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22. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre IV. De la délimitation, et de la fixation des images. Perception et matière. Âme et corps. »

À l’unité vivante, qui naissait de la continuité intérieure, nous substituons l’unité factice d’un cadre vide, inerte comme les termes qu’il maintient unis. […] Ma conscience me donne la sensation intérieure d’un fait simple, car en A était le repos, en B est le repos encore, et entre A et B se place un acte indivisible ou tout au moins indivisé, passage du repos au repos, qui est le mouvement même. […] Il dure, sans doute ; mais sa durée, qui coïncide d’ailleurs avec l’aspect intérieur qu’il prend pour ma conscience, est compacte et indivisée comme lui. […] Ce n’est pas seulement la physique qui nous le dit ; l’expérience grossière des sens nous le laisse déjà deviner ; nous pressentons dans la nature des successions beaucoup plus rapides que celles de nos états intérieurs. […] En un sens, ma perception m’est bien intérieure, puisqu’elle contracte en un moment unique de ma durée ce qui se répartirait, en soi, sur un nombre incalculable de moments.

23. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 mai 1885. »

Le Rêve, où l’esprit parvient au plein éveil de cette conscience intérieure, peut donner l’idée de ce qu’est la musique. […] N’est-ce point que la nature ait donné à cet homme un cerveau d’une extrême délicatesse, mais destiné, seulement, à permettre la contemplation intérieure ? […] Dans la mesure où il perdait, ainsi, toute connexion avec le monde extérieur, son regard se tournait davantage, avec une plus claire voyance, à son monde intérieur. […] Mais Beethoven, jamais, ne voulut rien, sinon la seule chose qui, désormais, lui devait plaire : se jouer, en Charmeur, avec les formes de son Univers intérieur. […] Tirésias avait vu se fermer devant lui, le monde de l’Apparence : et il avait pu, ainsi, contempler, avec ses yeux intérieurs le fond même de toutes les apparences.

24. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Introduction »

Introduction Les anciens appelaient les idées des espèces, species, et ce sont en effet les espèces du monde intérieur, qui correspondent à celles du monde extérieur. […] Après les avoir longtemps admirés du dehors, je priai le génie qui m’accompagnait de me laisser pénétrer dans leur intérieur. […] Oui, voilà ce que je découvris dans cet objet à peine aussi gros qu’un gros fruit, et que le bourreau peut faire tomber d’un seul coup, de manière à plonger du même coup dans la nuit le monde qui y est renfermé. » La genèse des idées dans ce monde intérieur ne donne pas lieu, de nos jours, à moins de discussions que la genèse des espèces dans le monde extérieur ; la loi qui régit l’une semble aussi régir l’autre. […] Cette doctrine étend de nos jours la même explication aux espèces intérieures, aux idées.

25. (1929) Amiel ou la part du rêve

Celle-là aussi dut pousser le fils vers le refus et l’intérieur. […] Cet homme pour qui le monde intérieur existe n’a rien d’un daguerréotype littéraire à la Gautier, ni d’un touriste à la Stendhal. […] La liberté intérieure n’est donc pas un état continu, elle n’est pas une propriété indéfectible et toujours la même. […] Il y a cependant peu d’époques qui appellent moins à la vie intérieure que cette année 1848. […] Le premier possède l’œil intérieur, qui voit la complexité et la vie.

26. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — L’inter-nationalisme »

Or, si, d’une part, la vie intra-organique de la cité, sa psyco-physiologie, sa vie intérieure ont été largement scrutées, il n’en est pas de même de sa vie extérieure. […] Pour moi, la vie intérieure et la vie extérieure de la nation moderne, loin de se combattre réciproquement, s’harmonisent dans une profonde unité. […] Le principe qui domine les individus à l’intérieur du « corps social », est bien le même que celui qui domine les « corps sociaux » entre eux, à l’intérieur de ce « corps » plus vaste qui est l’agrégat des cités. […] L’étude attentive du mécanisme d’une vie humaine normale ne peut pas ne pas dissiper la croyance à une opposition de fond entre la vie intérieure et la vie extérieure de l’individu. […] Comment ne pas comprendre, en effet, que la vie intérieure de l’homme, ce que nous appelons son individualisme, est à la fois base et produit de sa vie extérieure, c’est-à-dire solidaire, et inversement ?

27. (1874) Premiers lundis. Tome II « Jouffroy. Cours de philosophie moderne — III »

Jouffroy se place seul, en présence de lui-même ; abstraction faite des cinq sens extérieurs, attentif à sa conscience intérieure ; il pense, il veut, il se sent ; et partout où il se sent il dit moi ; de sorte que, comme il y a en nous un certain nombre de fonctions dont nous n’avons pas conscience, le moi ne s’y reconnaît pas ; il ne se sent pas sécréter la bile dans le foie, l’urine dans le rein ; par conséquent, informé d’ailleurs, grâce à l’observation sensible, que ces fonctions s’accomplissent dans le corps, il les rapporte à d’autres forces qu’à lui, à des forces distinctes qui résident, l’une dans le rein, l’autre dans le foie, l’autre dans l’estomac ou le poumon, et dont il désigne l’ensemble sous le nom de force vitale. […] Cependant si, au lieu de faire abstraction de mes sens extérieurs, pour ne me servir que de mes sens intérieurs ; si, ouvrant les yeux et remuant la main, je me vois et je me touche dans toutes les régions de mon corps, depuis les cheveux de ma tête jusqu’aux ongles de mon pied, je sens très bien alors que partout sous mon doigt qui se promène, le moi s’éveille et répond ; et si je pouvais atteindre au-delà de la surface cutanée aux organes eux-mêmes, le moi s’y ferait également sentir par une sensation distincte, comme il arrive d’ailleurs en mainte circonstance, lorsque la digestion s’exécute péniblement, lorsqu’un calcul se forme dans le rein, lorsqu’un tubercule se développe dans le poumon. […] Ils font d’abord abstraction des sens extérieurs et ne s’en tiennent qu’aux sens intérieurs : et parmi les sens intérieurs, ils font aussitôt abstraction de tous ces sens lointains, épars, obscurs bien que réels, qui président sourdement, et dans la profondeur des organes, à la nutrition de l’individu et aux fonctions reproductives ; ils oublient le murmure confus, continuel et fondamental de tous ces sens intimes qu’unit une seule et même vie ; ils ne s’adressent qu’à un ou deux sens cérébraux, plus particulièrement affectés à la conscience distincte et à la réflexion ; et réfugiés là dedans, dédaigneux du reste, alta mentis ab arce, ils n’entendent plus, ils ne sentent plus, ils ne reconnaissent plus tout leur être. […] Mais les psychologistes, en même temps qu’ils scindent la vie à l’intérieur et qu’ils rompent la solidarité mystérieuse et sacrée de tous les organes, de toutes les fonctions au sein de l’homme, saisissent encore la vie au moment où elle s’élance au dehors en vertu de la volonté et du désir ; ils la frappent à la sortie, ils l’enchaînent au seuil, quand, armée de ses légitimes organes de relation, elle s’apprête à communiquer matériellement avec ses semblables ou avec la nature ; à parler, à agir, à être industrieuse, créatrice et féconde. […] Il est associé intérieurement à la force vitale qui lui est étrangère ; il tient extérieurement aux organes de relation qui ne lui sont pas moins étrangers ; il vit pourtant ; il vit en lui-même par la pensée, comme si la pensée pouvait dans la réalité se séparer jamais d’un mouvement et d’un sentiment ; il vit quoique frappé de mort dans sa sensibilité intestine et dans son expansion rayonnante ; il vit comme un arbre qu’on aurait séché dans ses racines ; et qu’on mutilerait ensuite dans ses ramures ; il vit dans le château fort de l’âme, comme une garnison assiégée à qui l’assiégeant aurait coupé la source intérieure, le puits profond d’eau vive, et qui, n’osant sortir de la poterne pour descendre au fleuve, n’aurait plus d’espoir qu’en la manne mystique et céleste.

28. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre deuxième. Les images — Chapitre premier. Nature et réducteurs de l’image » pp. 75-128

Il est clair qu’à chaque coup la figure de l’échiquier tout entier, avec l’ordonnance des diverses pièces, leur est présente, comme dans un miroir intérieur, sans quoi ils ne pourraient prévoir les suites probables du coup qu’ils viennent de subir et du coup qu’ils vont commander. […] Nous disons que cette image, fantôme de l’ouïe ou de la vue, saveur ou odeur apparente, qui nous semble située à tel endroit de nos organes ou du dehors, nous semble à tort avoir cette situation, qu’elle n’est point dans le dehors, mais intérieure. […] Puis la sensation tout entière se trouve restaurée et complète, les fantômes se sont évanouis, il n’en reste plus que l’image intérieure capable de fournir à la description. […] Pour que l’image fasse son effet normal, c’est-à-dire soit reconnue comme intérieure, il faut qu’elle subisse le contrepoids d’une sensation ; ce contrepoids manquant, elle paraîtra extérieure. […] Au premier instant, à l’état normal, les deux plateaux sont sur la même ligne ; mais tout de suite le premier, plus pesant, emporte l’autre, et nos images sont reconnues comme intérieures.

29. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre dixième »

La théorie de l’homme intérieur double que se partagent les deux puissances souveraines de la nature humaine, le principe ou sens spirituel et le sens intérieur matériel, est de la mauvaise psychologie. […] L’homme intérieur est simple, parce qu’il n’y a qu’une conscience. […] Lui qui a imaginé pour l’homme un sens intérieur matériel, comment n’a-t-il pas trouvé pour l’animal un sens intérieur spirituel ? […] Aux uns il prête des qualités morales qui supposeraient tout au moins un principe intérieur spirituel ; il charge les autres de défauts qui supposent une perversité calculée. […] Dans ce livre prodigieux, il pouvait contenter son cœur, marcher seul, à la lumière du regard intérieur, et, désormais affranchi du secours des autres, découvrir sans voyageurs, observer sans naturalistes, des pays que Dieu seul a vus.

30. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Machy » pp. 174-175

Le péristile est à droite ; c’est sur cette partie que tombe la forte lumière qui vient de quelque point pris à gauche ; dans l’intérieur du tableau on ne voit que la colonnade. […] l’intérieur de la nouvelle église de la Magdeleine de la Ville-L’évêque . du même. […] Son dessin de l’intérieur de la Magdeleine est très-bien éclairé ; c’est l’effet d’une lumière douce, rare, vague et blanchâtre, comme on la remarque aux édifices nouvellement bâtis, lorsqu’elle traverse des verres laiteux, ou qu’elle a été réfléchie par des murailles neuves.

31. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre III. Le comique de caractère »

Nous entendrions chanter au fond de nos âmes, comme une musique quelquefois gaie, plus souvent plaintive, toujours originale, la mélodie ininterrompue de notre vie intérieure. […] Elle apercevrait toutes choses dans leur pureté originelle, aussi bien les formes, les couleurs et les sons du monde matériel que les plus subtils mouvements de la vie intérieure. […] Ce qui nous intéresse, en effet, dans l’œuvre du poète, c’est la vision de certains états d’âme très profonds ou de certains conflits tout intérieurs. […] Est-ce à dire que le poète ait éprouvé ce qu’il décrit, qu’il ait passé par les situations de ses personnages et vécu leur vie intérieure ? […] Mais le moyen le plus usité de pousser une profession au comique est de la cantonner, pour ainsi dire, à l’intérieur du langage qui lui est propre.

32. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre III : La science — Chapitre II : De la méthode expérimentale en physiologie »

Ce milieu intérieur est le sang. […] Par un remarquable enchaînement, ce milieu intérieur, si nécessaire à l’organisme, est le produit de l’organisme. […] Se représenter cette cause intérieure sous la forme des phénomènes externes, n’est-ce pas comme si on voulait changer un cercle en carré ? […] C’est également dans ce sentiment intérieur que nous puisons l’idée de la liberté. […] Réciproquement, la liberté ne reste pas concentrée en elle-même, elle n’agit pas exclusivement dans le monde intérieur ; la volonté commande au corps, elle en dirige, elle en suspend, elle en accélère les mouvements.

33. (1874) Premiers lundis. Tome II « De l’expédition d’Afrique en 1830. Par M. E. d’Ault-Dumesnil, ex-officier d’ordonnance de M. de Bourmont. »

M. d’Ault-Dumesnil, attaché au général en chef par sa position et aussi par les sentiments de confraternité qui l’unissaient à ses fils, à celui qui mourut en Afrique en particulier, indépendant d’ailleurs d’esprit et de caractère, a été, dès le premier jour, à même d’observer l’expédition par le centre et du côté intérieur et dirigeant. […] Il n’était pas de ceux qui n’aimaient dans la conquête d’Afrique qu’une distraction périlleuse et brillante, une occasion d’avancement, ou la satisfaction détournée d’une idée politique à l’intérieur. […] M. d’Ault, attaché aux travaux de l’Avenir jusqu’à sa cessation, et depuis aux études intérieures que poursuit cette école de philosophie religieuse, professait cet hiver, parallèlement à MM. 

34. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Introduction. » pp. -

L’Homme corporel et visible n’est qu’un indice au moyen duquel on doit étudier l’homme invisible et intérieur. […] Il y a un homme intérieur caché sous l’homme extérieur, et le second ne fait que manifester le premier. […] Les états et les opérations de l’homme intérieur et invisible ont pour causes certaines façons générales de penser et de sentir. […] Lorsqu’on a ainsi constaté la structure intérieure d’une race, il faut considérer le milieu dans lequel elle vit. […] C’est ainsi que s’expliquent les longues impuissances et les éclatantes réussites qui apparaissent irrégulièrement et sans raison apparente dans la vie d’un peuple ; elles ont pour causes des concordances ou des contrariétés intérieures.

35. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Maeterlinck, Maurice (1862-1949) »

. — Alladine et Palomides ; Intérieur ; La Mort de Tintagiles (1896). — Annabella, de John Ford (1894). — Les Disciples à Saïs et les Fragments de Novalis (1895). — Le Trésor des humbles (1896). — Aglavaine et Sélysette (1896). — La Sagesse et la Destinée (1898). — Douze chansons (1899). — La Vie des abeilles (1901). […] Maeterlinck est le plus intérieur des intérieurs. […] Il recherche, pour en orner sa beauté intérieure, les parures les plus habituelles et les décors les plus communs.

36. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre cinquième. Le réalisme. — Le trivialisme et les moyens d’y échapper. »

En cette gravitation intérieure, chaque objet prend une place différente selon la richesse du système d’idées auquel il s’adapte. […] Vivre, c’est agir, c’est se traduire, s’exprimer, mettre en harmonie les organes intérieurs et extérieurs de soi. […] Autour de ces traits saillants, l’ombre se fera, et ils apparaîtront seuls dans la lumière intérieure. […] Nos événements intérieurs se groupent autour d’impressions et d’idées maîtresses : ils leur empruntent leur unité ; grâce à elles, ils forment corps. […] Ainsi s’établissent des centres intérieurs de perspective esthétique.

37. (1896) Psychologie de l’attention (3e éd.)

L’adaptation physique et extérieure est le signe de l’adaptation psychique et intérieure. […] Pour d’autres, il consiste surtout en images auditives ; c’est une parole intérieure très bien décrite par V. […] Mon sens intérieur me donne sur ce point une réponse nette. […] La diffusion n’est pas seulement intérieure ; elle se traduit sans cesse au dehors et se dépense à chaque instant. […] II   Ballet, le Langage intérieur et les diverses formes de l’aphasie.

38. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre I. De la sélection des images, pour la représentation. Le rôle du corps »

Changez les objets, modifiez leur rapport à mon corps, et tout est changé dans les mouvements intérieurs de mes centres perceptifs. […] Toute image est intérieure à certaines images et extérieure à d’autres ; mais de l’ensemble des images on ne peut dire qu’il nous soit intérieur ni qu’il nous soit extérieur, puisque l’intériorité et l’extériorité ne sont que des rapports entre images. […] Ce qui est donné, c’est la totalité des images du monde matériel avec la totalité de leurs éléments intérieurs. […] La distinction de l’intérieur et de l’extérieur se ramènera ainsi à celle de la partie et du tout. […] Quand nous parlons de la sensation comme d’un état intérieur, nous voulons dire qu’elle surgit dans notre corps.

39. (1865) Introduction à l’étude de la médecine expérimentale

Tous les liquides circulant, la liqueur du sang et les fluides intra-organiques constituent en réalité ce milieu intérieur. […] Ce n’est qu’en passant dans le milieu intérieur que les influences du milieu extérieur peuvent nous atteindre, d’où il résulte que la connaissance du milieu extérieur ne nous apprend pas les actions qui prennent naissance dans le milieu intérieur et qui lui sont propres. […] Mais pour le physicien qui descend dans le milieu intérieur de la machine, il trouve que cette indépendance n’est qu’apparente, et que le mouvement de chaque rouage intérieur est déterminé par des conditions physiques absolues, et dont il connaît la loi. […] Cela nous amènera à considérer dans l’organisme des réactions réciproques et simultanées du milieu intérieur sur les organes, et des organes sur le milieu intérieur. […] 2º Conditions physico-chimiques du milieu intérieur.

40. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — La solidarité des élites »

C’est une anarchie parce que toute règle extérieure manque, mais qu’il n’existe qu’un esprit de vie intérieur et invisible ; c’est une démocratie parce que c’est le règne de l’homme-masse, ou Démos, dans chacun ; c’est une aristocratie parce que dans tous les hommes il y a des degrés et des rangs de pouvoir intérieur ; et c’est une monarchie parce que tous ces degrés et ces rangs forment enfin une parfaite unité, un contrôle central. […] La première conception, qui se présente sous la forme de l’impératif catégorique privé de son âme vivante qui est la sympathie, provoque à juste titre chez nous tous un élan chaleureux de révolte, révolte intérieure ou extérieure suivant les circonstances et les êtres. […] Nous venons d’entendre Carpenter nous parler de l’« autorité intérieure » et déclarer que les formes extérieures du gouvernement actuel n’étaient que « les parodies, les substituts provisoires du gouvernement et de l’ordre intérieur ». […] La haine de tous, de tous ceux qu’elle a trahis, dont elle a trompé la cordiale confiance ne fait que sanctionner et rendre manifeste sa déchéance intérieure. […] Ne voit-on pas clairement le vice intérieur de tous nos actes, de tous nos rapports avec nos semblables ou avec les choses ?

41. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre II. La relativité complète »

Telle nous paraissait en effet être la fonction du métaphysicien : il doit pénétrer à l’intérieur des choses ; et l’essence vraie, la réalité profonde d’un mouvement, ne peut jamais lui être mieux révélée que lorsqu’il accomplit le mouvement lui-même, lorsqu’il le perçoit sans doute encore du dehors comme tous les autres mouvements, mais le saisit en outre du dedans comme un effort, dont la trace seule était visible. Seulement, le métaphysicien n’obtient cette perception directe, intérieure et sûre, que pour les mouvements qu’il accomplit lui-même. […] Si nous jugions nécessaire, quant à nous, d’admettre un changement absolu partout où un mouvement spatial s’observe, si nous estimions que la conscience de l’effort révèle le caractère absolu du mouvement concomitant, nous ajoutions que la considération de ce mouvement absolu intéresse uniquement notre connaissance de l’intérieur des choses, c’est-à-dire une psychologie qui se prolonge en métaphysique 14. […] Or, si tout mouvement est relatif et s’il n’y a pas de point de repère absolu, pas de système privilégié, l’observateur intérieur à un système n’aura évidemment aucun moyen de savoir si son système est en mouvement ou en repos. […] Si la couleur est une réalité, il doit en être de même des oscillations qui s’accomplissent en quelque sorte à l’intérieur d’elle : devrions-nous, puisqu’elles ont un caractère absolu, les appeler encore des mouvements ?

42. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre V. Les figures de lumière »

Pour l’observateur intérieur au système, les deux rayons lancés respectivement de O en B et de O en A, dans les deux directions rectangulaires, reviennent exactement sur eux-mêmes. […] En fait, l’expérience Michelson-Morley est réalisée par un physicien intérieur à son système, et par conséquent dans un système immobile. […] L’observateur réel, intérieur au système, a conscience, en effet, et de la distinction et de l’identité de ces Temps divers. […] Donc, en résumé, la thèse de la Relativité signifie ici qu’un observateur intérieur au système S, se représentant ce système en mouvement avec toutes les vitesses possibles, verrait le temps mathématique de son système s’allonger avec l’accroissement de vitesse si le temps de ce système était confondu avec les lignes de lumière OB, O₁B₁, O₂B2, … etc. […] Or, que l’observateur intérieur au système S suppose son système en repos ou en mouvement, sa supposition, simple acte de sa pensée, n’influe en rien sur les horloges du système.

43. (1904) Essai sur le symbolisme pp. -

Des rochers escarpés nous en cachent l’entrée et ce serait folie que de rêver l’assaut du Château intérieur. […] Chaque parole tue la voix intérieure, fige la vie en des attitudes conventionnelles. […] Au travail de condensation intérieure qu’il fait subir au résidu de sa pensée nous demeurons étrangers. […] Dans l’intérieur d’un sens il y a donc toujours continuité. […] La matière a comme une respiration intérieure plus rapide que la conscience.

44. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre V. La philosophie. Stuart Mill. »

Or, on a déjà vu qu’en matière de figures, la vue intérieure reproduit exactement la vue extérieure. […] Nulle nécessité intérieure ne produirait leur liaison ni leur existence. […] Ce sont ces composants que l’on cherche lorsqu’on veut pénétrer dans l’intérieur d’un être. […] Il l’est si bien, qu’il l’est en deux manières, à l’extérieur et à l’intérieur. […] Il y a une force intérieure et contraignante qui suscite tout événement, qui lie tout composé, qui engendre toute donnée.

45. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface des « Voix intérieures » (1837) »

Préface des « Voix intérieures » (1837) 24 juin 1837. […] Les Voix intérieures, in Œuvres complètes de Victor Hugo. […] Ce qu’il contient, les autres le contenaient ; à cette différence près que dans les Orientales, par exemple, la fleur serait plus épanouie, dans les Voix intérieures, la goutte de rosée ou de pluie serait plus cachée.

46. (1903) Articles de la Revue bleue (1903) pp. 175-627

Lorsqu’il découvrit l’incomparable splendeur de la poésie anglaise, son âme s’ouvrit à la vie intérieure. […] Et ces onze héros de la pensée, du rêve et de la vie intérieure, M.  […] Mais comme chez la plupart des vrais imaginatifs de notre âge, son rêve s’épanouit surtout dans sa vie intérieure. […] Il obéira au démon intérieur qui lui dictera les strophes, les vers, les rythmes comme Wagner ou Beethoven obéissaient à leur démon intérieur et ne discutaient pas avec lui. […] Une force intérieure, que M. 

47. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre quatrième. Les émotions proprement dites. L’appétit comme origine des émotions et de leurs signes expressifs. »

Il y a dans l’émotion un ouragan intérieur ; en même temps il y a un ouragan nerveux. […] Non, c’est en vertu d’un déterminisme absolument nécessaire que tel phénomène intérieur se traduit par telle expression extérieure. […] Mais, ajouterons-nous à notre tour, le philosophe ne doit-il pas maintenir, dans la question des signes, un troisième point de vue, plus intérieur encore, proprement psychologique et sociologique ? […] L’expression est donc un phénomène social de sympathie et de synergie qui est d’abord intérieur à l’organisme avant de s’étendre aux organismes voisins. […] Que sera-ce donc pour cette flamme intérieure et infiniment plus subtile qui s’allume, invisible, dans un cerveau humain ?

48. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Fanny. Étude, par M. Ernest Feydeau » pp. 163-178

Feydeau est entré dans l’atelier, s’est posé devant une toile et, palette en main, s’est mis à peindre ses deux personnages et leur intérieur, et à leur donner tout l’éclat, tout le relief imaginable. […] Un poète de l’ordre spiritualiste et mystique, et qui avait la clef du monde intérieur, s’est plu à dire : « Chez moi, toutes choses plutôt ressenties que senties », donnant à entendre que la sensation ne lui revenait qu’épurée dans le miroir de la réflexion et du souvenir. […] Dans toutes les parties d’Adolphe qui ne sont pas essentielles, on trouverait de ces espèces de défauts, et même des défauts de style. — « Mon père, dit Adolphe parlant de certaines liaisons, les regardait comme des amusements, sinon permis, du moins excusables, et considérait le mariage seul sous un rapport sérieux. » — La note perpétuelle d’Adolphe est une note sourde, intérieure : « Je m’agitais intérieurement. — Je me débattais intérieurement. […] Fanny est une histoire intérieure racontée et comme modelée par un homme qui a la qualité de peintre et de coloriste extérieur. […] Ainsi j’étais pour lui un assez futile instrument dont il caressait les cordes, en se jouant, du bout des doigts… Telle est (et encore adoucie par ce que j’en ai supprimé) une des scènes de Fanny, un des tableaux d’intérieur, comme l’auteur les entend et les exécute, fermes, solides, peints en pleine pâte, diraient les gens du métier, et éclairés en toute lumière.

49. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre troisième. Les sensations — Chapitre premier. Les sensations totales de l’ouïe et leurs éléments » pp. 165-188

Quand nous éprouvons une sensation, nous la situons ; nous rapportons telle douleur, telle impression de chaleur, telle sensation de contact à la main, à la jambe, à tel ou tel endroit du corps, telle sensation d’odeur à l’intérieur du nez, telle sensation de saveur au palais, à la langue, ou à l’arrière-bouche. […] La rigueur de la méthode exige donc qu’en ce moment nous le laissions à part pour étudier d’abord la sensation à part. — Ainsi circonscrite, elle est ce premier événement intérieur, connu sans intermédiaire, accompagné d’images associées qui le situent, excité par un certain état des nerfs et des centres nerveux, état inconnu et qui d’ordinaire est provoqué en nous par le choc des objets extérieurs. […] En effet, intérieure ou extérieure, l’observation, à son premier stade, ne saisit que des composés ; son affaire est de les décomposer en leurs éléments, de montrer les divers groupements dont les mêmes éléments sont capables, et de construire avec eux les divers composés. […] Isolée, le sens intérieur ne l’aperçoit pas ; elle existe néanmoins, puisque, dans le son musical très grave, nous l’apercevons comme incessamment répétée et composante ; et d’ailleurs il est clair que nul composé ne peut exister sans composants. — D’autre part, on a vu que, dans le son aigu comme dans le son très grave, la sensation élémentaires un maximum ; nous démêlons ce maximum dans le son très grave, nous ne le démêlons pas dans le son aigu ; il existe cependant dans l’un comme dans l’autre ; mais, dans le son très grave, la distance plus grande de deux maxima nous permet de les distinguer, et, dans le son aigu, la proximité trop grande de deux maxima nous empêche de les distinguer. — Bien plus, chaque sensation élémentaire, pour passer de son minimum à son maximum, passe, dans la courte durée qu’elle occupe, par une infinité de degrés ; à plus forte raison ces degrés sont-ils invisibles à la conscience ; en sorte que, dans un son aigu, la sensation élémentaire indistincte comprend, outre deux états extrêmes indistincts, une infinité d’états intermédiaires indistincts. […] Il y en a un pourtant ; mais il nous échappe ; notre vue intérieure a des limites ; au-delà de ces limites, nos événements intérieurs, quoique réels, sont pour nous comme s’ils n’étaient pas.

50. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre X : M. Jouffroy psychologue »

Jouffroy dit quelque part et prouve partout « qu’il avait à un assez haut degré le sens psychologique, et une grande inclination pour la science des faits intérieurs67. » Rien de plus naturel que ce goût dans un homme intérieur. […] Il y a donc des faits intérieurs et non sensibles aussi réels que des faits extérieurs et sensibles. Il y a donc une observation intérieure de conscience aussi véridique que l’observation extérieure des sens. […] L’observation intérieure comme l’observation extérieure, n’embrasse d’abord que des masses, et n’atteint que tardivement et péniblement les détails. […] Les événements intérieurs ont donc leurs lois, comme les événements extérieurs, et, puisque le progrès de l’observation a découvert de nouvelles lois dans le monde physique, le progrès de l’observation doit découvrir de nouvelles lois dans le monde moral.

51. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Avant-propos de la septième édition »

Que l’on considère, en effet, la pensée comme une simple fonction du cerveau et l’état de conscience comme un épiphénomène de l’état cérébral, ou que l’on tienne les états de la pensée et les états du cerveau pour deux traductions, en deux langues différentes, d’un même original, dans un cas comme dans l’autre on pose en principe que, si nous pouvions pénétrer à l’intérieur d’un cerveau qui travaille et assister au chassé-croisé des atomes dont l’écorce cérébrale est faite, et si, d’autre part, nous possédions la clef de la psychophysiologie, nous saurions tout le détail de ce qui se passe dans la conscience correspondante. […] Celui qui pourrait pénétrer à l’intérieur d’un cerveau, et apercevoir ce qui s’y fait, serait probablement renseigné sur ces mouvements esquissés ou préparés ; rien ne prouve qu’il serait renseigné sur autre chose. […] Ce qu’on tient d’ordinaire pour une perturbation de la vie psychologique elle-même, un désordre intérieur, une maladie de la personnalité, nous apparaît, de notre point de vue, comme un relâchement ou une perversion de la solidarité qui lie cette vie psychologique à son concomitant moteur, une altération ou une diminution de notre attention à la vie extérieure. […] Bien des problèmes qui paraissent étrangers les uns aux autres, si l’on s’en tient à la lettre des termes où ces deux sciences les posent, apparaissent comme très voisins et capables de se résoudre les uns par les autres quand on en approfondit ainsi la signification intérieure.

52. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre deuxième. Le génie, comme puissance de sociabilité et création d’un nouveau milieu social »

Pour le génie proprement créateur, la vie réelle au milieu de laquelle il se trouve n’est qu’un accident parmi les formes de vie possible, qu’il saisit dans une sorte de vision intérieure. […] Illusions ou réalités, des visions passent ; qui se trouve là, les voit18. » Aussi, pour le poète, rien de purement subjectif : le monde de l’imagination est, à sa façon, un monde réel ; le monde intérieur n’est-il pas un prolongement de l’autre, une nouvelle nature dans la nature ? […] L’œuvre d’art proprement dite, loin d’être, un simple jeu, marque le moment où le jeu devient un travail, c’est-à-dire une réglementation de l’activité spontanée en vue d’un résultat extérieur ou intérieur à produire22. […] D’une part, donc, l’œuvre d’art est l’expression plus ou moins fidèle des facultés, de l’idéal, de l’organisme intérieur de ceux qu’elle émeut ; d’autre part, l’œuvre d’art est l’expression de l’organisme intérieur de son auteur ; il s’ensuit qu’on pourra, de l’auteur, passer aux admirateurs par l’intermédiaire de l’œuvre et conclure à l’existence d’un ensemble de facultés, d’une âme analogue à celle de l’auteur ; en d’autres termes, il sera possible de définir la psychologie d’un groupe d’hommes, et d’une nation par les caractères particuliers de leurs goûts. […] Il dit qu’il y a un « homme intérieur » souvent très différent de « l’homme social » ; or, ajoute-t-il, on ne peut connaître cet homme intérieur que par les actes libres et non intéressés de l’individu, par le choix de ses plaisirs, par le jeu de ses facultés inutiles.

53. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre II. La qualité des unités sociales. Homogénéité et hétérogénéité »

. — L’influence des ressemblances intérieures est d’ailleurs assez puissante pour contrebalancer au besoin celle des différences extérieures ; ceux qui communient dans une même foi se sentent portés à oublier que la race ou l’habit les séparaient. […] Tous ces exemples ne prouvent-ils pas que le spectacle des dissemblances, extérieures ou intérieures, innées ou acquises, qui séparent les hommes, n’est pas propre à leur inspirer l’idée de leur égalité ? […] D’ailleurs, abstraction faite des ressemblances qu’il établit entre membres de sociétés différentes, l’accroissement de l’hétérogénéité intérieure d’une société doit par lui-même élargir ses concepts sociaux. […] Que l’imitation aille, comme le veut son théoricien136, de l’intérieur à l’extérieur, du mental au physique, ou au contraire, comme nombre d’observations tendraient à le prouver de l’extérieur à l’intérieur, du physique au mental137, — que l’on commence par imiter les façons de se vêtir, de s’abriter, de se nourrir avant d’imiter les façons de penser, ou inversement, — il est acquis que l’imitation, en transportant d’un individu à l’autre, à travers les milieux ethniques les plus divers non pas seulement quelques caractères insignifiants, mais les caractères les plus nombreux et les plus importants, transforme, à des degrés d’ailleurs divers, l’intérieur comme l’extérieur des hommes, leur physique comme leur mental. […] L’imitation universelle qui, comme le croisement universel, fait la loi à notre civilisation, a comme lui pour résultat d’y propager, par-dessus les groupements fermés et exclusifs, les ressemblances, en même temps qu’elle y raffine, à l’intérieur des groupements, les différences individuelles.

54. (1864) Le positivisme anglais. Étude sur Stuart Mill

Or on a déjà vu qu’en matière de figures, la vue intérieure reproduit exactement la vue extérieure. […] Nulle nécessité intérieure ne produirait leur liaison ni leur existence. […] Ce sont ces composants que l’on cherche lorsqu’on veut pénétrer dans l’intérieur d’un être. […] Il l’est si bien, qu’il l’est en deux manières, à l’extérieur et à l’intérieur. […] Il y a une force intérieure et contraignante qui suscite tout événement, qui lie tout composé, qui engendre toute donnée.

55. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIIIe entretien. Littérature américaine. Une page unique d’histoire naturelle, par Audubon (2e partie) » pp. 161-239

Les parois, à l’extérieur, sont construites des mêmes matériaux ; et l’intérieur, d’un diamètre de trois pouces, est parfaitement sphérique. […] Puis il vola dans l’intérieur et en ressortit avec une rapidité incroyable : on eût dit le passage d’une ombre. […] Puis, l’intérieur de l’arbre redevint silencieux, et elles se dispersèrent dans toutes les directions avec la rapidité de la pensée. […] Enfin, m’étant précautionné d’une lanterne sourde, un soir vers les neuf heures, je retournai au sycomore, résolu de voir à fond dans l’intérieur. […] En septembre, pendant la nuit, je regardai dans l’intérieur : il n’y en restait aucun.

56. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre quatrième. Éléments sensitifs et appétitifs des opérations intellectuelles — Chapitre deuxième. Les opérations intellectuelles. — Leur rapport à l’appétition et à la motion. »

On va toujours dans le sens de la plus forte attraction : si l’attrait n’est pas extérieur et immédiat, il est intérieur et médiat, mais il est constant. […] Le déterminisme intérieur revient sur lui-même et se modifie par la conscience qu’il a de soi et par le sentiment agréable ou pénible de son processus. […] L’affirmation intérieure se ramène donc à l’aperception de l’association qui existe entre les diverses sensations, entre les divers mouvements, surtout entre les sensations et les mouvements. […] Mais c’est là un effet fatal de la volonté même, qui, en intervenant dans le spectacle intérieur, a modifié l’aspect intellectuel de ce spectacle. […] Le psychologue, lui aussi, a besoin d’imagination pour se représenter les combinaisons d’états intérieurs, sentiments, passions, émotions, pensées, désirs, volitions, etc.

57. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre VI. L’effort intellectuel »

On lit le morceau attentivement, puis on le divise en paragraphes ou sections, en tenant compte de son organisation intérieure. […] Alors, à l’intérieur du schéma, on insère les expressions les plus remarquables. […] Le joueur apercevrait sans cesse, comme dans un miroir intérieur, l’image de chacun des échiquiers avec ses pièces, telle qu’elle se présente au dernier coup joué. […] Ce ne peut être sous forme d’image, puisqu’une image qui nous ferait voir l’effet s’accomplissant nous montrerait, intérieurs à cette image même, les moyens par lesquels l’effet s’accomplit. […] Mais, si la contexture intérieure diffère, pourquoi chercher ailleurs que dans cette différence la caractéristique de l’effort intellectuel ?

58. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — II » pp. 268-284

J’admets volontiers (et, dans les nombreuses études critiques et biographiques auxquelles je me suis livré, j’ai eu plus d’une fois l’occasion de le pressentir et de le reconnaître) que chaque génie, chaque talent distingué a une forme, un procédé général intérieur qu’il applique ensuite à tout. […] Efforçons-nous de deviner ce nom intérieur de chacun, et qu’il porte gravé au dedans du cœur. […] On vient de publier en ce moment des Pensées de Maine de Biran44, confessions naturelles et même naïves, d’une modestie, d’une bonhomie touchante, d’une religieuse élévation, et qui montrent tout l’intérieur de ce penseur homme de bien. […] Une telle disposition me rend propre aux recherches psychologiques et à l’existence intérieure, en m’éloignant de tout le reste. […] Sa grande préoccupation fut toujours de trouver, d’atteindre le point d’appui intérieur, et là où d’autres ne voyaient qu’un fait, une modification ou tout au plus un centre de gravité instable et mobile, de sentir, lui, un centre fixe, un point essentiel, indivisible, indestructible, animé, une cause vive, une monade, une âme.

59. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Madame la duchesse d’Angoulême. » pp. 85-102

Il y avait sept ans déjà que la reine était mariée, quand un jour elle fit part aux personnes de son intérieur de sa première joie d’épouse et de ses futures espérances. […] Madame a un mal au pied (les engelures par suite du froid), et qui se complique d’un mal plus intérieur. […] Depuis ce moment de 1815, on ne saurait remontrer Mme d’Angoulême dans aucun acte politique proprement dit, et toute sa vie fut de famille et d’intérieur. […] La conversation de son intérieur était fort naturelle. […] C’est là le cadre de cette destinée de douleur et de sacrifice, sur laquelle l’Antiquité eût versé aussitôt la poésie et l’idéal, mais qui ne nous laisse entrevoir qu’une beauté intérieure, à demi voilée, comme il sied au christianisme.

60. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « Introduction »

Elle consiste tout entière dans la réflexion ou observation intérieure. […] Mais est-il vrai que l’observation intérieure est la méthode unique de la psychologie ? […] Elle n’a de commun, avec l’observation intérieure, que cette aptitude à mieux connaître autrui, qui vient de ce qu’on se connaît mieux soi-même. […] L’observation intérieure seule ne suffit donc pas à la plus timide psychologie. […] Il est vrai que la méthode d’observation intérieure étant strictement personnelle, dès qu’on en applique les résultats aux autres hommes, on la viole ; on procède objectivement et le pas le plus décisif est fait.

61. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIVe entretien. Littérature politique. Machiavel (3e partie) » pp. 415-477

C’est le droit des peuples de se donner à eux-mêmes le régime qui leur convient ; les Romains ne sont point hors la loi de ce droit des peuples en ce qui concerne leur forme de gouvernement intérieur. […] Que les États romains, comme tous les États du monde moderne, peuvent, s’ils le jugent à propos, se constituer dans l’intérieur de leur limite, sous telle forme de gouvernement qui réunira l’assentiment de la majorité des citoyens. […] Ces différences de régime intérieur détruisent-elles la nationalité générale et collective de l’Italie confédérée ? […] L’Italie a besoin de protecteurs étrangers et intéressés à son indépendance, et non d’un maître intérieur. […] Proclamez donc la constitution fédérative de toutes les Italies au-dessus et en dehors de toutes vos constitutions intérieures.

62. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre septième. Les altérations et transformations de la conscience et de la volonté — Chapitre deuxième. Troubles et désagrégations de la conscience. L’hypnotisme et les idées-forces »

« Ici encore le côté extérieur et visible de l’activité humaine n’est que l’ombre de son activité intérieure et psychologique. […] La vie mentale reflue à l’intérieur. […] L’hypnotisé peut avoir l’acuité de l’ouïe nécessaire pour entendre un ordre qui lui est donné par la parole intérieure. […] Or, on sait que les images qui constituent le langage intérieur ne sont pas les mêmes chez tous les individus. […] Ballet sur le Langage intérieur.

63. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre IV. La philosophie et l’histoire. Carlyle. »

Mais la tâche n’est point finie là ; cette hiérarchie n’est point un arrangement artificiel et extérieur, mais une nécessité naturelle et intérieure. […] Dépouillée de ses enveloppes, elle n’affirme que la dépendance mutuelle qui joint les termes d’une série, et les rattache toutes à quelque propriété abstraite située dans leur intérieur. […] Le sentiment des choses intérieures (insight) est dans la race, et ce sentiment est une sorte de divination philosophique. […] Ce sont celles d’un puritain moderne ; ce sont les doutes, les désespoirs, les combats intérieurs, les exaltations et les déchirements par lesquels les anciens puritains arrivaient à la foi : c’est leur foi sous d’autres formes. […] Laissez de côté les formules métaphysiques et les considérations politiques, et regardez l’état intérieur de chaque esprit ; quittez le récit nu, oubliez les explications abstraites, et observez les âmes passionnées.

64. (1878) Leçons sur les phénomènes de la vie communs aux animaux et aux végétaux. Tome I (2e éd.)

Kant a défini la vie « un principe intérieur d’action ». […] On ne peut saisir ce principe intérieur, l’isoler, agir sur lui. […] Ce prolongement d’autres fois est rétracté vers l’intérieur et alors on voit saillir deux lobes arrondis en forme de disques bordés de cils. […] C’est le refroidissement du milieu intérieur qui engourdit l’animal : c’est le réchauffement de ce même milieu qui le dégourdit. […] La fixité du milieu intérieur est la condition de la vie libre, indépendante : le mécanisme qui la permet est celui qui assure dans le milieu intérieur le maintien de toutes les conditions nécessaires à la vie des éléments.

65. (1911) L’attitude du lyrisme contemporain pp. 5-466

Chacun des paysages de Régnier s’offre représentatif d’une émotion intérieure, d’un chant du cœur. […] III. — Verhaeren et la vision intérieure. […] De plus en plus nous voyons Mithouard promener son inspiration dans les « serres chaudes » de la conscience et dans le verger intérieur de la vie. […] Vénérons au contraire cette flamme intérieure qui nous éclaire à toute heure et qui nous conduit sans défaillance, l’instinct. […] L’objet importe peu en soi ; au contraire, l’intérêt réside dans l’état psychologique et les transformations intérieures de l’âme.

66. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Lamartine, Alphonse de (1790-1869) »

Leurs rêveries secrètes, leurs sentiments inexprimés, leurs voix intérieures trouvaient en lui un divin organe. […] C’est une détestable poésie, inane, sans souffle intérieur ; ces phrases-là n’ont ni muscles ni sang, et quel singulier aperçu de l’existence humaine ! […] Il suggère les plaisirs et les mélancolies de la solitude et du silence, le sens et le tourment de la destinée humaine, la peur et le dégoût du monde, la langueur exquise des rêveries, l’ivresse de la vie intérieure. […] L’hymne n’est qu’une méditation qui s’exalte, soit à l’appel tumultueux des émotions intérieures, soit devant le spectacle des embellissements que répandent sur le monde la beauté et l’héroïsme. Mais c’est toujours la voix intérieure, tour à tour douce et triomphante ; et ainsi le poète de l’Isolement , du Soir, du Souvenir, de l’Automne a été le chantre de Bonaparte, de la Marseillaise de la Paix et de Révolution.

67. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — I. La métaphysique spiritualiste au xixe  siècle — Chapitre II : Partie critique du spiritualisme »

Supposons qu’il y ait en dehors de nous une certaine chose appelée matière, — ce qui peut être mis en doute ; — écartons l’idée de cette chose considérée dans son essence, laquelle nous est aussi inconnue que celle de l’âme ; prenons enfin l’idée de la matière telle que l’expérience nous la donne et telle qu’elle est représentée par les sens et par l’imagination, à savoir comme une pluralité de choses coexistant dans l’espace, quelles que soient d’ailleurs ces choses (atomes, phénomènes ou monades) ; — on peut affirmer qu’une telle pluralité, et en général toute pluralité, est hors d’état de se connaître intérieurement comme être, puisque cette pluralité n’a pas d’intérieur. […] Si une pluralité de substances coexistantes ne peut arriver à une véritable unité, à une unité intérieure et consciente, une pluralité de substances successives ne peut pas davantage constituer une véritable identité, c’est-à-dire une continuité sentie. Dire avec Kant qu’on peut se représenter une succession de substances se transmettant l’une à l’autre une même conscience comme une succession de billes se transmettent un même mouvement, c’est méconnaître la vraie idée de la conscience, c’est confondre encore le point de vue intérieur avec le point de vue extérieur ; la transmission d’une conscience implique contradiction. […] En même temps que l’expérience intérieure nous donne l’unité du moi, l’expérience externe, aidée de l’induction, nous autorise à affirmer l’existence des autres hommes et par conséquent de consciences semblables à la nôtre. […] C’est ce que firent à la fois en Allemagne et en France deux grands penseurs, Fichte et Biran, le premier plus porté au spéculatif suivant le goût et le génie de sa nation, le second plus psychologue, plus observateur, — le premier liant la métaphysique à la politique, passionné pour les idées du xviiie  siècle et de la révolution, le second royaliste dans la pratique, assez indifférent pour ces sortes de recherches et occupé d’une manière tout abstraite à l’étude de la vie intérieure, — tous deux enfin, par une rencontre singulière et selon toute apparence par des raisons analogues, ayant terminé leur carrière par le mysticisme, mais le premier par un mysticisme inclinant au panthéisme, le second par le mysticisme chrétien.

68. (1904) Zangwill pp. 7-90

Par une contrariété intérieure imprévue, et nouvelle dans l’histoire de l’humanité, il fallait justement arriver au monde moderne, à l’esprit moderne, aux méthodes modernes, pour que l’historien cessât réellement de se considérer comme un homme. […] On pourra enfin vous parler en naturaliste et vous dire : “Nous allons disséquer une abeille, examiner ses ailes, ses mandibules, son réservoir à miel, toute l’économie intérieure de ses organes, et marquer la classe à laquelle elle appartient. Nous regarderons alors ses organes en exercice ; nous essayerons de découvrir de quelle façon elle recueille le pollen des fleurs, comment elle l’élabore, par quelle opération intérieure elle le change en cire ou en miel. […] « Parfois, je conçois ainsi Dieu comme la grande fête intérieure de l’univers, comme la vaste conscience où tout se réfléchit et se répercute. […] Il a fallu la vue intérieure des caractères, la précision, l’énergie, la tristesse anglaise, la fougue, l’imagination, le paganisme de la Renaissance pour produire un Shakespeare.

69. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XIII. Mme Swetchine »

II Nature discrète et intérieure. Intérieure deux fois. — Intérieure vis-à-vis du monde, avec lequel c’eût été être extérieure au contraire et retentissante, si elle avait nettement rompu. Intérieure vis-à-vis de Dieu qu’elle savait porter et cacher dans son âme, au milieu de ce monde qu’elle n’a cessé de voir.

70. (1861) La Fontaine et ses fables « Préface »

On pourra vous parler en littérateur et vous dire : « Admirez combien ces petites bêtes sont adroites. » On pourra vous parler en moraliste et vous dire : « Mettez à profit l’exemple de ces insectes si laborieux. » On pourra enfin vous parler en naturaliste et vous dire : « Nous allons disséquer une abeille, examiner ses ailes, ses mandibules, son réservoir à miel, toute l’économie intérieure de ses organes, et marquer la classe à laquelle elle appartient. Nous regarderons alors ses organes en exercice ; nous essayerons de découvrir de quelle façon elle recueille le pollen des fleurs, comment elle l’élabore, par quelle opération intérieure elle le change en cire ou en miel.

71. (1897) Préface sur le vers libre (Premiers poèmes) pp. 3-38

Sans doute, si l’évolution de la musique pure ou du poème suivait pas à pas cette modification du sens auditif, les changements de rythmique seraient lents, successifs, comme ceux qui se produisent à l’intérieur même d’une école : exemple, la tension que fit subir au vers romantique un groupe, le Parnasse, opérant sur son patrimoine. […] On obtient par assonances et allitérations des vers comme celui-ci : Des mirages | de leur visage | garde | le lac | de mes yeux Tandis que le vers classique ou romantique n’existe qu’à la condition d’être suivi d’un second vers, ou d’y correspondre à brève distance, ce vers pris comme exemple possède son existence propre et intérieure. […] par la construction logique de la strophe se constituant d’après les mesures intérieures du vers qui dans cette strophe contient la pensée principale, ou le point essentiel de la pensée. […] D’ailleurs nous ne proscrivons pas la rime ; nous la libérons, nous la réduisons parfois et volontiers à l’assonance ; nous évitons le coup de cymbale à la fin du vers, trop prévu, mais nous soutenons notre rime telle quelle par des assonances, nous plaçons des rimes complètes, à l’intérieur d’un vers correspondant à d’autres rimes intérieures, partout où la rythmique nous convie à les placer, la rythmique fidèle au sens et non la symétrie, ou, si vous voulez, une symétrie plus compliquée que l’ordinaire. […] Sans doute, ils connaissent l’admirable beauté intérieure (malgré l’uniformité de la coupe et de la rime du vers de Corneille, de celui de Racine, le charme de ceux de La Fontaine, et leurs ressources oubliées).

72. (1874) Premiers lundis. Tome I « M.A. Thiers : Histoire de la Révolution française Ve et VIe volumes — I »

Du Rhin, les dangers du dehors se liaient aux dangers intérieurs par la chaîne des Vosges, du Jura et des Cévennes, boulevards d’une révolte obstinée. […] Car, qu’on ne s’y méprenne pas, l’énergie délirante, qui, seule, était capable de surmonter une pareille crise, ne pouvait se produire au dehors et faire explosion sur nos frontières, sans retentir à l’intérieur par des contre-coups affreux. […] Cependant tant d’efforts avaient été couronné » de résultats ; les succès de la campagne de septembre avaient répondu aux décrets vigoureux d’août, et, les périls s’éloignant, on commençait à sentir La tyrannie intérieure.

73. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Introduction. Le problème des idées-forces comme fondamental en psychologie. »

En second lieu, les divers états de conscience et les diverses idées ne sont pas, selon nous, doués d’une force « détachée » ; leur action est celle même de la conscience tout entière, dont ils ne sont que les formes et manifestations actuelles, en raison composée de l’activité intérieure et des activités extérieures. […] Si la « lutte pour la vie » supprime la finalité extérieure, elle ne supprime pas la finalité intérieure de la volonté. […] La relation de la conscience comme forme à un contenu tout objectif et sensoriel est-elle la meilleure expression de ce rapport primordial auquel vient aboutir l’analyse intérieure ? […] Au point de vue de l’observation purement psychologique, la jouissance et la souffrance ainsi que la réaction de l’appétit à l’égard des sensations se distinguent nettement des sensations mêmes, en tant que présentations d’objets qui arrivent ou s’en vont devant l’œil intérieur. […] Ici, il s’agit du monde intérieur, qui est précisément composé d’images.

74. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse sociologique »

Mais loin d’être simple et ductile sous l’action des forces brutes, la matière organique est au contraire celle où la correspondance entre le dehors et l’équilibre intérieur se fait le plus difficilement. […] Mais rien de moins juste que cette conclusion ; elle conduirait à admettre que l’on choisit, en général, plus librement, par une nécessité intérieure moins altérée de motifs pratiques, les carrières et les conditions que les plaisirs. […] Cet homme intérieur, parfois extrêmement différent de l’homme social, on ne peut le connaître que par ses actes libres, ses actes non intéressés, par le choix de ses plaisirs, par le jeu de ses facultés inutiles. […] Après ces développements, il sera facile d’expliquer comment il faut entendre qu’une littérature et un art représentent la société dont ils sont issus et écrivent son histoire intérieure. […] Précisons que la formule « homme intérieur » se trouve chez Taine, pour désigner l’objet même de la science psychologique : « il y a un homme intérieur caché sous l’homme extérieur et le second ne fait que manifester le premier » (Histoire de la littérature anglaise, Hachette, 1863, p. 

75. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre troisième. L’appétition »

Par exemple, lorsqu’un enfant désire jouer, qu’est-ce qui constitue l’impulsion intérieure par laquelle il est entraîné, et que Spencer, en somme, n’explique pas ? […] Maintenant, la tendance intérieure à l’idée et au désir est-elle de nature tout intellectuelle, et consiste-t-elle simplement dans une tendance à la clarté, à la plénitude de conscience ? […] D’abord il est certain que l’idée, par cela seul qu’elle est, tend à subsister et à s’accroître ; nous ajoutons même, pour notre part, qu’elle tend à se réaliser au dehors comme au dedans, par le mouvement et l’action extérieure comme par l’attention intérieure. […] James Ward remarque avec raison que ce résultat suspensif produit par la peine sert à ce qu’on pourrait appeler l’éducation intérieure de l’animal, mais qu’il ne lui apprend encore que fort peu de chose sur le dehors et qu’il sert peu à étendre les relations de l’individu avec son milieu. […] Il est encore moins une substance cachée derrière les faits intérieurs ; cette substance, loin de pouvoir être un sujet, serait encore un nouvel objet ajouté aux autres, et de plus un objet inconnaissable.

76. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Appendices de, la deuxième édition »

Ce sera l’état du système de référence, je veux dire du système où le physicien se suppose placé, à l’intérieur duquel il se voit prenant des mesures et auquel il rapporte tous les points de l’univers. […] Mais on hésite aussi parce que, dit-on couramment, le mouvement accéléré se traduit, à l’intérieur du système mobile, par des phénomènes qui ne se produisent pas, symétriquement, dans le système censé immobile qu’on a pris pour système de référence. […] Mais que la vitesse du train augmente ou diminue brusquement, que le train s’arrête : le physicien intérieur au train éprouve une secousse, et la secousse n’a pas son duplicata sur la voie. […] D’après la théorie de la Relativité, ce qui est force de gravitation pour un observateur intérieur au système devient inertie, mouvement, accélération pour un observateur situé au-dehors. […] Traçons en effet un de ses rayons, et considérons les points où ce rayon coupe les circonférences intérieures, en nombre infini, qui sont concentriques à celle du disque.

77. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — III » pp. 178-197

Cowper est le poète de la famille, quoiqu’il n’ait été ni époux, ni père ; il est le poète du chez soi, de l’intérieur régulier, pur, doucement animé, du bosquet qu’on voit au fond du jardin, ou du coin du feu. […]  » Revenons à Cowper, sans nous dissimuler toutefois qu’il n’eût point peut-être réussi à exprimer si au vif la poésie des situations tranquilles que l’habitude rend insensibles à la plupart, s’il n’avait eu, lui aussi, ses orages intérieurs étranges et ses bouleversements profonds.  Le livre sixième de La Tâche débute par un morceau célèbre, et en effet délicieux : Il y a dans les âmes une sympathie avec les sons, et, selon que l’esprit est monté à un certain ton, l’oreille est flattée par des airs tendres ou guerriers, vifs ou graves. […] C’est du sein de cette habitude intérieure désolée qu’il se portait si vivement, pour se fuir lui-même, à ces occupations littéraires et poétiques où il a trouvé le charme et où il nous a rendu de si vives images du bonheur. […] C’est cette union qui manque essentiellement chez Rousseau, et par toutes sortes de raisons qui font peine à ses admirateurs : ce peintre aux larges et puissantes couleurs vit et habite dans un intérieur souillé. […] Ces sonnets, qui sont trop flatteurs pour que je les cite, m’en ont rappelé un du poète Keats qui exprime bien le même sentiment d’idéal, de vie intérieure et d’amitié, charme et honneur de la muse anglaise :   Sonnet imité de Keats, en s’en revenant un soir de novembre Piquante est la bouffée à travers la nuit claire, Dans les buissons séchés la bise va sifflant ; Les étoiles au ciel font froid en scintillant, Et j’ai, pour arriver, bien du chemin à faire.

78. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre troisième. De la sympathie et de la sociabilité dans la critique. »

Taine n’a pas assez vu qu’une œuvre n’est point caractérisée par les traits qui lui sont communs avec les autres productions de la même époque et par les idées alors courantes, mais aussi et surtout par ce qui l’en distingue ; cette école n’étudie pas assez la personnalité des œuvres, leur ordonnance intérieure et leur vie propre. […] C’est là ce qu’on pourrait appeler la vue intérieure de l’œuvre d’art, dont beaucoup d’observateurs superficiels sont incapables. […] Parfois on voit mieux une belle statue, un beau tableau, une scène d’art en fermant les yeux et en fixant l’image intérieure, et c’est à la puissance de susciter en nous cette vue intérieure qu’on peut le mieux juger les œuvres d’art les plus hautes.

79. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Préface »

Mais son organisation n’est plus la même : par un sourd travail intérieur, un nouvel être s’est substitué à l’ancien. […] Malheur aussi à celui dont l’évolution trop violente et trop brusque a mal équilibré l’économie intérieure, et qui, par l’exagération de son appareil directeur, par l’altération de ses organes profonds, par l’appauvrissement graduel de sa substance vivante, est condamné aux coups de tête, à la débilité, à l’impuissance, au milieu de voisins mieux proportionnés et plus sains ! […] Il n’y a qu’eux pour nous faire voir en détail et de près la condition des hommes, l’intérieur d’un presbytère, d’un couvent, d’un conseil de ville, le salaire d’un ouvrier, le produit d’un champ, les impositions d’un paysan, le métier d’un collecteur, les dépenses d’un seigneur ou d’un prélat, le budget, le train et le cérémonial d’une cour.

80. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre II. De la reconnaissance des images. La mémoire et le cerveau »

Ces mouvements intérieurs de répétition et de reconnaissance sont comme un prélude à l’attention volontaire. […] Voilà ce que dit l’observation intérieure. […] Les cordes sont encore là, et sous l’influence des sons extérieurs elles vibrent encore ; c’est le clavier intérieur qui manque. […] BALLET, Le langage intérieur, Paris, 1888, p. 85 (Félix Alcan, éditeur). […] V. en particulier BALLET, Le langage intérieur, p. 153.

81. (1834) Des destinées de la poésie pp. 4-75

Voilà pourquoi cette langue, quand elle est bien parlée, foudroie l’homme comme la foudre, et l’anéantit de conviction intérieure et d’évidence irréfléchie, ou l’enchante comme un philtre et le berce immobile et charmé comme un enfant dans son berceau aux refrains sympathiques de la voix d’une mère ! […] C’est l’homme même, c’est l’instinct de toutes ses époques, c’est l’écho intérieur de toutes ses impressions humaines, c’est la voix de l’humanité pensant et sentant, résumée et modulée par certains hommes, plus hommes que le vulgaire, mens divinior, et qui plane sur ce bruit tumultueux et confus des générations et dure après elles, et qui rend témoignage à la postérité de leurs gémissements ou de leurs joies, de leurs faits ou de leurs idées. […] Il nous fit entrer dans une petite cour intérieure pavée aussi d’éclats de statue, de morceaux de mosaïque, et de vases antiques, et nous livrant sa maison, c’est-à-dire deux petites chambres basses sans meubles et sans portes, il se retira et nous laissa, suivant la coutume orientale, maîtres absolus de sa demeure. […] Nous fûmes frappés de saisissement, et nous accompagnâmes des élans de notre pensée, de notre prière et de toute notre poésie intérieure, les accents de cette poésie sainte, jusqu’à ce que les litanies chantées eussent accompli leur refrain monotone, et que le dernier soupir de ces voix pieuses se fût assoupi dans le silence accoutumé de ces vieux débris. […] C’est aussi cette voix intérieure qui lui parle à tous les âges, qui aime, chante, prie ou pleure avec elle à toutes les phases de son pèlerinage séculaire ici-bas.

82. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre VI. L’antinomie religieuse » pp. 131-133

Institution sociale d’abord, elle est devenue par la suite un simple fait de conscience individuelle ; un état d’âme, une idée et un sentiment intérieurs ; elle s’est individualisée de plus en plus57. […] En même temps qu’elle devenait plus intérieure, plus individuelle, la religion devenait plus différenciée, plus raffinée, plus compliquée, plus riche en nuances ; plus scrupuleuse aussi ; plus exigeante vis-à-vis d’elle-même, plus sublimée sentimentalement et intellectuellement, par suite plus critique, plus encline à l’analyse, à l’association, au doute et à l’hérésie.

83. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIe entretien. L’Imitation de Jésus-Christ » pp. 97-176

À peine peuvent-ils être discernés, si ce n’est par un homme spirituel, intérieur et éclairé d’en haut. […] Car l’homme intérieur est, en ce monde, étrangement appesanti par les nécessités du corps. […] Un homme intérieur se recueille bien vite, parce qu’il ne se répand jamais tout entier au dehors. […] Si vous ne voulez que ce que Dieu veut, et ce qui est utile au prochain, vous jouirez de la liberté intérieure. […] Heureux les yeux qui, fermés aux choses extérieures, ne contemplent que les intérieures !

84. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 juin 1885. »

Et c’est, encore, son instinct natif qui le rendait, dans la vie extérieure, gauche, peu spirituel, d’une honnêteté bourgeoise, parfois mesquine : c’est que son existence était tout intérieure, et son âme ne se pouvait intéresser, pleinement, aux choses de l’Apparence, ayant contemplé sous cette Apparence, en lui, la Réalité immanente. […] Ne voyait-il pas écrit devant lui, en l’œuvre de Bach, le mot expliquant l’énigme de son Rêve intérieur ; ce mot que, jadis, le pauvre Cantor de Leipzig avait tracé, comme le symbole éternel d’un Univers inconnu et nouveau ? […] L’œil intérieur du Maître aperçoit, alors, l’apparition consolante, à lui seul reconnaissable (Allegro 6/8), où le désir arrive à un jeu attendri et gracieux avec lui-même ; l’image du rêve intérieur se réveille, dans le plus aimable souvenir. […] La vue intérieure du Théâtre de Bayreuth, qui est ici publiée, a été faite d’après la gravure publiée par M.  […] L’artiste est un mage, un voyant qui perçoit « l’essence intérieure du monde » loin de la conception italienne de l’opéra asservi à la mode et à la recherche de la volupté.

85. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Œuvres de Maurice de Guérin, publiées par M. Trébutien — I » pp. 1-17

» S’il était mort, en effet, à cette heure ou dans les mois qui suivirent, s’il s’était brisé dans sa lutte intérieure, quelle belle et intacte mémoire il eût laissée ! […] L’intérieur de ces arbres touffus est impénétrable aux frimas ; c’est un asile préparé par la Providence, les petits oiseaux le savent bien. […] Elles ont passé au miroir intérieur et sont vues par réflexion. […] Il avait ses troubles, ses défaillances intérieures, je le sais : nous reviendrons, au moins pour l’indiquer, sur ce côté faible de son âme et de sa volonté ; son talent, plus tard, sera plus viril en même temps que sa conscience moins agitée ; ici il est dans toute sa fleur délicate d’adolescence. […] Il y avait en ce moment à La Chênaie, ou il allait y venir, quelques hommes dont la rencontre et l’entretien donnaient de pures joies, l’abbé Gerbet, esprit doux et d’une aménité tendre, l’abbé de Cazalès, cœur affectueux et savant dans les voies intérieures ; — d’autres noms, dont quelques-uns ont marqué depuis en des sciences diverses, Eugène Boré, Frédéric de La Provostaie : c’était toute une pieuse et docte tribu.

86. (1938) Réflexions sur le roman pp. 9-257

Racine, qui est le maître de l’intérieur, du dedans, n’a pu être imité que par de froids pasticheurs. […] Seulement le style de la vie intérieure chez M.  […] Giraudoux le secret de son art intérieur. […] Ce roman où tout se groupe autour des personnages saisissants de Tito et de Romola (Savonarole est bien manqué), c’est le roman de la liberté intérieure et le roman de la conversion intérieure. […] Cela est musulman, c’est entendu, et l’Islam en a tiré un secret de paix intérieure.

87. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre IV. Le rêve »

L’oreille a aussi ses sensations intérieures — bourdonnement, tintement, sifflement — que nous distinguons mal pendant la veille et que le sommeil détache nettement. […] Plus importantes encore sont les sensations de « toucher intérieur » émanant de tous les points de l’organisme, et plus particulièrement des viscères. […] Maintenant, ce sont des formes plus vagues qui se dessinent à mes yeux, ce sont des sons plus indécis qui impressionnent mon oreille, c’est un toucher plus indistinct qui est éparpillé à la surface de mon corps ; mais ce sont aussi des sensations plus nombreuses qui me viennent de l’intérieur de mes organes. […] Le souvenir est net et précis, mais sans intérieur et sans vie. […] Nous n’apercevons de la chose que son ébauche ; celle-ci lance un appel au souvenir de la chose complète ; et le souvenir complet, dont notre esprit n’avait pas conscience, qui nous restait en tout cas intérieur comme une simple pensée, profite de l’occasion pour s’élancer dehors.

88. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « L’Académie française »

On peut, quand on est de l’Académie, la contredire, la blâmer même au dehors, mais les conversations intérieures restent des conversations : on en parle le soir dans un salon, on les répète tout au plus entre amis ; mais l’écho n’en arrive jamais au public que très vague ou très altéré. […] Il y a cependant, dans les séances intérieures de l’Académie, des jours de grande discussion et comme de bataille rangée sur des sujets littéraires importants. […] Ces grandes conversations intérieures, où, tout en y prenant sa petite part, on aime encore mieux se supposer un moment spectateur, sont de ces journées qui laissent la meilleure idée du mérite et même du charme qu’on retrouve toujours dans l’illustre Compagnie. […] Alors seulement l’injure que l’Académie s’est faite à elle-même en frappant d’ostracisme un sage, et en se privant d’un membre dont elle avait le plus grand besoin pour ses travaux intérieurs, serait réparée et vengée. […] Mais sous une forme ou sous une autre, il est utile que l’Académie donne son avis, ait ses discussions intérieures et les consigne dans un Rapport public, qu’elle ne craigne pas, en un mot, de faire acte de jugement et de sincérité.

89. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Buloz »

On y parlait, au début, de Platon et des siens, et le pauvre rédacteur, épris d’antiquité, disait élégamment : « Lorsque les brises de la mer Égée parfumaient l’atmosphère de l’Attique, quelques hommes, préoccupés de l’éternel mystère, venaient, dans les jardins d’Acadème, se suspendre aux lèvres de Platon, etc. » Buloz prit peur de cette phrase comme de la plus audacieuse hardiesse, et de sa patte dictatoriale et effarée il supprima le tout et mit à sa place ; « Il y eut aussi dans la Grèce des sociétés savantes. » Une autre fois, dans une étude sur la mystique chrétienne, on disait : « L’amour de la vérité cherche celle-ci dans les solitudes intérieures de l’âme » ; mais Buloz, qui ne connaît pas les solitudes intérieures de l’âme, traduisit d’autorité : « Les esprits curieux fuient les embarras des villes », qu’il connaît ! […] Ils savent, en effet, les traditions intérieures de la Revue des Deux Mondes. […] L’humeur célèbre du directeur de la Revue des Deux Mondes est arrivée à ce point que son visage, qui n’a pas précisément la beauté de Saint-Mégrin, quoiqu’il soit borgne comme lui, ne donne point une idée de l’intérieur de son âme.

90. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre troisième. La volonté libre »

Nous nous figurons alors non seulement que le choix résulte de notre puissance, — ce qui est vrai, — mais que cette puissance même est ambiguë, — ce qui n’est pas impliqué dans l’expérience intérieure. […] Nous désirons donc toutes les formes de puissance à leur maximum, y compris la puissance de la volonté sur les objets extérieurs ou même sur ces objets intérieurs qu’on nomme motifs et mobiles. […] Le concept de la liberté intérieure et celui même de la puissance des idées ne sont nullement indifférents : ils ne laissent point l’esprit dans la même inertie qu’une formule de pure algèbre. […] Un dernier pas dans la réflexion intérieure nous fait comprendre que la plus haute expansion de notre moi et de sa spontanéité indépendante n’est pas l’égoïsme, mais l’amour universel d’autrui. […] A plus forte raison quand le point d’application de la volonté est intérieur ; bien plus, quand il est la volonté même.

91. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Appendice. — Sur les Jeune France. (Se rapporte à l’article Théophile Gautier, page 280.) »

Auguste Le Prévost, alors son ami intime, et qui le blâmait de tant de susceptibilité, me faisait confidence de cette zizanie en des termes qui ouvrent un jour sur l’intérieur romantique de ce temps-là : « J’ai joué de malheur avec notre ami Ulric. […] Combien de moments différents, combien de ces petites crises intérieures au sein de ce monde et de cette école poétique !

92. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre V. Jean-Jacques Rousseau »

Restauration de la vie intérieure et sentimentale. — 4. […] Par Dieu, présent en lui, source d’énergie morale, appui de la volonté, garant et témoin des engagements intérieurs. […] Nulle autorité, nulle direction ne viennent de l’extérieur entraver l’action du principe intérieur. […] Ainsi est restaurée la vie intérieure avec ses durs efforts et ses austères joies ? […] Il a rendu aux hommes le respect d’eux-mêmes, le souci de la perfection intérieure.

93. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre premier. Causes physiologiques et psychologiques du plaisir et de la douleur »

Ils ont, au contraire, plus de réalité intérieure et mentale que tout autre phénomène. […] Ce qu’on appelle l’indifférence, selon nous, n’est que la neutralisation mutuelle d’une série aboutissant à la peine par une série aboutissant au plaisir ; c’est un état dérivé, une composition de mouvements extérieurs et d’émotions intérieures. […] Darwin n’a pas assez considéré les nécessités intérieures, soit physiologiques, soit psychologiques, qui agissent avant toute sélection et rendent la sélection même possible. […] Vous pouvez peu de chose sur vos organes intérieurs ; vous ne pouvez, par exemple, placer votre estomac ou votre cœur dans l’attitude active de l’attention, tandis que vous pouvez volontairement regarder, écouter, flairer, savourer, palper. […] D’où il suit que, chez l’être vivant, la douleur n’est pas, comme l’ont cru certains pessimistes, le principe même de l’action intérieure et du vouloir, mais seulement celui de la réaction sur le monde extérieur.

94. (1912) Le vers libre pp. 5-41

Tandis que le vers classique ou romantique n’existe qu’à la condition d’être suivi d’un second vers, ou d’y correspondre à brève distance, ce vers pris comme exemple possède son existence propre et intérieure. […] par la construction logique de la strophe se constituant d’après les mesures intérieures du vers qui dans cette strophe contient la pensée principale ou le point essentiel de la pensée. […] D’ailleurs nous ne proscrivons pas la rime ; nous la libérons, nous la réduisons parfois et volontiers à l’assonance ; nous évitons le coup de cymbale à la fin du vers, trop prévu, mais nous soutenons notre rime telle quelle par des assonances, nous plaçons des rimes complètes, à l’intérieur d’un vers correspondant à d’autres rimes intérieures, partout où la rythmique nous convie à les placer, la rythmique fidèle au sens et non la symétrie, ou, si vous voulez, une symétrie plus compliquée que l’ordinaire. […] Théophile Gautier, que nous aimons et connaissons plus et mieux que les fils de Parnasse, disait : « Je vois le monde extérieur et j’écris des métaphores qui se suivent. » Nous, nous avons cherché à voir le mieux possible le monde extérieur, à traduire quelques nuances, (le plus possible) du monde intérieur, ce qu’on en peut saisir, chacun dans les limites de ses forces, et nous avons cherché à créer des métaphores qui s’engendrent les unes les autres ; nous n’avons pas souvent tenu à les exprimer entièrement mais pour ainsi dire à les citer, à les énumérer.

95. (1926) La poésie de Stéphane Mallarmé. Étude littéraire

Il eut une vie de famille, un intérieur probablement heureux. […] Tout homme prononce à sa façon, dictée de l’intérieur par son âme et du dehors par son métier, qu’une seule chose est nécessaire. […] Elle s’amplifiera dans la logique particulière à ce mode de vie intérieure, la logique de l’analogie. […] D’autre part, s’il est aujourd’hui un trouveur d’images, c’est bien ce Bacon du monde intérieur qu’est M.  […] Elles sont prises de l’intérieur, elles ont, comme une toile de Carrière, leur centre dans un regard, dans une méditation.

96. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VIII. Du crime. »

Certainement l’homme criminel croit toujours, d’une manière générale, marcher vers un objet quelconque, mais il y a un tel égarement dans son âme, qu’il est impossible d’expliquer toutes ses actions par l’intérêt du but qu’il veut atteindre : le crime appelle le crime ; le crime ne voit de salut que dans de nouveaux crimes ; il fait éprouver une rage intérieure qui force à agir sans autre motif que le besoin d’action. […] Le sentiment dominant de la plupart de ces hommes est sans doute la crainte d’être punis de leurs forfaits ; cependant il y a en eux une certaine fureur qui ne leur permettrait pas d’adopter les moyens les plus sûrs, s’ils étaient en même-temps les plus doux ; ce n’est que dans les crimes présents qu’ils cherchent la garantie des crimes passés ; car toute résolution qui tendrait à la paix, à la réconciliation, fut-elle réellement utile à leurs intérêts, ne serait jamais adoptée par eux ; il y aurait dans de telles mesures une sorte de relâchement, de calme incompatible avec l’agitation intérieure, avec l’âpreté convulsive de tels hommes. […] D’ailleurs, un caractère particulier aux grands coupables, c’est de ne point s’avouer à eux-mêmes le malheur qu’ils éprouvent, l’orgueil le leur défend ; mais cette illusion, ou plutôt cette gêne intérieure ne diminue rien de leurs souffrances, car la pire des douleurs est celle qui ne peut se reposer sur elle-même.

97. (1894) Notules. Joies grises pp. 173-184

Les uns ont voulu dire la vie des Choses : les poètes objectifs : d’autres ont analysé leur vie intérieure : les subjectifs. […] À titre de remarque ; de même que l’emploi — à l’intérieur du vers — de mots à désinences féminines, rend plus immatériel le rhythme, ainsi les assonances féminines sont préférables aux assonances masculines trop lourdes et d’un dur relief. […] Jusqu’à ces derniers temps, les critiques incompréhensifs et les fabricants de prosodie considéraient l’assonance à l’intérieur du vers comme une discordance, et dans tous les cas comme un grave défaut.

98. (1903) La pensée et le mouvant

La vie intérieure est cette mélodie même. […] Mais l’expérience intérieure ne trouvera nulle part, elle, un langage strictement approprié. […] Il faut tout un travail de déblaiement pour ouvrir les voies à l’expérience intérieure. […] Mais j’ai la même impression de nouveauté devant le déroulement de ma vie intérieure. […] Comment s’en représenter l’intérieur ?

99. (1914) Note sur M. Bergson et la philosophie bergsonienne pp. 13-101

Or la révolution, l’invention bergsonienne n’a point consisté à déplacer ces royaumes mais à y opérer une révolution de l’intérieur. […] C’est à l’intérieur même du pathétique qu’elle opère, comme c’est parallèlement à l’intérieur du logique ou du mathématique. […] C’est à l’intérieur des différents ordres, des différents royaumes qu’il faut chercher, qu’il faut poursuivre, qu’il faut reconnaître des hiérarchies, des subordinations, des coordinations parallèles. […] Et pour ainsi dire en montant le long à l’intérieur des différents ordres. […] Mais poursuivons parallèlement à l’intérieur des différents ordres et sachons reconnaître les qualités parallèles.

100. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre IV. Le Séminaire d’Issy (1881) »

Il avait des visions, des faveurs intérieures dont on possède à Saint-Sulpice le cahier autographe, écrit pour son directeur. […] Une circonstance rendait de telles créations faciles et sans danger pour l’État, c’est qu’elles n’avaient pas de professorat intérieur. […] Dans l’intérieur du séminaire, tout se bornait à des répétitions, à des conférences. […] Depuis le Concordat, l’enseignement du séminaire devint tout intérieur. […] Un vertige s’emparait de lui, il se prenait de rage en se voyant si charmant ; il était comme une cellule de nacre où un petit génie pervers serait toujours occupé à broyer sa perle intérieure.

101. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre V. Le roman romantique »

Sans doute, il ne fait pas de psychologie profonde ; il ne s’attache pas au travail intérieur qui fait ou défait une âme ; il n’essaie pas d’isoler et de peser tous les éléments qui se mêlent dans une volonté, dans un désir. Il compose solidement son personnage intérieur ; il y met une passion forte, qui sera le ressort unique des actes, qui forcera toutes les résistances des devoirs domestiques ou sociaux, des intérêts même. […] Tout le détail sensible du roman, descriptions et actions, traduit et mesure la qualité, l’énergie du principe moral intérieur. […] En cinq cents pages, il nous apprend autant que toute la Comédie humaine sur les mobiles secrets des actes et sur la qualité intérieure des âmes dans la société que là Révolution a faite. […] Très liée aussi avec Ledru-Rollin, elle rédige en 1848 le Bulletin de la République, journal du Ministère de l’Intérieur.

102. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre premier. La sélection et la conservation des idées dans leur relation à l’appétit et au mouvement. »

Pour quelques-uns, l’action de reconnaître une idée est la chose du monde la plus secondaire ; c’est un phénomène d’éclairage intérieur qui se surajoute à tout le reste, mais qui n’est nullement nécessaire ; qu’importe que la mémoire soit consciente ou inconsciente ? […] L’image a lieu dans les centres cérébraux que la sensation même avait fini par ébranler, mais elle a lieu en l’absence des causes extérieures et sous une excitation intérieure. […] Un coup de cloche retentit, le son éclate, puis diminue, puis s’éteint, et un moment vient où je ne distingue plus si l’écho affaibli est extérieur ou intérieur, s’il est un dernier ébranlement de l’air ou un dernier ébranlement de mon cerveau, s’il est une image ou une perception. […] Quand, au contraire, il s’agit de mouvements moléculaires et intérieurs, comme dans la faim ou la soif, l’idée éveille l’émotion avec difficulté. […] C’est que, dans ce dernier cas, les conditions du souvenir sont des idées toujours présentes et renouvelables, non une perturbation passagère de l’organisme ; les mêmes pensées reproduisent donc le même orage intérieur.

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