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895. (1856) Le réalisme : discussions esthétiques pp. 3-105

Chez les Grecs, les premières images taillées furent celles des personnes divines ; la poésie chantée, c’est la religion qui l’inspira. […] Que quiconque y a trouvé une étincelle de poésie le dise hautement, on lui fera compliment de la richesse de son organisation. Est-ce à dire que le réalisme et la poésie soient incompatibles ? […] Qui oserait nier en effet que la réalité humaine, de quelque côté qu’on l’envisage, ait sa poésie ? […] Entre la poésie dont nous faisons un des éléments constitutifs du réalisme et la poésie proprement dite, dans son acception la plus large et la plus complète, il y a un abîme.

896. (1932) Le clavecin de Diderot

Ces petites chéries n’échappèrent point à la contagion du modernisme et inventèrent la poésie pure, laquelle finissait, pour les rajeunir, en prière, c’est-à-dire en queue de têtard. […] Ainsi, continuait-on à ne voir dans la poésie qu’une mine à sujets de pendules. […] Pour la France officielle, la poésie c’est, avant tout, un jeu, un exercice d’éloquence. […] S’il est parlé de poésie, une phrase est à citer, celle de Lautréamont qui avait bien quelque titre à s’exprimer sur la matière : la poésie doit être faite par tous, non par un u.  […] André Breton, Misère de la Poésie).

897. (1892) Essais sur la littérature contemporaine

Et, chez nous, trois fois au moins en trois cents ans, la critique n’a-t-elle pas orienté l’évolution de notre poésie ? […] Non que la poésie philosophique, une certaine poésie philosophique, n’existât peut-être avant lui dans notre langue. […] et les Discours sur l’homme, de Voltaire, était-ce de la « poésie » ? […] Sully Prudhomme pour lui marquer sa place dans la poésie contemporaine et achever de caractériser son originalité. […] Leconte de Lisle eut trouvé la matière de sa poésie, on peut dire que sa vie n’eut plus d’objet que de se l’assimiler.

898. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre I. Les origines. — Chapitre II. Les Normands. » pp. 72-164

Le conteur est ému, et pourtant son langage reste le même, uni, sans accent, tant ils sont pourvus du génie de la prose et dépourvus du génie de la poésie ! […] Il faut dire de leur poésie ce qu’on dit de certains tableaux : Cela est fait avec rien. […] C’est un enfant aimable et bavard ; ce qu’on appelle alors sa poésie, la poésie neuve, n’est qu’un babil raffiné, une puérilité vieillotte. […] C’est que cette vieille poésie populaire n’est pas l’éloge d’un bandit isole, mais de toute une classe, la yeomanry. « Dieu fasse miséricorde à l’âme de Robin Hood,  — et sauve tous les bons yeomen !  […] Ni leur foi ni leur poésie n’a pu atteindre son achèvement ou son issue.

899. (1848) Études critiques (1844-1848) pp. 8-146

Comment se fait-il donc que notre poésie s’en éloigne si fort et que même la meilleure manque souvent de limpidité. […] La femme, dans ces poésies, est un être essentiellement fait pour le plaisir. […] Nous avons rendu fidèlement l’impression produite sur nous par les poésies de M.  […] Ce genre de composition est beaucoup plus près que le roman de la poésie et nous oserions presque dire, de l’art. […] Théophile Gautier a cru peut-être en frottant sa plume sur son ancienne palette, apporter à la poésie une nouveauté qui le ferait bien venir.

900. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre V. Swift. » pp. 2-82

—  Sa poésie prosaïque et réaliste. —  La grande question débattue. […] Rien de semblable en Swift : ce qui manque le plus à ses vers c’est la poésie. […] Comme cette mâle nudité rabaisse l’élégance cherchée et la poésie artificielle d’Addison et de Pope ! […] Toute poésie exalte, celle-ci déprime ; au lieu de cacher le réel, elle le dévoile ; au lieu de faire des illusions, elle en ôte. […] On sourit de voir la poésie ravalée jusqu’à cet emploi ; il semble qu’on assiste à une mascarade ; c’est une reine travestie en dindonnière.

901. (1859) Critique. Portraits et caractères contemporains

Il était toute une poésie, il était la poésie, il était le charme de l’enchantement. […] Est-il possible de se connaître en poésie mieux qu’ils ne s’y connaissent ? […] Charmante obsession, visions décevantes, chers fantômes des poésies fugitives ! […] Cette femme a été tout le mystère, c’est-à-dire toute la poésie de cette époque. […] La modération même de cette poésie en a fait le succès.

902. (1896) Les Jeunes, études et portraits

Il a sa grandeur et je ne sais quelle poésie dans l’austérité. […] Sa poésie ne réside pas en lui, mais c’est de nous qu’elle vient. […] La poésie est chose de rêve. […] Voilà le pressentiment et l’aspiration qui soulèvent toute la poésie moderne ». […] Les thèmes de la poésie de M. de Montesquiou sont éminemment distingués.

903. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXIX » pp. 316-320

Jules de Saint-Félix, dans un recueil intitulé Poésies romaines. […] quand la scène sera libre, nous verrons bien. » Au commencement de 1830, Hernani vint apporter du mouvement et comme un éveil de prochain espoir ; c’était étrange, c’était peu historique, c’était plus qu’humain et assez surnaturel, mais enfin il y avait éclat, poésie, nouveauté, audace.

904. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXXIII » pp. 332-336

. — poésies de théophile gautier. — orgueil de la vie. […] L'orgueil de la vie, l’enivrement de la jeunesse et des sens, c’est là trop souvent l’inspiration unique de la poésie moderne, et il vient un moment où, poussée trop loin, prolongée au delà des termes, cette inspiration sans partage devient imprudence fatale, tourbillon et ruine.

905. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Introduction. Origines de la littérature française — 2. Caractère de la race. »

Il serait aussi téméraire de rechercher dans l’éloquence et dans la poésie gallo-romaines une première ébauche du goût français. […] Renan, Essai sur la Poésie des races celtiques.

906. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Madeleine, Jacques (1859-1941) »

Des deux volumes, je préfère À l’orée de beaucoup ; j’aimerais mieux que la nature y fût chantée librement, au lieu d’être ainsi sévèrement modelée ; mais en se contentant de ce qu’on y trouve, on se sent en contact avec de la poésie vraie, encore que nuancée, fond et rythme, à la façon d’un érudit, ce qui ne peut surprendre personne, étant donnée la sûre et modeste érudition dont M.  […] Jacques Madeleine est bien un des meilleurs fils de cette Grèce maternelle, car on a rarement dédié à notre Mère auguste un temple plus pur et plus radieux que ce Parthénon de la poésie.

907. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Pailleron, Édouard (1834-1899) »

. — Amours et haines, poésies (1888). — Émile Augier (1889). — Cabotins ! […] m’est inspiré par la vue d’un volume de poésies signées Édouard Pailleron, de l’Académie française.

908. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — T — Theuriet, André (1833-1907) »

. — Jardin d’automne, poésies (1894). — Nos oiseaux (1894). — Paternité (1894). — Rose-Lise (1894). — Contes tendres (1895). — Flavie (1895). — Madame Véronique (1895). — Contes de la Primevère (1895) […] — Années de printemps (1896). — Cœurs meurtris (1896). — Fleur de Nice (1896). — Josette (1896). — Poésies (1896). — Boisfleury (1897)

909. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 223-229

Dès qu’il s’agira de Tragédies, de Pastorales lyriques, de Poésies légeres, le Public a déjà décidé que cet Auteur ne figureroit jamais parmi les bons Poëtes de notre nation. […] Le Huron, Lucile, Silvain, l’Ami de la Maison, sont des preuves que son esprit est précisement fait pour les bagatelles, sur-tout quand une Musique agréable vient relever un peu la fadeur de sa Poésie.

910. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 240-246

Sarasin est encore plus estimable dans sa Poésie que dans sa Prose. […] Nous ne parlons point de ses Poésies légeres.

911. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Introduction » pp. 5-10

Le roman et la poésie ont voulu être de la peinture, de la musique, de la sociologie, etc… À ces croisements multipliés et peu raisonnables s’est abâtardie la sève littéraire d’un pays qui reste cependant encore le premier, dans le domaine littéraire et idéologique. […] Ernest Gaubert a donné plus particulièrement ses soins aux chapitres des Écoles et Manifestes, à une partie de la Critique, à la Poésie, au Régionalisme, à la documentation bibliographique, M. 

912. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre II. Vue générale des Poèmes où le merveilleux du Christianisme remplace la Mythologie. L’Enfer du Dante, la Jérusalem délivrée. »

Divertir, afin d’enseigner, est la première qualité requise en poésie. […] Au reste, si la Jérusalem a une fleur de poésie exquise, si l’on y respire l’âge tendre, l’amour et les déplaisirs du grand homme infortuné qui composa ce chef-d’œuvre dans sa jeunesse, on y sent aussi les défauts d’un âge qui n’était pas assez mûr pour la haute entreprise d’une Épopée.

913. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre VII. Des Saints. »

Et qu’ont donc de si odieux à la poésie, ces solitaires de la Thébaïde, avec leur bâton blanc et leur habit de feuilles de palmier ? […] On sait comment Neptune, ……… S’élevant sur la mer, D’un mot calme les flots……… Nos dogmes fournissent un autre genre de poésie.

914. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Appendice. Histoire raisonnée des poètes dramatiques et lyriques » pp. 284-285

Au moyen âge, les prêtres qui seuls alors étaient lettrés, ne composèrent d’autres poésies que des hymnes. […] De même Horace parut à l’époque de la plus haute splendeur de Rome ; et chez les Italiens ce genre de poésie n’a été connu qu’à l’époque où les mœurs se sont adoucies et amollies.

915. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rostand, Edmond (1868-1918) »

. — Les Musardises, poésies (1890). — Les Romanesques, pièce en trois actes, en vers (1894) […] C’est une œuvre de charmante poésie, mais c’est surtout et avant tout une œuvre de théâtre. […] Rostand excède tout autre, c’est au prestige de la poésie qu’il le doit.

916. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre huitième. »

Ce premier Apologue est parfait ; non qu’il soit aussi brillant, aussi riche de poésie, aussi varié, que le sont quantité d’autres. […] Toujours quelque grand trait de poésie, sans jamais blesser le naturel. […] Remarquons aussi ce trait de poésie du voyageur qui va traverser V. 23.

917. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Paul de Saint-Victor » pp. 217-229

C’est un livre qui, par la beauté, peut ressembler à beaucoup de beaux livres, mais qui, par le genre de ce qu’il contient et la spécialité de son exécution, ne ressemble absolument à rien… Il est, à proprement parler, moins et plus que de la Critique ; mais, quel que soit le nom qu’il doive porter, c’est de l’érudition dans des proportions exorbitantes et de la poésie dans de ravissantes proportions. […] La rime manque à sa poésie, et c’est la seule chose qui y manque, car sa prose a souvent le rythme du vers ; mais l’érudition, qui l’accompagne toujours, « est sa rime qui, comme l’autre, doit toujours obéir » ! […] Il l’a fait pour ce fond de croyance, de mythologies et de légendes sur lequel a poussé et s’est détachée l’immense fleur noire et de couleur de sang de la poésie d’Eschyle, de ce tragique religieux, idéal et terrible !

918. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Silvio Pellico »

L’Ange prisonnier de la poésie, la sainte Hostie du Spielberg, toutes ces vignettes idolâtres, tous ces romanesques culs-de-lampe qui font rêver les cœurs candides, n’existeront plus, et qui sait ?… le Racine de la poésie italienne, comme l’a osé dire de Silvio cette menteuse de littérature pour faire sa cour à la politique, le Racine de la poésie italienne ne sera plus peut-être qu’un imbécile, quelque chose de niais et de plat, — un Pradon !

919. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXVII. Silvio Pellico »

L’Ange prisonnier de la poésie, la sainte Hostie du Spielberg, toutes ces vignettes idolâtres, tous ces romanesques culs-de-lampe qui font rêver les cœurs candides, n’existeront plus, et qui sait ?… le Racine de la poésie italienne, comme l’a osé dire de Silvio cette menteuse de littérature, pour faire sa cour à la politique, le Racine de la poésie italienne ne sera plus peut-être qu’un imbécile, quelque chose de niais et de plat, — un Pradon !

920. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Henri Murger. Œuvres complètes. »

Mürger a écrit ses poésies sous le nom de Nuits d’hiver, mais ce n’est pas un chétif rapport de titres qui me fait conclure à l’imitation, l’insupportable imitation, qui donne deux fois la même note, en l’affaiblissant ! […] La place qu’occupe la fille en ces poésies tient autant, je le sais, à l’époque qu’au poète, mais qui ne s’élève pas au-dessus de son époque n’est jamais un poète qu’à moitié. […] Mürger, aussi faible en poésie qu’en prose, c’est-à-dire beaucoup plus, puisqu’il l’est autant.

921. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre VII. Dernières preuves à l’appui de nos principes sur la marche des sociétés » pp. 342-354

Que l’ancien droit romain à son premier âge fut un poème sérieux, et l’ancienne jurisprudence une poésie sévère, dans laquelle on trouve la première ébauche de la métaphysique légale. — Comment chez les Grecs la philosophie sortit de la législation Il y a bien d’autres effets importants, surtout dans la jurisprudence romaine, dont on ne peut trouver la cause que dans nos principes, et surtout dans le 9e axiome [lorsque les hommes ne peuvent atteindre le vrai, ils s’en tiennent au certain]. […] Il était impossible que l’enfance de l’humanité suivît une marche différente ; on a remarqué dans un axiome que les enfants ont au plus haut degré la faculté d’imiter le vrai dans les choses qui ne sont point au-dessus de leur portée ; c’est en quoi consiste la poésie, laquelle n’est qu’imitation. […] Ainsi tout l’ancien droit romain fut un poème sérieux que les Romains représentaient sur le forum, et l’ancienne jurisprudence fut une poésie sévère.

922. (1891) La vie littéraire. Troisième série pp. -396

C’est la poésie de Baudelaire. […] Sully Prudhomme, son aîné dans la poésie. […] Ils parlèrent naturellement de la poésie et de l’art. […] Dieu le conserve pour la poésie ! […] Elle y est la poésie même.

923. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « LEOPARDI. » pp. 363-422

Les autres se préoccupaient davantage de l’Allemagne, du moyen âge et des théories dramatiques : lui, il resserra et poussa uniquement ses efforts dans la haute poésie lyrique, et aussi dans des écrits en prose d’une extrême perfection. […] J’ai omis de dire que l’édition de ses poésies de Bologne (1824) était accompagnée d’un commentaire grammatical de sa façon, dans lequel il se défendait contre les mêmes lettrés prétendus puristes. […] Une édition de ses poésies, qui parut alors à Florence, était précédée de cette préface si touchante et si lamentable : « Florence, 15 décembre 1830. […] Deux volumes, publiés par Ranieri, contiennent les poésies, les œuvres morales au complet, augmentées de plusieurs dialogues et de pensées inédites, et quelques traductions. […] Les meilleures poésies de M. de Musset sont trop sujettes à ces sortes d’incohérences.

924. (1887) George Sand

Selon cette théorie, le roman serait une œuvre de poésie autant que d’analyse. […] C’est de la poésie, assurément, et si sincère qu’elle paraît naturelle. […] Le roman, ainsi conçu, est tout simplement de la poésie. […] Il faut bien que le roman se rapproche de la poésie ou de la science. […] Qu’on aille retrouver dans cette dernière évolution de sens la poésie écrite en roman ! 

925. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Aloïsius Bertrand »

et honneur avant tout à ceux qui ont aimé la poésie jusqu’à en mourir ! […] Il achevait ses études en 1827, et déjà la poésie le possédait tout entier. […] Par malheur Bertrand ne composa pas à ce moment assez de vers de la même couleur et de la même saison pour les réunir en volume ; mécontent de lui et difficile, il retouchait perpétuellement ceux de la veille ; il se créait plus d’entraves peut-être que la poésie rimée n’en peut supporter. […] Sans prétendre sonder, à mon tour, le secret de cette destinée de poëte et mettre la main sur la clef fuyante de son cœur, il me semble, à voir jusqu’à la fin sa solitaire imagination se dévorer comme une lampe nocturne et la flamme sans aliment s’égarer chaque soir aux lieux déserts,  — il me semble presque certain que cette jeune Fille idéale, cet Ange de poésie, celle que M. de Chateaubriand a baptisée la Sylphide, fut réellement le seul être à qui appartint jamais tout son amour ; et comme il l’a dit dans d’autres stances du même temps : C’est l’Ange envolé que je pleure, Qui m’éveillait en me baisant, Dans des songes éclos à l’heure De l’étoile et du ver-luisant. […] Faut-il prétendre, par ces tristes exemples, corriger les poëtes, les guérir de la poésie ; et pour eux, natures étranges, le charme du malheur raconté n’est-il pas plutôt un appât ?

926. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Jules de Glouvet »

Il est fort probable qu’il y a plus de charme et de poésie dans les romans rustiques de M.  […] C’est lui qui nous démontre, dans l’Étude Chandoux et dans la Famille Bourgeois, non point sèchement, mais avec quelque chose du sentiment et de la poésie de Virgile au troisième livre des Géorgiques, combien il est funeste aux familles rurales de quitter les champs pour la ville, la richesse solide et la paix de leur vie campagnarde pour les emplois de la bourgeoisie ou pour l’oisiveté vaniteuse. […] Un souffle le traverse ; il a la grandeur, une poésie abondante et naturelle ; c’est une idylle tragique qui a quelque chose de fruste, de primitif et de mystérieux. […] Or, la poésie n’est qu’imagination et sentiment. […] Un dieu omniscient ignorerait par là même la poésie.

927. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Arnault, de l’Institut. » pp. 496-517

Mais Arnault jeune, amoureux et déjà marié, ami de la poésie, du théâtre, faisant de jolis vers de société, et aspirant dès lors à la muse tragique, n’avait pas de théorie ni de prévision politique bien longue. […] Poésie, famille et société, c’était assez pour l’occuper et le rendre heureux. […] Voici le début qui est plein de grandeur et de poésie : Le vent s’élève : un gland tombe dans la poussière ; Un Chêne en sort. […] Au milieu d’une vie occupée de devoirs administratifs ou mêlée au monde, c’était sa forme favorite de poésie morale ou légère. […] [NdA] Ce genre de mérite d’Arnault fabuliste est très bien observé et défini dans un chapitre de l’Histoire de la poésie française à l’époque impériale, par Μ. 

928. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre quatrième. L’expression de la vie individuelle et sociale dans l’art. »

.) ; la musique, sur la physiologie et l’acoustique ; la poésie, sur la dont les métrique, lois les plus générales se rattachent assurément à l’acoustique et à la physiologie. […] Certainement la rareté des éléments et le poli de la surface peuvent constituer de très belles qualités, mais, si on en faisait le tout de l’art, littérature et poésie ne seraient plus que l’habileté à construire des décors ; la mise en scène primerait la vie. […] Il n’est guère atteint, d’ailleurs, que par la poésie lyrique. […] La poésie dramatique ou épique repose beaucoup plus sur des conventions sociales. […] C’est pour cela que le sens le plus profond appartient en poésie au mot le plus simple ; mais cette simplicité du langage ému n’empêche nullement la richesse et la complexité infinie de la pensée qui s’y condense.

929. (1858) Cours familier de littérature. V « XXXe entretien. La musique de Mozart (2e partie) » pp. 361-440

Excepté à la poésie ou à l’éloquence, arts immatériels qui n’ont besoin que d’une parole ou d’une plume, il faut un matériel à tous les arts : des blocs de marbre au statuaire, des toiles, des couleurs au peintre ; mais au musicien, il faut un monde d’exécutants. […] L’abbé Casti, son rival en poésie théâtrale, prévaut injustement sur ce jeune homme. […] Quant au reste de l’Allemagne, de l’Italie, et quant à la France, le chef-d’œuvre de la musique moderne eut le sort d’Athalie, le chef-d’œuvre de la poésie française : il fallait que cette musique surhumaine attendît trente ans ses juges. […] Lord Byron, le plus grand poète des temps modernes, a voulu rendre en poésie ce caractère de Don Juan, que Mozart a rendu en musique ; mais quelle différence entre la verve moqueuse, ironique, impie ou cynique du poète anglais, et la foi dans l’art sincère, convaincue, communicative et religieuse du musicien de Salzbourg ! […] Nous ne pouvons nous empêcher de croire que la peinture est plus belle sur un tableau isolé de Raphaël, dans la solitude d’une galerie du Vatican, que sur une toile de décoration d’opéra ; que la poésie est plus divine dans une page d’Homère, de Virgile, de Dante ou de Pétrarque, que dans la vocalisation d’un chanteur et d’une cantatrice ; que l’acteur tragique est plus puissant en récitant simplement son rôle sur sa planche entre deux lampes, sans autre prestige que son âme, son accent, son geste, qu’en le chantant au milieu des fantasmagories de la décoration du costume, du ballet et de l’orchestre ; qu’enfin le musicien est plus éloquent et plus pathétique dans la sublime nudité de ses notes que dans l’alliance hétérogène de ses notes avec la poésie, le drame, la déclamation, la décoration, la danse et les oripeaux.

930. (1890) L’avenir de la science « XV » pp. 296-320

La variété est l’élément qui manque le plus radicalement aux peuples d’origine sémitique : leurs poésies originales ne peuvent dépasser un volume. […] La grande poésie panthéiste de Goethe, de Victor Hugo, de Lamartine suppose tout le travail de la critique moderne, dont le dernier mot est le panthéisme littéraire. […] Hugo ait lu Heyne, Wolf, William Jones, et pourtant sa poésie les suppose. […] Poésie, religion, fantaisie, tout cela est méconnu. […] La presqu’île est toujours restée pure d’hellénisme, et n’a jamais compris que le Coran et les vieilles poésies.

931. (1929) Critique et conférences (Œuvres posthumes III)

Les Poésies complètes débutent par une pièce tout à fait jeune, presque jeune fille les Étrennes des Orphelins. […] Et l’homme au jupon noir continue à ne pas saisir la poésie du geste et du cœur. […] Il s’agit de la Poésie française contemporaine. […] Il fit dans sa ville natale d’excellentes études au cours desquelles il obtint le premier prix de poésie au concours d’Arras. […] *** Vermersch, parmi ce travail, ne perdit point de vue la haute poésie.

932. (1855) Préface des Chants modernes pp. 1-39

Il est d’usage, à notre époque, quand on publie un nouveau volume de vers, de s’écrier dans sa préface : « Encore des poésies ! […] Les arts rampaient péniblement dans l’ornière d’une tradition à jamais usée ; une littérature veule et fade, une poésie de convention bavarde, baveuse et ampoulée, tâchaient de ne pas mourir encore. […] Voyez : le dernier sujet du prix de poésie décerné par l’Académie française a été : L’Acropole d’Athènes 1. […] Vous croyez qu’il va parler de vertu, de récompenses, d’art, de poésie ? […] J’ai vu la Troade ; elle prouve à la fois deux incontestables vérités : 1º que la poésie seule donne aux faits et aux lieux une vie éternelle ; 2º que l’inattaquable temps efface, brise, éteint tout, excepté les œuvres de l’esprit.

933. (1870) La science et la conscience « Chapitre III : L’histoire »

Il n’y a plus trace de poésie dans l’histoire de la guerre du Péloponèse. […] Platon définit le poète et la poésie en vrai théologien : le poète est un être léger, ailé, qui ne touche point à la terre et doit tout à une communication d’en haut. […] Nul ne se doute, parmi les anciens, des vraies sources et des caractères propres de la poésie homérique. […] Cela tient avant tout au génie même de l’antiquité, génie essentiellement pratique et politique qui faisait de toute chose, science, art, religion, poésie, histoire, une institution d’État. […] C’est que, tandis que le génie allemand est réaliste avec toute sa poésie métaphysique et sentimentale, le génie de notre France est essentiellement idéaliste.

934. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Geoffroy de Villehardouin. — II. (Fin.) » pp. 398-412

Quand on est ainsi insulté par des raffinés dans la personne de ses ancêtres (car ce sont bien nos ancêtres à nous tous, nobles ou vilains), il ne faut pas se laisser faire, surtout quand on a le droit pour soi, le droit, c’est-à-dire, dans le cas présent, la poésie. La poésie, comme l’histoire, à voir les choses simplement, elle était plutôt à cette heure du côté des croisés que des Byzantins, malgré toutes leurs divinités et leurs Aréthuses, — la poésie, et j’entends par là la véritable, à la fois le souffle, l’inspiration, la fleur et déjà l’art de l’expression, et aussi l’artifice du rythme. […] (Fauriel, Histoire de la poésie provençale, tome II, p. 58-68.)

935. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Chateaubriand, jugé par un ami intime en 1803, (suite et fin) » pp. 16-34

Mais même, quand la science des esprits serait organisée comme on peut de loin le concevoir, elle serait toujours si délicate et si mobile qu’elle n’existerait que pour ceux qui ont une vocation naturelle et un talent d’observer : ce serait toujours un art qui demanderait un artiste habile, comme la médecine exige le tact médical dans celui qui l’exerce, comme la philosophie devrait exiger le tact philosophique chez ceux qui se prétendent philosophes, comme la poésie ne veut être touchée que par un poète. […] L’analyse pourtant a son genre d’émotion aussi et pourrait revendiquer sa poésie, sinon son éloquence. […] En poésie, au théâtre, en tout comme à la guerre, les uns n’ont qu’un jour, une heure brillante, une victoire qui reste attachée à leur nom et à quoi le reste ne répond pas : c’est comme Augereau, qui aurait mieux fait de mourir le soir de Castiglione. […] Il est des genres modérés auxquels la vieillesse est surtout propre, les mémoires, les souvenirs, la critique, une poésie qui côtoie la prose ; si la vieillesse est sage, elle s’y tiendra.

936. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Térence. Son théâtre complet traduit par M. le marquis de Belloy »

Delille, en traduisant le Paradis perdu, avait également ouvert la voie et donné le signal du côté des modernes ; Baour-Lormian, assez heureux avec Ossian et les poésies galliques, s’attaquait imprudemment à la Jérusalem délivrée. […] J’ai cité autrefois telle de ses poésies ou petites odes, qui est un chef-d’œuvre d’exécution et de finesse. […] Cet article des traductions en vers est traité fort au complet, sans beaucoup de distinction, il est vrai, et sans finesse de goût, mais avec exactitude, dans l’Histoire de la Poésie française à l’Époque impériale, par M.  […] Ce genre, en effet, est l’un des plus beaux fleurons de la poésie dite de l’Empire.

937. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIX. Cause et loi essentielles des variations du gout littéraire » pp. 484-497

Malherbe a l’air de rompre en visière sur tous les points à Ronsard et à ses disciples ; par aversion de leur langue trop savante, il renvoie les poètes à l’école des crocheteurs du Port-au-Foin  ; par réaction contre un lyrisme qui lui semble de verve et de versification trop lâches, il soumet la poésie à une discipline sévère qui en régente et le fond et la forme ; mais, ce faisant, il reprend à son compte en les aggravant des critiques qui avaient été dirigées avant lui contre l’abus du grec et du latin, témoin la fameuse rencontre de Pantagruel avec l’écolier limousin  ; et, d’autre part, il consolide l’œuvre de la Pléiade, puisqu’il conserve l’emploi de la mythologie, les genres usités chez les anciens, l’imitation de l’antiquité. […] Prédominance de la prose sur la poésie ; substitution de l’observation précise et directe aux envolées de l’imagination ; effort des romanciers pour écrire, comme des greffiers impassibles, sous la dictée des choses ; propension à peindre, au lieu d’hommes et de faits grandis et embellis, les mesquineries de la vie journalière ou la brutalité des instincts grossiers ; certes, la réaction est nettement caractérisée. […] La poésie familière de Coppée se rattache aux pièces où Sainte-Beuve disait déjà les résignations grises et les destinées modestes. […] De Vigny avait offert ça et là, par exemple dans la Bouteille à la mer, des modèles de précision vigoureuse aux futurs ouvriers de la poésie scientifique.

938. (1903) Hommes et idées du XIXe siècle

Et peut-être dans ce mélange et cette indétermination des genres faut-il voir encore un trait par lequel la poésie de Hugo, échappant aux nettes classifications de notre art moderne, se rapproche de la poésie primitive. […] Il y a eu dans la poésie de Victor Hugo développement plutôt que changement. […] C’a été le cas de plusieurs dont, au reste, la poésie est bientôt morte d’inanition. […] C’est une merveilleuse ouvrière de poésie que la passion et la passion ici parle toute pure ! […] Brunetière, Évolution de la poésie lyrique.

939. (1896) Écrivains étrangers. Première série

Je ne connais personne dans la poésie anglaise dont les vers se rapprochent davantage de ceux d’Edgar Poe. […] Bien davantage encore que la poésie de Victor Hugo, la poésie de Whitman est un flux d’images. […] L’enfant ne se fatiguait pas de leur simple poésie, qui l’attachait encore à cette religion soucieuse de la pure beauté. […] Tous nous avons bu à son sein le meilleur de la vie de l’âme, le lait de la poésie, de l’art, de la musique. […] La science, elle aussi, est œuvre d’imagination et de poésie.

940. (1875) Premiers lundis. Tome III « Maurice de Guérin. Lettre d’un vieux ami de province »

4º Au moment où l’école de David essaie, un peu en tâtonnant et en se guindant, de revenir à l’art grec, André Chénier y atteint en poésie. […] Sainte-Beuve, le Tableau de la Poésie française au xvie  siècle.

941. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre VIII. La Fille. — Iphigénie. »

Ici le christianisme va plus loin que la nature, et par conséquent est plus d’accord avec la belle poésie, qui agrandit les objets et aime un peu l’exagération. […] La religion chrétienne est si heureusement formée, qu’elle est elle-même une sorte de poésie, puisqu’elle place les caractères dans le beau idéal : c’est ce que prouvent nos martyrs chez nos peintres, les chevaliers chez nos poètes, etc.

942. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre XI. Le Guerrier. — Définition du beau idéal. »

Les siècles héroïques sont favorables à la poésie, parce qu’ils ont cette vieillesse et cette incertitude de tradition que demandent les Muses, naturellement un peu menteuses. […] Qui, des héros ou des chevaliers, méritent la préférence, soit en morale, soit en poésie ?

943. (1761) Salon de 1761 « Peinture —  Doyen  » pp. 153-155

Ah, mon ami, il y a là soixante vers à décourager l’homme le mieux appelé à la poésie. […] Il est plein de feu, de grandeur, de mouvement et de poésie.

944. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Charles Labitte »

La poésie est proprement le génie de la jeunesse ; la critique est le produit de l’âge mûr. […] (Ducis grand épistolaire. — Ses poésies annoncent Lamartine.) — Originalité d’Abufar. — Shakespeare et les romantiques. […] Résumé sur l’ensemble de cette époque littéraire. — Bernardin de Saint-Pierre, Mme de Staël et Chateaubriand. — Les Méditations de Lamartine et l’Indifférence de Lamennais. — Les deux Poésies en présence. […] Son ardeur d’application à l’antiquité et à la poésie latine marque l’heure de la maturité de son talent, et elle contribua sans nul doute à la déterminer. […] Il voyait dans le poète romain, non pas un aride représentant de l’épicuréisme, mais une victime superbe de l’anxiété : « Fièvre du génie, disait-il, désordonnée, mais géométrique ; ne vous y fiez pas : sous ces lignes sévères, il y a du trouble. » Il disait encore : « C’est le dernier cri de la poésie du passé.

945. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre I. Polémistes et orateurs, 1815-1851 »

Car, dans ces grogneries de bourgeois libéral, il y a des coins délicieux d’idylle, des coins de poésie rustique à la façon de certaines scènes d’Aristophane. […] Il le disait sur ses vieux jours : le romantisme, c’est la Commune ; il l’abhorrait comme une insurrection ; il n’y sentait pas l’explosion puissante de l’art et de la poésie. […] Mais peut-être est-ce surtout la révolution littéraire qui donna l’essor aux orateurs chrétiens : le goût pseudoclassique leur retranchait tout l’essentiel de la religion, le surnaturel, le mystère et l’infini, toute la poésie aussi, le pittoresque séduisant, le pathétique prestigieux. […] Il n’avait ni la richesse d’idées, ni l’ampleur de poésie de Lamennais ; son style avait plus de chaleur que de perfection artistique. […] Tableau de l’éloquence chrétienne au ive s., 1849, in-8 ; Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique, 1859, in-8.

946. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome IV pp. 5-

Telles sont les beautés qui demeurent toujours originales, et qu’il faut savoir ou créer ou reproduire avec art dans la poésie épique. […] La poésie n’avait-elle aucun moyen plus heureux d’exprimer ces particularités ? […] La poésie, s’écrie-t-il, osera-t-elle porter ses regards sur un mystère que Dieu seul connaît dans toute son étendue ? […] Cicéron ni Bossuet ne purent monter jusqu’à la poésie, tandis que celle de Corneille et de Racine eut une éloquence rivale de leur prose. […] À plus forte raison, dans les arts et la poésie, les exemples n’accroissent pas le pouvoir de l’invention au-delà du vrai beau qu’accomplit un génie suprême.

947. (1895) Le mal d’écrire et le roman contemporain

Tous les fort manieurs de poésie ou de prose française ont eu le même tourment. […] L’assimilation complète du sujet provençal avec notre poésie française, c’est M.  […] Ce n’est pas une chose aisée que de parler des enfants en poésie. […] Poésie et sensibilité, voilà la marque de ce talent. […] Jean Aicard, lui, a la fécondité variée dans la poésie comme dans le roman.

948. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « L’Académie française »

Son discours est excellent, généreux ; mais on ne peut se dissimuler que la littérature proprement dite, la poésie, y sont tenues un peu à l’étroit et, en quelque sorte, surveillées par les sciences, par l’école philosophique alors en vigueur. Ce terme de classe même sent la gêne et l’école, et semble ne pas appeler la poésie. […] Le sujet de poésie proposé par l’Académie pour 1831 était la Gloire littéraire de la France. […] Le prix de poésie laisse plus à désirer, et c’est même une question de savoir s’il est bon de le maintenir sous cette forme. La poésie, en effet, paraît fuir depuis longtemps ces concours et s’abstenir des sujets proposés : elle n’y est que de nom.

949. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXIXe entretien. Œuvres diverses de M. de Marcellus (2e partie) » pp. 5-63

Sa vieillesse avait été morose, désenchantée de poésie, hors l’amitié pieuse d’une femme dévouée à sa gloire quand même, et au culte de quelques rares amis, parmi lesquels quelques spirituels observateurs qui affectaient la tendresse et qui prenaient mesure de ses faiblesses. […] Défions-nous en toute langue de la poésie des rues, des mers et des montagnes, destinée à charmer les peuples ignorants. […] Ce n’est ni la malignité spirituelle et savante de Béranger, poète d’opposition, épigrammatique, libéral, mais nullement populaire ; ni la belle et naïve poésie homérique de Mistral dans son poème antique de Mireille : c’est un patois pour les veillées des peuples de Provence ! […] Or la Marseillaise, sublime en musique, est peu admirable en poésie ; c’est un beau chœur des frontières de la France résonnant au pas de charge sous les pieds de l’étranger ; mais les paroles sont des cris et non un poème. […] Fauriel son devancier, ne rapporte donc que des scènes poétiques et peu de poésie.

950. (1863) Le réalisme épique dans le roman pp. 840-860

De là le romantisme des Schlegel, de Tieck, de Novalis, de Brentano, lesquels, dans leur exaltation, allaient jusqu’à rayer Goethe et Schiller du livre d’or de la poésie. […] Flaubert, souvent brutale, incorrecte, ne manque ni de franchise ni de netteté, et parfois même, à travers ses descriptions trop crues, une image subite révèle le sentiment de la poésie. […] Ce n’est pas de la poésie, c’est un rapport officiel, un travail de statistique. […] L’étude mal comprise a produit l’archéologie équivoque, et de l’érudition fantasque est née la fausse poésie. […] Un grain de mil, un peu de poésie, et sans le moindre regret nous irons rendre au lapidaire carthaginois tous les diamants de Salammbô.

951. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Auguste Vacquerie  »

C’est à faire croire que toute cette poésie de Hugo n’est pas si géniale qu’on le dit, ni si spontanée d’inspiration qu’elle se donne, et qu’elle pourrait bien n’être, au fond, que de la poésie à procédé, une clef difficile peut-être à faire jouer dans la serrure, une manivelle ou un ressort dont il faut connaître le sens. […] Un nouveau livre de Poésies par Victor Hugo (Constitutionnel, 10 mars 1875).

952. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Catulle Mendès »

Mendès publia les Contes épiques, qui ne fut pas frappé de la prodigieuse ressemblance de ces poésies avec La Légende des siècles ? […] Victor Hugo aurait pu très bien, et sans déroger, signer ces poésies de M.  […] Mais j’ai cette raison pour en douter : c’est qu’il est poète et que le matérialisme n’est pas capable de monter jusqu’à cette flamme de poésie, pour l’éteindre.

953. (1901) L’imagination de l’artiste pp. 1-286

Mais peut-on dire que pour cela elle ait rien perdu de sa poésie ? […] De même quand je contemple une œuvre de sentiment et de poésie. […] Il est à l’art ce que le style figuré est à la poésie. […] Il n’y a pas de véritable poésie sans un peu de trouble et de vertige. […] L’art et la poésie s’accordent plus de liberté.

954. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre II. L’Âge classique (1498-1801) — Chapitre II. La Nationalisation de la Littérature (1610-1722) » pp. 107-277

Et La Fontaine encore, combien y a-t-il d’étrangers qui comprennent ce que nous avons d’admiration singulière pour cet alliage, unique en lui, de nonchalance épicurienne, de malice gauloise, et de pure poésie ? […] Vincent Voiture [Amiens, 1598 ; † 1648, Paris]. — Ses Poésies, — et qu’il y en a dans le nombre de bien fades ; — mais qu’il y en a quelques-unes d’exquises ; — très supérieures à beaucoup de celles de Cl.  […] Allais, Malherbe et la poésie française à la fin du xvie  siècle, Paris, 1891 ; — F.  […] II, et à la suite de la 2e édition de son Petit traité de poésie française, Paris, 1881. […] III. — Histoire du théâtre français ; — Vie de Corneille ; — Réflexions sur la poétique ; — Description de l’empire de poésie [Cf. la carte du pays de Tendre]. — On y trouve les ligues suivantes, qui allaient évidemment (1678) à l’adresse des Racine et des Boileau : « La Haute poésie est habitée par des gens graves, mélancoliques, refrognés, et qui parlent un langage qui est à l’égard des autres provinces de la poésie ce qu’est le bas-breton à l’égard du reste de la France ». — Les Opéras de Fontenelle, et ses tragédies, dont une en prose, complètent le volume.

955. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre III. L’Histoire »

L’idée d’appliquer la poésie française au récit des faits historiques germa de divers côtés : surtout en Angleterre, où la présence d’une langue vaincue, vile et méprisée, comme le peuple qui la parlait, conférait au français un peu de cette noblesse qui chez nous appartenait seulement au latin. […] Très proche encore des chansons de geste, il en a le ton, les formules, la couleur : mais, à l’exemple des traducteurs du faux Turpin, il allège le genre du poids inutile des rimes, simple embarras quand elles ne sont pas moyen d’art et forme de poésie ; d’autre part, suivant les premiers narrateurs des croisades, et plus rigoureux qu’eux encore, il saisit les événements avant toute déformation, tels que ses yeux, et non son imagination, les lui donnent : enfin, de la même épopée qui achevait en ce temps-là de dégénérer en roman, il dégage définitivement l’histoire. […] Rien ne livrera plus sans doute la poésie narrative aux inventions déréglées, aux romanesques absurdités, que l’existence d’œuvres historiques de plus en plus répandues et nombreuses : elle en perdit ce qui pouvait lui rester encore de sérieux et de gravité, et fut rejetée tout à fait vers la fantaisie folle, comme si elle était déchargée de tout autre soin que d’amuser. […] Une littérature religieuse ainsi se forma, en partie traduite, en partie originale, correspondant à la littérature profane, moins riche, mais aussi variée, et couvrant en quelque sorte la même étendue, de l’épopée au fabliau, et du roman à la chronique : récits bibliques ou évangéliques, vies de saints et de saintes, miracles de la Vierge, légendes et traditions de toute sorte et de toute forme, toute une littérature enfin qui, se développant comme la poésie laïque, eut ainsi son âge romanesque, où s’épanouissent à profusion les plus fantastiques miracles, où le merveilleux continu se joue des lois de la nature et parfois des lois de la morale. […] Nul art ne vaut mieux que ce naturel, et c’est de pareilles sensations qu’un autre Champenois, quatre siècles plus tard, fera l’étoffe de sa poésie : Joinville a ce qui manque aux auteurs de fabliaux, pour annoncer La Fontaine.

956. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVIII. Formule générale et tableau d’une époque » pp. 463-482

Les moralistes connaissent et peignent à merveille les gens des hautes classes ; tous les genres tenant à la vie du monde se développent ; la poésie s’unit à la musique et à la danse dans l’Opéra et les ballets de cour ; mais cette floraison est compensée par de graves lacunes. […] Dans la poésie même on estime peu la verve inventive et la fantaisie capricieuse. […] Pendant que la poésie s’amincit et se décolore à force de s’adresser à l’intelligence pure, la prose a toutes les qualités de beauté calme et méthodique que préfère le goût régnant. […] Ainsi, dans l’époque que nous avons résumée plus haut, la poésie dramatique et la littérature religieuse me paraissent avoir droit aux deux premiers rangs, et ce rapprochement seul de deux genres qui se ressemblent si peu, qui sont même, à certains égards, en pleine opposition, fait comprendre à merveille cette société catholique et mondaine qui voltige avec aisance du théâtre au sermon et se partage entre l’Église et les plaisirs du siècle. De 1715 à 1760, la prose méritera de passer avant la poésie et la littérature à visées philosophiques sera sans doute celle qu’il faudra mettre au premier plan.

957. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mémoires de Marmontel. » pp. 515-538

C’était un talent laborieux, flexible, facile, actif, abondant, se contentant beaucoup trop d’à-peu-près dans l’ordre de la poésie et de l’art, et y portant du faux, mais plein de ressources, d’idées, et d’une expression élégante et précise dans tout ce qui n’était que travail littéraire ; de plus, excellent conteur, non pas tant dans ses Contes proprement dits que dans les récits d’anecdotes qui se présentent sous sa plume dans ses Mémoires ; excellent peintre pour les portraits de société, sachant et rendant à merveille le monde de son temps, avec une teinte d’optimisme qui n’exclut pas la finesse et qui n’altère pas la ressemblance. […] Cependant, tandis qu’il est à Toulouse, Marmontel, dont l’activité et le talent cherchent de tous côtés une voie à se produire, concourt pour les Jeux floraux ; il manque le prix la première fois, et, dans son dépit, il écrit à Voltaire en lui envoyant son ouvrage ; il en appelle à lui comme à l’arbitre souverain de la poésie. […] Et ne se sentant pour la poésie, ajoute-t-il, qu’un « talent médiocre », il s’adresse à Mme de Pompadour, sa protectrice, pour obtenir quelque place qui le mette à même de ne pas dépendre du travail de sa plume ; il avait présent à la pensée un conseil que lui avait donné Mme de Tencin : « Malheur, me disait-elle, à qui attend tout de sa plume ! […] En maltraitant ce dernier, il n’a pas senti que dans les vers de Boileau il y avait plus de vraie poésie de style que dans tous ces vers prosaïques et soi-disant philosophiques du xviiie  siècle, quelques pièces de Voltaire exceptées. […] Je le répète, à part un poème qui par sa nature échappe à l’examen et dans lequel on trouverait plus de verve et d’esprit que de poésie même, c’est à la prose seule de Marmontel qu’il faut demander la clarté, l’élégance et la précision facile qui le distinguent.

958. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Notes et éclaircissements. [Œuvres complètes, tome XII] »

J’ai aimé la physique tant qu’elle n’a point voulu dominer sur la poésie ; à présent qu’elle a écrasé tous les arts, je ne veux plus la regarder que comme un tyran de mauvaise compagnie. […] On peut parler poésie, musique, histoire, littérature, tout le long du jour, etc. » (Correspondance gén. […] Peut-être objectera-t-on que les anciens avaient raison de regarder la poésie descriptive comme l’objet accessoire, et non comme l’objet principal du tableau ; je le pense aussi, et l’on a fait de nos jours un étrange abus du genre descriptif ; mais il n’en est pas moins vrai que c’est un moyen de plus entre nos mains, et qu’il a étendu la sphère des images poétiques, sans nous priver de la peinture des mœurs et des passions, telle qu’elle existait pour les anciens. […] IV, chap. 2] Poésies sanskrites. […] Poésie erse.

959. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVIII. Des obstacles qui avaient retardé l’éloquence parmi nous ; de sa renaissance, de sa marche et de ses progrès. »

Peut-être même dans tous les arts, poésie, peinture, sculpture, architecture, éloquence, tous les peuples et tous les siècles ont-ils commencé par l’exagération. […] La poésie a eu la même marche chez tous les peuples. […] L’imagination a levé le plan de la nature ; la poésie l’offre en relief, ou le met en couleurs. […] Il n’est donc pas étonnant que partout la poésie soit née avant l’éloquence : mais on peut dire qu’en la précédant, elle l’a fait naître. […] Qu’on se représente une de ces fêtes, telle qu’on en donnait quelquefois dans la Grèce et dans Rome ; ces fêtes, ou, après des victoires, cent mille citoyens étaient assemblés, où tous les temples étaient ouverts, où les autels et les statues des dieux étaient couronnés de fleurs, où la poésie, la musique, la danse, les chefs-d’œuvre de tous les arts, les représentations dramatiques de toute espèce étaient prodiguées, et où la renommée et la gloire, en présence d’une nation entière, attendaient les talents.

960. (1874) Premiers lundis. Tome II « Revue littéraire »

En donnant ses Traditions populaires de Franche-Comté, poésies suivies de notes, M.  […] Dans les poésies qui sont de M. 

961. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — K — Karr, Alphonse (1808-1890) »

Plus vrai encore fut l’Alphonse Karr de la première jeunesse, maigre, nerveux, vétu d’une blanche robe de moine, irrité par le spectacle de la Bêtise humaine, et ne portant alors qu’une légère et noire moustache de Scaramouche, qui semblait ponctuer la poésie de son génie railleur, venu en droite ligne d’ […] Ce premier ouvrage était originairement un poème ; bien conseillé, Alphonse Karr convertit des vers en prose et renonça dès lors à la poésie.

962. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Lettre a monseigneur le duc de**. » pp. -

Philosophie, Eloquence, Poésie, Histoire, rien n’est étranger à votre goût. […] M. l’Abbé Goujet pensoit différemment : aussi il lui a fallu dix volumes pour l’histoire des Rimailleurs qui ont précédé l’aurore de la belle Poésie en France ; & pour s’être trop appesanti sur les mauvais Poëtes, il s’est vu obligé par le dégoût du public, à abandonner ce qu’il auroit pu écrire sur les bons.

963. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre troisième. Découverte du véritable Homère — Chapitre I. De la sagesse philosophique que l’on a attribuée à Homère » pp. 252-257

De la sagesse philosophique que l’on a attribuée à Homère Nous accorderons, d’abord, comme il est juste, qu’Homère a dû suivre les sentiments vulgaires, et par conséquent les mœurs vulgaires de ses contemporains encore barbares ; de tels sentiments, de telles mœurs fournissent à la poésie les sujets qui lui sont propres. […] Cependant, la fin de la poésie étant d’adoucir la férocité du vulgaire, de l’esprit duquel les poètes disposent en maîtres, il n’était point d’un homme sage d’inspirer au vulgaire de l’admiration pour des sentiments et des coutumes si barbares, et de le confirmer dans les uns et dans les autres par le plaisir qu’il prendrait à les voir si bien peints.

964. (1891) Essais sur l’histoire de la littérature française pp. -384

Lui si poète, il faut qu’il outrage même la poésie. […] la poésie. […] Voilà la poésie pour M.  […] Il n’entend rien au genre de poésie qui nous est le plus propre. […] Il ira vivre à Paris comme il pourra, de poésie.

965. (1930) Les livres du Temps. Troisième série pp. 1-288

C’est la profonde raison d’être de la poésie, le plus antibergsonien des arts. […] L’odelette et la chansonnette n’égaleront jamais la haute poésie. […] Henri de Régnier a le goût très sûr en poésie. […] Il n’y eut jamais poésie plus savante… M.  […] S’il énonce des théories discutables sur la poésie, il en a la passion.

966. (1890) Dramaturges et romanciers

Feuillet conserve encore son attrait et sa poésie. […] Que ces manèges sont filés menus, que ces pièges sont délicatement recouverts de sensibilité et de poésie ! […] Bien qu’elle soit écrite en vers, la pièce, loin de montrer la poésie de la vie conjugale, n’en montre que la plus triste prose. […] La poésie de M.  […] Cette forme de comédie détruit donc toute perspective ; mais ce n’est pas pour cette raison seule que la poésie lui est interdite.

967. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Troisième partie. — L’école historique » pp. 253-354

Le goût français était alors un petit vieillard froid, raisonnable et galant, qui n’avait vu l’esprit humain que dans les salons de Paris, la nature que dans le parc de Versailles, la poésie que dans les œuvres parées de l’approbation de la cour. […] Il n’y a point de monopole pour la poésie en faveur de certaines époques et de certaines contrées. […] Il est écrit qu’en 1865 nos sculpteurs feront de la plastique sentimentale, nos peintres se voueront au culte de l’infiniment petit, notre musique abusera du trombone, notre poésie continuera d’être une poésie d’hôpital ou une versification de jongleurs chinois. Laissez les choses suivre leur cours, ou plutôt censurez notre sculpture maniérée, notre peinture insignifiante, notre musique tapageuse, notre poésie imbécile, et croyez avec moi à la liberté de l’art et à la liberté de la critique. […] Connaissance des beautés et des défauts de la poésie et de l’éloquence dans la langue française.

968. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Molière »

Remarquez, monsieur, ajoutoit Despréaux, que Molière a fait, sans y penser, le caractère de ses poésies, en marquant ici la différence de la peinture à l’huile et de la peinture à fresque. […] Vauvenargues, qui est de l’avis de Fénelon sur la poésie de Molière, trouve ce poëme du Val-de-Grâce peu satisfaisant et préfère en général, comme peintre, La Bruyère au grand comique : prédilection de critique moraliste pour le modèle du genre. […] La poésie en est plus chaude que nette ; elle tombe dans le technique et s’y embarrasse souvent en le voulant animer. […] Molière, jusqu’à sa mort, fut en progrès continuel dans la poésie du comique. […] Et sa lucidité néanmoins, sa froideur habituelle de caractère au centre de l’œuvre si mouvante, n’aspirait en rien à l’impartialité calculée et glacée, comme on l’a vu de Goëthe, le Talleyrand de l’art : ces raffinements critiques au sein de la poésie n’étaient pas alors inventés.

969. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre I. De l’action »

Voilà un nouveau domaine, circonscrit, livré à la poésie, comme un champ à un jardinier. […] Ainsi, la poésie, qui suit les démarches de l’âme, doit se composer de petits mouvements et à chaque instant changer d’allure. […] Elle pouvait convenir à l’origine de la fable, au temps de la poésie gnômique. […] La description pour la poésie n’est qu’accessoire. […] La poésie et la prose n’ont qu’un sujet, l’histoire du coeur.

970. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — I. » pp. 446-462

Il s’est introduit je ne sais quel purisme pédantesque, je ne sais quel esprit grammatical qui rétrécit l’âme, refroidit l’imagination, éteint les hardiesses, s’oppose à tout élan passionné, anéantit la poésie et défigure entièrement l’éloquence. […] Flatté de l’attention du célèbre petit-maître en poésie, que de loin on se figurait moins frivole qu’il ne l’était, il lui adressait de Paris où il était venu, à la date du 4 février 1778, la lettre suivante, qui accompagnait l’envoi de ses Élégies : Le jeune auteur d’un drame auquel M.  […] On est en 1777, un an avant les Poésies érotiques de Parny, dont c’est le moment et qui vont avoir leur vogue élégante et sensuelle. […] Seulement ce n’étaient là que des aspirations d’une âme ardente et, par ce côté, plus germanique que française ; il manquait à cette muse novice et trop contrainte la première condition d’une poésie faite pour charmer, la grâce de ces heureux mortels qui sont nés avec un talisman dans leur berceau et avec la flûte d’ivoire sur les lèvres.

971. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Tallemant et Bussy ou le médisant bourgeois et le médisant de qualité » pp. 172-188

Faux goût de pointe, d’épigramme, de galanterie froide, venu des derniers troubadours, et le plus contraire à l’imagination vraie et au génie de la poésie. […] Ces anciens étaient privilégiés pour la poésie et pour la peinture des objets naturels. […] Paul Boiteau a été pour lui un annotateur comme il s’en voit peu, d’un éveil, d’un entrain, d’une verve mêlée à l’esprit, et jusqu’à mettre de la poésie même, dans un genre qui n’en demande pasq. […] Paul Boiteau a été pour lui un annotateur comme il s’en voit peu, d’un éveil, d’un entrain, d’une verve mêlée à l’esprit, d'une poésie même, dans un genre qui en comporte peu.

972. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — I » pp. 417-434

Il le manqua (indépendamment même des grands événements qui vinrent à la traverse) par l’éducation qu’il reçut et qu’il se donna, par son esprit novateur, ses lumières trop libérales, par ses goûts et ses vues de philosophie, de littérature et de poésie qui le promenaient en tous sens, et qui faisaient de lui un patricien bernois par trop infidèle à l’esprit du vieux sénat cantonal. […] Ma gaieté, mon amour pour la poésie anglaise, que je lisais avec Gray, l’avaient comme subjugué, de manière que la grande différence de nos âges n’était plus sentie par nous. […] Le génie poétique de Gray était tellement éteint dans le sombre manoir de Cambridge, que le souvenir de ses poésies lui était odieux. […] comme je le comprends mieux, dans ce sens-là, le silence obstiné et boudeur des poètes profonds, arrivés à un certain âge et taris, cette rancune encore aimante envers ce qu’on a tant aimé et qui ne reviendra plus, cette douleur d’une âme orpheline de poésie et qui ne veut pas être consolée !

973. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Le Poème des champs, par M. Calemard de Lafayette (suite et fin) »

Calemard de Lafayette était, il y a une quinzaine d’années, un jeune littérateur de Paris ; il s’occupait de poésie et de critique ; il était du groupe de l’Artiste et en train de se faire un nom, tout en se livrant à ses goûts préférés, lorsque, vers ce temps, des circonstances de famille et de fortune l’enlevèrent à la vie parisienne : il avait le bonheur et l’embarras d’être propriétaire foncier ; il se retira dans ses terres aux environs du Puy, dans la Haute-Loire, et se mit à les exploiter lui-même ; il prit goût à l’agriculture, à l’amélioration du sol et des colons ; l’amour de la poésie l’y suivit, et il combina ces deux amours, celui des champs et celui des vers : il en est résulté le poème dont j’ai à parler et qui a paru il y a quelques mois. […] Pour bien peindre, il faut commencer par bien voir ; car voilà comment je traduis le vers d’Horace en l’appliquant à la poésie de la campagne. […] C. de Lafayette n’est pas un pauvre diable comme Michel, mais il a fait en poésie quelques toiles qui le rappellent, et qui le classent lui-même parmi nos meilleurs paysagistes.

974. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Poésies, par Charles Monselet »

Poésies, par Charles Monselet13 Fréron ou l’illustre critique. — Les oubliés et les dédaignés. — Rétif de la Bretonne. — Le musée secret de Paris. — Les ruines de Paris. — Figurines parisiennes. — Les tréteaux. — Le théâtre du Figaro, etc. […] Le recueil de Poésies que j’ai sous les yeux et qui n’est guère qu’une seconde édition revue, corrigée, avec additions et retranchements (le premier recueil de 1854 s’appelait les Vignes du Seigneur), s’ouvre par un portrait de l’auteur en lunettes et par une préface biographique en vers. […] Sa prose, on le sent en maint endroit, a touché la rose, je veux dire la poésie. […] L’homme d’esprit qui l’a rimé n’a vu là dedans qu’un sujet littéraire, un thème à poésie didactique.

975. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre III. Trois ouvriers du classicisme »

Dans la première moitié du xviie  siècle, après Malherbe, et hors de la poésie dramatique, trois noms se détachent, exprimant autre chose que les divers aspects de la mode et de l’esprit mondain : Balzac, Chapelain, Descartes, très inégaux de génie, très inégalement aussi dépendants du monde, ont été trois modificateurs influents des formes et des idées littéraires. […] La prose, l’élocution pratique avait moins souffert que la poésie des fantaisies du bel esprit. […] Il a très bien compris, et très bien dit — et dit à Scudéry même, — que le Cid est beau, en dépit des règles, et que l’objet de la poésie est le plaisir par la beauté ; il a très finement écrit — et à Corneille même — sur la prétendue vérité historique de Cinna. […] Seulement il ne pouvait sortir du pur rationalisme qu’une littérature scientifique, une sorte de positivisme littéraire, sans caractère esthétique, réduisant l’expression à la notation pour ainsi dire algébrique de l’idée : ni poésie, ni éloquence, ni forme d’art ; un langage sec, abstrait, logique.

976. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « L’abbé Barthélemy. — II. (Fin.) » pp. 206-223

En entendant ces nombres heureux et cette musique nouvelle unie à la couleur, on se rappelle le mot de Chênedollé, que « Chateaubriand est le seul écrivain en prose qui donne la sensation du vers ; d’autres ont eu un sentiment exquis de l’harmonie, mais c’est de l’harmonie oratoire : lui seul a une harmonie de poésie ». […] Sa faiblesse d’invention et de poésie ne paraît nulle part plus à nu que dans les trois élégies en prose qu’il a voulu consacrer aux guerres de Messénie (et d’où, plus tard, Casimir Delavigne empruntera l’idée et le titre même des Messéniennes). […] Les images qu’il affecte, emphatiques et vagues, ne sortent guère des tonnerres, des volcans, et de cet arsenal commun qui n’est bon que dans les dictionnaires de poésie. […] Il reste trop aisément entre la réalité et la poésie, à mi-chemin de l’une et de l’autre, c’est-à-dire en partie dans le roman.

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