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1136. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIVe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

M. de Chateaubriand se plaçait derrière le prie-Dieu de madame Récamier et, dans le moment où le prêtre, élevant l’hostie, fait courber les fronts des fidèles devant le symbole du sacrifice, il adressait à demi-voix à sa belle voisine les plus ardentes déclarations de son admiration et de son amour. […] Parvenu au but de ses désirs, qui était de renverser les libéraux modérés du ministère, pour créer et protéger un ministère de royalistes auxquels il prêterait son talent, puis, de le renverser ensuite et de se substituer seul à M. de Villèle, il semble d’abord ressentir ou affecter pour madame Récamier une passion de jeunesse sans mesure, qui n’a pour objet que de revenir de ses ambassades à Paris pour s’enivrer de sa passion équivoque auprès d’elle, dans la solitude et dans le désintéressement de son amour ; puis, après le congrès de Vérone et sa nomination au ministère des affaires étrangères, d’autres passions moins platoniques paraissent le refroidir et l’éloigner de madame Récamier. […] L’amour est un dieu sans miséricorde, parce qu’il est absolu. […] Ses professions de foi et d’amour à la liberté de la presse ne lui permettaient pas de s’unir à la déclaration de haine à la presse, prélude des ordonnances de Juillet. […] Plus l’homme est grand, plus grand est le vide, plus il est impossible de le remplir, excepté par la vertu ou par l’amour ; aussi, voyez comme ce vide est vaste en lui ; il croit le combler par la gloire, il l’acquiert jeune et elle lui laisse un profond ennui ; il passe à la politique, à l’ambition même coupable, la politique et l’ambition le laissent plus ennuyé que jamais ; de rien à une ambassade, ennui ; d’une ambassade au ministère, ennui ; d’un ministère à une révolution, des Tuileries à Gand en 1815, ennui ; de Gand à Rome au retour, ennui ; de Rome à Londres, ennui, ennui toujours ; il s’impatiente et croit s’en défaire par ses vices ; il se met à attaquer ce qu’il a défendu, il renverse ce qu’il a construit ; il triomphe, et l’ennui triomphe avec lui ; il redevient royaliste et recherche une popularité équivoque, mais il est vaincu, et l’ennui de son impuissance le ressaisit pour la dernière fois ; il s’adresse à la plus belle des femmes, et croit aimer ; mais l’ennui est plus constant que l’amour ; il se livre tard aux voluptés de la jeunesse, l’ennui l’obsède ; il revient repentant à la femme aimée, puis il meurt à la fin d’ennui.

1137. (1892) Boileau « Chapitre I. L’homme » pp. 5-43

Un jour, à Bâville, on disputait sur l’amour de Dieu, et un père jésuite soutenait que dans la Pénitence la contrition n’est pas nécessaire, et que l’attrition, causée par la crainte de l’enfer sans amour de Dieu, suffit à la justification du pécheur. […] Et vous, au contraire, allez au diable, et en enfer, vous les maudits de mon Père, parce que vous m’avez aimé de tout votre cœur, et que vous avez sollicité et pressé tout le monde de m’aimer.” » Cette prosopopée, sous laquelle le Père demeura comme étourdi, devint un des beaux morceaux de l’Épître sur l’Amour de Dieu. […] S’il louait l’« hymne inspiré » de l’amour de Dieu, le tour de raillerie du satirique l’inquiétait, et les condamnations sévères qu’il portait sur certaines satires nous montrent qu’il avait pressenti chez Despréaux une raison déjà émancipée : comme Descartes, ce n’était là pour lui qu’un allié d’occasion, capable d’être l’ennemi du lendemain. […] Un jour, Bossuet y venait entendre l’Épître sur l’Amour de Dieu ; un autre jour, La Bruyère y lisait ses Caractères, ou d’Aguesseau s’y arrêtait en revenant de Versailles. […] Malgré les précautions qu’il avait prises, le mélange habile des opinions, et l’approbation du père La Chaise, les jésuites prirent l’épître sur l’Amour de Dieu pour un acte d’hostilité.

1138. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1855 » pp. 77-117

Le cabinet de lecture, où il allait chercher le plus généralement des romans d’Anne Radcliffe, était situé dans la maison, d’où devait partir, à bien des années de là, la machine infernale de Fieschi, et la bossue qui le tenait, avait pour commis un certain garçon, que Gavarni retrouva plus tard jouant les Amours dans les gloires des Funambules, et plus tard encore, libraire et éditeur de plusieurs séries de ses dessins. […] Une semaine d’amour nous en dégoûte pour trois mois. Oui, nous sortons de l’amour avec un abattement de l’âme, un affadissement de tout l’être, une prostration du désir, une tristesse vague, informulée, sans bornes. […] Jadis la religion, c’était là un magnifique dada… mais c’est empaillé maintenant… ou encore le dada du père Corot qui cherche des tons fins et qui les trouve et à qui ça suffit… Tenez, ces gros bourgeois qui viennent le dimanche ici, et qui rient si fort… je les envie. » « Et pour l’amour, mon Dieu, ce que nous exigeons de la créature humaine ! […] L’amour de la conversation, il le pousse au point que voici.

1139. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Victor Hugo » pp. 106-155

De pareils redoublements de phrases renflent les chapitres sur le palais muet, obscur et splendide que traverse à pas hésitants Gwynplaine promu Lord Clancharlie ; il en est ainsi dans les Misérables, à ce tableau de l’éclosion printanière dans le jardin inculte, où se déroulent les amours de Cosette et de Marius ; et les vers du poète sont aussi riches que sa prose en ces tentatives redondantes, ces perpétuels retours du burin à graver et regraver le même trait en de diverses et fantasques lignes. […] En Hernani, en Ruy-Blas, en Marie Tuclor, en Marion Delorme, l’amour se heurte à la haine. […] Dans ses principales créatures il a légèrement dévié de cette psychologie congrue, non pourtant sans concilier avec son intuition partielle des complications humaines son amour de la simplicité. […] Gwynplaine est oscillant entre son amour pour Dea et son amour pour Josiane ; M.  […] Coutumier comme elle de ne point creuser les dessous des choses, de croire tout uniment qu’il y a des braves gens et des coquins, que tous les hommes sont frères et tous les prés fleuris, que les oiseaux chanteurs célèbrent l’Éternel, que les morts vont dans un monde meilleur, et que la Providence s’occupe de chacun, ralliant les disserteurs de politique par son adoration de quatre-vingt-neuf, les mères par son amour des enfants, les ouvriers par sa philanthropie et son humanitarisme, ne choquant en politique que les aristocrates, en littérature que les réalistes et en philosophie que les positivistes, trois partis peu nombreux, M. 

1140. (1897) Aspects pp. -215

Il descend le fleuve Amour sur un radeau. […] Son profond amour de la vie le soutenait ; il travaillait, infatigable et probe. […] L’amour le déçoit. […] Charles Ténib : Les Amours errantes (i vol.  […] Georges Rency brode de fines variations sur un thème d’amour délicat et frêle.

1141. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire de la littérature française, par M. D. Nisard. Tome iv. » pp. 207-218

Les erreurs de cet esprit si juste sont des jugements intéressés, où il a pris sa commodité pour règle… Et comparant cette correspondance de Voltaire avec les lettres de Cicéron, cet autre esprit universel et le grand épistolaire de l’Antiquité, il dira : L’amour de la gloire est l’âme de ces deux recueils, et ce que Voltaire fait dire au Cicéron de sa Rome sauvée : Romains, j’aime la gloire et ne veux pas m’en taire, est aussi vrai du poète que de son héros. […] Le père qui a connu ce que c’est que d’aimer quelqu’un plus que soi-même a senti tout son cœur, et telle est la chaleur de l’amour paternel, que le même homme en aime mieux tout ce qui est à aimer. […] André Chénier, quand il chante l’amour, est le disciple des anciens et de son cœur ; Musset est le disciple de son cœur et de Byron.

1142. (1874) Premiers lundis. Tome II « Chronique littéraire »

Une jeune fille sentimentale, exaltée, élevée dans la pratique chrétienne et d’une nature un peu mystique, Claire, est aimée d’un jeune homme éloquent et enthousiaste qui a embrassé le saint-simonisme, et dont l’amour l’entraîne à sa secte sans la convaincre ; le malheur qui les frappe tous les deux semble à l’auteur provoquer une moralité favorable au christianisme. […] Était-il donc besoin, pour inspirer à Claire de l’amour pour Reinal, de recourir à cette opération presque fabuleuse de la transfusion du sang ? […] à travers la douleur des amitiés brisées, Les chutes, les écarts, — obstinée en ton vœu ; Inégale au milieu du blâme et des risées, Tu poursuis ton amour, ton progrès et ton Dieu.

1143. (1875) Premiers lundis. Tome III « M. Troplong : De la chute de la République romaine »

Ils se flattent d’expliquer par des causes très-générales ou par des moralités simples des résultats très-compliqués, très-divers ; ils accusent confusément le luxe, la cupidité, l’amour du pouvoir. […] Pourquoi tant de corruption, tant d’amour de l’argent, tant de mépris des lois, tant de luttes intestines et de déchirements impies ? […] L’amour du pouvoir (potentiæ cupido) suffit à lui seul pour expliquer toutes les révolutions de Rome, les dissensions des patriciens et des plébéiens, la turbulence des tribuns, la prépotence de consuls, le farouche Marius sorti des rangs du bas peuple (e plebe infima), Sylla le plus cruel des nobles, Pompée plus hypocrite qu’eux deux, et non pas meilleur ; enfin César, Antoine, Auguste, et tout le sang romain versé dans les champs de Pharsale et de Philippes.

1144. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « José-Maria de Heredia.. »

C’est ainsi qu’à la mélancolie diffuse des Méditations succède la tristesse analytique de la Vie intérieure ; à l’amour selon Musset, l’amour selon Baudelaire ; à la métaphysique rudimentaire de Victor Hugo, la criticisme de Sully Prudhomme et le nihilisme de Leconte de Lisle. […] D’un doigt distrait frôlant la sonore bîva, À travers les bambous tressés en fine latte, Elle a vu, sur la plage éblouissante et plate, S’avancer le vainqueur que son amour rêva.

1145. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Armand Silvestre »

I Les lecteurs du Gil Blas, qui se délectent deux ou trois fois par semaine aux amours de l’ami Jacques et aux aventures du commandant Laripète, ont-ils lu les Renaissances, les Paysages métaphysiques, et les Ailes d’or, et soupçonnent-ils que M.  […] Et c’est là précisément la secrète et pénétrante originalité de ces petits vers, de ces menues ritournelles, de ces rimes caressantes : elles font couler jusqu’à l’âme l’ivresse des couleurs, des formes et des parfums, et l’amour de la vie universelle, toujours un peu triste parce qu’il est toujours inassouvi. […] Je ne sais encore comment j’ai pu sauver quelque chose de ma fatale beauté des emportements de son amour.

1146. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Ernest Renan, le Prêtre de Némi. »

La femme ne fera jamais le bien que par l’amour d’un homme  Sœur dans le devoir et le martyre, je t’aime », dit Antistius en la baisant tristement au front. […] Joie de vivre, principe de noblesse et d’amour, tu deviens pour ces misérables un principe de bassesse. […] Relisez quelques contes de Voltaire ou de Diderot ; puis relisez Caliban, la Fontaine de Jouvence et le Prêtre de Némi : vous pourrez mesurer de combien de notions et de sentiments s’est enrichie, en cent ans, l’âme humaine ; et vous déborderez de reconnaissance et d’amour pour le plus suggestif et le plus ensorcelant de nos grands écrivains.

1147. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre deuxième »

Saint-Évremont disait des premières précieuses « qu’elles ont tiré une passion toute sensible (l’amour) du cœur à l’esprit, et converti des mouvements en idées17. » Le mot est aussi vrai des secondes. […] J’en dirai autant des bergers, sauf Lamotte, dont l’amour pour la dame de Sceaux, « pareil, dit Fontenelle, à celui de Voiture pour Mlle de Rambouillet, était plus parfaitement privé d’espérance et sans doute infiniment plus disproportionné18. » Il en est des vieux ridicules comme des vieilles modes ; en recommençant, ils empirent. […] » Si Lamotte s’était plus mêlé de moraliser, je croirais le reconnaître dans cette image de vertus humaines, qui, « nées le plus souvent dans l’orgueil et dans l’amour de la gloire, y trouvent un moment après leur tombeau », ou qui, « formées par les regards publics, vont s’éteindre le lendemain, comme ces feux passagers, dans le secret et les ténèbres19. » Suis-je même bien sûr de ne pas faire tort à Lamotte, en le supposant capable de ces figures ?

1148. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXVIII. Caractère essentiel de l’œuvre de Jésus. »

L’amour ne va pas sans un objet digne de l’allumer, et nous ne saurions rien de Jésus si ce n’est la passion qu’il inspira à son entourage, que nous devrions affirmer encore qu’il fut grand et pur. […] Par notre extrême délicatesse dans l’emploi des moyens de conviction, par notre sincérité absolue et notre amour désintéressé de l’idée pure, nous avons fondé, nous tous qui avons voué notre vie à la science, un nouvel idéal de moralité. […] Que la médecine ait des noms pour exprimer ces grands écarts de la nature humaine ; qu’elle soutienne que le génie est une maladie du cerveau ; qu’elle voie dans une certaine délicatesse de moralité un commencement d’étisie ; qu’elle classe l’enthousiasme et l’amour parmi les accidents nerveux, peu importe.

1149. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface des « Burgraves » (1843) »

Comme dans toute œuvre, si sombre qu’elle soit, il faut un rayon de lumière, c’est-à-dire un rayon d’amour, il pensa encore que ce n’était point assez de crayonner le contraste des pères et des enfants, la lutte des burgraves et de l’empereur, la rencontre de la fatalité et de la Providence ; qu’il fallait peindre aussi et surtout deux cœurs qui s’aiment ; et qu’un couple chaste et dévoué, pur et touchant, placé au centre de l’œuvre, et rayonnant à travers le drame entier, devrait être l’âme de toute cette action. […] Ainsi l’histoire, la légende, le conte, la réalité, la nature, la famille, l’amour, des mœurs naïves, des physionomies sauvages, les princes, les soldats, les aventuriers, les rois, des patriarches comme dans la Bible, des chasseurs d’hommes comme dans Homère, des titans comme dans Eschyle, tout s’offrait à la fois à l’imagination éblouie de l’auteur dans ce vaste tableau à peindre, et il se sentait irrésistiblement entraîné vers l’œuvre qu’il rêvait, troublé seulement d’être si peu de chose, et regrettant que ce grand sujet ne rencontrât pas un grand poëte. […] Faire constamment effort vers le grand, donner aux esprits le vrai, aux âmes le beau, aux cœurs l’amour ; ne jamais offrir aux multitudes un spectacle qui ne soit une idée : voilà ce que le poëte doit au peuple.

1150. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — L’abbé d’Aubignac, avec Ménage, Pierre Corneille, Mademoiselle de Scudéri et Richelet. » pp. 217-236

La haine capitale que se portoient d’Aubignac & Ménage avoit moins son origine dans leur amour pour la vérité & dans la connoissance qu’ils avoient des loix théâtrales, que dans leur rivalité. […] Tout concouroit à faire parler d’elle ; les agrémens de son esprit, la difformité de son visage, l’amour excessif de l’étude dans une femme, la singularité de ses ouvrages, ses liaisons avec un bel-esprit* tout aussi laid qu’elle. […] Leurs amours donnèrent lieu à beaucoup d’épigrammes & de mauvaises plaisanteries.

1151. (1811) Discours de réception à l’Académie française (7 novembre 1811)

Ami du plaisir, il respecta la décence ; chantre de l’Amour, il n’effaroucha point les Grâces. […] Tour à tour naïve, tendre, morale, et guerrière, elle fait éclore les idées les plus riantes et les sentiments les plus élevés ; elle inspire l’amour, cimente l’amitié, frappe le ridicule, enflamme le courage ; enfin, est à la fois l’interprète du cœur et l’organe de l’esprit. […] Quelle époque de corruption que celle où un homme d’honneur se croit perdu s’il laisse éclater son amour pour l’épouse qu’il a promis d’aimer !

1152. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre premier. Mme de Staël »

Quelqu’un qui, sans savoir que ses livres sont d’elle, les ouvrirait au hasard, y reconnaîtrait, à toute ligne, l’âme d’une femme, la pensée d’une femme ; et même, dans les plus passionnés, dans ceux-là que des moralistes sévères ont trouvés presque coupables, il y a cependant un accent de pureté, de sincérité et de tendresse, d’amour pour tous les sacrifices, de respect pour tous les enthousiasmes, qui révèle bien toute la femme qu’elle fut. […] Protestante de naissance, comme on sait, mais catholique d’âme et d’imagination comme les femmes bien faites, comme cet autre talent-femme, Mme de Gasparin, égarée dans le protestantisme et digne d’être de la religion de sainte Thérèse par son amour de Jésus-Christ, Mme de Staël a senti de plus en plus monter sur les ruines d’une vie si vite écroulée, la flamme d’or du sentiment religieux ! […] Oui, c’est la faible qu’il faudrait montrer, la faible qui, par ses prières, sauva Norvins de l’échafaud ; la faible qui, ne croyant plus à l’amour, épousa Rocca par pitié ; la faible qui, dans un temps de luttes mortelles et de partis acharnés, resta les bras étendus entre les partis, comme la Sabine du tableau de David, entre les Romains et les Sabins, et qui les a toujours gardés étendus, dans cette intervention sublime, sans qu’elle ait senti fléchir jamais, un seul moment, ses bras lassés !

1153. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes et la société au temps d’Auguste » pp. 293-307

Il n’a, comme les dandys, de respect pour rien, ni pour les traditions, ni pour les solennités, ni pour les témoignages de l’Histoire, appuyés par les plus grands noms… Si vous mettez, entre parenthèses, son incroyable amour pour Cléopâtre, qui détonne avec son dandysme, et qui rappelle l’amour sénile du philosophe Cousin pour la duchesse de Longueville, Blaze de Bury semble revenu de l’Histoire comme d’autre chose. […] Ces travaux d’esclave ne sont pas faits pour ces patriciens de la Pensée et de la Forme… L’amour sévère et consciencieux du vrai n’est point une vertu païenne.

1154. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Michelet » pp. 259-274

a vibré, en ces biographies, à l’unisson des âmes, chrétiennes aussi, de ces soldats qui n’eurent de religion que l’amour de la patrie et du devoir, et qui n’en furent pas moins, à leur façon, des âmes chrétiennes ! […] Mais le xviiie  siècle, malgré le matérialisme de Diderot et la raillerie de Voltaire, malgré ce marteau et cette hache, n’avait pu venir tout à fait à bout de l’âme humaine ; et l’enthousiasme qu’il voulait éteindre reflamba dans l’amour de la patrie, qui remplaça l’amour de Dieu.

1155. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Horace Walpole »

Comme Swift, qui fut affreux, à plus de cinquante ans, comme un vieux homme à bonnes fortunes, avec les deux femmes qui l’aimèrent et dont il brisa le cœur par une férocité d’égoïsme qui le déshonora, Walpole a été cruellement dur avec l’unique femme qui l’ait aimé et dont l’amour, le seul amour octogénaire qui ait jamais existé dans l’histoire des cœurs, exalta, humilia et inquiéta tout à la fois ses mille vanités de dandy. […] Il n’a peut-être jamais aimé de femme que Madame de Sévigné, mais c’était d’un amour littéraire, avec un platonisme forcé puisqu’elle était morte, heureusement pour lui !

1156. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Edgar Quinet. L’Enchanteur Merlin »

Au travers de ce style inouï qui fait abus des fleurs qui parlent et des oiseaux bleus, commissionnaires de l’Amour, il y a cependant quatre vers qui reviennent sans cesse, mêlés à la prose de M. Quinet, comme le Chœur dans la tragédie antique ; quatre vers, échappés du mirliton moderne, L’amour commence, Tout est divin ! […] lesquels prouvent bien, comme vous voyez, que dans ce tout-puissant xixe  siècle il naît et se combine des créatures si fortes, qu’elles peuvent réunir en elles, sans éclater, Pradon et Gongora… L’amour commence, Tout est divin !

1157. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Agrippa d’Aubigné »

Henri IV, que, dans son histoire, il diminue pour rester vrai, l’aimait au point de vouloir le faire servir à ses vices et employer à ses amours, sachant que les femmes qui résistaient au roi ne résisteraient pas au poète, et qu’il les lui prendrait comme les forteresses… Mais il était trop fier faucon pour de telles chasses, et il resta ce que le pur et délicieux Joinville lui-même serait resté, si, par impossible, Saint Louis eût été Henri IV ! […] L’âme religieuse de cet homme triple atteignait au sublime d’une foi profonde, quoique erronée ; mais pour retomber bientôt de cette hauteur aux faiblesses, ou aux forces, de l’humanité : à l’amour toujours païen de la femme, — à cette époque plus païen que jamais, — aux fureurs sacrées, comme disent les poètes » de la Muse, aux sonnets ardents qu’à la cour, pendant les trêves de ces guerres protestantes, il jetait, comme des torches, dans l’escadron volant des filles de la reine, pour leur embraser les sens et les cœurs. […] Il en a souvent l’inspiration fière, la bonhomie sublime, les côtés héroïques, même dans l’amour, et le grand accent tout à la fois gaulois et romain.

1158. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Hector de Saint-Maur »

Cordial et gai, — gai comme s’il n’avait pas été poète et le plus sensible des poètes, et qu’il eût été le plus rieur des hommes d’esprit ; d’une si grande placidité foncière et d’une si bonne humeur à la surface que c’est pour lui ou pour les natures comme la sienne que Shakespeare, le profond Shakespeare, a écrit que parmi les Anges, pâles d’amour, la Patience est le seul qui ait les joues roses ! […] on aime toujours trop, quand on veut rester fort… L’amour a passé par là, disait Fontenelle, quand il voyait une femme pâlie et défaite. L’amour de Hugo et de de Musset a passé par là, dans Saint-Maur !

1159. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Paul Féval » pp. 145-158

L’auteur des Mystères de Londres, des Amours de Paris, du Fils du Diable, du Bossu, des Fanfarons du Roi et de tant d’autres ouvrages, est, dans l’ordre du roman, ce que les mélodramaturges sont dans l’ordre du drame, et ils ont beau tresser et tordre, dans les implications et les complications de leur œuvre, les événements, les incidents, les péripéties, les surprises ; les mélodramaturges du roman, comme ceux du drame, n’en sont pas moins obligés, dans une mesure quelconque, à la passion, sous peine de n’être plus que des joueurs d’échecs ou de casse-têtes chinois littéraires. […] Walter Scott avait la bonhomie et Balzac l’amour passionné de tout ce qui était et vivait et pouvait être saisi par la pensée. […] Jamais on n’a fait sortir d’une clef d’acier plus dur, plus cruel siffle contre le dévouement sans bornes de l’amour.

1160. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Arthur de Gravillon »

Il les a aimées par la grande raison qu’il est fait pour elles, qu’il a été créé et mis au monde pour ce noble amour désintéressé. […] Or, le bruit public s’établit, d’amour, autour de tout ce qui est vulgaire. […] L’Église seule sait juste ce qu’il faut donner d’amour et d’horreur à la mort.

1161. (1864) Études sur Shakespeare

Peut-être l’amour détermina-t-il les jeunes gens ; peut-être même contraignit-il les familles à précipiter le légitime accomplissement de leurs vœux. […] Où l’ingénuité d’un amour permis a-t-elle fait naître une fleur plus pure que Desdemona ? […] Voltaire a cherché ses effets dans le contraste de l’amour parfaitement heureux avec l’amour au désespoir ; moyen puissant, il est vrai, mais moins puissant peut-être que cette préoccupation d’une situation unique et constante qui ne se développe que pour redoubler le sentiment qu’elle a d’abord inspiré. […] De même nous nous sommes associés aux sentiments de Polyeucte ; nous avons tremblé pour lui avant de connaître l’amour de Pauline et de Sévère ; si notre premier intérêt se fût attaché à cet amour, peut-être nous serait-il difficile d’en ressentir ensuite beaucoup pour Polyeucte, dont la présence lui serait importune. […] Sur un théâtre de plus, en plus soumis à l’autorité des femmes et de la cour, l’amour semblait destiné à remplacer la fatalité des anciens : puissance aveugle, inflexible comme la fatalité, conduisant de même ses victimes au but marqué dès les premiers pas, l’amour devenait le point fixe autour duquel devaient tourner toutes choses.

1162. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre II. L’Âge classique (1498-1801) — Chapitre III. La Déformation de l’Idéal classique (1720-1801) » pp. 278-387

Du côté de l’Asie était Vénus, c’est-à-dire les plaisirs, les folles amours et la mollesse : du côté de la Grèce était Junon, c’est-à-dire la gravité avec l’amour conjugal, Mercure avec l’éloquence, Jupiter et la sagesse politique. […] 2º Son théâtre, composé de 34 pièces en tout, dont les principales sont : Arlequin poli par l’amour, 1720 ; — La Surprise de l’amour, 1722 ; — La Double Inconstance, 1723 ; — Le Prince travesti, 1724 ; — La Seconde Surprise de l’amour, 1727 ; — Le Jeu de l’amour et du hasard, 1730 ; — Les Serments indiscrets, 1732 ; — L’Heureux Stratagème, 1733 ; — La Mère confidente, 1735 ; — Le Legs, 1736 ; — Les Fausses Confidences, 1737 ; — L’Épreuve, 1740 ; — et Le Préjugé vaincu, 1746. […] 3º Les Œuvres. — La Fausse Antipathie, 1733 ; — Le Préjugé à la mode, 1735 ; — L’École des amis, 1737 ; — Mélanide, 1741 ; — Amour pour amour, 1742 ; — Paméla, 1743 ; — L’École des mères, 1744 ; — Le Rival de lui-même, 1746 ; — La Gouvernante, 1747 ; — L’École de la jeunesse, 1749 ; — L’Homme de fortune, 1751 ; — Le Retour imprévu, 1756. […] Carrière militaire et campagnes de Vauvenargues ; — son amour de la gloire ; — sa générosité de cœur ; — et son amour de l’humanité. — Comparaison à cet égard de Vauvenargues et de La Rochefoucauld. — Si Vauvenargues a une doctrine ? […] Jean-Jacques Rousseau et le pays romand] ; — les amours de Rousseau et de Mme d’Houdetot [Cf. 

1163. (1892) Un Hollandais à Paris en 1891 pp. -305

Que ne fait-on pas par amour de l’art ! […] Tout sentiment autre que l’amour était aboli pour elle. […] L’amour d’une vierge l’avait fait réfléchir sur sa vie. […] N’attachons pas trop d’importance à nos vues particulières, à nos haines, à nos amours. […] vous m’avez blessé d’amour.

1164. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIe entretien. Balzac et ses œuvres (1re partie) » pp. 273-352

C’était un miracle de l’amour, du hasard et du destin. […] Son amour pour ses enfants planait sans cesse sur eux, mais elle l’exprimait plutôt par des actions que par des paroles. Sa vie entière prouva cet amour ; elle s’oublia sans cesse pour nous, et cet oubli lui fit connaître l’infortune, qu’elle supporta courageusement. […] Quelles peines donne l’amour de la gloire ! […] Je me réjouis de ce miracle de l’amour.

1165. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIIIe entretien. Littérature américaine. Une page unique d’histoire naturelle, par Audubon (2e partie) » pp. 161-239

Tel vous le voyez, toujours alerte et se trémoussant, mais surtout dans la saison des amours. […] Lisez cette description langoureuse des amours et des chants de l’oiseau moqueur : Quand le chant d’amour de l’oiseau moqueur perce les feuillages du magnolia de la Louisiane au vaste tronc et à l’immense coupole de verdure, l’Européen qui se rappelle l’hymne nocturne du rossignol tapi sous l’ombre des chênes ressent un secret mépris pour ce qu’il admirait autrefois. […] C’est moi maintenant qui implore votre merci ; pour l’amour de Dieu, maître, ne me tuez pas. — Et pourquoi, lui répondis-je, avez-vous déserté vos quartiers où vous seriez certainement plus à l’aise que dans ces affreux marais ? […] L’une des nuits suivantes, il gagna la résidence où l’on retenait sa femme, et la nuit d’après il l’emmenait ; puis, l’un après l’autre, il réussit à dérober ses enfants, jusqu’à ce qu’enfin furent réunis sous sa protection tous les objets de son amour. […] C’est une succession de battements assez courts, si l’on en excepte pourtant la saison où l’heureux couple prélude aux amours : car on les voit alors comme nager tous les deux, les ailes immobiles, glissant dans les airs avec un petit gazouillement aigu, et la femelle ne cessant de recevoir les caresses du mâle.

1166. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXIXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (1re partie) » pp. 241-314

Mon admiration et mon amour pour Goethe s’accroissaient journellement, si bien que je ne pouvais plus rêver ni parler d’autre chose. […] Ce qui vous fera plaisir, c’est qu’il croit à l’amour du Tasse et à celui de la princesse ; mais toujours à distance, toujours romanesque et sans ces absurdes propositions d’épouser qu’on trouve chez nous dans un drame récent. N’oublions pas que la lettre est adressée à Mme Récamier, favorable à tous les beaux cas d’amour et de délicate passion. […] C’était l’amour délirant extravasé sur la terre. […] « “C’était, disait Napoléon, affaiblir l’idée que se fait le lecteur de l’amour immense de Werther pour Charlotte.”

1167. (1922) Enquête : Le XIXe siècle est-il un grand siècle ? (Les Marges)

L’amour décline, l’amour universel. […] Que par amour du paradoxe ou passion politique, certains tentent de le diminuer, peu nocive est leur besogne, tant elle apparaît vaine à tout esprit de bonne foi. […] Léon Frapié L’art littéraire a pour objet la recherche de la beauté suprême, et la beauté suprême c’est : l’amour humain. […] La littérature est née le jour où l’amour a protesté contre la haine. […] Mais les évolutions littéraires ne pourront se faire qu’en respect de la formule d’amour.

1168. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1864 » pp. 173-235

Il y a vraiment, dans ce moment-ci, un engouement des célébrités défuntes, un amour des riens laissés par elles, qui ressemble à un culte des saintes reliques, — et je ne désespère pas de voir bientôt, vendre aux Commissaires-priseurs, l’empreinte des doigts de pied d’un peintre illustre sur ses dernières chaussettes. […] Le petit-cousin parti, nous avons songé à la marche de l’amour dans nos trois générations. […] Dans sa bouche hardie et libre, jamais aucune allusion aux choses d’amour. […] » C’est étonnant comme nous, les hommes, même quand nous ne voulons, ne désirons rien d’une femme, nous sommes heureux cependant que l’amitié de cette femme ressemble parfois à de l’amour. […] Cet éventail m’a révélé tout à coup le procédé pour faire un roman qui me tracassait depuis longtemps : le roman d’amour distingué de la femme comme il faut.

1169. (1886) De la littérature comparée

comment comprenait-il l’amour ? […] Alcuin reproche à l’archevêque de Trêves son amour pour Virgile, qui l’éloigne des Évangiles. […] C’est Rousseau qui célèbre à nouveau l’amour passionné et détrône la galanterie ; ce sont les ardentes leçons de Herder qui arrachent la jeunesse allemande à l’imitation inféconde de notre littérature ; c’est Goethe auquel cet admirable chef-d’œuvre, la cathédrale de Strasbourg, révèle l’art gothique ; c’est Chateaubriand qui découvre dans le christianisme autre chose qu’un ensemble de dogmes : une source vive de poésie ; c’est la mélancolie de Lamartine qui chasse le libertinage de Parny ; ce sont les romans de Walter Scott qu’on imite partout et qui ressuscitent tout un monde oublié. […] Je ne puis vous apporter l’expérience que je n’ai pas, mais j’ai l’amour des grands sujets que nous allons aborder, le désir de vous les faire aimer, la volonté de travailler avec vous en vous encourageant et en vous guidant dans les limites de mes forces, et surtout, vous pouvez y compter, une sympathie toute acquise à tous vos efforts personnels.

1170. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXVI » pp. 413-441

C’est peu que leurs conseils si je ne sais les suivre… Et qu’au moins vers ma fin je recommence à vivre ; Car je n’ai pas vécu ; j’ai suivi deux tyrans : En vain bruit et l’amour ont partagé mes ans… » Racine, homme plus grave, caractère plus élevé que ses trois amis, son tenait glorieusement sa marche dans la carrière qu’il s’était ouverte. […] Racine a pourtant bien de l’esprit, il faut espérer. » Il est vrai, et cet aveu ne coûte point à faire, que madame de Sévigné se plaisait à l’élévation plus qu’à l’attendrissement, et qu’elle préférait le sublime au pathétique ; mais l’amour d’un genre n’était pas l’aversion de l’autre. […] Mais les amours finis, elle épargna moins les éloges au grand poète ; elle se livra au charme de ses ouvrages, à mesure que le temps de ces amours s’éloignait.

1171. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « L’abbé Gerbet. » pp. 378-396

L’Évangile a fait, dans toute la force du terme, une révolution dans l’âme humaine, en changeant les rapports des deux sentiments qui la divisent : la crainte a cédé à l’amour l’empire du cœur. […] Mais où donc le pauvre solitaire qui l’écrivait puisait-il cet amour intarissable ? […] Lieux sacrés où l’amour, pour les seuls biens de l’âme,                    Sut tant souffrir ! […] C’est là, ce me semble, une assez belle vue funèbre, et le chrétien s’en autorise aussitôt pour remonter vers ce qui est au-dessus de la destruction et qui échappe à toutes les Catacombes, vers le principe immortel de vie, d’amour, de sainteté et de sacrifice.

1172. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — La banqueroute du préraphaélisme »

L’univers entier est pour lui un motif de joie, d’amour et d’étude. « Celui qui se renferme en lui-même, ajoute la même critique, pour rêver d’après ses goûts des types de perfection idéale… n’est certainement pas l’homme qui sait le mieux… tirer des campagnes et des buissons qui entourent sa demeure le contentement et les inspirations qu’ils pourraient fournir, — et ce n’est pas lui non plus qui sera le plus grand artiste. » Ceci nous montre tout ce qui sépare la riche émotivité de Ruskin, l’homme qui « découvre le côté frappant de chaque chose », de la sèche artificialité des Préraphaélites, de Rossetti et de Burne-Jones notamment, « rêvant d’après leur goût des types de perfection idéale ». […] Comparez l’impression qui jaillit pour vous de cette chaude et directe notation, avec celle que vous ressentez devant telle œuvre fameuse du préraphaélisme, la Beata Beatrix de Rossetti, ou l’Amour dans les ruines de Burne-Jones, et vous éprouverez la sensation de passer brusquement du plein jour et du plein air aux ténèbres et à l’oppression d’un rêve, je dirais presque d’un cauchemar. […] Malgré de profondes lacunes dans sa conception de l’univers et de la beauté, malgré ses puérilités, ses faiblesses, malgré sa compréhension notoirement insuffisante du monde moderne, malgré l’étonnante erreur qu’il a commise, Ruskin est à beaucoup d’égards un réaliste ; et malgré leur prétendu souci exclusif de la nature, malgré leur juvénile ardeur et leur enthousiasme, malgré leur amour sincère de l’art et leur austère labeur, les peintres préraphaélites sont, à presque tous les points de vue, des idéalistes. […] … L’art n’a besoin que d’un cœur pur, que d’amour et de respect ; les curiosités de l’intelligence sont impies et ne peuvent qu’amener sa déchéance.

1173. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Discours prononcé à la distribution des prix du lycée d’orléans. » pp. 223-229

Et, au surplus, si je vous recommande cette sobre vertu là où elle diminue les chances d’erreur et de malfaisance, il est des sentiments où je ne vous conseille plus du tout d’être modérés : c’est l’amour du bien et c’est l’amour du pays.

1174. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Platon, et Aristote. » pp. 33-41

L’amour du luxe le jetta dans de si grandes dépenses, étant jeune, qu’il consuma tout son bien. […] Il tient véritablement d’Homère, dans les sujets élevés qu’il traite : dans ceux où il se déride, où l’amour l’inspire, c’est un autre Anacréon : témoin ces vers passionnés qu’il fit pour Agathon, & que Fontenelle a rendus dans ses dialogues : Lorsqu’Agathis, par un baiser de flamme, Consent à me payer des maux que j’ai sentis, Sur mes lèvres soudain je sens voler mon ame Qui veut passer sur celles d’Agathis.

1175. (1761) Salon de 1761 « Peinture — M. Pierre » pp. 122-126

Point d’Amour qui décoche un trait ; ou qui écarte adroitement un voile. […] D’ailleurs le secours de l’Amour et des Graces en affaiblirait d’autant la victoire de Venus.

1176. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — III » pp. 455-479

On a raison de bannir la galanterie ; rien ne détruit le bon amour comme le mauvais, et le cœur une fois vide d’amour devient peu sensible à l’amitié.  […] — Votre âme s’étonne de la brièveté de l’amour italien. […] L’amour est un soleil qui éclaire ce qu’il trouve : dans les belles âmes, il produit des jours brillants de vie et de lumière ; dans les âmes vides, c’est un éclair dans les ténèbres.  […] [NdA] Ce n’est pas, dit-il, que le gouvernement de Rome soit moins animé de l’amour du bien public qu’aucun autre gouvernement de l’Europe ; mais mille raisons l’empêchent d’aller en avant avec les lumières.

1177. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid, (suite.) »

« Il se cramponna à cette ville, nous dit énergiquement l’une des victimes, comme le créancier se cramponne au débiteur ; il l’aima comme les amants aiment les lieux où ils ont goûté les plaisirs que donne l’amour. […] Dozy comment il a pu se faire que le Cid, tel que vient de nous le montrer l’histoire, lui, l’exilé, qui vivait a augure, comme on disait, à l’aventure, au jour le jour, consultant le vol des corbeaux et des oiseaux de proie, oiseau de proie lui-même, « qui passa les plus célèbres années de sa vie au service des rois arabes de Saragosse ; lui qui ravagea de la manière la plus cruelle une province de sa patrie, qui viola et détruisit mainte église ; lui, l’aventurier, dont les soldats appartenaient en grande partie à la lie de la société musulmane, et qui combattait en vrai soudard, tantôt pour le Christ, tantôt pour Mahomet, uniquement occupé de la solde à gagner et du pillage à faire ; lui, cet homme sans foi ni loi, qui procura à Sanche de Castille la possession du royaume de Léon par une trahison infâme, qui trompait Alphonse, les rois arabes, tout le monde, qui manquait aux capitulations et aux serments les plus solennels ; lui qui brûlait ses prisonniers à petit feu ou les donnait à déchirer à ses dogues… », — comment il s’est fait qu’un tel démon ait pu devenir le thème chéri de l’imagination populaire, la fleur d’honneur, d’amour et de courtoisie, qu’elle s’est plu à cultiver depuis le xiie  siècle jusqu’à nos jours : — « un cœur de lion joint à un cœur d’agneau », comme elle l’a baptisé et défini avec autant d’orgueil que de tendresse ? […] Chimène Gomez, la plus jeune des sœurs, est plus sage et ouvre le meilleur conseil : « Modérez-vous, dit-elle, mes frères, pour l’amour de la charité. […] Venez-nous en aide pour l’amour de sainte Marie. » Il posa les mains sur sa belle barbe ; puis il prit ses filles dans ses bras, et les pressa sur son cœur, car il les aimait beaucoup. […] Dans un de ces combats où l’un des siens, Pero Bermuez, est allé mettre sa bannière au plus épais des bataillons ennemis, au plus fort du danger, afin de forcer la victoire, il faut entendre le Cid s’écrier en montrant du geste les Maures et en donnant l’exemple : « Frappez-les, chevaliers, pour l’amour de la charité : je suis Ruy Diaz le Cid Campéador de Bivar ! 

1178. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Béranger en 1832 »

ma chère amie, que nous entendons l’amour différemment ! […] J’ai bien connu ce bonheur : c’est le plus grand de la vie, etc. » Avec l’amour, ce qui préoccupait le plus Béranger à cet âge, c’était la gloire littéraire. […] C’étaient des ris, des sifflets, juste outrage Aux faux dévots, rentrés pour convertir, Aux libertins, prêchant le Roi-martyr ; C’était la plainte, au milieu du naufrage, Des gais amours, si longtemps caressés… L’immense voix, au déclin de l’orage, En rassemblait tous les sons dispersés. […] Ainsi, sans guide et vers des buts lointains, Chemin faisant, accosté de Lisette, Entre Clovis et les amours mutins, Par complaisance égayant la musette, Génie heureux, facile aux contre-temps, Tu te cherchais encore après trente ans ; Tu te cherchais… quand la France foulée Te laissa voir deux fois dans la mêlée Ce sein de feu que Thersite conquit ! […] La volupté, par la mélancolie, Chez toi ramène à l’éternel amour.

1179. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE BALZAC (La Recherche de l’Absolu.) » pp. 327-357

En ce cas, l’enfance et la première jeunesse de M. de Balzac au collége se rapportent bien à ce qu’on pourrait conjecturer : une imagination active, spirituelle ; de l’ébullition, du désordre et de la paresse ; des lectures avides, incohérentes, à contre-temps ; l’amour du merveilleux ; les études mal suivies ; un mauvais écolier sans discipline, semper aliud agens, que ses maîtres chargent de pensums et que ses camarades appellent du sobriquet de poëte. […] La phrase suivante fait tache à mes yeux dans la première lettre de Louis Lambert à Mlle de Villenoix : « J’ai dû comprimer bien des pensées pour vous aimer malgré votre fortune, et pour vous écrire en redoutant ce mépris si souvent exprimé par une femme pour un amour dont elle écoute l’aveu comme une flatterie de plus parmi toutes celles qu’elle reçoit ou qu’elle pense. […] Il comparera tout d’abord la voix du chaste enfant Louis Lambert à une voix qui prononce un mot d’amour, au matin, dans un lit voluptueux ; il abusera, en peignant Mme Claës, des projections fluides dans les regards. […] Il a peur de mal exprimer son amour ; il ne voit que des difficultés et s’en effraye ; il tremble de ne pas plaire ; il serait hardi s’il n’aimait pas tant. […] Lorsque par malheur son idole est imposante, il l’adore en secret et de loin : s’il n’est pas deviné, son amour expire.

1180. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Discours préliminaire » pp. 25-70

L’amour de la patrie est une affection purement sociale. […] Les arts peuvent distraire l’esprit par les plaisirs de chaque jour, de toute pensée dominante ; ils ramènent les hommes vers les sensations ; et ils inspirent à l’âme une philosophie voluptueuse, une insouciance raisonnée, un amour du présent, un oubli de l’avenir très favorable à la tyrannie. […] Dans les temps devenus fameux par des proscriptions sanguinaires, les Romains et les Français se livraient aux amusements publics avec le plus vif empressement ; tandis que dans les républiques heureuses, les affections domestiques, les occupations sérieuses, l’amour de la gloire détournent souvent l’esprit des jouissances même des beaux-arts. […] L’éloquence, l’amour des lettres et des beaux-arts, la philosophie, peuvent seuls faire d’un territoire une patrie, en donnant à la nation qui l’habite les mêmes goûts, les mêmes habitudes et les mêmes sentiments. […] L’espoir d’atteindre à des idées utiles, l’amour de la morale, l’ambition de la gloire, inspirent une force nouvelle ; des impressions vagues, des sentiments qu’on ne peut entièrement se définir, charment un moment la vie, et tout notre être moral s’enivre du bonheur et de l’orgueil de la vertu.

1181. (1892) Boileau « Chapitre IV. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » » pp. 89-120

Sous ces mots abstraits de raison et de vérité, ce n’est pas la froideur de l’imagination ni la sécheresse scientifique que Boileau prescrit aux poètes : c’est l’amour et le respect de la nature. […] Les uns, romanciers à grands sentiments ou tragiques doucereux, inventaient des modes de penser et de sentir que l’âme humaine n’avait jamais éprouvés, un héroïsme plus héroïque, un amour plus amoureux que tout ce qu’on voit dans la vie. […] De l’amour de la nature, le respect de l’antiquité tire à la fois son meilleur sens et sa plus salutaire vertu. […] Même dans l’églogue il n’accorde guère de place à l’élément descriptif et champêtre, et c’est toujours à la peinture des sentiments humains, à celle, par exemple, des plaisirs de l’amour, qu’il ramène le poète : la psychologie règne jusque dans le genre pastoral. […] Cette théorie de l’églogue élégante et galante, d’une naïveté convenue et mièvre, qui rejette dans un coin les chèvres et les moutons comme accessoires inutiles, et ne s’occupe guère que d’analyser avec subtilité une idée artificielle d’amour innocent, n’étonne pas de Segrais ou de Fontenelle : mais comment Despréaux arrive-t-il à la formuler ?

1182. (1890) L’avenir de la science « XXII » pp. 441-461

L’amour pur d’Armande et de Bélise dans les Femmes savantes, celui même de Cathos et de Madelon dans les Précieuses ridicules n’ont d’autre défaut que d’être affectés et de couvrir le néant sous un pathos ridicule. S’il était vrai, il serait préférable à l’amour ordinaire de Clitandre et d’Henriette. […] C’est l’éternelle duperie de l’amour qui ne voit au monde que son objet. Amour exclusif est parallèle de haine et d’anathème. […] Goethe embrasse l’univers dans la vaste affirmation de l’amour : le sceptique n’a pour toute chose que l’étroite négation.

1183. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. John Stuart Mill — Chapitre II : La Psychologie. »

Le résultat de leur sensibilité médiocre sera vraisemblablement l’amour de la science ou de la vérité abstraite, et le défaut de goût et de chaleur. […] Et je soutiens qu’un être humain qui aime d’une manière désintéressée et constante ses semblables et tout ce qui tient à leur bien ; qui hait d’une haine vigoureuse ce qui tend à leur mal et agit en conséquence, est naturellement, nécessairement et raisonnablement un objet d’amour, d’admiration, de sympathie, qu’il est chéri et encouragé par le genre humain » ; que celui qui a des tendances contraires, est un objet naturel et légitime d’aversion ; et cela soit qu’ils jouissent l’un et l’autre de leur liberté ou non. […] Notre amour du bien et notre haine du mal, quoique vertueux en eux-mêmes, nous sont inutiles dans la conduite. […] Prenez l’amour de l’argent. […] L’amour de l’argent est donc un sentiment secondaire produit par une association d’idées entre lui et ce qu’il donne.

1184. (1903) La vie et les livres. Sixième série pp. 1-297

Le général Bonaparte était alors très neuf en amour. […] Trop de psychologues ont blasé notre goût par la saveur quintessenciée des amours perverses. […] Les dialogues amoureux de Jean Oberlé et d’Odile Bastian prouvent que l’amour français vaut bien cet « amour allemand » dont le professeur Mommsen est si fier. […] L’amour javanais est simple, franc, naïf. […] Les passions de l’amour ne s’épurent et ne s’affinent qu’au contact du christianisme.

1185. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre VI. Bossuet et Bourdaloue »

Le quiétisme est une erreur de certains mystiques qui prétendent s’élever à un état de perfection indéfectible, dans lequel leur âme, unie à Dieu, ne fait plus d’actes distincts de foi ou d’amour, ne connaît plus les dogmes définis, n’emploie plus les prières formelles, ne désire plus le salut éternel, s’abandonne passivement à la volonté divine, à toutes les inspirations et suggestions de cette volonté : le pur amour des quiétistes aboutit, en théologie à l’indifférence aux dogmes, en discipline au mépris des autorités ecclésiastiques, en morale à l’abandon de tout l’esprit et de toute la chair aux suggestions de l’instinct intérieur. […] Bientôt, cependant, cette prudente institutrice s’inquiéta des suites effectives du pur amour, l’évêque de Chartres, Godet-Desmarais, directeur de Saint-Cyr, la fit revenir de son égarement ; et Saint-Cyr fut fermé à Mme Guyon. […] Des conférences s’ouvrirent à Issy, où les trois commissaires arrêtèrent laborieusement 34 articles qui définissaient la doctrine orthodoxe sur le pur amour et l’oraison. […] La qualité éminente de son esprit, c’est le bon sens, l’amour et le discernement du vrai. […] Ces réalités sont celles où se manifestent les desseins et les jugements de Dieu : leur image éveille en lui tous les sentiments dont son Dieu est l’objet, toutes les ardeurs de la foi, de l’espérance et de l’amour.

1186. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome I

Et s’il regarde l’épée immuable avec amour, pourquoi donc détourne-t-il ses yeux de l’immuable croix ? […] C’est un rapport de l’Âme et de l’éternelle Pensée, de l’éternel Amour, de l’éternelle Puissance. […] La vie a toujours suscité la vie, l’amour a toujours suscité l’amour. […] Cette discussion courtoise atteste chez l’un et chez l’autre le même amour passionné des armes. […] Si je meurs, j’irai plus vite au ciel. » Chez l’un et chez l’autre, c’est la même certitude que le psychisme humain n’est pas dans la nature comme un empire dans un empire, que l’esprit procède de l’esprit, la pensée de la pensée, l’amour de l’amour.

1187. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1891 » pp. 197-291

Il y a en bas de mon perron, un Amour en bronze, sur un piédestal en marbre du Languedoc. Et c’est un amusant spectacle, par ces temps de chaleur, de voir la petite chatte y chercher le frais, le ventre étalé sur le marbre aux pieds de l’Amour. […] Et il se met à faire une profession d’amour à l’égard de ses éreinteurs, prenant contre nous la défense des décadents, des symbolistes, cherchant à leur trouver des mérites, et s’attirant par ses généreux efforts, cette jolie blague de Coppée : « Comment, maintenant, vous Zola, vous vous occupez de la couleur des voyelles !  […] Et Zola de célébrer la clarinette, et de proclamer, que c’est l’instrument qui représente l’amour sensuel, tandis que la flûte représente tout au plus l’amour platonique. « Comme le hautbois représente le paysage ironique », jette un blagueur dans l’esthétique musicale de Zola, qui se met à parler longuement de sa toquade actuelle de faire un livret d’opéra en prose, et de la belle et grande chose que pourrait en ceci produire l’union de la littérature et de l’art musical. […] Les amours des chats étant extérieurs ne leur tombent pas sous la vue, tandis qu’on craint que la grossesse, la mise bas, la maternité des chattes, puissent éveiller la curiosité de l’amour chez ces femmes.

1188. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Un grand voyageur de commerce »

D’autres ont visité des terres ignorées pour en agrandir leur patrie, ou par un amour ingénu de la science et de la vérité, quelquefois aussi par goût du mouvement et de l’aventure. […] Voilà quelques-unes des raisons (et je laisse de côté le caractère de l’homme) qui font que, tout en admirant ce voyageur extraordinaire, je ne saurais aller jusqu’à l’amour ni à la confiance.

1189. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXVI. Jésus au tombeau. »

L’amour lui fit trouver partout une créance facile. […] Pouvoir divin de l’amour !

1190. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XVI, les Érynnies. »

Ce n’est point sans raison que Dante fait dire à la Porte de son Enfer : — « La Justice anima mon grand architecte ; je fus faite par la divine Puissance, la suprême Sagesse et le premier Amour. » Giustizia mosse il mio alto Fattore : Fecemi la divina Potestate, La somma Sapienza e il primo Amore. […] De ses amours sauvages avec les Démons du désert, naquit la race des Lamies et des Empuses, divinités cannibales qui cherchaient leurs proies parmi les vivants.

1191. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre X. Suite du Prêtre. — La Sibylle. — Joad. — Parallèle de Virgile et de Racine. »

… Pleure, Jérusalem, pleure, cité perfide, Des prophètes divins malheureuse homicide ; De son amour pour toi ton Dieu s’est dépouillé ; Ton encens à ses yeux est un encens souillé… ……… Où menez-vous ces enfants et ces femmes ? […] Tous deux polissent leurs ouvrages avec le même soin, tous deux sont pleins de goût, tous deux hardis, et pourtant naturels dans l’expression, tous deux sublimes dans la peinture de l’amour ; et, comme s’ils s’étaient suivis pas à pas, Racine fait entendre dans Esther je ne sais quelle suave mélodie, dont Virgile a pareillement rempli sa seconde églogue, mais toutefois avec la différence qui se trouve entre la voix de la jeune fille et celle de l’adolescent, entre les soupirs de l’innocence et ceux d’une passion criminelle.

1192. (1887) La Terre. À Émile Zola (manifeste du Figaro)

Peut-être Charcot, Moreau (de Tours) et ces médecins de la Salpêtrière qui nous firent voir leurs coprolaliques pourraient-ils déterminer les symptômes de son mal… Et, à ces mobiles morbides, ne faut-il pas ajouter l’inquiétude si fréquemment observée chez les misogynes, de même que chez les tout jeunes gens, qu’on ne nie leur compétence en matière d’amour ? […] Il est nécessaire que, de toute la force de notre jeunesse laborieuse, de toute la loyauté de notre conscience artistique, nous adoptions une tenue et une dignité en face d’une littérature sans noblesse, que nous protestions au nom d’ambitions saines et viriles, au nom de notre culte, de notre amour profond, de notre suprême respect pour l’Art.

1193. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « V »

« Sa vie passée dans le luxe, dit Bossuet, ne lui faisait point sentir la durée, tant elle coulait doucement17. » C’est le mot ordinaire ; mais si je veux, spontanément par trouvaille, ou volontairement par effort, si je veux donne ; à ce mot plus de hardiesse, l’accoupler à des pensées imprévues, ce simple verbe peut devenir admirable, la plume de Bossuet : « Laissez couler sur le prochain cet amour que vous avez pour vous-même18. » Et ailleurs « Dieu a tant d’amour pour les hommes et sa nature est si libérale qu’on peut dire qu’il semble qu’il se fasse quelque violence quand il retient pour un temps ses bienfaits et qu’il les empêche de couler sur nous avec une entière profusion19. » Et toujours de Bossuet dans cet ordre d’idées : « Les générations des hommes s’écoulent comme des torrents. »‌ Encore une fois, ces trouvailles, ces images, ces transpositions de sens peuvent n’avoir pas coûté d’effort à Bossuet.

1194. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Deuxième série

Je garde avec soin, avec respect et avec amour toutes les passions. […] Quant à l’amour, il est fécond, sans doute, et infiniment. […] C’est pour cela que l’amour n’a rien fondé, rien vraiment. […] Or elles n’ont pas été établies par l’amour et no se maintiennent pas par l’amour. […] Ce fut une œuvre d’amour, de charité, et, si l’on y tient, d’innocence.

1195. (1905) Études et portraits. Sociologie et littérature. Tome 3.

Jeune fille, elle sera toute la Pureté, et, une fois fiancée, tout l’Amour. […] La plupart des poètes ressemblent à ces oiseaux qui ne chantent qu’à l’époque de l’amour. […] Je cherchais ce que j’aimerais, ivre de l’amour de l’amour… Et je me roulais dans l’amertume, pour m’y reposer. »‌ 1905. […] Mais ce doute n’est pas essentiel à leur amour, il en est un douloureux accident. […] Il en a jailli avec l’amour lui-même.

1196. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE STAEL » pp. 81-164

L’effet de sa parole est toujours sociable, conciliant, allant à l’amour de nos semblables. […] s’écrie Fontanes, quelle femme, digne d’inspirer ses chansons, s’est jamais exprimée de cette manière sur le peintre de l’amour et du plaisir ?  […] La seconde lettre tombe plus particulièrement sur le style ; elle est parfois fondée, et d’un tour cavalier assez agréable : « Quel sentiment que l’amour ! […] L’amour de la nature et des beaux-arts se déclara en elle sous ce soleil nouveau60. […] L’amour des arts fut toujours chez Mme de Staël quelque chose d’acquis, d’exotique, et comme une plante qui ne poussa jamais en pleine terre.

1197. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre VI. Milton. » pp. 411-519

et toi aussi, roi tout-puissant, rédempteur de ce reste perdu dont tu as pris la nature, ineffable et immortel amour ! […] Il louait partout l’amour chaste, la piété, la générosité, la force héroïque. […] Sans cette liberté, quelle preuve sincère eussent-ils pu donner de leur vraie obéissance, de leur constante foi, de leur amour, si l’on n’avait vu d’eux que des actions forcées et point d’actions voulues ? […] Il immole devant lui l’amour acheté et la galanterie folâtre, les femmes désordonnées et les filles de cour. […] Le trait désagréable et marquant de ce paradis, c’est que le moteur universel y est l’obéissance, tandis que chez Dante c’est l’amour.

1198. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre I. Décomposition du Moyen âge — Chapitre I. Le quatorzième siècle (1328-1420) »

Ce qu’on n’ose appeler le lyrisme du xive  siècle est le prolongement du lyrisme savant des chansonniers aristocratiques du xiiie  siècle, et c’en est la décadence : on peut deviner à quels résultats on arrive, quand la pédantesque subtilité de la dialectique scolastique se superpose à la subtilité élégante de l’amour courtois. […] un Paradis, puis un Temple d’Amour. […] N’ayant à amplifier que les thèmes plusieurs fois séculaires de l’amour courtois, est-il étonnant qu’il ait détourné du fond vers la forme l’attention de son public, et l’ait occupée toute à suivre ses allégories cherchées ou ses mètres compliqués ? […] Dans l’horreur de Deschamps pour la noblesse et la finance entre un sincère amour du peuple ; la pitié des pauvres gens, qu’on vexe, qu’on tond, et qu’on méprise, est peut-être le plus profond sentiment que Deschamps ait ressenti. […] Oresme a fait encore un Traité des monnaies, où sans déclamation, par bonnes et solides raisons, appuyées sur l’amour du bien public, il condamne fortement les rois et princes qui les altèrent : il pose très nettement à ce propos la limite des droits du roi, mettant au-dessus de sa volonté l’intérêt de la communauté, qu’il a charge de procurer.

1199. (1894) Propos de littérature « Chapitre IV » pp. 69-110

En ce bel hymne, œuvre la plus parfaite je crois au point de vue de la forme, se trouvent des passages mélodieux comme celui-ci : Je t’aimai d’un amour de musique Au luth enguirlandé de jasmin, D’un amour de fidèle et de prêtre Qui s’éperd en cantique Dès hier jusqu’en demain ; Et tant je t’ai doucement nommée Que d’un amour un autre vint à naître, Que mon amour et toi n’étiez qu’un être Et la chanson d’amour se fit l’aimée ; J’ai péché pour t’avoir trop doucement nommée… Il s’accumule en nos mémoires mornes Trop de verbeuses, vaines chansons mortes : Nous avons lu la route à trop de bornes, Demandé le chemin à trop de portes ; Je veux la rose, ô Reine dont tu t’ornes, Je veux le lys, que dans ta main tu portes. […] Mais l’homme, jusqu’ici, pense à soi plus qu’aux autres hommes ; la Société est une collection d’égoïsmes, et la lutte pour l’existence s’y dénonce à première vue comme le seul principe un peu apparent : le socialisme, venu de l’autre pôle, doit donc précéder l’anarchie, — de quelques centaines, peut-être de quelques milliers d’années, — car il importe avant tout de protéger les faibles ; il faut d’abord paralyser les forces de l’égoïsme et le faire peu à peu céder au sentiment contraire, pour qu’enfin puisse grandir l’universel Amour.

1200. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Mémoires de madame Roland »

Je le demande à tous ceux qui ont le sentiment et le culte de la famille : Mme Roland avoue qu’elle aima à la fin un autre homme que son mari, qu’elle l’aima en tout bien, tout honneur, mais enfin qu’elle l’aima d’amour et de passion ; elle confesse que son mari, à qui elle crut en devoir faire l’aveu, en souffrit, comme c’était bien naturel et en ressentit de la jalousie. […] Il était évident, toutefois, pour quiconque étudiait de près Mme Roland avec l’intérêt et l’attention qu’elle mérite, que pendant des années, — durant les dix premières années de son mariage, — elle avait été tout entière occupée et absorbée par les soins maternels, les devoirs domestiques, le désir de cultiver son esprit et d’accroître ses connaissances ; l’amour près d’elle avait eu tort ; elle n’avait ni cherché ni rencontré. […] Il doit reconnaître aussi qu’il n’était point déraisonnable ni absurde de chercher dans quelques phrases, et d’après les seules traces qu’on eût laissées subsister dans les Mémoires, les indices d’un autre amour plus brûlant, plus tumultueux. […] Mais pour qui cet autre amour ?

1201. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE SÉVIGNÉ » pp. 2-21

Mme de Sévigné loue continuellement sa fille sur ce chapitre des lettres : « Vous avez des pensées et des tirades incomparables. » Et elle raconte qu’elle en lit par-ci par-là certains endroits choisis aux gens qui en sont dignes : « quelquefois j’en donne aussi une petite part à Mme de Villars, mais elle s’attache aux tendresses, et les larmes lui en viennent aux yeux. » Si on a contesté à Mme de Sévigné la naïveté de ses lettres, on ne lui a pas moins contesté la sincérité de son amour pour sa fille ; et en cela on a encore oublié le temps où elle vivait, et combien dans cette vie de luxe et de désœuvrement les passions peuvent ressembler à des fantaisies, de même que les manies y deviennent souvent des passions. […] Quand on a bien analysé et retourné en cent façons cet inépuisable amour de mère, on en revient à l’avis et à l’explication de M. de Pomponne : « Il paroît que Mme de Sévigné aime passionnément Mme de Grignan ? […] Cependant, et sans prétendre nier cette profonde dissemblance originelle entre deux âmes, dont l’une n’a connu que l’amour maternel, et dont l’autre a ressenti toutes les passions, jusqu’aux plus généreuses et aux plus viriles, on trouve en elles, en y regardant de près, bien des faiblesses, bien des qualités communes, dont le développement divers n’a tenu qu’à la diversité des temps. […] Que d’épargne, quel trésor d’amour !

1202. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre X. Les sociales »

Ailleurs, tu admets et tu admires le « noble amour de la patrie ». […] Personne encore n’est « monté plus haut dans le respect et dans l’amour des hommes ». […] Vous méprisez notre « paganisme philosophique » qui, oubliant le centre unique de notre âme, se perd dans la divergence inexpliquée des rayons et ne sait, grotesque collectionneur, que classer et étiqueter « les phénomènes de la volonté, de l’amour, de la mémoire ». […] Aujourd’hui, elle lui apparaît tout à fait condamnable parce que sa laideur éternelle s’est extériorisée : « Elle sent la gamelle et la buffleterie des bas officiers, l’amour ancillaire d’une populace de Gothons en extase devant le caporal ignominieux. » Il y a, paraît-il, un parti politique « où les professeurs d’élégance oublient de saluer sur le terrain un adversaire qu’ils jugent pourtant digne de croiser le fer avec eux » ; et Tailhade s’irrite contre ces vilains « à qui mesdames leurs mères, trop occupées de leurs confitures et du point de sel à mettre dans le pot, n’eurent guère le temps d’apprendre le bel air des choses ».

1203. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Le père Lacordaire orateur. » pp. 221-240

Elle ne demande au ciel et à la terre qu’une grande cause à servir par un grand dévouement ; l’amour y surabonde avec la force. » Il était alors voltairien comme sa génération, déiste, non pas sceptique et indifférent, remarquons-le bien : même quand il ne croyait pas, la forme de sa pensée était toujours nette et tranchée. […] Il conserva sous son habit nouveau les sentiments d’amour de la liberté qu’il avait puisés dès l’enfance dans l’air du siècle, et qu’il n’a jamais séparés depuis de l’idée vitale du christianisme. […] L’abbé Lacordaire est du siècle à un certain degré, je l’ai dit, et il le reconnaît avec une grâce touchante : Dieu nous avait préparé à cette tâche en permettant que nous vécussions d’assez longues années dans l’oubli de son amour, emporté sur ces mêmes voies qu’il nous destinait à reprendre un jour dans un sens opposé. […] J’ai le regret de ne pouvoir citer encore une page admirable et pénétrante sur l’amour des lettres.

1204. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Étienne Pasquier. (L’Interprétation des Institutes de Justinien, ouvrage inédit, 1847. — Œuvres choisies, 1849.) » pp. 249-269

Au retour, il débuta comme avocat au barreau de Paris (1549), et en même temps, pour occuper ses loisirs, il se livra à la poésie, à la composition littéraire, caractère qui distingue sa génération d’avocats, et Pasquier entre tous les autres : « Lorsque j’arrivai au Palais, dit-il, ne trouvant qui me mît en besogne, et n’étant né pour être oiseux, je me mis à faire des livres, mais livres conformes à mon âge et à l’honnête liberté que je portois sur le front : ce furent des Dialogues de l’amour… » Les dialogues galants et amoureux, les sonnets qu’Étienne Pasquier publia dans ces années de jeunesse, et auxquels il se reportait avec complaisance et sourire en vieillissant, ne prouvent rien autre chose que de l’esprit, de la facilité, de la subtilité ingénieuse, et on n’y trouve d’ailleurs aucun trait original qui puisse assigner rang à leur auteur parmi les vrais poètes. […] De tous ces princes et seigneurs qui ne parlent en sens divers que de la religion de Dieu, du service du roi, de l’amour de la patrie, « je n’en vois pas un tout seul, dit-il, qui, sous ces beaux prétextes, ne ruine totalement le royaume de fond en comble… Il seroit impossible de vous dire quelles cruautés barbaresques sont commises d’une part et d’autre : où le Huguenot est le maître, il ruine toutes les images, démolit les sépulchres et tombeaux… En contr’échange de ce, le catholique tue, meurdrit, noie tous ceux qu’il connoît de cette secte ; et en regorgent les rivières… » Quant aux chefs, bien qu’ils fassent contenance de n’approuver tels déportements, Pasquier remarque qu’ils les passent aux leurs par connivence et dissimulation. […] On n’oublierait pas non plus ces fameuses ordonnances d’amour, qui n’ont pas dû trouver place dans les Œuvres complètes de Pasquier, et qui sont comme les saturnales extrêmes d’une gaillardise d’honnête homme au xvie  siècle. […] Il s’y retrouva vif, enjoué, ressaisi de l’amour des vers, des épigrammes latines ou françaises, et s’en égayant, comme autrefois, au milieu des lectures sévères.

1205. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame de Maintenon. » pp. 369-388

Le témoignage le plus grave qu’on puisse alléguer contre elle est un mot de son amie Ninon, au sujet de M. de Villarceaux, leur ami commun ; mais, dans ce même malin propos, Ninon convient qu’elle ne sait pas jusqu’où allèrent les choses, et que Mme Scarron lui parut toujours « trop gauche pour l’amour ». […] Le fait est, si l’on met toute malice à part, que Mme Scarron, durant ces années les plus périlleuses, paraît n’avoir jamais été troublée par ses sens, jamais poussée par son cœur, et qu’elle était retenue par les deux freins les plus forts de tous, un amour de la considération qui, de son aveu, était sa passion dominante, et une religion précise et pratique dont elle ne se départit jamais : « J’avais, a-t-elle dit, un grand fonds de religion, qui m’empêchait de faire aucun mal, qui m’éloignait de toute faiblesse, qui me faisait haïr tout ce qui pouvait m’attirer le mépris. » Je ne vois pas de raison pour douter de cette parole, sauf accident. […] Le goût qu’on avait pour moi était plutôt une amitié générale, une amitié d’estime, que de l’amour. […] À la France, aucun, — si l’on excepte le jour où elle demanda à Racine une comédie sacrée pour Saint-Cyr ; à Louis XIV en particulier, elle rendit le service de le retirer des amours que l’âge eût pu rendre déshonorants ; elle coopéra tant qu’elle put à ce qu’elle considérait religieusement comme son salut.

1206. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Bernardin de Saint-Pierre. — II. (Suite et fin.) » pp. 436-455

La reine Marie-Antoinette, étant à dîner chez Mme de Polignac, citait l’ouvrage des Études, « à l’occasion des oiseaux des Indes dont quelques-uns ont des poitrines rouges dans la saison des amours, comme si c’étaient des habits de parade prêtés par la nature seulement pour le temps des noces ». […] Mais, dans le cabinet, il se remet au système de la bienveillance universelle et de l’amour. […] Il y a de très jolis détails dans les lettres de Bernardin à sa seconde femme ; un pur amour des champs y respire à chaque ligne. À propos d’un changement de lune et d’un redoublement de pluie au mois de mai, il lui écrit : « Cette abondance d’eau accélère la pousse des végétaux ; elle est nécessaire à leurs progrès et à leurs besoins : le mois de mai est un enfant qui veut toujours téter. — Je t’embrasse, mes amours, mes délices, mon mois de mai. » Ce mois de mai, qui est un enfant qui veut toujours téter, n’est-il pas la plus gracieuse et la plus parlante image, surtout adressée à une jeune femme, à une jeune mère ?

1207. (1824) Discours sur le romantisme pp. 3-28

Sans doute, la religion et l’amour, l’héroïsme et la vertu, l’humanité et le patriotisme, la tendresse paternelle et la piété filiale. […] Ils savent que, dans les arts, la partie la plus noble de nous-mêmes veut autre chose que l’imitation de ce qui tombe sous nos sens ; que, dans la poésie particulièrement, l’âme et l’imagination demandent, pour aliment de leur dévorante activité, ces sentiments profonds et en quelque sorte infinis, dont la religion et l’amour sont les deux principales sources ; et que l’esprit même ne saurait être entièrement captivé qu’à l’aide de cet art délicat, qui consiste à ne pas arrêter avec trop de fermeté les formes de certains objets, et à étendre sur quelques autres un voile qui les laisse entrevoir ou seulement soupçonner. […] Voilà les travers, les écarts où, parmi nous, d’époque en époque, de jeunes écrivains ont été entraînés par un désir mal réglé de produire de l’effet, et aussi, redisons-le pour leur justification, par un généreux amour de la célébrité, joint au désespoir modeste d’égaler leurs prédécesseurs, en les imitant. […] Célébrez la religion, chantez aussi l’amour ; mais ne mêlez pas indiscrètement les mystères de la foi et ceux de la volupté, les saints ravissements de l’âme et les profanes extases des sens.

1208. (1892) L’anarchie littéraire pp. 5-32

Chez quelques-uns, il est vrai, l’antagonisme n’était qu’apparent, simple amour du paradoxe, besoin effréné de faire parler de soi par des dires étranges. […] Voici, d’ailleurs, le portrait d’un poète de ce groupe, extrait d’un livre à paraître : L’Amour et la Vie : « Léon Mateau est le type bâtard du bohème romantique mâtiné de bourgeois, au fond ce qu’il y a de pire au monde ; de ces hommes qui affectent des allures excentriques et parlent un langage paradoxal uniquement pour se faire de la réclame ; un de ces braillards qui crient que tout est mal quand ils sont dans la dèche et qui, une fois parvenus à une bonne situation, deviennent les plus impitoyables tenanciers de la routine et des abus. […] « Enfin pour donner à sa personne la curiosité, le piquant, l’intérêt que le scandale ne peut manquer de lui ajouter dans une société pourrie comme la nôtre, il nie carrément l’amour. […] Parfois il regarde passer les femmes, les petites femmes aux formes voluptueuses : trop soucieux de son hygiène pour négliger la culture du sixième sens, il estime qu’en l’état actuel de notre civilisation, l’amour est une des plus utiles fonctions de l’organisme… ………………………………………………………………………………………………………… « Dans ses heures de loisir il rime ces vers d’une harmonie si moderne qu’il a recueillis en deux recueils intitulés Le Signe et Les Chairs profanes.

1209. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVI. Des oraisons funèbres et des éloges dans les premiers temps de la littérature française, depuis François Ier jusqu’à la fin du règne de Henri IV. »

Après avoir suivi le genre des éloges chez les peuples barbares, ou ils n’étaient que l’expression guerrière de l’enthousiasme qu’inspirait la valeur ; chez les Égyptiens, où la religion les faisait servir à la morale ; chez les anciens Grecs, où ils furent employés tour à tour par la philosophie et la politique ; chez les premiers Romains, où ils furent consacrés d’abord à ce qu’ils nommaient vertu, c’est-à-dire, à l’amour de la liberté et de la patrie ; sous les empereurs, où ils ne devinrent qu’une étiquette d’esclaves, qui trop souvent parlaient à des tyrans ; enfin, chez les savants du seizième siècle, où ils ne furent, pour ainsi dire, qu’une affaire de style et un amas de sons harmonieux dans une langue étrangère qu’on voulait faire revivre ; il est temps de voir ce qu’ils ont été en France et dans notre langue même. […] Égarée par l’amour, et poursuivie par l’intérêt et la vengeance, elle trouva une prison dans un pays où elle avait cherché un asile, et fut décapitée par la politique barbare de cette Elisabeth, qui n’était que son égale et n’avait pas le droit d’être son juge. […] La mort d’une femme et d’une reine sur l’échafaud, tant de beauté jointe à tant d’infortune, la pitié si naturelle pour le malheur, l’attachement des Français pour une princesse élevée parmi eux, et qui avait été l’épouse d’un de leurs rois ; l’intérêt qu’on prend peut-être malgré soi à des malheurs causés par l’amour ; le nom même de la religion, car elle fut mêlée à ce grand événement ; et l’Europe, agitée alors de fanatisme, regardait presque la querelle de deux reines rivales, comme la querelle des catholiques contre les protestants : tout contribua au grand succès de cet éloge funèbre. […] Enfin, ses amours, ses faiblesses, tous ces sentiments, qui le plus souvent étaient des passions, et que les grâces d’un chevalier ennoblissaient encore, lorsqu’ils n’étaient que des goûts, ne paraissaient pas des défauts qu’on pût lui reprocher.

1210. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. »

Je ne parlerai donc pas de vous cette fois, Armand Renaud, auteur des Poëmes de l’amour 25, des Caprices de boudoir 26, et en dernier lieu des Pensées tristes 27, vous qui avez déjà eu trois manières ; qui, après avoir commencé par vous inspirer aux hautes sources étrangères et par moissonner la passion en toute littérature et en tout pays ; — qui, après vous être terriblement risqué ensuite aux ardentes peintures d’une imagination aiguë et raffinée, en êtes venu à vous interroger vous-même plus à fond, à vous sentir, à fouiller en vous, à chanter vos propres chants, à pleurer vos propres larmes. […] Ni de vous je ne parlerai non plus, harmonieux poëte de la vie domestique et des joies du Foyer 29, Madame Auguste Penquer, qui avez depuis étendu votre vol et enhardi votre essor dans les Révélations poétiques 30 ; âme et lyre également bien douées, à la note large et pleine, aux cordes sensibles et nombreuses ; que rien de particulièrement breton ne distingue, si ce n’est l’amour du pays natal ; qui avez mérité d’être saluée comme une jeune sœur de ceux que vous nommez « le cygne de Mâcon » et « l’aigle de Guernesey », et qui n’avez qu’à vous garder d’un éblouissement trop lyrique en présence des demi-dieux. […] Je ne ferai que passer aussi devant vous, couple conjugal qui unissez vos deux voix31 ; qui, après avoir perdu un enfant, votre unique amour, l’avez pleuré dans un long sanglot, et qui, cette fois, inconsolés encore, mais dans un deuil apaisé, avez songé à lui en composant des chants gradués pour les divers âges, continuant ainsi en idée, d’une manière touchante, à vous occuper, dans la personne des autres, de celui qui n’a pas assez vécu pour vous.

1211. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre V. Indices et germes d’un art nouveau — Chapitre III. Retour à l’art antique »

Le Chénier qu’elles nous offrent est un homme du monde, qui n’a que des sens, qui court après « le plaisir », et ne spiritualise point l’amour. Sa Camille « aux yeux noirs », sa « Julie au rire étincelant », sa Rose « dont la danse molle aiguillonne aux plaisirs », sont de faciles créatures ; et ce qu’il espère, ce qu’il se promet de ses vers, c’est qu’ils soient un code d’amour et de volupté ; c’est qu’ils échauffent les désirs dans les jeunes âmes, et qu’ils éloignent « du cloître austère » la pensée des vierges619 . […] L’homme, en effet, ne change pas quand on passe des Elégies aux Églogues : mais ici l’épicurien mondain du xviiie  siècle enveloppe sa conception matérialiste de la vie des sensations fines d’un artiste grec : il traduit en païen son amour de la nature, de la jeunesse, de la vie riante et facile, des beaux corps gracieux et fermes.

1212. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Une soirée chez Paul Verlaine » pp. 18-33

Verlaine n’avait conservé de sa librairie ancienne qu’un exemplaire original des Amours jaunes de Corbière, la Saison en Enfer de Rimbaud et les œuvres de Calderon. […] Il écrivait Amour, Parallèlement, les Mémoires d’un veuf. […] Les amis de Verlaine affrontaient, par amour de lui, ces promiscuités gênantes et s’en accommodaient.

1213. (1890) L’avenir de la science « IV » p. 141

Croyez-vous qu’il ne fait pas plus d’honneur à la nature humaine en témoignant, d’une façon irrationnelle sans doute, mais puissante, qu’il y a dans l’homme des instincts supérieurs à tous les désirs du fini et à l’amour de soi-même ! […] Il le sait, et de là ses joies et ses tristesses : ses tristesses, car, pénétré de l’amour du parfait, il souffre que tant de consciences y demeurent à jamais fermées ; ses joies, car il sait que les ressorts de l’humanité ne s’usent pas, que, pour être assoupies, ses puissances n’en résident pas moins au fond de son être et qu’un jour elles se réveilleront pour étonner de leur fière originalité et de leur indomptable énergie et leurs timides apologistes et leurs insolents contempteurs. […] La seule pénitence raisonnable, c’est le repentir et le retour avec plus d’amour à la vie sérieuse et belle.

1214. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre IV. La littérature et le milieu psycho-physiologique » pp. 126-137

Les larmes, l’émotion, l’amour ardent et exalté, rentrés dans le roman avec Manon Lescaut, y débordent avec la Nouvelle Héloïse. […] S’il faut en croire Mme de Genlis45, « on se précipitait dans ses bras, on balbutiait, on pleurait, on était dans un trouble qui ressemblait à l’amour le plus passionné ». […] Préoccupation de l’au-delà et jouissance affolée du présent peur de la Mort et fougueux élan vers l’Amour, son frère ennemi voilà ce qu’inspire d’ordinaire une de ces calamités où l’homme se sent à la merci d’un mal mystérieux et implacable.

1215. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Beaufort » pp. 308-316

figures et fruits. on voit sur un piédestal deux petits amours en marbre ; ils sont debout. […] Sa tête n’est pas mal, en comparaison du reste, c’est celle d’un joli petit ange ou d’un petit amour, tant les traits en sont formés. […] Descamp ignore qu’on peut donner aux anges, aux amours, aux chérubins, aux génies des figures charmantes et aussi développées qu’on veut, parce que tels ils sont, tels ils ont été, tels ils seront ; ce sont des êtres symboliques et éternels ; encore s’écarte-t-on quelquefois de cette règle et leur conserve-t-on le joufflu, le chiffonné, le gras, l’informe, le potelé de nos marmots.

1216. (1912) L’art de lire « Chapitre V. Les poètes »

Musset avait écrit dans Carmosine : Depuis le jour où le voyant vainqueur, D’être amoureuse, amour, tu m’as forcée, Fût-ce un instant, je n’ai pas eu le cœur De lui montrer ma craintive pensée, Dont je me sens à tel point oppressée, Mourant ainsi, que la mort me fait peur. […] Mais au point de vue du nombre, la faute, qu’on lui faisait commettre était encore plus grave ; car ces vers forment une strophe de six vers couplés, menés deux à deux, avec, ce qui est très conforme aux lois générales du rythme, un repos assez fort après le premier distique, un repos un peu moins fort, mais un repos encore, après le second distique : Depuis le jour où le voyant vainqueur, D’être amoureuse, amour, tu m’as forcée, || Fût-ce un instant, je n’ai pas eu le cœur De lui montrer ma craintive pensée, | Dont je me sens à tel point oppressée, Mourant ainsi, que la mort me fait peur. […] Depuis le jour où le voyant vainqueur D’être amoureuse, amour, tu m’as forcée, | Fût-ce un instant, je n’ai pas eu le cœur De lui montrer ma craintive pensée, Dont je me sens lourdement oppressée.

1217. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VIII. M. de Chalambert. Histoire de la Ligue sous le règne de Henri III et de Henri IV, ou Quinze ans de l’histoire de France » pp. 195-211

Même son amour des femmes, qu’il a transmis, comme sa politique, à sa descendance si riche en bâtardises, son amour des femmes, cette gracieuse faiblesse que les femmes, qui travaillent à la gloire en France, ont la bonté de pardonner, a quelque chose d’égoïste, de superficiel et de grossier, qui devrait choquer davantage leurs instincts délicats et fiers ; mais on passe tout à ce gendarme ! […] bonté des sens, familiarité, camaraderie, politique, cette peau d’intérêts qu’il avait sous son autre peau, absence de profondeur d’impression et l’amour du rire !

1218. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Théodore de Banville »

Il en a les qualités les plus brillantes : l’amour de l’image, du rhythme, de la langue, qu’il aime un peu comme une courtisane amoureuse et… stérile. […] Otez-en l’amour tel qu’il est dans les Contes d’Espagne et d’Italie, l’amour en uniforme, Alfred de Musset ; ôtez ces vieilles douleurs égoïstes dont nous avons été assez rebattus, les douleurs de l’accouchement intellectuel, le soi-disant mal que nous fait la forme quand elle se débat sous notre prise et que nous avons peine à la fixer comme notre pensée l’entrevoit et l’ambitionne ; ôtez enfin cette autre douleur d’être méconnu, de n’avoir pas sa gloire, argent comptant : c’est-à-dire, en somme, toujours le mal de l’œuvre et par l’œuvre, — de toutes les douleurs la plus orgueilleuse, la moins touchante, la moins sacrée !

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