Aussi pensons-nous, contrairement à la doctrine habituelle, à celle de Kant, de Maine de Biran, de Cousin et de Jouffroy, que tous nos sens sont capables de nous fournir des émotions esthétiques. […] L’art, pour être vraiment naturaliste, devra procéder comme la nature même, qui d’abord nous fait respirer et vivre, mais ne s’arrête pas là et nous fait ensuite penser. […] D’abord la recherche de la rime, poussée à l’extrême, tend à faire perdre au poète l’habitude de lier logiquement les idées, c’est-à-dire au fond de penser ; car penser, comme l’a dit Kant, c’est unir et lier. […] Boileau ne pensait ni ne sentait de la même manière que V. […] Derrière les grands talents et les penseurs allaient venir ceux qui ne penseraient plus et qui, chose extraordinaire, s’en feraient gloire.
Il se laisse aller à un courant de vague et douce tristesse, il s’absorbe dans des pensers amers, parce qu’une image de femme revient se dresser devant lui… Nous retrouvons, chez M.
Louis Denise Léon Riotor publie sous ce titre : Le Pêcheur d’anguilles, une fort belle légende hollandaise, qu’il a traitée en une suite de tableaux parfaitement adaptés à l’agencement du sujet primitif, En dehors du récit et seulement par l’allure générale de l’œuvre, cela fait penser à L’Albertus, de Théophile Gautier.
Tout ce qu’il pense, tout ce qu’il dit ne tend qu’à accréditer une Philosophie Epicurienne d’autant plus dangereuse, qu’il a su la réduire en sentiment.
Nous pensons cependant que l’ironie n’est pas toujours le vrai moyen de corriger & d’instruire, & que ce seroit abuser de cette maxime d’Horace, ridiculum acri…. que de l’appliquer sans choix aux choses les plus respectables.
Nous n’avons garde de le penser, comme on peut le voir dans l’article Louis Racine, où nous tâchons de prouver le contraire.
— c’est avec un orgueil plus légitime, certes, et avec une conscience plus satisfaite, qu’on peut montrer ces odes royalistes d’enfant et d’adolescent à côté des poëmes et des livres démocratiques de l’homme fait ; cette fierté est permise, nous le pensons, surtout lorsque, l’ascension faite, on a trouvé au sommet de l’échelle de lumière la proscription, et qu’on peut dater cette préface de l’exil.
Ma Cléopâtre est vraiment fort belle, et je pense bien que le comte de Creutz en dit autant de son Adonis ; tous les deux amusans pour vous, nous le sommes encore, le comte et moi, l’un pour l’autre.
Qu’est-il besoin, en effet, de faire remarquer ce que tous les hommes qui pensent aperçoivent si bien, sans qu’il soit nécessaire de le leur montrer, la rapidité avec laquelle la société se précipite vers l’accomplissement de ses destinées, quelles qu’elles soient ?
Plein d’estime pour votre façon de penser & d’agir, je me porterai à tout ce qui pourra vous satisfaire ; mais vous êtes assez généreux pour pardonner à un ennemi de cette trempe.
Quand on n’a que de pareilles raisons à apporter, ne vaut-il pas mieux se rendre justice & se taire, que d’ajouter au tort d’avoir mal pensé, le tort de se défendre plus mal encore ?
Ce peintre ne pense ni ne sent.
Au contact d’esprits originaux de cette trempe, d’une telle initiative et d’une telle vigueur, ce qui étonne ou surprend de leur part, ce qu’on n’admet pas, — ce qui choque même, — donne à penser. […] Un jour il parle de Lauzun, et il laisse tomber de sa plume un mot presque aussi beau et aussi sublime que le roseau pensant de Pascal : « La fortune a beau élever Lauzun, et lui donnerait-elle l’ordre de la Jarretière, celui de Saint-Étienne ou de la Toison d’Or, que je n’en penserais jamais que ce que j’en pense. […] Je laisse de côté Scarron ; je pense bien que madame de Maintenon n’aurait pas fait de procès à Molière pour avoir pris à Scarron, dont elle était veuve, la scène du Tartuffe, mais d’autres auraient pu en faire. […] « Si les filles qu’on sacrifie tous les jours avaient la résolution de dire ce qu’elles pensent, les couvents ne seraient guère peuplés. » De qui est-ce ? […] Et qu’en penserait Périclès ?
L’éloquence est l’une des vertus de ce poète, qui s’y applique avec la conviction qu’écrire bien dans sa langue est encore la meilleure manière de penser juste.
Et pour être moins seul, je pense à tout cela, Aux chers baisers qui font plus pâle ton sourire ; Je prépare des mots que je n’ai pas su dire, Et que je trouve en moi dès que tu n’es plus là.
Il faut donc regarder comme des inconséquences les déclamations de nos Philosophes, qui veulent qu’on tolere toutes les façons de penser, parce que leur premier intérêt est d’être tolérés.
Je ne saurois penser au bonheur où j’aspire, Sans témoigner l’excès de mon contentement ; Mais, d’un autre côté, ce triste éloignement, Lorsque je songe à vous, fait aussi que j’expire.
Mais quand je pense que j’ai moins employé de temps à examiner deux cents morceaux, qu’il n’en faudrait accorder à trois ou quatre pour en bien juger ; quand j’apprécie scrupuleusement la petite dose de mon expérience et de mes lumières avec la témérité dont je prononce, et surtout lorsque je vois que moins ignorant d’un sallon à un autre, je suis plus réservé, plus timide, et que je présume avec raison qu’il ne me manque peut-être que d’avoir vu davantage pour être plus juste, je me frappe la poitrine, et je demande pardon à Dieu, aux hommes et à vous, mon père, et de mes critiques hasardées et de mes éloges inconsidérés.
On les relit plusieurs fois, et bien des personnes les retiennent sans avoir jamais pensé à les apprendre.
Je vous laisse à penser s’il s’agit d’écrire ou de lire des romans dans ces heures néfastes. […] Avec le sang d’où elle sort, la famille au sein de laquelle elle a vécu, les exemples qui lui ont été donnés par ses parents et ses grands-parents, l’éducation qu’elle a reçue, elle devait penser ce qu’elle a pensé, agir comme elle a agi ; c’était écrit. […] « Que pensait-il de ce dogme-ci ou de ce mystère-là ? […] Que pensez-vous de Marat battant des mains à la guillotine ? — Que pensez-vous de Bossuet chantant le Te Deum sur les dragonnades ?
Qui l’eût pensé ? […] Ce journal faisait penser, quelquefois. […] Enfin, le seul mot, si la commission a pensé comme M. […] Quand on pense une doctrine, on ne peut penser comme vraie que cette doctrine. » — Excellent. […] Toujours est-il que si ce que pense M.
Ce sera notre troisième question, — dont je pense que vous voyez assez l’analogie avec le problème général de l’évolution. […] En réalité, au temps de Du Bellay, nous ne faisons que commencer d’apprendre à penser ; nous ne pensons pas encore, nous traduisons ; et si jamais on a traité les anciens d’un respect superstitieux, nous le verrons, ce n’est pas du tout au xviie siècle, c’est au xvie . […] Vous penserez là-dessus que je me contredis à mon tour ? […] C’est à peu près le contraire aussi de ce que pensait Voltaire. […] Comment donc l’écrivain a-t-il pensé, comment s’est-il comporté sur l’article de l’amour, sur l’article de la religion, sur l’article de la mort ?
Le roi lui répondit que si l’on pensait toujours à la fin d’un ouvrage, on ne l’entreprendrait jamais. […] Quoique je le voie souvent, jamais il ne me demande rien ; il ne pense qu’à son travail : c’est pourquoi je veux le fixer à Paris à force de récompenses. […] Je ne pensai plus ni à ma fièvre, ni à ma peur de mourir, quand tout à coup il se fit une explosion qui nous effraya tous, et moi plus que les autres. […] Il pensa donc que trois mille cinq cents écus suffiraient pour me dédommager de mes travaux, et que je serais bien récompensé. […] Cependant il pensait à retourner en France au service de François Ier.
Leur père mourut qu’ils étaient jeunes encore, et les assemblant autour de son lit de mort, il leur dit : Mes fils, je n’ai acquis aucune propriété et je n’ai hérité d’aucune ; j’ai longtemps pensé à vous laisser quelque bon héritage, et enfin avec beaucoup de soins et de dépense, j’ai acquis pour chacun de vous un habit neuf ; les voici. […] « Après y avoir beaucoup pensé, dit Swift, un des frères, se trouvant plus lettré que les autres, dit qu’il avait trouvé un moyen. […] Il établit plusieurs fois les différences qui séparent ces deux partis, leurs reproches mutuels : « Nous les accusons, écrit-il dans le numéro 40, de vouloir détruire l’Église établie, et introduire, à sa place, le fanatisme et la liberté de penser ; d’être ennemis de la monarchie, de vouloir miner la présente forme du gouvernement pour élever une république ou quelque autre établissement de leur goût sur ses ruines. […] « Les sages de tous les temps (5 juillet 1721) ont pensé que la meilleure méthode est de prendre les minutes comme elles volent, et de faire un plaisir de toute action innocente… Écrivez-moi gaîment, sans plaintes et sans prières ; autrement Cadenus le saura et vous punira. » Un an plus tard (13 juillet 1722), il écrivait : « Montez à cheval, faites-vous suivre de deux domestiques, et allez voir vos voisins, les plus petits de préférence ; il y a du plaisir à être respecté, et vous le pouvez toujours par votre esprit et votre fortune. […] Les partisans de ce Gulliver, qui ne laissent pas que d’être en fort grand nombre chez nous, soutiennent que son livre durera autant que notre langue, parce qu’il ne tire pas son mérite de certaines modes ou manières de penser et de dire, mais d’une suite d’observations sur les imperfections, les folies et les vices de l’homme. » C’est à l’homme, en effet, qu’en veut Gulliver et à tout ce que l’on voit de plus excellent en lui-même et dans le monde où il domine.
Écoutez comme les pêcheurs ou comme les matelots de la mer, couchés, à l’ombre de la voile, sur le pont de leur barque, prolongent sans y penser, d’une voix lointaine, des accents cadencés de vague en vague qui viennent mourir jusqu’au rivage ! […] Pauvre enfant d’une veuve presque mendiante, recueilli par charité dans le château, il se considérait comme si subalterne, en naissance, en rang, en esprit, à tout le monde dans la ferme et à tous les jeunes garçons des deux villages voisins, qu’il aurait regardé comme un sacrilège de penser seulement à courtiser honnêtement cette belle jeune fille, objet de tous les regards et de toutes les ambitions de ses camarades. […] XII Cependant la merveilleuse beauté de la Jumelle, célèbre déjà dans tous les villages voisins, attirait à son père de nombreuses demandes en mariage ; mais, chaque fois que son père lui parlait de ces propositions, faites pour flatter sa vanité, elle répondait qu’elle était trop jeune, qu’elle y penserait à la moisson, aux foins ou à la Noël de l’année suivante. […] Dans la soirée il dit, en secouant la tête, comme un homme qui se ravise, qu’au fond le petit Didier, quoique un peu trop bon garçon, avait toute son estime comme excellent ouvrier ; qu’il faisait au besoin l’ouvrage de tout le monde ; qu’il était trop grand pour rester à jamais toucheur ; que la Jumelle ne pouvait épouser un enfant qui piquait encore les bœufs au labour comme une fille, mais que, si sa condition se relevait un peu au château avec ses gages, et que, si par exemple on le faisait garçon de charrue en titre avec cent vingt francs par an, deux paires de sabots, une paire de souliers et six chemises de toile de chanvre, on pourrait penser à sa proposition, l’autoriser à courtiser la Jumelle, et que, toute belle et toute recherchée qu’elle était, sa fille pourrait rencontrer pis que le fils de la veuve.
Que penserait-on, si quelque dramaturge excentrique, au lieu de dérouler rigoureusement sa fiction en attribuant à ses héros le langage qui leur sied, rompait à tout instant sa trame en mettant des sonnets et des stances dans la bouche de ses personnages supposés agissants ? […] Richard Wagner pensait alors à Tristan : il promit Tristan à l’empereur du Brésil. […] On assure que l’auteur fait le plus grand cas de cette composition, qui contiendrait la révélation de sa seconde manière ; je ne pense pas que M. […] On peut même penser qu’elle a enrichi les recherches stylistiques des symbolistes.
Seul l’isolement est fécond et, pour réaliser selon son âme, il faut, au risque même de la famine, s’enfermer, pendant qu’on pense et qu’on écrit, dans la tour d’ivoire. […] Il a trop cherché, le pauvre dément, la joie qui n’existe pas, « le baiser qui pense ». […] Parfois même, la vision s’entend et le cri devient visible : Et sur les horizons blanchis d’aube lustrale Monte, profil d’un cri, qui de bourg en cité, Tout en roc et granit se fût répercuté, L’hymne piaculaire et fier des cathédrales… Si j’essayais, pour définir Lacuzon, l’œuvre vaine des rapprochements, il me ferait penser uniquement à des puissances nobles, à des sommets abrupts que les foules ne graviront point : à Vigny dont la pensée s’exprime plus claire, moins précieuse, mais non plus grave ou plus hautaine ; à Leconte de Lisle dont le vers n’est pas plus solide, ni les évocations plus précises. […] Et je pense alors, poète, que c’est votre âme qui tourne ainsi autour de moi, jouant à cache-cache, ayant de lancinants regrets de s’éloigner et de vifs désirs, aussitôt exaucés, de revenir vite… » Je voudrais bien aussi vous faire admirer — mais on n’enferme pas un chêne dans un herbier — le morceau merveilleux : C’était « un de ces fols », n’ayant pas de demeure Et faisant peine à voir comme un pauvre qui pleure.
On s’est souvent étonné, depuis que nous pensons tout haut dans ce siècle, de notre admiration continue et persévérante pour ce grand écrivain, si peu poète dans la grande acception du terme, et surtout si peu lyrique, si peu éloquent, si peu enthousiaste. […] L’idée, considérée dans sa grande acception humaine, n’est ni française, ni anglaise, ni nationale, ni locale ; le monde pense et produit partout ; chaque nation civilisée et littéraire apporte son contingent à ce qu’on appelle l’idée. […] C’est tout simplement la raison humaine développée par le temps, par l’étude, par l’examen, par la lecture, par la science, par l’histoire, par la réflexion, par la liberté de penser ; la raison discutée se substituant en toutes choses à l’idée imposée, et ne demandant sa sanction qu’à l’évidence, au lieu de la demander à l’autorité. […] Les enfants qui suivaient ses ébats dans la plaine, Les vierges aux belles couleurs Qui le baisaient en foule, et sur sa blanche laine Entrelaçaient rubans et fleurs, Sans plus penser à lui, le mangent s’il est tendre.
Pendant que les bandes de joyeux vendangeurs se répondaient d’une colline à l’autre par ces cris de joie prolongés qui sont les actions de grâce de l’homme au sillon qui le nourrit ou qui l’abreuve, pendant que les sentiers rocailleux du village retentissaient sous le gémissement des roues qui rapportaient, au pas lent des bœufs couronnés de sarments en feuilles, les grappes rouges aux pressoirs, je me couchai sur l’herbe, à l’ombre de la maison de mon père, en regardant les fenêtres fermées, et je pensai aux jours d’autrefois. […] Honni soit qui mal y pense ! […] Elle me dit que Dieu aussi pense à moi. » — « Mais l’hiver ? […] Mes chiens seuls me suivaient, et je pensais au jour où il faudrait aussi les congédier.
Ainsi, dans l’Amphytrion de Plaute, Mercure fait le prologue ; mais, comme il fait aussi, dans la comédie, un des principaux rôles, les critiques ont pensé que c’était une exception à la règle générale. […] Mais ce qui fait paraître ces défauts sur le théâtre, c’est quand un autre acteur entend tout ce que dit celui qui parle seul : car alors nous voyons bien qu’il disait tout haut ce qu’il devait seulement penser ; et bien qu’il soit quelquefois arrivé qu’un homme ait parlé tout haut de ce qu’il ne croyait et ne devait se dire qu’à lui-même, nous ne le souffrons pas néanmoins au théâtre, parce que l’on ne doit pas y représenter si grossièrement l’imprudence humaine, en quoi Plaute a souvent péché. […] Cependant tous nos héros de théâtre sont atteints de cette espèce d’égarement ; ils raisonnent, ils racontent même, ils arrangent des projets, s’objectent des difficultés qu’ils lèvent dans le moment, balancent différents partis et des raisons contraires, et se déterminent enfin au gré de leurs passions et de leurs intérêts ; tout cela comme s’ils ne pouvaient se sentir et se conseiller eux-mêmes, sans articuler tout ce qu’ils pensent. […] Acomat ne dit là que ce qu’il pense dans l’occasion présente ; et l’auditeur y découvre en même temps le caractère général de l’amour.
L’on radote, je pense, A moi les proposer ? […] ils pensent que je suis Fort en peine de ma personne : Grâce à Dieu, je passe les nuits Sans chagrin, quoique en solitude. » La belle se sut gré de tous ces sentiments. […] Pour revenir à nos deux captifs, je pense bien qu’il y a eu autrefois des esclaves de votre façon qu’on a estimés ; mais ils auraient de la peine à valoir autant que ceux-ci. » Voilà La Fontaine aimable, gracieux, cajoleur, à l’égard de sa femme. […] Si pourtant Morphée m’eût amené la fille de l’hôte, je pense bien que je ne l’aurais pas renvoyée ; il ne le fit point, et je m’en passai. » Voilà de quel ton La Fontaine parle de ses rencontres féminines en voyage, et ce ton est absolument charmant avec le commencement de libertinage qui était adopté et permis dans les lettres du temps.
… Et le besoin qui me hurle aux oreilles Étouffant tout penser qui se dresse en mon sein, Aux accords de mon luth que répondre ?
Cette liberté de tout penser & de tout dire, attira à Théophile un séjour de deux ans à la Conciergerie de Paris.
Jusque-là il était abbé comme on l’était volontiers alors, ayant le titre et quelques bénéfices ; mais il n’était point lié à son état, il n’était prêtre à aucun degré ; et en 1755, à l’âge de quarante ans, on le voit hésiter beaucoup avant de franchir ce pas dont il sent le péril, et d’où sa délicatesse d’honnête homme l’avait tenu éloigné jusque-là : « Je me suis lié à mon état, écrit-il à Pâris-Duverney (le 19 avril 1755), et j’ai mis moi-même dans cette démarche tant de réflexions que j’espère ne m’en repentir jamais1. » Quant aux petits vers galants, ils sont de sa première jeunesse ; il cessa d’en faire à l’âge de trente-cinq ans : J’ai abandonné totalement la poésie depuis onze ans, écrit-il à Voltaire en décembre 1761 ; je savais que mon petit talent me nuisait dans mon état et à la Cour ; je cessai de l’exercer sans peine, parce que je n’en faisais pas un certain cas, et que je n’ai jamais aimé ce qui était médiocre ; je ne fais donc plus de vers et je n’en lis guère, à moins que, comme les vôtres, ils ne soient pleins d’âme, de force et d’harmonie ; j’aime l’histoire… Il y a donc, avant tout, quand on parle de Bernis, à bien marquer les époques, si l’on veut être juste envers un des esprits les plus gracieux et les plus polis du dernier siècle, envers un homme d’une capacité réelle, plus étendue qu’on ne pense, et qui sut corriger ses faiblesses littéraires ou ses complaisances politiques par une maturité décente et utile, et par une fin honorable. […] Je ne sais quelle est cette Délie4, mais Maurepas était un bien mince oracle pour mériter qu’on y bornât sincèrement ses vœux, et Bernis ne disait point cela par politesse ; il le pensait comme il le disait. […] Dès ce temps-là, et à travers les compliments, toutes les critiques lui furent faites : « On me demande, dit-il dans un petit écrit en prose de 1741, comment il est possible qu’un homme fait pour vivre dans le grand monde puisse s’amuser à écrire, à devenir auteur enfin. » Et à ces critiques grands seigneurs et de qualité, il répondait « que, s’il n’est pas honteux de savoir penser, il ne l’est pas non plus de savoir écrire, et qu’en un mot ce sont moins les ouvrages qui déshonorent, que la triste habitude d’en faire de mauvais… ».
Pendant que le roi disait ses grâces, Joinville, tout pensif, s’en alla donc à une fenêtre grillée qui était dans un enfoncement vers le chevet du lit du roi, et là, passant ses bras à travers les barreaux de la fenêtre, il pensait mélancoliquement à ce qu’il ferait s’il lui fallait demeurer en Syrie sans son maître et seigneur ; car il se croyait en conscience obligé d’y rester jusqu’au rachat de ses amis et de tout son monde. Mais laissons-le achever lui-même ce récit familier et charmant : En ce point que j’étais là, le roi se vint appuyer à mes épaules et me tint ses deux mains sur la tête ; et je pensais que c’était monseigneur Philippe de Nemours, lequel m’avait fait trop d’ennui tout ce jour-là pour le conseil que j’avais donné, et je dis ainsi : « Laissez-moi en paix, monseigneur Philippe. » Mais, comme je tournais la tête, voilà que par aventure la main du roi me tomba au milieu du visageaj, et je connus que c’était lui à une émeraude qu’il avait en son doigt ; et il me dit : « Tenez-vous tout coi, car je vous veux demander comment vous fûtes si hardi, vous qui êtes un jeune homme, pour m’oser conseiller ma demeurée, à l’encontre de tous les grands hommes et les sages de France, qui me conseillaient mon départ… » Le reste de la scène et la réponse se prévoient aisément : Joinville seul avait deviné le cœur chrétien du saint roi. […] Il y a des parties plus graves et qui font penser : par exemple, l’histoire de l’évêque Guillaume de Paris, interrogé par ce maître en théologie qui a des doutes sur le sacrement de l’autel et qui en pleure de douleur, et la réponse du prélat pour le consoler, son apologue des deux châteaux, l’un à la frontière et toujours menacé, qui a le mérite de résister, et l’autre, qui est le château de Montlhéry, paisible et en sûreté, mais sans gloire, au centre du royaume, la comparaison de ces deux châteaux avec les cœurs tentés ou tranquilles ; tout cela est spirituel, élevé et de tous les temps.
Il dut faire quelques sacrifices au ton du jour et entrer plus ou moins en composition avec le libéralisme, bientôt général et dominant : il sut pourtant se soustraire et résister à l’espèce d’oppression morale que cette opinion d’alors, en tant que celle d’un parti, exerçait sur les esprits les plus distingués ; il sut être indépendant, penser en tout et marcher de lui-même. […] Il pensait tout à fait comme ce poète grec, « que bien insensé est l’homme qui pleure la perte de la vie, et qui ne pleure point la perte de la jeunesse75 ». […] « Tous les Français qui s’avisent de penser comme les romantiques sont donc des sectaires (ce mot est odieux, dit le Dictionnaire de l’Académie).
Son père, savant dans le goût du xvie siècle, était de plus un homme d’esprit et qui pensait par lui-même ; nous en pouvons encore juger. […] Ainsi en tout il avait ses jugements, sa manière à lui de voir et de penser. […] Mme Dacier pense d’ailleurs qu’on ne peut traduire en vers les poètes, ou du moins qu’on ne peut y réussir que par accident, et que ce n’est qu’à l’aide de la prose qu’on parvient à faire passer d’une langue dans une autre les détails et les traits particuliers d’un original.
Elle s’y adonna avec un dévouement à la cause commune qui ne saurait se contester : ni le maréchal de Bouillon qui finissait et qui dès longtemps n’était plus qu’un politique consultant, ni le vieux Lesdiguières qui pensait à se convertir et à se retourner contre ses anciens frères, ni les La Trémouille, ni les La Force, ni les Châtillon, dont les résolutions n’étaient pas de longue haleine, aucun n’essaya, dans ces nouvelles levées de boucliers, de le disputer aux Rohan. […] En conseillant au roi de faire impérieusement, et même avec menaces (s’il en était besoin), ces demandes assez singulières à ses alliés protestants pour battre ses sujets protestants, le cardinal, à qui son tact présageait qu’on obtiendrait tout, savait bien pourtant qu’il se mettait en grand hasard auprès du maître si l’on essuyait un refus : Qui se fût considéré lui-même, dit-il dans un sentiment de généreux orgueil, n’eût peut-être pas pris ce chemin qui, étant le meilleur pour les affaires, n’était pas le plus sûr pour ceux qui les traitaient ; mais sachant que la première condition de celui qui a part au gouvernement des États est de se donner du tout au public et ne penser pas à soi-même, on passa par-dessus toutes considérations qui pouvaient arrêter, aimant mieux se perdre que manquer à aucune chose nécessaire pour sauver l’État, duquel on peut dire que les procédures basses et lâches des ministres passés avaient changé et terni toute la face. […] L’honneur de Richelieu est de l’avoir senti avec une énergie ardente et un indomptable génie d’exécution : le malheur de Rohan, celui de sa position, est de n’avoir pu le sentir, d’avoir été l’allié naturel et comme nécessaire de l’étranger, de quiconque était alors l’ennemi de la patrie, d’avoir continué de penser là-dessus comme un seigneur féodal en retard, devenu républicain par rencontre, et qui, en vue d’une conviction religieuse particulière, usait de tous les moyens de défense, sans se douter de ce qu’il allait choquer au sein de cet autre sentiment moral et religieux aussi, de ce sentiment patriotique, tout à l’heure universel.
Ce ne fut qu’après la prise de cette ville et de la citadelle, qui, selon Villars, ne fut pas assez opiniâtrement défendue (3 septembre 1709), que le prince Eugène et Marlborough pensèrent à une autre entreprise considérable, et ils se dirigèrent vers Mons. […] Vous le permettre et vous l’ordonner serait la même chose, et je ne veux pas que l’on puisse penser ni l’un ni l’autre. » Ce n’est pas Louis XIV qui manquera jamais à une noble et délicate convenance. […] Il aurait bien voulu pour récompense l’épée de connétable, cette épée de du Guesclin, trop profanée par de Luynes, enterrée avec Lesdiguières, refusée à Turenne lui-même, et que lui, Villars, poursuivit toujours ; il aurait désiré du moins (car il ne faisait pas fi des pis-aller) être nommé chef du conseil des finances, cette charge étant venue à vaquer en ce temps-là ; mais elle fut donnée au maréchal de Villeroy. « Pour moi, madame, écrivait-il à ce propos à Mme de Maintenon, je me trouve toujours trop heureux quand je songe qu’ayant le bonheur d’approcher le plus grand et le meilleur maître du monde, je ne lui rappelle pas de fâcheuses idées ; qu’il peut penser : Celui-là m’a plusieurs fois mis en péril, et cet autre m’en a tiré.
Maine de Biran se plut toute sa vie à embellir cet héritage paternel et à en faire une de ses créations ; mais, à l’époque dont nous parlons, il ne pensait d’abord qu’à s’y recueillir un peu. […] André Chénier errant en poète dans les bois de Versailles y pensait davantage. […] Par son premier ouvrage public, couronné par l’Institut (Influence de l’habitude sur la faculté de penser, 1802), Maine de Biran s’était rallié à l’école, alors régnante, des idéologues de la fin du xviiie siècle ; mais il ne s’y rattacha jamais que transitoirement, et bientôt, ne consultant que son sens intime, il passa outre.
Il n’a jamais pensé qu’il y eût difficulté à rien. […] Avec tout cela aucun n’eut jamais plus cette démangeaison, ce scribendi cacoethes du satirique27, et ne pensa s’honorer davantage en se déshonorant. […] Dans le sacré, la réputation de Marolles n’était pas moins établie que dans le profane : Arnauld ne pensait guère de lui autrement que Chapelain.
Louis XIV était mort, son testament déchiré, ses traditions déjà jetées au vent ; un membre de l’Académie s’avise d’écrire du grand roi ce que beaucoup déjà en pensaient. — Il révolte, — qui ?… non pas les amis du Régent, à qui cela était bien égal et qui en pensaient tout autant, mais les partisans de la vieille Cour, les hommes des regrets, les Villeroy, les Fleury, les Polignac, qui en font leur affaire, et qui piquent d’honneur l’Académie où ils se sentent maîtres (ils ne l’étaient plus que là), l’Académie de tout temps vouée à diviniser le grand roi et qui mettait chaque année au concours une de ses vertus. […] Je suis donc plus favorable à l’abbé d’Olivet que son éditeur lui-même, et je pense qu’il ne faut pas se hâter de le déclarer en faute pour ce qui est du jugement : c’était un bon esprit, bien qu’un peu sec.
L’auteur du nouveau journal, très bien placé pour voir et pour savoir, n’est presque pas un auteur ; il ne pense pas du tout à faire un livre, mais à se satisfaire, à se soulager, à se rendre compte de l’état présent et de la circonstance qui l’obsède, à donner jour à ses vues, à ses espérances, à ses boutades. […] Le maniement des hommes, le tact, ne fut jamais sa qualité distinctive : Moi qui écris ceci, dit-il quelque part, j’ai pensé être détrôné en intendance, ou du moins j’ai été dégoûté de gouverner davantage par un hôtel de ville d’une grande ville où je voulais leur plus grand bien ; mais j’y allais, étant jeune alors, sans flegme ni expérience, avec brutalité et offense contre le torrent ; je respectais mal leurs usages ; je ne regardais pas leur bien patrimonial comme étant à eux ; je maltraitais le prévôt qui était l’homme du peuple, quoiqu’un coquin. […] M. le Cardinal (et je pense de même) a une politique plus bourgeoise qui va à la bonne économie, à l’ordre, à la tranquillité ; reste le choix ingénieux des moyens pour ce bonheur, l’activité et la fermeté pour y aller, et malheureusement les hommes n’ont pas tout ; mais, dans ce déficit, on aura toujours raison de préférer les qualités du cœur à celles de l’esprit, et la vertu aux talents, pourvu que la disette des talents n’aille pas à l’imbécillité.
Il appréhendait que « ces discours qui avaient charmé dans sa bouche n’eussent pas le même succès quand ils seraient sur le papier. » Legendre, qui avait eu l’idée de les rédiger, est forcé de convenir que le prélat avait raison : « J’ai de lui des sermons qui avaient charmé quand il les avait prononcés et qui réellement ne m’ont paru, en les lisant, que des pièces assez ordinaires. » Les fameuses Conférences restèrent donc à l’état de pure renommée et de souvenir ; si glorieuses qu’elles fussent pour le prélat, elles avaient cessé du jour où il avait pensé que l’effet était produit et son nom remis suffisamment en honneur. […] Le rôle de spectateur désintéressé était évidemment le meilleur ; c’était celui de l’abbé Legendre : « Tant que dura, dit-il, cette comédie dont je connaissais les acteurs, le plaisir que j’avais les après-dîners d’en apprendre les scènes nouvelles aidait à me délasser du travail sérieux du matin. » Quelques années après, lors de la querelle des Anciens et des Modernes, qui s’émut à l’occasion du poème du Siècle de Louis le Grand, lu par Perrault à l’Académie, en 1687, M. de Harlay ne pensa plus à rétablir la paix et l’union parmi ses confrères ; mais il s’amusa à faire traiter devant lui la question ; il fit plaider le pour et le contre par deux avocats d’office qu’il désigna : Martignac, ancien précepteur de son neveu, et l’abbé de La Vau. […] Un homme qui connaissait bien les hommes, le cardinal de Forbin-Janson, avait tiré son horoscope : « M. de Noailles, avait-il dit, sera un jour chef de parti, mais ce sera sans le vouloir ni le savoir. » Encore une fois, au point de vue politique et ecclésiastique extérieur, et comme archevêque dirigeant tout un Ordre auguste et vénérable, M. de Harlay n’avait qu’un défaut, celui qui fit tort au sage roi Salomon ; et La Bruyère, ce grand et excellent juge, l’a dit avec bien de la modération et de la finesse ; car c’est très probablement à l’archevêque de Paris qu’il pensait lorsqu’il a tracé ce Caractère : « Il coûte moins à certains hommes de s’enrichir de mille vertus que de se corriger d’un seul défaut ; ils sont même si malheureux que ce vice est souvent celui qui convenait le moins à leur état et qui pouvait leur donner dans le monde plus de ridicule : il affaiblit l’éclat de leurs grandes qualités, empêche qu’ils ne soient des hommes parfaits et que leur réputation ne soit entière.
C’est songer à sa réputation personnelle plus qu’au bien de la chose, que « d’attendre à faire en place publique ce qu’on peut faire en la chambre du Conseil, et de venir étaler en plein midi ce qu’on eût mieux fait la nuit précédente. » Il n’est pas de ceux qui pensent « que les bons règlements ne se peuvent entendre qu’au son de la trompette. » Et puis il s’exagère si peu l’honneur de ces postes secondaires ! […] Quoi qu’on en pense, il restera du moins évident pour tous qu’après cet effort et ce déploiement de vigueur et de zèle pendant les six premiers mois de l’année, Montaigne avait jeté son feu ; il avait donné son coup de collier, et il se crut quitte : il retomba aisément dans cette modération naturelle, éloignée de tout héroïsme. […] Il semble n’avoir pas pensé qu’il en fût besoin.
L’on commence à penser les grandes choses à la guerre, mais pour les secrets de l’exécution, il faut en revenir à de grands détails, même à des choses qui mériteraient presque être traitées de minuties… » La fin de l’année 1693 avait été signalée en France par une crise d’argent, une disette et une misère extrêmes. […] Les malheurs de la France l’affligeaient, et, pour mieux en prendre sa part, il ne réclamait plus ses pensions et traitements. […] Toutes les fois qu’une vertu morale éclate dans les camps, un désintéressement parfait, une abnégation simple — et, par exemple, ce qu’on a vu de nos jours, un général en chef remplacé et servant avec dévouement, avec joie, sous son successeur ; — toutes les fois que le guerrier, heureux ou malheureux, pensera plus à son pays qu’à lui-même et qu’il s’oubliera en servant, on dit et l’on dira par une appellation bien méritée et toute française : C’est du Catinat 86.
À présent, pour comprendre leurs actions, il faudrait voir l’état de leur esprit, le train courant de leurs idées, la façon dont ils pensent. […] Tous les dimanches, aux prônes, il se crie des lieutenances et des sous-lieutenances (de saints) : à tant la lieutenance de saint Pierre Si le paysan tarde à mettre le prix, vite un éloge de saint Pierre, et mes paysans de monter à l’envi736. » — À ces cerveaux tout primitifs, vides d’idées et peuplés d’images, il faut des idoles sur la terre comme dans le ciel. « Je ne doutais nullement, dit Rétif de la Bretonne737, que le roi ne pût légalement obliger tout homme à me donner sa femme ou sa fille, et tout mon village (Sacy en Bourgogne) pensait comme moi. » Il n’y a pas de place en de pareilles têtes pour les conceptions abstraites, pour la notion de l’ordre social ; ils le subissent, rien de plus. « La grosse masse du peuple, écrit Gouverneur Morris en 1789738, n’a pour religion que ses prêtres, pour loi que ses supérieurs, pour morale que son intérêt ; voilà les créatures qui, menées par des curés ivres, sont maintenant sur le grand chemin de la liberté ; et le premier usage qu’elles en font, c’est de s’insurger de toutes parts parce qu’il y a disette. » Comment pourrait-il en être autrement ? […] Ils n’ont pas l’instrument intérieur qui divise et discerne ; ils pensent par blocs ; le fait et le rêve leur apparaissent ensemble et conjoints en un seul corps Au moment où l’on élit les députés, le bruit court en Provence742 « que le meilleur des rois veut que tout soit égal, qu’il n’y ait plus ni évêques, ni seigneurs, ni dîmes, ni droits seigneuriaux, qu’il n’y ait plus de titres ni de distinctions, plus de droits de chasse ni de pêche ; … que le peuple va être déchargé de tout impôt, que les deux premiers ordres supporteront seuls les charges de l’État ».
Si l’on oppose à la science sous sa forme la plus précise, celle des mathématiques, nos modes de penser journaliers où il n’y a point de méthode, le contraste est frappant. […] « Probablement quelques-uns penseront qu’on a essayé ici de résoudre ces grandes questions qui ont embarrassé de tout temps la philosophie. […] Quoiqu’il puisse réussir à résoudre toutes les propriétés des objets en manifestations de la force, il n’est pas apte à dire pour cela en réalité ce qu’est la force ; mais il trouve au contraire que plus il y pense, plus il est confondu.
Vous avez beaucoup d’esprit, madame, vous êtes bien aise de le montrer, et tout ce que vous voulez de moi, ce sont des lettres : vous êtes plus de votre quartier que je ne pensais. […] En effet, la grande prétention de Rousseau, le germe de sa maladie et de la maladie de ses successeurs, ç’a été justement de ne vouloir point être jeté dans le moule des autres hommes : « Je ne suis fait comme aucun de ceux que j’ai vus ; j’ose croire n’être fait comme aucun de ceux qui existent. » Ce que Rousseau a dit là au début de ses Confessions, tous ceux qui ont en eux le mal de Rousseau le disent ou le pensent tout bas. […] On se sent humilié pour ce qu’on appelle talent humain ou génie, de penser que c’est à partir de ce temps que Rousseau a écrit quelques-unes de ses plus divines pages, les premiers livres des Confessions, la cinquième promenade des Rêveries.
Il aime à ne penser en rien comme le vulgaire, et son travers serait peut-être, quand il rencontre une opinion communément établie, de se jeter dans la contradiction. […] Bazin, il a pensé que je n’avais pas indiqué suffisamment pour ceux qui l’ont connu de près, ce qui en rachetait et en excusait les saillies quelquefois désobligeantes : Sous cette enveloppe dure et parfois hérissée, m’écrit l’homme d’esprit que je ne me crois pas autorisé à nommer, il y avait un cœur honteux de lui-même, se masquant de son mieux, mais qui se laissait par moments deviner. […] J’ai pensé que la meilleure manière d’introduire ce rayon à demi obscur qui m’avait échappé, c’était d’en faire remarquer l’absence et de consigner le regret si bien senti et si délicatement touché qu’on vient de lire.
On a dit qu’il tenait de Newton et de Descartes, et qu’il oscillait un peu entre leurs deux méthodes : j’oserai penser que c’est plutôt de Newton et de Milton qu’il participe, et que la part systématique chez lui avait surtout le caractère poétique le plus élevé. […] Et reporté vingt-huit ans après sur le même sujet d’attaque en reprenant, dans ses Époques de la nature, ce même ensemble de vues et de travaux : Tâchons néanmoins, disait-il, de rendre la vérité plus palpable ; augmentons le nombre des probabilités ; rendons la vraisemblance plus grande ; ajoutons lumières sur lumières, en réunissant les faits, en accumulant les preuves, et laissons-nous juger ensuite sans inquiétude et sans appel ; car j’ai toujours pensé qu’un homme qui écrit doit s’occuper uniquement de son sujet et nullement de soi ; qu’il est contre la bienséance de vouloir en occuper les autres, et que, par conséquent, les critiques personnelles doivent demeurer sans réponse. […] En plein été il travaillait dans un cabinet très élevé, et dont la voûte ressemblait à celle des églises et des anciennes chapelles : « M. de Buffon, dit Mme Necker, pense mieux et plus facilement dans la grande élévation de sa tour, à Montbard, où l’air est plus pur ; c’est une observation qu’il a faite souvent. » Là, dans une salle nue, devant un secrétaire de bois, il méditait, il écrivait.
Quand il se sent une passion principale et dominante, si noble qu’elle soit, Louis XIV cherche à ne pas écouter qu’elle seule, mais à la contrebalancer par d’autres qui soient également en vue de l’État : « Il faut de la variété dans la gloire comme partout ailleurs, et en celle des princes plus qu’en celle des particuliers ; car qui dit un grand roi, dit presque tous les talents ensemble de ses plus excellents sujets. » Il est des talents où il ne pense point qu’un roi doive trop exceller ; il lui est bon et honorable d’y être surpassé par les autres ; mais il doit les apprécier dans tous. […] Il pensait, et il le dit expressément à son fils, que « les empires ne se conservent que comme ils s’acquièrent, c’est-à-dire par la vigueur, par la vigilance et par le travail ». […] Il voudrait que son fils, au lieu de s’arrêter en chemin, et de regarder autour de lui et au-dessous de lui, ceux qui valent moins, reportât ses regards plus haut : Pensez plutôt à ceux qu’on a le plus sujet d’estimer et d’admirer dans les siècles passés, qui d’une fortune particulière ou d’une puissance très médiocre, par la seule force de leur mérite, sont venus à fonder de grands empires, ont passé comme des éclairs d’une partie du monde à l’autre, charmé toute la terre par leurs grandes qualités, et laissé depuis tant de siècles une longue et éternelle mémoire d’eux-mêmes, qui semble, au lieu de se détruire, s’augmenter et se fortifier tous les jours par le temps.
On a dit que c’était à Gourville que La Bruyère avait pensé dans la page célèbre qui commence par ces mots : « Ni les troubles, Zénobie, qui agitent votre empire… » Le peintre moraliste y montre les palais et les magnificences de bâtiments d’une grande reine, ne paraissant pas encore dignes de lui à un enrichi qui n’achète cette royale maison que pour l’embellir. […] Mais il y a loin de ces travaux d’embellissement, qui l’engagèrent plus qu’il n’aurait voulu d’abord, au laborieux tableau tracé par La Bruyère ; et j’aime à penser que, si l’observateur moraliste avait songé à Gourville, ç’aurait été plutôt pour peindre ce personnage naturel et original, par les côtés vraiment singuliers et caractéristiques qui en font un individu-modèle dans son espèce. […] Il pense bien que Bordeaux, ayant eu une fois un avant-goût de la paix et de la vendange, ne voudra rien remettre en question par égard pour Duretête, et, au pire, qu’il sera toujours temps de revenir à l’amnistie première.
Decazes qui lui promit justice : « Quand on saura à Tours, écrivait-il à sa femme, que nous avons à Paris des gens qui pensent à nous, on nous laissera tranquilles… Je vois qu’on se fait ici un honneur et une gloire de me protéger. » Il y eut là un moment d’indécision pour Courier et qui tint à peu de chose ; On cherchait à le rallier, il n’était pas encore irréconciliable. […] J’ai quelquefois pensé qu’à cette époque où Courier se servait de ces instruments et de ces prétextes rustiques pour en faire des malices exquises aux gens d’en haut, il y avait en France un autre vrai laboureur et vieux soldat, que je ne donne pas comme un modèle d’atticisme, et qui aurait peu, je crois, goûté Longus, mais qui voulait sans rire l’amélioration du labour et de la terre, et le bien-être du laboureur en lui-même. […] Les vrais amateurs, aujourd’hui, et désormais, je le pense, aimeront mieux Courier dans ses lettres que dans ses pamphlets ; je le goûte plus, pour mon compte, quand il est de la famille de Brunck ou d’Horace que quand il veut se rattacher à celle de Swift ou de Franklin.
Son secrétaire et sa fille lui faisaient les lectures qu’il ne pouvait plus faire lui-même : « Je suis accablé de lassitude, écrivait-il (31 mars 1747) ; je compte de me reposer le reste de mes jours. » L’idée d’ajouter à son ouvrage une digression sur l’origine et les révolutions des lois civiles en France, ce qui forme les quatre derniers livres de L’Esprit des lois, ne lui vint que tout à la fin : J’ai pensé me tuer depuis trois mois, disait-il (28 mars 1748), afin d’achever un morceau que je veux y mettre, qui sera un livre de l’origine et des révolutions de nos lois civiles de France. […] Et l’ouvrage terminé et publié à Genève, il s’écriait : « Mais j’avoue que cet ouvrage a pensé me tuer : je vais me reposer, je ne travaillerai plus. » Quelque chose de cet effort, si vivement accusé par Montesquieu, a passé dans son ouvrage. […] Vous pensez que vous n’humiliez personne, et vous humiliez tout le monde ; et, quand je vous compare dans mon idée avec ces hommes absolus que je vois partout, je les précipite de leur tribunal, et je les mets à vos pieds.
Certes, il ne faut pas trop penser à l’Othello et à la Venise de Shakespeare en lisant cette pièce. […] — « Penses-y deux fois, je t’en prie : À jeun, mal chaussé, mal vêtu, Pauvre diable, comment peux-tu Sur un billet de loterie Mettre ainsi ton dernier écu ? […] [NdA] Et peut-être il ne fallut que cette épigramme qui courut sous le nom d’Arnault : Quoi qu’on pense et qu’on puisse dire, Le règne des Bourbons me cause de l’effroi.
Elles ont l’air toutes banales, semblent ne rien dire, et en effet elles disent beaucoup moins qu’elles n’insinuent, ne suggèrent, ne donnent à penser, à entrevoir, à deviner. […] Si quelqu’un me voit en ce moment, pensait-il, je remettrai… Mais nulle part ne se montra un visage humain. […] Tout n’est que fumée et vapeur, pensait-il, tout paraît perpétuellement changer, une image remplace l’autre, les phénomènes, succèdent aux phénomènes mais en réalité tout reste la même chose ; tout se précipite tout se dépêche d’aller on ne sait où, et tout s’évanouit sans laisser de trace, sans avoir rien atteint ; le vent a soufflé d’ailleurs, tout se jette du côté opposé, et là recommence sans relâche le même jeu fiévreux et stérile. » Ailleurs ces passages attristés ne manquent pas, et même dans les pages les plus souriantes, on voit que la plume est tenue par un homme qui connaît la vanité d’énormément de choses, qui s’en afflige, qui s’en persuade et ne peut cependant se résigner à la vanité de son propre être.
Les croquemorts étourdis qui les y avaient portés n’y pensèrent plus ! Louis XV mourut, la Révolution vint, l’empereur brilla et s’éteignit comme l’éclair du canon, et les manuscrits de Saint-Simon, ensevelis dans leurs cartons, et y restant gardés comme des odalisques par des eunuques qui ne pensaient même pas à regarder la beauté de ce qu’ils gardaient par un trou de serrure quelconque, attestèrent l’étrange amour que les gouvernements ont toujours eu pour les lettres en France ! […] IV On ne sait vraiment que penser de ce changement de front entre ces deux fronts, dont l’un, hautain et sourcilleux, se tenait si roide devant l’autre, relevé maintenant de sa poussière, essuyé de son abjection !
IV C’est dans cette préface du dictionnaire qu’il ne fit point, et auquel il pensa toujours, que Rivarol — dit très bien Sainte-Beuve — introduisit sa politique et sa métaphysique sur lesquelles, selon moi, Sainte-Beuve, qui a vu pourtant dans Rivarol le mal que le monde fait à la pensée, l’a cependant beaucoup trop favorablement jugé. […] J’aimerais à penser que ce fut de mépris, mais M. de Lescure nomme la maladie qui l’emporta. […] Mais, c’est par ces simplicités toutes puissantes qu’il a toujours quand il pense ou parle en histoire, qu’il mérite le nom glorieux que Burke, critique ce jour-là, lui avait donné.
Seulement, qui l’eût pensé jamais ? […] Éclatante réplique au fameux axiome : Mens sana in corpore sano, de l’École de Salerne, qui renvoie si fièrement à l’école cette École… Heine, à travers la sympathique pitié qu’il est impossible de ne pas sentir pour des maux si grands, inspire pourtant je ne sais quelle joie orgueilleuse à ceux-là qui croient à la spiritualité humaine et qui pensent que, dans la créature de Dieu, les organes ne doivent pas être les maîtres, mais les serviteurs. […] … Et pour la pardonner aux éditeurs, il faut penser qu’après tout c’est peut-être mieux comme cela, que le monde, si indifférent aux poètes, sache bien ce qu’un grand poète — l’un des plus grands de tous — a pu souffrir pour tout le bonheur qu’il nous a donné !
Il pense, lui aussi, comme Diderot12, qu’il faut élargir Dieu pour faire tomber les murs des Églises. […] « Quand l’historien de Jésus-Christ, dit-il, sera aussi libre dans ses appréciations que l’historien de Mahomet et de Bouddha, il ne songera pas à injurier ceux qui ne pensent pas comme lui. » Raison pitoyable ! […] Il s’est contenté d’y joindre une préface où il se félicite d’avoir pensé comme MM. tel et tel d’Allemagne et de ne différer que de quelques nuances de ces grands hommes, qui ne sont encore que de grands Allemands.
Aucun besoin de penser. […] C’est tout un genre, dont je ne pense pas que M. […] Je dirai jusqu’au bout ce que je pense, puisque me voilà lancé. […] Paul Delairce que je pense. […] Ce sont là des autorités, je pense, et qui comptent aujourd’hui, dans nos idées modernes.
Nul ne pense à mettre en doute le triomphe de la France. » Mais, dans cette bouillante armée, les chefs, dévoués eux-mêmes et pleins de vigueur, sentant qu’il y allait pour la plupart de leur destinée et qu’ils jouaient le jeu terrible de tout ou rien, n’étaient pas cependant dans un parfait rapport avec le soldat. […] Ney attendait donc pour agir le corps de Reille, et, sur son ordre pressant, il ne vit arriver en premier lieu que Reille lui-même en personne, dont les divisions ne se mirent en mouvement pour rejoindre qu’un peu plus tard, et dont les conseils prudents, les remarques à l’égard des Anglais et du caractère particulier de leurs troupes, ne laissaient pas de lui donner à penser.
« Quand on leur disait : « Au nom de tout ce qui est sacré, pensez à l’injustice, à l’atrocité de ce qu’on vous ordonne, » ils répondaient : « Nous ne pensons point, nous obéissons. » « Et quand on leur disait : « N’y a-t-il plus en vous aucun amour pour vos pères, vos mères, vos frères et vos sœurs ?
Car, loin de nous de penser que le devoir et l’office de la critique consistent uniquement à venir après les grands artistes, à suivre leurs traces lumineuses, à recueillir, à ranger, à inventorier leur héritage, à orner leur monument de tout ce qui peut le faire valoir et l’éclairer ! […] Quand il marche, voyez-le, le cou penché, voyageur sans but, rêveur effaré, courbant son vaste front sous la voûte du monde : Que faire et que penser ?
Oui, nous sommes encore et nous resterons, je l’espère, quelque chose de tout cela ; à ceux qui pensent que notre jeunesse est en train de se faire doctrinaire, à ceux qui craignent que la future République n’affecte trop un jour le goût américain, nous répondrons par ce carnaval de 1833. […] La légitimité est un peu plus morte que devant ; le dogme de l’hérédité n’est pas plus affermi, je pense.
Toutes les fois qu’on lit dans Bossuet les triomphes de Dieu, on pense à ceux du prince ; le paradis qu’il décrit n’est pas fort différent de Versailles ; l’assemblée des élus est une cour où l’on distribue beaucoup de cordons bleus, et l’orateur lui-même, du haut de sa chaire, tonne par les mains de « son grand Dieu », comme l’ambassadeur en Hollande foudroyait les pauvres mynhers de la colère de son roi. — Et remarquez bien que ce dieu monarchique se trouve comme le roi placé entre le despote asiatique et le souverain moderne. […] Les cerfs bondissants et agiles rappellent Diane « qui aime les cris de chasse, et tend son arc d’or » ; et, lorsqu’on voit les grands troupeaux paître tranquillement l’herbe abondante, on pense volontiers à la terre divine, nourrice des choses, qui fait tout sortir de son sein maternel. — Comparez à ces images la mythologie ridicule des auteurs graves.
Tous pensaient qu’il vivait dans une sphère supérieure à celle de l’humanité. […] Je pense que le chemin taillé dans le roc, près d’Aïn-et-Tin, en faisait partie, et que la route se dirigeait de là vers le Pont des filles de Jacob, tout comme aujourd’hui.
Tout comme Néron chante dans sa joie délirante de vers qu’il n’a point faits et déshonore Homère de sa bave impériale, Annunzio clame, bacchant écumant, des images volées à Shelley, des chansons cambriolées dans Maeterlinck, des « pensées » prises à tous, à ceux qui pensent et à ceux qui ne pensent pas.
Cet aimable et charmant débris de cour n’avait qu’un défaut : il ne pensait pas. […] Un jour qu’il avait été obligé de le quitter deux heures, il le retrouvait sur la place où il avait accroché le sous-préfet, et lui racontait comment les petites filles s’amusent dans les pensions.
Ces idées germèrent dans son esprit, et il pensa qu’en disposant de la sorte les figures par lesquelles se traduirait sa pensée, il pourrait, au dénoûment, grande et morale conclusion, à son sens du moins, faire briser la fatalité par la Providence, l’esclave par l’empereur, la haine par le pardon. Comme dans toute œuvre, si sombre qu’elle soit, il faut un rayon de lumière, c’est-à-dire un rayon d’amour, il pensa encore que ce n’était point assez de crayonner le contraste des pères et des enfants, la lutte des burgraves et de l’empereur, la rencontre de la fatalité et de la Providence ; qu’il fallait peindre aussi et surtout deux cœurs qui s’aiment ; et qu’un couple chaste et dévoué, pur et touchant, placé au centre de l’œuvre, et rayonnant à travers le drame entier, devrait être l’âme de toute cette action.
C’est pourquoi la plupart des sages ont pensé que les études philosophiques avaient un extrême danger pour la multitude. […] « Notre connaissance, dit-il, étant resserrée dans des bornes si étroites, comme je l’ai montré, pour mieux voir l’état présent de notre esprit, il ne sera peut-être pas inutile… de prendre connaissance de notre ignorance, qui… peut servir beaucoup à terminer les disputes… si, après avoir découvert jusqu’où nous avons des idées claires… nous ne nous engageons pas dans cet abîme de ténèbres (où nos yeux nous sont entièrement inutiles, et où nos facultés ne sauraient nous faire apercevoir quoi que ce soit), entêtés de cette folle pensée que rien n’est au-dessus de notre compréhension 153. » Enfin, on sait que Newton, dégoûté de l’étude des mathématiques, fut plusieurs années sans vouloir en entendre parler ; et de nos jours même, Gibbon, qui fut si longtemps l’apôtre des idées nouvelles, a écrit : « Les sciences exactes nous ont accoutumés à dédaigner l’évidence morale, si féconde en belles sensations, et qui est faite pour déterminer les opinions et les actions de notre vie. » En effet, plusieurs personnes ont pensé que la science entre les mains de l’homme dessèche le cœur, désenchante la nature, mène les esprits faibles à l’athéisme, et de l’athéisme au crime ; que les beaux-arts, au contraire, rendent nos jours merveilleux, attendrissent nos âmes, nous font pleins de foi envers la Divinité, et conduisent par la religion à la pratique des vertus.
Mais que penseriez-vous de moi, si j’osais vous dire que toutes ces têtes de ressuscités, belles sans doute et de grand effet, sont fausses ? […] Ce sont des riens ; mais quand un homme pense à ces riens, il n’oublie pas les grandes choses.
Mais, d’une fierté, d’une honnêteté niaise et sublime, Rodolphe avait la bonhomie de penser qu’il est indigne d’un artiste d’ameuter le public au bruit de la grosse caisse, et qu’il est bien de laisser cela aux marchands de crayons. — Rien qu’une démarche, une simple démarche prenait à ses yeux des proportions monstrueuses. […] C’est vous dire qu’il ne pensa pas une seule minute à se mettre en quête des maisons à vendre, ni même des maisons à louer.
Je ne suis point de ceux qui pensent que les femmes puissent faire de l’histoire, dans le sens réel et vigoureux de ce mot. […] mais qu’a-t-elle pensé ?
Qui voudra connaître les derniers jours de la vie arabe lira Daumas, et qui pensera à ce noble peuple, à cette perle de peuple que nos mœurs occidentales vont dissoudre, pensera à ce qu’il en a raconté.
Que penser donc d’une société si affolée de théâtre qu’elle se fait théâtre elle-même, et, lasse de son personnage vrai, entre dans des rôles qu’elle répète ? […] Nous pensons qu’en les dirigeant, qu’en exerçant sur eux la haute main qu’ils doivent toujours sentir, invisible et présente, sur leur tête, les théâtres peuvent servir à mieux qu’à l’amusement, c’est-à-dire à l’éducation des peuples ; seulement, ici, oserait-on vraiment nous opposer la littérature dramatique ?
Cela n’est pas vrai, ou, si cela l’est, cela ne l’est pas en soi, comme le pense Emerson, mais par le fait de telle ou telle circonstance qui est entre nous et le poète. […] Ni Aubrey, le premier historien de Shakespeare, qui écrivait cinquante ans après la mort de ce grand homme, compris par le public de son temps avec la finesse et la sûreté d’appréciation ordinaires à toutes les foules et à tous les publics ; ni Nathan Drake, qui a fait un livre énorme sur Shakespeare qu’il appelle Shakespeare et son temps (Shakespeare and His Time), un titre, je crois, de la connaissance de Guizot ; ni Guizot enfin, lequel pourtant, je m’imagine, ne doit pas être l’ennemi complet du représentatif dans l’humanité, n’ont pensé comme Emerson et, comme lui, fait également bon marché de la prodigieuse originalité du génie de Shakespeare et de la vie privée de cet homme phénoménal, — à lui seul tout un monde perdu, qui attend encore son Cuvier !
J’ai voulu la faire ; j’ai voulu la penser ; j’ai voulu la parler ; j’ai voulu mettre à leur place les hommes et les choses ; j’ai voulu prendre leur mesure et la donner… J’ai promené la balance à travers le monde intellectuel, n’ayant qu’un poids et qu’une mesure, et j’ai laissé les plateaux monter et descendre comme ils voulaient, abandonnés aux lois de l’équilibré… Les chapitres de ce livre ne sont pas juxtaposés par une unité mécanique, mais ils sont liés, si je ne me trompe, par une unité organique, et cette unité, c’est la faim et la soif de la « Justice. » Et comme le mystique ne s’éteint jamais, ainsi que je Fai dit, dans M. […] Ernest Hello pense plus qu’il ne peint.
Voilà pourtant ce que l’auteur du livre de La Femme et l’Enfant n’a pas compris, ou ne s’est pas rappelé, quand il a pensé à alléger la masse de douleurs et de misères pour lesquelles l’Église catholique a plus fait que toutes les civilisations réunies. […] Et si, au contraire, comme nous le pensons, il ne veut pour l’heure, en quoi que ce puisse être, se réclamer de la philosophie du xviiie siècle, s’il croit même qu’elle est de nature à compromettre ses idées, pourquoi ne s’est-il pas rendu compte des influences latentes et ambiantes sous l’empire desquelles il a écrit ?
Pour nous taire sur un pareil ouvrage, nous pensons trop que le xviiie siècle, dont Voltaire fut le chef et presque le Dieu, a été l’un des siècles les plus funestes à la France et au monde. […] Nous pensons trop que de ce siècle, qui n’est pas jugé, puisqu’on le loue encore, tout est radicalement mauvais, — mauvais par l’erreur de l’esprit, par le vice du cœur et même par les contre-sens de la gloire, pour ne pas accueillir avec applaudissement un livre qui fait la preuve, souveraine et multiple, de la perversité de doctrine, de mœurs et de renommée de ce siècle déperdition.
Et cette comédie, — lâchée, dans un quart d’heure de loisir forcé, par cet homme qui a l’infirmité de n’être jamais une minute sans penser, bon Dieu ! […] Il a peut-être pensé à Proudhon.