochain en repos si l’on pouvait tirer ses pensées du dedans et de son propre fonds !

1590. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Le termite »

Il laissa tout crouler, il se courba, il resta dans une morosité végétative, où les idées se tissaient lentes ainsi que des feuilles, moites de larmes intimes, tremblantes d’infinies angoisses… » Ah ! […] Même d’humbles dramaturges, tels qu’Augier ou Dumas, ne laissaient pas de nous inspirer quelque considération.

1591. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Dierx, Léon (1838-1912) »

Tout ce monde-là se rappelle également ces troublants paysages, les Filaos, souvenir de l’Île natale, et ces Automnes où Le monotone ennui de vivre est en chemin, et ces pièces où le vers revient sans monotonie, forme toute nouvelle, car Baudelaire, qui lui-même a emprunté à Edgar Poe la réitération du vers, se borne, comme son modèle, à en faire un véritable refrain revenant toujours à la même place, tandis que Dierx promène, en écoliers buissonniers, plusieurs vers dans la même pièce, comme un improvisateur au piano qui laisse errer plusieurs notes, toujours les mêmes, à travers l’air qu’il a trouvé, ce qui produit un effet de vague d’autant plus délicieux, que le vers de notre poète est particulièrement fait et très précis, toute flottante que veuille être parfois sa pensée, mystique et sensuelle. […] Et pourtant — ce pourquoi je l’aime et l’admire — il laisse parfois jaillir son émotion.

1592. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Sully Prudhomme (1839-1907) »

Laissez-moi toutefois rappeler à votre mémoire enchantée cette superbe pièce intitulée : Les Écuries d’Augias. […] Laissez-moi m’en sortir qu’un vers, La moisissure rose aux écailles d’argent.

1593. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre II. « Faire de la littérature » » pp. 19-26

En notre temps notoirement pratique, où, si peu de chose se créent, du moins aucune ne se perd, le jeune homme qui sait tourner avec une égale aisance, et au gré du jury, une « lettre de Varius à Virgile pour lui faire compliment des Géorgiques », ou un « billet de Maucroix à La Fontaine pour le féliciter de ses Fables », le jeune bachelier songe à ne pas laisser inexploité l’heureux produit d’un naturel de choix et d’une éducation de luxe. […] La déconvenue de quelques scribes ratés me laisserait tout à fait calme.

1594. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XII » pp. 100-108

Turenne se laissa aller à la révolte, pour plaire à madame de Longueville, qui tenait le duc de La Rochefoucauld dans ses chaînes. […] On lui laissait parcourir les tranchées et courir aux escarmouches à travers les balles et les boulets.

1595. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXX » pp. 330-337

J’en conviens ; mais cela s’est fait d’une manière qui peut laisser espérer d’autres grâces. […] Madame de Coulanges félicita madame Scarron de l’augmentation de pension qui laissait espérer d’autres grâces.

1596. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article » pp. 124-134

Evremont ne sont pas supportables, quoiqu’ils fourmillent de pensées ; tandis qu’un seul trait, un seul tour, une seule image échappée au Génie poétique, attache l’esprit, échauffe le cœur, & y laisse des impressions profondes. […] Un Commandant de troupes conserve son sang froid, & laisse la témérité au Soldat.

1597. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 439-450

Si le plan des Philosophes ressemble un peu trop à celui des Femmes Savantes, pour laisser à l’Auteur la gloire de l’invention, il a du moins su se procurer celle qui doit être le prix du ton de la bonne Comédie, d’une versification heureuse, énergique, & facile. […] Pour donner une idée complette de la bonne foi de cet Ecrivain, nous ne devons pas laisser ignorer qu’il fait entendre à ses Lecteurs que c’est contre son gré que nous avons loué ses Ouvrages, tandis que son déchaînement contre nous vient de ce que nous ne lui avons pas accordé autant d’éloges qu’il en désiroit.

1598. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Voiture, et Benserade. » pp. 197-207

Quelques dames riches & libérales ne le laissoient manquer de rien. […] Cet ami ne balança point, & lui envoya pour réponse un rondeau qui finit par ces vers : De ces rondeaux un livre tout nouveau A bien des gens n’a pas eu l’art de plaire : Mais, quant à moi, j’en trouve tout fort beau, Papier, dorure, images, caractère, Hormis les vers qu’il falloit laisser faire A la Fontaine.

1599. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Jean-Baptiste Rousseau et M. de Voltaire. » pp. 47-58

C’est sur ses talens précoces, & son amour extrême pour la lecture, que la fameuse Ninon Lenclos, en mourant, lui laissa un legs pour lui procurer un choix des meilleurs livres. […] « Ses talens, ses malheurs, & ce que j’ai oui dire ici de son caractère, ont banni de mon cœur tout ressentiment, & n’ont laissé mes yeux ouverts qu’à son mérite. » *.

1600. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 18, que nos voisins disent que nos poëtes mettent trop d’amour dans leurs tragedies » pp. 132-142

L’auteur anglois prétend que l’ancienne chevalerie et ses infantes ont laissé dans l’esprit de quelques nations le goût qui leur fait aimer à retrouver par tout un amour sans passion et ce qu’elles appellent galanterie, espece de politesse que les grecs et les romains si spirituels et si cultivez n’ont jamais connuë. Cette galanterie, dit-il, que les françois qui, ne s’embarassent pas tant d’approfondir les choses, n’ont jamais bien définie, est une affectation de témoigner aux femmes par politesse les sentimens d’un amour que l’on n’a pas, mais dont l’apparence ne laisse point de les flater.

1601. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 30, de la vrai-semblance en peinture, et des égards que les peintres doivent aux traditions reçuës » pp. 255-265

Un peintre pecheroit contre ces loix, s’il faisoit lever par un homme qui seroit mis dans une attitude, laquelle ne lui laisseroit que la moitié de ses forces, un fardeau qu’un homme, qui peut faire usage de toutes ses forces, auroit peine à ébranler. […] Un homme de courage, attaqué d’une grande douleur, laisse bien voir sa souffrance peinte sur son visage ; mais elle n’y doit point paroître telle qu’elle se montreroit sur le visage d’une femme.

1602. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 41, de la simple récitation et de la déclamation » pp. 406-416

L’experience que nous avons de nos propres sens, nous enseigne donc que l’oeil est un censeur plus sévere, qu’il est pour un poëme un scrutateur bien plus subtil que l’oreille, parce que l’oeil n’est pas exposé dans cette occasion à se laisser séduire par son plaisir comme l’oreille. […] Si mon lecteur, dit-il, n’est pas des plus habiles dans sa profession, les vers qu’il nous lira sont si beaux, qu’ils ne laisseront pas de nous faire plaisir.

1603. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 7, que les genies sont limitez » pp. 67-77

Tel peintre demeure confondu dans la foule qui seroit au rang des peintres illustres, s’il ne se fût point laissé entraîner par une émulation aveugle, qui lui a fait entreprendre de se rendre habile dans des genres de la peinture, pour lesquels il n’étoit point né, et qui lui a fait négliger les genres de la peinture ausquels il étoit propre. […] Si Martial ne nous avoit laissé que les cent épigrammes, que les gens de lettres de toutes nations sçavent communément par coeur, si son livre n’en contenoit pas un plus grand nombre que le livre de Catulle, on ne trouveroit plus une si grande difference entre cet ingénieux chevalier romain et Martial.

1604. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXII. Des éloges des hommes illustres du dix-septième siècle, par Charles Perrault. »

Le public écoute, applaudit l’orateur, quand il le mérite, et laisse le mort pour ce qu’il est. […] Il aurait pu ajouter que parmi les grands talents même, ou politiques, ou militaires, il y en a beaucoup qui, après eux, ne laissent point de traces ; au lieu que les monuments des arts restent.

1605. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre sixième »

Laissons aux deux époques une part dans les fautes des uns et dans le mérite de l’autre, pour blâmer comme pour admirer dans de justes bornes. […] Il achetait la bibliothèque de Patru, et lui en laissait la jouissance sa vie durant. […] Mais ne l’entend-il pas plutôt du fil même du discours qu’il est si malaisé de ne pas laisser échapper ? […] Des griefs qui laissèrent l’estime intacte, les misères des amitiés humaines, rompirent ces douces réunions, si utiles à tous. […] Au lieu de chercher des rimes qui enrichissent le sens, il en laisse échapper qui ne l’indiquent même pas ou qui l’obscurcissent.

1606. (1891) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Quatrième série

Descartes, lui, commence par la mettre en dehors de ses préoccupations, — et l’y laisse. […] Je me laisse aller comme je suis venu ; je ne combats rien… Dirai-je ceci en passant ? […] Voilà tout le profit qu’un dévot, faux ou vrai, pouvait songer alors à tirer de sa dévotion ; et je laisse au lecteur à penser s’ils étaient beaucoup qui en fussent avides. […] Mais l’enseigne des vrais est de n’en pas avoir ; ils se contentent d’être dévots pour eux-mêmes ; et pourvu qu’ils vivent bien, ils laissent les autres vivre à leur guise. […] Sorel ne laisse pas d’y trouver des traits d’une admiration profonde et sincère de l’antiquité.

1607. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1862 » pp. 3-73

C’est qu’on me laisse tranquille dans mon coin ! […] Elle s’est laissé accoster par la fortune comme par un passant, — quelqu’un qui monte, qu’on accepte, qui s’en va et qu’on oublie. […] Il a bien, à son côté, Sancho qui est la Raison, le Bon Sens, mais il le laisse en arrière. […] Les billets qu’elle a signés, les dettes qu’elle a laissées chez tous les fournisseurs, ont le dessous le plus imprévu, le plus surprenant, le plus incroyable. […] Son gendre vint se plaindre à lui que sa fille se laissait aller à la boisson.

1608. (1884) Propos d’un entrepreneur de démolitions pp. -294

« Il laisse une école », disent en chœur les lavandières optimistes du parti. […] Puisqu’on lui a pris tout le reste, il exige qu’on lui laisse au moins cela. […] qu’il le laisse dans son cercueil. […] J’écrirai donc une bonne fois sur Coquelin Cadet et, ensuite, on me laissera peut-être tranquille. […] Mais en même temps, il me semble que ce mot laisse entrevoir le trait le plus profond de sa nature.

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