/ 1798
708. (1929) Les livres du Temps. Deuxième série pp. 2-509

Louis Roche, on s’imaginerait que le bonhomme s’est livré à de si épouvantables orgies que ce biographe ne peut les raconter par respect pour ses lecteurs. […] C’est, en outre, dans un intérêt moral, mais non point de la façon que vous allez peut-être imaginer. […] Qui voudrait immoler au Moloch moral imaginé par Rousseau toute vie sociale, esthétique et intellectuelle ? […] On s’imaginait que ces mœurs avaient disparu, grâce aux progrès de l’esprit critique et du respect des maîtres. […] Telle est la prosopopée de l’islam, imaginée par les frères Tharaud.

709. (1902) Le problème du style. Questions d’art, de littérature et de grammaire

S’imagine-t-on qu’une œuvre d’art, poétique ou plastique, existe en soi ? […] Imaginer, c’est associer des images et des fragments d’images ; cela n’est jamais créer. […] Au dix-septième siècle, quand on imagina de masculiniser œuvre, on croyait que le mot était dérivé du latin opus. […] On tolérera la suppression du trait d’union dans ces constructions. » Par quelle aberration peut on s’imaginer que qu’est ceci est identique à qu’est-ce ci ? […] S’imagine que tout heureuses, c’est-à-dire « très heureuses » est identique à toutes heureuses, c’est-à-dire « nous toutes, sommes heureuses », cela va loin.

710. (1925) Promenades philosophiques. Troisième série

On se souvient peut-être qu’il y a quelques années Brown-Séquard et Landouzy imaginèrent l’opothérapie. […] Imaginez des paradis, utopistes ! […] Personne ne s’imaginera qu’il peut jouer du violon sans l’avoir appris ; et s’il se l’imaginait, d’ailleurs, la moindre tentative calmerait vite sa prétention. […] Il allait jusqu’à imaginer des processions dans l’intérieur de sa maison. […] On ne peut rien imaginer de plus païen, de plus doucement antichrétien.

711. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DE LA MÉDÉE D’APOLLONIUS. » pp. 359-406

Apollonius, d’après ce qui précède, eût été fort capable, on le voit, d’imaginer quelque artifice du même genre ; mais Jason n’avait point de fils. […] ajoute ingénument Médée : je l’ai juré et je suis prête à tenter pour tes enfants tout ce que je puis. » C’est alors que Chalciope répond : « Ne pourrais-tu pas (fais cela pour mes enfants) imaginer quelque ruse, un expédient quelconque, dans la grande épreuve, en faveur de cet étranger qui lui-même en a tant besoin ? […] Je m’imaginai que, lorsque vous vous arrêtiez, vous étiez bien aise que je vous visse mieux et que j’admirasse votre adresse lorsque vous poussiez votre cheval.

712. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIe entretien. Socrate et Platon. Philosophie grecque (1re partie) » pp. 145-224

Le type suprême et universel de ces idées, l’exemplaire primitif et sans autre exemplaire que lui-même de ces idées, c’est Dieu, idée par excellence, qui a tout imaginé et créé à son image, âme et matière, il porte en lui les essences, c’est-à-dire les qualités essentielles, fondamentales, de tous les êtres animés ou inanimés. […] Reprenons le drame : XXIV « Voilà pourquoi, mes chers amis, dit Socrate après un moment de recueillement, le vrai philosophe s’exerce à la force et à la tempérance, et nullement par toutes les raisons que s’imagine le peuple. » Les disciples, à ces mots, s’entreregardent en silence et semblent craindre de proposer à Socrate un doute qui lui rappelle sa tragique situation et le peu d’heures qui lui restent à vivre. […] « Pour moi, la destinée m’appelle aujourd’hui, comme dirait un poète tragique, et il il est temps que j’aille au bain, car il me semble qu’il est mieux de ne boire le poison qu’après m’être baigné et d’épargner aux femmes la peine de laver un cadavre. » Puis, souriant : « Je ne saurais pourtant persuader à Criton que je suis bien le Socrate qui s’entretient ainsi avec vous, et qui ordonne avec sang-froid toutes les parties de son discours ; il s’imagine toujours que je suis déjà celui qu’il va voir mort tout à l’heure, et il me demande comment il doit m’ensevelir.

713. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XVI. La littérature et l’éducation publique. Les académies, les cénacles. » pp. 407-442

Or, si un enseignement historique exclusif, aidé d’une rhétorique assortie, a pu avoir pareilles conséquences, on peut imaginer combien il importe de noter dans l’enseignement littéraire l’espace accordé aux différentes branches. […] Compayré rappelle164 qu’au début du xviie  siècle les cahiers d’un rhéteur de la décadence nommé Aphtonius jouirent dans les collèges d’une estime singulière ; or les exercices littéraires imaginés par cet obscur praticien en l’art de bien dire étaient d’une rigoureuse uniformité ; l’ordre des développements y était toujours le même ; la marche de la pensée y était réglée comme celle d’un automate. […] Le poète entend bafouer, j’imagine, dans ces harangues d’apparat la pauvreté d’idées, l’absence de sentiments forts et sincères.

714. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre deuxième. L’idée de l’espace. Son origine et son action »

On n’imagine pas pour cela une forme a priori de couleur, de son, d’odeur, ni des sensations innées. […] Vous ne pouvez même, d’aucune façon concevable, penser la relation sans imaginer la ligne, quoique vaguement, ou décrire et indiquer les relations sans tracer la ligne. Du moment que vous avez imaginé ou tracé la ligne, la relation est là devant vous, et devant votre interlocuteur. » Il faudra réfléchir sur cette impression pour en abstraire les caractères géométriques ; mais, encore un coup, avant d’être aperçue et réfléchie, la relation est sentie, grâce à un complexus de sensations simultanées ; et elle est sentie sous la forme déterminée de la ligne, qui seule la réalise et la constitue en fait.

715. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Gustave Flaubert. Étude analytique » pp. 2-68

Mannaëi, le décharné bourreau d’Hérode, la vieille nourrice au profil de bête qui sert Salammbô, sont dépeints en traits dont le lecteur doit imaginer l’ensemble. […] Félicité, la simple bonne de Mme Aubain, porte au catéchisme où elle accompagne la fille de sa maîtresse, une sensibilité délicate et tactile, jusqu’à de pareilles élévations : « Elle avait peine à imaginer sa personne ; il n’était pas seulement oiseau mais encore un feu et d’autres fois un souffle, c’est peut-être sa lumière qui voltige la nuit, au bord des marécages, son haleine qui pousse les nuées, sa voix qui rend les cloches harmonieuses ; et elle demeurait dans une adoration, jouissant de la fraîcheur des murs et de la tranquillité de l’église. » En s’accoutumant à rendre le dialogue en style indirect, Flaubert se débarrasse encore, de la nécessité des modernistes, forcés de hacher leur phrase à la mesure de paroles lâchées. […] En cette œuvre se reflète toute l’âme de Flaubert, cet esprit contradictoire et déchiré, que le réel sollicitait et repoussait, que la beauté attirait mais qui ne parvint à l’imaginer qu’antique et documentaire, qui sentit la séduction du mystère et fut le plus explicite des stylistes, qui conçut la synthèse du particulier dans le général et cependant disséqua des âmes particulières, écrivit en phrases analytiques et discrètes, et s’abstint de toute généralisation.

716. (1856) Cours familier de littérature. I « IVe entretien. [Philosophie et littérature de l’Inde primitive (suite)]. I » pp. 241-320

Quand l’émotion, au contraire, est extrême, exaltée, infinie ; quand l’imagination de l’homme se tend, et vibre en lui jusqu’à l’enthousiasme ; quand la passion réelle ou imaginaire l’exalte ; quand l’image du beau dans la nature ou dans la pensée le fascine ; quand l’amour, la plus mélodieuse des passions en nous, parce qu’elle est la plus rêveuse, lui fait imaginer, peindre, invoquer, adorer, regretter, pleurer ce qu’il aime ; quand la piété l’enlève à ses sens et lui fait entrevoir, à travers le lointain des cieux, la beauté suprême, l’amour infini, la source et la fin de son âme, Dieu ! […] Il imagine de faire de ces cygnes les messagers discrets de son amour. […] Les jeunes filles, pour s’exercer à la course, imaginent de choisir chacune un de ces cygnes, et de le poursuivre à travers les prés, rivalisant à qui atteindrait la première l’oiseau rapide qu’elle désigne d’avance à ses compagnes.

717. (1857) Cours familier de littérature. III « XIIIe entretien. Racine. — Athalie » pp. 5-80

Mme de Maintenon imagina donc de transporter le théâtre à Saint-Cyr, de faire de ses belles élèves des actrices naïves de ces représentations théâtrales, et d’illustrer ces représentations de Saint-Cyr par la présence de la cour et par le génie emprunté aux plus grands poètes de son siècle. […] Il ferma l’histoire profane, Sophocle, Euripide, Sénèque, tout ce monde fabuleux, olympien, païen, dans lequel il avait jusque-là paganisé son génie ; il ouvrit les livres sacrés pleins d’un autre ciel, d’une autre histoire, d’un autre style ; il ne souffla pas, pour les rallumer, sur les charbons éteints du trépied et du lyrisme grecs, mais il prit hardiment les charbons vivants dans le foyer du tabernacle juif et chrétien pour en réchauffer son âme ; il s’inspira de ce qu’il croyait et non de ce qu’il imaginait ou de ce qu’il imitait. […] « Jusque-là il n’avait point été question de moi, et on n’imaginait pas que je dusse y représenter un rôle ; mais me trouvant présente aux récits que M. 

718. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — II » pp. 57-80

En vérité, je ne puis imaginer comment il serait au pouvoir de M. le prince de Bade d’avoir l’appareil nécessaire pour deux sièges. […] Voici ce post-scriptum, qui n’est plus d’un homme qui badine, mais d’un général : Sur ce que vous me faites l’honneur de me dire que le courtisan veut s’imaginer que j’évite la jonction, j’aurai celui de vous répondre que je la désire passionnément, mais que je regarde le commandement d’une armée séparée de nos frontières comme l’emploi le plus difficile qui ait jamais été donné à personne.

719. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville »

Aux États-Unis, on n’a ni guerre, ni peste, ni littérature, ni éloquence, ni beaux-arts, peu de grands crimes, rien de ce qui réveille l’attention en Europe ; on jouit ici du plus pâle bonheur qu’on puisse imaginer. […] Mais les scènes, chez lui, ont besoin d’être préparées et comme expliquées d’avance ; il est de ceux qui croient devoir disposer la pensée avant de parler aux yeux : « Vous saurez donc, dit-il en écrivant à sa mère (25 décembre 1831), que les Américains des États-Unis, gens raisonneurs et sans préjugés ; de plus, grands philanthropes ; se sont imaginé, comme les Espagnols, que Dieu leur avait donné le Nouveau Monde et ses habitants en pleine propriété.

720. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — L'abbé de Lamennais en 1832 »

Et certes, il la connaît mieux cette cité de transition qu’il a laissée en arrière, et qu’il ne voit aujourd’hui que comme un amas de tentes mal dressées, il la connaît mieux que nos myopes turbulents qui, logés dans quelque pli, s’y cramponnent et s’y agitent ; qui, du sein des coteries intestines de leurs petits hôtels, s’imaginent qu’ils administrent ou qu’ils observent, savent le nom de chaque rue, l’étiquette de chaque coin, font chaque soir aux lumières une multitude de bruits contradictoires, et avec l’infinie quantité de leurs infiniment petits mouvements n’arriveront jamais à introduire la moindre résultante appréciable dans la loi des destinées sociales et humaines.  […] Son vœu à l’origine, son faible secret ne fut autre, assure-t-il, que celui des poëtes, une solitude profonde, un loisir semé de fantaisie comme l’ont imaginé Horace et Montaigne, ou encore le vague des passions indéfinies, ou l’entretien mélancolique des souvenirs.

721. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. EUGÈNE SUE (Jean Cavalier). » pp. 87-117

Avec toute autre époque on peut, je m’imagine, éluder jusqu’à un certain point ; on emprunte quelque appareil de ce temps-là, quelques locutions qui sentent leur saveur locale ; on se déguise, on jette du drame à travers, et l’on paraît s’en tirer. […] J’imagine qu’il voulait voir par une sorte de gageure jusqu’où, cette fois, il pourrait conduire du premier pas ses belles lectrices, et si les grandes dames ne reculeraient pas devant le tapis franc.

722. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. NISARD. » pp. 328-357

Tandis que ces personnes de talent brillant et d’imagination vive nous développent des vues générales et des synthèses sur le passé, comment veulent-elles qu’on ne doute pas un peu de la réalité de l’idée, quand on les sait se tromper si à bout portant dans les coalitions qu’elles s’imaginent voir éclore sous leurs propres yeux ? […] Nisard lui refusent la facilité de travail ; il en a au contraire une extrême, j’imagine ; et, si quelque reproche était à lui faire sur son plus ou moins de facilité, ce serait plutôt de jouir d’une plume trop abondante.

723. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre premier. Mécanisme général de la connaissance — Chapitre premier. De l’illusion » pp. 3-31

Le magnétisé manifeste alors une violente terreur qui se peint sur tous ses traits, et il donne tous les signes d’une conviction positive. » Quand une personne est hypnotisée, dit le docteur Tuke7, souvent « on lui fait croire par suggestion qu’elle voit un individu absent… De même on peut arriver à lui faire imaginer qu’elle entend jouer sur un instrument de musique un air déterminé, alors qu’il ne se produit aucun son ». […] Ce fauteuil qui est à trois pas de moi ne donne à mes yeux que la sensation d’une tache verte diversement ombrée selon ses diverses parties ; et cependant, sur cette simple indication visuelle, je juge qu’il est solide, moelleux, qu’il a telle grandeur et telle forme, qu’on peut s’asseoir dessus ; en d’autres termes, j’imagine comme certaine une série de sensations musculaires et tactiles que mes mains et mon corps auront, si j’en fais l’expérience à son endroit. — Enfin, dans la conscience de nos sensations présentes, il y a des images : car, lorsque nous avons conscience d’une douleur, d’une saveur, d’un effort musculaire, d’une sensation de froid ou de chaud, nous la situons en tel ou tel endroit de nos organes ou de nos membres ; en d’autres termes, ma sensation éveille l’image des sensations tactiles, visuelles et musculaires que j’emploierais pour reconnaître l’endroit où se produit l’ébranlement nerveux.

724. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis »

« Il ne faut pas pourtant s’imaginer qu’au milieu de ses études et de ses occupations sérieuses, Laurent fût insensible à cette passion qui, dans tous les temps, a été l’âme de la poésie, et qu’il a représentée dans ses propres écrits avec tant de philosophie et sous des aspects si variés. […] Dum pulchra effertur nigro Simonetta feretro, Blandus et examini spirat in ore lepos, Nactus Amor tempus quo non sibi turba caveret, Jecit ab occlusis mille faces oculis: Mille animos cepit viventis imagine risus: Ac Morti insultans, Est mea, dixit, adhuc ; Est mea, dixit, adhuc ; nondum totam eripis illam, Illa vel exanimis militat ecce mihi.

725. (1892) Boileau « Chapitre IV. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » » pp. 89-120

, cette imagination m’irrite plus qu’elle ne m’attire… Voyez nos grands romanciers contemporains : leur talent ne vient pas de ce qu’ils imaginent, mais de ce qu’ils rendent la nature avec intensité… Tous les efforts de l’écrivain tendent à cacher l’imaginaire sous le réel… Vous peignez la vie : voyez-la avant tout telle qu’elle est, et donnez-en l’impression. […] Il attribue une valeur absolue à des choses toutes relatives, et s’imagine trop facilement que la vérité et le naturel d’Athènes seront aussi vérité et naturel à Paris.

726. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre IV. Le théâtre romantique »

Les bizarres romans qu’il imagine pour corser son intrigue, les fantastiques passions dont il enfle ses caractères, sont presque toujours en complet désaccord avec les mœurs des temps où il localise son drame. […] Et ce sont aussi des pays de rêve, qu’il nous montre, c’est son rêve d’une Allemagne, d’une Italie, d’un xviiie  siècle, d’une Renaissance, qu’il imagine tour à tour comme le milieu le plus en harmonie avec la disposition actuelle ou la crise récente de sa sensibilité.

727. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre huitième »

Qu’on s’imagine sa surprise et son enchantement quand il passe des vérités du dix-septième siècle à celles du dix-huitième, des Pensées de Pascal, par exemple, à l’Esprit des lois de Montesquieu. […] « Ceux qui ont indécemment attaqué l’Esprit des lois, dit-il, lui doivent peut-être plus qu’ils n’imaginent. » Il eût préféré sans doute louer Montesquieu d’autre chose.

728. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre neuvième »

Tout ce qu’on nous explique, nous croyons le comprendre, et nous ne sommes pas loin de nous imaginer que les seules choses dont on puisse bien juger sans études, c’est la société et l’État. […] Je doute fort qu’en fait de peines proportionnées aux délits, on aille jusqu’à condamner l’incendiaire, « qu’on brûlait, dit Voltaire, en cérémonie », à rebâtir la grange incendiée, puis « à veiller toute sa vie, chargé de chaînes et de coups de fouet, à la sûreté de toutes les granges du voisinage. » Je doute qu’on imagine jamais de punir le faux monnayeur, en le forçant de fabriquer toute sa vie en prison la monnaie de l’État ; le faussaire, en le contraignant à copier de bons ouvrages, ou à transcrire sa sentence sur les registres des juges.

729. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « L’expression de l’amour chez les poètes symbolistes » pp. 57-90

Il est instruit, j’imagine, de notre genèse paléontologique et sait quels liens nous rattachent aux mammifères pithécoïdes. […] C’est à ce type suprême d’aristocratie humaine que marchent les poètes symbolistes, alors qu’ils s’imaginent simplement reprendre, par dilettantisme, un rêvé de décadence.

730. (1890) L’avenir de la science « XXII » pp. 441-461

Au plus humble degré est le dogmatisme absolu des ignorants et des simples, qui affirment et croient par nature et n’ont pas aperçu les motifs de douter  Quand l’esprit, longtemps bercé dans cette foi naïve, commence à découvrir qu’il a pu être le jouet de sa croyance, il entre en suspicion et s’imagine que le plus sûr moyen pour ne pas être trompé, c’est de rejeter toute chose : premier scepticisme qui a aussi sa naïveté (sophistes, Montaigne, etc.)   […] J’imagine de même que ceux qui nous rendront la grande originalité ne seront pas des politiques, mais des penseurs.

731. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Malesherbes. » pp. 512-538

» — « Quand on le voyait pour la première fois avec son habit marron à grandes poches, ses boutons d’or, ses manchettes de mousseline, son jabot barbouillé de tabac, sa perruque ronde mal peignée et mise de travers, et qu’on l’entendait parler avec si peu d’affectation et de recherche, quoique avec un si grand sens et tant d’érudition et d’esprit », il était impossible d’imaginer qu’on fût en présence d’un homme si vénéré. […] L’abbé Morellet a remarqué que Malesherbes, avec tant de lumières et de bon sens, n’était pas ennemi des opinions singulières et qu’il avait quelque goût du paradoxe : son immense instruction l’y aidait, en lui montrant qu’il y a plus de choses existantes qu’on ne l’imagine.

732. (1913) La Fontaine « IV. Les contes »

Tout ce que vous pouvez imaginer de désespoir et de larmes… Psyché, laissée seule en ce lieu sauvage, se voit soudain transportée en un palais et elle entre dans un état très bizarre : elle y devient l’épouse d’un être que, à sa voix, à ses discours, à l’entendre, à le toucher, elle trouve charmant, mais qu’elle ne voit jamais. […] C’est, j’imagine, un aussi lourd fardeau Que le roitelet de la fable ; Ce grand chagrin qui vous accable Me fait souvenir du roseau.

733. (1767) Sur l’harmonie des langues, et en particulier sur celle qu’on croit sentir dans les langues mortes

Si le grand orateur que nous venons de citer, avait fait un livre de synonymes latins, comme l’abbé Girard en a fait un de synonymes français, et que cet ouvrage vînt à tomber tout à coup au milieu d’un cercle de latinistes modernes, j’imagine qu’il les rendrait un peu confus sur ce qu’ils croyaient si bien savoir. […] Je veux le croire pour un moment, quoique je doute que les modernes se connaissent en latinismes aussi parfaitement qu’ils l’imaginent.

734. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — La solidarité des élites »

I Ces quelques hommes, liés aux sorts les plus étrangement dissemblables, ont accompli la plus singulière découverte que l’on puisse imaginer. […] Imaginez un être incarnant un rêve énorme et constant, vivant une perpétuelle ivresse débordante ; non pas un rêve inconsistant et trop loin de la terre pour s’y mêler, mais un rêve modelé dans la chair et nourri du même sang, un rêve puissamment lié aux choses vitales, animé du souffle de la vie totale, « où grondent les sèves et s’élaborent les germinations splendides »40 et vous entreverrez le poète.

735. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre III. La complication des sociétés »

Mais imaginez une société composée de groupements spécialisés, dont l’organisation est orientée vers une certaine fin, — les uns destinés par exemple à servir certains intérêts économiques, les autres à contenter certaines aspirations religieuses, ou certains goûts esthétiques, — alors il semble impossible qu’une société ainsi composée ne se complique pas. […] Boutmy 186, l’accroissement de la richesse mobilière, masse illimitée et accessible à tous, nivelle les supériorités fondées sur la prépondérance de la richesse foncière, masse limitée et objet naturel de monopole. » La vitesse du va-et-vient social est ainsi décuplée, On s’habitue dès lors à voir un même homme remplir successivement des places très différentes, à imaginer par suite, à coté de celles qu’il a remplies déjà, celles qu’il pourra remplir encore.

736. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « PENSÉES » pp. 456-468

La vie actuelle nous fait tant de bruit, que nous nous imaginons volontiers qu’il n’y en a jamais eu de pareille.

737. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. A. Thiers : Histoire de la Révolution française. IXe et Xe volumes »

« Elle n’est pas venue, dit-il : elle viendra. » Espérons-le avec lui : il est de ceux qui ont le plus droit de la promettre ; car il la sert, il en hâte le triomphe ; et certes, lorsqu’à la lecture de son livre nous voyons ce que nos pères ont souffert pour elle, et que nous sentons en nos cœurs ce que nous serions prêts à souffrir nous-mêmes, quand il nous semble qu’à travers les larmes, le sang et d’innombrables douleurs, tout a été préparé par une providence attentive pour son mystérieux enfantement, nous ne pouvons imaginer que tant de mal ait été dépensé en pure perte, que tant de souffrances aient été vainement offertes en sacrifice ; et dût-il nous en rester encore quelque part à subir, nous croyons plus fermement que jamais au salut de la France.

738. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre I. Un retardataire : Saint-Simon »

Il veut relever la noblesse : il fait un rêve féodal, il remonte jusqu’à Philippe le Bel, au temps où il s’imagine voir les « fiers légistes » aux pieds des nobles pairs qui composent le Parlement, la cour du roi.

739. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre I. Influence de la Révolution sur la littérature »

Imaginez Bajazet venant au lendemain de la publication qu’un journal aurait faite des circonstances de la mort du vrai Bajazet : la pièce de Racine n’était plus possible.

740. (1911) La valeur de la science « Deuxième partie : Les sciences physiques — Chapitre VI. L’Astronomie. »

Aujourd’hui, une hypothèse ne nous paraîtra plus absurde, parce qu’elle nous oblige à imaginer des objets beaucoup plus grands ou beaucoup plus petits que ceux que nos sens sont capables de nous montrer, et nous ne comprenons plus ces scrupules qui arrêtaient nos devanciers et les empêchaient de découvrir certaines vérités simplement parce qu’ils en avaient peur.

741. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les poètes maudits » pp. 101-114

Et j’imagine Corbière objectant : « Permettez !

742. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XIV. Rapports de Jésus avec les païens et les samaritains. »

Plusieurs, comme il arrive toujours, croyaient remplacer par la bonne volonté des âmes faibles le vrai amour du bien, et s’imaginaient conquérir le royaume du ciel en lui disant : « Rabbi, rabbi » ; il les repoussait, et proclamait que sa religion, c’est de bien faire 640.

743. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 140-155

Trop heureux, si, en choisissant mieux ses sujets, il se fût défié de la manie des paradoxes ; s’il ne se fût pas trop piqué d’une adresse ambidextre qui a égaré son jugement en tant d’occasions, & lui a inspiré trop de confiance pour justifier tous les systêmes qu’il lui a plu d’imaginer.

744. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 5, des études et des progrès des peintres et des poëtes » pp. 44-57

Le Correge qui n’étoit pas encore sorti de son état, quoiqu’il fut déja un grand peintre, étoit si rempli de ce qu’il entendoit dire de Raphaël, que les princes combloient à l’envi de présens et d’honneurs, qu’il s’étoit imaginé qu’il falloit que l’artisan, qui faisoit une si grande figure dans le monde, fût d’un mérite bien superieur au sien qui ne l’avoit pas encore tiré de sa médiocrité.

745. (1912) L’art de lire « Chapitre VI. Les écrivains obscurs »

Descartes exige qu’on le comprenne, et ne permet pas qu’on l’imagine ; un texte obscur se prête à toutes les interprétations, c’est-à-dire à toutes les imaginations dont il sera, non la source, mais le prétexte.

746. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Les Philippiques de la Grange-Chancel »

« Tout ce que l’enfer peut vomir de plus faux — dit-il des Philippiques — y était exprimé dans les plus beaux vers, le style le plus poétique, et tout l’art et l’esprit qu’on peut imaginer. » Quand il arrive aux affreux passages où le Régent est accusé d’empoisonnement : « L’auteur — ajoute-t-il — y redouble d’énergie, de poésie, d’invocations, de beautés effrayantes, de portraits du jeune roi et de son innocence… d’adjurations à la nation de sauver une si chère victime, en un mot, de tout ce que l’art a de plus fort et de plus noir, de plus délicat, de plus touchant, de plus remuant et de plus pompeux… » Ce n’est pas tout.

747. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « I. Saint Thomas d’Aquin »

N’allez pas croire que nous voulions rire de ce monsieur Jourdain qui fait de la prose, mais qui le sait… N’allez pas vous imaginer que nous nous inscrivions en faux contre sa couronne.

748. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Victor de Laprade. Idylles héroïques. »

Pour réchauffer cette climature, l’auteur ne s’est-il pas imaginé de faire tomber dans cette neige alpestre une goutte du sang immortel du vieux Dante ?

749. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Paul Bourget »

Comme elles vivent d’imitation, elles s’imaginent qu’on imite comme elles, qu’on a des partis pris comme elles, quand on n’obéit qu’à sa nature.

750. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre IV. De la méthode » pp. 81-92

. — Ces trois sortes de preuves peuvent se ramener à une seule : Dans toute la série des choses possibles, notre esprit peut-il imaginer des causes plus nombreuses, moins nombreuses, ou autres, que celles dont le monde social est résulté ?

751. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre IV. Trois espèces de jugements. — Corollaire relatif au duel et aux représailles. — Trois périodes dans l’histoire des mœurs et de la jurisprudence » pp. 309-320

On ne pouvait jusqu’ici ajouter foi à cette vérité tant que l’on attribuait aux premiers peuples ce parfait héroïsme imaginé par les philosophes ; préjugé qui résultait d’une opinion exagérée que l’on s’était formée de la sagesse des anciens.

752. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 7172-17709

Cette locution autorisée par l’usage des meilleurs auteurs latins, devoit faire conclure naturellement que laudaturus sim, ainsi que les autres expressions que nous avons indiquées plus haut, étoient du mode subjonctif ; & l’on a mieux aimé imaginer des exceptions chimériques & embarrassantes, que de suivre une conséquence si palpable. […] Mais il ne faut pas s’imaginer que la distinction des sexes ait été le motif de cette distribution des noms ; elle n’en a été tout-au-plus que le modele & la regle jusqu’à un certain point ; la preuve en est sensible. […] Il seroit du-moins à souhaiter que l’on eût quelques regles générales pour distinguer les mots où l’on aspire h, de ceux où elle est muette : mais celles que quelques-uns de nos grammairiens ont imaginées sont trop incertaines, fondées sur des notions trop éloignées des connoissances vulgaires, & sujettes à trop d’exceptions : il est plus court & plus sûr de s’en rapporter à une liste exacte des mots où l’on aspire. […] Faudra-t-il imaginer dans une langue autant de sortes de figures de construction, qu’il y aura d’idiomes différens, dont elle aura adopté les locutions propres ? […] Dictionnaire , « il ne faut pas s’imaginer que quand on traduit des mots d’une langue dans l’autre, il soit toujours possible, quelque versé qu’on soit dans les deux langues, d’employer des équivalens exacts & rigoureux ; on n’a souvent que des à-peu-près.

753. (1930) Les livres du Temps. Troisième série pp. 1-288

Il y a le plus souvent une certaine bassesse, ou même de la férocité, dans cette sagesse des nations, toute réaliste, qui a imaginé les contes de fées. […] Brunetière a imaginé cette définition du romantisme qui est devenue un cliché, et a toujours été une erreur. […] Comme nous l’avons vu pour l’état de nature et l’homme originellement bon, imaginés par Diderot et Jean-Jacques, Taine prend cela trop à la lettre. […] Il s’imagine qu’on se décide par caprice ou pour des motifs accessoires et cachés en s’écriant comme le P.  […] Il s’y agit bien de rendre quelque chose réel, et non simplement de l’imaginer comme le veut l’anglomane et fluidique abbé.

754. (1858) Du roman et du théâtre contemporains et de leur influence sur les mœurs (2e éd.)

À quel point une telle littérature doit altérer à la longue les idées morales d’un peuple, il est aisé de l’imaginer : la nature même des choses en rend compte. […] On imaginerait difficilement, d’ailleurs, si les preuves n’en étaient fournies, à quelles extrémités a été poussée de nos jours, en tous sens, la logique de l’erreur. […] D’ériger cet amour, si profond et si désintéressé qu’il soit, en mérite, en vertu, voilà ce qu’il est étrange, inouï d’avoir imaginé ! […] La société l’enveloppe, l’enlace, le presse de toutes parts : qu’importe qu’il ne lui demande rien, et s’imagine ne lui plus rien devoir ? […] après avoir greffé les grandes vertus sur le tronc des grands vices, n’a-t-elle pas imaginé de faire naître le génie de l’abus des passions ?

755. (1903) Légendes du Moyen Âge pp. -291

Il nous rapporte ensuite qu’étant à Rome en 1422 il fut interrogé fort curieusement, par plusieurs seigneurs lorrains et bourguignons qui se trouvaient là, sur la caverne de la Sibylle, où ils s’imaginaient à tort qu’il avait pénétré. […] Ils imaginaient le pays mystérieux où l’astre séjourne jusqu’à ce qu’il reparaisse de l’autre côté du ciel ; ils se plaisaient à y voir un monde enchanté, d’où l’astre éternellement jeune ressortait chaque jour aussi brillant, et où peut-être était réalisée cette félicité parfaite qui ne se trouve pas sur la terre. […] En outre, il raconte ses voyages autour du monde et en profite pour donner sur tous les pays possibles et impossibles des renseignements qui, réunis, forment la plus étrange ethnographie qu’on puisse imaginer. […] Pourquoi m’as-tu pu croire et t’imaginer qu’un aussi petit corps pût pondre une telle perle, quand, avec tout mon corps, je ne l’égale pas179 ? […] « Autant qu’on peut l’imaginer. » 216.

756. (1930) Physiologie de la critique pp. 7-243

Mais quand elle s’imagine que, sachant prévoir le passé, elle pourra, pour les mêmes raisons et par application des mêmes méthodes, prévoir l’avenir des œuvres présentes, elle aura toutes chances de se tromper. […] Nous pouvons imaginer sur ce modèle une admirable critique littéraire, que Diderot seul pouvait réaliser, et qu’il aurait réalisée si le hasard d’une commande (comme celle des Salons) et l’Encyclopédie en moins le lui avaient permis. […] C’est dire que lorsque nous parlons de critique créatrice, qui épouserait la genèse même de l’œuvre qu’elle a à expliquer, nous nous plaçons à une limite, nous imaginons un idéal théorique qu’il est impossible d’atteindre. […] Montaigne le possédait en puissance, et on imagine avec vraisemblance ce qu’il en eût écrit, s’il s’était voulu homme de lettres. […] * * * Rien ne nous empêche cependant d’attendre, d’espérer, d’imaginer une puissante critique philosophique et poétique retrouvant un mouvement de ce genre.

757. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « La religion statique »

Imaginons alors une humanité primitive et des sociétés rudimentaires. […] On a cru trouver des cas de suicide chez les animaux ; a supposer qu’on ne se soit pas trompé, la distance est grande entre faire ce qu’il faut pour mourir et savoir qu’on en mourra ; autre chose est accomplir un acte, même bien combiné, même approprié, autre chose imaginer l’état qui s’ensuivra. […] On imaginera mille moyens de les gagner, de les acheter, voire de les tromper. […] Il est vrai que si nous imaginons ainsi des puissances amies, s’intéressant à notre réussite, la logique de l’intelligence exigera que nous posions des causes antagonistes, des puissances défavorables, pour expliquer notre échec. […] J’ai souvent pensé à ce petit incident, et je me suis dit que la nature n’aurait pas imaginé un autre mécanisme psychologique si elle avait voulu, en nous dotant de la peur comme d’une émotion utile, nous en préserver dans les cas où nous avons mieux à faire que de nous y laisser aller.

758. (1889) Derniers essais de critique et d’histoire

Imaginez-vous Dante témoin de la peste du xive  siècle et survivant à ses hécatombes. […] Tout ce que l’on imagine ensuite, part de là ; même il semble que tout soit là, et que jamais le plein jour ne puisse égaler l’aurore. […] On n’imaginait pas une pareille foule. […] Et pourtant, il imaginait au-delà ; il avait vu la Grèce, il devinait la nudité idéale, la beauté poétique. […] En présence d’une figure peinte ou sculptée, vous devez oublier qu’elle est peinte ou sculptée, imaginer qu’elle est vivante.

759. (1905) Études et portraits. Sociologie et littérature. Tome 3.

Imaginez, qu’un historien veuille étudier scientifiquement les conditions de l’existence populaire en France, dans les commencements de la troisième République, il ne pourra se passer de consulter l’Assommoir, Germinal, le Ventre de Paris. […] Mais ce ne sont là que des épisodes, et qu’un artiste littéraire, soucieux de contraster puissamment ses créations, aurait pu imaginer, au lieu que dans les trois récits mentionnés plus haut, la thèse religieuse est comme tissée à même l’œuvre. […] Imaginez-vous une société sans pouvoirs ? […] Je m’imaginai, par un mirage mystérieux, avoir devant moi non plus l’allégorie d’une ville, mais l’image de quelques-unes de nos vieilles provinces, du Nord, du Sud, de l’Est et de l’Ouest, la Picardie ou la Bretagne, la Lorraine ou l’Auvergne. […] Oui, l’on imagine que ces vers ont pu s’appliquer à Musset, pour libertin qu’il ait été depuis, un jour, une heure, une minute.

760. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre quatrième. La connaissance des choses générales — Chapitre II. Les couples de caractères généraux et les propositions générales » pp. 297-385

J’imagine un homme qui n’est pas géomètre et qui, par la structure de son cerveau, est incapable de le devenir, mais très patient, très exact et très habile à induire ; je lui mets en main un demi-cercle divisé en minutes et en secondes pour la mesure des angles ; je trace devant lui une quantité de triangles, je lui enseigne à en tracer d’autres, et je le prie de chercher si, dans tous ces triangles, la somme des angles n’égale pas une certaine somme d’angles droits. — Pendant plusieurs journées, il applique son demi-cercle aux angles de trois ou quatre cents triangles ; pour chacun d’eux, il regarde sur son demi-cercle les trois valeurs des trois angles, et, additionnant ces valeurs, il trouve toujours que leur somme est de 180 degrés ou de deux droits. […] On pourrait imaginer un état de choses dans lequel, par cela seul qu’un corps se mouvrait dans un sens, une portion de ce corps répugnerait à se mouvoir en même temps dans un autre sens. […] Nous avons beau connaître la structure du réceptacle hypothétique que nous avons forgé ; nous n’en pouvons déduire la structure du réceptacle indépendant dans lequel les corps se meuvent. — De même encore, dans le réceptacle fictif, au-delà de la troisième dimension, nous ne pouvons en imaginer une quatrième ; cela ne prouve pas que, dans le réceptacle réel, il n’y en ait pas une quatrième. Tout au rebours ; il y a même des indices en sens contraire ; car, si l’on ne peut imaginer géométriquement une quatrième dimension, on peut l’exprimer algébriquement, grâce à l’analogie des dimensions et des puissances, et la vraie raison que nous avons pour refuser à l’espace réel la quatrième dimension est encore une analogie. […] Si la supposition contraire est inconcevable, c’est que notre imagination répète exactement notre vision en lui donnant plus de portée ; l’œil interne ne fait qu’ajouter un télescope à l’œil externe ; partant, nous ne pouvons imaginer les deux perpendiculaires autrement que nous les voyons ; donc nous ne pouvons les prolonger mentalement, sans nous les représenter comme encore également distantes. — Il suit de là que les vérités dites nécessaires, ayant la même origine que les vérités d’expérience, sont sujettes aux mêmes restrictions et aux mêmes doutes.

761. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxviiie entretien. Littérature germanique. Les Nibelungen »

Leur cœur leur disait réellement, j’imagine, qu’un si grand nombre de leurs amis devaient trouver la mort. […] Vous pouvez trouver non loin d’ici une femme d’une haute naissance. » « J’imagine que leur cœur leur disait ce qui devait arriver. […] La force de Brunhilt nous l’a enlevé, j’imagine. […] J’imaginais que nous l’avions perdu par la force de Brunhilt. […] Auprès de son premier époux elle n’avait pas acquis, j’imagine, le service de tant de guerriers.

762. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1894 » pp. 185-293

Nous n’aimons pas l’imaginé du livre, le suicide de la femme, mais nous trouvons bien, très bien toute la reproduction de la réalité, que Rosny a rencontrée dans la vie, et nous le reconnaissons comme un grand et puissant analyste de la souffrance humaine. […] Spirituellement causante, elle décrit les grandes fêtes de la cour, les Fêtes des Palmiers, où dans un souper de mille personnes, chaque table est dressée autour d’un palmier, dans un luxe de fleurs impossible à imaginer, en un éclat de costumes d’hommes indescriptible, et où l’Impératrice, qui est toute petite, disparaît sous les bouchons de carafe de ses admirables diamants. […] Car à la crise de tous les commencements de semaine, qui me permettait de ressusciter le vendredi, et de vivre le samedi et le dimanche, avait succédé la période de deux crises par semaine, qui amenait chez moi une faiblesse, au-delà de ce qu’on peut imaginer. […] Le second kakémono, de Gankou, figure un tigre, mais un de ces tigres un peu fantastiques, comme les imaginent les artistes d’un pays, où il n’y en a pas. […] Sur la tablette supérieure des bibliothèques, sont posés de petits bronzes japonais, dont les anses sont ingénieusement imaginées, d’après la figuration de crevettes arc-boutées contre le col ; de tay, les poissons aimés par les gourmets de là-bas, en la remonte d’une cascade ; de petits rameaux de courges avec les gourdes, au milieu de leurs feuilles trilobées.

763. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre VI : Difficultés de la théorie »

Si donc nous imaginons une espèce variable quelconque, adaptée à une vaste région, il nous faudra aussi supposer que deux variétés de cette espèce seront adaptées à deux districts également vastes de cette région, et qu’une troisième variété s’adaptera à l’étroite zone moyenne qui les sépare. […] Il en aurait été ainsi, qui jamais se fût imaginé qu’à un état transitoire antérieur ces animaux eussent été des habitants de la pleine mer, et n’eussent employé leurs naissants organes de vol que pour éviter d’être dévorés par d’autres poissons ? […] Les Cirripèdes pédonculés ont déjà subi beaucoup plus d’extinctions d’espèces que les Cirripèdes sessiles ; si les premiers étaient tous éteints, qui jamais se fût imaginé que les branchies des seconds eussent existé originairement chez les premiers sous la forme d’organes destinés à empêcher leurs œufs d’être emportés du sac par l’action des eaux ? […] Il est impossible d’imaginer par quels degrés successifs d’aussi merveilleux organes se sont formés.

764. (1907) Le romantisme français. Essai sur la révolution dans les sentiments et dans les idées au XIXe siècle

Entre tant de façons d’imaginer le roman de l’humanité primitive, qu’est-ce donc qui fait rencontrer à Rousseau celle-là ? […] Remarquons que la méthode imaginée par Jean-Jacques, si elle ne tombe pas sur un rachitique intellectuel, doit faire une petite bête lâche et sournoise. […] A la grande cantilène ténébreuse de René imaginons la réplique de Dorinez. […] La différence d’habitudes entre les interlocuteurs qu’on s’imagine est assez grande. […] Il est des instants où je me hais assez pour m’imaginer être la plus savante et la plus affreuse combinaison d’une volonté infernale !

765. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Pensées »

XXII On a besoin de renouveler, de rafraîchir perpétuellement son observation et sa vue des hommes, même de ceux qu’on connaît le mieux et qu’on a peints, sans quoi l’on court risque de les oublier en partie et de les imaginer en se ressouvenant. — Nul n’a droit de dire : « Je connais les hommes. » Tout ce qu’on peut dire de juste, c’est : « Je suis en train de les connaître. » XXIII Assembler, soutenir et mettre en jeu à la fois dans un instant donné le plus de rapports, agir en masse et avec concert, c’est là le difficile et le grand art, qu’on soit général d’armée, orateur ou écrivain.

766. (1874) Premiers lundis. Tome II « Des jugements sur notre littérature contemporaine à l’étranger. »

Qu’on s’imagine une littérature qui serait de nature à satisfaire à première vue, bon Dieu !

767. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre IV. De la philosophie et de l’éloquence des Grecs » pp. 120-134

Antagoniste de Platon sur plusieurs autres sujets, il n’imagine pas que l’esclavage puisse être un objet de discussion ; et, dans le même ouvrage, il traite les causes des révolutions et les principes du gouvernement avec une supériorité rare, parce que l’exemple des républiques grecques lui avait fourni la plupart de ses idées.

768. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rostand, Edmond (1868-1918) »

Rostand, mais plus ingénieusement imaginé et moins déplorablement écrit.

769. (1894) Propos de littérature « Chapitre Ier » pp. 11-22

La vie est à nos pieds ; elle passe, mais l’ensemble de ses apparences subsiste au moins l’espace d’un long instant ; le Poète reporte son idéal dans la vie présente, et sans voir qu’il a passagèrement déchu, il veut créer une Beauté qu’il imagine vivante et mortelle comme il croit vivante et mortelle cette vie. — Il ignore encore, et peut-être l’ignorera-t-il toujours, qu’il n’a lui-même d’autre terme que l’infini ; la Vie, il ne la voit encore que comme une chose relative et concrète.

770. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre II. La commedia dell’arte » pp. 10-30

Pendant que Scapin explique son projet à Flaminia, Arlequin, par différents lazzi, interrompt la scène : tantôt il s’imagine d’avoir dans son chapeau des cerises qu’il fait semblant de manger, et d’en jeter les noyaux au visage de Scapin, tantôt il feint de vouloir attraper une mouche qui vole, de lui couper comiquement les ailes et de la manger, et choses pareilles.

771. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre III. L’analyse externe d’une œuvre littéraire » pp. 48-55

A ce point de vue, personne ne confondra, j’imagine, la façon hardie, brusque, impétueuse, imprévue dont Michelet lance, et, pour ainsi dire, darde ses phrases avec la manière calme, lente, solennelle, méthodique dont Buffon développe et enchaîne les siennes.

772. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXVIII » pp. 305-318

Cependant, Molière, qui voyait le train de la cour continuer, l’amour du roi et de madame de Montespan braver le scandale, imagina d’infliger un surcroît de ridicule aux femmes dont les mœurs chastes et l’esprit délicat étaient la censure muette mais profonde et continue de la dissolution de la cour.

773. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Laïs de Corinthe et Ninon de Lenclos » pp. 123-135

L’illusion, c’est de s’imaginer qu’il doit y avoir dans ces femmes, abîmes de néant, un de ces grands mystères de charme comme on en rencontre parfois dans l’histoire du cœur humain.

774. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Francis Wey » pp. 229-241

Quoique nourri de cartulaires et rassasié de parchemins, — du moins je l’imagine quand je vois ceux qu’il a consommés, — Wey ne ressemble nullement à ces sédentaires de cabinet à qui la digestion de tout ce qu’ils ont avalé pèse.

775. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « Le docteur Revelière » pp. 381-394

La Révolution vint à bout de ce Dominateur du monde, qui s’imaginait l’avoir vaincue.

776. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Chastel, Doisy, Mézières »

C’est un livre de médiocrité sérieuse, voilà tout, une espèce d’almanach du Bonhomme Richard, qui paraîtra de l’économie politique, domestique ou morale, à tous les esprits qui s’imaginent que, dès que l’élévation manque dans les choses de la pensée et du caractère, il y a immédiatement du bon sens.

777. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Armand Hayem »

Armand Hayem45 I Dans un temps où les mandarins des instituts s’imaginent diriger et gouverner l’Esprit humain, voici un livre qui aurait dû avoir leurs bonnes grâces et qui a perdu ses coquetteries à leur en faire… L’auteur de ce livre, Armand Hayem, est, je crois bien, parmi les jeunes écrivains de la génération qui s’élève quand le siècle finit, un des mieux faits pour avoir des succès d’institut.

778. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Gérard de Nerval  »

Aujourd’hui, après tant d’années, quand ceux qui lui firent politesse et lui versèrent l’éloge sans doses, parce que peut-être ils ne le craignaient plus, sont endurcis, ou du moins endormis dans l’indifférence de la vieillesse, dans l’égoïsme des derniers jours, il nous sera permis, j’imagine, de juger froidement, sans faire crier et clabauder personne, ce surfait du compagnonnage et de la pitié, et d’en donner exactement la mesure pour que désormais l’opinion ne l’exagère plus.

779. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Mistral. Mirèio »

Ils ont un cénacle là-bas… On l’imaginait assis sur du varech, ce Théocrite homérique qui « chante cette fille de la glèbe dont en dehors de la Craw il s’est peu parlé » et pas du tout, il fait partie d’un canapé dont il nous nomme les doctrinaires… Le mistral n’est plus qu’un vent coulis !

780. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre V. Des Grecs, et de leurs éloges funèbres en l’honneur des guerriers morts dans les combats. »

Je m’imagine que dans ce moment, le père devait approcher de son fils, et lui dire : « Tu vois dans quel pays tu es né, et comme on y honore tout ce qui est grand ; et toi aussi, mérite un jour que ton pays t’honore. » Ainsi, chez les Grecs, de quelque côté qu’on jetât les yeux, on trouvait partout des monuments de la gloire ; les rues, les temples, les galeries, les portiques, tout donnait des leçons aux citoyens.

781. (1878) Leçons sur les phénomènes de la vie communs aux animaux et aux végétaux. Tome I (2e éd.)

Dans aucun ordre de science nous n’allons au-delà de cette limite, et c’est une pure illusion d’imaginer qu’on la dépasse et qu’on puisse saisir l’essence de quelque phénomène que ce soit. […] On a imaginé l’hypothèse d’un dédoublement par fermentation d’une matière du muscle, l’inogène, en acide carbonique, acide sarcolactique, et myosine. […] Loin d’être le dernier degré de la simplicité que l’on puisse imaginer, la cellule est déjà un appareil compliqué. […] Il n’y a pas de substance particulière, de corps simple vital, comme Buffon l’avait imaginé pour expliquer la différence des êtres vivants et des corps bruts. […] Mais leur mécanisme exact, nous l’avons déjà dit, pourrait être tout autre que ces hypothèses ne l’imaginent.

782. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Madame de Verdelin  »

Elle ne pouvait s’empêcher de prendre Rousseau pour confident de sa peine secrète : « Imaginez, mon bon voisin, que votre très aimable lettre est tombée entre les mains d’une créature qui n’existait plus ; peignez-vous l’état d’une âme touchée au-delà de toute expression, qui depuis sept ans ne vit, ne respire que pour un être qui était prêt à la sacrifier au fanatisme d’un dévot. […] Elle raconte cela avec beaucoup de naturel et une certaine simplicité fine, qui est son cachet : « J’imagine que c’est une chose agréable à Dieu que la soumission de l’esprit ; elle est plus difficile qu’un acte d’humilité. […] Je suis comblée quand j’ai de vos nouvelles ; mais, lorsqu’elles coûtent à votre repos, vous imaginez bien qu’elles troublent le mien.

783. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre II. La vie de salon. »

Il réfléchit et répondit : Je lui écrirais : Je suis charmé que le ciel ait enfin béni notre union ; soignez votre santé, j’irai vous faire ma cour ce soir. » — Il y a vingt réponses semblables, et j’ose dire qu’avant de les avoir lues on n’imagine pas à quel point l’art social peut dompter l’instinct naturel. […] Un étranger reste stupéfait en voyant de quelle démarche adroite et sûre elle circule parmi tant de vanités en éveil, sans jamais donner ni recevoir un choc. « Elle sait tout exprimer par le mode de ses révérences, mode varié qui s’étend par nuances imperceptibles, depuis l’accompagnement d’une seule épaule qui est presque une impertinence, jusqu’à cette révérence noble et respectueuse que si peu de femmes, même à la cour, savent bien faire, ce plié lent, les yeux baissés, la taille droite, et une manière de se relever en regardant alors modestement la personne et en jetant avec grâce tout le corps en arrière : tout cela plus fin, plus délicat que la parole, mais très expressif comme moyen de respect. » — Ce n’est là qu’une action et très ordinaire ; il y en a cent autres et d’importance : imaginez, s’il est possible, le degré d’élégance et de perfection auquel le savoir-vivre les avait portées. […] Nul ne songe à s’en scandaliser : personne n’imagine qu’un habit doive être un éteignoir, et cela est vrai de tous les habits, en premier lieu de la robe. « Quand je suis entré dans le monde, en 1785, écrit un parlementaire281, je me suis vu présenter en quelque sorte parallèlement chez les femmes et chez les maîtresses des amis de ma famille, passant la soirée du lundi chez l’une, celle du mardi chez l’autre.

784. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIIe entretien. Vie et œuvres du comte de Maistre » pp. 393-472

On s’était imaginé certaines choses, mais tout s’en est allé en fumée. » Quelques dépêches confidentielles à sa cour vont même au-delà ; telles sont les lettres semi-plaisantes, semi-sérieuses, dans lesquelles il demande, pour épier les secrets diplomatiques des maris, un secrétaire d’ambassade jeune, beau, séduisant, propre à s’insinuer dans le cœur des femmes. […] Quelle que fût sa partialité pour la maison de Savoie, le comte de Maistre avait trop de sens pour imaginer que l’Autriche permettrait jamais à un roi de Sardaigne, avec sa brave mais petite armée savoyarde, sarde et piémontaise, de se substituer à l’empire et de conquérir l’Italie, que l’empire lui-même, avec ses six cent mille hommes sous les armes, n’avait jamais pu posséder. Il avait trop de sens aussi pour s’imaginer que la France permettrait impunément à cette maison de Savoie de constituer contre elle, sur les Alpes et au pied des Alpes, à nos portes, une puissance équivoque de quinze ou vingt millions d’hommes, qui, en s’alliant, comme elle l’a toujours fait, avec l’Autriche, formerait une masse de soixante millions d’hommes pesant par leur réunion sur notre frontière de l’Est et du Midi d’un poids qui nous écraserait en se réunissant.

785. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIIIe entretien. Littérature américaine. Une page unique d’histoire naturelle, par Audubon (2e partie) » pp. 161-239

Cette partie de la haie était jeune, maigre et séparée des bâtiments par un étroit sentier où passaient et repassaient sans cesse les domestiques ; mais les interruptions venant de ce côté lui étaient, je m’imagine, indifférentes, car, dérangé de ses occupations à chaque instant, je l’y voyais revenir de suite, et tout aussi confiant que s’il n’avait pas été troublé. […] Leur chant alors, quand ils se rencontraient sur le bord du nid, se faisait remarquer par un petit gazouillement et des accents de joie que je n’ai jamais entendus dans aucune autre occasion : c’était, je m’imagine, la douce, la tendre expression du plaisir qu’ils se promettaient, et dont ils semblaient jouir par anticipation sur l’avenir. […] Vers le commencement de juin, j’imaginai de fermer l’entrée avec un bouchon de paille que je pouvais retirer à mon gré au moyen d’une corde.

786. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre septième »

Qu’on imagine l’émotion de l’auditoire quand il frappait, comme dit Mme de Sévigné, sur ces vices assis au pied de sa chaire, qui, s’étaient introduits dans le temple sous le dehors de la piété et du recueillement. […] On s’imagine que beaucoup de finesse doit se cacher sous des termes qui expriment plusieurs choses à la fois, et que c’est la langue qui a fait faute à l’auteur. […] Aussi Vauvenargues, ne trouvant pas de caractères sous sa main, en imagine, ce qui est tout autre chose.

787. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre premier. Causes physiologiques et psychologiques du plaisir et de la douleur »

Imaginez des individus chez qui le plaisir soit lié aux actions nuisibles, la douleur aux actions utiles. […] Se sentir vivre, jouir, c’est se sentir continuellement forcé de sortir de l’état présent, qui doit être par conséquent une douleur toujours renaissante. » Schopenhauer n’a pas eu à faire de grands efforts d’invention pour imaginer sa théorie sur le caractère négatif du plaisir, qui, selon lui, ne serait senti qu’indirectement par l’intermédiaire de la douleur, et sur le caractère positif de la peine, seule sentie directement en elle-même. « L’effort vital » toujours « pénible », dont parlait Kant, est devenu chez Schopenhauer le « vouloir vivre », dont le perpétuel travail est un perpétuel échec et une perpétuelle souffrance. […] Cette théorie fantastique imagine arbitrairement des plaisirs sentis d’une manière inconsciente, comme si on pouvait jouir sans avoir au moins la conscience spontanée de jouir.

788. (1903) La renaissance classique pp. -

Ils se sont imaginé reculer à l’infini les bornes de la langue, créer tout un nouveau mode d’expression à la fois plus subtil et plus abondant. […] On ne connaît pas le monde des mines quand on a passé quinze jours à Anzin ou à Decazeville, fût-ce à bourrer de notes des carnets entiers ; et il faut à nos intellectuels toute leur ignorance livresque pour s’imaginer qu’ils connaissent le fond de l’ouvrier parce qu’ils ont causé dix minutes avec un menuisier qui venait raccommoder le pied de leur bibliothèque ! […] Le vulgaire s’imagine que l’édifice ne tient à rien.

789. (1856) Réalisme, numéros 1-2 pp. 1-32

Cette charge a été imaginée par les amis du Rose, des Ris et des Grâces pour lesquels elle est un divertissement toujours nouveau. […] Seulement une fois l’esprit artistique tourné vers ce côté, il faut bien imaginer qu’il n’y a qu’un roturier ayant vécu avec les paysans qui puisse peindre leur vie. […] L’aristocratie ne peut s’imaginer avoir le privilège des sentiments. […] Leconte de Lisle ignore que l’érudition a besoin d’aises, et son âme froide imagine trouver l’émotion dans de vieux livres grecs en écoutant l’histoire des dieux. […] Ce qui est senti est, ce qui est imaginé n’est pas.

/ 1798